B. L'ÉVALUATION DES MESURES FISCALES : UN EXERCICE DÉLICAT BROUILLÉ PAR DES CONSIDÉRATIONS POLITIQUES

1. La difficulté technique d'évaluer le coût des dépenses fiscales

La direction de la législation fiscale établit un tableau des dépenses fiscales sensibles : chaque dépense fiscale est chiffrée avec des observations permettant d'expliquer les modifications.

Les dépenses fiscales font l'objet d'une réunion d'arbitrage annuelle, au mois de juillet, permettant, pour certaines mesures, de confronter les estimations de la direction générale des impôts, de la direction de la prévision et de la direction de la législation fiscale. Aucune direction ne fournit une estimation de toutes les mesures.

On notera que l'estimation " haute " est la plus largement retenue pour figurer dans le tome II du fascicule " Voies et moyens " annexé au projet de loi de finances. Par exemple, sur 53 mesures faisant l'objet de plusieurs propositions en 1998, 33 mesures ont été arbitrées selon la valeur haute, 20 selon la valeur basse.

Mais l'un des enseignements des tableaux d'arbitrage est l'importance de l'écart entre les évaluations des différents services pour une même mesure fiscale, particulièrement pour les mesures relatives à l'épargne, mais pas uniquement.

Des écarts importants dans l'évaluation de certaines mesures fiscales

Les écarts d'évaluation des mesures fiscales entre les différentes directions sont parfois considérables, de un à cinq.

Les arbitrages du PLF 1999


Lors de l'arbitrage pour le PLF 1999, le coût de l'exonération des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation est évalué à 23,9 milliards de francs par le SLF et 31,8 milliards de francs pour la direction de la prévision. L'exonération de la TVA des cantines d'entreprises ou d'administrations est évaluée à 3,2 milliards de francs par la DGI et 5,98 milliards de francs par la direction de la prévision. L'application de taux spéciaux de TVA aux départements d'outre-mer est évaluée par la DGI dans une fourchette de 2,9 à 7,6 milliards de francs. Le régime des amortissements dégressifs est évalué à 1,4 milliard de francs par le SLF mais à 5,2 milliards de francs par la direction de la prévision. La taxation réduite des plus-values à long terme provenant de cessions de titres de participation est évaluée à 1 milliard de francs par la direction de la prévision et 5,3 milliards de francs par la direction générale des impôts. Enfin, l'avoir fiscal est évalué entre 4,2 milliards de francs et 7,8 milliards de francs par la direction de la prévision.

Lors de l'arbitrage pour le PLF 2000, les mêmes écarts d'évaluation persistent

Ainsi, le coût en impôt sur les sociétés de l'avoir fiscal attaché aux dividendes de sociétés françaises est évalué à 2 milliards de francs par la direction de la prévision, à 5,7 milliards de francs par la direction générale des impôts et 6 milliards de francs par la direction de la législation fiscale. De même, le coût de la taxation réduite de certaines plus-values à long terme est évalué entre 3,5 et 13,9 milliards de francs. Le coût de l'application des taux particuliers de TVA dans les DOM évalué pourtant par la seule DGI oscille désormais entre 3 et 8 milliards de francs, de même que pour l'application du taux réduit de TVA pour la fourniture de logements dans les hôtels, estimée entre 7,6 et 11,6 milliards de francs.

L'évaluation retenue pour les dépenses fiscales s'explique parfois par la nature de la mesure : ainsi, l'exclusion sous certaines conditions des bases d'imposition à la TVA des " pourboires " et " majorations pour service " fait l'objet selon la fiche " d'une évaluation mesurée " car la dépense n'est pas conforme à la sixième directive européenne.

Des débats significatifs ont lieu sur les méthodes d'évaluation

Ainsi, concernant les dépenses fiscales relatives à l'épargne, une fiche technique du service de la législation fiscale indique que, lors de l'élaboration du PLF 97, il a été décidé de retenir, sur proposition de la direction de la prévision, un taux d'imposition sur les produits de l'épargne défiscalisée nettement supérieur au taux moyen d'imposition des contribuables. Puis la direction de la prévision a proposé d'utiliser la ventilation par décile de revenu global issue de l'enquête sur le " budget des familles " 1995 de l'INSEE, estimant que cette méthode était plus pertinente que l'utilisation de taux marginaux moyens. Cette proposition est rejetée au nom de la permanence des méthodes, avec une critique très vive (" l'importance des mesures prises ces dernières années prive, me semble-t-il, le cabinet d'adopter une nouvelle méthode empirique et contradictoire pour la détermination des dépenses fiscales de l'épargne. A défaut, il est à craindre que les parlementaires utiliseraient ce manque de cohérence pour fustiger les réformes envisagées ces deux dernières années sur la fiscalité de l'épargne ").

Ces débats ne peuvent être tranchés faute de validation des évaluations

Dans une fiche concernant les prévisions d'impôt sur les sociétés, la direction de la prévision déplore que s'agissant notamment des mesures nouvelles ayant une incidence sur le bénéfice fiscal, aucune validation des simulations effectuées par la direction de la prévision ou la direction de la législation fiscale ne puisse être effectuée, même sur les recettes des exercices passés. Elle prend l'exemple de la majoration d'un point de l'amortissement dégressif pour les biens acquis ou créés entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 1997.

Le bureau des études fiscales de la direction de la prévision note par ailleurs " une mauvaise évaluation de l'impact des mesures nouvelles ayant une influence sur le résultat fiscal ", " à titre d'exemple, on peut citer la modification intervenue dans le régime mère-fille dont le gain budgétaire a été estimé par des simulations sur la centrale de bilans de la direction de la prévision à 2,19 milliards de francs, sans qu'il soit possible à l'heure actuelle de valider cette évaluation ".

La manière dont peuvent être évalués les allégements d'impôts constitue donc une difficulté très importante. Par définition, l'impôt qui n'est pas perçu est invisible et la perte fiscale peut seulement être supposée. Plus on avance dans le temps, plus l'évaluation est hasardeuse, et les dépenses fiscales correspondant à des mesures prises les années antérieures n'échappent pas à cette règle.

Compte tenu des défaillances du système d'évaluation, la tentation est grande de retenir les évaluations les plus en conformité avec les besoins de la démonstration. Mais si des considérations politiques peuvent intervenir pour le chiffrage de toutes les dépenses fiscales, elles sont bien plus présentes pour l'évaluation des mesures nouvelles.

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