2. Un monologue du gouvernement

Les progrès de l'information du Parlement en matière d'évolution des finances publiques n'ont pour l'heure pas été accompagnés par une revalorisation du rôle du Parlement dans l'élaboration des textes financiers.

Certes, le rôle limité des Assemblées résulte pour partie des dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Néanmoins, les textes n'expliquent pas tout. Au cours des travaux de la commission d'enquête, les commissaires ont à de nombreuses reprises souligné le contraste entre la longueur de la procédure d'examen des lois de finances et le caractère limité des modifications apportées par le Parlement au texte d'origine figurant dans la loi de finances promulguée comme si la discussion de celle-ci était en quelque sorte " verrouillée ".

Le souci de protection de l'équilibre des finances publiques ne suffit pas à expliquer le " verrouillage " et le soin mis par le ministère des finances pour tenir les parlementaires à l'écart de l'élaboration des lois de finances.

Ainsi, les documents recueillis par votre commission auprès de la direction du budget montrent que, dans les documents internes préparatoires à un projet de loi de finances, les services répartissent les mesures destinées à figurer dans le texte définitif entre celles qui seront des articles du projet déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale et celles qui seront introduites par voie d'amendement en cours de discussion. Outre qu'un tel procédé aboutit à soustraire certaines mesures à l'examen préalable du Conseil d'Etat, il traduit une volonté du gouvernement de contrôler la discussion parlementaire jusque dans ses moindres détails en choisissant de réduire délibérément le délai laissé au Parlement pour examiner certaines dispositions, pourtant envisagées longtemps à l'avance par les services.

3. La sincérité budgétaire n'est pas une priorité

Au cours de son audition, M. Jean-Claude TRICHET a déclaré avoir " toujours été frappé par ce procès, qui repose essentiellement sur le fait que les hypothèses de travail de la loi de finances ne semblent pas, aux yeux de la représentation nationale, être le fruit d'un travail sincère, professionnel, d'une sorte de consensus des experts, le meilleur possible, mais le fruit d'une manifestation gouvernementale ".

A l'inverse, au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont constaté que la sincérité des données à partir desquelles sont élaborés les projets de lois de finances n'apparaît pas comme l'une des premières préoccupations du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que ce soit des services mais également des ministres.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC a d'ailleurs relativisé l'importance de l'objectif de sincérité budgétaire : " la sincérité du projet de loi de finances initiale, qui n'est d'ailleurs pas un principe de l'ordonnance organique, mais une construction jurisprudentielle, est une obligation de moyens, mais cela ne peut pas être une obligation de résultat à ce stade de l'année. Les comptes sont une obligation de résultats ". A l'évidence, il n'est pas possible de prévoir en loi de finances initiale de manière exacte l'évolution des recettes fiscales au cours de l'exercice à venir. En revanche, le président de votre commission, M. Alain LAMBERT s'est opportunément demandé si le Parlement ne serait pas fondé à exiger que les données à partir desquelles il débat des projets de loi de finances correspondent à celles que le gouvernement utilise effectivement dans son suivi de l'exécution budgétaire. En effet, lors de l'audition de M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC, il relevait que " les paramètres économiques et financiers du projet de loi de finances évoluent et, pendant ce temps, le Parlement examine, discute du budget. Il n'est pas toujours informé de ces évolutions, et quand je dis cela c'est par courtoisie, et pourtant il débat du projet de budget. .... On peut se demander, quand on est au Parlement, si l'exercice auquel on se livre n'est pas exclusivement formel ".

Un exemple d'insincérité budgétaire ?

Les documents auxquels votre commission a eu accès confirment ce sentiment. Par exemple, à l'automne 1999, le directeur du budget a adressé au ministre deux notes, à un jour d'intervalle :

- la note du 25 octobre 1999 relative au " projet de collectif 1999 " indique que le projet de loi de finances rectificative qui sera présenté le 24 novembre en Conseil des ministre pourrait être élaboré avec un objectif de solde pour 1999 s'élevant à 228,7 milliards de francs, soit 7,8 milliards de francs d'amélioration par rapport au solde voté en loi de finances initiale pour 1999. Cette note a été établie par le bureau 1A de la direction du budget 13( * ) ;

- la note du 26 octobre 1999 concerne la " prévision d'exécution associée à la maquette du projet de collectif 1999 ". La prévision de la direction du budget pour l'exercice 1999 s'établit alors à 211,2 milliards de francs, soit 25,3 milliards de francs de moins que la loi de finances initiale. Cette note explique de manière détaillée les raisons des écarts constatés en recettes et en dépenses par rapport au projet de collectif. Cette note a été établie par le bureau 1D de la direction du budget 14( * ) .

L'écart entre le chiffre sur la base duquel le gouvernement a proposé au Parlement de débattre (- 228,7 milliards de francs) et le chiffre sur la base duquel le gouvernement a réalisé son suivi de l'exécution est significatif puisqu'il s'établit à 17,5 milliards de francs. Pourtant, à aucun moment, dans la note du 25 octobre 1999 consacrée au collectif, il n'est évoqué la possibilité de modifier la maquette du collectif en fonction des prévisions d'exécution. S'il l'avait voulu, le gouvernement aurait pourtant disposé d'un mois pour le faire, puisque le projet de loi de finances rectificative pour 1999 n'a été présenté en Conseil des ministres que le 24 novembre.

En outre, il est indiqué dans la note du 25 octobre 1999 que " s'agissant du solde, un objectif d'amélioration doit être visé à deux titres : pour maintenir l'équilibre primaire compte tenu des économies affichées sur la dette ; pour accélérer la réduction du déficit budgétaire de l'Etat conformément à ce qui a été notifié en septembre à la commission ". L'objectif de sincérité des documents transmis au Parlement ne semble pas recherché.

Il ressort de ces éléments que l'organisation administrative même de la direction du budget traduit une certaine conception du rôle du Parlement. Tandis que le bureau 1D s'occupe de transmettre au ministre les données relatives à la réalité de l'exécution, le bureau 1A s'attache à mettre en forme une réalité budgétaire virtuelle, qui sert de base à la discussion au Parlement.

Vos rapporteurs considèrent que le choix de ne pas incorporer, lorsque c'est encore matériellement possible, les prévisions les plus fiables dans les documents transmis au Parlement est particulièrement regrettable s'agissant du collectif budgétaire. S'agissant du projet de loi de finances initiale, plusieurs personnes auditionnées ont mis en évidence les difficultés qui s'opposeraient à l'incorporation des prévisions les plus récentes.

En revanche, s'agissant du collectif qui, pour reprendre l'expression de M. Jean ARTHUIS, se doit d'être le " document vérité ", le décalage entre les chiffres retenus par le gouvernement et les prévisions qui lui sont transmises par les services fait perdre tout son sens à cet exercice, à propos duquel M. Christian SAUTTER a souligné que " nous sommes parmi les rares pays qui fassions des budgets rectificatifs en cours d'année ".

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