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N° 273
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 17 mars 2000.

Annexe au procès-verbal de la séance
du 21 mars 2000.

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

SUR

Les conditions d'implantation d'un nouveau synchrotron
et le rÔle des trÈs grands Équipements dans la recherche publique ou privÉe, en France et en Europe

Par

M. Christian CUVILLIEZ, Député et M. René TRÉGOUËT, Sénateur

Tome I : Les conditions d'implantation
d'un nouveau synchrotron

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

par M. Henri REVOL,

Premier Vice-Président de l'Office.

Président de l'Office

RÉSUMÉ

Conduite avec l'aide de dix scientifiques de haut niveau représentant tous les horizons de la recherche française et européenne, publique ou privée, l'étude de M. Christian CUVILLIEZ, Député de Seine-Maritime et M. René TRÉGOUËT, Sénateur du Rhône, sur les conditions d'implantation d'un nouveau synchrotron, réalisée dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, met en évidence que les synchrotrons, en tant que grands instruments partagés par des milliers d'utilisateurs, accessibles grâce à l'assistance rapprochée des concepteurs, formateurs pour des centaines de jeunes chercheurs et pluridisciplinaires par nature ne sont pas des très grands équipements comme les autres.

En raison du surcoût par utilisateur des accès à des machines étrangères, la prise de participations dans des machines anglo-française, allemande ou suisse ne peut constituer qu'un investissement supplémentaire au profit d'une discipline comme la biologie et non pas une solution de remplacement à un synchrotron national.

Pour garder les compétences françaises de haut niveau mondial dans la technologie des synchrotrons et pour offrir aux milliers d'utilisateurs français un accès libre, proche et d'un coût modéré aux méthodes d'analyse de pointe que permet le rayonnement synchrotron, la construction d'une machine de 2,75 GeV doit être lancée sans délai supplémentaire dans une région bien desservie et à vocation scientifique affirmée.

Le présent rapport a pour premier objectif d'informer le Parlement sur un enjeu scientifique global, à savoir l'accès aux moyens techniques de pointe fournis par les synchrotrons, et de rétablir les conditions d'un dialogue interrompu par la crise de confiance survenue entre les responsables de la recherche et la communauté des concepteurs et des utilisateurs de synchrotron, suite à l'abandon du projet SOLEIL et à la décision de prendre une participation dans le projet DIAMOND du gouvernement britannique et du Wellcome Trust.

Alors qu'un débat pour le moins vif a entraîné chacun à faire état de positions extrêmes, ce rapport, qui avait également pour but de faire le clair sur les oppositions en apparence irréconciliables entre synchrotrons et moyens de fonctionnement des laboratoires et entre solution nationale et coopération européenne, conclut sur les convergences qui existent en réalité sur tous ces points.


• Le rayonnement synchrotron, un saut technologique majeur pour l'analyse de la matière

Les synchrotrons produisent des ondes électromagnétiques de toutes longueurs d'onde, utilisées par un nombre considérable de méthodes d'analyse de la matière. Ces machines sont constituées d'une part d'un anneau de stockage dans lequel les électrons tournent 350 000 fois par seconde à une vitesse proche de celle de la lumière et d'autre part de lignes de lumière et de postes expérimentaux périphériques qui utilisent la lumière émise par les électrons lors de passage dans des aimants de courbure ou des " chicanes " (" wigglers " et onduleurs) placées sur leur trajectoire, lumière dénommée rayonnement synchrotron.

Les synchrotrons, qui sont utilisés chacun par plusieurs milliers de chercheurs, constituent une avancée technologique majeure puisque le rayonnement synchrotron des synchrotrons de 3 ème génération est mille milliards de fois plus brillant que les rayons émis par des équipements de laboratoire comme les tubes à rayons X.


• Un très grand instrument indissociable de ses laboratoires de conception et d'exploitation

Compte tenu de la technicité de ses installations et de son potentiel d'applications nouvelles, un synchrotron associe étroitement ses concepteurs et ses exploitants à des utilisateurs permanents dont les laboratoires sont situés à proximité de la machine, dans une collaboration étroite et pluridisciplinaire par nature.

Alors que l'on se trouve déjà à la 3 ème génération de machines, l'évolution technique des synchrotrons est loin d'être achevée, des progrès considérables étant attendus sur les onduleurs, l'optique des lignes de lumière, et l'instrumentation, et notamment les détecteurs. En outre, de nouvelles perspectives existent en termes de machines dérivées des actuels synchrotrons mais complémentaires, les lasers à électrons libres.


• Un grand instrument banalisé, partagé, accessible, formateur et pluridisciplinaire, et donc " pas comme les autres "

Un synchrotron, même de 3 ème génération, apparaît aujourd'hui comme une machine banalisée, au service d'une vaste communauté de chercheurs appartenant à des laboratoires multiples, répartis sur tout le territoire et venant même de l'étranger pour près du quart du total en moyenne.

Les chercheurs visiteurs de toutes disciplines, qui se relaient sur les postes expérimentaux des synchrotrons, bénéficient d'une assistance rapprochée de la part des concepteurs et des chercheurs résidents. Par ailleurs, les synchrotrons jouent un rôle important dans la formation des jeunes chercheurs.

" Super laboratoire " pluridisciplinaire de service aux autres laboratoires, un synchrotron n'est donc pas un très grand instrument comme les autres qui sont le plus souvent au service d'une seule discipline.


• L'investissement dans un synchrotron national, un enjeu scientifique global reconnu comme tel par des pays de toutes dimensions

Un synchrotron irriguant toutes les disciplines d'une communauté scientifique, la libre disposition d'au moins un instrument national est considérée par des pays de toute taille comme un impératif dans leurs investissements de recherche.

Sur le seul continent européen, l'Italie dispose d'une source de 3 ème génération déjà saturée ; la Suisse termine la construction de son propre synchrotron jugé indispensable à sa recherche publique et à son industrie pharmaceutique ; la Suède possède trois synchrotrons diversifiés et l'Allemagne dispose de 5 centres de rayonnement synchrotron avec un total de 7 anneaux de stockage. Sur d'autres continents, le Canada va construire sa propre source, alors que les Etats-Unis voisins disposent de 11 centres de rayonnement synchrotron. En Asie, le Japon exploite plusieurs synchrotrons dont certains possédés directement par des grandes entreprises. La Thaïlande, Taiwan et bientôt l'Australie ont également investi dans ce domaine.

Ces instruments étant jugés par des pays de toute taille comme à leur portée, il n'existe donc logiquement dans le monde qu'un seul synchrotron international (l'ESRF de Grenoble), dont la construction a, au demeurant, correspondu à des contraintes techniques et financières aujourd'hui dépassées.


• La prise de participation dans des machines étrangères, un investissement supplémentaire et non pas une solution de remplacement d'un synchrotron national, du fait de son coût élevé par utilisateur

Même si les résultats de la négociation avec le gouvernement britannique ne sont pas encore connus, il est très probable que la participation française conduira à des coûts par ligne de lumière supérieurs d'au moins 50 % au coût des lignes de lumière d'un synchrotron national.

Le projet de participation française dans le synchrotron DIAMOND doit donc être analysé essentiellement comme un investissement dans un rapprochement avec une communauté scientifique d'outre-Manche en pointe dans les biotechnologies.

La prise de participation dans un synchrotron étranger et la location de lignes sur d'autres machines ne semblent pas pouvoir apporter, à des coûts supportables, les accès nombreux, libres et proches dont les chercheurs français ont besoin.

Au surplus, l'exemple de l'Italie dans le domaine de la physique neutronique, montre que la disparition d'une machine entraîne l'effondrement d'une discipline.


• La coopération européenne, selon le principe de subsidiarité, pour des projets de développement aléatoires et pour la réduction des coûts

Chaque pays européen ayant besoin de son propre équipement pour faire face aux demandes des chercheurs, l'application privilégiée des coopérations bilatérales pourrait être la mise au point de programmes de construction de synchrotrons concertés et étalés dans le temps afin de dégager des économies d'échelle.

Les collaborations dans un cadre communautaire devraient trouver, en vertu du principe de subsidiarité, des applications privilégiées d'une part dans le soutien aux initiatives nationales et d'autre part dans des projets par définition soumis à des aléas que sont les futurs développements des lasers à électrons libres.


• un synchrotron national polyvalent, pluridisciplinaire et évolutif, indispensable pour la communauté scientifique française

La construction immédiate en France d'une source nationale de rayonnement synchrotron est un impératif pour la dynamique scientifique, éducative et industrielle de notre pays.

Il convient en effet de mettre une machine polyvalente, facile d'accès et évolutive à la disposition d'une vaste communauté française de concepteurs et d'utilisateurs de synchrotrons, physiciens, chimistes, biologistes, dont les compétences sont reconnues dans le monde entier.

En l'occurrence, il est absolument vital que la France garde un statut de partenaire sur le réseau mondial des synchrotrons et ne glisse pas vers celui de simple client des principaux synchrotrons étrangers.

Certes le statut de " chercheur international " passant sur une machine internationale pour compléter les expériences réalisées sur le sol national est celui que l'on rencontre aujourd'hui, en particulier dans le domaine des synchrotrons. Mais il ne saurait être confondu avec celui de " chercheur errant " d'une machine étrangère à une autre, au gré de créneaux de disponibilité toujours rares et âprement disputés.


• des conditions de fonctionnement à optimiser

Des initiatives semblent indispensables pour rénover les conditions d'investissement dans de grands instruments de service comme les synchrotrons. La mise en réserve de dotations analogues aux dotations pour amortissement devrait être autorisée aux grands organismes de recherche pour faciliter un renouvellement sans à-coup de ces installations.

Pour associer les grandes entreprises à la construction et à l'exploitation d'un nouveau synchrotron, il semble par ailleurs indispensable, compte tenu du niveau des prélèvements sur les sociétés, de mettre en place en France comme dans la majorité des autres pays développés, une fiscalité favorable à l'investissement dans les lignes de lumière du futur synchrotron national.

Il convient aussi de rechercher les conditions de statut du futur établissement qui permettront d'optimiser le potentiel de la source nationale de 3 ème génération.

*

En tout état de cause, il est temps que s'arrête une de ces guerres d'opinion franco-françaises que les partenaires de la France contemplent avec stupéfaction ou douleur et que soient détaillées et appliquées les orientations proposées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui n'ont d'autre finalité que de vouloir combiner les atouts de la recherche française et européenne, sur des bases nationales fortes, pour le plus grand succès de nos chercheurs.

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