B. UNE RÉPONSE À L'ÉVOLUTION FUTURE DES BESOINS

Afin de poser le débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne sur des bases pragmatiques, il est utile de s'intéresser à la fois aux perspectives d'évolution de la consommation énergétique en Europe, et aux perspectives de développement des solutions alternatives au nucléaire.

1. Le dynamisme de la consommation d'énergie en Europe

a) Une hausse de la demande d'énergie à l'horizon 2020

L'Union européenne est l'une des régions du monde les plus consommatrices d'énergie. En 1997, elle a consommé 1 407 millions de tep, soit environ 30 % du total de la consommation d'énergie primaire de l'OCDE et 15 % de la consommation mondiale, alors qu'elle ne représente que 6 % de la population de la planète.

Répartition par région de la consommation énergétique mondiale

(en millions de tep)

 

1980

1990

1997

Stocks

109.0

117.6

131.9

Union européenne

1240.8

1314.2

1406.9

Reste de l'OCDE

2565.2

2852.2

3246.2

dont Amérique du Nord

2103.6

2259.6

2541.7

dont Japon-Australie-NZ

430.4

540.1

633.2

Europe centrale et orientale

354.2

333.4

289.5

CEI

1131.9

1347.8

911.1

Afrique

260.2

363.8

425.2

Moyen-Orient

133.5

237.2

329.3

Asie

1148.4

1732.2

2350.7

Amérique latine

288.8

339.1

435.8

Total

7273.2

8686.1

9579.4

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

Toutefois, si l'on raisonne en termes " d'intensité énergétique ", selon l'expression consacrée, l'Union européenne apparaît comme l'une des zones les plus économes.

Avec une consommation de 237 tep par million d'euros de PIB, les Quinze ont l'un des ratios les plus faibles, seul le Japon faisant mieux.

Intensités énergétiques dans le monde en 1997

 

en tep/habitant

en tep/M. d'euros de PIB

Union européenne

3,76

237

Amérique du Nord

6,51

426

Japon-Australie-NZ

4,27

214

Europe centrale et orientale

2,39

1392

CEI

3,12

2180

Afrique

0,57

926

Moyen-Orient

2,07

797

Asie

0,76

1124

Amérique latine

1,10

493

Monde

1,63

477

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

Les perspectives d'évolution du parc électronucléaire européen sont étroitement liées aux prévisions d'évolution de la consommation d'énergie dans l'Union.

Compte tenu du niveau de développement atteint par les Etats membres, la demande d'énergie y est moins dynamique que dans d'autres régions du monde. En effet, les économies développées à haut niveau de vie se caractérisent par des ratios de consommation d'énergie par habitant élevés mais stables. Dans ces économies industrialisées, les équipements de confort et de transport personnels sont très répandus : de ce fait, l'accroissement des revenus est orienté vers des biens et services peu intensifs en énergie. Globalement, la hausse de la demande d'énergie tend à épouser la croissance de la population.

La Direction générale de l'Energie de la Commission a publié en novembre dernier une étude prospective sur l'énergie dans l'Union européenne à horizon 2020.

Cette projection repose sur une hypothèse d'amélioration significative du ratio d'intensité énergétique européen, déjà l'un des plus bas du monde, à un rythme de 1,5 % par an. En effet, un découplage entre l'augmentation des besoins d'énergie et la croissance économique devrait résulter d'une modification qualitative de cette dernière, de plus en plus fondée sur des biens et services à haute valeur ajoutée, ainsi que de l'amélioration technologique continue des modes d'utilisation de l'énergie.

En dépit de cette intensité énergétique accrue, la demande d'énergie dans l'Union européenne passerait de 1 454 Mt en 2000 à 1 612 Mt en 2020, soit une augmentation de 11 %.

Besoins d'énergie primaire dans l'Union européenne

(en millions de tep)

 

1995

2010

2020

2030

Combustibles solides

238

207

182

218

Pétrole

578

606

655

663

Gaz naturel

274

338

401

431

Nucléaire

205

223

227

199

Electricité

1

1

2

3

Energies renouvelables

72

79

88

100

TOTAL

1 368

1 454

1 556

1 612

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

Cette augmentation déjà significative des besoins d'énergie primaire recouvre une augmentation encore plus forte des besoins en électricité, qui est la forme d'énergie caractéristique des économies postindustrielles. La demande d'électricité s'accroîtrait de 1,9 % par an jusqu'en 2010 et de 1,6 % par an entre 2010 et 2020, ce ralentissement du rythme de croissance traduisant les gains d'efficience technologique.

b) Une aggravation prévue de la dépendance énergétique

Face à cette demande accrue, la production d'énergie dans l'Union européenne est orientée à la baisse. Les énergies fossiles se tariraient dans leurs trois composantes (combustibles solides, pétrole et gaz naturel) tandis que les énergies renouvelables ne se développeraient pas suffisamment pour compenser cette baisse de ressources.

En ce qui concerne le nucléaire, la projection de la Commission européenne s'en tient à une double hypothèse de gel du parc de centrales nucléaires installées ou en construction, et de prolongation de la durée de vie des installations jusqu'à 40 ans. Cette hypothèse neutre se traduit par une légère augmentation de la production électronucléaire entre 2000 et 2010, avec la mise en service des centrales encore en construction, suivie d'une diminution plus marquée entre 2010 et 2020, avec la fermeture des centrales nucléaires les plus anciennes.

Production d'énergie primaire dans l'Union européenne

(en millions de tep)

 

1995

2000

2010

2020

Combustibles solides

137

110

86

70

Pétrole

162

165

129

99

Gaz naturel

167

204

191

141

Nucléaire

205

223

227

199

Hydroélectricité

25

27

27

29

Biomasse

44

53

53

57

Energies renouvelables

3

9

9

14

TOTAL

743

782

721

609

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

On remarque que, dans la présentation de cette projection, les besoins d'énergie nucléaire sont, par construction, identiques aux capacités de production européennes.

Globalement, l'écart croissant entre les besoins et la production d'énergie dans l'Union européenne se traduirait par une forte augmentation de son taux de dépendance énergétique.

Vers 2020, les Quinze dépendraient des importations de pays extra-communautaires pour près des deux tiers de leur consommation d'énergies fossiles.

Taux de dépendance énergétique de l'Union européenne

 
 
 
 
 
 
 

(en pourcentage des besoins)

 

1995

2000

2010

2020

Combustibles solides

39,5

46,7

52,8

67,8

Pétrole

72,9

74,4

81,7

86,1

Gaz naturel

39,9

39,5

52,4

67,3

TOTAL

46,4

47,6

55,-

63,4

Source : Commission européenne - Direction générale de l'énergie

La méthodologie de l'exercice de projection conduit par la Direction générale de l'Environnement n'est pas exempte de toute critique. L'étude se fonde sur la continuation des tendances actuelles, sans changement des politiques énergétiques menées aujourd'hui, ni rupture technologique. Or, ce genre d'extrapolation mécanique n'est valable qu'à très court terme, mais n'est guère pertinent à l'horizon de vingt ans qui a été retenu.

Les auteurs de l'étude admettent d'ailleurs implicitement cette limite méthodologique, puisqu'ils précisent : " Les perspectives de l'énergie nucléaire constituent l'une des incertitudes clefs de cette projection . Le nucléaire peut jouer un rôle très significatif pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au-delà de 2010.

" Son impact variera selon que les capacités massives des centrales nucléaires devant être fermées entre 2015 et 2030 seront remplacées par d'autres centrales nucléaires ou par des centrales thermiques.

" En dépit des restrictions qui freinent l'expansion de l'énergie nucléaire, il est apparu, compte tenu de la haute sensibilité aux prix du pétrole et du gaz, que le rôle du nucléaire pourrait être significatif
".

2. Les limites des solutions alternatives

Les partisans d'un abandon progressif ou anticipé du nucléaire n'ignorent pas que les besoins d'énergie en Europe restent dynamiques et que les sources d'énergie fossiles ne sont pas inépuisables. Mais ils font valoir qu'il existe des solutions alternatives au nucléaire.

a) La promotion communautaire des énergies renouvelables

La Commission européenne a présenté en 1997 un Livre Blanc sur les sources d'énergie renouvelables (1( * )) qui définit une stratégie communautaire pour la promotion des énergies renouvelables. Ce document part du constat que le niveau de maturité technologique atteint aujourd'hui par celles-ci est tout à fait satisfaisant.

Les technologies hydroélectriques sont maîtrisées depuis longtemps, et couvrent une large gamme de puissance, les toutes petites puissances apportant une réponse qualitative en milieu isolé.

La biomasse recouvre, d'une part, les valorisations de déchets agricoles, forestiers, industriels ou urbains et, d'autre part, les biomasses régénérées (exploitation forestière ou cultures à vocation énergétique). La valorisation de la biomasse recouvre trois grandes filières :

- la combustion de la biomasse sèche, dont le développement est envisageable sur les réseaux de chauffage collectifs, éventuellement en association avec les énergies fossiles ;

- la production de méthane à partir de biomasse humide, qui offre des perspectives intéressantes pour le traitement des déchets agricoles ou ménagers et peut répondre à un besoin local de chaleur ou de production d'électricité ;

- les biocarburants, techniquement réalistes mais encore concurrencés par les produits pétroliers, et dont le développement est subordonné à des considérations de politique agricole.

L'énergie éolienne a atteint une maturité suffisante pour couvrir des marchés aussi différents que l'électrification de sites isolés ou la production d'électricité sur les grands réseaux. Une évolution technologique qui pourrait favoriser cette source d'énergie est le développement de plates-formes éoliennes offshore , qui limiteraient les contraintes d'espace et d'environnement.

Les technologies solaires sont aujourd'hui mûres pour la production d'eau chaude à basse température, destinée au chauffage ou à un usage sanitaire, la production décentralisée d'électricité et la production sur réseau par des centrales thermodynamiques solaires.

L'énergie géothermique est techniquement viable, d'une part, pour la production d'électricité à partir de vapeur sèche à haute température et, d'autre part, pour le chauffage localisé des bâtiments par des pompes à chaleur.

Les énergies renouvelables sont donc techniquement crédibles, et occupent d'ailleurs déjà une place non négligeable chez certains Etats membres.

Quatre pays recourent aux énergies renouvelables dans une proportion significative : le Portugal (15,7 %), la Finlande (21,3 %), l'Autriche (24,3 %), et la Suède (25,4 %). Ces résultats appréciables s'expliquent, pour le Portugal, par une utilisation importante de la biomasse traditionnelle dans le secteur résidentiel, et pour les trois autres Etats membres, par la mise en valeur d'un important potentiel forestier et hydraulique.

Part des sources d'énergie renouvelables
dans la consommation intérieure brute d'énergie (en %)

 

1990

1995

Autriche

22,1

24,3

Belgique

1,0

1,0

Danemark

6,3

7,3

Finlande

18,9

21,3

France

6,4

7,1

Allemagne

1,7

1,8

Grèce

7,1

7,3

Irlande

1,6

2,0

Italie

5,3

5,5

Luxembourg

1,3

1,4

Pays-Bas

1,3

1,4

Portugal

17,6

15,7

Espagne

6,7

5,7

Suède

24,7

25,4

Royaume-Uni

0,5

0,7

Union européenne

5,0

5,3

Source : EUROSTAT

Toutefois, la Commission estime, dans son Livre Blanc, que la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l'Union européenne ne reflète pas leur véritable potentiel technologique de développement.

Elle propose donc de mettre en oeuvre en leur faveur une politique communautaire volontariste venant en complément des plans nationaux visant à les promouvoir.

Ce plan d'action communautaire s'appuie sur un instrument financier, le programme ALTENER, mis en place précédemment. Le programme ALTENER I, pour la période 1993-1997, était doté de 40 millions d'euros. Le programme ALTENER II, pour la période 1998-2002, est doté de 22 millions d'euros.

L'objectif fixé est de doubler la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l'Union européenne, de 6 % actuellement à 12 % en 2010. Dans sa résolution sur le Livre Vert qui a précédé le Livre Blanc, le Parlement européen s'est même prononcé en faveur d'un objectif de 15 %.

Parallèlement, la Commission a préconisé un effort particulier sur les économies d'énergie, dans une communication de 1998 (2( * )) . Le potentiel économique d'amélioration de l'efficacité énergétique entre 1998 et 2010 est estimé à environ 18 % de la consommation annuelle totale d'énergie de 1995. Ainsi, le projet de directive visant à réduire la consommation d'énergie des appareils électroménagers, actuellement en cours de discussion, devrait permettre aux pays de l'Union européenne d'économiser l'équivalent de la consommation d'électricité annuelle du Portugal.

Cette action s'appuie sur des programmes technologiques, tels que Joule-Thermie, et sur un programme pluriannuel pour la promotion de l'efficacité énergétique (SAVE). Le programme SAVE II est doté de 66 millions d'euros pour la période 1998-2000.

b) Les obstacles au développement des énergies renouvelables

Outre leur contribution à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, les énergies renouvelables présentent le double avantage de réduire la dépendance de l'Union vis-à-vis des importations et d'être fondées sur des technologies de pointe créatrices d'emplois et d'exportations. Sur ces nouveaux créneaux, les Etats membres détiennent souvent des positions mondialement dominantes, qu'il leur appartient de conforter.

Toutefois, ces sources d'énergie nouvelles ont leurs propres contraintes et limites . La biomasse pose des problèmes pratiques de transport et de stockage, qui la rendent impropre à un usage intensif dans les zones urbanisées. L'énergie éolienne entraîne une pollution sonore de voisinage et est dévoreuse d'espace. A titre d'illustration, si l'on remplaçait toutes les centrales nucléaires d'Europe par des éoliennes perfectionnées, d'une puissance unitaire pouvant atteindre 1 GWh, celles-ci occuperaient une bande de 10 kilomètres de large sur 3.200 kilomètres de long. L'énergie solaire reste soumises aux variations de l'ensoleillement selon les latitudes et les saisons, même si les nouvelles techniques de cellules photovoltaïques intégrées aux surface des bâtiments ouvrent des perspectives intéressantes.

Indépendamment de ces limites, qui ne sont pas rédhibitoires, la commercialisation des énergies renouvelables tarde à décoller en raison de coûts d'investissement élevés par rapport aux énergies fossiles et du manque de confiance des investisseurs, des pouvoirs publics et des utilisateurs.

Le total des investissements nécessaires dans l'Union européenne pour atteindre l'objectif d'un doublement des énergies renouvelables entre 1997 et 2010 est estimé par la Commission européenne à 165 milliards d'euros, ce qui correspondrait à une augmentation de 30 % du montant des investissements dans le secteur de l'énergie.

L'objectif fixé d'un doublement de la part de 6 % des énergies renouvelables dans la consommation énergétique européenne apparaît particulièrement ambitieux quand on constate que l'hydroélectricité représente actuellement à elle seule 4 %.

En effet, pratiquement tous les sites pertinents pour de grandes installations hydroélectriques sont déjà équipés dans les pays de l'Union, et l'équipement des rares sites restants se heurte à une vive opposition de la part des populations concernées.

En dehors du petit hydroélectrique, la quasi-totalité des progrès espérés reposera donc sur les autres formes d'énergies renouvelables, qui restent moins maîtrisées.

Un développement de grande ampleur en Europe de ces sources d'énergies nouvelles ne repose pas uniquement sur des progrès technologiques, mais suppose de repenser tout à la fois les réseaux de production et de distribution d'énergie, les modes de transport, les structures de production industrielle, les formes d'architecture et d'urbanisme, etc. Cette remarque ne signifie pas qu'il est vain de promouvoir les énergies renouvelables dans le cadre économique et social actuel. Mais elle implique que leur contribution ne pourra atteindre un seuil significativement supérieur qu'à long terme, à l'issue d'un effort d'investissement constant et multiforme.

Par ailleurs, dans son intervention en faveur des énergies renouvelables, l'Union européenne se heurte à sa propre logique libérale. Ainsi, la proposition de directive sur les énergies renouvelables à laquelle travaille actuellement la Commission pourrait, paradoxalement, remettre en cause les systèmes d'aides nationaux.

L'Allemagne, en particulier, est opposée à ce texte qui, dans son état actuel, la contraindrait à renoncer à son système de prix garantis au producteur et d'aides fiscales à l'investisseur. D'ores et déjà, le Danemark a dû modifier son système d'aides au développement des éoliennes, afin qu'il repose sur des quotas obligatoires de consommation et non plus sur des subventions aux producteurs, estimées non conformes au droit communautaire.

L'objectif de 12 % d'énergies renouvelables pour l'ensemble de l'Union européenne en 2010, aussi souhaitable soit-il, apparaît ainsi peu réaliste. Il est d'ailleurs révélateur que l'étude prospective précitée de la Direction générale de l'Energie ne retienne pas cette hypothèse avant 2020.

Au regard des chiffres, votre rapporteur constate que les énergies renouvelables ne peuvent pas être considérées comme une solution alternative à l'énergie nucléaire, du moins à moyen terme.

Le bon sens commande de sortir d'une logique de compétition entre ces deux types d'énergie. Pour faire face à ses besoins futurs, l'Union européenne ne pourra se passer d'aucune d'entre elles.

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