CHAPITRE III -

UN BON ARRANGEMENT VAUT MIEUX
QU'UN MAUVAIS PROCÈS

Comme le relevait le Conseil d'Etat en 1992 dans son rapport intitulé " L'urbanisme, pour un droit plus efficace " , le contentieux de l'urbanisme présente quelques traits " pathologiques ". La multiplicité des documents de planification, la complexité des procédures, la pluralité des acteurs et l'opiniâtreté des plaideurs ont favorisé, après la mise en oeuvre des lois de décentralisation, ce que d'aucuns ont qualifié " d'explosion " du nombre des recours. Voici quelques années, un spécialiste estimait que la plupart des permis de construire relatifs à des opérations importantes étaient frappés de recours qui aboutissaient une fois sur deux à une annulation 23 ( * ) . De son côté, l'Association des Maires de France considère que le nombre de recours pour excès de pouvoir a quadruplé en vingt ans, passant de 2.700 en 1978 à 11.000 en 1999, tandis que le nombre de POS annulés est d'environ 200 chaque année.

Pour tenter de limiter le nombre d'annulations reposant sur des erreurs mineures d'ordre procédural, le législateur a adopté plusieurs mesures à l'occasion du vote de la loi n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction. L'article L.600-1 du code de l'urbanisme, qui résulte de l'article 3 de ce texte, prévoit que l'illégalité d'un plan d'occupation des sols pour vice de forme ou de procédure ne peut être invoquée par voie d'exception après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet du document en cause, sauf si le vice de forme concerne la méconnaissance ou la violation des règles de l'enquête publique préalable à l'élaboration d'un POS ou l'absence du rapport de présentation ou encore celle des documents graphiques, composantes essentielles du POS.

Ces dispositions ont permis d'éviter l'annulation, plusieurs années après leur entrée en vigueur, de plans d'occupations des sols dont la légalité n'était entachée que de fautes vénielles. Les progrès réalisés ne sauraient cependant dissimuler que le volume du contentieux de l'urbanisme demeure important et que les conséquences économiques et sociales des délais à l'issue desquels sont rendues les décisions juridictionnelles sont, bien souvent, graves et irréparables.

I. APRÈS UN FORT ACCROISSEMENT, LE VOLUME DU CONTENTIEUX DE L'URBANISME SEMBLE DÉSORMAIS STABILISÉ

L'augmentation du contentieux de l'urbanisme est indissociable du développement du volume contentieux administratif. Celui-ci ne serait pas -en soi- néfaste s'il ne se traduisait pas par un allongement démesuré de la durée des procédures : or, désormais, le délai total minimum qui court entre le dépôt d'une requête introductive, le jugement du tribunal administratif, les arrêts de la cour administrative d'appel et, le cas échéant, du Conseil d'Etat, oscille entre cinq et sept ans . Dans certaines affaires, il atteint même dix ans ! Le contentieux de l'excès de pouvoir, largement ouvert aux requérants, puisqu'il est dispensé du ministère d'avocat, peut d'ailleurs se doubler d'un contentieux civil devant les juridictions compétentes !

A. UN PROBLÈME GÉNÉRAL : L'ACCROISSEMENT DES DÉLAIS DE JUGEMENT DEVANT LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE

Comme le montre le rapport annuel du Conseil d'Etat, les délais de jugement enregistrés devant la juridiction administrative connaissent un allongement préoccupant. Malgré la création de postes budgétaires au cours de ces dernières années, le nombre des juges administratifs demeure manifestement insuffisant pour permettre de juger dans un délai raisonnable les affaires dont ils sont saisis.

Pourtant, des efforts de productivité notables ont été réalisés au cours de la décennie qui s'est achevée avec le siècle. Le nombre annuel moyen de dossiers traités par juge de l'ordre administratif s'élève à 211 en 1998 alors qu'il n'était que de 182 en 1991. Au cours de la même période, le volume des décisions rendues a fortement augmenté dans les tribunaux administratifs. Ceux-ci ont jugé 1,6 fois plus d'affaires en 1998 qu'en 1991 , soit environ 111.000 dossiers .

Le volume de requêtes dont ils ont été saisis a cependant cru encore plus rapidement : le rapport entre le nombre d'affaires jugées et celui des affaires enregistrées aux greffes est passé de 95 % en 1997 à 85 % en 1998. Il s'ensuit que le délai théorique nécessaire à l'élimination du stock d'affaires en attente -délai hypothétique puisqu'il suppose qu'aucun recours nouveau ne soit plus déposé !- s'établit à près de deux ans devant les tribunaux administratifs. La situation est encore plus préoccupante devant les cours administratives d'appel. Le nombre d'affaires dont elles sont saisies a cru de 15 % entre 1997 et 1998. Malgré l'accroissement du total des affaires jugées, le " stock " à traiter a augmenté de 22 % au cours de la même période. Le délai théorique d'élimination de ce " stock " est passé, entre 1997 et 1998 , de deux ans à trois ans et deux mois !

B. UN CAS PARTICULIER : L'APPARENTE STABILISATION DU VOLUME DU CONTENTIEUX DE L'URBANISME

Les statistiques précises et exhaustives relatives au volume du contentieux de l'urbanisme traité et en instance font actuellement défaut. Selon la réponse 24 ( * ) à une question écrite posée par notre collègue Jean-Marc Chavanne, député, le contentieux de l'urbanisme représenterait 7,2 % des affaires traitées par les tribunaux administratifs en 1998. Hormis ces données agrégées, tout au plus dispose-t-on de données détaillées qui concernent le Conseil d'Etat et d'éléments chiffrés émanant de la DGUHC qui retracent les affaires dans lesquelles l'Etat est partie.

Le contentieux devant le Conseil d'Etat

Le contentieux relatif à l'application du droit de l'urbanisme représente une part somme toute minime des dossiers examinés par le Conseil d'Etat, ainsi qu'il ressort du tableau suivant :

PART DES AFFAIRES CONCERNANT L'URBANISME
DANS LE TOTAL DES AFFAIRES ENREGISTRÉES ET JUGÉES
PAR LE CONSEIL D'ETAT EN 1997 ET 1998

Enregistrées

Jugées

1997

1998

1997

1998

TOTAL

7 193

8 427

11 228

9 450

dont urbanisme

135

141

430

299

soit en pourcentage

1,9 %

1,7 %

3,8 %

3,2 %

Source : Rapport du Conseil d'Etat, 1999, page 54.

Ainsi, en 1998, le contentieux de l'urbanisme ne représente que 1,7 % des affaires enregistrées et seulement 3,2 % des affaires jugées par la Haute juridiction.

Le contentieux dans lequel l'Etat est partie

Au ministère de l'Equipement, la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC) recense les dossiers de contentieux en matière d'urbanisme dans lesquels l'Etat est partie, ainsi que ceux consécutifs à l'exercice du contrôle de légalité. Certes, cet indicateur n'est qu'approximatif puisqu'il ne prend pas en compte le contentieux qui implique des communes qui ont compétence pour délivrer par elles-mêmes les autorisations d'occupation du sol après qu'elles ont élaboré un POS. Il permet cependant de constater que le contentieux de l'urbanisme ne connaît plus la forte croissance qui fut la sienne jusqu'au début des années 1990.

Ainsi qu'on le constate à la lecture du tableau ci-dessous, le nombre d'affaires concernant la délivrance d'autorisations de construire par l'Etat demeure stable au niveau de 863 en 1997 contre 881 en 1996. Quant aux dossiers relevant de l'exercice du contrôle de légalité par les préfets, leur nombre s'élève à 343 en 1997 contre 319 en 1996.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DES RECOURS
CONTRE LES DÉCISIONS PRISES AU NOM DE L'ÉTAT

1994

1996

1997

Recours en annulation :

937

881

863

dont :

- Permis de construire

393

375

479

- Certificats d'urbanisme

153

167

182

- Demandes de sursis à exécution

163

139

150

Décisions prononcées :

930

721

577

- Portant sur le fond

-

513

446

- Annulations

164

107

77

- Sursis à exécution ordonnés

107

81

65

Source : DGUHC

Au total, il semble qu'en volume, le contentieux de l'urbanisme soit stabilité au niveau élevé atteint au milieu des années 1990 . Une analyse plus fine supposerait de disposer d'éléments relatifs au contentieux qui concerne la délivrance d'autorisations d'utilisation du sol par les collectivités locales. Votre groupe de travail souhaite , sur ce point, à l'instar des rapporteurs pour avis successifs de la Commission des Affaires économiques sur les crédits de l'urbanisme inscrits au projet de loi de finances, que le ministère de l'Equipement se dote des instruments nécessaires à un suivi précis du contentieux de l'urbanisme, en collaboration avec la juridiction administrative .

* 23 Cf. Jean-Paul Gilli " Contentieux du permis de construire : la légalité sous réserve ", dans L'Actualité juridique droit administratif, 20 mai 1995, page 355.

* 24 Journal Officiel, Assemblée nationale, 3 mai 1999, page 2774.

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