N° 485

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29 juin 2000

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) dotée des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l' élaboration des projets de loi de finances et l' exécution des lois de finances (en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 22 ter du Règlement du Sénat),

TOME II : AUDITIONS

Par MM. Alain LAMBERT et Philippe MARINI,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.


Finances publiques.

SENAT

Commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques

de la Nation.

Mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances

Séance du 25 avril 2000

La séance est ouverte à 15 heures 10 sous la présidence de M. Alain Lambert .

Audition de M. Nicolas SARKOZY,
Ancien Ministre

M. le Président. - L'ordre du jour appelle, dans le cadre de la mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution desdits projets de loi, l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ancien ministre du budget.

Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux de vous accueillir.

J'imagine que, quels que soient les bancs sur lesquels on siège, on apprécie votre énergie ainsi que votre dialogue direct ou votre sens du dialogue direct et nous sommes heureux par avance de pouvoir, pendant une heure, échanger avec vous.

Comme vous le savez, le Sénat a doté notre commission des finances des prérogatives des commissions d'enquête pour une durée de six mois au cours de sa séance du 29 mars dernier. Nous avons pour mission de nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et leur exécution.

Sa motivation fut d'éviter toute controverse juridique sur les droits de notre commission à recueillir telle ou telle information. La méthode que nous avons choisie est non partisane et, en tout cas, pluraliste.

Il s'agit d'analyser le processus de fonctionnement de l'exécutif, pour en dégager tous les enseignements dans le dialogue toujours à parfaire entre le Gouvernement et le Parlement. Les périodes sous revue pourront remonter jusqu'à dix ans en arrière ; en outre, l'équipe des rapporteurs est pluraliste : M. Philippe Marini est rapporteur général et sont vice-présidents de notre commission, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant, ainsi que votre serviteur.

A votre intention, comme à celle de chaque commissaire, je dois rappeler, avec solennité, que le secret doit être conservé sur les travaux non publics. Ce n'est d'ailleurs pas le cas de ceux que nous engagerons cet après-midi. J'insiste donc sur la préservation du secret des travaux non publics de la commission. En cas de faux témoignages, la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur le Ministre, je me tourne vers vous et vous demande de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : je le jure.

M. Nicolas SARKOZY. - Je le jure.

M. le Président. - Je vous remercie.

Je vais, Monsieur le Ministre, vous donner la parole pour un propos liminaire qui pourrait durer environ un quart d'heure afin de pouvoir vous prêter ensuite au jeu des questions et des réponses d'abord à l'initiative du rapporteur général et ensuite à celle des commissaires de notre commission.

M. Nicolas SARKOZY. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est avec grand plaisir que je retrouve le Sénat. J'ai eu l'occasion de conduire des discussions budgétaires devant la Haute Assemblée et j'y ai remarqué, à d'innombrables reprises, la très grande compétence et le souci d'avoir des débats, non pas partisans, mais de fond, et chacun sait combien le débat budgétaire nécessite cette forme d'engagement !

C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'inaugure cette commission d'enquête.

La décision que vous avez prise me paraît, à tout point, excellente pour qui veut de la transparence, même si, nombreux sont ceux, membres de la commission, qui doivent regretter d'être obligés de faire une commission d'enquête pour être certain d'avoir accès à toutes les informations.

Vous m'avez adressé une liste de questions très précises. Je me suis permis de vous faire des réponses écrites et précises. Au-delà de ce questionnaire et si vous me le permettez, je voudrais d'abord vous donner le résultat de l'expérience de deux années passées à Bercy, et si vous me le permettez également, les quelques brèves conclusions sous forme de propositions que j'en ai tiré.

Je n'étais en rien membre de cette maison ni par ma formation initiale ni même par mes goûts car, avocat de formation, je me suis retrouvé ministre du budget à la tête d'une administration dans laquelle, lorsque l'on n'a pas fait l'ENA et Polytechnique, on a été marqué soit par une maladie d'adolescence, soit par un chagrin d'amour qui vous a fait rater au moins la moitié de vos études.

C'est vous dire que je me suis rendu à Bercy sans a priori en n'appartenant à aucune école, en n'étant membre d'aucune secte et ne pensant à défendre ni le Trésor ni le budget, mais simplement en essayant de me faire comprendre d'une administration dont j'avais la responsabilité.

J'avoue avoir d'ailleurs mis les quinze premiers jours à comprendre la langue qui se parlait tant la technicité est forte. Ce n'est pas la moindre des difficultés pour celui qui, venant d'être nommé ministre, a la responsabilité concomitamment de choisir ses proches collaborateurs, de gérer les urgences, de poser la base de la politique économique de la France et de comprendre les enjeux techniques et les discussions extrêmement pointues à la fois sur le plan français comme sur le plan européen qui convergent vers lui.

Quelle est la plus-value du politique face à une administration de près de 200 000 agents dont la technicité n'est plus à démontrer, dont la loyauté -c'est mon point de vue- est parfaite et dont la compétence est totale ? A quel niveau doit se situer le politique avec ces 200 000 collaborateurs qui ont naturellement tous une idée précise sur ce qu'il conviendrait de faire ?

La première conclusion que j'ai dégagée de ces deux années est la suivante : la qualité de l'administration des finances est sans faille. Je dirais même que l'information donnée au ministre sur la situation financière du pays est fiable, même si elle peut souffrir d'un excès de prudence. Dès mon arrivée à Bercy, j'ai pu tester la qualité de cette administration.

Je ne reviendrai pas, il n'est pas le lieu de faire de la polémique, sur l'année 1993, première année depuis la Libération où l'économie française était en récession. Vous savez très bien les conditions de polémiques, tranchées d'ailleurs, sur l'état d'exécution du budget. En exécution, le déficit a été le double de ce qu'il était prévu. Huit jours après mon arrivée à Bercy, les services m'informaient que le déficit ne se situait pas aux alentours de 170 milliards, tel que cela avait été voté dans la loi de finances, mais de 333 milliards.

Je dis cela, Monsieur le Président, non pas pour faire une polémique qui n'aurait aucun intérêt, d'autant qu'une partie de ceux qui sont en cause ne serait pas là pour se défendre, ce qui serait parfaitement déloyal de ma part, mais pour que chaque commissaire comprenne qu'une semaine après mon arrivée, un point précis de l'état des finances publiques m'était adressé. Il évaluait le déficit à 333 milliards, le Procureur général Raynaud, près la Cour des comptes, l'évaluait, quelques semaines plus tard, à 341 milliards...

J'en ai donc été informé, dans la semaine qui suivait, par des directeurs que je n'avais pas nommés puisque, à l'exception d'un directeur, je n'avais, en une semaine, changé personne d'autre.

Les deux années qui ont suivi, je veux le dire sous la foi du serment, ne m'ont jamais fait prendre à défaut cette qualité de l'information donnée par l'administration dont j'avais la responsabilité.

Je ne parle pas, Monsieur le Président, de mon cabinet, mais de l'administration, des directeurs, des sous-directeurs, de la "machine", en quelque sorte, de Bercy. Ils sont compétents, dévoués et honnêtes. Mais, si vous me permettez cette remarque, qui n'est pas une figure imposée, ils ont les défauts de leurs qualités. Cette compétence et cette honnêteté les conduisent à un excès de scrupules et je vais m'expliquer.

Ceci explique, selon moi, que les services sont plus enclins à vous alerter des mauvaises nouvelles que des bonnes. En clair, j'ai été scrupuleusement tenu informé de la gravité de la situation budgétaire et il me semble que j'ai été tout aussi fidèlement informé, mais avec un peu de retard, des améliorations qui, il est vrai, ont été très progressives. Je parle des évolutions liées au retournement des cycles économiques.

Je voudrais évoquer, à mi-chemin entre la réalité et l'humour, la terrible note du mois d'avril. Le directeur du budget, a l'occasion, tous les mois d'avril, de faire une note de perspective au ministre du budget. Elle est, en général, extrêmement brillante comme il se doit, prévoit avec un souci de l'exhaustivité parfait la totalité des mauvaises nouvelles qui s'abattront sur l'économie française et sur le budget et minimise, au-delà du raisonnable, les possibles bonnes nouvelles qui arrivent.

J'avais été si frappé de cela que j'avais demandé au directeur du budget de l'époque de bien vouloir, du fait de mon incompétence, me sortir les notes des dix années précédentes qui avaient été faites à mes prédécesseurs à la même époque pour un travail de remise à niveau du ministre incompétent que j'étais, permettant également de prendre la mesure de l'exercice.

Autant j'estime normal que les services restent prudents devant un retournement favorable de la tendance, car il est bien délicat de prévoir les retournements de conjoncture, sans compter que pour certains impôts c'est encore plus complexe, car ils se paient par acompte, je pense notamment à l'impôt sur les sociétés, autant il me semble que cette prudence les amène à parfois exagérer les mauvaises nouvelles et à minimiser les bonnes. Mais ce travail a minima ne peut pas dépasser l'épaisseur de quelques milliards. Je pense qu'il est impossible d'aller au-delà.

La deuxième réalité est que l'administration, fut-elle de grande qualité, et surtout parce qu'elle est de grande qualité, doit rester au service d'une politique pour ne pas dire du politique. C'est tout le problème. Vous avez des personnes sûres de leur compétence, et elles ont raison, dévouées à leur travail dans des proportions parfois déraisonnables. A minuit à Bercy, quel que soit le ministre et quelle que soit l'époque, les bureaux sont occupés. Il n'est pas rare de trouver un chef de service largement après minuit, il n'en tire d'ailleurs aucune glorification personnelle, ils ont l'habitude de travailler ainsi. Ils sont également parfaitement conscients de leur honnêteté et de leur loyauté.

Mais avec toutes ces qualités, comment les diriger et parfois décider contre eux, car cela peut arriver ?

C'est pour cela que j'ai prévu une organisation, à l'époque, un peu particulière. J'ai prévu une répartition des rôles qui m'a fait choisir avec un soin jaloux à la fois le directeur de cabinet, Pierre Mariani ici présent, et dont je dois dire qu'il a été pour moi un collaborateur hors pair et les membres de mon cabinet.

La place de mon cabinet fut essentielle, alors que je ne mis pas en place un comité de direction. Je n'ai quasiment pas changé les directeurs, on me l'a d'ailleurs reproché à l'époque, y compris le directeur du budget de l'époque que l'on me demandait de changer pour des raisons qui n'auraient pu être que politiques. J'estime que les directeurs d'administration centrale ont à s'occuper de leur administration, ce qui n'est pas rien. Le patron de la DGI a 80 000 fonctionnaires, celui de la CP en a 60 000 et celui de la Douane en a 23 000. Vous imaginez que cela suffit largement à occuper toutes leurs journées !

J'ai considéré que le métier des directeurs était de gérer leur service et d'apporter leur compétence technique. Le métier du cabinet est différent : il s'agit de traduire cette compétence technique en arbitrage politique. Ce n'est en rien réducteur. Mais nous ne pouvons pas, et je vais en prendre quelques exemples, avoir l'information des directeurs sans la traduire en langage politique.

Par exemple, sur l'arbitrage des recettes, trois ou quatre directions à Bercy vous disent que les recettes seront à un niveau ou à un autre (le SLF, la DGI, la CP). Chacun a ses arguments, vous donne ses chiffres, mais l'arbitrage procède du ministre.

J'ai eu besoin, Monsieur le Président, d'un cabinet extrêmement compétent et totalement fidèle pour aider le politique que j'étais à poser un choix politique. Je n'avais pas à rivaliser en technicité avec les directeurs qui étaient sous ma responsabilité, mais à assumer le choix stratégique de dire : cette orientation politique va conduire à penser que les recettes de TVA seront de tel ordre parce que le contexte économique et politique mondial est celui-ci. C'est un choix que je devais faire et je l'ai fait avec mon cabinet.

J'avais pris également la décision de publier, chaque trimestre, la situation exacte de l'exécution du budget de l'Etat, devenue par la suite, mensuelle. Je me réjouis de ce choix, mais je le dirai très simplement, non pas par esprit de polémique, mais parce que j'y crois et parce que je pense que c'est mon devoir de porter ce témoignage. Je ne peux pas penser que des plus-values de recettes de plusieurs dizaines de milliards aient pu être ignorées d'un ministre alors qu'elles étaient connues du président et du rapporteur général de la commission des finances du Sénat.

Il ne m'appartient pas de porter un jugement politique sur la non-divulgation de cette information, mais je peux conclure de mes deux années d'expérience, c'est que cette non-divulgation de cette information n'a pu être que le résultat d'une décision politique. On peut la condamner, on peut l'approuver, c'est un autre débat, mais je ne peux pas croire, après avoir passé deux années à la tête de cette administration, qu'autre chose qu'un choix politique ait empêché la connaissance de cette décision.

Enfin, les choix du politique par rapport à l'administration sont aisés sur les dépenses. Vous imaginez bien que ce ne sont pas les directeurs d'administration qui vont vouloir assumer la suppression de tel ou tel avantage. Ils vous laissent choisir, mais cela se joue aussi sur les recettes.

J'ai parlé des prévisions de recettes, ne croyez pas qu'elles obéissent à une logique mathématique ! Un directeur ne vous dit pas : on a fait la synthèse. J'avais même à l'époque, le Président s'en souvient certainement, inventé les hypothèses de croissance trouvant ridicule que l'on se batte à la décimale près pour savoir si la croissance serait de 1,2 % ou de 1,5 %... Les hypothèses me semblaient plus raisonnables, mais il m'est arrivé aussi de décider contre eux. Je pense à la défiscalisation des avantages fiscaux pour les emplois familiaux. La bagarre contre les services a été formidable ! "Monsieur le Ministre, vous n'y pensez pas ! C'est un choix impur ! Vous réduisez l'assiette de l'impôt ! Vous ne devez pas permettre cela !".

Je me souviens d'une bagarre homérique relatif au fameux amendement que votre collègue Charasse connaît bien : l'amendement Coluche. J'avais décidé de doubler cet amendement et je me souviens des discussions "animées" qui s'en sont ensuivies et le mot est faible !

J'ai constaté avec amusement, en voyant sortir certaines décisions d'augmentation d'impôt dans les années passées, qu'elles m'avaient été proposées à quatre reprises. Le système de proposition est toujours simple : on choisit une journée très chargée, vous n'avez pas de temps, vous êtes entre deux auditions, de préférence à un moment très lourd pour vous. On vient vous dire : Monsieur le Ministre, signez, signez... Mais qu'est-ce ? Demandez-vous, car en général, c'est incompréhensible. Oh ! C'est technique, me répond-t-on.

Méfions-nous, quand c'est technique la politique n'est pas loin... Et surtout gardez-vous de ne jamais poser la question : combien de personnes cela concerne-t-il ? Car en général cela concerne naturellement personne, mais c'est urgent.

J'avais pris d'ailleurs la résolution à ce moment-là, Pierre Mariani s'en souvient, et deux mois m'ont été nécessaires pour obtenir cela, de ne signer que les papiers que je comprenais. N'y voyez pas de prétention de ma part, mais je pensais que si je n'étais pas capable de comprendre un papier, il était difficile que celui-ci puisse être compréhensible par un observateur non attentif. Si vous me le permettez, j'en terminerai en vous disant très simplement et très franchement qu'il faut changer profondément les choses.

Si nous devions résumer tout ceci, le Parlement accepte d'être mobilisé pendant un tiers de son temps sur ce que l'on appelle le "budget de l'Etat" qui ne représente en fait que 5 % de ce budget. Un tiers du temps pour 5 % du budget ! Quel est le parlementaire, aussi chevronné soit-il ici et quelle que soit la formation politique à laquelle il appartient, qui puisse dire qu'il a pu remettre en cause la structure même du système fiscal, alors que, selon nos principes constitutionnels, le principe même du consentement à l'impôt est la donne la plus importante ?

Souvenez-vous, Monsieur le Président, lorsque j'étais ministre du budget et connaissant comme vous connaissiez la fiscalité du logement, nous pouvions avoir des discussions passionnées sur tel ou tel élément, mais jamais, à aucun moment, nous n'avons pu avoir une vision d'ensemble de la fiscalité du logement !

Il semble bien que votre commission même ait éprouvé la limite de l'ordonnance de 1959. Vous avez présenté un contre-budget en 1997 et 1998 et vous avez vu l'impossibilité de proposer des allègements fiscaux sérieux, des transferts de dépenses. Et quant à l'identification des propositions d'économie avec douze administrateurs aussi compétents soient-ils, comment voulez-vous proposer des pistes d'économie crédibles sur un budget de plus de 1 500 milliards alors que 200 000 personnes travaillent à Bercy et qu'eux-mêmes ont les plus grandes difficultés à les trouver ? Et croyez-vous et que la commission des finances pourrait, avec douze collaborateurs, le faire ?...

Je voudrais vous exprimer ma conviction qu'il ne faut pas proposer une réforme a minima de l'ordonnance de 59. Je voudrais faire quelques propositions très simples. Il serait souhaitable que nous n'ayons plus de dispositions fiscales qui puissent rester en vigueur au-delà de cinq ans avant de faire l'objet d'une évaluation. Pour que les choses soient équilibrées, je propose que la rétroactivité fiscale ne soit plus possible sur les mesures fiscales, mais que celles-ci ne puissent rester en vigueur plus de cinq années sans faire l'objet d'un débat d'évaluation au parlement. Car, à partir de ce moment-là, vous sortez du piège qui consiste à vous faire débattre exclusivement des mesures fiscales nouvelles et à considérer comme acquis les mesures anciennes.

Je voudrais faire une proposition sur les emplois budgétaires car là, le comble a été franchi. J'ai lu, avec beaucoup d'intérêt, le rapport de la Cour des comptes. Savez-vous que le nombre d'emplois financés pour les auxiliaires ou vacataires dépassait l'an passé de plus de 120 000 le nombre d'emplois budgétaires ? Il ne s'agit pas d'une affaire de gauche ou de droite, je suis persuadé qu'à mon époque, ce n'était pas mieux. Mais vous n'aviez ni autorisé ni accepté ces 120 000 emplois budgétaires dépassés. Le nombre d'emplois directement et indirectement financés par l'Etat dans des établissements publics avoisinent les 300 000 sur lesquels vous ne donnez aucune autorisation. Pour ne pas parler des quelques milliers de surnombres que les ministres sont amenés à autoriser en gestion bloquant ainsi en face plusieurs autres milliers d'emplois.

Je propose que le Parlement autorise désormais des recrutements en fonction des besoins exprimés par les administrations et non plus des "pyramides d'emplois" selon l'expression consacrée, c'est-à-dire des répartitions d'emplois par grade reflétant des statuts modifiés une fois tous les 20 ans par voix réglementaire et dont le législateur ne peut raisonnablement pas apprécier la pertinence. En autorisant des recrutements, vous contrôlerez la politique de l'Etat.

Je souhaite aussi que l'on ne cesse de séparer le vote de la loi de finances et celle de la loi de financement de la sécurité sociale. Le Parlement doit avoir une vue d'ensemble de l'utilisation des prélèvements obligatoires qui, bien évidemment, ne font qu'un dans l'esprit des Français. Les recettes et les dépenses de l'Etat et de la sécurité sociale sont, d'ailleurs, soigneusement additionnées par les fonctionnaires européens pour apprécier les déficits publics au regard des critères de Maastricht ou pour comparer le niveau des dépenses publiques.

Les deux lois de finances doivent être examinées ensemble afin de retracer l'utilisation des prélèvements obligatoires nationaux ce qui, par ailleurs, éviterait que certains impôts votés en loi de finances, je pense aux taxes sur le tabac, soient utilisés en loi de sécurité sociale. Je souhaite d'ailleurs que l'on aille beaucoup plus loin et qu'il y ait une harmonisation de notre présentation de nos comptes nationaux avec ce qu'elle est devant la commission européenne. Nous apprenons ainsi au Parlement, par des indiscrétions de presse, que le Gouvernement français envoie un plan de réduction des déficits publics et des prélèvements obligatoires à la commission sur plusieurs années avant même que l'on en ait discuté devant le Parlement.

Je souhaite également que l'on modifie de manière conséquente la présentation du budget. Il faut sortir de la logique purement budgétaire qui ne consiste qu'à s'intéresser qu'aux mouvements de caisse. On vote des dépenses annuelles telles que les pensions de fonctionnaires, sans constituer dès à présent des provisions pour faire face aux charges de la retraite. On vote des investissements sans en prévoir les amortissements. Quelle est l'association ou l'entreprise qui pourrait fonctionner de cette manière ? Je sais que vous vous en préoccupez.

Enfin, je pense qu'il faut redonner un sens à la discussion budgétaire. Il me semble que c'est une erreur de mobiliser le ban et l'arrière-ban des ministres dépensiers donnant lieu à un spectacle terrible : celui qui a obtenu une augmentation de son budget vient la défendre, glorieux et celui qui subit une diminution de son budget vient s'en excuser piteusement. Plus il y a de ministres, moins on comprend. La succession des budgets additionne la succession des problèmes sans que nos compatriotes et le Parlement n'aient une claire vision des enjeux économiques, budgétaire et fiscaux.

Je propose que l'on diminue considérablement le temps de la discussion budgétaire. Elle pourrait être ramenée à quinze jours au Sénat, quinze jours à l'Assemblée nationale et que seuls viennent débattre les grands arbitrages économiques, budgétaires et fiscaux, ceux qui les ont rendus, c'est-à-dire le Premier ministre et le ministre des finances. Quant aux ministres dépensiers, Monsieur le Président, qu'ils s'en expliquent en commission des finances autant de fois qu'elle le souhaitera.

En résumé, une discussion budgétaire plus brève, de vrais responsables politiques face au Parlement et de vrais débats politiques. La discussion budgétaire n'est pas le lieu du débat des politiques du logement, de la ville, du sport, des DOM-TOM ou de l'agriculture ! A force de parler de toutes les politiques, on ne parle d'aucune et surtout aucun des choix transparents, économiques, budgétaires et fiscaux n'est pesé. Quinze jours avec les deux vrais responsables, c'est une révolution qui va bien au-delà de la limitation du temps de parole !

Je ferai une autre proposition : c'est que le temps gagné dans la discussion budgétaire soit rendu au Parlement pour créer un deuxième rendez-vous économique, budgétaire et fiscal fort dans notre année parlementaire. Au lieu d'une loi de règlement, votée dans des conditions de discrétion et d'anonymat totales, je propose que l'on prenne quinze jours pour comparer les prévisions gouvernementales à l'exécution budgétaire et que, cette fois-ci, les ministres dépensiers viennent devant le Parlement indiquer pourquoi telle dépense a augmenté dans des proportions qui n'étaient pas prévues, pourquoi les prévisions économiques ne se sont pas réalisées et qu'a-t-il été fait de l'exécution du budget.

Il est normal que le travail de prévision budgétaire ne soit pas le seul analysé au moment de l'exécution budgétaire. On aurait ainsi deux moments notables, mais plus brefs, plus ramassés qui seraient de nature à éclairer davantage l'opinion publique sur la réalité des enjeux.

Je n'ai rien à recommander naturellement à la commission des finances du Sénat, mais je dis la chose suivante : imaginer et contrôler le budget de la nation avec la faiblesse des moyens consacrés aux commissions des finances malgré la très grande qualité des personnes et quels que soient l'acharnement des élus et la volonté d'aller sur place contrôler, n'est pas viable. La bataille ne peut être que perdue puisque, quelles que soient les circonstances, l'inégalité des moyens est telle que vous ne pourrez pas trouver la solution à ce problème.

Dans mon esprit, ce n'est pas une affaire d'exécutif contre législatif et vice-versa, c'est une affaire de transparence devant l'opinion publique. Un débat budgétaire, économique et fiscal profond, crédible, c'est l'avantage du législatif comme de l'exécutif. Pas l'un contre l'autre, mais l'un et l'autre face à une opinion publique de plus en plus sceptique devant la parole politique. Il s'agit d'ailleurs d'un problème qui va bien au-delà des pouvoirs du Parlement par rapport au Gouvernement ou du Gouvernement par rapport au Parlement.

Monsieur le Président, pardon de ce long exposé, mais j'espère que vous m'en excuserez en pensant que c'est uniquement le souvenir de la passion qui m'a animé lorsque j'eus le plaisir et l'honneur d'être pendant deux ans à Bercy.

M. le Président. - Merci, Monsieur le Ministre, la passion ne vous a pas quitté, l'énergie non plus.

Je disais, précédemment, que nous avions tous le souvenir de votre énergie et que nous partagions votre opinion ou pas, nous attendons, au sein de notre commission des points de vue de nature politique lorsqu'ils émanent des politiques et vous avez, en effet, exprimer des convictions très fortes sur le plan politique qui ne manqueront pas naturellement de retenir notre attention.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général. - Je voudrais rappeler que cette commission d'enquête a pour but de tirer au clair le fonctionnement et peut-être les dysfonctionnements du système d'information en matière d'élaboration des lois de finances.

Monsieur Sarkozy a évoqué l'information qui remonte vers le ministre et les arbitrages que celui-ci est en mesure de prendre. En ce qui nous concerne, nous devons d'abord, dans un premier temps, bien comprendre et bien décortiquer le fonctionnement de ce système d'information interne pour ensuite passer au stade qui nous concerne plus directement : la diffusion de l'information de Bercy vers les commissions des finances des deux assemblées et donc vers le Parlement.

La loi de finances est un ensemble complexe d'éléments comportant l'appréciation du contexte économique, l'évaluation des recettes et la prévision des dépenses. Je voudrais poser à M. Nicolas Sarkozy des questions techniques -donc très politiques...- sur les divers aspects de ce mécanisme.

La première question est la suivante : au stade de la définition des indicateurs macroéconomiques qui sous-tendent la loi de finances, y a-t-il débat ? Y a-t-il arbitrage ? Y a-t-il pluralité des points de vue ? Comment les choses se passent-elles ?

En second lieu, s'agissant de l'appréciation et des prévisions des recettes, et chacun sait que les polémiques et insatisfactions récentes concernent plus les recettes que les dépenses, comment arbitre-t-on, in concreto, les recettes fiscales devant figurer dans le projet de loi de finances ? Le rapport de MM. Bonnet et Nasse évoque une réunion d'arbitrage des recettes fiscales. Comment ceci fonctionne-t-il concrètement ?

En troisième lieu et à partir de la note générale de perspective du mois d'avril n-1 établie par la direction du budget et à laquelle le ministre a fait allusion, comment les choses s'enchaînent-elles ? Comment, entre avril n-1 et l'été n-1, puis lors de la discussion au Parlement à l'automne de n-1, voit-on évoluer les marges de manoeuvre et à quel moment se situent les décisions explicites du ministre portant sur ces marges de manoeuvre ?

C'est bien cela qui nous importe, tant en matière de recette qu'en ce qui concerne les principaux agrégats de dépense.

Enfin, Monsieur le Ministre, s'agissant du financement de l'Etat, c'est-à-dire de la politique d'endettement de l'Etat, du mode de recours au marché financier, des charges financières du budget de dépense, quels sont les arbitrages que le ministre du budget doit prendre et sur la base de quels éléments d'explicitation de ces choix ?

M. Nicolas SARKOZY. - Je reconnais la très grande compétence du rapporteur général, ce qui ne m'étonne pas. Dans le même temps, au travers de ses questions, je me demandais s'il n'avait pas conçu une vision idéalisée de ce qu'était la procédure d'arbitrage économique, budgétaire et fiscale.

Comme j'aimerais pouvoir vous répondre qu'entre le 1 er mars et le 15 mars, on écoute, qu'entre le 15 mars et le 30 mars, on consulte, et que finalement, entre le 1 er avril et le 7 avril, on fini par décider politiquement ! J'ai trouvé une toute autre réalité.

Y a-t-il débat ?... Il y a tellement de débats... Le premier s'instaure entre les directions. Pas une n'est d'accord avec l'autre, c'est une tradition... Chacun est persuadé d'avoir la vérité, chacun ayant une légitimité à l'avoir, chacun ayant un angle de vision propre, car la comptabilité publique n'a pas la même vision que le SLF et, naturellement, la direction du budget considère comme illégitimes les prévisions optimistes des autres. C'est un véritable jeu de rôle qui s'érige et vous ne vous retrouvez pas avec une prévision, mais plusieurs.

Si vous êtes de bonne foi, ce qui était mon cas à ce moment-là, vous êtes bien ennuyé pour choisir entre toutes ces personnes qui ont de grandes compétences. J'ajoute qu'elles ont un grand talent pour vous dire : attention, si vous ne m'écoutez pas, voilà la litanie des catastrophes qui va arriver !... Vous vous retrouvez alors quelque peu handicapé dans votre capacité à apprécier votre propre marge de manoeuvre.

C'est là, Mesdames et Messieurs, que la présence d'un cabinet très fort est un élément indispensable, car il assure la traduction politique d'un jeu de rôles interne à cette grande administration traditionnelle de l'Etat qu'est l'administration des finances.

Il est presque du devoir du directeur de cabinet de ne pas transmettre bien des papiers qui arrivent sur son bureau au ministre, car il connaît -et c'est une erreur de ne pas prendre un directeur de cabinet de la maison- les chausse-trapes, les habitudes, les histoires, la façon de traduire cela. Un directeur de cabinet qui n'en est pas, ne le sait pas. Comment voulez-vous qu'un homme seul face à 200 000 fonctionnaires puisse s'en sortir ?... Il existe donc cette première réalité d'arbitrage afin de faire le clair à l'intérieur de Bercy.

Un second débat très difficile s'établit alors entre le cabinet et le ministre car celui-ci, au bout de quelques semaines a l'illusion d'avoir quelques idées sur la question. C'est une illusion... mais enfin... assez naturelle ! Il veut y apporter sa note personnelle. Ceci prend du temps et n'est pas simple, sans compter qu'une partie des informations, issue de certaines directions est arrivée directement sur le bureau du directeur-adjoint du cabinet du Premier ministre ou du conseiller économique du Premier ministre... De plus, l'Elysée a, elle-même, ses propres entrées. Le ministre n'est pas le seul à être destinataire d'un certain nombre de papiers. Ne croyez pas que le ministre du budget arrive, quelle que soit sa force politique, sur un terrain vierge pour venir informer le Premier ministre de sa science toute nouvelle...

J'évoque cela durant la période de cohabitation que j'ai connue, mais j'imagine qu'une période de non-cohabitation, de ce point de vue, doit être plus cruelle pour le Ministre des Finances, car le Premier Ministre croit être déjà informé, et de fait il l'est de même que le Président de la République, donc vous n'arrivez pas sur un terrain vierge où ils n'ont aucune idée des arbitrages de recettes. Vous arrivez déjà avec des informations de certains services ayant diffusé.

Ensuite, se tient une première réunion. Avec M. Balladur, cela se passait ainsi au printemps, car je ne suis pas capable de me souvenir exactement de quelques semaines, mais dans la réponse écrite j'ai été plus précis. Puis se tenaient de longues réunions auprès du Premier ministre avec mon directeur de cabinet et le conseiller économique qui était son directeur adjoint de cabinet. Nous échangions, mais quelle était la réalité ? Je défendais de toute la force de ma conviction ce que m'avaient dit les services et que j'avais fini par arbitrer étant certain que c'était la vérité puisque je l'avais arbitrée. Mais lorsque le Premier ministre est un ancien ministre des finances, c'est terrible, car il est persuadé que l'administration a caché une partie des recettes et maximisé une partie des dépenses !

Les directeurs vous proposent une recette, on se met d'accord, le cabinet en rajoute, on se met d'accord, le ministre de même, on se met d'accord, ensuite on arrive au Premier ministre et c'est une quatrième épaisseur d'arbitrage des recettes...

Après tous ces éléments qui ne sont pas simplement psychologiques, car c'est ce que vit un ministre des finances, je vous prie de croire, quel que soit celui d'entre vous qui s'y retrouverait et quel que soit son engagement politique, que cela se passe pratiquement concrètement comme cela.

Ensuite intervient un autre débat avec certains responsables de la majorité. Il n'est pas anormal qu'un Gouvernement discute avec sa majorité. Le débat qui se trouve engagé est celui entre les volontaristes positifs et les techniciens sous-entendus négatifs. Je ne ferai pas l'injure à la commission de lui rappeler les ravages des "hauts taux qui tuent les totaux" et qui impactent beaucoup sur les prévisions de recettes. Malgré tout, il faut s'en accommoder !

Une fois les instructions données par le Premier ministre, je prévoyais également une marge de manoeuvre avant les conférences budgétaires avec les ministres car naturellement, vos prévisions de recettes conditionnent vos dépenses. Si vous laissez partir les dépenses, vous êtes tenté de monter les prévisions de recettes. Comme de surcroît, la loi de règlement ne compte pas, puisque ce n'est pas un grand rendez-vous de l'actualité parlementaire, on a tendance à maximiser les prévisions de recettes dans des proportions qui ne sont pas toujours raisonnables d'où ma proposition sur la clause de rendez-vous au moment de la loi de règlement. A ce moment-là, je prévoyais des recettes permettant au Premier ministre d'avoir la marge de manoeuvre lui donnant l'occasion de désavouer son ministre du budget sans prendre grand risque sur l'équilibre de ces recettes. Voilà comment cela se passe techniquement, formellement et concrètement.

Quand on a une bonne nouvelle, on le dit tout de suite au Premier ministre. Mais cette bonne nouvelle n'impacte pas tellement les recettes, car entre-temps, on s'est engagé soit dans une expédition au Rwanda, au Kosovo ou ailleurs et nos amis militaires nous expliquent que tout le budget qui est posé vaut à partir du moment où il n'y a pas une balle qui est tirée, pas un avion qui décolle et pas un soldat envoyé et enfin, qu'il n'y ait pas de tempête avec le milliard que le Premier ministre, quel qu'il soit, veut avoir chaque fois qu'il fait un déplacement en province.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU.- Et les grèves !

M. Nicolas SARKOZY. - Ce sont des faits trop tristes pour que je les prévoie, cela vient naturellement et les prévisions sont inutiles !

La marge de recettes est, en tout état de cause, déjà dépensée par les accidents de conjoncture politique qui font que le ministre du budget apprend, lors d'un déplacement de son Premier ministre, que l'on a décidé d'indemniser ici, d'indemniser là... C'est tout à fait normal, parce que la vie d'un pays induit nécessairement que l'on ne peut pas bloquer 1 500 milliards en dépense dans un exercice confiné sur un moment de l'année.

Monsieur le Rapporteur Général, je n'ai sans doute pas été précis, mais je veux dire qu'au-delà de l'anecdote, les faits se déroulent plutôt de cette manière, en tout cas, à mon époque. Je ne mêlais pas les directeurs d'administration centrale aux réunions d'arbitrage politique. J'estimais que c'était à moi de défendre la position qui était celle de Bercy. Il y a un choix volontariste, porteur de risques, c'est certain, mais enfin que j'ai estimé devoir mener de cette manière.

J'ajoute que l'on ne s'en est pas si mal porté puisqu'au moment des lois d'exécution, celles-ci se sont toujours bien passées.

M. Paul LORIDANT. - Monsieur le Ministre, on imagine volontiers que les dépenses vont de soi et que les services, vous-mêmes et votre cabinet en dernier ressort, pouvaient toujours donner un coup de frein à une dépense. Je l'imagine comme cela.

En revanche, la grande difficulté, et vous l'avez soulignée précédemment, c'est l'évaluation des recettes. Selon que l'on est dans une situation de conjoncture favorable ou défavorable, il existe des phénomènes cumulatifs à la hausse ou à la baisse. Le vrai problème pointé à l'automne, mais que certains d'entre nous pressentaient auparavant, ce n'est pas tant les dépenses pour le budget de l'Etat, mais bien plutôt le problème des recettes.

De ce point de vue, vous nous avez dit quelques mots sur la façon de l'évaluer. Il y a certes des recettes "mécaniques". Lorsque la conjoncture est défavorable, Pierre  Bérégovoy voit son déficit grossir, on était dans un processus cumulatif à la baisse. Les recettes de TVA ne rentrent pas comme prévu, etc., mais ce sont des recettes pour lesquelles j'imagine que les compteurs de Bercy fonctionnent. Si c'est la TVA, l'impôt sur les sociétés, l'IRPP, normalement les compteurs fonctionnent et tout est cumulé. En vérité, quelles sont les recettes non récurrentes qui peuvent arriver ?

Il se trouve que je suis rapporteur du budget des comptes spéciaux du Trésor. Je vous avoue ma perplexité. Je travaille avec un administrateur et nous essayons d'être sérieux, mais lorsque l'on accélère ou freine une privatisation, lorsque sur tel ou tel compte spécial du Trésor, des événements surgissent, finalement ce sont des sommes relativement conséquentes qui s'inscrivent en annexe des recettes récurrentes normales et qui viennent modifier les prévisions à la baisse ou à la hausse.

Ma question est la suivante : quand vous êtes en position de ministre du budget avec votre cabinet, quels sont les éléments vous permettant de percevoir les accélérations ou les diminutions, les événements imprévus sur les recettes ? Quelles sont votre technique et votre expérience qui vous font dire : attendez, il y a quelque chose qui se passe en annexe, même si ce n'est pas nécessairement au coeur de l'actualité. Quels sont les indices qui vous permettent de le voir et qui pourraient aider un parlementaire de base qui fait des efforts pour savoir quelles sont les recettes ?

M. Bernard ANGELS. - Je ne vais pas aussi longuement parler des dépenses, même si en 1994 et 1995, vous avez, dans les résultats de vos budgets, des dépenses en augmentation sensible. Nous ne sommes pas là pour polémiquer et rechercher les causes de ces différences, nous sommes là pour comprendre pourquoi, malgré une administration que vous avez qualifiée de "très compétente", malgré un bon cabinet, les exécutions des budgets de 1994 et 1995 nous laissent perplexes par rapport à certaines choses que l'on peut lire de la part de la Cour des Comptes, voire du Conseil Constitutionnel.

En effet, nous avons l'impression, ce qui fait le malaise des parlementaires, que lorsque les comptes nous sont fournis, chaque ministre essaie d'embellir un peu et de nous présenter quelque chose qui se tienne en changeant quelque peu les règles du jeu ou en jouant avec les façons d'encaisser ou de différer les encaissements des dépenses.

Je prendrai donc les deux années durant lesquelles vous étiez en charge du budget et en charge de notre économie. Lorsqu'en 1994, nous avons assisté à 4,1 % de dépenses supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale -nous avons vu également le dérapage de la dette publique, mais ce n'est pas mon propos- il y eut une majoration artificielle des recettes. Pourquoi ? Par des phénomènes qui ont été repris par vos successeurs.

En 1994 : non-reconduction des pertes de TVA dues en 1993, passage en droit commun fiscal de La Poste et de France Télécom. Tout cela est rentré dans le budget général sur une année. Ce ne sont pas des recettes qui vont, bien sûr, chaque année équilibrer le budget de l'Etat.

En 1995, c'est identique. Il y eut, comme d'ailleurs le font régulièrement d'autres ministres, des recettes non fiscales intégrées dans le budget : 15 milliards sur la Caisse des dépôts et consignations, 18,5 milliards sur le fonds de réserve et de garantie des Caisses d'épargne. Lorsque l'on considère ce budget 1995, on s'aperçoit d'annulations de crédits de dépenses bloqués le 23 février et non pas le 4 mars. Et on voit aussi la réforme de la comptabilité des avances aux collectivités locales cette même année.

Si je cite ces exemples, c'est pour dire que, finalement, ce travail que j'ai fait en 1994 et 1995 et que je réalise également pour d'autres années, permet de retrouver chaque année des dépenses ou des recettes glissantes de façon à présenter au Parlement en exécution des budgets qui, nous semble-t-il, ne prennent pas toujours les mêmes critères d'où la difficulté pour nous, parlementaires, de pouvoir avoir une vision objective de la situation.

M. Roland du LUART. - Je voudrais remercier M. le Ministre Sarkozy de la qualité cette audition, car c'est extrêmement intéressant de voir, de façon vivante, comment il a ressenti son passage au ministère. Je voudrais faire état du mal vivre des parlementaires de la commission des finances, car plus nous nous investissons, moins nous comprenons et nous avons l'impression que l'on nous berce sans arrêt d'illusions.

Ce que nous ressentons très mal, c'est que lorsqu'une loi de finance est votée, dans les semaines qui suivent, un certain nombre de gels de crédits budgétaires font que la loi telle que nous l'avons votée ne sera plus la même et en cela, il n'y a aucune maîtrise du Parlement.

Je suis tout à fait d'accord avec M. le Ministre pour dire, et c'est fort intéressant que lui-même ait pu prouver que la qualité de l'administration était sans faille, que les gens sont honnêtes, dévoués et compétents. Mais alors, les ministres ont-ils une information véritablement objective ?

Vous nous avez expliqué les mécanismes et leur complexité, que l'on avait tendance à minimiser quand c'était bon et à aggraver quand c'était mauvais. Je me souviens d'ailleurs, lorsqu'un de vos successeurs était ministre des finances, M. Arthuis, que son cabinet comme ses directions lui disaient que le budget de 1998 était infaisable et qu'on allait dans le mur par rapport aux critères de Maastricht. D'où, sans doute, la dissolution qui en a succédé et pourtant, ces hauts fonctionnaires étaient très honnêtes dans leur expression.

Ma question est la suivante : qu'est-il envisageable de faire selon vous, pour que le Parlement français, les deux commissions des finances des deux chambres, se dotent des mêmes moyens que le Parlement américain pour le contrôle de l'exécutif et fasse appel à des audits extérieurs pour véritablement y voir clair. Le Parlement américain a un véritable contrôle sur l'exécutif que nous, Parlement, n'avons absolument pas. En vous entendant, on se rend compte combien c'est même difficile, pour un homme extrêmement intelligent comme vous, de maîtriser la chose ! Rendez-vous compte de ce qu'il arrive au pauvre parlementaire de base !

M. Jean-Philippe LACHENAUD. - L'histoire financière montre qu'il n'y a pas de budget infaisable, mais que cela coûte aux contribuables et à l'économie par des dévaluations ou d'autres opérations.

Ma question concerne les méthodes de la réforme fiscale. Serait-il envisageable, et est-ce que le ministre a lui-même des études préalables -il paraît que cela se débat aujourd'hui dans l'actualité du Gouvernement de ces jours-ci- d'avoir des variantes, des réelles simulations financières de l'impact de la réforme et d'avoir une réelle étude des effets économiques et sociaux des réformes fiscales envisagées ?

C'est tout le problème de la méthode, de la réforme fiscale en amont, avant la décision du ministre et de ces choix politiques que l'on voit se dérouler sur la place publique. Le Parlement n'y est, en aucun cas, associé. D'année en année, nous apprenons cela pendant l'été dans la presse, mais nous n'avons aucune possibilité d'infléchir les choix de réforme fiscale. Y a-t-il une réforme possible et pourrions-nous améliorer la situation actuelle ?

M. Joël BOURDIN. - Monsieur le Président, mon intervention se situe dans la continuité et la suite logique de mes collègues du groupe des indépendants.

Nous ressentons, effectivement, une grande frustration en tant que parlementaire face à cette énorme machinerie qu'est le montage budgétaire et j'ai toujours le sentiment d'être mal informé et de ne pas disposer des moyens pour intervenir au moment où l'on discute du budget. D'ailleurs, vous l'évoquiez vous-même, Monsieur le Ministre, nous avons l'impression, avec des administrateurs de grande qualité que c'est vraiment, vis-à-vis des services de Bercy, le pot de terre contre le pot de fer et que si on ne consent pas à nous donner des informations et des détails, évidemment nous restons dans la plus grande incertitude. Nous en avons eu un exemple criant cette année puisque le budget, une fois voté, était déjà obsolète, non pas tant d'ailleurs à partir des prévisions qui avaient été faites, mais à partir du camouflage de certains points.

Ma question est celle-ci : dans d'autres pays, et je pense aux Etats-Unis, il existe des agences indépendantes d'information, de prévision, qui sont à la disposition du Gouvernement, mais qui sont tout autant à la disposition du Congrès. N'y a-t-il pas là une voie de réforme pour notre pays permettant aux parlementaires d'effectuer leur travail de manière un peu plus conséquente ?

M. le Président. - Je souhaite ajouter une question. Il est vrai que des parlementaires et des commissaires des finances peuvent ressentir parfois un peu de frustration lorsqu'on leur demande de statuer dans le détail alors que le sel de la politique est précisément dans les grandes masses et vous nous l'avez dit dans votre propos introductif.

Ma question est la suivante : pensez-vous que ce serait plus responsabilisant pour les administrations publiques et aussi pour les politiques exerçant la responsabilité politique, de voir le Parlement statuer sur des masses beaucoup plus importantes étant entendu qu'à l'intérieur de ces masses, l'exécutif pourrait procéder à tous les redéploiements nécessaires pour pouvoir mener la meilleure politique possible ?

M. Nicolas SARKOZY. - J'ai senti, dans toutes les interventions, une volonté de mieux comprendre et une insatisfaction que cette bonne volonté ne débouche pas concrètement sur un contrôle et une compréhension plus efficaces.

Mais, Messieurs les Commissaires, soyons parfaitement honnêtes. Ne faisons pas porter à la politique budgétaire la quintessence de tous les défauts, de tous les immobilismes et de tous les conservatismes de notre pays !

Le refus de la réforme, la difficulté à bouger les dossiers et les services ne sont pas dus à la seule procédure budgétaire ou à la seule opacité des procédures internes à Bercy.

Vous êtes, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, représentants des collectivités locales. Qui, ici, ignore que pour faire évoluer le budget de sa collectivité, il faut un mandat, deux mandats, parfois trois ? Que peut-on demander au ministre des finances qui, dans le meilleur des cas, reste deux ans, trois ans avec des budgets de 1 500 milliards dont plus de 60 % sont consacrés aux pensions de retraite et aux dépenses de fonctionnement ?

Et vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, êtes à la fois membres de la commission des finances, attentifs à traquer la dépense indue, mais en même temps grands défenseurs de votre territoire et de la dépense légitime, celle que vous avez décidé de défendre ! Ne faisons pas porter sur le seul exercice budgétaire la totalité des rigidités de la société française !

Monsieur du Luart me fait remarquer que même moi, je ne sais pas tout ! Oui ! Qui peut prétendre ici qu'en deux ans, on fait le tour de 1 500 milliards et d'une mécanique aussi compliquée ? Qui peut dire, à la tête de sa collectivité locale, qu'au bout de deux ans de son mandat de maire, il connaissait tous les problèmes de sa ville, il avait impacté toutes les politiques de stratégies différentes, il avait changé la ville et changé la structure du budget ? Dans un pays où on a la religion de l'emploi à vie, surtout lorsque c'est un emploi public, dans un pays où pas une mesure fiscale n'est rediscutée après qu'elle ait été votée et dans un pays où la seule chose que l'on demande au ministre du budget, nouvel arrivant, c'est d'être généreux sur les mesures nouvelles, que faire ?

Pardon de cette réponse générale, avant de rentrer plus dans le détail, mais s'il s'agit de changer la France, alors prévoyons une commission d'enquête plus large. Mais n'ayons pas une vision de la France idyllique en dramatisant une vision de la discussion budgétaire maléfique...

La discussion budgétaire est un exercice contraint et je pense qu'il est totalement inadapté à la situation parce qu'elle ne peut poser que des frustrations puisqu'elle n'est plus en concordance.

Je préférerais de beaucoup un débat économique, fiscal et budgétaire comme vous l'avez proposé à travers votre question, Monsieur le Président, débat qui permettrait à chaque parlementaire de comprendre, d'influer, de peser sans rentrer dans le détail qui n'appartient, de mon point de vue, pas au législatif, mais à l'exécutif.

Autrement dit, on fait perdre le temps du Parlement dans des détails qui sont du ressort du travail du Gouvernement, alors que le législatif devrait se consacrer aux grandes masses économiques budgétaires et fiscales. A ce moment-là, oui, il y aurait de la transparence et moins de frustration. Permettez-moi de vous dire que je ne pense pas que le travail d'un commissaire de la commission des finances soit de se consacrer jour et nuit à l'examen détaillé du plus petit poste...

La commission des finances et le Sénat, dans son ensemble, doit porter un jugement sur le débat économique, budgétaire et fiscal. Sortons de la logique où l'on veut nous enfermer ! On nous met sur le terrain de l'hyper technicité où nous, les politiques, de toute manière, sommes perdants, pour nous évacuer du terrain des agrégats, de la stratégie et des grandes directions où là, nous serions gagnants, d'où la proposition que j'ai présentée.

Monsieur Loridant nous dit : coup de frein aux dépenses... oui, c'est possible... le gel ! Mais très honnêtement, tous les maires de France, quand les droits de mutation ne rentrent pas, convoquent leurs directeurs des services financiers et leur disent de tirer les dépenses, car ils ne veulent pas présenter un budget en déséquilibre, d'ailleurs ce ne serait pas possible.

M. Paul LORIDANT. - On sait faire cela.

M. Nicolas SARKOZY. - Ce n'est pas correct, ce n'est pas classique. Sur un budget de 1 500 milliards, ce n'est que de la prévision. Alors, calculons ! Une erreur de 1 % représente 15 milliards de francs ! A 15 milliards le pour cent, bien futé celui qui est certain, dans le monde qui est le nôtre où les trois-quarts des décisions prises à l'extérieur impactent autant que les décisions prises à l'intérieur, de ses prévisions ?

Franchement, cela nous oblige à un peu de modestie. Les artifices du genre du gel budgétaire rassurent celui qui considère que le monde bouge et que le NASDAQ peut perdre 10 points en deux jours et que les taux d'intérêt peuvent remonter. Considérons ce que représente le deuxième poste de budget civil de la nation qui est la dette, elle-même directement impactée par le niveau des taux d'intérêt. Qui est capable de me dire quel sera exactement le niveau des taux d'intérêt l'année prochaine ? Il existe des astuces, certes, fort heureusement.

S'agissant des recettes de TVA, quand cela rentrait bien ou mal, on me prévenait assez vite. Pour l'IRPP et pour l'IS, c'est beaucoup plus compliqué parce que ce sont des acomptes et on ne connaît pas toujours les possibilités de fonctionnement.

Permettez-moi de vous demander s'il existe une méthode pour aider le parlementaire de base ? Si tous les parlementaires de base étaient comme vous, Monsieur Loridant, cela mettrait le statut du parlementaire de base assez élevé dans la prise de parole. A chaque fois que je me trouvais dans une impasse et qu'en raison de l'arbitrage politique, il fallait trouver une solution, j'attendais un petit instant et la solution arrivait... Elle n'arrivait jamais spontanément, mais très certainement.

Les six premiers mois, je me faisais énormément de soucis en me demandant comment sortir de ce mauvais pas. Je me suis rendu compte qu'au contraire, la décision stratégique, ferme du politique quant à la recherche et à la découverte d'une solution permettait quelques fleurs... Soudain, on se souvenait d'une réserve qui se trouvait dans un coin bien éloigné de ma compétence. Spontanément, aux derniers moments, ce qui était totalement impossible devenait probable et en tout cas, pas scandaleux.

Il existe un véritable rapport de force, Monsieur Loridant, pour tout politique qui se trouve à Bercy. Il est très difficile à mettre en oeuvre, parce qu'il ne faut pas faire n'importe quoi, bien sûr. Mais, en même temps, nous ne sommes pas là pour faire une politique économique voulue par le directeur du budget. Notre rôle est d'éviter que l'on dépense l'argent jusqu'à la limite du raisonnable.

Monsieur Angels, j'apprécie beaucoup la méthode. Vous n'êtes pas là pour critiquer, mais quand même !... C'est une technique que j'ai beaucoup utilisée, je ne pourrais donc pas vous la reprocher... Je dirai simplement, qu'à partir du moment où le Parlement vote et où le Conseil Constitutionnel valide, ce que dit la Cour des Comptes m'intéresse, mais pas davantage. Il s'agit de savoir si nous sommes des politiques ou pas. J'avais une majorité et des choix politiques à poser. La politique économique de la France n'est pas définie par la Cour des Comptes pour qui j'ai, par ailleurs, le plus grand respect.

Mais enfin, si nous ne devions faire que ce que nous autorise strictement et chaque fois la Cour des Comptes, Monsieur Angels, j'attends avec plaisir que vous soyez ministre du budget ! Je ne doute pas, à ce moment-là, de la très grande orthodoxie de la méthode qui sera la vôtre. Je crains que l'imagination n'en souffre, car il est aisé, a posteriori, de faire des critiques, en général définitives. Cependant, lorsqu'on se retrouve à la tête d'un pays où la récession est de -1,8 %, où le nombre de chômeurs augmente de 50 000 tous les mois et où il faut trouver des solutions, le politique doit les trouver. Elles ne se trouvent pas dans le manuel de la Cour des Comptes, je le regrette, mais si vous voulez me demander par là s'il y a des malices, alors j'acquiesce.

Il est vrai que sur un budget de 1 500 milliards certains points doivent être réalisés. Prenez l'exemple de l'argent des privatisations. En théorie, il est bien évident, étant des recettes exceptionnelles, qu'elles ne doivent pas financer des dépenses récurrentes. Vous avez parfaitement raison. Mais il est des situations économiques, lorsqu'il y a 30 000 ou 40 000 chômeurs de plus et quand on est en récession, où l'on ne vous demande pas de faire de la théorie, on vous demande de relancer la machine économique de la France et à ce moment-là, vous prenez les marges de manoeuvre qui sont en votre possession.

Si c'était si facile, il faudrait prendre le premier professeur d'économie, lui mettre le manuel dans les mains et chaque fois qu'il sort de la page 182, paragraphe 4 du petit manuel, il faut le renvoyer. Nous ne sommes pas que des experts-comptables non plus, pas plus que des économistes. Nous avons à travailler avec cette pâte humaine qui est celle de l'économie internationale et nationale. Permettez-moi de vous dire que cela m'a appris beaucoup sur le pragmatisme.

Je suis arrivé avec beaucoup d'idées préconçues, sans doute trop. Une fois à l'établi, on essaie de trouver, comme n'importe quel chef d'entreprise ou comme n'importe quel maire, la bonne solution. Elle n'est pas toujours conforme à la théorie impeccable, mais ce n'est pas par volonté de mordre la ligne, c'était parce que des situations d'urgence parfois s'imposent.

Monsieur du Luart me dit que plus on s'investit, moins on comprend. J'ai eu parfois cette même réaction. Surtout lorsqu'il me fallait préparer les conférences agricoles...

(Rires...)

Je dois dire que la fiscalité agricole est la chose la plus difficile qu'il m'ait été donné de comprendre. J'apprécie beaucoup que, quelques années après, vous-même repreniez cela. Là où les calculs sont faux, c'est que nous ne parlons que de 5 % de la dépense, nous ne parlons que de la marge. C'est pour cela qu'il ne faut pas, de mon point de vue, essayer d'améliorer l'ordonnance de 1959, il faut changer le cadre, car les améliorations se heurteront aux limites de l'exercice. Si vous voulez faire oeuvre de novation, il faut changer complètement le cadre.

Faut-il faire comme aux Etats-Unis et utiliser un office ? Je n'y vois que des avantages. J'attire simplement l'attention des parlementaires sur le fait qu'à force de multiplier les organismes indépendants, les organismes techniques, vous risquez ensuite de n'avoir plus aucun pouvoir. Il ne suffit pas d'être expert pour ne pas se tromper, notre pays en compterait alors un nombre important !

Jusqu'à preuve du contraire, il ne me semble pas, en tout cas au sein de la commission des finances du Sénat, que les prévisions faites, y compris dans des débats récents, aient été moins averties que celles d'un certain nombre d'instituts indépendants.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. - Elles étaient même trop bonnes.

M. Nicolas SARKOZY. - C'est ce que je me permets de suggérer. Je crois qu'au contraire, on ferait bien d'en avoir moins et que, quitte à investir, investissez dans vos propres services plutôt que dans ceux d'un organisme indépendant qui aura comme seule caractéristique d'être moins légitime que vous, puisque ceux qui y seront auront été nommés alors que vous avez été élus.

Monsieur Lachenaud, existe-t-il des variantes et des simulations pour les réformes fiscales ? Oui, cela arrive. J'en ai gardé un nombre considérable. Vous pouvez tout demander, toutes les simulations sont possibles, tous les chemins sont ouverts, seule la conclusion reste identique : Monsieur le Ministre, ce n'est pas possible...

Je puis vous dire qu'elles sont innombrables, mais elles conduisent toujours au caractère impur de la demande ministérielle et au fait qu'elle sera soit impossible soit très difficile à mettre en oeuvre. A ce sujet, je me souviens d'un débat fameux sur la décote. Je crois que nous avons fait un bon travail de ce point de vue.

La seule solution me semble-t-il, c'est l'évaluation. Je la préfère à la simulation, car l'évaluation, c'est la simulation dans le réel avec les conséquences du concret.

Enfin, Monsieur Bourdin ne m'en voudra pas de dire que, pour l'agence de prévision indépendante, nous avons un panel d'organismes de prévision avec lesquels nous essayons de faire la moyenne. Je ne suis pas certain, alors même que M. le rapporteur général me souffle qu'ils sont déjà tous subventionnés, que l'agence indépendante aura un sort différent de celui du grand conseil des économistes gravitant autour du Premier ministre aujourd'hui. Il doit prendre beaucoup de temps pour mettre d'accord des économistes qui, par définition, ont vocation de ne pas l'être.

M. le Président. - Monsieur le Ministre, je veux, au nom de tous mes collègues, vous remercier de la qualité de l'audition que vous nous avez permis d'entendre.

Nous sommes ici dans l'un des temples de la démocratie en France et la démocratie passe par le politique et par l'exercice de la responsabilité politique, c'est-à-dire par des femmes et des hommes qui vont devant les Français, qui leur proposent des projets et qui s'inclinent devant la décision des Français. Il me semble que la France, pays démocratique s'il en est, doit fonctionner selon ce mode et nous nous sommes fixés un but, au sein de la commission des finances et vous nous avez aidés au cours de cette heure d'audition, Monsieur le Ministre, celui de parcourir le champ de la démocratie et de la responsabilité politique par le témoignage d'un homme politique qui l'est resté tout au long de son audition et qui nous a livré l'expérience qui a été la sienne dans sa fonction ministérielle. C'était le but de notre audition. Au nom de tous, je veux vous en remercier.

(La séance, suspendue à 16 heures 20, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de Monsieur Angels).

Séance du 25 avril 2000

La séance est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Bernard Angels

Audition de M. Alain LAMASSOURE,
Ancien Ministre

M. le Président. - Mes chers collègues, la séance est reprise. L'ordre du jour appelle l'audition de M. Alain Lamassoure, ancien Ministre.

Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition se déroule dans le cadre des prérogatives de la commission d'enquête que le Sénat a bien voulu conférer à notre commission des finances dont l'objet est d'informer notre commission des finances sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et dans leurs exécutions.

Je rappelle à la commission et au ministre que le secret doit être conservé sur les travaux non publics, ce qui n'est pas le cas des travaux qui vont se mener maintenant. Je rappelle à l'intention de la personnalité auditionnée, qu'en cas de faux témoignages, elle est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je suis obligé, en vertu de l'ordonnance, de rappeler ces textes. Je vous demande de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : je le jure.

M. Alain LAMASSOURE. - Je le jure.

M. le Président. - Je vous en donne acte et vous remercie.

Je vous donne la parole pour un propos introductif à l'issue duquel Monsieur le rapporteur général vous posera des questions auxquelles vous répondrez immédiatement et ensuite, les commissaires vous poseront les leurs.

M. Alain LAMASSOURE. - Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je voudrais indiquer que j'ai reçu la semaine dernière un questionnaire écrit auquel je vais répondre bien entendu par écrit. Je ne vous ai pas envoyé jusqu'à présent ces réponses, dans la mesure où certaines questions étaient assez précises et portaient sur des points de calendrier. Cela fait trois ans que j'ai quitté Bercy, mes collaborateurs eux-mêmes se sont un peu dispersés et j'avais besoin de ce délai pour réunir ces points qui ne posent pas de problème de fond, mais plutôt un problème pratique.

Je voudrais, par cette introduction que vous m'invitez à faire, Monsieur le Président, vous donner un peu le résultat de l'expérience personnelle que j'ai eue quant à la question qui préoccupe votre commission d'enquête relative aux conditions de préparation de la loi de finances annuelle. Quels sont les éléments d'informations dont on dispose sur l'activité économique ? Quelle est la manière dont se font les prévisions de dépenses et de recettes et quel est le suivi de l'exécution du budget de l'Etat ?

Mon témoignage, par rapport aux autres personnalités que vous invitez, est celui de quelqu'un qui, professionnellement, a travaillé effectivement pendant une douzaine d'années à la Cour des comptes, qui est mon administration d'origine, a oeuvré deux ans au cabinet du ministre de l'économie et des finances, a eu pendant quatre ans des responsabilités budgétaires au Parlement européen comme Rapporteur général du budget puis comme Président de la commission du budget et a été Ministre délégué au budget pendant 18 mois.

Autrement dit, j'ai une expérience qui n'est pas tout à fait négligeable et qui est plutôt celle d'un homme qui a été dans la salle des machines avant d'être sur le pont. En tant que ministre délégué au budget, en réalité, je n'ai été responsable, sous l'autorité de Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, que de la préparation d'un seul budget, le budget 1997. J'étais en fonction du mois de novembre 1995 aux mois de mai, juin 1997.

Cela m'amène à faire une remarque incidente : très peu de ministres du budget dans l'histoire de la cinquième République ont pu aller du début jusqu'à la fin d'un seul budget, c'est-à-dire préparer le projet de loi de finances et ensuite faire voter le projet de loi de règlement une fois le budget exécuté.

Voici trois ou quatre enseignements tirés de cette expérience. Le premier concerne les prévisions macroéconomiques.

Ce qui m'a frappé quand j'étais dans ma cabine de pilotage et non plus en salle des machines, c'est la médiocrité de nos prévisions macroéconomiques. Or, tout commence par-là, c'est le plus aléatoire. J'en donnerai, à ce stade introductif, deux exemples dans la période correspondant à la gestion que j'ai assurée.

Le premier exemple concerne les prévisions d'investissement.

Au départ, dans la loi de finances pour 1996, il était prévu que les entreprises privées appelées "les entreprises non financières" au sens de la comptabilité nationale, devaient accroître leurs investissements de 4,5 % dont près de 5 % pour l'investissement productif et 9 % pour l'investissement industriel à la suite d'un chiffre d'investissement de 1995 qui était assez bon. A l'époque, dans le projet de loi de finances pour 1996, on prévoyait qu'en 1997, il y aurait 11,5 % d'augmentation de l'investissement industriel. Ces prévisions se faisaient encore au mois de mars 1996.

Au mois de septembre 1996, l'INSEE a revu à la baisse sa prévision pour l'année en cours en prévoyant que l'investissement des entreprises n'augmenterait plus que de 2,5 %. En 1996, il serait donc de 5 % en 1997. Finalement, après coup, on a enregistré sur l'ensemble de l'année non pas une hausse, mais une baisse de -0,8 % de l'investissement des entreprises. Au début, nous avions prévu 5 % pour l'investissement productif et 9 % pour l'investissement industriel et en réalité, sur l'ensemble de l'année, nous avons connu une baisse.

Le second exemple est le suivant : j'ai eu le prix de l'humour politique en 1996 pour avoir prononcé une phrase du genre : il est difficile de prévoir, même le passé. La moitié des membres du jury ont considéré que c'était de l'humour volontaire et l'autre de l'humour involontaire.

Pourquoi avais-je dit cette phrase ? Parce qu'en matière d'indice de la production industrielle, nous sommes au mois d'avril et je suis persuadé que l'on ne connaît pas encore le vrai chiffre de la production industrielle du mois de décembre dernier. On passe toute l'année à revoir les prévisions de production industrielle de l'année précédente. C'est lorsque sortent les comptes économiques de la nation de l'année passée qu'on a le chiffre définitif de la production industrielle qui, parfois, est corrigé encore l'année suivante. Or, nous sommes au printemps 2000, au moment où l'on commence à faire les premières esquisses du budget 2001 et comment essayer de donner une prévision relativement fiable de la production industrielle 2001 alors que nous ne sommes pas certains de la fiabilité du chiffre du dernier trimestre de 1999 ?

En outre, à ces difficultés techniques, s'ajoutent de vraies insuffisances d'analyse économique. La science économique est en retard sur l'évolution de l'économie réelle. Nous continuons d'avoir des modèles macroéconomiques conçus à partir d'analyses scientifiques qui ne correspondent plus bien aux modes de fonctionnement de l'économie actuelle. Voici quelques exemples.

Premièrement, il existe une réelle difficulté de chiffrage du montant et des conséquences exactes de ce que l'on appelle "l'effet de richesse". Quand la bourse augmente, quand la valeur des actifs financiers et immobiliers des logements, des fonds de commerce augmente, il y a un effet d'enrichissement qui a des conséquences importantes sur l'activité des agents économiques. En sens inverse, dans la conjoncture que, malheureusement pour le Gouvernement auquel j'appartenais, nous avons connue au milieu des années 1990, quand l'effet de richesse était plutôt un effet d'appauvrissement, que la bourse baissait, que les valeurs immobilières s'effondraient et que les fonds de commerce en deux ou trois ans perdaient la moitié de leur valeur, tout d'un coup les "ménages", comme disent les comptables nationaux, n'avaient plus le même comportement et ceci est difficilement modélisé.

Voici un autre exemple. Nos théories économiques continuent de reposer fondamentalement sur des hypothèses d'économies fermées. Or nous sommes dans des économies totalement ouvertes pour la France dans le cadre européen et très largement ouvertes au niveau international. De ce fait, les modèles ne fonctionnent plus de la même manière. Le seul prix Nobel d'économie qu'a eu la France a été décerné à M. Maurice Allais qui continue de raisonner comme si la France était une économie fermée. Ce n'est plus le cas.

Enfin, en sens inverse, nous ne disposons pas encore d'analyses économiques suffisamment fines sur les conséquences d'une union monétaire. Il est un peu attristant pour nous, Français, pour nous, Européens, que les meilleurs économistes ayant réfléchi à la question soient plutôt de l'autre côté de l'Atlantique comme M. Mundell, le Canadien, qui a eu le prix Nobel de l'économie ou M. Lester Farrow qui sont quelques économistes dont nous avons connu les travaux au moment où nous nous sommes lancés dans l'union monétaire. Les analyses correspondantes manquaient de ce côté-ci de l'Atlantique.

Cela dit, par rapport à la période que j'ai connue, au milieu des années 1990, j'ai le sentiment qu'aujourd'hui la réalisation de l'union économique et monétaire et le fait que nos économies européennes soient maintenant en convergence de conjoncture devraient réduire ces incertitudes et améliorer notre capacité de prévision.

Concernant les prévisions de recettes budgétaires, une fois que l'on a fait une hypothèse d'évolution de la conjoncture économique pour l'année à venir, on essaie d'en déduire les recettes budgétaires. Cela donne lieu à des discussions extrêmement techniques entre les spécialistes de tous les services du ministère de l'économie et des finances concernés, les divers réseaux fiscaux et comptables, la direction du budget, la direction de la prévision, sous l'autorité traditionnellement du directeur de cabinet du ministre ou de son conseiller budgétaire.

L'expérience montre que la sensibilité des recettes fiscales à la conjoncture n'est pas non plus une science exacte. Nous avons des surprises, bonnes ou mauvaises. Dans la période durant laquelle j'étais aux affaires, nous avons eu plutôt des mauvaises surprises. Par exemple, la TVA en 1995. Nous avions prévu 1 306 milliards en loi de finances initiale et nous n'avons encaissé que 1 302 milliards, ce qui, apparemment, est extrêmement proche puisqu'il n'y a que 4 milliards de différence. Mais, entre-temps, il y avait eu tout le collectif budgétaire de 1995 avec notamment des hausses de TVA, de l'impôt sur les sociétés et de l'ISF, ce qui fait qu'à législation constante, la moins-value a été de près de 40 milliards.

On peut en conclure que trop d'impôts tue l'impôt, bien entendu. En même temps, on se rend compte que la baisse de la croissance enregistrée en 1995 n'expliquait qu'un peu moins de 10 milliards de francs sur ces 40 milliards de francs. Nous avons donc connu une très grave déconvenue en 1995 en matière de TVA.

En 1996, la déconvenue a porté sur l'impôt sur les sociétés. Je signale à ce sujet, les variations et fluctuations assez spectaculaires de l'impôt sur les sociétés. J'ai retrouvé, dans les notes personnelles que j'ai prises en l'espèce en mai 1996, au moment où nous avons commencé à faire les choix pour le budget 1997, que ce qui est appelé par la direction du budget "le tendanciel" pour 1997, était en baisse. En effet, en 1996, nous avions eu 1 264 milliards de recettes fiscales. Le tendanciel 1997 était, à ce moment-là, prévision mai 1996 pour mai 1997 de 1 254 milliards, donc en baisse. En fait, nous avions constaté un manque à gagner sur l'impôt sur les sociétés de 20 milliards de francs par rapport aux prévisions, mais sur l'ensemble de l'année 1997, l'exécution se montait à 1 367 milliards.

Donc ceci pour montrer une réelle sensibilité des recettes fiscales et de la croissance économique qui est extrêmement difficile à prévoir et qui manifestement, en 1995 et 1996 a joué dans le sens d'une moins-value et qui, en revanche, en 1997, a joué dans le sens d'une forte plus-value.

Ma troisième remarque concerne la maîtrise des dépenses. Elle est possible. Autrement dit, les prévisions macroéconomiques sont ardues, les recettes et la sensibilité des recettes à la conjoncture économique également, en revanche, maîtriser les dépenses, c'est possible même lorsque la conjoncture économique est décevante.

J'en donnerai deux exemples : en 1996, le Parlement a voté un collectif fixant le déficit à 287 milliards, c'est-à-dire le déficit qui avait été voté en loi de finances initiale, à 180 millions près. Or, cette année-là, malheureusement, la croissance économique a été moitié moindre de ce qui était prévu et même moins de la moitié puisqu'elle a été de 1,3 % alors que le projet de loi de finances était bâti sur une croissance de 2,8 %. Nous avons eu une moins-value de TVA de 22 milliards, mais nous avons pu tenir le déficit parce que nous avons tenu la dépense grâce au gel des dépenses des crédits en début d'année.

Sur le projet de loi de finances 1997, le rapport de Messieurs Bonnet et Nasse, établi au mois de juillet, a bien montré qu'en fait, la politique budgétaire était pour la dépense, parfaitement sous contrôle en juillet. Les risques de dérapage identifiés à ce moment de l'année étaient limités, circonscrits, mesurables et maîtrisables puisque, comme le reconnaît le rapport Bonnet/Nasse, le dispositif de précaution de gel de 10 milliards pris au début de l'année était tout à fait de l'ordre de grandeur de ce qui paraissait nécessaire au mois de juillet.

Enfin, en conclusion et partant de cela, quelles sont les pistes possibles de progrès ?

Je pense que si nous nous heurtons, dans les prévisions de recettes économiques et budgétaires, à des difficultés malaisément surmontées à court terme, on peut faire des progrès en matière de transparence et d'information. Si déjà on pouvait poser le principe que toute information connue du ministre de l'économie et des finances doit être au moins transmise aux commissions des finances du Parlement voire publiée et donc donnée à l'ensemble de l'opinion, je crois que ce serait déjà un progrès intéressant.

Je vois, pour ma part, quatre pistes de progrès.

Premièrement, sur la conjoncture économique, les prévisions macroéconomiques, le progrès ne peut venir que par la multiplication, la diversification des sources de prévision. Il ne faut pas qu'il y ait un monopole de l'INSEE, de la direction de la prévision, mais qu'il y ait d'autres sources également autorisées et compétentes les publiant.

Deuxièmement, en matière d'information sur la situation de trésorerie de l'Etat, il existe un document que l'on appelle familièrement la "SH" (situation hebdomadaire). Nous avions décidé, sur ma proposition, au mois de décembre 1995, que la situation de trésorerie de l'Etat donnerait lieu à publication mensuelle, ce qui est fait depuis 1996 et ce qui est déjà un gros progrès.

Je pense que cela ne suffit pas et que rien ne devrait s'opposer à ce que cette situation soit maintenant publiée toutes les semaines afin que les commissions des finances, les médias, les spécialistes de l'opinion puissent connaître l'évolution de la trésorerie de l'Etat. Cela exige que soient ajoutées certaines informations complémentaires pour apprendre à lire ce document un peu particulier. Mais à partir du moment où ces informations existent, il n'y a pas de raison de ne pas en faire une très grande diffusion.

En troisième lieu, un progrès me paraît nécessaire : celui que je qualifierais d'encadrement des pratiques budgétaires de fin de gestion. Ces dernières donnent lieu à des décisions qui sont fatalement forfaitaires pour ne pas dire arbitraires. Nous l'observons dans la gestion de nos budgets locaux. Pour faire une dépense en début d'année nouvelle ou en fin d'exercice budgétaire, nous avons une petite marge. Nous nous sommes retrouvés, fin 1995, dans une situation assez pittoresque additionnant les effets d'un changement de gouvernement au mois de novembre et celui du délai nécessaire d'un mois à six semaines pour que les nouveaux ministres aient le pouvoir de dépenser et aient une délégation de signature. Les phénomènes sociaux, les grèves des mois de novembre et de décembre 1995 ont fait que, pendant deux ou trois mois, l'Etat n'a presque plus dépensé.

Soudain, nous nous sommes fragilisés avec le risque d'un exercice budgétaire 1995 comportant une dépense anormalement basse. Nous avons, je crois avec raison puisque la Cour des comptes ne nous a pas critiqués sur ce point, décidé d'anticiper sur l'exercice 1995 des dépenses qui normalement, si l'on s'était tenu à la date du calendrier de signatures, auraient dû être imputées sur l'exercice 1996. Cependant, le plus souvent, on se trouve dans la tentation inverse de repousser à l'année d'après, on l'a vu notamment en 1993, des dépenses 1992, 1993 qui incombent à la gestion qui s'achève.

Lors de son rapport préalable à la loi de règlement, la Cour des Comptes relève systématiquement ce genre de pratique. Je pense qu'il y aurait matière à élaborer une sorte de code de bonne conduite de la fin de gestion. C'est un point sur lequel on peut faire des progrès.

Enfin, dernière suggestion qui n'est pas très originale, mais je ne veux pas venir devant votre commission sans le redire, je crois que nous gagnerions plus à avoir un budget de l'Etat qui soit proche de la réalité financière en reprenant bien toutes les opérations du Trésor qui n'y figurent pas systématiquement. Il serait bon qu'il soit plus proche aussi de la réalité économique. Lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, M. Jean Arthuis que vous entendrez prochainement, avait vivement milité pour que l'Etat ait un compte de bilan et raisonne aussi en actif et en passif et pas simplement un compte d'exploitation. Je crois que c'est une démarche qu'il faut poursuivre, sans quoi nous continuerons d'avoir pour l'Etat, pour la République française, une comptabilité particulièrement médiocre comparée à la fois à la comptabilité privée, mais aussi à la comptabilité européenne et même à la comptabilité d'une collectivité locale.

M. le Président. - Je vous remercie, au nom de la commission, de votre propos. Je vais donner la parole à M. le rapporteur général, vous répondrez et ensuite je donnerai la parole aux autres commissaires qui le souhaiteront.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais d'abord rappeler au ministre que l'initiative que nous avons prise de nous constituer en commission d'enquête pour examiner les conditions d'élaboration de la loi de finances provient du sentiment que nous avons eu, les uns les autres, de participer à une espèce de théâtre d'ombres notamment au cours du second semestre de l'année 1999. Nous avons eu le sentiment que les informations venant vers nous, après avoir été dans un premier temps diffusées au sein de l'appareil de l'exécutif, puis distillées auprès de la presse, étaient vraiment peu substantielles et peu en rapport avec la réalité économique et budgétaire telle que nous la voyons évoluer avec les petits moyens d'extrapolation que nous pouvions avoir au sein de la commission des finances.

Notre principal sujet de préoccupation consiste à comprendre, dans un premier temps, comment fonctionne le système d'information entre les administrations de Bercy et leur ministre, entre le ministre et Matignon, avant de nous interroger sur ce que devrait être le système d'information entre l'exécutif et le législatif, sujet qui, bien entendu, est notre sujet principal.

Je voudrais vous interroger précisément sur deux points.

Pouvez-vous nous livrer votre souvenir quant aux principales marges de manoeuvre qui ont nécessité votre arbitrage et les principaux moments, dans l'élaboration des lois de finances, qui ont nécessité votre intervention pour arbitrer entre des analyses différentes et entre des informations diverses ?

Avez-vous le sentiment, après 18 mois de fonction, que si vous deviez recommencer l'exercice, vous modifieriez cette organisation interne et donneriez-vous des directives différentes pour assurer une meilleure pertinence de ces choix ?

En deuxième lieu, s'agissant plus particulièrement des recettes fiscales, pouvez-vous nous en dire davantage sur le fonctionnement du comité chargé d'arbitrer les appréciations à partir des différentes directions de Bercy ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce mécanisme et sur le suivi des évaluations au cours de la période de préparation de la loi de finances ?

Enfin et en conclusion, je souhaite connaître votre appréciation sur l'articulation des compétences entre la direction du budget et la direction du Trésor pour ce qui est de la politique de financement de l'Etat, pour ce qui est de la prévision des charges financières de l'Etat et pour ce qui est de la politique de recours au marché financier et donc des marges de manoeuvre qui, dans le cadre d'un exercice budgétaire, doivent se présenter pour le ministre lorsque des décisions doivent être prises en ce domaine.

M. Alain LAMASSOURE. - Sur le premier point, j'ai trouvé une situation concernant le calendrier de décision et le processus de décision interne au ministère de l'économie et des finances, entre les services, le ministre et le cabinet et entre Bercy proprement dit et Matignon, rôdée et assez raisonnable. Elle existait depuis de longues années et je crois comprendre qu'elle existe toujours. Je ne vois pas très bien en quoi on pourrait la modifier.

Autrement dit, il y a deux rendez-vous importants. Le premier survient au printemps lorsque l'on fait les premières estimations préalables à l'année suivante qui déboucheront sur des lettres de cadrage. Le second intervient au début de l'été, vers le mois de juillet, lorsque les arbitrages budgétaires se précisent et que l'on arrive aux lettres plafond et à la fixation du montant total du budget de l'année à venir et des recettes fiscales correspondantes.

Dans ce domaine, la contrainte principale vient de la Constitution, c'est le débat parlementaire. Il existe un compte à rebours qui permet d'aboutir à ce calendrier et je le trouve, pour ma part, à la fois inéluctable et assez satisfaisant.

Concernant les recettes fiscales, vous m'avez demandé quels sont les points sur lesquels j'avais le sentiment, en tant que ministre du budget, d'avoir des arbitrages à rendre ?

Il existe deux sujets sur lesquels je m'interdisais de rendre un arbitrage de nature politique, c'est d'une part, la prévision macroéconomique et d'autre part, le montant des recettes fiscales. Concernant les premières, je ne vois pas pourquoi le ministre du budget aurait plus d'intuition que d'autres. J'ai plaidé pour que l'on retienne, dans ces deux domaines, le consensus des experts. Ce dernier est parfois difficile à obtenir et de nature différente selon qu'il s'agit de prévisions macroéconomiques ou de recettes fiscales.

En revanche, sur quoi s'exerce le choix politique, les recommandations du ministre du budget alors que c'est, bien évidemment, le Premier Ministre qui arbitre ? Sur ce qui dépend de lui, c'est-à-dire la prévision économique étant ce qu'elle est, les recettes fiscales étant déduites de cette prévision économique, il s'agit d'évaluer à la fois le taux de croissance et les modalités de cette croissance (plus de consommation ou plus d'investissement). Le rôle du ministre du budget est d'établir, en fonction de cela, le solde budgétaire. C'était notre problème le plus important à l'époque puisque nous sortions d'une période de très fort déficit et nous avions le grand objectif de parvenir à moins de 3 % de déficit de PIB pour pouvoir se qualifier pour l'union monétaire.

Il définit aussi la dépense et les divers éléments de dépense et le montant des effectifs budgétaires. A l'époque, nous avions ce que nous avions appelé les "boules de neige" puisque nous avions, au sein du budget de l'Etat, certaines dépenses non maîtrisées qui s'accroissaient année après année. L'endettement, les charges financières, les dépenses du secteur public, les dépenses de sécurité sociale, les aides à l'emploi, les aides au logement représentent quelques-unes d'entre elles. En tant que ministre du budget, je proposais au ministre de l'économie et des finances et au Premier ministre, des arbitrages sur ces données de budget.

Concernant les prévisions de recettes fiscales, la tradition veut que, sous l'autorité soit du directeur de cabinet, soit d'un conseiller budgétaire du ou des ministres, les services compétents, la plupart des services de Bercy en fait, se réunissent à deux reprises, une fois au mois de février pour les perspectives et une fois aux mois de juin et juillet pour arrêter les chiffres du projet de loi de finances, de manière à préciser les recettes fiscales en ligne avec les prévisions macroéconomiques.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. - Pardonnez-moi, Monsieur le Ministre. Existe-t-il un compte rendu ?

M. Alain LAMASSOURE. - Oui, naturellement. A deux ou trois reprises pour l'année 1997, le conseiller du cabinet qui était le directeur-adjoint de mon cabinet et le conseiller budgétaire de M. Jean Arthuis a tenu ces réunions. Il nous en a rendu compte et nous avons approuvé les conclusions. Dès que la matière est extraordinairement technique, les services sont très divisés entre eux.

En matière de rentrées de TVA, les prévisions de la direction générale des impôts, celles de la direction générale des douanes et celles de la direction de la prévision et de la direction du budget sont extrêmement différentes. Nous avons pensé qu'il fallait que ce soit fait par des personnes qui en avaient l'habitude. Je constate que, pour 1997, le rapport Bonnet et Nasse a rendu hommage à ces travaux et a retenu les évaluations faites dans ce domaine.

J'avoue mon embarras pour répondre à votre troisième question sur les prévisions à introduire dans le budget relevant de la direction du Trésor. Je me souviens qu'un accord avait été passé au niveau des services entre le budget et le Trésor. Si un arbitrage a dû être rendu pendant la période durant laquelle j'étais aux affaires, il ne l'a pas été à mon niveau. C'est sans doute M. Jean Arthuis qui serait à même de vous répondre. Il ne me semble pas qu'il y ait eu, pendant cette période, de forts conflits entre la direction du budget et le Trésor.

M. le PRESIDENT. - Nous allons passer aux questions des commissaires.

M. Jean-Philippe LACHENAUD. - Je tiens tout d'abord à rendre hommage à la clarté des documents que vous aviez présentés au Parlement, aux exposés que vous aviez faits, notamment au moment des débats d'orientations budgétaires, lors d'une clarification des documents qui avait fait apparaître un phénomène tout à fait extraordinaire qui était le financement par le déficit d'un écart de fonctionnement. C'est effectivement une pratique totalement impossible aussi bien pour les particuliers que pour les collectivités locales. Ces documents et leur clarté avaient permis d'apprécier cette situation.

Ma première question est la suivante : quelle est l'autonomie de la politique budgétaire par rapport à la politique économique ? Dans ces différentes phases d'arbitrage, de préparation des documents -ce sont les quelques réponses que vous avez faites aux questions du rapporteur général qui me conduisent à vous poser la question- existe-t-il une autonomie de la politique budgétaire par rapport à la politique économique ? Comment concevez-vous cette articulation qui n'est pas liée uniquement au fait de la présence de deux ministres, mais aussi à un certain nombre de débats devant être tranchés ?

Ma deuxième question porte sur les prévisions macroéconomiques. Vous dites que vous preniez les arbitrages des experts. Nous avons le sentiment que cela ne va pas être la réponse faite par tous les ministres des finances. Nous avons même eu l'expérience pratique, semble-t-il, où on nous a indiqué que le ministre était là pour faire un choix politique parmi les hypothèses de croissance. Très récemment, j'entendais un ministre des finances dire : il faut prendre une hypothèse haute de manière à redonner le moral aux français, à accompagner et à accélérer la croissance.

Pensez-vous que ce positionnement consistant à prendre le point moyen des experts économiques est une situation que l'on ne pourrait pas améliorer ? N'y a-t-il pas une manière de progresser de ce côté ?

Sur les recettes, habituellement, c'est ce que je faisais quand j'étais en charge d'un budget de collectivité locale, je donnais les instructions et, très naturellement, les services le faisaient, on sous-estimait les recettes de manière à se garantir un peu plus contre les ministres dépensiers ou les services dépensiers. Avez-vous constaté une tendance à la sous-estimation systématique des recettes ? Le ministre apporte-t-il sa contribution pour corriger ou, au contraire, en rajoute-t-il par rapport au service ?

Ma dernière question porte sur l'orientation budgétaire, non pas dans la relation entre le Gouvernement et le Parlement, mais dans la relation entre les services et le ministre. J'ai le sentiment que les orientations budgétaires étaient une bonne chose, mais qu'elles ont été un peu dénaturées, affaiblies et que, finalement le document présenté par le ministre comporte des variantes, de vraies options, de vrais choix et de vrais écarts d'hypothèse. Nous avons un peu le sentiment de voir, au moment du débat budgétaire, un document quelque peu figé, statique, reprenant une seule hypothèse et une seule variante.

Existe-t-il au sein de l'administration de quoi alimenter un débat un peu plus authentique sur les orientations budgétaires aux mois d'avril et de mai ?

M. François TRUCY. - Monsieur le Ministre, comme mon ami M. Lachenaud, je me rappelais avec énormément d'intérêt les exposés que vous nous aviez faits au ministère à l'époque. Je regrette beaucoup qu'il ne soit rien resté de cette méthodologie qui avait l'énorme avantage de nous familiariser avec des notions de base et avec tous les détails du budget.

Je pense qu'il faut ajouter à vos pistes de progrès celle indiquant que les éléments matériels du budget et la présentation qui en est faite s'inspirent au maximum de ces préoccupations.

Ceci est d'autant plus indispensable que, visiblement, la vie politique française va mettre en avant de plus en plus de nouvelles personnes, de femmes et d'hommes et la vie publique va se renouveler beaucoup plus vite qu'autrefois. De nouvelles générations non compétentes vont arriver sans cesse pour découvrir des documents budgétaires absolument hermétiques.

De ce côté là, je me rappelle le conseil de mon prédécesseur au poste de Rapporteur général du budget du département qui m'avait dit : pour le budget, tu en dis le moins possible ou alors tu en dis tellement qu'ils ne comprennent plus rien... C'est un exemple à ne pas suivre.

M. André VALLET. - Monsieur le Président, je voulais revenir sur la médiocrité des prévisions macroéconomiques. Vous avez indiqué précédemment qu'en 1996, 1997, pour le moins, cela a été tout à fait catastrophique. En vous écoutant, je faisais un parallèle avec la météorologie nationale qui se trompe régulièrement. Pour autant, on n'en a pas accusé le directeur de la météorologie après la tempête pas plus que celui de l'INSEE après ses prévisions.

Je voudrais revenir sur le rôle important, primordial, à mon avis trop fort de lNSEE. Vous l'avez senti, puisque dans vos pistes vous avez indiqué que vous aimeriez que ce rôle soit amoindri. Aujourd'hui, pourriez-vous nous donner davantage de détails sur ce que vous avez indiqué ? Est-il possible d'avoir d'autres sources de prévision ? Car, de la même manière que pour la météorologie, il est difficile de prévoir des activités quand on ne sait pas le temps qu'il va faire, il me paraît ardu pour un ministre du budget de prévoir son travail avec des renseignements aussi erronés. Je pense que c'est l'un des grands problèmes de notre pays. Avez-vous d'autres solutions que l'INSEE ?

M. Denis BADRE. - Mes deux questions ne concernent pas des masses financières importantes, mais sont des questions de principe. La première concerne les procédures de régulation budgétaire, gel et annulation. Ces procédures ont toujours été mal ressenties par les parlementaires que nous sommes puisqu'elles font la démonstration de la vanité du débat budgétaire au moins en partie.

Comment le ministre vivait-il lui-même ces procédures ? Sachant que, dans des vies antérieures, j'ai vécu pas mal de conférences budgétaires dans lesquelles je trouvais une assez grande clarté même si le débat était assez rude. En revanche, les ministères techniques dépensiers sont complètement exclus de ces types de décisions, gel et annulation, qui arrivent comme des décrets arbitraires tombant sur le ministère technique et avec lesquels on ne peut discuter. Cela présente un grave inconvénient, car j'ai toujours vu les ministères techniques aller au-devant de ces gels et annulations. Survient alors une espèce de course pour mettre hors gel ou hors annulation ces crédits. Tout cela fausse complètement le débat que vous deviez avoir avec vos collaborateurs directs. J'aimerais savoir comment vous le viviez ?

C'est en tant que rapporteur spécial des affaires européennes que je vous pose ma seconde question, elle concerne de façon très générale le budget européen. J'ai toujours été frappé de voir que le projet de loi de finances initiale prévoit un prélèvement sur la recette. Les Etats apportent au budget européen une contribution aux recettes du budget européen sans avoir aucune maîtrise sur les dépenses. De plus, vous êtes un peu gêné dans vos prévisions dans la mesure où, en exécution, le chiffre finalement retenu n'est jamais celui inscrit dans la loi de finances pour de nombreuses raisons sur lesquelles il est inutile de revenir.

Comment viviez-vous cette espèce d'opacité qui entourait la contribution de la France au budget européen ?

M. Alain LAMASSOURE. - Jean-Philippe Lachenaud me pose une véritable question de cours magnifique : l'autonomie de la politique budgétaire par rapport à la politique économique.

Premièrement, pour moi, en 1997, les choses étaient assez claires. L'autonomie de la politique budgétaire était très faible au niveau des grandes masses puisque le grand objectif était de parvenir à se qualifier pour l'union monétaire. Il fallait à tout prix réduire le déficit. Partant de cela, les points sur lesquels j'ai fait un certain nombre de recommandations se limitaient à ceux que j'ai évoqués précédemment.

Je crois qu'au-delà de la période que j'ai eue à connaître, nous avons fait un progrès collectif le jour où nous avons interdit à l'Etat de se mêler de politique monétaire. La décision fut douloureuse à prendre et n'était pas du tout évidente. Nous en vérifierons, dans les 10 ou 20 ans qui viennent, le bien-fondé. C'est désormais une autorité indépendante qui se charge de la politique monétaire.

Sur le budget, je crois que nous ferons un grand progrès collectif le jour où nous introduirons, dans la Constitution française, l'obligation d'équilibrer son budget, ce qui existe pour nos collectivités locales, pour l'Europe, mais pas pour l'Etat français. Ce jour-là, nous ferons un gigantesque projet.

Le déficit n'est pas de gauche, il n'est pas de droite, c'est purement et simplement de la mauvaise gestion. Cela nous paraît évident pour la gestion de nos communes. Il ne viendrait à l'idée de personne de recommander le déficit budgétaire en matière communale ; de la même manière, le déficit budgétaire est un mal en soi. La politique budgétaire retrouvera une autonomie le jour où le déficit sera interdit. A ce moment-là, la politique budgétaire portera sur le montant des dépenses à condition qu'elles soient équilibrées par des recettes et le contenu de la dépense. J'espère que l'on pourra, par exemple, recommencer à avoir une véritable politique d'investissement public. Un des grands appauvrissements de notre politique publique depuis 20 ans, c'est que l'Etat n'investit plus.

Concernant les hypothèses macroéconomiques : ne sommes-nous pas tentés, à certains moments, de choisir plutôt une hypothèse haute pour ne pas désespérer l'opinion publique ?

Disons que, dans le doute, nous avons sans doute plutôt intérêt à ne pas choisir l'hypothèse la plus sinistre. Cela peut dépendre. Je me suis trouvé dans des circonstances où l'hypothèse centrale des prévisions techniques me paraissait convenir, mais il va de soi que le Gouvernement a une certaine marge d'appréciation. C'est un peu comme les sondages. Le fait d'annoncer un chiffre comme une prévision, une estimation, contribue à créer un peu l'événement. C'est un élément qu'il faut prendre en compte.

Sur les recettes fiscales proprement dites, vous faites état d'une expérience au niveau des collectivités locales, où l'on avait tendance à sous-estimer systématiquement les recettes. Ce n'est pas l'exercice auquel nous nous sommes livrés parce que, de toute manière, au bout d'un moment, tout cela se sait. C'est un jeu dans lequel chaque acteur s'enferme dans son rôle traditionnel et a tendance à fausser les choses en fonction de ce que va être la stratégie de l'autre. Ce jeu, au bout d'un moment, devient terriblement embrouillé. Il est plus aisé d'essayer de tout mettre sur la table -et je crois que c'est ce qui se faisait au milieu des années 1990- entre toutes les directions du ministère des finances pour essayer d'arriver à une estimation des recettes fiscales.

Votre dernière question est très importante : techniquement, au moment où l'on débat des orientations budgétaires, aurons-nous de la matière pour alimenter un vrai débat entre plusieurs options ? Ma réponse est positive. Nous avons les éléments permettant de dire au printemps que nous pouvons concevoir deux ou trois variantes différentes du budget de l'année n+1. C'est tout à fait possible. Si nous voulons le faire, il faut en tirer les conséquences dans les méthodes de travail du Gouvernement et dans les relations entre Matignon, Bercy et les ministres dépensiers, mais c'est tout à fait possible.

Monsieur François Trucy fait une remarque évoquant un titre humoristique de Labiche : "Doit-on le dire" ? Doit-on effectivement tout dire en matière budgétaire ? Au total, je crois quand même que oui. Je pense que, jusqu'à ces dernières années, il pouvait y avoir des justifications qui étaient probablement de mauvaises raisons, pour expliquer que l'on ne dise pas tout, notamment la crainte des réactions des marchés financiers et du marché des changes.

En 1996, 1997, encore, nous étions obsédés par le marché des changes et les marchés financiers. Nous avions, sur nos écrans d'ordinateurs dans nos bureaux, la cotation du franc et les taux d'intérêt. Nous observions, au jour le jour, l'évolution des taux d'intérêt avec d'ailleurs, la baisse des taux d'intérêt au fur et à mesure que le franc s'appréciait sur le marché des changes.

C'était un combat quotidien et lorsque nous sommes passés au-dessous de la barre des 6 % et que nous nous sommes rapprochés de 5,4 %, 5,3 %, lorsque nous sommes arrivés au-dessous des taux d'intérêt allemands à la mi-1996, c'était une grande victoire. Ceci pouvait être compromis par l'annonce, en cours d'année, d'un creux de trésorerie dans les comptes de l'Etat qui aurait pu laisser craindre que le déficit que l'on maîtrisait, que l'on réduisait de manière assez forte, tout d'un coup recommence à plonger. Cela aurait eu des effets désastreux sur les marchés des changes, donc sur les taux d'intérêt et donc, un nouveau ralentissement de la croissance, etc..

Cela ne nous a pas empêchés de jouer au maximum la carte de la transparence et notamment, de publier la situation mensuelle de trésorerie de l'Etat. Aujourd'hui, cette préoccupation n'est plus du tout la même puisque le franc n'existe plus. En effet, l'évolution des changes, de l'Euro et des taux d'intérêt n'a qu'un lien très indirect avec ce qui se passe dans un seul des onze états-membres de la zone euro qui est la France, même si la France est une des économies importantes de la zone euro. A partir du moment où cette préoccupation a sensiblement perdu de sa force, je crois que plus rien ne s'oppose à ce que l'on dise tout.

Concernant la "SH" (situation hebdomadaire), je tiens à préciser qu'elle est incompréhensible au commun des mortels. Je l'ai rencontrée lorsque j'étais jeune fonctionnaire, à l'époque rue de Rivoli et je n'y comprenais rien, je l'ai retrouvée comme ministre, je n'y ai rien compris non plus. Un paragraphe d'explication est nécessaire pour faire comprendre que l'Etat ne fonctionne pas du tout comme une entreprise qui a des recettes commerciales assez régulières, sous réserve de phénomènes de calendrier liés à des variations de consommation dans le temps. C'est ce que l'on appelle la désaisonnalisation des recettes ou des dépenses.

Le caractère saisonnier est considérable dans la gestion de l'Etat pour des raisons qui échappent aux saisons économiques ordinaires liées au fait qu'en matière fiscale, il y a des tiers provisionnels donc des périodes de fortes rentrées fiscales. Grosso modo, pendant la première moitié de l'année, l'Etat a un découvert de trésorerie absolument gigantesque et c'est en fin d'année que, tout d'un coup, tombent les énormes recettes fiscales. Il faut avoir un mode d'emploi et nous l'avions fait pour des publications mensuelles et je pense que l'on pourrait parfaitement en faire pour les publications hebdomadaires, ne serait-ce d'ailleurs qu'en invitant le lecteur à comparer avec la semaine correspondante de l'année précédente ou des deux ou trois années précédentes.

Monsieur Vallet s'interroge sur les travaux de l'INSEE et sur ceux de la direction de la prévision sur la manière de l'améliorer ou de se détacher de leur monopole. Déjà, au ministère de l'économie et des finances depuis une trentaine d'année, on distingue le service qui collecte les informations d'événements ayant eu lieu qui est l'INSEE et le service qui prévoit ces dits événements qui est la direction de la prévision. Je pense que cela ne suffit pas. Ayant eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'aller aux Etats-Unis voir fonctionner le Congrès des Etats-Unis et ses relations avec l'administration américaine, j'ai pu constater que le fait que la Chambre des Représentants ait un bureau du budget avec plusieurs centaines de fonctionnaires et soit capable de critiquer les prévisions macroéconomiques de l'administration fédérale, est un plus.

De même, le fait qu'existent dans ce pays, comme en Allemagne fédérale ou comme en Allemagne, des centres de recherche universitaires indépendants ayant des moyens importants, permet un réel progrès. En Allemagne, une demi-douzaine d'instituts de conjoncture sont présents dans divers Länder qui, périodiquement, essaient de rapprocher leurs prévisions. Est publié ce que l'on appelle le consensus des instituts de conjoncture allemands. C'est important dans le débat politique allemand. De la même manière, nous gagnerons à ce que le Parlement ait ses moyens d'information et d'analyse autonomes et que, en dehors de l'Etat même, des sources universitaires indépendantes puissent apporter une autre vision.

Enfin, Monsieur Badré me pose deux questions sur la manière dont, en tant que ministre du budget, je vivais le gel.

M. Denis BADRE. - Et les annulations.

M. Alain LAMASSOURE. - Je le vivais mal parce que cela faussait la règle du jeu. Un des rôles du ministre du budget, qui n'est pas le plus agréable, mais qui est tout à fait passionnant, est d'entendre en confession chacun des ministres dépensiers, c'est-à-dire tous les autres ministres, y compris lui-même, puisque le ministre du budget est aussi un ministre dépensier, afin d'essayer de trouver un accommodement pour dépenser le mieux possible les crédits publics. C'était pénible pour les ministres dépensiers, mais aussi pour le ministre du budget.

Une fois que nous avions conclu, après des négociations très dures ou après avoir requis un arbitrage du Premier ministre lorsque ces négociations avaient échoué, il n'était pas rare qu'il dise : tout cela est passionnant, mais de toute manière, j'ai des incertitudes sur la conjoncture économique et sur les rentrées fiscales l'année prochaine, donc dans le doute, je vous gèle 10 milliards.

"C'est pas de jeu" comme on dit à l'école communale. Le Parlement s'en plaint à juste titre, les ministres dépensiers de même. Ce n'est pas une preuve de bonne gestion. J'avais envisagé que l'on revienne à ce qui avait été une pratique des années 70 dans laquelle on faisait le contraire. On avait créé le Fonds d'action conjoncturelle. Cela consistait à arrêter les dépenses à un certain niveau. Si des plus-values fiscales inattendues survenaient, ce que l'on n'appelait pas à l'époque une "cagnotte", on décidait de ce que l'on en ferait.

Donc, on laissait espérer un plus qui était voté par le Parlement à l'avance. Le Fonds d'action conjoncturelle était une sorte de budget supplémentaire potentiel voté en même temps que le budget initial, mais laissé à l'appréciation du ministre des finances et du Premier ministre en cours d'exécution budgétaire. Je pense qu'il serait utile de réfléchir à une formule de ce genre. On pourrait d'ailleurs très bien concevoir que le Fonds d'action conjoncturelle ne soit débloqué qu'après un débat parlementaire et en accord au moins avec les commissions des finances.

De ce point de vue, j'ai été très frappé de l'importance du contrôle de l'exécution budgétaire par le Parlement européen. Cela m'amène à votre deuxième question. Il existe à Strasbourg, à côté de la commission des budgets qui est l'équivalent de votre commission des finances, une commission de contrôle budgétaire que j'ai d'ailleurs présidée. Cette commission est compétente pour donner son feu vert à toute demande de transfert ou de report de crédits si l'on souhaite changer la destination du crédit d'un chapitre ou d'un titre à un autre.

S'il n'y a pas le feu vert de la commission de contrôle budgétaire, le transfert ou le report n'est pas possible. C'est un pouvoir considérable permettant à l'autorité budgétaire qu'est le Parlement de contrôler, mois après mois, la gestion des crédits et de vérifier que les crédits sont bien gérés comme le Parlement l'a autorisé.

Nous n'avons pas tout à fait les mêmes règles en France. C'est un système qui existe aussi en Grande-Bretagne. On considère, à la Chambre des Communes, que l'équivalent de la commission de contrôle budgétaire est la commission la plus importante de la Chambre des Communes, c'est celle qui a le vrai pouvoir de contrôler le Gouvernement. Peut-être qu'il y a là des exemples dont nous pourrions nous inspirer.

Ceci m'amène à votre question sur les relations entre budget européen et budget français. Chaque Etat détient sa propre solution pour prendre en compte ou non les recettes et les dépenses européennes qui le concernent. J'ai toujours pensé que le plus logique serait de sortir complètement les opérations européennes du budget de l'Etat, car cela n'a rien à voir. C'est une autre collectivité.

D'ailleurs, les recettes transitant par le budget national sont considérées, du point de vue du droit communautaire, comme des ressources propres de la communauté (les droits de douane et les prélèvements agricoles). En outre, comme vous le rappelez avec beaucoup de vérité, c'est tout à fait frustrant, pour un Parlement, de voter des recettes sans avoir à voter les dépenses et d'ailleurs de n'avoir, juridiquement, aucune marge de manoeuvre.

A chaque débat budgétaire, nous posons la question de savoir ce qui se passerait si le Parlement français votait un amendement scélérat réduisant de 10 % la contribution de la France au budget communautaire. Nous serions dans un imbroglio juridique épouvantable !

Il me paraîtrait plus logique de considérer que la contribution de la France aux dépenses de la Communauté européenne, au moins en ce qui concerne les recettes propres et la recette de TVA, ne doit plus transiter par le budget national.

M. le Président. - Monsieur le Ministre, je vous remercie de la précision de vos réponses et de votre contribution à notre réflexion.

Mes chers collègues, demain matin, notre prochaine réunion se tiendra à 10 heures avec le même objet : audition à 10 heures de M. Christian Sautter ; à 11 heures, de M. Dominique Strauss-Kahn et à 12 heures de M. Jean Arthuis.

La séance est levée à 17 heures 25 .

Séance du 26 avril 2000
La séance est ouverte à dix heures sous la présidence de M. Alain Lambert

Audition de M. Christian SAUTTER,
Ancien Ministre.

M. le Président .- La séance est ouverte.

L'ordre du jour appelle l'audition de M. Christian Sautter, ancien ministre de l'économie et des finances.

Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue. Je crois pouvoir parler au nom de tous ceux qui siègent dans cette commission pour vous dire que nous sommes heureux de vous recevoir. Nous avons gardé un excellent souvenir de nos contacts qui, au-delà de la vie publique, se sont noués aussi au plan humain. La qualité de cette relation humaine reste pour nous un excellent souvenir et c'est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin.

Au cours de sa séance du 29 mars dernier, le Sénat a doté notre commission des finances des prérogatives des commissions d'enquête pour une durée de six mois. L'objet de la mission est d'informer notre commission sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de lois de finances et dans leur exécution.

Sa motivation a été d'éviter toute controverse juridique sur les droits de notre Commission des Finances à recueillir telle ou telle information. La méthode que nous avons choisie est non partisane et en tout cas elle est pluraliste. Il s'agit d'analyser le processus de fonctionnement de l'exécutif pour en tirer tous les enseignements dans le dialogue toujours à parfaire entre le Gouvernement et le Parlement. La période sous revue pourra remonter jusqu'à dix ans en arrière et j'indique que l'équipe des rapporteurs est pluraliste. Outre le rapporteur général, nous y comptons Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant et votre serviteur.

Conformément aux règles des commissions d'enquête, je rappelle à nos collègues et à notre invité que le secret doit être conservé sur les travaux non publics, ce qui est le cas de cette audition et qu'en cas de faux témoignage, la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code Pénal. Si je les rappelle, Monsieur le Ministre, c'est parce que la loi m'y oblige et je l'ai fait naturellement à l'endroit de MM. Sarkozy et Lamassoure qui vous ont précédé, comme je le ferai pour les personnes que nous auditionnerons tout à l'heure.

(A l'invitation de M. le Président, M. Christian Sautter prête serment.)

M. le Président
- Monsieur le Ministre, je vais vous donner la parole pour un propos liminaire d'un quart d'heure et ensuite vous répondrez aux questions de M. le rapporteur général et naturellement aux questions de tous les commissaires.

La parole est à M. le Ministre.

M. Christian SAUTTER - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Messieurs les Rapporteurs, Madame et Messieurs les sénateurs,

Vous m'avez transmis, Monsieur le Président, un questionnaire de quatorze interrogations en suggérant que j'y réponde par écrit et je vous transmets donc ces réponses. Je n'évoquerai pas dans cet exposé liminaire non plus les progrès qui sont souhaitables de mon point de vue en ce qui concerne la procédure budgétaire, y compris la procédure de dialogue entre le Gouvernement et le Parlement directement. Je voudrais simplement insister très rapidement sur trois points auxquels j'ai travaillé quand j'étais ministre : passer d'une logique de moyens à une logique de résultats ; mettre au point une comptabilité analytique et patrimoniale de l'Etat ; favoriser le développement des capacités parlementaires mais aussi universitaires en matière d'évaluation des politiques publiques.

Mon exposé, rapide, sera concentré sur un seul sujet : celui des recettes fiscales nettes de l'année 1999. En effet, la polémique est née, me semble-t-il, de l'existence d'une « cagnotte » qui n'aurait pas été révélée assez tôt au public et au Parlement. Je vais passer en revue rapidement les cinq décisions que le Gouvernement a prises sur ce sujet.

La première décision a été prise au mois d'août 1998 quand il a fallu fixer les recettes fiscales dans le projet de loi de finances pour 1999. Cela a été fait au mois d'août 1998 en fonction des informations disponibles à l'époque aussi bien sur la conjoncture de l'année en cours - l'année 1998 - qui détermine le calcul des impôts décalés, impôts sur le revenu et impôts sur le bénéfice des sociétés - que ce que l'on savait sur l'année à venir, l'année 1999, qui conditionne les recettes fiscales, TVA et taxes sur les produits pétroliers.

Dans le rapport économique et financier pour 1999, remis en septembre 1998, vous vous souvenez que le Gouvernement avait fait l'hypothèse d'une croissance de 2,7 % pour l'année 1999 et il en avait tiré une prévision de recettes fiscales nettes de 1 535 milliards de francs, en hausse de 6 % par rapport aux chiffres correspondants de la loi de finances de 1998.

Je passe très rapidement sur deux remarques de méthode. La première, c'est qu'il est très difficile de passer d'un chiffre, la croissance, à un autre chiffre, les recettes fiscales nettes. La seconde, c'est que nous avons longuement débattu, y compris avec le rapporteur général, sur le fait que ces 6 % de croissance de 1998 à 1999 dépassaient la croissance du produit intérieur brut - 3,8 % - pour des questions de changement de périmètre sur lesquelles je ne veux pas revenir aujourd'hui.

Vous vous en souvenez, durant le débat parlementaire que nous avons eu à l'automne 1998, vous avez plutôt, et ce n'est pas une critique, accusé le Gouvernement de surestimer la croissance pour 1999 et corrélativement les recettes fiscales pour 1999, que le contraire. Nous avons eu des débats démocratiques, courtois mais parfois vifs, sur le fait que vous nous reprochiez - c'était aussi dans votre rapport, Monsieur le Rapporteur général, et cela est tout à fait normal - d'avoir majoré les recettes de 1999 de façon à permettre soit des baisses d'impôts, soit des baisses de déficit qui ne vous paraissaient pas entièrement réalistes. C'est la première décision.

La deuxième décision est une décision interne au ministère des finances, au mois de février 1999. Que fait-on au mois de février chaque année ? On recalcule les recettes prévisibles pour l'année en cours de façon à avoir une base pour préparer le budget de l'année suivante. Ainsi, en février 1999, on réestime les recettes de 1999 de façon à lancer l'exercice de préparation du budget 2000. Les services y travaillent de façon très sérieuse et, paradoxe, ils vous ont donné raison. Au mois de février, parce que la croissance ne serait pas de 2,7 % mais le chiffre que les services pronostiquaient à l'époque était de l'ordre de 2 %, la direction de la prévision nous a recommandé, à Dominique Strauss-Kahn et à moi-même, de baisser les recettes de l'année 1999 de 16 milliards de francs et le Budget, toujours prudent, nous a recommandé une baisse de 6 milliards de francs.

Les avis techniques de février 1999 allaient donc dans le sens d'une baisse des recettes fiscales de l'année 1999 et donc dans le sens des réflexions que votre brillant rapporteur général avait développées dans le cours du débat. Or les ministres ont décidé de ne pas suivre l'avis de leurs services, c'est-à-dire de ne pas abaisser les recettes fiscales de 1999 au mois de février. On a gardé grosso modo le même chiffre de recettes fiscales -1 534 milliards de francs au lieu de 1 535 - alors que, vous vous en souvenez, au nom de ce fameux trou d'air dont Dominique Strauss-Kahn a parlé, nous avons révisé en baisse la perspective de croissance qui n'était plus de 2,7 % mais qui se trouvait dans une fourchette entre 2,1 et 2,5 %.

Pourquoi avons-nous été si conservateurs ? C'est parce que nous savions Dominique Strauss-Kahn et moi-même, que la prévision des impôts, y compris au mois de février, est un exercice très aléatoire. Argument technique ! Deuxièmement nous ne voyions pas de raison majeure de corriger des masses d'impôts qui avaient été votées par le Parlement. Argument politique !

Nous en sommes donc restés au chiffre qui était grosso modo inscrit dans la loi de finances.

Je me permettrai une remarque un peu taquine ! Au mois de février 1997, dans le cadre de cet exercice annuel, les recettes ont été révisées en baisse de 17 milliards de francs. Vous vous souvenez que cette révision a conduit à la fameuse note de la direction du budget du 9 avril 1997 qui a eu des conséquences certainement pas au Sénat mais peut-être davantage à l'Assemblée nationale. Voilà donc pour la deuxième décision !

La troisième décision s'est située au mois de juillet. C'est encore une décision, si je puis dire, interne au ministère des finances, car là il faut réestimer les recettes de l'année en cours pour bien caler la prévision de recettes pour l'année qui vient, c'est-à-dire pour l'année 2000. Comment a-t-on fait cet exercice ? A partir de deux informations : des informations publiques, les fameuses situations mensuelles, et des études faites par les services.

Je parle d'abord des situations mensuelles. On disposait à l'époque de la situation mensuelle que votre rapporteur et vous-mêmes avaient suivie avec un grand soin tout au long de cette année. Il s'agissait alors de la situation mensuelle de fin mai.

Je fais une simple remarque en passant : la publication des situations mensuelles remonte, sauf erreur, à novembre 1995. Avant cette date, tous les Gouvernements antérieurs ne risquaient pas d'avoir des problèmes de « cagnotte » puisqu'ils ne donnaient aucune information sur l'exécution budgétaire.

Revenons à cette situation de mai. Nous voyons que les recettes fiscales sont en forte hausse par rapport aux cinq mois correspondants de l'année 1998. C'est une augmentation absolue de 42 milliards de francs qui a fait faire un calcul simple à certains esprits mais dont aucun n'est dans cette commission. Ils ont dit « ...42 milliards de francs ! Ils ont multiplié par douze cinquièmes et ils ont dit que les impôts explosaient. »

L'accroissement absolu des impôts n'a pas de sens car la croissance, lorsque les barèmes ne changent pas, dégage des recettes fiscales supplémentaires. Ce qui compte, c'est la comparaison entre la progression des recettes fiscales durant les cinq premiers mois et la croissance des recettes fiscales prévues pour l'année. On voit effectivement pour les cinq premiers mois 1999 sur les cinq premiers mois 1998 une hausse de 7,4 % alors que la loi de finances est prévue pour l'ensemble de l'année 6 %.

Pourquoi ? Ce n'est pas la faute de la TVA qui est plutôt en retard ! Ce n'est pas la faute de l'impôt sur le revenu qui lui aussi est en dessous de son rythme annuel ! Cela vient entièrement de l'impôt sur le bénéfice des sociétés qui, cinq mois 1999 sur cinq mois 1998, est en hausse de 45 %. C'est évidemment beaucoup plus que le chiffre qui figurait dans la loi de finances : 7,9 %. Il y a là une énorme surprise ! Cela veut dire que les entreprises ont versé le solde de leur impôt sur le bénéfice de 1998 plus important que prévu, plus un acompte 1999. En effet les entreprises paient comme les particuliers par acomptes successifs plus importants que prévus.

Voilà les informations dont vous disposiez et dont nous disposions. Des études ont été faites par les mêmes services et ces études ont conduit à ce que le Budget propose une réévaluation des recettes de l'année en cours, année 1999, de 13 milliards de francs, et la direction de la prévision nous a proposé une réévaluation des recettes de l'année 1999 de 15 milliards de francs, tout en gardant une hypothèse de croissance qui restait une hypothèse faible, entre 2 et 2,1 %. Cela veut dire que au mois de juillet 1999, les meilleurs spécialistes, en tous cas les bons spécialistes du ministère, n'avaient pas prévu la très forte accélération de la conjoncture durant le deuxième semestre.

La proposition de réévaluer les recettes porte donc sur 13 ou sur 15 milliards. A ce moment là, Dominique Strauss-Kahn et moi-même suivons les services et nous vous proposons dans le document "Voies et moyens" annexé à la loi de finances pour 2000 une réévaluation des recettes de 1999. Je parle là de recettes fiscales nettes, parce que vous aimez les termes précis ! Cette réévaluation des recettes est alors en hausse de 11 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale et de 12 milliards par rapport à février. Voilà le chiffre qui vous a été communiqué.

Quatrième décision, nous arrivons au mois de novembre. Le 24 novembre, je présente au Conseil des Ministres le collectif, c'est-à-dire la loi de finances rectificative pour 1999. Selon la tradition qui, à ma connaissance, n'a pas été transgressée avant moi, les recettes ne sont corrigées que des changements de législation. C'est-à-dire qu'on tient compte de ce que, à partir du 15 septembre, la TVA, les frais de notaires diminuent et nous reprenons le chiffre des "Voies et moyens", les 1 546 milliards de francs, nous retirons 5 milliards de recettes : cela fait 1 541 milliards.

A l'époque, on dispose d'informations. La fameuse situation mensuelle de septembre que votre rapporteur a beaucoup commentée fait apparaître que les impôts progressent neuf mois sur neuf mois de 9,3 % à comparer aux 6,1 % de la loi de finances ainsi corrigée. La TVA va un peu plus vite et l'impôt sur le revenu va nettement vite mais cela tient en bonne partie au fait que l'on a transféré le droit de bail payé au mois d'octobre dans l'impôt sur le revenu payé au mois de septembre et que les services ont été performants pour le recouvrement de l'impôt.

Le problème qui se pose à ce moment-là, c'est toujours et encore l'impôt sur le bénéfice des sociétés qui est en hausse de 28 %, chiffre encore fort par rapport au chiffre révisé qui était de 18,5 %. Nous nous posons une question. Au mois de décembre, les entreprises paient un troisième acompte mais le solde, lui, est payé au mois d'avril lorsqu'on connaît les comptes complets des entreprises pour 1999. Est-ce qu'elles vont continuer sur leur élan de payer beaucoup d'acomptes ? Ou, estimant qu'elles ont payé des acomptes en 1999 calculés en fonction de 1998, -un peu comme les tiers provisionnels pour les particuliers- est-ce que, considérant que l'année 1999 a moins de croissance, l'on ne va pas corriger notre acompte du mois de décembre ?

C'est une question qui s'est posée et dont nous avons débattu. J'ai choisi la prudence, c'est-à-dire de ne pas risquer de se retrouver avec une prévision de recettes qui soit surestimée dans le collectif par rapport à la réalité. Je rappelle que cela s'est produit en 1996 : les impôts qui sont rentrés en exécution étaient de 19 milliards de francs inférieurs à ceux qui étaient dans le Collectif. Je ne parle pas de la loi de finances initiale. Voilà donc la quatrième décision.

La cinquième décision a été prise devant vous. Le 17 décembre -et là je vous donne une information confidentielle- le Directeur général de la Comptabilité Publique m'a téléphoné me disant que Renault vient de payer 6 milliards de francs d'impôts sur le bénéfice des sociétés, alors que Renault n'avait rien payé l'année antérieure. L'échéance était donc le 15 ! Je me suis dit que cette information confirmait que les rentrées d'impôt sur le bénéfice des sociétés vont être fortes et j'ai proposé en amendement en première lecture du collectif devant le Sénat un amendement de hausse de 11 milliards de francs des recettes fiscales nettes, amendement qui a été voté à l'unanimité.

Voilà la séquence des cinq décisions que le Gouvernement a prises. Le résultat ? C'est ce qui a été constaté en exécution : un chiffre que chacun connaît de 1 565 milliards de francs de recettes, en hausse de 13-14 milliards de francs par rapport au collectif et en hausse de 30-31 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale.

Je dirai encore quelques mots en conclusion de cet exposé qui a été assez précis mais assez rapide pour que nous ayons un vrai débat.

Comment apprécier ces cinq décisions du Gouvernement ? Personnellement, en tant qu'ancien secrétaire d'Etat et ancien ministre, je suis mal placé pour porter un jugement sur une année dont le profil a été particulièrement heurté et sur la difficulté de prévoir l'impôt sur le bénéfice des sociétés qui est un impôt particulièrement « fantasque ». On ne l'a pas vu qu'en 1999 mais sur l'ensemble des années écoulées.

Trois critères peuvent être utilisés.

Le premier c'est le critère du droit. C'est le Conseil Constitutionnel qui, en ce qui concerne ces deux décisions relatives aussi bien au collectif 1999 qu'à la loi de finances au cours 2000, a dit que les évaluations du Gouvernement n'étaient entachées d'aucune erreur manifeste. Voilà un premier critère de jugement.

Deuxième critère de jugement, l'Europe. Il est bien de voir ce que nous faisons chez nous mais il est bien aussi de le comparer à ce que font les autres.

Premièrement, j'insiste sur le fait que nous sommes parmi les seuls pays à publier les situations budgétaires mensuelles, aussi bien sur les recettes que sur les dépenses. Nous sommes parmi les rares pays qui fassions systématiquement des budgets rectificatifs en cours d'année. C'est dire qu'en matière de transparence, notre pays n'a de leçon à recevoir de personne, en tous cas d'aucun étranger. Quant à l'année 1999, je vous rappelle que les recettes fiscales en Allemagne ont dépassé de 1,2 % le chiffre prévu dans le budget initial. En Italie, elles l'ont dépassé de 1,7 % ; au Royaume-Uni, de 2 %. Le chiffre correspondant pour la France, je vous l'ai dit, c'est 2 % par rapport au budget initial et moins de 1 % par rapport au collectif.

Je crois que la prévision fiscale n'est pas une science exacte. Lorsque la conjoncture est particulièrement chahutée, dans le bon sens heureusement puisque nous avons une reprise très forte, l'ensemble des pays européens ou du moins ceux que j'ai cités ont connu des surplus de recettes fiscales dont ils n'ont pas fait un drame, loin de là.

Enfin, je veux parler de l'expérience française, en considérant les treize années écoulées depuis 1987. J'ai constaté des écarts souvent importants entre les impôts qui ont été encaissés et les impôts qui étaient retracés dans les collectifs, c'est-à-dire à un intervalle de quatre à cinq mois.

Ce qui est grave, c'est que le plus souvent les écarts étaient dans le mauvais sens. Ainsi, pour huit de ces treize années, les recettes fiscales encaissées ont été inférieures aux recettes fiscales qui figuraient dans le collectif budgétaire. Je peux citer un certain nombre de chiffres. 35 milliards de francs en 1991, 26 milliards en 1992, 19 milliards en 1996. -je suis, moi aussi, impartial ...- 17 milliards en 1990, 7 milliards en 1998, que j'assume. En 1998, il y a eu donc eu 7 milliards de francs de moins de recettes fiscales nettes que de recettes prévues au collectif.

Les cas inverses -que l'on pourrait appeler des cas de « cagnotte »- sont beaucoup plus rares. Il n'y en a eu que cinq cas sur treize d'excédent de recettes par rapport au collectif. Ainsi, 15 milliards de francs en 1993, 14 milliards en 1987 et en 1999, année dont nous parlons, et 13 milliards en 1990. J'en tire des conclusions assez modestes.

La première, c'est que la prévision des impôts n'est pas une science exacte. La deuxième, c'est que des écarts de 1 ou 2 % sont monnaie courante aussi bien en France qu'à l'étranger. La troisième c'est qu'il vaut mieux être prudent avec un risque d'avoir plus que prévu, plutôt que d'être téméraire et de recevoir un démenti cinglant, comme ce fut le cas en 1996 : il a manqué in fine 19 milliards de francs.

Voilà, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Messieurs les Rapporteurs, les faits que je voulais présenter devant vous en ce qui concerne les recettes fiscales de 1999. Je suis évidemment prêt à répondre à l'ensemble des questions que vous voudrez bien me poser.

M. le Président Je vous remercie, Monsieur le Ministre.

Notre commission ne s'est pas fixée pour objet d'instruire le procès d'une année d'exécution budgétaire. Vous le savez, le temps moyen du Sénat est de neuf ans, la durée d'un mandat. C'est sur les neuf ans qui viennent de s'écouler deux Présidents de la République ! C'est deux alternances ! C'est trois législatures ! C'est quatre Gouvernements ! C'est huit ministres de l'économie et de finances. Notre souhait est de connaître la manière dont s'élaborent et dont s'exécutent les lois de finances. Le témoignage vivant que vous venez de nous donner sur l'année 1999 va naturellement alimenter notre réflexion, comme les témoignages que nous avons entendus hier sur la période 1993-1995 nous ont apporté des informations et puisque la période 1995-1997 a également été couverte.

La parole est à M. le Rapporteur général.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général.. - J'ai été naturellement très intéressé par l'exposé technique, précis et factuel de M. Sautter. Je voudrais, dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête, lui poser quelques questions complémentaires.

Les anciens ministres que nous avons auditionnés et lui-même, il y a quelques instants, nous ont parlé des réunions d'arbitrage des recettes fiscales se tenant traditionnellement en février et en juin- juillet.

Monsieur le Ministre, quel est le formalisme de ces réunions ? Y a-t-il des comptes-rendus ? Y a-t-il des notes préparatoires des différents services ? Y a-t-il un processus de concertation préalable des services avant la réunion ? Y a-t-il des avis externes d'experts, de conjoncturistes, d'économistes ?

Pouvez-vous donc nous apporter des éléments concrets concernant le mode de préparation et de fonctionnement de ces réunions et également des indications sur leur formalisme ?

En second lieu, et au-delà de l'année 1999, comment les choses se sont-elles passées pendant votre période de gestion et pour ce qui est de la loi de finances initiale pour 2000 ? Quelles ont été les étapes de prévision des recettes ? Quelle a été l'interférence des réestimations de recettes 1999 dans le processus de préparation du volet recettes de la loi de finances initiale pour 2000 ?

En troisième lieu, compte tenu de la sensibilité de tous ces sujets et dans le cadre du fonctionnement de l'Exécutif, quelles ont été les étapes et les modalités des relations entre Bercy et Matignon sur ces sujets ? Est-ce que Matignon est intervenu dans le processus d'arbitrage du niveau de recettes ? Est-ce que Matignon est intervenu dans le processus de définition des marges de manoeuvre et de leur affectation à titre de scénarii alternatifs ou d'études préalables et avant que les propositions en la matière ne soient formalisées ?

Est-ce que M. le Ministre peut nous faire participer concrètement, s'agissant de la préparation des lois de finances initiales de 1999 et 2000 et des réestimations en cours de gestion 1999, à ces modalités relationnelles, normales au sein de l'appareil gouvernemental ?

Enfin, M. le Ministre a vécu à Bercy comme secrétaire d'Etat puis ministre, trois fins d'exercice, 1997, 1998, 1999. Compte tenu des passages relativement brefs dans ses fonctions, c'est une certaine continuité ! Peut-il nous expliquer concrètement comment se passent les choix en matière d'imputation d'un exercice sur un exercice ou sur un autre ? Quelles sont les marges de manoeuvre ? Comment les propositions sont-elles appréhendées par le ministre ? Qui en prend l'initiative ? Quel est le rôle des uns et des autres ? Qu'est-ce qui est arbitré ? A quelle date ?

Est-ce qu'il pourrait nous faire partager son expérience en ce qui concerne par exemple les recettes non fiscales, en ce qui concerne également les mouvements des comptes spéciaux du Trésor, en ce qui concerne la gestion des écritures de la période complémentaire ? Que peut-il nous dire sur ces questions de chevauchement d'exercices, d'arbitrages, d'imputation sur l'exercice N ou sur l'exercice N + 1 ?

M. le Président - La parole est à M. le Ministre.

M. Christian SAUTTER - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, je l'ai dit à propos de l'année 1999, mais c'est la procédure habituelle : il y a deux temps forts qui sont les réunions de février et de juillet.

Chacune de ces décisions sur l'estimation des recettes pour l'année en cours comme pour l'estimation des recettes pour l'année à venir -l'exercice est pour l'essentiel tourné vers la préparation de la loi de finances à venir- relève d'un travail préparatoire très poussé, fait par les services, qui remettent des notes tout à fait importantes. C'est un travail poussé et écrit auquel chaque service apporte sa contribution à un travail de synthèse. Quels sont-ils ? Ce sont la direction du budget, la direction de la prévision, la direction générale des impôts, la direction de la législation fiscale, la Direction générale de la Comptabilité Publique, la Direction générale des Douanes.

Une pré-synthèse est faite par les cabinets des ministres et, en fait, c'était un cabinet conjoint entre les ministres. In fine , le ministre des Finances et le secrétaire d'Etat prennent la décision.

Est-ce que l'on recourt à des avis extérieurs ? Sur les calculs des recettes fiscales, à ma connaissance non ! C'est un exercice d'une telle complication que déjà les spécialistes intérieurs ont quelques difficultés. Mais en ce qui concerne la croissance, je crois que c'est Dominique Strauss-Kahn qui a pris l'initiative de donner davantage d'importance à la commission des comptes de la nation, laquelle s'est réunie elle aussi deux fois par an et permet de réunir les différents prévisionnistes des instituts publics et privés.

Dans les décisions qui sont prises au mois de juillet, il y a donc prise en compte du consensus des économistes privés. Ces documents sont repris dans les travaux que mène votre commission sous l'autorité de M. Bourdin.

La deuxième question porte sur la loi de finances initiale pour 2000. Elle a suivi le calendrier habituel : les travaux ont commencé en février 1999, à partir d'hypothèses sur la croissance de 1999 et sur la croissance de 2000 et c'est au mois de juillet 1999 que nous avons arrêté le montant des recettes prévisibles pour l'année 2000. Ces chiffres n'ont pas changé, vous le savez, entre le mois de septembre et le 20 décembre, quand nous avons corrigé les chiffres de 1999. Le Gouvernement a alors décidé de faire un collectif de printemps qui est présenté aujourd'hui au Conseil des Ministres par mon successeur.

En ce qui concerne les relations entre Bercy et Matignon -je préférerais dire entre les Ministres des Finances et le Premier ministre- il y a une relation permanente y compris dans les domaines de la politique économique et budgétaire entre les cabinets. Je peux témoigner que ces relations ont été particulièrement confiantes pendant l'époque où j'étais soit secrétaire d'Etat soit ministre, ce qui n'a pas toujours été le cas dans un passé plus lointain. Le Premier ministre Lionel Jospin a institué un rendez-vous hebdomadaire avec les principaux ministres, y compris le ministre des finances. Ce rendez-vous hebdomadaire a permis, chaque fois que cela a été nécessaire, d'aborder les questions budgétaires. J'étais présent à ces rendez-vous hebdomadaires, lorsque Dominique Strauss-Kahn était ministre, quand des questions budgétaires étaient abordées.

J'ai parlé des recettes. Si vous le souhaitez, je peux aussi parler des dépenses mais j'ai senti que vous étiez plutôt concentrés sur les recettes. Je voudrais insister sur deux points.

Premièrement, c'est la collaboration très étroite, parce que le Premier ministre l'a voulu ainsi, entre l'équipe de Matignon et l'équipe de Bercy. C'est le fait aussi que le Gouvernement, de façon collégiale, a eu à se prononcer sur les grands choix budgétaires chaque fois qu'il fallait en faire, aussi bien du côté des dépenses que du côté des réformes fiscales.

Votre dernière question porte sur les gestions de fin d'exercice. A cet égard, une remarque de bon sens s'impose : la gestion de fin d'exercice est plus difficile lorsque l'on a surestimé les recettes fiscales que lorsqu'on les a sous-estimées. Une surestimation des recettes fiscales fait courir le risque de voir le déficit annoncé être beaucoup plus élevé que prévu. Il est normal que dans ce que l'on appelle la période de fin de gestion on cherche, comme le font les entreprises avec leurs provisions, à minimiser l'impact de l'incertitude sur les recettes fiscales sur le déficit qui sera annoncé.

J'ai eu la chance de ce que nous n'ayons pas -sauf en 1998 pour une somme assez modeste de 7 milliards de francs- surestimé les recettes fiscales par rapport au collectif.

Vous me parlez des recettes non fiscales. Je pense que c'est une bonne illustration de ce qui s'est passé. Comme nous avions des recettes fiscales plus fortes que prévues, nous avons sur les recettes non fiscales de 1999 prélevé 15,9 Milliards de francs de moins en 1999 que ce qui était prévu dans la loi de finances initiale.

Je vous ai parlé de l'année 1996. En 1996, il manquait 19 milliards de francs de recettes fiscales ! De façon naturelle, le ministre de l'époque, que je ne critique absolument pas, a pris 23,4 milliards de francs de recettes non fiscales supplémentaires.

Vous le voyez, il y a d'un côté un impôt qui est très difficile à prévoir : l'impôt sur le bénéfice des sociétés. Il connaît des coups d'accélération mais aussi, il ne faut pas l'oublier, des décélérations assez fortes qui sont très difficiles à prévoir jusqu'au dernier moment, jusqu'au moment où l'on a encaissé le dernier franc.

Il y a donc d'un côté un effet d'accélérateur pour l'impôt sur le bénéfice des sociétés et de l'autre un effet amortisseur, celui des recettes non fiscales qui peuvent être modulées dans le temps. Je vous ai souligné le contraste entre 1996 et 1999 ! Dans les deux cas, le Gouvernement a opéré de façon parfaitement logique et adéquate.

M. le Président - La parole est à M. Paul Loridant.

M. Paul LORIDANT - Monsieur le Ministre, ma question se recoupe en partie avec celle que vient de poser M. le Rapporteur général. A vrai dire, j'imagine volontiers que les dépenses sont relativement faciles à maîtriser puisqu'une décision brutale ou ferme d'un ministre, comme d'un maire d'ailleurs, peut bloquer ou ralentir les dépenses. La vraie question qui nous interpelle, c'est l'évaluation des recettes, c'est-à-dire, après tout, ce qui va déterminer le vote du Parlement sur l'impôt.

Nous sentons bien que des impôts sont très sensibles, avec des effets cumulatifs à la hausse ou des effets cumulatifs à la baisse très forts. Vous nous expliquez les difficultés des arbitrages mais pour nous la vraie question se formule ainsi : "Nous sommes le Parlement et nous voulons une évaluation des recettes la plus exacte possible, pour que nous puissions faire le vote de l'impôt en fonction des besoins de l'équilibre du budget ! » Pas plus mais pas moins ! La vraie bonne gestion en finances publiques, c'est l'équilibre ! Ce n'est ni l'excédent, ni le déficit.

A la fin de votre intervention, vous avez expliqué comment vous ajustiez vos recettes par les recettes non fiscales. J'avoue que cela me laisse perplexe. Le rapporteur du budget des comptes spéciaux du Trésor que je suis s'interroge alors sur notre rôle, puisque la pratique de la gestion du ministère -elle était apparemment antérieure à la vôtre- consiste à s'ajuster sur les recettes non fiscales.

Je formule autrement ma question. En supposant qu'un jour vous soyez parlementaire, vous serez confronté alors à l'évaluation des recettes. Selon vous, quelle technique et quels moyens un parlementaire, ou plutôt les commissaires de la commission des finances, auront-ils d'évaluer le plus exhaustivement les recettes ? Au-delà de ces réunions d'arbitrage, est-ce que finalement le ministre a les réels moyens d'évaluer les recettes puisqu'il est l'objet d'informations croisées et diverses. Est-ce que ses arbitrages ne relèvent pas par moments un peu du doigt mouillé ?

M. le Président - La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe ADNOT - Monsieur le Ministre, vous nous avez parlé de votre difficulté à apprécier l'impôt sur les sociétés et vous avez cité le cas de Renault qui, d'un seul coup, vous verse heureusement 7 milliards de francs d'impôts. Je dois vous avouer mon incrédulité.

Aujourd'hui, toutes les entreprises cotées publient des informations sur l'état de leurs finances, les prévisions d'excédents, etc. Je ne crois pas que votre ministère puisse se trouver devant la situation où Renault paie 7 milliards de francs d'impôts sans avoir été capable de le percevoir à l'avance.

Aujourd'hui, dans les réseaux Banque de France, la situation de toutes les entreprises est parfaitement connue. Les enquêtes de conjoncture sont mensuelles et on a des informations permanentes sur le sujet. Nous, nous avons passé des conventions avec la Banque de France pour aider les entreprises à faire des analyses prévisionnelles pour justement pouvoir piloter et anticiper sur la situation. Je vous assure que la Banque de France connaît aujourd'hui à l'avance les entreprises qui vont avoir des impôts à payer ou à ne pas payer.

Est-ce qu'il y a un manque de communication quelque part ? En tout cas, je ne crois pas aujourd'hui qu'avec l'ensemble des entreprises cotées vous ne puissiez pas prévoir les retours d'impôts sur les sociétés.

M. le Président - La parole est à M. Jean-Philippe Lachenaud.

M. Jean-Philippe LACHENAUD - Sortant de la « cagnotte », je souhaite évoquer un certain nombre de questions fondamentales et qui se reposent année après année.

Premièrement, est-ce que vous pensez possible d'améliorer les méthodes de prévision de la croissance ?

Deuxièmement, les modèles sur l'élasticité des recettes fiscales et de prévisions des recettes fiscales existent-ils ? Sont-ils perfectibles ou contradictoires ? Quel est votre sentiment à cet égard ?

Troisièmement, lorsque vous avez étudié des réformes fiscales, avez-vous eu des simulations ou des variantes bien précises établies par les services ? Est-ce que vous auriez pu, au lieu de les réserver au Gouvernement, les présenter de temps en temps au Parlement ?

Enfin, s'agissant de la fin de gestion, est-ce que l'ensemble des mesures est formalisé. Je reconnais que le pragmatisme est inévitable et tout exécutif a recours à des méthodes qui doivent rester encadrées. Certains évoquaient un code de « bonne conduite ». Est-ce que pour normaliser un peu cela il y a une formalisation du processus avec des rapports, des comités, des décisions ?

M. le Président - La parole est à M. François Trucy.

M François TRUCY - Ma première question concerne les outils de la prévision. Quand les ministres s'apprêtent à faire des propositions d'augmentation ou de modification d'un impôt ou de plusieurs impôts dans le sens ascendant, est-ce que les outils de la prévision qu'on leur donne quant aux résultats, c'est-à-dire la recette supplémentaire, leur paraissent assez précis ou insuffisamment précis ? Estiment-ils qu'il est possible les améliorer ?

Une question plus pragmatique peut aussi être posée sur les outils de la connaissance. La plupart des documents budgétaires publics sont indéchiffrables. Bleus, Verts ou Jaunes, peu importe ! Ils ne sont assortis, contrairement au moindre outil de l'informatique, d'aucun guide, d'aucune aide qui permette à cette connaissance de s'approfondir. Or si c'est l'affaire des parlementaires qui doivent voter, elle est aussi celle d'une multitude de gens.

Quelles sont d'après vous les possibilités d'améliorer cette communication dans sa pratique, au quotidien ?

M. le Président - La parole est M. André Vallet.

M. André VALLET - Monsieur le Ministre, vous vous êtes félicité tout à l'heure de la publication mensuelle des recettes et des dépenses et vous avez indiqué que nous étions le seul pays d'Europe à le faire.

Je me permets à ce propos une petite observation. Est-ce que vous considérez qu'il est facile de lire cet état mensuel ? Ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de le présenter de manière plus claire afin que les parlementaires, mais aussi le grand public, puissent mieux comprendre cet état qui reste pour certains, dont je suis, particulièrement obscur ?

Ma deuxième question concerne la prévision. M. Loridant a posé la question de savoir si un ministre peut véritablement apprécier les recettes à venir. J'ai cru comprendre au cours des précédentes auditions que les éléments nécessaires vous sont souvent fournis par l'INSEE. Est-ce que l'INSEE est la source suffisante ? Est-ce que, de votre point de vue, il faudrait la compléter par d'autres éléments d'appréciation ?

M. le Président - Avant de vous donner la parole, Monsieur le Ministre, je souhaite vous poser aussi une question. Nous souhaitons tous autour de cette table donner plus de sens au vote par le Parlement du budget de notre pays. N'y a-t-il pas un peu de fétichisme de la part des services de votre administration et parfois des ministres sans doute ? Un point m'a intrigué pour le budget 2000 ! Tout au long de la discussion budgétaire, le déficit n'a varié que de 73 millions de francs, alors que, apparemment, les informations qui vous parvenaient entre le communiqué de presse du 25 septembre et le 25 décembre pouvaient laisser penser qu'il y aurait vraisemblablement sur l'année 2000 quelques variations. Y a-t-il ou non un peu de fétichisme dans cette pratique des Finances ?

La parole est à M. le Ministre.

M. Christian SAUTTER - Je vais essayer de répondre brièvement à ces six ensembles de questions pertinentes en commençant par celles de M. Loridant.

Il est clair que l'Etat maîtrise les dépenses car c'est l'Etat qui dépense ! Je n'en ai pas parlé mais en 1999 une bonne partie de la réduction in fine du déficit est venue de ce que nous avons su passer avec les ministres dépensiers des contrats de gestion pour ajuster les dépenses au fait que la hausse des prix de l'année 1999 était moindre que prévue.

Du côté des recettes, il y a une vraie difficulté conceptuelle. Ce que vote le Parlement, c'est premièrement les barèmes des impôts et deuxièmement la masse d'ensemble des impôts. Entre les barèmes et la masse d'ensemble des impôts, il y a une inconnue : les assiettes des impôts, lesquelles ne dépendent ni du Parlement ni du Gouvernement mais de l'activité économique.

Il y donc là une vraie difficulté, et je pense que l'on n'arrivera jamais à la résoudre totalement, même si l'on fait progresser considérablement les outils de prévision. A fortiori , ce n'est pas une question de transparence. J'y insiste beaucoup car le Gouvernement auquel j'ai appartenu a été beaucoup plus transparent que ses prédécesseurs ! Mais il y aura toujours une imprécision de ½ %, 1 %, 1 ½ % sur cette masse d'ensemble des impôts tout simplement parce que l'on ne peut pas prévoir parfaitement l'assiette sur laquelle les barèmes porteront.

Alors, qu'est-ce que l'on peut faire ? Je voudrais vous recommander la méthode néerlandaise. Que font les Néerlandais ? Premièrement, ils votent un budget extrêmement prudent, encore plus prudent que celui que nous avons fait voter. Ils partent d'une hypothèse assez sûre et basse de croissance et ils calculent les recettes fiscales en se mettant du côté prudent de la marge d'erreur. Mais ils définissent et font voter une règle d'affectation des suppléments de recettes qui pourraient apparaître. Le Parlement français pourrait y réfléchir !

Il y aura toujours des suppléments de recettes et malheureusement aussi toujours des surestimations de recettes, ce qui a été plus fréquent dans le passé. La fiscalité n'est pas une science exacte. L'idée est donc d'affecter le plus par rapport aux recettes qui ont été votées par le Parlement. Je parle sous serment et je veux être prudent : je crois que les Néerlandais en mettent trois quarts au déficit et un quart à autre chose. Le système est assez compliqué. En tout cas, si vous votez une règle d'affectation des surplus de recettes fiscales, sachant qu'aux Pays-Bas ils se débrouillent pour qu'il y ait toujours un surplus de recettes fiscales, c'est un moyen, me semble-t-il, de progresser.

Monsieur Adnot pose une véritable question, celle des données individuelles d'entreprise. Dans un passé lointain, j'ai travaillé avec ce que l'on appelait à l'époque les centrales de bilan, c'est-à-dire des banques de données. La Banque de France et le Crédit National, à l'époque, avaient des données individuelles d'entreprise. Je suis d'accord pour reconnaître avec vous que nous utilisons trop peu ces informations qui existent sur les sociétés cotées, lesquelles ont en général des publications trimestrielles de résultats, plus souvent en termes de chiffre d'affaires qu'en termes de profits.

Si on demandait à un chef d'entreprise quel profit il va faire à l'été 2000, à mon avis il serait prudent, d'autant que grâce à la très grande subtilité de notre droit fiscal, entre le bénéfice économique que fait l'entreprise et le bénéfice imposable qui va être taxé, il y a plus qu'une nuance. Il y a des spécialistes dont l'avis consiste à faire en sorte que, partant d'un bénéfice économique, on arrive au bénéfice imposable le plus faible possible. Mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'à l'avenir, les centrales, les banques de données individuelles sur les grandes entreprises pourraient être utilisées davantage. Cette observation ne se limite pas à Bercy et le Parlement peut le faire aussi !

Monsieur Lachenaud me pose la question de la prévision de la croissance. Comme je l'ai fait rapidement, il faudrait refaire le film de l'année 1999. Tout le monde a été surpris, et heureusement surpris, par la vigueur du redémarrage de la croissance. Au deuxième semestre 1999, la croissance était avec une pente de 4 % et cela n'a pas été anticipé par les spécialistes de Bercy au mois de juillet, je vous l'ai dit. Cela n'a pas été non plus anticipé par le consensus des économistes privés. Là encore, dans les années qui sont un peu « chahutées » il y aura toujours une incertitude en matière de croissance. Là, heureusement, l'incertitude était dans le bon sens.

Votre deuxième question porte sur l'élasticité des recettes fiscales par rapport au produit intérieur brut. Elle paraît technique mais elle est complètement fondamentale. Lorsque j'ai été nommé  secrétaire d'Etat au budget, selon le coeur même de la note du 9 avril 1997, il m'a été indiqué que lorsque l'économie française croît de 1 %, les recettes fiscales croissent de 0,8 %. Il y a une sorte de fatalité qui fait que les recettes croissent moins vite que la croissance ! Or en 1999, en dehors de toutes les questions de périmètre de la fiscalité, nous avons constaté que nous sommes passés à l'inverse : les recettes fiscales, à barème inchangé, ont crû plus vite que la croissance. Il y donc là un énorme champ de travail et il faut y mettre non seulement les spécialistes de Bercy mais aussi faire travailler tous les économistes.

Vous me permettrez d'insister sur un point. Aux Etats-Unis -je ne suis pas choqué de les citer- des centaines d'universitaires travaillent sur les finances publiques. Des universitaires ont des modèles de calcul des recettes fiscales et ils font des études sur la fiscalité. Je l'ai dit très brièvement dans mon exposé introductif, la recherche universitaire porte trop peu sur les finances publiques et je suis sûr que le Sénat pourrait encourager les travaux en la matière.

C'est Raymond Barre qui, en 1978, a cassé le monopole de Bercy sur les études. Il a créé un certain nombre d'instituts mais il pourrait y avoir encore beaucoup plus de travaux universitaires qui vous rendraient considérablement service.

S'agissant des simulations pour préparer les mesures fiscales, un problème juridique se pose sur lequel je voudrais insister. Les études qui sont faites pour éclairer les décisions du pouvoir exécutif relèvent de l'exécutif. Evidemment une commission d'enquête a des droits particuliers. Mais je défends personnellement, comme ancien ministre, l'idée que le processus de préparation lié à la décision de proposer au Parlement telle ou telle mesure fiscale, est un processus interne à l'exécutif, sauf circonstances exceptionnelles, comme celle d'une commission d'enquête.

On ne peut pas tout faire ni dans la diplomatie ni dans l'économie dans une transparence complète. Il y a besoin de faire des simulations pour éclairer les ministres. Cela dit, rien n'empêche que vous fassiez vos propres simulations -vous le faites- et qu'il y ait un débat contradictoire sur ce point.

Vous avez évoqué un code de bonne conduite mais je n'ai pas bien compris votre question. Mon sentiment est qu'il n'y a pas eu de mauvaise conduite. Peut-être faut-il sur tel ou tel point améliorer les relations entre l'exécutif et le législatif, mais je crois vous avoir dit qu'en 1999, pas plus que les années antérieures ni pas moins, il y a eu un dialogue confiant. Par exemple, et je reviens à la question de M. Loridant, nous avons réduit la période complémentaire qui maintenant est d'un mois. Il y a quelque temps elle était beaucoup plus importante. A la demande du Sénat, nous avons réintégré des ressources fiscales qui étaient en dehors, notamment pour les services financiers et M. Angels peut en témoigner. Nous avons donc fait, pas parfaitement peut-être, un effort vers la transparence à l'égard du Parlement.

M. Trucy m'a interrogé sur les outils de prévision sur les mesures fiscales. Il faut distinguer les résultats qui sortent des outils et les outils eux-mêmes. Ces outils ne sont pas parfaits ! Entre les dispositifs votés par le Parlement qui sont d'une complexité extraordinaire, y compris pour les fiscalistes d'entreprise, et ceux qui manipulent des modèles mathématiques, il y a besoin de simplifier, de caricaturer pour faire des prévisions. A mon avis, ces outils sont parmi les moins performants de ceux dont on dispose. Evidemment, il est possible de prévoir l'impôt supplémentaire qu'entraînera un changement de barème de l'impôt sur le revenu mais pour bouleverser un impôt, par exemple son assiette, nul doute qu'il y aura quelqu'une difficulté.

Je prends l'exemple de la taxe professionnelle. Il était très difficile de prévoir de combien la suppression de la part emploi de la taxe professionnelle allait coûter effectivement à l'Etat.

Vous dites que les documents budgétaires sont illisibles et je respecte votre point de vue. Il est clair que tout le débat budgétaire -et là c'est une réflexion de fond que je fais maintenant comme citoyen- se fait dans un cadre de logique juridique. Cela est en effet normal puisque l'on change la loi et le travail se fait donc par amendement à des textes qui ont été amendés successivement.

Je crois qu'il y a un double besoin. Le premier besoin, c'est que de temps en temps on refasse les codes, c'est-à-dire que l'on reprenne toute la législation avec la stratification de ce qui a été fait. L'idée de code est importante. Actuellement ce sont pour beaucoup des entreprises privées qui font ce travail là et l'Etat pourrait le faire lui-même, poussé par le Parlement.

Deuxième besoin, il faut qu'à côté de cette logique juridique indispensable, il y ait une logique non pas économique mais une logique de coût et d'efficacité. Il faut que l'on sache combien coûte telle action publique, quel résultat elle doit atteindre. Cela permet de vérifier a posteriori si les résultats attendus sont effectivement atteints.

M. Vallet me dit que les situations mensuelles ne sont pas faciles à lire et cela est vrai. J'ai eu l'occasion, devant la commission des finances, avec Florence Parly, de dire que nous étions prêts -moi à l'époque, elle toujours- de venir chaque mois commenter avec vous ces situations mensuelles.

Il est un autre point important et sur lequel je n'ai rien dit jusqu'à présent. C'est que les impôts ne rentrent pas régulièrement. Les dépenses se font grosso modo à un rythme régulier sur l'année, parfois un peu plus à la fin, parfois un peu moins à la fin. Mais les impôts, eux, rentrent en dents de scie. Chaque fois qu'il y a un tiers prévisionnel, les recettes montent. Chaque fois qu'il y a un acompte sur l'impôt des sociétés, les recettes montent. Cela dépend aussi des jours ouvrables.

Il faudrait -mais c'est très difficile à faire- que l'on ait « un profil saisonnier » des rentrées d'impôts associé à la loi de finances. C'est très difficile à faire parce que cela dépend du jour où tombe le lundi de Pâques etc. Mais un tel profil permettrait de dire, par exemple, qu'on est en avance sur le plan de route des rentrées fiscales ! Actuellement on ne dispose pas d'un tel outil.

Je suis d'accord avec vous pour que les ministres, si la commission des finances le souhaite, viennent dire leur interprétation. Il est clair que maintenant cela n'a pas d'importance mais à partir de mai on peut commencer à avoir une discussion intéressante.

Le rôle de l'INSEE est important mais limité. L'INSEE fait des prévisions économiques à six mois qui, en général, sont de bonne qualité. Il tient les comptes nationaux. Par exemple, les fameux ratios maastrichiens sont calculés par l'INSEE. Mais l'essentiel des prévisions sur lesquelles nous travaillons, je l'ai dit, viennent de la direction du budget, de la direction de la prévision, de la direction générale des impôts.

Monsieur le Président Lambert, vous parlez de « fétichisme des services ». Je vous dirai d'abord que s'il y a fétichisme, c'est le fétichisme des ministres car, personnellement, je n'introduis pas de nuance entre ce que font les services et ce que j'ai fait en tant que ministre.

Il est vrai que dans le débat budgétaire nous avons une tendance à ne pas faire varier trop le déficit budgétaire qui, quoi qu'on en dise, reste une variable très forte du débat politique. Lorsque les parlementaires proposent des modifications du côté des recettes, plus rarement du côté des dépenses -cela peut se faire avec l'accord du Gouvernement- on essaie de faire en sorte que le déficit annoncé ne soit pas trop corrigé.

Est-ce qu'il y a un fétichisme du déficit ? Je ne sais pas. Je rappelle du moins qu'entre 1997 et 1999 j'ai contribué à ce que le déficit de l'ensemble des administrations ait été diminué de moitié, 3,5 % en 1997, c'est-à-dire 3 % plus la soulte de France Télécom qui, par parenthèse, n'était pas un miracle dans le domaine de la transparence et de l'orthodoxie budgétaire. Mais c'est une remarque tout à fait incidente. 3,5 % en 1997, 1,8 % en 1999 ! Je pense que le Gouvernement auquel j'ai participé et mon action personnelle ont bien préparé l'avenir de notre pays sur ce point particulier.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur le Ministre.

Mes chers collègues, je vous propose de suspendre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(Suspendue à onze heures cinq, la séance est reprise à onze heures dix.)

Séance du 26 avril 2000
La séance est reprise à 11 heures 10 sous la présidence de M. Alain Lambert
Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN,
Ancien Ministre

M. le Président.. L'ordre du jour appelle l'audition de M. Dominique Strauss-Kahn, ancien Ministre de l'Economie et des Finances.

Monsieur le Ministre, je vous souhaite, au nom de tous nos collègues, une très chaleureuse bienvenue au sein de notre commission. Nous avons conservé le souvenir de relations chaleureuses qui, au-delà de la vie publique, se sont nouées entre personnes et nous vous revoyons avec plaisir en notre sein.

Le Sénat a doté notre commission des prérogatives de commission d'enquête. L'objet de cette mission est d'informer notre commission sur le fonctionnement des services de l'Etat pour l'élaboration et l'exécution des lois de finances. Nous avons voulu éviter toute controverse juridique sur les droits de notre commission à recueillir telle ou telle information. Nous avons choisi une méthode pluraliste afin d'analyser le processus de fonctionnement de l'exécutif et de tirer tous les enseignements d'un dialogue qui reste toujours à parfaire entre le Gouvernement et le Parlement.

Notre commission d'enquête est composée pour son équipe de rapporteurs de manière pluraliste : outre le rapporteur général, Philippe Marini, nous y comptons Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, Paul Loridant et votre serviteur.

Je rappelle à la commission comme à la personnalité auditionnée que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de la commission et nous tenons en cet instant les travaux non publics. Je rappelle également conformément à la loi, qu'en cas de faux témoignage, la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du Code Pénal. Je rappelle ces dispositions parce que la loi m'oblige à les rappeler, Monsieur le Ministre. Je vais maintenant vous demander de prêter serment selon la formule également prévue par la loi, de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire "Je le jure".

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Je le jure.

M. le Président - Monsieur le Ministre, je vous propose, comme je l'ai proposé à vos prédécesseurs, qu'ils aient été ministre des finances ou du budget, M. Sarkozy et M. Lamassoure, M. Christian Sautter il y a un instant, après vous M. Jean Arthuis, de bien vouloir nous faire un exposé introductif puis de vous livrer aux questions de la commission, d'abord à celles du rapporteur général puis à celles de l'ensemble des commissaires.

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil. Cela me fait plaisir d'avoir trouvé une occasion de revenir au Sénat plus tôt que je ne le pensais. A vrai dire, je n'ai pas de déclaration liminaire à faire. Je crois avoir compris que le Sénat souhaitait enquêter sur dix ans de procédure budgétaire et sur les améliorations qui pouvaient y être apportées.

Cette question vaudrait tout un traité de finances publiques ! Il vous assommerait sans doute d'entendre mes réflexions personnelles sans qu'elles ne soient obligatoirement directement liées à votre propre travail. Il me paraît donc mieux que je réponde à vos questions, quitte à faire des développements sur tel ou tel point.

M. le Président - La parole à M. le rapporteur général.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général - Monsieur le Ministre, comme l'a dit notre Président, notre commission dans cette formation de commission d'enquête veut essentiellement s'efforcer de comprendre des mécanismes et un système d'information. Elle veut d'abord essayer de comprendre le système d'information interne au ministère de l'économie et des finances avant de se poser la question de savoir sur quelles informations du Parlement et du public, ce système d'informations interne doit déboucher.

Il y a quelques instants, nous avons entendu Christian Sautter et je serais tenté de poser à Dominique Strauss-Kahn des questions presque identiques à celles que je lui posais.

Christian Sautter avait axé son exposé sur la prévision et le suivi des recettes sachant que c'était l'un de nos centres d'intérêt essentiel pour la gestion 1999. Nous y avons ajouté les stades de prévision des recettes pour la loi de finances initiale de 2000. Nous avons noté avec intérêt plusieurs points qui vont nous servir de point de départ. Les ministres successifs, et Christian Sautter en particulier, ont confirmé l'existence d'un comité, que j'appellerai pour simplifier, d'arbitrage des recettes fiscales, synthétisant les avis, les prévisions des différentes directions du ministère de l'économie et des finances, comité qui se réunit en début d'année, en février dans un premier temps et dans un second temps à la mi-année, en juin-juillet.

Le dernier Ministre de l'Economie et des Finances nous a indiqué qu'en juillet 1999 il avait été procédé selon cette méthode habituelle à la réestimation des recettes de l'exercice pour les besoins du suivi de l'exercice mais aussi pour les besoins d'un bon calage des prévisions de l'année N+1. Il nous indiquait que le comité d'arbitrage des recettes fiscales réuni en juillet 1999 avait pris connaissance d'un côté d'une très bonne dynamique des recettes fiscales sur les cinq premiers mois de l'exercice, soit une hausse de 7,4 % par rapport à la même période de 1998, et, à l'intérieur de cette hausse, une dynamique encore plus forte de l'impôt sur les sociétés-+ 45 %, nous disait-il, de rendement de l'impôt sur les sociétés- sur les cinq premiers mois de 1999 par rapport aux cinq premiers mois de 1998.

A la suite de cela et sachant que le comité en question a débouché sur une réestimation prudente des recettes fiscales, conforme aux propositions des services de l'administration qui ont ainsi été validées par le ministre, je voudrais poser en premier lieu deux questions de fond à M. Strauss-Kahn.

Les indications dont il était donc saisi en juillet 1999 ne conduisaient-elles pas à se poser sérieusement des questions d'analyse économique. Est-ce que les chiffres dont il était saisi ne conduisaient pas en toute logique à vouloir diversifier les avis et les modes d'évaluation ?

Certaines incohérences pouvaient apparaître à partir, d'un côté de la dynamique de l'impôt sur les sociétés, de l'autre des données d'ensemble et de la réestimation timide qui était proposée par les services. Est-ce qu'à partir de cet exemple particulier, M.Strauss-Kahn peut nous livrer ses souvenirs et ses réflexions sur l'utilité de diversifier les moyens de prévision économique de l'Etat ? Est-ce qu'il estime avoir disposé à ce moment-là de tout l'arsenal d'informations et de moyens qui eut été nécessaire dans le respect du pluralisme des prévisions pour définir le bon arbitrage, la bonne décision politique au plan macro-budgétaire et macro-économique ?

A partir de ce noeud, au moins dans le système d'information qui a bien eu lieu au mois de juillet 1999, peut-il nous faire part de ses réflexions ?

Ensuite, nous avons observé dans le déroulement du temps, d'après l'intervention de Christian Sautter, que rien ne semble s'être produit au moins dans le système décisionnel entre juillet et novembre, entre ce comité d'arbitrage de juillet et la date du 24 novembre 1999, date de présentation du collectif budgétaire. A ce moment-là en effet, un certain recalage a été fait -ce point nous a été confirmé- sur la base de la situation mensuelle de septembre dont le résultat cumulé en termes de recettes fiscales faisait apparaître une hausse de 9,3 % par rapport à la période de l'année précédente.

A ce stade, ma question est la suivante. Dans l'intervalle entre juillet et novembre, des situations mensuelles sont tombées, les unes après les autres. Est-ce que le ministre, son directeur de cabinet, ses proches collaborateurs reçoivent, avec ces situations mensuelles, des commentaires ? Est-ce que c'est la situation brute ? Est-ce que cette situation est assortie d'éléments d'analyse comptable et surtout d'analyse économique ? Comment cette information est-elle traitée de manière à être vraiment utilisée de façon efficace par le décideur politique ?

En troisième lieu, j'ai une question qui est issue des considérations du rapport de MM Bonnet et Nasse, qui date d'un certain temps déjà puisque c'est un rapport de 1997, que vous avez reçu à votre prise de fonction. Il y était question -et là encore, je parle de système d'information- d'une liste des dépenses et économies supplémentaires établie régulièrement par la direction du budget, en tout cas en cours de gestion. Comment cela fonctionne-t-il effectivement dans le suivi de l'exécution de la loi de finances ? Y a-t-il des rendez-vous pour traiter les préconisations de cette note ? Y a-t-il une certaine formalisation ? Est-ce qu'il y a des documents sur lesquels, pour la période que nous examinons, notre commission serait susceptible de s'appuyer ?

Enfin, Monsieur le Ministre, s'agissant des fins d'exercice et des décisions d'imputation qu'il faut nécessairement prendre au niveau de l'Etat, comme au niveau des collectivités locales, comme au niveau de toute entreprise, il y a toujours une période délicate où l'on doit prendre la décision de ce qui est imputé sur l'exercice qui se termine ou de ce qui sera différé à l'exercice qui va s'ouvrir. Nous le comprenons fort bien ! Cela est inévitable et il en va ainsi dans toute gestion. Mais est-ce qu'il y a, en ce qui concerne les finances de l'Etat, une certaine formalisation de cette approche ? Est-ce que des préconisations sont faites par la direction de la comptabilité publique, par la direction du budget, par la direction générale des impôts ou par d'autres services de l'administration le cas échéant ? Est-ce qu'il y a des préconisations ? Est-ce qu'il y a des arbitrages ? Est-ce que l'on confronte ces préconisations ? Est-ce qu'il y a des comptes rendus ? En d'autres termes, est-ce qu'il y a des procédures régulières, récurrentes qui puissent nous servir de guide pour la connaissance de ce sujet ?

M. le Président - La parole est à Monsieur le Ministre.

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vais essayer de répondre aussi précisément que possible à ces interrogations.

La première se centre sur une décision, chaque année très lourde de conséquences, celle du comité d'arbitrage de juillet qui, en effet, est amenée à définir les bases de la loi de finances pour l'année suivante avec une information sur l'année en cours qui ne vaut que pour les cinq premiers mois grosso modo puisqu'au début juillet nous avons l'information jusqu'à fin mai. C'est très important parce que cela définit l'effet de base des recettes fiscales de l'année à venir et une erreur sur l'effet de base peut avoir beaucoup de conséquences.

Votre question, Monsieur le Rapporteur général, porte sur le point de savoir si à ce moment j'ai eu le sentiment que je disposais suffisamment d'informations d'analyse économique sur la situation. C'est bien le problème de l'année 1999, même si cette question vaut sans doute aussi pour mes prédécesseurs puisque vous vous situez sur dix ans.

L'année 1999 est à ma connaissance la plus chahutée de la décennie et sans doute davantage en termes de profil macro-économique. Rappelez-vous ! A la fin de l'année 1998, le Gouvernement ayant prévu 2,7 % de croissance pour 1999, peu nombreux étaient ceux qui y croyaient. Je ne leur jette pas la pierre car beaucoup d'indications de ce moment-là semblaient montrer que nous allions, au contraire, entrer dans une période de croissance faible.

Je relisais de bons auteurs, dont le rapporteur général qui, lui-même, dans son rapport lors de l'examen de la loi de finances 1999, page 84, évoquait, comme d'autres d'ailleurs, que le Gouvernement avait sans doute surestimé la croissance.

Je crois même l'avoir noté. En effet, vous disiez : "Vos prévisions de recettes n'ont aucune chance de se réaliser. Vous avez pris un risque inconsidéré". Mais c'est la qualité de nos débats qui permet justement d'essayer de sortir la justice ! Bref, tout le monde donc avait plutôt tendance à considérer que l'on n'y arriverait pas. Pour ma part, je n'en tire pas de gloire particulière et cela aurait pu être exactement l'inverse : tout le monde aurait pu avoir raison et moi tort. Il se trouve, vous vous en souvenez sans doute aussi, que j'étais probablement un des rares et en tous cas un des seuls au niveau des responsables politiques à prétendre que, même si on ne peut pas trop savoir à 0,1 % près, la croissance de 1999 serait bien celle que nous avions inscrite dans les chiffres.

Mais il est vrai que le début de l'année ne m'a pas donné raison. Au début de l'année, nous étions sur un rythme de croissance de l'ordre de 2 %, ce qui d'ailleurs était conforme à ce que le Directeur Général de l'INSEE était venu me dire vers le mois de décembre, en me tenant à peu près ce propos : "Monsieur le Ministre, vous ne pouvez pas tenir. Sur votre prévision de 2,7 nous allons faire 2 % de croissance en 1999. M. le Directeur de l'INSEE est à mon avis un des meilleurs économistes de ce pays et il m'avait dit cela sur la base d'informations dont il disposait. Je ne l'ai pas cru !

Je ne l'ai pas cru, non pas par volontarisme, Monsieur le Rapporteur général, mais parce que l'analyse économique n'est pas une science à ce point exacte que chacun ne puisse se prévaloir de sa propre expérience. Pour un ensemble de raisons dans lesquelles je peux rentrer mais qui vous lasseraient, j'avais le sentiment que nous aurions en 1999 une bonne année, à 0,1 ou 0,2 % près. Je ne l'ai pas cru mais je l'ai quand même un peu cru ... Et donc au mois de mars, j'ai été amené à réviser notre prévision de croissance un peu à la baisse. Vous vous rappelez, j'ai dit 2,3-2,5 C'était une fourchette ! Il faut dire que la pression des services était forte ! Je citais le directeur de l'INSEE tout à l'heure mais c'est vrai aussi pour la direction de la prévision et pour d'autres encore. Cette pression était telle qu'au bout d'un moment on finit par se dire que l'on doit quand même avoir tort à être seul à prétendre des choses de ce genre.

J'avais le sentiment néanmoins qu'on serait bien au-dessus de 2 % et je disais 2,3-2,5. C'est là que j'ai lancé l'idée qu'en fait l'on sortirait assez vite du creux du premier semestre -« un trou d'air », expression qui a fait fortune- et plus vite que ne me le disaient mes services, qu'il s'agisse de la Prévision ou qu'il s'agisse de l'INSEE.

En effet, on en est sorti mais, pour autant, dans les budgets économiques qui ont été travaillés pendant les premiers mois de l'hiver 1999 on était toujours sur une prévision de 2 %. C'est donc en péchant par optimisme sur la croissance et donc sur les recettes qu'en mars je dis 2,3-2,5.

Finalement on sort « du trou d'air » assez rapidement, comme je « l'anticipais ». Mettons cela sur la chance et pas sur la science, ce qui est très différent. Non seulement on sort du trou d'air plus vite que prévu, mais on s'apercevra dans les derniers mois de l'année, qu'on est sur une accélération que je n'avais pas anticipée, je dois le reconnaître : les derniers mois de l'année font apparaître des taux de croissance de l'ordre de 4 %. Cela fait qu'au total, on finira par retrouver -c'est un hasard arithmétique- le 2,7 qui avait été prévu. Le chiffre aurait pu être un peu en dessous ou un peu en dessus.

Bien sûr, la réponse à votre question est oui. Bien sûr que début juillet, quand il s'agit de préparer la loi de finances pour 2000, l'incertitude économique est grande. Je parlerai de l'incertitude fiscale après. Les opérations de prévisions lourdes menées par l'appareil de l'Etat sont faites de loin en loin et la dernière est toujours à 2 %. On voit bien qu'à ce moment-là on n'est plus à 2 %, au travers des indicateurs dont on peut disposer, etc. De là à prévoir que l'on va accélérer suffisamment pour finir l'année à 4 %, il y a une marge que pour ma part, je n'ai pas voulu franchir. J'étais moins extrême que la plupart des économistes et des conjoncturistes quand ils voyaient une baisse dramatique et j'étais moins extrême que ne l'a été la réalité quand on constate quels ont été finalement les chiffres en fin d'année.

L'outil dont on dispose n'est pas mal adapté. La direction de la prévision, l'INSEE, chacun pour ce qui les concerne, font leur travail. Le consensus des économistes de place -que je réunissais en général comme mes prédécesseurs et qui comprend des économistes d'entreprises, l'association des universitaires entre autres- finit par essayer de sortir une sorte de moyenne qui vaut ce qu'elle vaut, comme toutes les moyennes. On l'appelle « le consensus » alors qu'en réalité il n'y a pas de consensus puisque chacun est sur des chiffres un peu différents. C'est plus une moyenne des consensus ! Mais quand même la discussion fait un peu converger les opinions et c'est sur ce consensus que l'on se base.

De la croissance aux recettes, il y a encore un pas dans l'incertitude car l'élasticité des recettes fiscales à la croissance n'est pas de 1. Non seulement elle n'est pas de 1 mais elle est même fluctuante. Lorsque vous avez une année donnée une croissance qui est de 1 % supérieure à ce qui était prévu, cela ne veut pas dire que vos recettes vont progresser de la même manière, pour des raisons très évidentes et pour d'autres qui le sont moins.

Parmi les raisons très évidentes, c'est qu'il y a des recettes qui sont indexées sur l'année passée. Celles-là de toute façon ne dépendent pas de ce qui se passe aujourd'hui. A l'inverse, il y a des recettes qui sont directement indexées sur l'année en cours, la TVA par exemple. Mais selon la composition de la croissance en termes de consommation, d'investissement, d'export, les conséquences sur la TVA elle-même sont variables. Au total, le passage d'une estimation de croissance, aussi hasardeuse soit-elle, à une estimation de recettes est encore plus difficile à faire. Si bien que cette année 1999, qui a quand même été particulièrement chahutée en termes de rythme de croissance, ne pouvait pas ne pas l'être en termes de prévision de recettes.

Vous rappeliez, Monsieur le Rapporteur général, les chiffres tout à l'heure et je les avais moi-même notés parce qu'ils sont extrêmement frappants. Lorsque nous sommes à la réunion de juillet avec les informations à fin mai sur les cinq premiers mois, la croissance constatée des recettes est de 7 ! Vous avez dit 7,2 et moi j'avais 7,6. Peut-être ai-je mal recopié mais peu importe !

M. Philippe MARINI, Rapporteur général - J'avais dit 7,4. !

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Cela n'a pas beaucoup d'importance. ! La croissance constatée des recettes est alors de 7 -j'ai noté 7,6- alors que la prévision sur le cheminement annuel était de 5,7 mais on voit que l'on est en dessous de ce que l'on avait prévu en matière de TVA, ce qui est normal puisque la croissance du premier semestre a été plus faible. On est en dessous à ce moment-là en matière d'impôt sur le revenu -après cela changera- et on est formidablement au-dessus en terme d'IS, c'est-à-dire 45 % au-dessus de la prévision. En effet, l'année 1998 a été encore plus formidable pour les bénéfices des entreprises que l'on ne l'a anticipé quand on a préparé le budget 1999.

Un problème de fond nous a d'ailleurs opposé dans des joutes que nous avons l'occasion d'avoir les uns les autres : c'est de savoir si on peut linéariser. Peut-on dire que puisque sur cinq mois l'augmentation a été de 45 %, cela fera sur l'année 12/5 ème de 45 %, soit 110 % d'augmentation ? Je le dis de façon un peu caricaturale. Mais selon que l'on peut plus ou moins extrapoler, évidemment on tire des conséquences sur la fin de l'année ou on n'en tire pas.

En matière d'IS, il est très compliqué d'extrapoler, disent les spécialistes. Sans doute Christian Sautter s'est-il étendu sur ce point et je ne veux pas vous lasser. Simplement, les entreprises ont la possibilité de réviser leur dernier acompte et par conséquent, selon leur propre anticipation de l'impôt sur les sociétés qu'elles vont payer l'année suivante, si elles pensent que finalement l'année suivante elles n'en auront pas trop à payer et qu'elles en trop cette année, elles peuvent en reporter une partie. La conséquence de tout cela, c'est que la prévision sur l'IS est sans doute la prévision la plus difficile, disent les fonctionnaires de la direction des impôts.

Qu'a-t-il été dit à l'époque ? « La rentrée de l'IS est formidable mais rien ne dit qu'il en ira ainsi jusqu'à la fin de l'année ... » Certains défendaient l'idée que dans le dernier acompte de l'IS, celui de décembre, les entreprises, plutôt que de se saigner pour payer l'impôt en 1999 sur des bénéfices 1998 si importants, comme sans doute elles auraient fait des bénéfices 1999 moins importants, reporteront une partie de l'impôt à payer sur 2000. Vous vous rappelez qu'à ce moment-là l'hypothèse de croissance n'était pas trop forte ! Dans ces conditions, pensait-on, la rentrée de fin 1999 ne serait pas en ligne avec ce que l'on a connu en début d'année et donc une simple extrapolation n'apparaissait pas possible.

La révision qui est faite est une révision des recettes de 13 milliards -on est alors en juillet- alors que le constat que nous avons est de 10,8. On est prudent, c'est le moins que l'on puisse dire, et ce principalement parce que l'évolution des autres impôts a tendance à se compenser : un peu plus de TIPP, un peu moins de TVA, un peu moins d'IR ... Mais on sait bien prévoir pour l'IR et, nous dit-on, la faiblesse de rentrée d'IR sera compensée par les mois qui suivent. L'ensemble s'équilibre donc à peu près ! Puis il y a la grande incertitude de l'impôt sur les sociétés ! Il faut donc réévaluer mais « sans doute pas trop » avec toujours cette idée, que je crois raisonnable : quitte à se tromper, il vaut mieux se tromper dans ce sens-là que dans l'autre. En effet, dans une incertitude de cette nature, il faut certes réévaluer -et on avait les éléments pour dire qu'il fallait réévaluer- mais il ne faut pas « over-shooter » , comme disent les Anglo-Saxons, car on se mettrait dans une situation plus difficile encore.

Je termine ainsi ma réponse à votre première question, malheureusement en ne faisant pas beaucoup progresser le débat. Il est clair que si nous avions eu des instruments de prévision économique nous permettant de penser que la fin de l'année se passerait sur un rythme de croissance de 4 %, nous aurions sans doute eu une appréciation différente de 2000 et peut-être pas tellement de 1999, année qui finalement finit bien à 2,7. Le collectif que le Gouvernement se prépare à faire discuter aurait peut-être été moins nécessaire car dans l'appréciation de l'année 2000 on aurait pu tenir compte du fait que l'année 1999 paraissait finalement en fin d'année beaucoup plus dynamique qu'on ne le pensait.

Est-ce que ces instruments existent ? Je ne le crois pas trop ! Ou plutôt je crois qu'ils sont peu scientifiques et qu'ils relèvent de la connaissance que chacun a de l'économie française. Je crois qu'il n'est pas mauvais que le ministre de l'économie qui est en charge de cette responsabilité au nom de la collectivité nationale prenne ses risques en donnant sa propre appréciation de ce qu'il croit être l'évolution de l'économie. Je l'ai fait fin 1998 ! Je m'en réjouis puisque finalement la réalité s'est plutôt conformée à ce que je prévoyais. Mais j'aurais pu me tromper et il aurait été légitime à ce moment-là de me le reprocher.

Je ne pense pas que nous puissions avoir des ministres qui n'aient d'autres fonctions que de répéter en public ce que les services leur écrivent sur les papiers.

J'en viens à votre deuxième question. Il ne s'est rien produit entre juillet et novembre. Dans l'intervalle, il est vrai que les situations mensuelles tombent régulièrement et d'ailleurs elles sont formidablement proches et similaires d'allure pendant l'année. On voit bien que la seule chose qui décroche, c'est l'impôt sur les sociétés et cela régulièrement.

Est-ce qu'il y a des commentaires ? Oui, des commentaires sont faits par les services qui produisent ces situations mensuelles. Ils expliquent et commentent les graphiques qui sont fournis, graphiques assez explicites. On voit bien donc que l'impôt sur les sociétés commence à décrocher et continue à décrocher progressivement.

Cela dit, avec le recul, il faut voir -et c'est sans doute l'exercice le plus difficile à faire aujourd'hui, bien que cela ne soit pas tellement lointain- que même en septembre 1999 nous sommes sur une prévision de croissance de 2,3 %. On n'est plus sur le 2 % ! J'avais annoncé une fourchette de 2,3-2,5. En septembre, on se dit le 2,3 est acquis. On fera peut-être mieux mais le 2,3 est acquis. C'est tellement vrai que, dans la notification que la France doit faire à Bruxelles en septembre, nous notifions 2,3. On se dit bien qu'on ne sera pas en dessous. On est loin de penser que les mois qui sont devant vont permettre de rattraper à ce point et on passera finalement à 2,7 en moyenne.

Il est vrai que la période de juillet à novembre ne donne pas lieu à une excitation intellectuelle particulière mais ce n'est que vers fin octobre, novembre et décembre que l'on s'aperçoit avec les statistiques qui tombent que la fin de l'année est si brillante.

Il y a un autre élément sur lequel sans doute Christian Sautter a insisté. La tradition -qu'il faut peut-être changer d'ailleurs- est que le chiffre qui est inscrit dans les « Voies et moyens » de la loi de finances initiale est arrêté par cette réunion d'arbitrage de début juillet, chaque année, et il n'est jamais changé. Il n'y a pas d'exemple ! Faut-il changer la pratique ? Peut-être.

Rappelez-vous, le fameux 2,7 de croissance de 1999 avait été prévu à l'origine à 2,8 et c'est pendant l'été, fin août 1998, avant que le texte ne soit déposé à l'Assemblée Nationale, que je ramène ce 2,8 à 2,7, sur une appréciation. Mais sans pour autant changer les recettes fiscales parce que, me dit-on et je crois que c'est effectivement légitime, faute de quoi on pourrait alors les réajuster toutes les cinq minutes pendant toute la procédure budgétaire. Plus personne n'y comprendrait rien.

Est-ce que l'on doit essayer de retarder la date à laquelle on gèle les recettes fiscales de l'année N+1 ? . Peut-être ! Evidemment plus c'est tard, mieux on est informé, mais les délais en partant de la fin de dépôt des textes -devant le Conseil d'Etat, entre autres- rendent l'opération extrêmement délicate. Le premier Gouvernement de Lionel Jospin a essayé de faire en sorte qu'on raccourcisse d'un mois la préparation des dépenses.

Traditionnellement les lettres-plafond partaient plutôt fin juillet et certaines années elles étaient même parties début août. On a essayé de faire en sorte de gagner un mois. Mais pour les recettes, on a évidemment tendance à attendre le plus tard possible pour avoir de l'information ! Mais « le plus tard possible » ce n'est pas si tard de toute façon, à cause des délais légaux : le 2 octobre, démarrage à l'Assemblée Nationale, au Conseil des Ministres, deux semaines avant, au Conseil d'Etat trois semaines avant s'il n'y a pas d'ennui .... En remontant ainsi dans le temps, on arrive assez rapidement à début août. Nos amis et parfois collègues du Conseil d'Etat siégeant rarement la première quinzaine d'août, et en tout cas pas pour la loi de finances, les délais sont très contraints. On peut essayer de gagner quinze jours mais cela ne changera pas fondamentalement l'information dont on peut disposer.

Vous avez évoqué le rapport Bonnet et Nasse ! La direction du budget propose tous les jours des listes d'économies supplémentaires à faire. Fort heureusement, le ministre ne les voit pas arriver tous les jours et les filtres successifs lui évitent qu'elles viennent encombrer son bureau. Mais c'est la fonction de la direction du budget et c'est même un peu aussi sa constitution. Heureusement d'ailleurs ! Si j'avais eu un directeur du budget ou des sous-directeurs qui me proposent des dépenses plutôt que des économies, j'aurais pu leur dire que j'avais pas besoin d'eux pour cela ! Je n'aurais pas été jusqu'à dire que pour cela, j'ai les parlementaires ... (Sourires.)

La fonction du directeur du budget et de ses services, c'est de proposer des économies. Comme de toute façon, en cours d'année on dérape toujours un peu, on rattrape comme on peut. Dans certains gouvernements on a mis en place des gels ou on a essayé de mettre en place un système un peu plus sophistiqué que le gel avec les contrats de gestion. De toute façon, la tendance est toujours plutôt à déraper. Il y a toujours en dépenses des imprévus qui n'ont pas été budgétés, vous le savez parfaitement. En tout cas, des listes d'économies, il en vient tout le temps.

Votre question était plus précise : "Est-ce qu'il y a une formalisation ?" A ma connaissance, non. Mais je vais répondre plus précisément : en tant que ministre de l'économies et des finances, je n'ai pas assisté à des réunions formelles sur des listes d'économies sauf pour la préparation du Budget N+1. En revanche, au niveau du cabinet, sans doute ! Des informations ont été données, quand on a mis en place les contrats de gestion pour justement essayer de contraindre un peu la dépense. J'ai vu globalement comment cela se répartissait entre les ministères, quels étaient les postes touchés etc. Mais je ne sais pas si se sont tenues des réunions aussi formelles que celles des réunions d'arbitrage dont on parlait tout à l'heure.

La fin d'exercice est très compliquée. Vous vous en doutez bien et vous le voyez d'ailleurs parce que l'information tombe vraiment en toute fin d'année. S'agissant justement des informations sur l'impôt sur les sociétés, c'est vers le 20 décembre 1999 qu'il est apparu que les rentrées étaient encore supérieures à ce que l'on croyait. Telle ou telle grosse entreprise signalait qu'elle allait faire un chèque de je ne sais combien de milliards alors qu'on ne l'attendait pas. Je vois sur vos lèvres se former le nom de l'entreprise.

Mais ce sont là vraiment les tous derniers jours. Je ne sais pas le détail de la fin 1999 puisqu'il ne vous a pas échappé que j'y ai modérément participé, mais je sais comment cela s'est passé pour les années précédentes : c'est dans les tous derniers jours que les décisions doivent être prises. Du coup, soyons clair, elles ne sont pas prises selon un formalisme aussi appuyé que d'autres décisions, tout simplement parce qu'il faut dans l'urgence décider d'affectations, notamment de la perception ou non de recettes non fiscales. L'opération se passe dans une dizaine de jours que généralement on consacre plus volontiers à la trêve des confiseurs !

C'est un exercice qui est inévitablement très difficile. Evidemment, la journée complémentaire facilite cette procédure. Je n'aurai pas l'outrecuidance de donner des conseils à votre commission mais si je suis interrogé c'est un peu aussi pour donner mon avis : il me semble qu'il y a là une réflexion à conduire. Comment peut-on faire pour l'arrêté des comptes en quelque sorte ?

Ce n'est pas l'arrêté des comptes qui est compliqué ! Il existe dans toutes les structures ! Mais cela se passe à un moment où les recettes fiscales remontent formidablement en fin d'année et où le déficit que l'on voit se creuser pendant toute l'année rebaisse dans les tous derniers jours. L'appréciation de ce mouvement de fin de course est très délicate et donne donc lieu à des décisions qui, inévitablement, sont prises très rapidement.

Pardonnez-moi, Monsieur le Président, d'avoir été long.

M. le Président - Je vous remercie, Monsieur le Ministre. Je vais donner la parole à nos collègues et je vous invite à répondre aux différentes questions globalement, selon la tradition.

La parole est à M.François Trucy.

M. François TRUCY - Monsieur le Ministre, je formulerai deux questions et une réflexion.

Ma première question porte sur l'exercice du pouvoir à Bercy. Vous êtes un homme qui nous a toujours habitués à ne pas manier la langue de bois. Nous savons qu'il y a ministre et ministre, avec des poids spécifiques différents. Le ministre rencontre-t-il des difficultés auprès de ses collaborateurs de haut niveau à connaître les vrais chiffres et toutes les informations dont il a besoin, sincères, complètes, véritables. En langage clair, parvient-il à se faire obéir quand, à un moment donné, il peut rentrer sinon en conflit ou du moins en discordance de vue avec ses proches collaborateurs ?

Le ministre des finances dit en général que ses hauts fonctionnaires sont d'une extrême prudence et que c'est leur rôle. Mais peut-être sont-ils ainsi conduits à faire des réticences, des réserves ou des censures. Est-ce que lui-même, le Ministre de Bercy, quand il se trouve face aux ministres dépensiers et à Matignon, n'ajoute t-il pas ses propres censures pour avoir une marge et pour pouvoir faire face à tous les imprévus de l'année ?

Ma deuxième question a un intérêt plus pragmatique pour nous, parlementaires. Que pensez-vous des moyens que l'on peut utiliser pour améliorer la lisibilité des documents budgétaires pour une meilleure information des parlementaires ? Que pensez-vous de la discussion budgétaire elle-même dont certains d'entre nous pensent que son rituel est lourd, stérile et souvent vide de sens.

Enfin, nous avons bien compris qu'il peut y avoir des surprises désagréables et des gels. Nous, nous avons tendance à penser avec le président Blin que les gels tombent toujours sur le titre V du budget de la défense, ce qui a des effets extrêmement pervers à la fois sur les industriels et sur l'équipement de nos armées.

M. le Président - La parole est à M. Maurice Blin.

M. Maurice BLIN - Monsieur le Ministre, je sortirai à dessein de l'analyse tout à fait intéressante que vous avez conduite des aléas de l'année 1999 pour m'en tenir, comme mon collègue François Trucy, à une question d'ordre plus général.

Je reviens avec lui sur les défauts manifestes, dont nous souffrons tous, des conditions du débat du budget en fin d'année. C'est trop long, c'est ennuyeux ; bref, tout a été dit là-dessus. Dans le cadre européen, y a-t-il des exemples de budget mieux conduit ? Pourquoi et comment ?

Je n'ai pas le sentiment que la Grande-Bretagne soit un pays qui ne maîtrise pas moins bien que nous ses dépenses et ses recettes mais je crois savoir qu'elle gère tout cela d'une manière radicalement différente. J'exclus l'exemple américain car nous sommes, pour des raisons multiples, tout à fait étrangers à cette coutume qui veut que le budget soit élaboré en liaison étroite avec le Congrès.

J'accepte tout à fait que l'exécutif dans notre pays ait un pouvoir qui soit le sien, une capacité de réserve et de discrétion sinon de secret, ce que je peux comprendre. Mais ne pensez vous pas tout de même, de votre point de vue de ministre responsable de ce budget pendant quelques années, que l'on pourrait modifier très sérieusement le mode de la discussion budgétaire dans notre pays ?

Nous sommes demandeurs ! Nous risquons de ne pas faire de bonnes propositions car nous sommes en quelque sorte sans yeux, parce que nous manquons tragiquement d'informations. Pouvons-nous en avoir ? A quel prix ? Dans quelles conditions ? La question est posée. Nous sommes également sans bras parce que nous n'avons que le choix ou de tout rejeter ou de rejeter budget par budget, ce qui à chaque fois fait mauvais effet chez tout le monde et surtout nous sommes liés par les services votés.

Mais si nous avions la liberté de remettre en cause les services votés, est-ce que cela ne supposerait pas que nous ayons une bien meilleure connaissance du budget et donc une participation en amont du débat budgétaire ? Cela n'est manifestement pas le cas. Ce cas peut-il être tranché ? A l'heure où je vous parle, je n'en suis pas certain mais vos lumières nous seraient vraiment précieuses.

M. le Président - La parole est à .M. Jean-Philippe Lachenaud.

M. Jean-Philippe LACHENAUD - Je souhaite vous poser deux questions, Monsieur le Ministre, sur les marges de manoeuvre du ministre et sur les arbitrages politiques puisque vous avez affirmé l'autonomie par rapport aux services. Je constate à cet égard que les auditions donnent des résultats différents.

Est-ce que dans les arbitrages sur les recettes, vous n'avez pas volontairement sur l'année 1999 minimisé les prévisions de recettes pour mieux maîtriser les dépenses, limiter le déficit et éviter la surenchère de propositions de dépenses ? Est-ce que cette considération n'a pas pesé en fait plus lourd peut-être que les incertitudes statistiques et prévisionnelles sur lesquelles l'accent a été mis ?

Concernant l'autonomie et les marges de manoeuvre en matière de gestion de la dette, est-ce qu'au long des années successives de votre gestion, vous avez eu le sentiment qu'entre le Budget et le Trésor, face à des propositions de gestion de la dette, le ministre de l'économie et des finances avait des marges de manoeuvre et des possibilités d'actions importantes ?

M. le Président - La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël BOURDIN - Je ne sais plus qui a dit que le génie c'était un bon système d'information. Les ministres des finances sont donc toujours des génies. Nous, parlementaires, nous avons le sentiment, Monsieur le Ministre, et vous avez dû d'ailleurs l'éprouver aussi dans le passé et vous l'éprouverez peut-être dans l'avenir, que l'information dont nous disposons est toute triée. Généralement elle vient des organismes qui passent par l'administration des finances et il nous arrive de rester sur notre faim, en tout cas de prendre les informations qu'on nous fournit comme des données.

Ne pensez-vous pas qu'il y a des améliorations à apporter dans ce domaine, notamment en fournissant d'autres moyens d'accès à l'information au Parlement ?

M. le Président - A mon tour, Monsieur le Ministre, je souhaite vous poser deux questions.

Première question, est-ce que dans l'interprétation des données, les années 1992-1993 ont laissé, avec ce retournement conjoncturel, des traces dans le comportement de ceux qui ont la charge d'interpréter les données ? Nous savons tous que la prévision est par nature aléatoire.

Deuxième question, si nous croyons à l'exigence démocratique du vote du budget par le Parlement, est-ce que vous pensez que l'on peut améliorer la circulation de l'information entre le ministère des finances, comme Monsieur Bourdin en faisait état tout à l'heure, et les commissions de finances ? Je n'oublie que vous avez été aussi Président de la commission des finances à l'Assemblée Nationale !

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Monsieur Trucy, sur l'exercice du pouvoir à Bercy, chacun ne peut se bercer que de ses propres illusions ! C'est la réponse que je peux vous donner et elle ne reflète certainement en rien la réalité ... C'est simplement la façon suggestive dont, moi, je l'ai vécue, ce qui est pour vous une information d'une importance relative.

Si je devais vous répondre sur la base de cette suggestivité, je vous dirais « Oui, le Ministre des Finances se fait obéir ! » Vous allez trouver sans doute que je suis naïf mais je n'ai pas eu le sentiment, à aucun moment, non pas que des fonctionnaires ne se trompaient pas -évidemment, ils peuvent se tromper et nous aussi- mais qu'il y avait de la résistance organisée quelque part.

Le seul problème de ce point de vue, ce sont les fuites. Mais là aussi, la législation pourrait évoluer, encore qu'il ne s'agisse pas tellement d'un problème de droit. Si chacun reconnaît qu'il est légitime qu'à un moment donné d'une procédure, quelle que soit l'exigence démocratique, des documents restent à l'intérieur du ministère, alors le problème des fuites est un vrai problème. Comment le résoudre ? A vrai dire, je n'en sais trop rien.

En dehors de cela, je n'ai pas eu de séance d'angoisse sur la façon dont je me faisais obéir. J'ai cru comprendre que certains de mes prédécesseurs qui pourraient se trouver d'ailleurs aujourd'hui être mes successeurs, avaient écrit des livres où ils expliquaient qu'ils avaient eu le sentiment parfois qu'ils avaient eu du mal à recueillir les informations. Moi, je n'ai pas eu ce sentiment-là ! Sans doute est-ce plus le reflet de ma naïveté que de mon pouvoir réel.

Un autre débat est connexe au précédent : faut-il croire ce qu'on vous dit ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. Revenant sur les propos du sénateur Lachenaud, je crois qu'il appartient au ministre certes de croire la bonne foi de ses fonctionnaires quand ils lui fournissent des chiffres mais aussi d'apporter son propre jugement. C'est surtout vrai pour l'économie et c'est effectivement moins vrai pour les recettes fiscales, sujet très technique. Comment ira-t-il expliquer, étant lui-même moins technicien, qu'il faut procéder à tels et tels calculs en utilisant des modèles très sophistiqués ! Bien malin celui qui pourrait en être capable !

En revanche, je crois que l'autonomie du ministre de l'économie et des finances sur l'appréciation de l'économie et de son évolution doit être assez grande. Cela ne veut pas dire qu'il ne puisse pas finalement dire la même chose que ses services car il n'est pas obligé de vouloir se distinguer. Mais il doit être capable d'avoir son appréciation personnelle ! D'ailleurs, est-il  taquin de faire remarquer que si certains avaient un peu moins cru des notes sorties du Budget, l'histoire politique de notre pays aurait été, ces dernières années, un peu différente ? Tout cela pour vous dire que relativité il y a dans ces notes de fonctionnaires !

S'agissant de la « censure » vis à vis des ministres dépensiers, il est difficile de vous répondre. Lorsque l'opération se fait à tout moment en liaison avec les ministres dépensiers, le ministre des finances exprime qu'il n'a pas d'argent. C'est sa seule arme ! S'il ne le dit pas, tout file dans tous les sens. Pour autant, je ne me souviens pas de ce qu'à aucun moment, moi-même ou Christian Sautter, nous nous soyons dit en quelque sorte : "On sait que l'on a ça mais on ne va pas le dire parce que si on le dit ......". Qu'inconsciemment, un tel raisonnement joue et que l'attitude soit généralement d'inciter à la prudence et d'attendre ? Sûrement ! Je ne me souviens pas d'un moment quelconque où on se soit dit : "On va garder cela dans un coin et nous ne le sortirons qu'un peu plus tard parce que ...".. Non ! D'ailleurs je vous renvoie à ce que je disais tout à l'heure sur les fuites ou sur les situations mensuelles en ce qui concerne l'information. De toute façon, l'information dont nous disposons est largement publique, même si c'est avec un petit décalage.

La censure inconsciente ? Oui, sans doute mais je crois que cela fait partie un peu de la fonction.

Concernant la lisibilité des documents budgétaires et la discussion budgétaire un peu stérile et vide de sens, vous avez absolument raison. Je suis tout à fait preneur sur le plan intellectuel pour faire bouger cela. Ce n'est pas uniquement le titre V de la défense qui souffre des gels mais, vous avez raison, c'est souvent ainsi que les choses se passent !

Qu'est-ce que l'on peut faire ? La question est revenue chez plusieurs des intervenants. Président de la commission des finances de l'Assemblée Nationale, j'avais à l'époque un sentiment très fort. Il ne serait pas bien de dire que, passé de l'autre côté de la barrière, j'ai considéré finalement qu'il valait mieux ne rien faire ! Certains peuvent se dire cela. L'actuel ministre des finances, lorsqu'il était Président de l'Assemblée nationale a lancé de grands travaux permettant à l'Assemblée de donner son sentiment. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui il soit ravi de la façon dont il a organisé cela ! (Sourires.)

M. Philippe MARINI, Rapporteur général
- Nous allons d'ailleurs reprendre avec intérêt tout ce qu'il a dit ! (Sourires.)

M. Dominique STRAUSS-KAHN - Je m'en doute et pas seulement sur ce sujet d'ailleurs !

Le sénateur Blin rappelait à juste titre que la France n'est pas les Etats-Unis. Il reste que la pauvreté du débat vient de ce que les Assemblées n'ont pas les moyens non pas de savoir ce qui se passe au ministère des finances mais de travailler elles-mêmes.

Je me rappelle avoir été voir Lloyd Bensen qui était Président de la commission des finances du Sénat quand j'étais moi-même Président de la commission des finances à l'Assemblée Nationale. Il avait 150 collaborateurs ! On n'est pas obligé d'en arriver jusque là pour les raisons que vous évoquiez, sachant entre autres que ce n'est pas la même procédure. Mais néanmoins il y a un vrai sujet qui est celui de la capacité d'analyse propre ! Ce n'est pas celui de la capacité d'investigation à Bercy, ce qui est un autre débat. D'ailleurs, il est bien qu'il y ait deux sources qui travaillent de façon un peu indépendante, sinon la « consanguinité » serait simplement étendue un peu plus largement. Ce qui est en cause, c'est la capacité d'analyse propre, soit des deux Assemblées réunies, soit des deux Assemblées séparément. En tout cas, il s'agit d'avoir les moyens de faire quelque chose et donc d'avoir du monde, des économistes, des budgétaires, des ordinateurs etc. Dans ce cas, on pourrait avoir un vrai débat.

Je me suis laissé allé à venir avec les Jaunes sur le budget des Assemblées parlementaires pour constater que si, certes, on progresse allègrement, ce n'est pas dans les postes qui justement permettent ce genre d'amélioration de la connaissance. Loin de moi l'idée, surtout aujourd'hui, d'essayer de savoir pourquoi certains postes progressent si vite alors que cela ne paraîtrait pas obligatoirement très utile. Mais en tout cas on ne voit pas dans les lignes qui permettraient d'avoir des capacités d'investigation propres du Sénat comme de l'Assemblée Nationale se dégager année après année les moyens nécessaires.

C'est là un vrai sujet ! Sans tomber vers le modèle américain qui est autre chose, il vaut la peine de voir comment on peut faire ! Il est quand même exact aujourd'hui qu'il n'y a que deux sources d'information : Bercy au sens large, d'une part, et les organismes privés, d'autre part. Mais l'autre « pied » de la démocratie parlementaire est en effet totalement absent. A titre personnel, je ne verrai strictement aucun inconvénient à ce que cela change.

Comme l'a rappelé le sénateur Blin, cela modifierait beaucoup le débat. ! Il serait possible d'avoir en amont des débats techniques entre la qualité des prévisions faites par les uns et par les autres et retrouver une logique interne propre à chacun. Le problème sera de savoir à quel moment les gardiens de la V ème République considéreront que cela porte atteinte à la façon dont elle a été construite. Mais rien n'est inamovible ou immuable en la matière ! C'est pourtant bien le sujet final que vous abordez en parlant des services votés et il faudrait aussi évoquer l'article 40 : on touche bien ainsi au coeur de notre Constitution. C'est donc bien un débat qui va au-delà du simple débat sur l'information. Il porte sur les pouvoirs relatifs réels que l'on veut donner à l'Exécutif et au Législatif. Je ne veux pas m'engager dans ce débat mais on y vient quand même assez vite.

Monsieur Lachenaud, je ne sais pas si ma réponse a été différente de celle de mes prédécesseurs mais je la confirme en tout cas : je crois que le ministre doit avoir de l'autonomie dans l'appréciation qu'il a de l'évolution économique et moins à mesure que les sujets deviennent plus techniques. Et s'il s'agit de savoir si la taxe "machin" va rapporter tant ou tant, là il n'a plus d'autonomie du tout parce que de toute façon il n'y connaît rien. Entre les deux, il y a toute la gradation de ce que lui fournissent ses services.

Même pour les recettes, le ministre a un choix qui est clair : quand il y a un aléa, il peut le prendre dans un sens ou dans l'autre. Quand on lui propose une fourchette, parce que l'aléa est grand -et c'était le cas sur l'impôt sur les sociétés pour l'année 1999- il peut choisir la version prudente ou la version moins prudente, selon ce qu'il ressent. Là il y a encore une marge ! Pour notre part, nous avons clairement choisi la version prudente parce qu'il nous paraissait difficilement concevable que ce qui s'est passé se passe, c'est-à-dire que les rentrées de l'impôt sur les sociétés se poursuivent à un tel niveau jusqu'à la fin de l'année.

S'agissant de la dette, j'ai été heureusement surpris de constater que la gestion de la dette de notre pays était en fait extrêmement bien faite, beaucoup mieux que je ne le pensais. En discutant avec mes collègues européens, j'ai pu constater que leur appréciation sur notre gestion de la dette était très laudative. La création d'une agence à l'intérieur du Trésor ou à côté du Trésor -je n'entre pas dans les arguties- pour permettre cette gestion de façon plus autonome me paraît une bonne chose à condition que, là aussi, le plus autonome ne devienne pas quelque chose d'extérieur ! Il y a un équilibre à trouver.

Je dois dire que je suis plutôt impressionné par la qualité des fonctionnaires et la qualité des procédures qui ont été mises en place sur la gestion de la dette. C'est là un thème que j'avais moi-même développé il y a une dizaine d'années, en pensant qu'il y avait là de grands progrès à faire et je dois reconnaître que je me suis trompé. Il y a toujours des progrès à faire mais il y en a beaucoup moins que je ne le pensais. Cette gestion est plutôt bien conduite. D'ailleurs, ce sont des progrès qui ont été réalisés d'une façon relativement récente, quatre ou cinq ans. Aujourd'hui, je trouve que cela fonctionne plutôt bien.

Le sénateur Bourdin a parlé de l'amélioration de l'information du Parlement et d'autres moyens d'accès à cette information. Certes, il faut peut-être trouver des moyens pour que l'accès du Parlement aux informations de Bercy soient meilleur et plus précoce dans l'année. Mais pour moi, le point principal, c'est l'information propre susceptible d'être générée par les structures du Parlement.

Enfin, Monsieur le Président Lambert, est-ce qu'en 1992-1993 les mécomptes prévisionnels et ensuite budgétaires ont laissé des traces dans les comportements ?

D'abord beaucoup de gens sont changés ! Je ne parle pas seulement des hommes politiques, ce qui va sans dire, mais même des fonctionnaires qui ne sont plus dans la même fonction, ne serait-ce que pour des raisons liés à la progression de leur carrière.

L'année 1992-1993 a été très difficile à prévoir. L'anticipation de la crise ? Avec le recul on se dit qu'il y avait peut-être des indicateurs ! Mais quand on est sur le coup, la chose est bien difficile. Sans doute M. Charasse a des souvenirs plus précis que moi sur ce point puisqu'il était en charge à ce moment là. En tout cas, je puis dire qu'une telle situation conduit à un raisonnement qui se développe plus volontiers que par le passé en termes de fourchettes. En effet, en présence de trois variables dont chacune est fournie sous forme de fourchette, à l'arrivée les écarts peuvent être considérables et vous vous retrouvez bien alors dans la situation où vous devez faire vos choix vous-même.

Cette année 1999 laissera un souvenir, pendant un certain temps en tout cas. En effet, nous nous sommes tous largement trompés -et je me mets dans le lot- au moins sur le profil de l'année. Quand je disais contre vents et marées que nous ferions la croissance prévue, je dois à l'honnêteté de reconnaître que je ne pensais pas au profil que l'on a eu dans l'année, c'est-à-dire un premier semestre complètement creux et un deuxième en explosion. Je me suis au moins trompé sur le profil et d'autres se sont encore plus lourdement trompés sur le niveau.

Cet exemple conduit sans doute à ce que ma recommandation formulée à demi-mot aux Assemblées, à savoir se doter d'instruments plus sophistiqués, vaut aussi pour l'Etat. Il faut sans doute que l'on révise nos modalités de prévision économique. La voie est certainement ce qui se passe au sein du Conseil de l'Euro. C'est-à-dire que nos économies européennes sont aujourd'hui à ce point imbriquées qu'il est tout à fait inconcevable que la France fasse pour elle-même une prévision de croissance -3 %, par exemple- et que l'Allemagne ait sa propre estimation de la croissance française qui influe bien évidemment sur la sienne, qui ne serait pas 3 %. On a là des ajustements considérables. Or la mise en commun de l'information est encore loin d'être faite parce que chacun a évidemment sa tradition, ses habitudes, son histoire et garde l'information pour lui-même.

La mise en commun de l'information est un moyen quand même d'avoir une appréciation plus solide. Tous les budgets sont dépendants de la parité avec le dollar, du cours du baril de pétrole. Pourtant, il n'y a pas aujourd'hui deux pays parmi les pays de l'Euro qui aient la même estimation pour faire leur budget. Honnêtement, cela n'a pas de sens !

Nous avons donc là une amélioration possible de l'instrument. Cela ne veut pas dire qu'il faut confier à Bruxelles le soin de faire les prévisions, je le précise parce que je ne voudrais pas que, par malheur, vous ayez pu comprendre cela. (Sourires.) Cela veut dire mettre en place des procédures de circulation de l'information et de convergence des choix de paramètres, les deux que j'ai déjà évoqués, d'autres sur les taux d'intérêt, d'autres encore. Ils doivent être les mêmes entre les pays de l'Euro car on ne peut pas mener une politique économique commune si la préparation des budgets se fait sur des bases aussi dispersées. Il convient alors de dégager les moyens supérieurs à ceux dont on dispose aujourd'hui pour que la discussion soit mieux alimentée.

M. le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, de la qualité de l'échange que vous nous avez ainsi offert.

Séance du 26 avril 2000
La séance est ouverte à 12 heures sous la présidence de M. Alain Lambert

Audition de M. Jean ARTHUIS,
Ancien Ministre.

M. le Président - L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean Arthuis, ancien Ministre.

Monsieur le Ministre, nous vous souhaitons la chaleureuse bienvenue au sein de la commission des finances. Puisque vous êtes redevenu notre collègue, il est vrai que les choses sont différentes dans nos relations au plan personnel. Nous vous connaissons aussi au sein de cette commission comme rapporteur général et donc nous avons plaisir à vous accueillir à nouveau.

(M. le Président rappelle à M. Arthuis les dispositions légales qui régissent le fonctionnement de la commission d'enquête et lui fait prêter serment.)

M. le Président
- Monsieur le Ministre, je vais vous donner la parole pour un propos liminaire pour une durée à votre convenance et ensuite si vous le voulez bien, M. le Rapporteur général et les commissaires vous poseront quelques questions, selon une pratique que vous connaissez tellement mieux que moi.

La parole est à Monsieur le Ministre.

M. Jean ARTHUIS - Monsieur le Président, je veux d'abord vous remercier pour les paroles d'accueil amicales que vous venez de prononcer. Je viens devant votre commission pour témoigner de l'expérience qui a été la mienne entre le mois d'août 1995 et le début du mois de juin 1997. J'ai pris connaissance du questionnaire que vous m'avez fait parvenir et je pense que je puis sans autre propos liminaire répondre maintenant à vos questions.

M. le Président - La parole à Monsieur. le Rapporteur général.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général - Notre commission d'enquête s'efforce d'abord d'y voir clair dans le système d'information tel qu'il existe au sein de la maison Bercy. Lorsque nous estimerons avoir franchi suffisamment d'étapes à ce sujet, nous nous interrogerons sur l'adéquation entre les informations diffusées à l'extérieur vers le Parlement et les informations qui existent ou qui existaient à un certain moment au sein du ministère de l'économie et des finances.

Jean Arthuis a tout à la fois une grande expérience professionnelle d'auditeur, s'agissant de disciplines auxquelles il s'est toujours intéressé, et l'expérience de ministre de l'économie et des finances. Quels sont à sa connaissance, les documents, les comptes rendus, les notes régulières concernant le processus d'élaboration de la loi de finances, plus particulièrement du côté des recettes, et sur lesquels nous sommes en mesure de nous appuyer pour nous interroger sur tous les sujets qui nous soucient ?

Nous avons été bien sûr sensibilisés par l'existence des notes de cadrage de la direction du budget, notes de début d'année, et par l'existence des comités d'arbitrage des recettes fiscales se tenant régulièrement en février et fin juillet. J'aurais souhaité que le ministre nous livre l'expérience qu'il a eu de ces procédures et qu'il puisse nous dire dans une démarche tout à fait expérimentale et proche des faits, quels sont les éléments d'information qu'il peut nous livrer ?

D'autre part, j'aurais souhaité qu'il puisse nous parler des relations entre direction du budget et direction du trésor en ce qui concerne la budgétisation des charges financières. En effet, nous sommes en loi de finances au coeur de mécanismes très particuliers puisqu'à la différence d'une collectivité territoriale, par exemple, l'Etat n'enregistre pas dans son budget annuel en fonctionnement les intérêts, et en investissement le remboursement, puisqu'il n'y a d'ailleurs pas de section de fonctionnement et de section d'investissement. Il est clair que la gestion de la dette est une gestion globale et que celle-ci se renouvelle sans cesse.

En ce qui concerne le rattachement des crédits consacrés au paiement des intérêts et au remboursement de la dette, rattachement à tel ou tel exercice donné, comment les choses se passent-elles ?

En ce qui concerne le refinancement de la dette, l'appel aux marchés, la modification des conditions de la dette en cours, y a-t-il des occasions de confrontation des points de vue de la direction du budget, de la direction du trésor, du cabinet du ministre ? Y a-t-il matière à trancher sur ces sujets ? Y a-t-il des arbitrages qui sont de la compétence du ministre ? Comment les choses se passent-elles ? Sur quels documents peut-on s'appuyer ?

Ma troisième question concerne la gestion des fins d'exercices. S'agissant de l'imputation des opérations de dépenses mais aussi de recettes sur l'exercice qui se termine et sur l'exercice qui va s'ouvrir, comment les décisions sont-elles prises  ? Sont-elles prises de manière complètement empirique ? Sont-elles prises sur la base de procédures ? Lesquelles ? Y a-t-il des documents, des procès-verbaux, des comptes rendus, des notes sur lesquels nous serions susceptibles de nous appuyer pour bien comprendre ces mécanismes ?

Ma dernière question concerne les conditions dans lesquelles l'Etat appréhende son environnement économique. Le ministre Jean Arthuis considère-t- il que l'Etat dispose du potentiel de connaissances nécessaires, du pluralisme nécessaire dans l'approche de la conjoncture et de ses conséquences sur la préparation et le déroulement des lois de finances ? Dans la mise en perspective des conjonctures économiques française et internationale, l'Etat en la personne du ministre de l'économie et des finances, dispose t-il vraiment du consensus des économistes ? Dans les démarches intellectuelles qui contribuent à élaborer le cadre des lois de finances, n'y a-t-il pas plus de poids conféré aux avis des économistes les plus proches de l'Etat ou travaillant dans le giron de l'Etat ou influencés par certains modes de pensée plutôt que par d'autres ? Est-ce que le ministre pourrait également nous éclairer sur ce sujet ?

M. le Président - La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean ARTHUIS - Je ferai d'abord une observation. Ce qui m'a frappé en arrivant à Bercy et ce qui a, d'une certaine façon, conforté les hypothèses que j'avais pu formuler en ma qualité de rapporteur général du budget au sein de votre commission, c'est que la sphère publique ne s'est pas donnée des instruments de visibilité. Il m'est apparu que le système d'information financière de l'Etat était totalement archaïque et que le mode d'appréhension des données budgétaires et financières était fondé sur les décaissements et les encaissements, que le contrôle s'exerçait a priori , et qu'en aucune façon on ne se préoccupait de mesurer l'efficacité de la dépense publique.

Ainsi, premier élément qui, à mon avis, complique singulièrement la gestion et l'enclenchement d'éventuelles réformes, c'est que le système reste opaque et ne permet pas la diffusion d'informations appropriées pour des prises de décision.

Une première série de questions peut être abordée sur le mécanisme général de préparation du budget. Le calendrier est rigoureux et il est fondé sur un vécu qui a fait ses preuves. Je crois que les procédures sont cohérentes. La principale faille résulte de l'inadaptation du système d'information.

Il y a d'abord un premier cadrage macro-économique et, disant cela, je réponds peut-être en partie à votre quatrième question. C'est la direction de la prévision qui est chargée en permanence de procéder, en relation étroite avec l'institut de la statistique, des estimations. Selon l'expérience que j'en ai, les contacts sont multiples avec nos partenaires européens et cela se vérifie aussi au plan international.

Il y a deux périodes fortes : d'abord une première série de budgets économiques auxquels on procède au tout début de l'année, en janvier-février ; puis un second budget économique au printemps. Vous êtes vous-mêmes, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, membres de la commission des comptes de la nation, qui est l'occasion de confronter les appréciations, les estimations. C'est là que s'opère en général le consensus des experts et il est rare que le ministre s'écarte de ce consensus.

Je dois avouer que dans la difficile préparation du projet loi de finances pour 1996 -nous étions à la fin du mois d'août et je venais d'être nommé à Bercy- j'ai eu tendance à abaisser le taux de croissance prévisionnel, parce qu'il m'apparaissait que les chiffres que l'on me suggérait de retenir étaient trop optimistes.

Le ministre a l'occasion de confronter ses appréciations lors de rencontres internationales. Je pense au conseil ECOFIN, au plan européen et également au G7. Tous ces rendez-vous sont des moments de confrontation des prévisions et des bases macro-économiques sur lesquelles on peut fonder les prévisions budgétaires.

S'agissant de l'estimation des recettes, vous le savez, des réunions d'arbitrage de recettes fiscales se tiennent en début d'année, généralement au mois de février. Une seconde séquence se tient au mois de juillet. En tout début d'année, tous les services qui ont en charge le recouvrement -direction générale des impôts, comptabilité publique, direction générale des douanes et des droits indirects- conduisent dans la première phase une réflexion prospective pour tenter d'évaluer les assiettes. Dans la seconde période, c'est-à-dire en juin-juillet, on valide ces évaluations d'assiettes et on s'interroge sur les taux à appliquer et les produits qui peuvent en résulter. La direction de la prévision y est associée au même titre que la direction du Trésor et la direction du Budget. Ces démarches, essentiellement techniques, permettent au ministre de disposer d'estimations fiables. Se pose à chaque fois la question d'évaluer le rendement d'éventuelles mesures nouvelles et, là encore, c'est sur la base des indications que produisent les services chargés du recouvrement, en relation étroite avec le service de la législation fiscale, que l'on peut procéder à une estimation de ces recettes. Il y a donc en matière d'évaluation des recettes une base sur laquelle on peut prendre appui.

Cela étant, le rendement peut-être perturbé par les aléas économiques. Dans l'estimation de ces recettes, il faut toujours tenir compte des mécanismes de remboursement, des mécanismes de dégrèvement, et c'est là qu'il peut y avoir quelques décalages dans le temps. Dans les périodes de recettes abondantes liées à la croissance, les services peuvent être tentés d'accélérer le processus de remboursement. Dans les périodes de bouclage plus difficiles parce que la conjoncture n'apporte pas les ressources attendues, il peut être tentant de prendre un peu plus de temps dans les reversements. De ce point de vue, la période qui doit être la plus courte possible pour éviter de céder à des tentations, c'est ce que l'on appelle « la journée complémentaire ». Je dois dire que je me suis efforcé de raccourcir cette période. Le bouclage de l'année 1995 s'est fait à la mi-février et nous sommes parvenus à boucler 1996 dès la fin du mois de janvier. Par conséquent, les services du Budget sont moins suspects d'avoir tenté d'accélérer ou de retarder tel ou tel ajustement.

Nous avons donc des estimations qui sont globalement fiables. Je crois avoir ainsi répondu à votre première question, Monsieur le Rapporteur général.

Votre deuxième question porte sur les relations avec la direction du Trésor, chargée de l'émission des emprunts, des bons du trésor, des titres divers, de la collecte de la trésorerie par les comptes postaux par exemple et la constatation de la dette. Des progrès considérables ont été accomplis. Il fut un temps où il suffisait au gouvernement d'émettre des titres à coupon zéro, c'est-à-dire qu'on payait l'intérêt au terme du remboursement, pour fausser quelque peu la traduction budgétaire. Les périodes antérieures à ma gestion ont été affectées par ces mécanismes, et sans doute vous en souvenez-vous. Il m'est arrivé aussi de penser que les mécanismes budgétaires étaient plastiques.

Je me souviens de la période 1993. Le gouvernement de Pierre Bérégovoy avait décidé de restituer aux entreprises une fraction de la TVA à récupérer. Il a suggéré aux entreprises d'imputer cette fraction sur la plus proche déclaration de TVA et les recettes de TVA ont été amputées en 1993 d'une vingtaine de milliards. Le gouvernement qui a suivi a procédé à une photographie de cette TVA à récupérer, résiduelle, et qui devait être à peu près les 9/10 ème . Cela a été imputé directement dans les comptes du Trésor et on n'a jamais vu passer par le solde budgétaire le montant de ce remboursement. Je crois qu'il y a matière à parfaire les règles comptables et qu'il y a urgence à moderniser la comptabilité publique.

Pour ma part, j'ai ouvert un chantier en confiant une première mission de réflexion à André Giraud, ancien ministre. Il conduisait un groupe de réflexion composé de représentants de l'administration et de quelques acteurs économiques. C'est à la suite de cette mission que j'ai confié à M. Jean-Jacques François une mission que j'ai appelée "gestion patrimoniale" parce que, vous le savez, nous ne sommes pas en mesure d'appréhender le patrimoine de l'Etat. Nous ne connaissons la dette qu'au travers des émissions d'emprunt et de bons du Trésor ! Demandez-vous où apparaissent les dettes relatives aux obligations de paiement de pensions de retraites des fonctionnaires ! Demandez-vous où apparaissent les dettes liées au déficit de je ne sais quelle défaisance, celle du Crédit Lyonnais, par exemple ?

Pour y voir clair, je pense qu'il est urgent de réformer fondamentalement un système d'information financière devenu totalement archaïque.

Sur la constatation de la charge de la dette, des progrès considérables ont été accomplis en évitant d'émettre des titres qui reportaient la prise en compte du paiement des intérêts à un exercice ultérieur. On a vu quelquefois qu'à l'occasion de remboursements anticipés, on ne savait plus très bien où passait la charge d'intérêt.

Ces émissions permanentes d'emprunt permettent aujourd'hui de constater dans le budget la charge effective d'emprunt et d'intérêts imputables à l'exercice.

S'agissant de votre troisième question sur les comptes rendus et sur les notes, un premier élément justifie d'être explicité mais il porte témoignage de la situation qui est dressée par la comptabilité publique : la situation hebdomadaire, budgétaire et de trésorerie. Cette situation hebdomadaire est un des éléments sur lesquels on prend appui. Elle est communiquée au ministre bien sûr, mais également au directeur du budget, au Premier ministre pour son conseiller budgétaire et à la Présidence de la République, au directeur général adjoint qui a en charge le secteur économique et financier et au conseiller économique.

Pour ma part, j'ai rendu publique la situation mensuelle et je l'ai institutionnalisée. Bien sûr, ces documents sont « un peu bruts de décoffrage » et ils appellent des commentaires. En tout cas, j'ai tenu à ce que cette note fût publiée intégralement et en aucune façon mon cabinet n'a modifié cette situation. Les seuls commentaires formulés avaient pour objet de faciliter la compréhension. Il pourrait être intéressant de savoir si ces pratiques sont restées en l'état depuis lors.

Situation hebdomadaire et situation mensuelle sont des éléments appréciables.

Le directeur du budget, à au moins trois reprises dans l'année, prépare une analyse pour anticiper le respect des prévisions ou bien des écarts en plus-value ou en moins-value. Il le fait dès la fin de l'hiver ; il le fait au printemps et s'il n'y a pas de loi de finances rectificative, s'il n'y a pas de collectif de printemps, il n'y a pas d'externalisation.

La première externalisation vient au moment du dépôt du projet de loi de finances pour l'année suivante. C'est à ce moment-là que l'on rend public l'ajustement des recettes fiscales et non fiscales. Puis, au début du mois d'octobre, le directeur du budget prépare une analyse très fine et très documentée qui sert d'appui à la préparation du collectif de fin d'année. C'est à mon avis le document le plus déterminant. Je crois que l'on a une connaissance assez précise du bouclage de l'exercice budgétaire.

Si l'on veut y voir clair dans l'exécution d'une loi de finances, je crois que l'épreuve de vérité c'est le collectif. Quelle traduction donne t-on dans le collectif de ces estimations ? C'est là une autre question. C'est à ce moment-là que ce que l'on appelle très improprement "cagnotte" peut voir le jour. A la fin de l'exercice 1999, j'imagine que ce document préparé par le directeur du budget a dû être assez explicite. Je ne serais pas étonné qu'il ait donné des indications de ce qu'allait être la plus-value de recettes fiscales à la fin de l'exercice.

Le ministre est donc en situation d'appréhender avec une relative précision les recettes fiscales. Les impôts qui sont les plus aléatoires sont ceux qui connaissent les variations les plus fortes. Celui qui m'a donné le plus de difficulté a été l'impôt sur les sociétés dont le rendement peut varier du simple au double, avec des mécanismes amplificateurs liés au paiement d'acomptes trimestriels, avec un solde de liquidation l'année suivante au moment où l'entreprise dépose sa déclaration de résultats, ajustant en conséquence le montant des acomptes versés au titre de l'exercice qui vient de s'ouvrir.

Sur la procédure proprement dite, y a-t-il un procès-verbal ? Je n'ai pas souvenir que l'on ait dressé de procès-verbaux. En revanche, toutes ces notes sont transmises au ministre et elles font l'objet d'annotations. En général, le directeur du budget fait des propositions, son cabinet les examine et vient le moment venu où le ministre tranche. D'ailleurs dans ces périodes de bouclage, c'est vrai pour le projet de loi de finances comme pour tout projet de loi de finances rectificative, nous multiplions les réunions de cabinet avec les conseillers compétents, avec le ministre délégué au budget et avec les directeurs concernés.

Il est d'usage de garder des notes de ces observations que l'on peut faire et des arbitrages que va prendre le ministre. Il faut qu'à un moment donné la décision soit matérialisée.

Je crois avoir répondu à votre quatrième question en répondant à la première. L'environnement économique reste, à mon avis, convenablement appréhendé. Les experts, ceux de la prévision comme ceux qui sont extérieurs à la sphère publique, constituent un cercle qui entretient des relations permanentes. Le consensus des experts constitue l'élément de référence pour justifier les prévisions budgétaires.

Au moment du bouclage de la loi de finances, la tentation peut exister dans une conjoncture de croissance élevée d'être prudent dans l'estimation des recettes alors que dans les conjonctures moins prospères, plus préoccupantes, il peut y avoir des estimations plus optimistes, avec des paris faits sur la croissance.

Le rapport Nasse en porte témoignage. A la vérité, le rapport que l'on a appelé "rapport d'audit" n'est pas vraiment un rapport d'audit. C'est plutôt un rapport d'actualisation des recettes et des dépenses fondé sur l'actualisation des prévisions économiques, du cadrage macro-économique et sur l'examen attentif de la situation hebdomadaire budgétaire et de trésorerie. MM. Bonnet et Nasse n'ont pas, au moment où ils ont publié leur rapport, c'est-à-dire au mois de juillet 1997, formulé de réserve fondamentale sur les estimations que nous avons pu faire au moment de la préparation de la loi de finances pour 1997.

M. le Président - La parole est à M. Paul Loridant.

M. Paul LORIDANT - Monsieur le Ministre, mes questions seront assez directes et peut-être même un peu brutales. Je ne doute pas un seul instant de la compétence, du dévouement des fonctionnaires de Bercy, notamment des hauts fonctionnaires des finances. En revanche, au vu de mon expérience de quelques années de mandat de parlementaire, j'ai le sentiment qu'il existe un climat de suspicion au sein des fonctionnaires de Bercy à l'égard des élus en général et du Parlement plus particulièrement.

J'ai toujours le sentiment que l'on est en train de courir après l'information, que les élus locaux ont à Bercy une triste réputation de dépensiers et d'irresponsables. Lorsqu'on discute avec des fonctionnaires -j'en connais et j'ai même des propres amis- ils distillent l'information au compte-gouttes vis-à-vis de ceux qui sont censés voter le budget et l'impôt. Soit mon impression est fausse ! Soit c'est un excès de pudeur ou une volonté de réserver au représentant de l'exécutif, le ou les ministres chargés des finances et du budget, la priorité de l'information !

Au vu de votre expérience puisque vous avez fait les deux côtés, quel est l'état d'esprit réel vis-à-vis de ceux qui sont en charge du vote de l'impôt et du budget de la nation ?

M. le Président - La parole est à M. Bernard Angels.

M. Bernard ANGELS - Ma question se situe dans le prolongement de celle de Paul Loridant. Monsieur le Ministre, lorsque vous étiez aux affaires, vous avez été régulièrement informé, alerté même, par la commission des finances et par la Cour des Comptes sur les irrégularités de votre propre ministère. Je veux parler des crédits d'articles qui représentaient plus de dix milliards de crédits non inscrits en loi de finances. Vous avez à l'époque refusé de les réintégrer dans le budget de l'Etat.

Pouvez-vous nous fournir aujourd'hui les motifs de ce refus ? Cela nous permettrait de comprendre le pourquoi de ce refus à Bercy.

Est-ce que d'autres crédits extra budgétaires ont reçu le même sort ? Notre souci est de comprendre la prise de décision et le refus opposé au Parlement et à notre commission pendant trois ans.

Ma deuxième question vise également à essayer d'améliorer notre fonctionnement, point auquel vous êtes sensible. Or le Sénat et le ministère de l'économie et des finances travaillaient en commun pendant très longtemps, à la demande de la commission des finances du Sénat et avec les moyens techniques du ministère, pour établir chaque année une projection à moyen terme des finances publiques. Cet exercice avait été établi grâce à Raymond Barre quand il était Premier ministre. Or cet exercice a été interrompu au moment où vous étiez ministre des finances. Pouvez-vous nous en indiquer les raisons ?

M. le Président - La parole est à M. Maurice Blin.

M. Maurice BLIN - Monsieur le Ministre, je souhaiterais appeler brièvement votre attention sur trois faits.

Le premier c'est la qualité de la présentation du budget de la Nation que vous aviez assuré durant l'année 1996 et qui avait été aux yeux de beaucoup d'entre nous un modèle de transparence, de pédagogie, de simplicité. Je me souviens par exemple d'une distinction très claire entre les coûts de fonctionnement, les coûts d'investissement, la façon de financer, le coût des rémunérations des agents de l'Etat, etc. Je souhaite très vivement que cette première ait une suite, mais je n'ai pas toujours eu le sentiment qu'il en soit ainsi. Je vous donne donc acte et je vous adresse un peu tardivement mes compliments.

Inversement, vous avez été à Bercy, le témoin ou l'acteur ou peut-être même, oserais-je le mot, la victime d'un fait qui d'ailleurs habitait sans doute nos esprits, quand nous écoutions les interventions de ceux qui vous ont précédé à cette place. Quelle validité, quelle crédibilité -je ne dirai pas quelle sincérité car la question n'est pas là- peut-on apporter aux notes que vous fournissent les plus grands de vos services et qui naturellement pèsent sur vos décisions ?

Nous avons tous en mémoire une note du printemps 1997 qui, dit-on et je n'y étais pas, a engendré une décision politique de force "7" dans l'échelle de Richter ? Peut-on imputer à cette note une décision politique lourde ? Etait-elle valable ? L'était-elle moins ? Les faits paraissent avoir prouvé qu'elle l'était peut-être moins qu'on ne l'avait cru. Vous avez la liberté de répondre très brièvement à cette question délicate mais, étant donné que vous étiez des nôtres, je ne pouvais pas ne pas vous la poser.

Ma troisième question est par contre très simple et vous êtes très armé pour y répondre mais il vous manquera du temps pour formuler votre réponse. Dans la procédure budgétaire, dont tout le monde connaît ici les défauts, quelle priorité donneriez-vous ?

Est-ce, comme à l'instant même le disait M. Strauss-Kahn, au renforcement -mais dans quelles conditions et à quel prix ?- des pouvoirs et des instruments de contrôle que le Parlement peut avoir sur la confection et la validité du budget ? Est-ce, plus modestement, mais ce n'est pas sans effet, à un remaniement complet de cette procédure extraordinairement lourde qui dure trop longtemps et où tout est mélangé ? Ne pourrait-on pas avoir « à l'anglaise », sans aller jusque là, une façon de débattre du budget qui soit plus simple. Je ne parle pas des Etats-Unis.

On a tenté dans le passé à deux reprises de prendre une initiative. Cela n'a pas été, me semble t-il, tout à fait concluant. Tout de même, ne pourrait-on pas moderniser définitivement ce débat budgétaire en France qui est terriblement anachronique et archaïque ?

M. le Président - La parole est à M. François Trucy.

M. François TRUCY - La deuxième question de M. Blin sur la note dissolvante est extrêmement importante et nous attendons beaucoup votre réponse. Quant à moi, je serai encore plus bref. Au sortir de Bercy, vous avez édité un ouvrage dans lequel vous répertoriez un certain nombre de dysfonctionnements sérieux pour ne pas dire graves de cette grande maison. Selon le principe de "Qui aime bien, châtie bien", vous aimez sûrement Bercy. Comment le corrigeriez-vous ?

M. le Président - La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques PELLETIER - Ma question « tangente » un peu l'exercice imposé qui est le nôtre aujourd'hui. Je voudrais demander à notre collègue, ancien ministre des finances, ce qu'il pense de la discussion budgétaire interne à l'administration entre le ministère des finances et les ministères techniques. J'ai eu à en pâtir à plusieurs reprises dans mon existence. J'ai toujours été choqué de voir que Bercy voulait aller dans le moindre des détails.

Que le ministère des finances dise aux ministres techniciens "Je ne peux pas dépasser autant de milliards ou autant de dizaines de milliards", je le comprends parfaitement. Qu'il aille même dans les grandes masses et dans les grands chapitres me paraît logique pour qu'il n'y ait pas de déséquilibre entre ces chapitres. Mais qu'il intervienne au niveau des articles ...

Je vous donne un exemple. Quand j'étais ministre de la coopération, l'administration - je ne parle pas du ministre - disait ainsi à mes collaborateurs, au cabinet et dans les services : « En Côte d'Ivoire, il faut que vous retiriez cinquante coopérants et que vous en mettiez vingt de plus à Madagascar ... » Je l'ai vécu et j'estime que c'est un scandale ! Le ministère des finances n'a pas à savoir si le ministère de la coopération doit mettre des coopérants en Côte d'Ivoire ou à Madagascar.

Quand j'étais Médiateur de la République, les budgets étaient beaucoup plus réduits. Une fois, j'ai été contraint de rompre les discussions avec l'administration et à m'adresser au ministre. Tous les ans on augmentait le nombre de délégués départementaux du Médiateur de six ou sept, étant donné le nombre de dossiers qui affluaient à la médiature. Or, les services qui étaient chargés de suivre le budget du Médiateur de la République disaient : « Vous en demandez sept cette année ? D'abord on vous en donnera quatre et ensuite vous n'en mettrez pas un supplémentaire dans les Bouches-du-Rhône, mais un à Lyon ... " C'est scandaleux ! Le problème se règle alors au niveau du ministre qui a quand même une position plus politique.

Je voudrais demander à notre collègue, étant donné qu'il a vécu lui aussi cela de l'intérieur, ce qu'il pense de ces discussions budgétaires internes qui me paraissent, à bien des égards, scandaleuses.

M. le Président - La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis BADRE - Monsieur le Ministre, je prolonge l'intervention de Jacques Pelletier et j'ai vécu personnellement aussi de très nombreuses conférences budgétaires qui sont en général marquées par une courtoisie parfaitement glacée et par assez peu d'imagination, sinon pour donner des idées aux ministres dépensiers car ils n'avaient vraiment pas imaginé toutes les solutions qui permettaient de faire des économies.

Finalement, ces conférences budgétaires ne se passent pas trop mal. Par contre, ce qui se passe très mal avec les ministères dépensiers, ce sont les procédures de gel et d'annulation de crédits qui interviennent dans le cadre de la régulation : les ministères techniques ne sont alors plus consultés du tout. Aussi prennent-ils les devants : lorsqu'ils préparent le budget, de peur que telle dépense soit gelée, ils essayent de mettre encore plus de crédits sur telle ou telle action. On en arrive alors à un jeu de rôles qui devient absolument inextricable et n'est pas très productif pour le pays.

Les parlementaires vivent mal ces gels et ces annulations qui interviennent, régulation oblige. Comment, le ministre, lui, les vit-il ou les a t-il vécus ?

M. le Président - La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean ARTHUIS - Je réponds d'abord à Paul Loridant. Il y a de la part des fonctionnaires sans doute un excès de pudeur. Mais cela étant dit, je crois que nous sommes tous un peu en porte-à-faux. D'abord, nous avons un système d'information financière qui, je vous l'ai dit, n'est plus fondé. Il n'est pas lisible et le principe dans la sphère publique, c'est de vérifier que la dépense publique est engagée régulièrement. Peu importe de savoir si elle est efficace !

C'est donc un contrôle a priori et ce n'est pas fait pour être contrôlé a posteriori . D'ailleurs, les images qu'on en donne a posteriori ne sont pas vraiment significatives. Lorsque le ministre des finances présente un projet de loi de finances, il faut qu'il ait la délicatesse de préparer quelques bonnes pages pour en commenter les vertus et les bienfaits attendus. Et c'est cela qui va imprégner les commentaires publics et qui fait que l'on va dire que c'est une très bonne loi de finances parce qu'on a réduit de "x" % telle dépense, que tel ministre a été formidable parce qu'il a obtenu + 4 %. « C'est un bon ministre ! » Mais on ne prend pas appui sur une loi de finances qui n'est pas lisible de toute façon.

Le système d'information financière publique est archaïque et vous ne pourrez pas dans ces conditions délivrer beaucoup d'informations.

Le processus de la discussion de la loi de finances est assez étonnant. Cinq semaines à l'Assemblée Nationale, trois semaines au Sénat, pour une loi de finances qui est devenue quelque peu virtuelle. Comment se fait-il que nous ne parvenions pas à avoir une appréciation rigoureuse sur les effectifs ? C'est presque indicatif. C'est presque un plan média. Oui, j'ai le sentiment que le projet de loi de finances est aujourd'hui un plan de communication ! Une sorte d'image virtuelle !

Le document de vérité, je me permets d'insister sur ce point, c'est la loi de finances rectificative parce qu'elle est fondée sur des constatations en cours d'exercice. Or elle viendra en discussion à l'Assemblée juste avant Noël. Le débat va durer deux ou trois heures et au Sénat peut-être autant ! Mais c'est le document vérité.

Ce que vous devriez vous faire communiquer pour y voir clair, c'est probablement la note préparée par le directeur du budget au début du mois d'octobre. Je me permets de vous faire cette suggestion.

Dans cet « excès de pudeur » qu'évoque Paul Loridant, il est permis de penser que dans certaines circonstances les services ne disent pas tout. Le budget considère qu'il est le garant de l'équilibre des finances publiques. Il a tendance à penser que le politique est naturellement dépensier et que dans ces conditions il doit protéger le politique contre ses tentations.

Imaginez que l'on vous dise au mois d'octobre : « 50 milliards de recettes fiscales supplémentaires ! » La crainte que peut avoir peut-être le directeur du budget, c'est de se dire que si l'on rend public une telle manne, immédiatement les lobbies, les groupes de pression, les parlementaires, celui qui a en charge le budget de ceci ou le budget de cela seront tentés d'exercer une pression. Nous sommes donc dans une relation postulant, sans doute, injustement un manquement aux devoir de responsabilité politique.

Chacun est dans son rôle et le Budget se drape dans une vertu absolue. Je ne suis sûr qu'il dise toute la vérité. Il va en dire une partie au ministre du budget, lequel va dire une partie de la partie qu'il détient au ministre des finances. Je crois qu'il faut sortir de cette culture-là où l'on pense que l'autre est dans un rôle déterminé et qu'il ne peut pas appréhender la réalité budgétaire autrement.

Toute démarche que pourrait accomplir le Parlement dans ce sens est bonne et d'ailleurs je rends hommage à l'initiative que vous avez prise de constituer la commission des finances en commission d'enquête.

Je sais les diligences exemplaires qu'accomplissent les rapporteurs spéciaux, le rapporteur général et le président de la commission des finances mais je pense que le contrôle parlementaire est indissociable de la sincérité des comptes publics. Vous ne pouvez pas laisser la sphère publique s'auto-contrôler et s'autoréguler. Il faut donc qu'à un moment, le Parlement aille jusqu'au bout de ses prérogatives de contrôle, et pour cela s'en donne les moyens.

Si vous avez l'habitude d'aller dans les services pour demander des informations, vous allez créer un autre climat et vous ferez en sorte que le système d'informations soit accessible à tous en permanence, qu'il soit transparent et vous ferez disparaître ces suspicions mutuelles. Je ne dis pas que les premières démarches seront faciles ! Mais je crois que si le Parlement ne se donne pas les moyens de diligenter des missions d'audit avec détermination, il peut se rendre complice de certains dysfonctionnements de l'Etat.

Vous avez évoqué certaines images caricaturales. C'est l'impression qu'en effet à Bercy, on stigmatise les gestionnaires locaux qui seraient dépensiers, lorsqu'ils construiraient je ne sais pas quoi, par exemple un Hôtel de Région ou de Département ou une mairie somptueuse, l'Etat étant bien entendu, par nature, exemplaire. Je crois vraiment qu'il faut sortir de cette suspicion mutuelle.

La seule façon d'en sortir, c'est d'être factuel et de permettre aux politiques de surmonter ces contradictions : la volonté de baisser la dépense publique, la volonté de réduire les déficits publics et la volonté de baisser les impôts. Trop souvent, on a considéré que le budget et la haute administration étaient en situation, sinon de faire des miracles, mais de rendre possible ce qui raisonnablement ne l'était pas.

Nous avons une culture à forger ensemble, Parlement et administrations, en particulier le ministère des finances. Je ne crois pas qu'il y ait de procès d'intention mais j'ai vu les réactions que cela pouvait susciter à une certaine époque, d'autant que je vous le rappelle nous étions dans une phase difficile : traité de Maastricht, engagement d'être dans le premier cercle de l'Euro et donc nécessité d'assurer la convergence. C'était une époque où la moindre information interrogative pouvait avoir des conséquences extrêmement graves sur le marché monétaire. Il suffisait qu'une dépêche annonce que l'on allait avoir un peu moins d'argent dans telle ou telle recette ou que les dépenses avaient dérapé et immédiatement les marchés spéculaient sur « l'incapacité de la France à entrer dans le processus de Maastricht. » Nous étions dans une surveillance étroite et toute faute d'information pouvait avoir des conséquences extrêmement graves.

D'où parfois la tentation de ne pas en dire plus que ce qu'il fallait. Mais nous sommes sortis de cette période et nous savons bien qu'en tout état de cause on ne réformera pas l'Etat sans y voir clair, sans assurer la transparence et sans nous donner un langage commun pour faire justice de tous ses faux procès.

Voilà ce que je voulais vous dire. Ce n'est pas de l'information au compte-gouttes ! Mais considérez la situation lorsqu'on est en phase de préparation budgétaire, que le Parlement s'apprête à discuter la loi de finances ! On envoie des questionnaires. C'est formidable ! Il y a le responsable de la réponse aux questions et on obtient des réponses à peu près satisfaisantes et on n'en fait pas une histoire puisqu'on a l'impression de bien avoir rempli sa mission. Ce type de rituel n'est plus adapté.

Je crois que la démarche nécessaire c'est d'aller sur place, de voir sur pièces et surtout de faire établir des documents qui soient lisibles. Comment voulez-vous contrôler un système qui n'est manifestement pas fait pour être contrôlé ? Quand je suis arrivé à Bercy, j'ai demandé la liste des 250 personnes les mieux rémunérées. On m'a dit à peu près : "Mais attendez, qu'est-ce que cela ? ". Manifestement on n'était pas prêt à répondre à cette question, parce que c'était une interrogation qui ne paraissait pas pertinente et que personne ne l'avait posée auparavant. Il était très difficile finalement d'obtenir la réponse à cette question.

Je crois qu'il faut sortir de toutes ces inhibitions. La situation actuelle a tendance à creuser une tranchée entre le Parlement qui a l'impression de ne pas être compris et qui reçoit des informations au compte-gouttes et une administration qui quelquefois s'interroge sur l'action du Parlement. On n'a pas suffisamment précisé la règle du jeu entre le Parlement qui contrôle et le ministère qui agit et qui met en oeuvre une loi de finances. Donnons-nous ces instruments ! C'est d'abord une question de volonté politique et elle passe par une réforme fondamentale du système d'information financière publique. Là, le Parlement pourra accomplir ces diligences de contrôle.

Bernard Angels m'interroge sur des irrégularités sur certaines dépenses ...

M. Bernard ANGELS - Les fonds de concours !

M. Jean ARTHUIS - Très franchement, je peux vous dire qu'il n'y a pas eu de ma part de réticence mais nous avions à l'époque des opérations lourdes à conduire pour passer d'un déficit de 6 % du PIB à 3 %. J'avais sous le coude, et vous l'avez vu peu de temps après, une opération qui n'avait jamais été tellement commentée. On s'était rendu compte un jour qu'entre les fonds déposés à la Poste et qui sont transmis au Trésor, et ce qu'avait reçu le Trésor, il y avait un écart de 18 ou 19 milliards. J'évoque ce point de mémoire et je veux être prudent. L'écart a été constaté ! Il est probable que la Poste avait vécu, à l'époque où le budget était fusionné avec les télécommunications, en utilisant certains des crédits disponibles. Toujours est-il que le Trésor n'avait pas reçu les fonds qui avaient été déposés à la Poste. Qu'étaient-ils devenus ? Il a donc fallu dans une loi de règlement inscrire cette dépense. Il n'y a jamais eu de débat autour de cela ...

M. Philippe MARINI, Rapporteur général - Notre collègue Yves Fréville est intervenu, au moment de la loi de règlement !

M. Jean ARTHUIS - Oui, et je m'en souviens. (Sourires.)

Les fonds de concours sont sans doute ce qu'il y a de plus difficile à appréhender parce qu'il y a des mécanismes de déblocage des fonds en fin d'exercice.

Sur les recettes fiscales, il y a une relative régularité : les contribuables viennent aux échéances et ils savent à quelle sanction ils s'exposent. Il peut y avoir des décalages dans le temps lorsque c'est l'Etat qui restitue des impôts. C'est vrai pour les remboursements de TVA et c'est vrai également pour les dégrèvements d'impôts ou pour les remboursements d'impôts sur les sociétés, quand l'entreprise a payé plus d'acomptes qu'il n'y a d'impôt dû.

Je veux vous assurer que j'ai fait de mon mieux en conscience et dans un système qui n'était pas commode. J'ai rendu publique la situation mensuelle, ce qui était sans précédent, avec des commentaires pour la rendre lisible. Mais ces commentaires sont toujours un peu suspects. Pourquoi ces commentaires ? Parce que précisément si vous publiez un document aussi frustre, sans commentaires, vous êtes à la merci d'un commentaire de presse, d'une dépêche qui tombe dans une salle de marché et vous avez immédiatement un début d'incendie sur le marché des changes, ce qui est dramatiquement préjudiciable pour l'ensemble du pays.

Il faut donc être conscient que ces informations doivent être crédibles et qu'elles ne se prêtent en aucune façon à une manipulation. Tous les spéculateurs ont besoin de tirer sur une ficelle pour essayer de faire une démonstration qui leur donnera du bénéfice à un moment ou à un autre.

J'ai donc veillé à ce qu'il y ait des commentaires pour éviter précisément ces dérapages. Je pense que l'on pourrait très bien aller vers la publication institutionnalisée de la situation hebdomadaire là encore pour tendre vers une actualité.

S'agissant des projections à moyen terme de finances publiques, je puis vous dire très franchement que j'avais une projection. Je savais que j'étais à 6 % de déficit au mois d'août 1995 et il fallait être à 3 % au 1 er janvier 1998. Ceux d'entre vous qui étaient garants de la crédibilité de la défense nationale -je parle sous contrôle de M. Trucy et de M. Blin- étaient sourcilleux sur les programmes. Je ne parle pas des lois de programmations militaires, exercices merveilleux qui donnent de l'exaltation au Parlement. Leur vote se fait dans l'allégresse, mais on ne sait pas comment on les finance et d'ailleurs, dès le budget suivant, elles sont comprimées. Cela n'a pas de sens.

On fait des projections pluriannuelles ! Il y en a une pour la justice, une autre pour la gendarmerie, une autre pour la défense, une autre pour la culture mais, naturellement, on se garde bien de consolider toutes ces projections. Si on les consolidait, on ferait immédiatement la démonstration que ce n'est pas possible et l'on se priverait d'un rêve, d'une jubilation momentanée. Il faut donc aussi que le politique devienne plus raisonnable de ce point de vue là. Il y a là une réalité contre laquelle on ne peut pas grand chose ! Pour ma part, je faisais des projections triennales pour convaincre mes partenaires européens que la France allait remplir ses obligations. A mon arrivée à Bercy, j'ai dû d'abord convaincre mon collègue allemand qu'on était capable de tenir l'engagement. Cela n'a pas été simple et j'ai dû jouer avec lui sur un registre de sincérité. C'est pour cela que nous y sommes arrivés.

Quelques événements sont intervenus en cours d'exercice ! Il n'est pas simple de jouer la transparence et la sincérité. En tout cas, le respect que nous avons pour la démocratie nous fait obligation de nous en tenir à ce principe. Je suis d'accord pour qu'il y ait des projections dans le temps. Les pressions pour dépenser étaient fortes et nous avions des aléas sur nos recettes.

Maurice Blin merci pour votre compliment ! Il est vrai qu'au printemps 1996 j'ai tenu à ce que se tienne devant le Parlement un débat d'orientation budgétaire dont la commission des finances exprimait une demande forte. J'ai voulu présenter la loi de finances et les projections de telle sorte que les principales données fussent compréhensibles et lisibles. Je reconnais bien que la distinction fonctionnement - investissement est très rudimentaire et il faudrait tenir compte d'un amortissement comme on le fait dans les collectivités locales maintenant avec l'instruction M14. Il faudrait que l'Etat tende vers cela et qu'il sorte de ce système rudimentaire, recettes - dépenses de trésorerie. « Tant que je n'ai pas payé, ce n'est pas une dépense ! » Tant que les structures de défaisance du Crédit Lyonnais n'auront pas été renflouées par l'Etat, ce ne sera pas une dépense pour lui ! Cela n'a pas de sens. Qui cela peut-il égarer ? Qui cherche t-on à induire dans l'erreur ?

Je crois donc que c'est une voie dans laquelle il faut aller. Elle doit être la conséquence de la réforme du système d'information financière publique.

Concernant la sincérité des notes des services et plus précisément sur cette note de la fin de l'hiver 1997, je dois vous dire que comme chaque année en tant que ministre des finances j'ai reçu une note du Budget, qui comme chaque année est une note un peu alarmiste et elle devait l'être. Dans l'ouvrage auquel a fait référence François Trucy il y a un instant, j'ai exprimé mes inquiétudes. J'avais sollicité une réunion de recadrage budgétaire dès la fin du mois de janvier 1997, ceci pour assurer le passage à l'Euro.

Il y avait nécessité sur la base des premiers éléments que nous avions au premier semestre de faire quelques opérations d'ajustement, celles que redoute et critique Jacques Pelletier, c'est-à-dire des gels des crédits et des régulations budgétaires, insupportables pour le Parlement. Ce dernier passe son temps à mener l'assaut pour obtenir quelques dizaines de millions de dépenses supplémentaires et l'encre est à peine sèche que l'on prend connaissance des opérations de régulation ! Objectivement, cela traduit bien cette relation formelle entre le Parlement et l'exécutif. On ne peut pas rester sur tant d'ambiguïtés. J'avais donc souhaité à cette époque qu'il y ait quelques ajustements en recettes et en dépenses.

Cette fameuse note, très franchement, Maurice Blin, je ne sais pas quelle elle a été finalement. J'ai toujours tenu des propos confiants puisque nous attendions le retour de la croissance qui s'est vérifié au deuxième semestre. Il peut arriver dans ces systèmes d'information qui ne sont pas très formalisés que des documents et des rumeurs circulent. Quand vous êtes dans un système d'information à ce point informel, vous ouvrez des boulevards à tous les désinformateurs et vous donnez des prises à tous ceux qui veulent manipuler.

En tout cas, je n'ai pas visé une note particulière à cette époque. J'ai à l'esprit de nombreuses réunions avec mes collaborateurs qui me faisaient redouter l'échéance du 31 décembre 1997. J'ai pris quelques dispositions pour y porter remède par des gels de crédits ou des opérations de régulation. Maintenant, je ne crois pas qu'une note officielle ait été formellement visée. Telle est la réponse que je tiens à formuler.

Sur la procédure budgétaire, j'ai eu l'occasion avec vous et avec le Président Poncelet de tenir des séminaires sur le point de savoir comment discuter autrement de la loi de finances. Je pense personnellement que c'est un exercice extrêmement confortable pour le gouvernement : c'est du pilotage automatique pendant trois semaines au Sénat et pendant cinq semaines à l'Assemblée Nationale. Je suis donc totalement solidaire de tout ce que vous mettrez en oeuvre pour rompre avec cette procédure.

Cette façon de contrôler a priori des données virtuelles n'a pas grand sens. Il faut s'en tenir à des documents beaucoup plus simples à mon avis avec des délégations faites aux différents ministres pour qu'ils conduisent la politique comme ils l'entendent. Mais l'ordonnance du 2 janvier 1959 est à mon avis devenue obsolète. Elle est historiquement datée et c'est à mon avis le devoir du Parlement que de préparer sa réforme.

Je vous rends attentifs au fait que, avant de préparer la réforme l'ordonnance de 1959, il faut que l'on se mette d'accord sur le cadre comptable. C'est une obligation fondamentale que de rendre compte. C'est la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui en pose le principe.

Comment va t-on rendre compte de sa gestion ? Il faut que cette reddition de comptes soit compréhensible et lisible non seulement par les parlementaires mais aussi par les citoyens. Il faut que l'on puisse comprendre la nécessité et l'urgence de la réforme. Comment voulez-vous réformer Bercy si vous n'avez pas un système d'information adapté ? Le ministre croit que tout le monde est informé mais personne n'est au courant. Vous laissez alors un champ extraordinaire aux désinformateurs. Imaginez une direction tenue par un syndicat, une autre par un autre syndicat et que l'on veuille fusionner les deux directions. La tentation est forte de faire jouer le réseau. Qui va aller sur le terrain ? Dire réforme, c'est dire réduction des effectifs pour que cela coûte moins cher. On va traduire immédiatement cette donnée -qui n'est pas vérifiée- en se demandant où il y a de la peur. Il y a de la peur chez le maire du chef-lieu de canton qui a une perception. Il faudra lui expliquer immédiatement que sa perception est perdue et on va même lui donner la lettre pour qu'il puisse écrire à son député ou à son sénateur pour lui expliquer qu'une réforme se prépare à Bercy et qu'elle a pour conséquence de supprimer le réseau des perceptions. Or le sénateur et le député n'ont pas non plus été informés, puisqu'il n'y a pas d'information. On est dans le monde de la désinformation et on veut tous réformer l'Etat mais on a peur de la réforme de l'Etat. On réagit donc immédiatement ; la rumeur prend de l'ampleur et cela devient une sommation faite par le Parlement au gouvernement de ne rien changer.

Tout cela est rendu possible par le déficit total d'information claire. Puisqu'il n'y a pas d'information, tous ceux qui veulent désinformer ont un boulevard qui leur est offert. Là, vous avez en permanence des corporatismes qui peuvent réagir instantanément et faire pièce à votre projet.

Commençons donc par réformer le système d'information ! Imaginons le document synthétique qui doit donner une présentation prévisionnelle du fonctionnement et de ce que l'on peut appeler l'investissement correspondant aux opérations patrimoniales de l'Etat.

Commençons par imaginer ce que sera ce document de reddition de comptes pour que l'on puisse avoir le cadre prévisionnel simple, par nature de dépenses et de recettes, tenant compte des droits acquis et des dettes reconnues, supprimons aussi tous les dérivatifs que sont les comptes d'affectation spéciale et les comptes du Trésor. Ensuite on trouvera les documents analytiques par ministères, par flux.

Ayez aussi des exigences fortes en matière de connaissance des effectifs ! Comment voulez-vous vous prononcer sur un projet de loi de finances alors que vous n'avez aucune assurance sur le nombre de fonctionnaires ?

Cette situation peut-elle perdurer ? Je ne le crois pas. Le Conseil Constitutionnel ne démériterait pas à mon avis en approfondissant sa réflexion à ce sujet. Mais comment peut-on accepter tant d'aléas sur la mesure des effectifs ? Les effectifs deviennent un sujet de communication mais entre ce que l'on évoque, ce que l'on communique et la réalité, on n'a aucune assurance qu'il y ait une concordance.

Réformer le système d'information et définir le cadre de reddition de comptes nous donnera la matrice de la présentation de la loi de finances et nous pourrons alors préparer la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Il faut le faire pour qu'on y comprenne quelque chose.

En effet, François Trucy, j'estime les fonctionnaires avec lesquels j'ai collaboré et j'aime cette administration. Je trouve sinistre qu'avec autant d'instrumentistes de talent on ne puisse pas jouer une symphonie. Chacun est victime du système et de son organisation.

Je confirme ce que je viens de dire à Maurice Blin : je crois qu'il faut vraiment réformer les règles de la comptabilité publique.

Philippe Marini se souvient sans doute du DDOEF de 1994. A l'époque, le ministre était très réticent à l'idée qu'il y ait des comptes consolidés et qu'on les publie. Il était seulement attentif à ce qu'est son administration.

J'ai fait consolider les comptes des entreprises publiques. Je me suis étonné que vous n'ayez pas demandé ce document, car il existe. Mais cela étant, il n'a jamais été reproduit. Comment voulez-vous appréhender la situation de l'Etat-actionnaire si vous ne traitez pas un service Etat-actionnaire qui se comporte comme une holding financière, qui édicte des principes de reddition des comptes, avec un reporting mensuel et une consolidation en fin d'année pour que le Parlement puisse savoir si, globalement, la situation patrimoniale des entreprises qu'il contrôle s'est améliorée ou s'est altérée ? Vous ne pouvez pas imaginer une réforme des retraites par répartition qui, à mon avis, constitue une vraie priorité en imaginant une allocation d'actifs sans connaître le patrimoine de l'Etat. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'on alloue des actifs à un fond de réserve pour sécuriser les retraites. Mais comment voulez-vous faire des allocations quand vous ne connaissez pas le patrimoine de l'Etat ?

Avant de faire les allocations des participations que l'on a encore chez France Télécom ou chez Air France, commençons par nous demander ce qu'est le patrimoine de l'Etat et ensuite, en conscience, on pourra en extraire une fraction pour l'allouer à la pérennité des retraites par répartition. Il est urgent de disposer d'une charge globale et sincère de la situation financière de l'Etat.

Nous avons parlé aussi de la discussion budgétaire et je crois qu'il faut vraiment revoir cette procédure. On passe beaucoup trop de temps à discuter le projet loi de finances et on n'en passe pas assez en cours d'année à examiner la réalité. D'ailleurs ce ne serait pas forcément des débats en séance publique. C'est un suivi qu'il faut avoir et il ne faut pas que le contrôle ne vise qu'à trouver du sensationnel. C'est le côté quelquefois un peu malsain d'une commission d'enquête ou d'une commission de contrôle : l'impression d'un doute et une suspicion. Il faut donc faire disparaître cette suspicion. Le contrôle est une relation de confiance : on n'y va pour voir que cela ne va pas bien mais on y va pour vérifier que cela se passe comme on l'a dit. Il faut lever cette ambiguïté et ne pas persister dans un faux procès.

Par ailleurs, Jacques Pelletier, il serait très choquant que le Budget se substitue au ministre.

Il en va de même pour les effectifs. Ces jeunes gens et ces jeunes femmes sont sans doute passés par les mêmes écoles et ils entretiennent entre eux certaines relations. Le Budget impose en quelque sorte sa loi par camarade de promotion interposé.

Il est très choquant que le Budget se substitue au politique qui assume la gestion. Il faut que le gestionnaire rende compte de ce qu'il fait et qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Mais comme le système est opaque, le Budget se met à gérer à la place des autres. Comme on n'a pas d'image fidèle, comme on n'a pas d'indicateur pertinent, « on » se met à la place des autres. Cela, il ne faut pas l'accepter. Il faut sortir de cette culture, sinon on est bon pour tous les archaïsmes et pour laisser vivre des débats qui deviennent dérisoires.

Enfin Denis Badré, je sais que le gel et l'annulation de crédits ne sont pas des très bonnes manières. Le ministre, dès le début de l'année, est obligé de geler les crédits. Ce n'est pas forcément choquant. Ainsi, lorsqu'une année est un peu difficile, il est sage de ne pas mettre tous les crédits immédiatement disponibles aux ministres dépensiers. C'est une façon de lui dire : « On vous en met un douzième pour le mois de janvier, un autre douzième pour le mois de février, et si en cours d'année on voit que cela ne va pas bien, on serre un peu la vis. » C'est là le pouvoir souverain du ministre des finances qui donne des instructions à ses contrôleurs pour bloquer ou pour mettre un peu d'inertie dans l'engagement des dépenses.

Il faudrait que ce geste soit perçu comme un geste salvateur et non pas comme un petit jeu stupide pour enquiquiner et empoisonner la vie du ministre dépensier.

Il faudrait que les relations entre les ministres dépensiers et le ministre des finances sortent de cet espèce de jeu un peu malsain. Il y aurait d'un côté le bon ministre qui dépense de plus en plus et il sera loué par le Parlement, par l'opinion publique et par les commentateurs comme le meilleur ministre puisqu'il a obtenu 5 % de plus ! Il y aurait de l'autre côté celui qui aura consenti 2 % de dépenses en moins et dont on va se demander si vraiment il ne s'est pas fait « écraser » par le ministre des finances et a fortiori par le Premier ministre. Il faut donc aussi que l'on sorte de ces clichés destructeurs.

Les annulations de crédits peuvent être faites en application de l'article 13 de l'ordonnance. Si l'on s'aperçoit qu'un crédit n'est pas vraiment utile, on essaie de convaincre le ministre dépensier et on prend un arrêté d'annulation.

Les décrets d'avance permettent, quand on a gagé par une économie une dépense nouvelle, de sortir du cadre fixé par le Parlement, à charge d'en rendre compte dans la loi de règlement.

Voilà, mes chers collègues ce que je suis en mesure de vous dire ce matin. Pardonnez-moi si j'ai été un peu long dans mes réponses.

M. le Président - Je vous remercie au contraire de toutes les informations que vous nous avez données.

La séance est levée

(La séance est levée à treize heures trente.)

Séance du Mardi 2 mai 2000

La séance est ouverte à 16 h 02, sous la présidence de M. Alain Lambert

Audition de M. Jean BASSERES,
Directeur général de la Comptabilité Publique

M. le Président .- L'ordre du jour de la mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances, à savoir notre commission des finances bénéficiant des prérogatives des commissions d'enquête, appelle à 16 heures l'audition de M. Jean BASSERES, Directeur général de la Comptabilité Publique.

Monsieur le Directeur général, je vous souhaite la bienvenue.

L'objet de la mission est de s'informer sur le fonctionnement des services de l'Etat, à la fois dans l'élaboration des projets de loi de finances mais aussi dans leur exécution.

Je vous ai indiqué que nous souhaitions éviter la controverse juridique sur les droits de la commission, et les prérogatives de la commission d'enquête lèvent toute ambiguïté sur le sujet. La méthode choisie est pluraliste puisque nous avons souhaité qu'il y ait un rapporteur par groupe politique siégeant au Sénat et dans notre commission. C'est ainsi qu'ont été nommés rapporteurs : M. Philippe MARINI, Rapporteur général, M. Laurent du LUART, M. Bernard ANGELS, M. André VALLET, M. Paul LORIDANT et moi-même.

Conformément à la loi, je dois rappeler à la commission comme à M. BASSERES que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de la commission (nous serons cet après-midi dans le cadre de travaux non publics) et qu'en cas de faux témoignage la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Monsieur le Directeur général, je vous demanderai de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de  dire : « Je le jure ».

M. Jean BASSERES .- Je le jure.

M. le Président .- Je vous remercie. Je vous donnerai la parole pour un propos introductif.

M. Jean BASSERES .- Conformément à vos indications, je souhaiterais aborder deux points : repréciser le rôle de ma direction dans le processus d'élaboration et d'exécution des lois de finances et tenir des propos spécifiques sur la modernisation de la comptabilité de l'Etat.

S'agissant du rôle de ma direction, il porte essentiellement sur l'exécution des lois de finances car, en matière de prévisions, l'essentiel du travail que nous réalisons se fait dans le cadre des prévisions de recettes fiscales, notamment pour les impôts dont nous assurons le recouvrement, principalement l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés.

S'agissant de l'exécution, je vous précise qu'il existe deux secteurs où ma direction joue un rôle limité : la gestion de la dette et celle de la trésorerie.

Concernant la gestion de la dette, nous assurons essentiellement un rôle de back-office, de prestataire de services, pour la Direction du Trésor pour laquelle nous suivons la gestion administrative de la dette.

En matière de gestion de trésorerie, nous intervenons au profit de la Direction du Trésor pour favoriser la prévision des encaissements et décaissements (système d'annonces du Trésor). L'essentiel de nos travaux en termes d'exécution porte sur le recouvrement des impôts, l'exécution des dépenses et la tenue de la comptabilité, trois points que je développerai rapidement.

En matière de recettes, nous avons recouvré en 1999, 870 milliards de francs de recettes fiscales et non fiscales au profit de l'Etat. Sur cette activité, je souhaiterais formuler trois observations :

Nous mettons en place une politique dynamique d'animation du réseau qui est notamment fondée sur la fixation de taux d'objectifs départementaux ce qui nous a permis, grâce également à une meilleure conjoncture économique, d'avoir en 1999 les meilleurs taux jamais obtenus.

Dans le cadre de cette activité, nous participons mensuellement aux réunions de suivi des encaissements organisées par la direction du budget avec la direction générale des impôts, la direction générale des douanes et des droits indirects et la direction de la prévision.

Pour répondre à une de vos questions telles qu'elles nous ont été adressées, préalablement à nos auditions, nous avons un rôle limité dans la fixation du calendrier de recouvrement qui est largement déterminé, nous concernant, par la loi et les travaux de la direction générale des impôts qui fixe les rythmes d'émission des rôles. L'essentiel du rôle que nous pouvons avoir est une incitation à la mensualisation qui permet un meilleur lissage des rentrées fiscales, mais sans aucune intervention directe dans le calendrier.

Deuxième intervention en matière de dépenses, puisque nous avons payé en 1999 plus de 2 000 milliards de francs de dépenses : nous tentons de mettre en place une politique active d'amélioration de l'exécution des dépenses publiques fondée autour de trois objectifs :

à La réduction des délais de paiement des comptables qui atteignent actuellement, pour l'Etat, de l'ordre de 8 jours et demi.

à Nous essayons de développer les prestations de conseil en amont, notamment en matière d'expertises économiques et financières des projets d'investissements pour aider les ordonnateurs à mieux les préparer.

à Nous avons également un rôle de valorisation des informations que nous fournissons aux gestionnaires locaux grâce à différentes techniques informatiques.

Les contrôles que nous effectuons dans le cadre de la dépense sont encadrés par le décret de 1962 et exclusivement guidés par des soucis de régularité et non pas de régulation budgétaire ou financière.

Pour répondre à une de vos questions, je précise qu'en termes de calendrier de la dépense notre rôle consiste, avec la direction du budget, à fixer dans un cadre réglementaire les dates d'exécution des opérations de fin de gestion. Celles-ci ont été récemment modifiées dans le cadre de la réduction de la période complémentaire.

Dernière observation sur la dépense : les Trésoriers Payeurs Généraux (TPG) sont, depuis 1996, contrôleurs financiers en région et, à ce titre, contrôlent les engagements des ordonnateurs. Là aussi, suite à une de vos questions écrites, je vous indique que ce rôle est un rôle de contrôle de régularité et que les T.P.G. n'ont pas pour objectif de réguler les engagements des ordonnateurs. Cette tâche, si elle existe, incombe aux contrôleurs financiers centraux placés auprès des ministres.

Troisième secteur d'intervention : la comptabilité, la tâche la plus importante pour mes services, puisque le réseau des comptables du Trésor assure la tenue de la comptabilité de l'Etat, non seulement pour leurs propres opérations mais également en centralisant les opérations, essentiellement de recettes, prises en charge par la direction générale des impôts et la direction générale des douanes des droits indirects.

Ces enregistrements comptables s'opèrent selon des procédures, des instructions fixées annuellement par ma direction, notamment suite aux lois de finances qui amènent à modifier chaque année les nomenclatures d'exécution et celles de la comptabilité générale de l'Etat. Toutefois, nous n'effectuons jamais de modification des règles d'enregistrement comptable par les services du Trésor Public en cours d'année. D'une part ce serait contraire au principe de permanence des méthodes et, d'autre part, cela provoquerait dans ces services de nombreuses difficultés. Il nous est arrivé de le faire pour des motifs particuliers mais l'on ne modifie pas, en règle générale, en cours d'année les conditions d'enregistrement comptable des opérations.

Deuxième observation sur la comptabilité : dans le prolongement de la tenue de la comptabilité de l'Etat (les comptabilités budgétaires et la comptabilité générale) la direction générale dont j'ai la charge, effectue les synthèses régulières de l'exécution des lois de finances : synthèses hebdomadaires mais également synthèses mensuelles en recettes ou en dépenses et, en fin d'année, l'élaboration du compte général de l'administration des finances qui est le document de synthèse de l'exécution budgétaire ainsi que patrimoniale ; ma direction prépare également le projet de loi de règlement.



Dernière observation sur ce volet comptable qui est un sujet important : une des caractéristiques essentielles de ce cadre comptable est de privilégier largement le principe du suivi des opérations budgétaires, à savoir qu'il privilégie un suivi en opérations de caisse -encaissements/décaissements-. Ceci est indispensable pour fournir aux autorités parlementaires l'imposition la plus fine sur les consommations de crédits. A contrario, cela peut conduire à rendre plus difficile la description du patrimoine de l'Etat, puisque nous avons une logique encaissement et décaissement et non pas une logique de droits constatés qui permettrait de mieux rendre compte de l'évolution du patrimoine.

Nous envisageons de moderniser la comptabilité de l'Etat : avant de vous en présenter les grands axes qui ont trouvé quelques points d'application dans le compte général de l'administration des finances (C.G.A.F.) qui sortira au mois d'avril et dont vous serez destinataires, j'insisterai sur des évolutions enregistrées au cours des dernières années.

Trois innovations méritent d'être soulignées :

L'accélération des centralisations comptables : à la différence des entreprises et des établissements publics, la comptabilité de l'Etat repose sur un nombre très important d'opérateurs. Un des objectifs propres à cette comptabilité est de faire en sorte de parvenir à centraliser, dans les meilleures conditions de rapidité, l'ensemble de ces opérations. Au cours de ces dernières années, l'objectif était d'aboutir à une centralisation quotidienne des opérations, ce qui a été réalisé en trois étapes :

Au sein du réseau du Trésor, pour les relations entre les postes comptables de base, les trésoreries générales et l'agence centrale du Trésor qui centralise les écritures. Entre 1987 et 1994, nous sommes arrivés à la centralisation quotidienne.

Deuxième étape plus récente en octobre 1999 : nous intégrons quotidiennement les écritures passées par la direction générale des impôts.

Troisième étape, que j'espère pouvoir franchir en l'an 2000 : une expérimentation avec la direction générale des douanes et des droits indirects pour un même résultat, à savoir une centralisation quotidienne, alors que nous sommes encore en centralisation mensuelle.

La deuxième orientation consiste à mieux affiner les données comptables du recouvrement des impôts.

Jusqu'à 1998 nous avions une ventilation grossière avec un suivi du recouvrement des impôts sur rôle qui associent l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés émis suite à un contrôle fiscal, ainsi que les impôts directs locaux, sans répartition comptable de ces différents recouvrements.

Depuis 1998, le recouvrement des impôts perçus par le réseau du Trésor Public sont comptablement ventilés en six catégories.

D'autres progrès restent à réaliser en la matière : les conditions dans lesquelles nous comptabilisons les réductions d'impôts où nous avons une divergence selon les réseaux.

Troisième évolution importante : l'amélioration des délais de production des comptes grâce à la réduction de la période complémentaire. Nous avons gagné deux mois et demi sur la production du C.G.A.F. et, l'année dernière, le projet de loi de règlement a été déposé en septembre sur le bureau de l'Assemblée nationale avec, comme objectif cette année, de le déposer avant la fin du mois de juin.

Quelques mots sur la réforme de la comptabilité de l'Etat stricto sensu. Cette réforme poursuit quatre objectifs :

à Doter l'Etat d'un système comptable plus proche du droit commun.

à Intégrer dans les comptes une information enrichie sous l'angle économique.

à Soutenir une démarche de performance dans la gestion des services publics.

à Assurer un meilleur suivi et une plus grande lisibilité des engagements de l'Etat à moyen et long terme.

Le compte général de l'administration des finances pour 1999 intégrera les premières modifications qui répondent à ces objectifs dans un cadre assez précis consistant à maintenir un suivi de l'exécution budgétaire en caisse, mais en l'enrichissant d'éléments patrimoniaux reflétés par les comptes de l'Etat en termes de bilan et de compte de résultats.

Quelles sont ces innovations ? Elles sont au nombre de cinq.

à Une meilleure valorisation des immobilisations non financières et l'introduction, pour la première fois concernant les matériels et les équipements, de dotations aux amortissements.

à Une amélioration de la lisibilité du compte qui retrace les dotations et participations de l'Etat : meilleure lisibilité mais, également, meilleure valorisation en tentant d'appréhender pour les principales entreprises les comptes consolidés et non pas les comptes sociaux.

à La comptabilisation de la dette en droit constaté et non plus en encaissements/décaissements.

à La création d'une provision pour dépréciation des créances fiscales (qui correspond dans son principe à une provision pour créances douteuses).

à Une première présentation dans une annexe hors bilan d'engagements à moyen et long terme de l'Etat qui a porté cette année sur les garanties accordées par l'Etat aux entreprises par l'intermédiaire de la COFACE, ainsi que les engagements au titre de l'épargne logement.

Ces évolutions seront poursuivies dans les prochaines années grâce au développement des applications informatiques qui nous permettront de passer à une comptabilité de droit constaté avec le logiciel « ACCOR » . Ces évolutions permettront d'enrichir la comptabilité analytique et la comptabilité de gestion des services de l'Etat.

M. le Président .- Je vous remercie. Je passerai la parole à Monsieur le rapporteur général qui vous posera ses questions auxquelles vous répondrez. Ensuite, j'ouvrirai le débat à la commission.

M. Philippe MARINI, rapporteur général .- Mes questions porteront sur les conditions d'exécution de la loi de finances pour 1999 concernant son volet recettes et, d'un point de vue général, sur le progrès des modes de comptabilisation, notamment en matière patrimoniale de l'Etat.

Sur le premier aspect, je souhaiterais que le directeur général de la comptabilité publique puisse nous dire quelle part ses services ont prise à l'estimation et à la révision en cours d'année des montants de recettes fiscales de l'exercice 1999.

Participez-vous aux réunions dites d'arbitrage qui ont lieu deux fois dans l'année en février et juin ?

Avez-vous fait des remarques particulières s'agissant de la gestion 1999 ?

Pouvez-vous nous éclairer sur ces aspects ?

En matière d'exécution de l'année 1999 des modifications de méthodes, de nature à influer sensiblement sur les résultats, ont-elles été opérées ? Des moyens permettant d'imputer sur 1999 ou sur 2000 telles ou telles parts de recettes fiscales ou non fiscales ont-ils été utilisés ?

Pourriez-vous sur ces aspects, nous rappeler quels sont les moyens par lesquels jouent les éléments d'ajustement entre un exercice qui se clôt et l'exercice suivant et avez-vous des éléments d'appréciation en la matière ?

Sur le second volet, je m'intéresse depuis longtemps -je suis loin d'être le seul- à la question dite du hors bilan de l'Etat. Le directeur général y faisait allusion auparavant. Il s'agit de recenser les risques et charges futures de l'Etat susceptibles de modifier l'appréciation des données à proprement parler comptables. Y voyez-vous clair en matière méthodologique ?

La liste de ces risques et charges futures est-elle aujourd'hui dressée en termes de méthodologie, de manière exhaustive ?

Commencez-vous à voir s'esquisser les montants dont nous parlerons quand il sera question de publier ce hors bilan ?

Pouvez-vous nous associer à ce processus dont le Secrétaire d'Etat au Budget nous a dit qu'il visait, parmi d'autres éléments, à améliorer la transparence et la sincérité du budget des comptes de l'Etat ?

M. le Président .- Merci, monsieur le rapporteur général.

M. Jean BASSERES .- Concernant l'exécution de la loi de finances 1999, volets recettes, comme vous l'avez indiqué, nous rappellerons les principales étapes de ce mode d'exécution.

Deux réunions dans l'année permettent de mesurer l'évolution des encaissements et de caler les prévisions au vu des encaissements déjà effectués.

Une réunion se tient en février à partir de laquelle au vu des premiers encaissements de l'année (janvier) nous calons les prévisions pour l'année.

Une deuxième réunion, qui s'est tenue en 1999, sert également de cadre à la préparation du projet de loi de finances de l'année ultérieure.

Ces réunions associent ma direction qui est, pour ce qui la concerne, compétente en matière d'impôt sur le revenu et sur les sociétés, ainsi que la direction générale des impôts, la direction des douanes, la direction de la prévision et la direction du budget.

Quelles sont nos méthodes de prévision sur les deux impôts que j'ai indiqués ?

L'impôt sur le revenu : les prévisions que nous réalisons sont largement fonction des prévisions d'émission de rôles d'impôts, élaborées par la direction générale des impôts en liaison avec la direction de la prévision en fonction des hypothèses de croissance économique.

Sur la base de ces prévisions d'émission, nous avons une série d'indicateurs en termes de taux de recouvrement qui nous permettent de calculer en fonction des échéances d'impôts, du calendrier, en tenant compte d'hypothèses de nombre de mensualisés et de tout l'historique que nous avons des recouvrements, de faire des prévisions sur la base de ces émissions. C'est une mécanique que je qualifierais d'assez bien maîtrisée puisque les taux de recouvrement en matière d'impôt sur le revenu n'évoluent pas de manière extrêmement forte d'une année sur l'autre, cette stabilité nous permet d'effectuer des prévisions de recouvrement assez fines.

En matière d'impôt sur les sociétés, nous n'avons pas d'indicateur macroéconomique, qu'il s'agisse de la valeur ajoutée ou de l'excédent brut d'exploitation, qui soit clairement corrélé au résultat fiscal, car entrent en ligne de compte les politiques d'amortissement et de provisions, ainsi que la réglementation de l'impôt sur les sociétés., ou l'intégration fiscale.

Nous avons une difficulté objective à tenter d'appréhender les rentrées fiscales d'impôt sur les sociétés avec deux échéances qui sont les plus difficiles à prévoir : celle d'avril, qui correspond pour l'essentiel des sociétés au solde au titre de l'exercice N-1 et celle de décembre qui est l'acompte au cours duquel certaines entreprises qui anticipent leur résultat fiscal peuvent diminuer spontanément leur acompte.

Que s'est-il passé en 1999 ?

Lors de la réunion d'arbitrage de juillet (je raisonne sur l'impôt sur le revenu hors droit de bail, une des difficultés de l'exercice 1999 étant que nous n'avions pas isolé le droit au bail de l'impôt sur le revenu) nous avions fait une hypothèse autour de 323 milliards de francs, ce qui représentait un surcroît de prévision de 7,5 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale. L'exécution a été de 12 milliards de francs supérieure à la loi de finances initiale. Nous avons donc sous-estimé en juillet de 4,5 milliards de francs l'exécution 1999.

Pourquoi ? Essentiellement (par rapport à la mécanique que je vous décrivais précédemment) parce que nous avons sous-estimé les émissions de la direction générale des impôts, notamment sur le mois de septembre, où nous avons alors constaté des rentrées d'impôt sur le revenu plus fortes que celles que nous attendions, car la direction générale des impôts a émis plus rapidement que prévu les rôles -ce qui est tout à son honneur-, et cet écart de prévision explique celui sur le résultat final.

En matière d'impôt sur les sociétés, où la situation est plus compliquée, en février (je raisonne en impôt sur les sociétés net) nous avions prévu 201 milliards de francs. Nous étions loin de la réalisation finale qui était de 226 milliards de francs. Nous avons rectifié nos prévisions au vu du solde d'avril qui était meilleur que prévu, pour une prévision autour de 220 milliards de francs, soit un écart de 6 milliards de francs par rapport à l'exécution. Cette erreur de prévision peut également s'expliquer par le fait qu'en analysant l'échéance d'avril nous n'avons pas mesuré (notre suivi n'étant pas suffisamment précis) que certaines sociétés importantes qui ont le choix entre payer en avril ou en décembre parce qu'elles sont au bénéfice mondial, ont fait le choix de payer en décembre. L'une d'elles, pour le mois de décembre, a payé plus de 5 milliards de francs.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général .- 220 milliards de francs correspondent-ils au chiffre de juillet 1999 ?

M. Jean BASSERES .- Oui, sur la base de ce que nous avions observé en avril.

Concernant les modifications de méthodes, il n'existe pas de modifications de méthodes comptables pour la comptabilisation des recettes et aucune n'a eu lieu en 1999.

En matière de choix d'imputation sur les exercices, Monsieur le rapporteur général, vous avez distingué les recettes fiscales des recettes non fiscales. Les recettes fiscales ne sont pas impliquées, compte tenu qu'il n'existe pas de comptabilisation de recettes fiscales en périodes complémentaires, sauf cas exceptionnel de grève où les imputations se font alors sur la base d'un décret, ainsi qu'en 1989 et 1995.

Pour les recettes fiscales, nous constatons ce qui a été passé dans les écritures au 31 décembre.

Pour les recettes non fiscales, traditionnellement une appréciation est effectuée sur le choix de l'exercice d'imputation. Concernant les exercices 1999 et 2000, les ministres ont eu l'occasion de s'expliquer devant la représentation nationale sur le fait que des recettes non fiscales à hauteur de 15 milliards de francs -CADES, Caisses d'épargne et COFACE- avaient été encaissées en période complémentaire et imputées sur 2000. C'est un choix explicité par les ministres et qui, de ce point de vue, ne regarde pas les techniques comptables.

Concernant le hors bilan, qui est un sujet extrêmement important, nous avons commencé les travaux méthodologiques et, en 1999, dans le compte général dont vous serez destinataires dans les prochains jours, nous avons tenté d'élaborer, pour la première fois, une annexe qui essaie de préciser quelles sont les engagements moyen et long terme de l'Etat.

Nous avons, dans un premier temps, ciblé sur trois secteurs d'intervention.

Premier secteur : les retraites des fonctionnaires de l'Etat et des régimes spéciaux, pour lesquelles l'annexe ne donnera pas des indications chiffrées mais méthodologiques. Deux autres secteurs donneront lieu à un chiffrage précis : l'engagement que l'Etat prend en matière d'épargne logement, tout d'abord. Vous savez que lorsque les Français souscrivent un plan d'épargne logement s'accumule un engagement de l'Etat qui en sortie de plan verse une prime. Nous avons calculé l'engagement potentiel maximal. Il a été chiffré à 50 milliards de francs, ce qui ne signifie pas que ces 50 milliards de francs seront des dépenses certaines, car des plans pourront s'interrompre et toutes ces primes ne seront pas forcément versées.

Troisième secteur : les garanties qu'accorde l'Etat aux entreprises avec 247 milliards de francs, et les garanties à l'exportation via la COFACE pour 534 milliards de francs. C'est une première étape Monsieur le rapporteur général. Il y a sans doute à poursuivre les travaux méthodologiques pour connaître la nature des types d'engagements qu'il faut isoler et pouvoir prendre en compte.

Quand je dis « pouvoir prendre en compte », cela peut passer par l'élaboration d'une simple annexe ou inscriptions de provisions pour certains engagements.

La seule indication que je peux vous donner à ce stade est qu'il faudra être attentif à la manière de pratiquer des Etats étrangers dont peu, aujourd'hui, provisionnent dans leurs comptes au titre des engagements moyen et long terme. Nous avons plutôt une optique au ministère des Finances de progresser dans la connaissance des engagements avant d'envisager un mode de comptabilisation extrêmement précis.

M. François TRUCY .- Quand vous avez dit, s'agissant des dépenses, que l'Etat payait en 8 jours et demi ; il y a de quoi s'évanouir. De quels jours parlons-nous ? Il ne s'agit pas de 8 jours et demi après le moment où la créance a été produite. Je suppose qu'en amont, il existe un certain nombre de paramètres que vous voudrez bien nous indiquer.

Les flux sont considérables. L'Etat a la réputation de payer à l'heure. La France est dans ce cas, mais l'Etat joue (une fois n'est pas coutume) le banquier des collectivités locales et des communes en particulier.

Je me souviens de la polémique qui a surgi il y a quelques années quand il était question de savoir s'il était dans l'intérêt des communes d'avoir la possibilité de placer leurs fonds disponibles, et quand l'étude de la simulation a été faite du coût pour l'Etat de la vente qu'il fait de ses impôts locaux avant même qu'ils ne rentrent (l'Etat paie à partir du 1 er janvier et recevra les fonds au 1 er octobre), cet énorme volant d'entrées et de sorties peut-il poser des problèmes en trésorerie à l'Etat ?

Existe-t-il des à-coups dans ces grands flux susceptibles de compliquer votre tâche ?

Quel est l'impact dans les rentrées de l'Etat, d'une grève des services fiscaux, profonde et longtemps poursuivie ?

Avez-vous, au poste où vous êtes -haut fonctionnaire- des suggestions à faire, de manière qu'en cas de difficulté il soit possible de trouver des moyens pour les éviter ?

Quand la France s'acquitte de sa participation au budget européen, au budget de l'O.N.U. ou aux contributions des opérations du maintien de la paix qui est arrivé ensuite et ne correspond pas aux mêmes critères, paie-t-elle en une seule fois ou en plusieurs et que font les étrangers ?

Dans le domaine de la contribution à l'O.N.U. nous avions constaté des disparités énormes dans les rythmes de paiement des contributeurs.

M. Paul LORIDANT .- Monsieur le directeur général, je suis rapporteur des comptes spéciaux du Trésor dont quelques-uns voient par moment des rentrées substantielles arriver. Je voudrais savoir si c'est votre direction générale qui gère les flux de rentrées sur ces comptes et si vous avez une méthode de prévision. Est-il possible d'avoir une évaluation, notamment du côté des recettes ?

Une privatisation -événement exceptionnel qui n'est pas prévisible puisqu'il dépend directement du calendrier politique et du calendrier sur le marché financier- représente des sommes importantes.

Ces comptes spéciaux du Trésor sont suivis par la direction du Trésor mais, en termes comptables, est-ce bien vous qui les gérez et les intégrez-vous aussitôt dans les situations budgétaires ?

Concernant le compte d'avances aux collectivités locales, j'ai cru comprendre qu'il y a eu une inversion de solde sur ce compte. Jusqu'à présent, ce compte coûtait beaucoup à l'Etat mais j'ai cru comprendre que la situation s'était inversée aujourd'hui compte tenu de sa liaison à la modération fiscale, entre autres des collectivités locales. Comment gérez-vous ce compte ? L'avez-vous de façon instantanée ?

M. Jacques CHAUMONT .- Je souhaiterais savoir si apparaissent dans la comptabilité publique, et sous quelque forme, les dons du Trésor faits à certain pays quand ont lieu, à la suite d'un G7 ou de toutes autres réunions, des remises de dettes envers les pays les plus pauvres ? Comment ces éléments apparaissent-ils dans la comptabilité ?

Si la France verse une contribution particulière au Fonds Monétaire International ou à d'autres organismes, et son intervention a un caractère subi, comment cela se passe-t-il ?

M. le Président .- Dans le prolongement des questions de mes collègues et des réponses que vous avez données au Rapporteur général, je voudrais revenir sur les méthodes d'évaluation et de prévision. En écoutant les précédentes personnalités auditionnées, j'ai eu le sentiment qu'il existait, au sein des directions du ministère, des méthodes différentes, voire divergentes.

Je voulais avoir votre sentiment. Avez-vous le même ? Avez-vous une idée des raisons de cette différence ? Je voudrais prolonger votre réponse à la question de Monsieur le rapporteur général s'agissant des opérations de fin de gestion.

J'ai remarqué que vous étiez directeur général à la comptabilité publique depuis 1993. Vous avez connu des périodes de conjoncture haute et basse. Existe-t-il une évolution des opérations de fin de gestion qui dépend beaucoup de cette situation ou des opérations qui ont dépendu des exigences liées au passage à l'euro ? Il serait intéressant, pour une commission des finances de la représentation nationale, de voir s'il est possible de tirer des enseignements généraux de ces opérations de fin de gestion.

Existe-t-il un formalisme pour porter les arbitrages ? Comment se passe l'information pour que vous puissiez faire des imputations comptables ? Ces opérations donnent-elles lieu à des procès-verbaux ou des documents administratifs particuliers ?

Vous nous avez expliqué, pour l'exercice 1999, l'impact des évolutions de la conjoncture sur les recettes. Cela vous a-t-il permis d'apprécier au cours du second semestre 1999 l'impact que cela aurait sur les recettes 2000 ?

Enfin, une question très pratique : quel est le montant des engagements de l'Etat au titre de l'épargne logement ?

M. Jean BASSERES .- 8 jours et demi sont effectivement les délais du comptable, entre le moment où le mandat a été élaboré par le service ordonnateur et le moment où il est payé par le comptable. Il conviendrait d'y ajouter les délais en amont qui séparent la réception de la facture de l'élaboration du mandat.

Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur l'évolution du compte d'avances aux collectivités locales. Je confirme ce qui a été indiqué : sa courbe est assez connue avec des dépenses dans le début d'année et des recettes à partir du mois d'octobre en raison des impôts locaux.

Qu'est-ce qui peut provoquer des à-coups dans les flux ?

Vous avez parlé des grèves. A l'évidence, les grèves des services fiscaux au sens le plus large (direction générale des impôts et comptabilité publique) perturbent les rentrées fiscales principalement en retardant l'émission des rôles et -nous l'avons vécu lors de la dernière grève- en empêchant l'encaissement des impôts notamment la part importante des encaissements qui transite par les départements informatiques du Trésor concernant les chèques et les titres interbancaires de paiement. L'incidence sur la trésorerie de l'Etat est beaucoup plus faible pour les opérations qui donnent lieu à prélèvement de mensualisation ou les virements automatiques.

Vous me demandez de faire des suggestions pour répondre à ces difficultés. Nous y travaillons activement, instruits par l'expérience du dernier conflit, mais ce sont des sujets qui ne sont ni mûrs ni publics, car nous devons mener quelques expertises complémentaires.

Concernant la participation aux budgets européen ou de l'O.N.U ainsi qu'aux opérations de maintien de la paix, je ne peux pas vous dire si elle est versée en une ou plusieurs fois. Concernant les services relevant de ma responsabilité, les comptables paient en fonction de l'ordonnateur. Ce dernier a-t-il une liberté de choix ou ne fait-il qu'appliquer des décisions internationales ? Je l'ignore. Il fixe le rythme des versements et mes services paient en fonction du rythme fixé.

Les comptes spéciaux du Trésor : la comptabilité publique en tient les comptes et, pour la majorité d'entre eux c'est à l'agence centrale du Trésor que les comptes sont tenus. Mais ils sont gérés du point de vue ordonnateur par la direction du Trésor et la direction du Budget. Ces directions sont amenées à faire des prévisions de recettes. Nous suivons les comptes et, de ce fait, ils sont intégrés aux situations régulières de suivi budgétaire ou de trésorerie.

Dans la situation hebdomadaire de trésorerie, il existe une rubrique spéciale sur les comptes spéciaux du Trésor qui rend compte de l'évolution des recettes et dépenses et, notamment, du compte d'avances aux collectivités locales.

Tout ce qui est en prévision et gestion relève d'autres Directions que de la mienne.

Sur les contributions, les dons du Trésor ou les remises de dettes, nous suivons en comptabilité d'Etat les prêts consentis aux Etats étrangers ; nous en suivons, en comptabilité budgétaire, les encaissements et, en comptabilité patrimoniale, le montant des prêts et des annulations, remises telles que vous les évoquez suite au Club de Paris dont le Directeur du Trésor pourra parler mieux que moi.

Sur les méthodes de prévision, je ne suis pas certain qu'il existe des méthodes aussi divergentes. Je parlerai des deux impôts que je connais : l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés.

Impôt sur le revenu : la direction de la prévision fait des prévisions essentiellement fondées sur des hypothèses macro économiques : évolution des salaires et du PIB. Elles sont prises en compte par la direction générale des impôts qui travaille en termes d'émission et, à partir de là, nous calculons des taux de recouvrement. Ce sont des exercices successifs et nous n'avons pas de divergences d'appréciation puisque nous n'appliquons pas des méthodes qui s'appliquent aux mêmes données.

En matière d'impôt sur les sociétés, avec la direction de la prévision nous « tâtonnons » ensemble. C'est un impôt extrêmement difficile à prévoir et nous tentons de nous rapprocher les uns des autres en fonction de leurs hypothèses macro et des nôtres, liées à l'expérience du terrain, pour confronter nos éléments. Il ne s'agit pas de méthodes scientifiques et les approches sont différentes, car elles se placent pour eux de manière macro économique et pour nous-mêmes, du point de vue micro économique.

La fin de gestion : je serais mal placé pour vous faire un historique depuis 1993, car je suis directeur général de la comptabilité publique depuis moins de 2 ans et mes fonctions dans mes précédentes tâches à la comptabilité publique ne portaient pas sur ces opérations de fin de gestion. Elles n'ont pas le même sens en période de haute ou de basse conjoncture. Quand je regarde ce que disent les observateurs, notamment la Cour des comptes sur les opérations de fin de gestion, j'observe que les sujets en cause couvrent principalement des recettes non fiscales qui ont été imputées sur l'exercice 2000. Dans une période de basse conjoncture, ce choix d'opportunité aurait pu être inverse.

Quand vous faites référence à l'euro, il est évident que la manière dont nous avons suivi l'évolution du seuil d'exécution budgétaire, compte tenu des contraintes imposées par le traité de Maastricht a amené un suivi particulier.

Sur les recettes 2000, je n'ai pas l'information hormis que le Gouvernement, dans le cadre du projet collectif qui vient d'être déposé, sera amené à réviser ses prévisions 2000 pour tenir compte des mesures présentées et, notamment, sur l'impôt sur le revenu, l'abaissement des plus basses tranches. Il intégrera une révision plutôt à la hausse des perspectives d'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, en fonction des observations effectuées au cours des premiers mois.

L'épargne logement : le chiffre est aujourd'hui de 50 milliards de francs sur les engagements futurs si tous les plans souscrits allaient jusqu'au bout et si l'Etat visait les primes associées.

M. le Président .- Nous n'avons pas consommé tout le temps réservé pour l'audition de M. BASSERES.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général .- J'ai une question dans le domaine de la comptabilité patrimoniale et du progrès des méthodes, s'agissant des entités du secteur public, qui sont elles-mêmes de statuts très divers, puisqu'il peut exister des sociétés contrôlées par l'Etat, dont le capital appartient à l'Etat ou majoritairement, ainsi que des entités en forme d'établissements publics jouant des rôles économiques souvent importants et qui sont extrêmement proches de l'Etat et dont ce dernier (je pense à la S.N.C.F. en particulier) est bien évidemment le garant.

Avez-vous progressé en matière d'évaluation de ces participations et comment travaillez-vous dans ce domaine avec la direction du Trésor ?

Tenez-vous des réunions périodiques ? Existe-t-il une démarche méthodique avec des choix de principes, des secteurs étudiés expérimentalement et des sujets qui s'affinent ? Pouvez-vous nous faire participer à ce travail complexe qui, en théorie, devrait avoir été amorcé après le vote d'un amendement dans le D.D.O.F. de 1994 où l'on voyait pour la première fois émerger l'idée d'un bilan consolidé des participations de l'Etat ?

M. Jean BASSERES .- Monsieur le rapporteur général, nous sommes dans un domaine qui est celui des engagements de l'Etat mais, dans le bilan, pour être plus précis, nous sommes sur le compte 26 du bilan de l'Etat qui retrace les dotations et participations. Dans le cadre de ce C.G.A.F. 1999, nous avons commencé un travail important avec la direction du Trésor pour tenter de réaliser deux opérations distinctes :

Tout d'abord, donner plus de lisibilité à ce compte. Nous avons tenté de mieux distinguer secteur marchand et secteur non marchand et, au sein du secteur marchand, de classer les participations en fonction du taux de participation de l'Etat. Nous avons retenu 10 %, 20 % et 50 %.

Nous avons voulu isoler les structures de cantonnement CADES, E.P.F.R. et autres, qui ont une situation particulière puisque nous n'avons cantonné que de la dette.

Nous voulions appréhender l'ensemble du champ que vous décrivez.

Le deuxième effort porte sur la valorisation. Comment fait-on pour valoriser ces participations ? La méthode qui était retenue part de la situation nette en prenant la quote-part de l'Etat, appliquée à cette situation nette. C'était une méthode qui nous conduit à travailler avec la direction du Trésor pour examiner le bilan des sociétés en question. L'innovation que nous avons voulu apporter cette année est de travailler (nous l'avons fait sur une dizaine d'entreprises mais les plus importantes : Air France, France Télécom et E.D.F.) sur les comptes consolidés pour élargir le champ de nos travaux.

La méthode a changé. Nous raisonnons en quotes-parts sur les capitaux propres, ce qui est une méthode technique admise. Nous essayons d'enrichir la méthode de valorisation et j'espère que nous pourrons poursuivre avec le Trésor, année après année, pour aboutir à une meilleure valorisation du patrimoine de l'Etat. Je précise que la valorisation que nous effectuons est une valorisation économique bilantielle et non pas la valorisation boursière qui est beaucoup plus fluctuante. Nous aurons toujours un écart -c'est le cas avec toutes les entreprises- entre la valorisation comptable et la valorisation boursière.

M. Jacques CHAUMONT .- Le ministère des Affaires étrangères vient d'entreprendre le recensement de l'ensemble des bâtiments appartenant à l'Etat dans tous les pays étrangers et, dans un certain nombre de pays, nous n'avions pas de bilan de nos biens à l'étranger, en particulier, dans certains pays, cet élément était inexistant. En France, sommes-nous en mesure de savoir quel est le bilan de l'ensemble des propriétés immobilières de l'Etat, qui appartiennent au ministère de l'Intérieur ou de la Santé ?



M. Jean BASSERES .- Nous avons en France ce que l'on appelle le T.G.P.E. (Tableau Général permanent des Propriétés de l'Etat) qui recense l'intégralité de sa propriété. Dans le cadre des travaux sur la réforme comptable, nous avons introduit une meilleure valorisation des immeubles recensés dans ce T.G.P.E. Une première étape a été effectuée cette année, assez significative, car elle nous a conduit à valoriser le stock des immobilisations corporelles et non corporelles de l'Etat à plus de 500 milliards de francs.

Jusqu'à cette date, nous avions un mode de comptabilisation particulier : nous comptabilisions chaque année les flux de dépenses en capital que nous amortissions intégralement. Nous avions une valeur brute infinie et une valeur nette négative. Nous avons travaillé avec la direction générale des impôts qui tient le T.G.P.E. pour définir une meilleure valorisation des immeubles.

Une première étape a été franchie. Nous avons notamment utilisé des valeurs de marchés. Une des étapes que nous avons en tête pour l'année prochaine -et peut-être les années ultérieures avec le ministère des Affaires étrangères- est d'essayer de mieux appréhender le patrimoine à l'étranger qui échappe au T.G.P.E. et qui, dans certains pays, comme le Maroc ou l'Algérie est un patrimoine assez important qu'il faudrait valoriser puisqu'il appartient au patrimoine immobilier de l'Etat.

M. le Président .- Merci, Monsieur le directeur général.



Séance du 2 mai 2000

La séance est ouverte à 17 heures sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de M. François VILLEROY de GALHAU,
Directeur général des Impôts



Nous nous retrouvons dans le cadre de notre commission des finances et du contrôle budgétaire qui siège avec les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, et l'ordre du jour appelle l'audition de François VILLEROY DE GALHAU, directeur général des impôts.

Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue à la commission des finances.

L'objet de la commission est de s'informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances. Nous avons souhaité bénéficier de ces prérogatives afin d'éviter tout débat juridique sur les droits d'une commission comme la nôtre. Vous savez également que nous avons choisi une méthode pluraliste puisque nous avons nommé un rapporteur par groupe siégeant au Sénat et au sein de notre commission de finances : M. Philippe MARINI, rapporteur général, Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et moi-même.

Je rappelle tant aux commissaires qu'à vous-même en tant que personnalités invitées que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de la Commission et que nous siégeons dans le cadre de travaux non publics.

En cas de faux témoignage, la personnalité auditionnée (la loi m'oblige à rappeler ces textes) est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous demanderai de prêter serment, à savoir de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. François VILLEROY DE GALHAU .- Je le jure.

M. le Président .- Je vous donne la parole pour un propos introductif, ainsi que nous en sommes convenus. A l'issue de celui-ci, le Rapporteur général vous posera des questions et vous lui répondrez conformément aux auditions habituelles de la commission des finances. Ensuite, j'ouvrirai le débat à l'ensemble de la commission et vous y répondrez.

M. François VILLEROY DE GALHAU .- Je vous remercie de votre accueil et je tiens à vous dire sincèrement le plaisir que j'ai à me retrouver à la commission des finances.

J'adresse mes excuses à votre commission de n'avoir pu lui transmettre pour cet après-midi les réponses écrites finalisées au questionnaire qui m'avait été envoyé. Compte tenu du délai assez bref, j'avais sollicité oralement l'indulgence du Président la semaine dernière. Je veillerai à ce que vous puissiez disposer de l'ensemble des réponses écrites d'ici demain.

Je comptais centrer mon propos introductif sur deux de ces questions au coeur des travaux de la commission :

Question n° 1 : quel est le rôle de la direction générale des impôts dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances ?

Question n° 5 : la direction générale des impôts a-t-elle constaté ou initié des améliorations dans l'exécution des lois de finances et quels seraient les progrès à réaliser ? Je me permettrai d'étendre cette question non seulement aux améliorations dans l'exécution des lois de finances mais, peut-être également, dans la prévision sur les lois de finances qui est un sujet important sur ces dernières années.

Concernant le rôle de la direction générale des impôts dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances, je ne saurais mieux le préciser qu'à partir des missions générales de nature fiscale de la direction générale des impôts, qui sont de trois types :

à L'établissement de l'impôt et les travaux d'assiette et de contentieux correspondants.

à La vérification des déclarations et tout ce qui est lié au contrôle fiscal.

à Pour certains impôts, l'encaissement des impôts ou le recouvrement.

S'y ajoute depuis 1999 (puisque depuis cette année-là la direction de la législation fiscale est rattachée à la direction générale des impôts) une activité de législation qui peut avoir une certaine importance pour votre commission dans sa formation d'aujourd'hui.

Concernant l'élaboration et l'exécution des lois de finances, chacune de ces missions générales de nature fiscale se décline de façon différente. En matière d'assiette et de contrôle -les deux premières missions que je mentionnais- la compétence de la D.G.I. est une compétence générale qui couvre l'ensemble des impôts établis au profit de l'Etat, des collectivités territoriales et même de certains organismes sociaux ; c'est le cas de la C.S.G., de la C.R.D.S. et du prélèvement social de 2 %. Quand ils portent sur les revenus du patrimoine, ils sont en effet de la compétence de la direction générale des impôts.

En revanche, en matière de recouvrement, la compétence de la D.G.I. est partielle puisqu'elle comprend principalement la T.V.A. autre que sur les produits importés de l'extérieur de l'Union européenne qui relèvent de la direction générale des douanes. Outre la T.V.A., la compétence de la D.G.I. porte sur les droits d'enregistrement, y compris les droits sur donation/succession et l'impôt de solidarité sur la fortune.

C'est un nombre d'impôts relativement limité. C'est néanmoins, en termes de recouvrement, près de la moitié des recettes fiscales de l'Etat du fait du poids de la T.V.A. : nous atteignons un total de 831 milliards de francs en 1999.

Ainsi que vous le savez, il avait été question ces derniers mois, à travers divers projets de réforme, de transférer d'autres impôts en recouvrement de la Comptabilité Publique vers la direction générale des impôts, avec une version limitée aux entreprises -c'était principalement la question de l'impôt sur les sociétés- et une version « erga omnes » dans la réforme envisagée en janvier. Nous raisonnons pour 1999 et pour l'avenir à périmètre inchangé en termes de frontières de recouvrement.

Un mot sur le rôle de la direction de la législation fiscale. Elle prépare les textes législatifs et les législations communautaires. Il lui revient de réaliser avec la D.G.I. des simulations présentant l'incidence budgétaire des éventuelles modifications législatives et réglementaires qui peuvent intervenir en matière fiscale, ce qui joue un rôle à propos des prévisions de recettes que nous pouvons faire.

Depuis 1995 -en particulier la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 1995 sur les études d'impact-, il existe un chiffrage systématique (vous le savez puisque ce document vous est destiné en priorité) des nouvelles mesures fiscales qui sont prises.

Voilà les missions fondamentales de la D.G.I. dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances. A partir de ces missions, la D.G.I. assure des prévisions. Je ne serai pas exhaustif sur les prévisions de recettes que la D.G.I. peut opérer, mais je voudrais rapidement en distinguer trois catégories :

Des prévisions en matière d'émission de rôles, -la première fonction de la D.G.I.- qui portent sur l'impôt sur le revenu tant courant que sur les rappels issus du contrôle fiscal, sur l'impôt sur les sociétés, révisions alors limitées aux rôles supplémentaires liés au contrôle fiscal sur rôles.

Deuxième grande catégorie de prévisions : celles concernant le recouvrement qui nous occupent peut-être plus directement aujourd'hui où le champ des prévisions faites par la D.G.I. est large. Je citerai les deux principaux impôts sur lesquels formellement, en matière de recouvrement, la D.G.I. fait des prévisions : l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée. J'ajouterai l'I.S.F. et les droits d'enregistrement.

Ces opérations de prévision donnent lieu en général à deux réunions annuelles qui réunissent les directions du ministère dont la D.G.I..

A partir de ces prévisions, la direction générale des impôts assure un suivi régulier des impôts qu'elle encaisse et, singulièrement, de la T.V.A. pour laquelle, mensuellement, avec un décalage de l'ordre d'une vingtaine de jours, elle porte à l'attention des ministres les encaissements réalisés au cours du mois précédent.

Question 5 : les améliorations constatées ou à apporter qui m'incitent à quelques réflexions sur ce qui s'est passé ces dernières années.

Je relève une première catégorie d'améliorations qui ne concerne pas les chiffres mais, d'une certaine façon, la qualité des lois de finances et de leur volet fiscal.

Deux améliorations auxquelles l'ensemble D.G.I.-D.L.F. est tout à fait attaché et qui rejoignent un souci de la commission : d'une part, la lisibilité du code général des impôts, vaste programme qui est toujours sur la table, et d'autre part, la sortie rapide des décrets d'application à la suite des lois de finances telles qu'elles ont été votées par le Parlement.

C'est un sujet sur lequel nous avons des marges d'amélioration, et qui est important pour nous tous. Concernant la loi de finances initiale pour 2000 et le collectif 1999, nous avons là un motif de satisfaction puisqu'il ne reste qu'un seul décret d'application (ce qui est la meilleure situation de ces dernières années) en instance et en cours d'examen au Conseil d'Etat.

Quelques remarques plus étendues sur la qualité des prévisions telles qu'elles ont pu être faites par la direction générale des impôts : je voudrais me limiter aux quatre grandes catégories d'impôts sur lesquels nous faisons des prévisions et à ce que la D.G.I. a pu constater sur l'année 1999.

Si vous le souhaitez, je tiens les chiffres à votre disposition mais, concernant la T.V.A. nette, un biais général de prudence a été marqué par la direction générale des impôts en matière de prévisions, comme les autres directions de Bercy, mais pas d'erreurs significatives.

Nous nous trouvons, au fil des diverses réunions sur les recettes, assez proches du chiffre de la loi de finances initiale et du chiffre de l'exécution qui, comme vous le savez, est très proche de la loi de finances initiale.

Des erreurs plus lourdes apparaissent sur les impôts directs ce qui, d'une certaine façon, peut être jugé paradoxal, puisque ce sont les impôts pour lesquels il existe un décalage d'un an entre le fait générateur et la perception des impôts, et nous pourrions imaginer que les erreurs soient moindres.

Un mot sur l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu.

Impôt sur les sociétés : il existe un écart de 33 milliards de francs entre la loi de finances initiale et l'exécution qui explique plus de la totalité de l'erreur sur les recettes fiscales nettes et tient d'une part à une erreur économique (le bénéfice fiscal des sociétés était sous-estimé) et, d'autre part, à l'effet amplificateur très important de l'I.S. qui crée une réelle difficulté de prévision pour l'ensemble des Directions de Bercy, dont celle dont j'ai la charge. Le mécanisme d'acomptes et de solde rend ce mécanisme difficile à prévoir. L'erreur sur 1999 a été importante et concentrée sur cet l'impôt.

Concernant l'impôt sur le revenu, l'écart entre l'exécution et la loi de finances initiale est de 12 milliards de francs ; nous pourrons y revenir. Nous avons cru, à la D.G.I, au cours de l'année, qu'il existait des explications conjoncturelles ou calendaires aux encaissements d'I.R. importants que nous observions avec la DGCP. En fait, il s'avère que ces explications calendaires ont joué, mais que dans les 12 GF constatés en fin d'année il y a bien eu, là aussi, une sous-estimation économique et peut-être quelques erreurs techniques, d'où des améliorations techniques que nous pouvons apporter sur la prévision d'I.R. sur lesquelles je reviendrai si vous le souhaitez.

Enfin, un mot sur l'I.S.F et les droits d'enregistrement : il s'agit d'une catégorie importante concernant les droits d'enregistrement sur lesquels nous sommes pratiquement en ligne puisque nous exécutons à 78 milliards de francs contre une prévision de 77,8 milliards de francs.

L'I.S.F. est à l'inverse l'exemple d'une erreur de prévision dans l'autre sens puisqu'à partir d'une prévision de loi de finances initiale de 14,8 milliards de francs, l'exécution se situe à 12,7 milliards de francs sur 1999, erreur qui s'explique largement avec une autre catégorie de raisons ou de difficultés que nous rencontrons, par une surestimation de l'effet des mesures législatives figurant dans le P.L.F. 1999.

Ces simulations peuvent être imparfaites et un facteur d'erreurs de prévision.

En conclusion, si après avoir focalisé sur quatre impôts et sur la seule année 1999, j'élargis l'image aux trois dernières années dont nous disposons : 1997-1999, et aux prévisions faites par la D.G.I. , il me semble qu'il est possible de relever la tendance à une certaine prudence des prévisions des directions, en période d'accélération de la croissance, de retournement de la conjoncture. Dans ce sens, d'une certaine façon, la direction générale des impôts a appliqué, comme d'autres directions, un « principe de précaution » assez sensible en comparant les chiffres de prévision et d'exécution.

S'y sont ajoutées sur l'année 1999 deux catégories de difficultés particulières : une difficulté économique, car le profil de l'année a été heurté avec le fameux « trou d'air », et quelques imperfections de prévisions techniques. C'est la partie que nous pouvons le plus utilement améliorer pour l'avenir.

M. le Président .- L'avantage des propos introductifs allusifs est de laisser le champ aux questions.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général .- Pour ce qui est de l'évaluation et du suivi des recettes en cours d'exercice, en prenant l'exemple de l'année 1999 (mais ceci ne doit être considéré que comme un exemple), je voudrais poser quelques questions à M. VILLEROY DE GALHAU.

Comment les rôles sont-ils coordonnés au sein de la direction générale des impôts ?

Quels éléments relèvent-ils de la responsabilité de la direction de la législation fiscale et, le cas échéant, de la responsabilité de la sous direction « coordination et stratégie » ? Quels sont ceux pouvant être de la responsabilité de l'échelon direction générale ? Comment les choses se passent-elles à ce niveau sous l'autorité du directeur général des impôts ?

En matière d'élaboration de ces prévisions, comment les approches se conjuguent-elles entre les directions de Bercy ?

Le directeur général me permettra peut-être de mettre à contribution sa mémoire d'ancien directeur de cabinet, car les différentes directions, s'agissant de la direction générale des douanes, avec la direction générale des impôts pour ce qui est de la T.V.A., de la direction de la comptabilité publique avec la direction générale des impôts pour ce qui est de l'impôt sur le revenu ou les sociétés et la direction de la prévision de façon générale en tant que responsable du cadrage économique d'ensemble, toutes ces directions vont devoir conjuguer leur approche.

Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Nous savons qu'il existe deux comités d'arbitrage en février et juin-juillet. Comment cela fonctionne-t-il ?

Quelle est la nature de l'information qui remonte ? Comment les arbitrages et les décisions sont-ils concrétisés ? Existe-t-il des comptes rendus, des éléments, qui permettent a posteriori de reconstituer les raisonnements ?

J'ajoute que tous ces aspects concernant la remontée des recettes doivent être traités en cohérence avec la direction du budget. Pouvez-vous nous faire participer à cette maturation interne en prenant l'exemple de l'année 1999 de ces deux rendez-vous, début et mi-année 1999.

De plus, Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous dire, compte tenu des chiffres réels de la gestion 1999, à quelle révision ces chiffres vous conduisent pour la gestion 2000 ?

Des conséquences de méthode ont-elles été tirées des épisodes de l'année 1999 et les procédures sont-elles susceptibles d'être modifiées ? Dans l'imputation des recettes entre l'exercice qui se clôt et l'exercice qui commence, existe-t-il, compte tenu de l'expérience des clôtures d'exercices passés, des règles et des procédures plus certaines et formalisées avec des documents réguliers et des arbitrages ? Tous ces éléments étant en cours d'évolution, pouvez-vous nous parler concrètement de la manière dont ces sujets sont maîtrisés ?

En guise de conclusion et en saisissant la perche que nous tendait M. VILLEROY DE GALHAU, pourrions-nous lui demander de parler davantage de la prévisibilité de l'impôt sur les sociétés, problème non seulement comptable mais également économique ?

M. François VILLEROY DE GALHAU .- Les questions du rapporteur général sont nombreuses et riches. Je tenterai d'y apporter une réponse aussi précise que possible.

Concernant la répartition des responsabilités à l'intérieur de l'ensemble D.G.I./D.L.F, l'essentiel des responsabilités de prévision incombent au bureau que nous appelons « CS4 » qui fait partie de la sous direction que vous avez citée, dite « c oordination et stratégie ».

Je ne veux pas entrer dans des points de « cuisine » administrative. Le rattachement de ce bureau qui est avant tout statistique à la sous-direction dite « coordination et stratégie », est tout à fait circonstanciel. Il est envisagé de le rapprocher d'un autre service de la D.G.I : le service de l'application. Ceci permettrait d'être plus proche de la sous-direction du recouvrement, ce qui serait plus naturel.

Voilà concernant la compétence de droit commun .

La compétence d'exception est celle de la D.L.F en matière de prévisions de recettes.

La D.L.F est compétente en matière de prévision concernant les modifications de la législation fiscale, auxquelles est systématiquement associé un chiffrage.

Un impôt donne lieu traditionnellement à une prévision parallèle de la part de ce bureau CS4 et de la D.L.F., à savoir l'impôt sur le revenu pour lequel les modifications sont quasi systématiques chaque année. Il nous a toujours paru intéressant que la D.L.F. puisse faire une prévision sur l'impôt sur le revenu, mais c'est le seul impôt sur lequel elle fasse une prévision globale par rapport au bureau CS4.

Concernant l'intervention de la direction générale ou du directeur général sur cet exercice de prévision, il me semble, avec le faible recul que me permettent mes fonctions, qu'elle est traditionnellement faible.

Il s'agit d'un exercice dont le caractère technique est fortement marqué et qui ne nécessite pas d'arbitrage stratégique contrairement à ce que laisse croire cette appellation « c oordination et stratégie » qui est abusive, concernant le bureau CS4 . Il ne me semble pas que, dans la mémoire collective, la D.G.I, le directeur général et ses collaborateurs directs, se soient fortement impliqués pour faire modifier telle ou telle prévision.

Seconde question que vous avez posée et qui est tout à fait essentielle : la conjugaison des approches entre les différentes directions de Bercy. J'y répondrai tout d'abord du point de vue du directeur général des Impôts. Il s'agit à la fois de complémentarité et de concurrence.

Complémentarité : l'ensemble des directions qui réalisent des prévisions travaillent deux fois par an à partir des mêmes hypothèses économiques.

Ainsi, un facteur de discordance potentielle est supprimé. Ces hypothèses économiques sont très largement issues des travaux de la direction de la prévision et sont ensuite communiquées à l'ensemble des directions participant à l'exercice, à l'avance.

Autre exemple de complémentarité non négligeable : ce qui se produit sur l'impôt sur le revenu. Je l'ai dit de façon rapide, la direction générale des impôts ne fait pas formellement de prévision concernant les recouvrements d'impôts sur le revenu dont elle a la charge, mais une prévision plus en amont sur les émissions de rôles, en liaison avec la direction de la comptabilité publique. Celle-ci applique un taux de conversion, qui ne pose pas de difficulté particulière, pour arriver à une prévision en termes de recouvrement qui est celle comptant sur le plan budgétaire.

C'est un autre cas de complémentarité entre directions.

Pour le reste, il y a largement concurrence et, si je peux émettre une appréciation d'opportunité, cette situation me paraît souhaitable. Les trois ou quatre directions qui, sur chaque impôt, font des prévisions, le font indépendamment des unes des autres à partir des mêmes hypothèses économiques, ce qui permet de diversifier le spectre.

Je précise que la direction générale des impôts -je vous le confirmerai par écrit- ne fait pas de prévision sur l'ensemble des impôts et qu'il en est de même de la direction des douanes ou de la comptabilité publique que vous avez citées.

Il ne me semble pas que, sur les années récentes tout au moins, cela ait conduit à des dispersions ou des incohérences très fortes entre les prévisions des différentes directions, mais c'est une forme de contrôle ou de sûreté qui me paraît appréciable.

Vous avez posé la question de la cohérence avec la direction du budget et de la mise en cohérence. En faisant appel à mes souvenirs lointains, la direction du budget est partie prenante à cet exercice de réunions de recettes, physiquement. Par ailleurs, elle effectue des prévisions sur la totalité des impôts, à la différence de la direction générale des impôts. Elle pèse donc plus que les autres, mais est une partie prenante à l'exercice à partir des mêmes hypothèses économiques.

La confrontation des apports des différentes Directions a lieu au cours de réunions « recettes » qui se déroulent en général début février et début juillet (sauf erreur de ma part, car je n'y ai jamais participé dans aucune de mes capacités). Les participants du cabinet sont des conseillers techniques issus de la synthèse budgétaire. La participante concernant la direction générale des impôts est la responsable du bureau CS4, ce qui illustre la faible intervention du directeur général dans le processus.



Je ne suis pas certain de pouvoir répondre de façon satisfaisante et rationnelle à votre question sur la reconstitution des raisonnements issus de ces réunions « recettes ». Il me semble qu'en l'absence de discordances importantes entre les directions, les débats sont rarement très lourds. Il peut arriver -et il est vrai que cela s'est produit sur les années 1997, 1998 et 1999- que l'arbitrage du pouvoir politique à travers le ministre, préparé par son cabinet, joue un rôle d'amortisseur par rapport à des variations plus fortes que donnent les directions.

Il ne me semble pas -mais j'avoue ne pas avoir fait d'étude scientifique en la matière- que sur les trois dernières années, l'intervention du pouvoir de décision du ministre préparé par son cabinet ait conduit à des chiffres de prévisions significativement plus mauvais que ceux des directions. Il est même arrivé qu'ils soient meilleurs, mais il faudrait analyser plus précisément les éléments sur ce point.

Vous avez posé la question, Monsieur le rapporteur général, de l'exercice 2000 et des révisions auxquelles cela pouvait nous conduire.

Je pense que vous ne visiez pas les révisions chiffrées, sinon j'y reviendrai. Des révisions chiffrées de recettes ont eu lieu, auxquelles les ministres ont procédé au mois de mars pour tenir compte de l'effet de base et qui donneront lieu au collectif qui viendra devant votre assemblée.

Quelques considérations de méthode : la procédure elle-même, à ma connaissance, n'est pas appelée à changer. Je crois qu'en elle-même, elle fonctionne de façon relativement satisfaisante. Nous avons tenté de « balayer devant notre porte » concernant la part d'erreurs techniques que j'évoquais et qui ont joué un rôle seulement partiel dans les erreurs de 1999. Nous pourrons utiliser ces erreurs pour l'avenir, en particulier sur un point d'intérêt pour la commission : l'impôt sur le revenu.

Le concernant, les effets calendaires constatés sur les fortes rentrées d'août et septembre sont expliqués par le fait que la direction générale des impôts a procédé, à un rythme très soutenu, à ce que nous appelons dans notre jargon, « l'émission accélérée », à savoir le pourcentage des montants de l'impôt sur le revenu majorables au 15 septembre, ce qui est l'échéance très générale.

Ce pourcentage est passé d'un peu plus de 93 % en 1998 où il était particulièrement bas, du fait d'un mouvement de grève dans les centres informatiques, à plus de 97 % en 1999. De ce fait, nous avons eu un déport calendaire vers août et septembre par rapport aux années précédentes.

Au-delà de cet effet calendaire important (environ 12 milliards de francs), il y a eu au moins deux facteurs d'erreurs que nous identifions aujourd'hui : nous avons sous-estimé l'effet du basculement CSG/cotisations sociales sur la prévision d'impôt sur le revenu. D'après nos calculs, ex post, il joue pour au moins 2 milliards de francs.

Second facteur sur lequel nous avons moins de certitudes mais qui est plus intéressant pour l'avenir. Très probablement, en période de forte croissance -et nous connaissons une période de forte croissance-, le pourcentage d'évolution des salaires varie au long du spectre des revenus. Or, la méthode traditionnelle de prévision applique un pourcentage d'évolution homogène à la catégorie traitements et salaires, qui est donc un taux moyen de progression.

Cet élément ne tient pas compte de la progressivité de l'impôt. Nous avons constaté, sans que je puisse complètement donner de certitude à la commission, le fait que dans une période de forte croissance et même si cela ne va pas peut-être dans le sens de la redistribution que nous pourrions tous souhaiter, les revenus avant impôt progressent probablement d'autant plus vite qu'ils sont élevés. Les hauts salaires ont donc tendance à progresser plus rapidement que les salaires moyens ou les salaires bas avant impôt.

Nous n'en tenions pas compte. Nous avons tenté, sur l'année 2000, de rectifier ce point : c'est une originalité de la D.G.I. par rapport à d'autres directions, qui illustre les différences de méthodes qui peuvent être retenues. Nous pouvons arriver à un effet non négligeable qui serait, sur le rendement de l'impôt sur le revenu 2000, de l'ordre de 3 milliards de francs ou 4 milliards de francs.

Quant à l'impôt sur les sociétés, sa « prévisibilité » est extrêmement mauvaise.

Nous avons constaté en 1999 ce qui est probablement sur le plan économique le cumul de deux effets : une sous-estimation forte des résultats des entreprises au sens des résultats économiques, et la sous-estimation de la fin des reports déficitaires d'I.S., qui étaient nés dans le creux de la précédente récession en 1993-1994 et se terminant au bout de la période de 5 ans. C'est très probablement, sans que je puisse étayer les chiffres, un élément d'explication des très fortes surprises d'I.S. que nous avons eues en 1999.

Facteur individuel tout à fait important : le fait qu'une grande entreprise, Renault, au 15 décembre, ait décidé de verser près de 6 milliards de francs d'I.S. au titre du bénéfice mondial. C'est une décision individuelle que rien ne laissait prévoir et d'une grande importance, quasi macro-économique.

Pouvons-nous améliorer cette prévisibilité pour l'avenir ? J'espère que oui. Nous devrions travailler (sans que j'ai encore un mode opératoire tout à fait finalisé) non pas à partir d'une prévision macro économique -même si elle peut aider- de l'évolution des profits des entreprises mais, si possible, à partir d'une approche plus micro économique, peut-être d'un échantillon des résultats comptables des entreprises tels qu'ils sont publiés en début d'année.

Les entreprises publient de plus en plus tôt et de façon de plus en plus transparente leurs résultats de l'année N-1 en début d'année N. Nous ne savons pas encore bien utiliser toute cette masse d'informations pour réaliser la prévision d'I.S.

Pouvons-nous un jour arriver à un échantillon jugé représentatif que nous nourrissions au fur et à mesure des publications ? Je n'en suis pas sûr, mais c'est une piste de réflexion qui nous est ouverte par les difficultés de l'année 1999.

M. Maurice BLIN .- Monsieur le directeur, quittant les considérations de conjoncture que nous avons tous en l'esprit, je voudrais vous poser deux questions qui me sont inspirées par la lecture la plus banale des journaux et portent sur l'efficacité, la rentabilité -je n'ose pas dire l'utilité- de cette énorme armée de 86 000 personnes qui composent la direction générale des impôts.

Il est dit et rapporté (est-ce vrai, est-ce faux ?) que le coût de cet appareil qui gère l'impôt en France est plus élevé qu'il ne l'est dans d'autres pays et que sa rentabilité est tout à fait discutable. Je serais tenté de le croire au vu des récents événements auxquels vous avez été directement mêlé et qui vous ont, avec d'autres, conduits à souhaiter une réforme de cette lourde machine.

Pouvez-vous rappeler ce qui inspirait cette réforme ? S'agit-il, comme je le pense, de la crainte de voir cette machinerie tout à fait inadaptée aux méthodes plus modernes de gestion de l'impôt ?

Pour parler plus simplement, effectivement, comme on l'écrit, la France détiendrait-elle en Europe le système de perception de l'impôt le plus lourd et le moins satisfaisant ?

La fraude : il a souvent été dit et répété que le Français n'aime pas l'impôt (mais qui aime l'impôt ?) et le fraude plus que d'autres.

Est-ce vrai, si nous comparons aux moyennes européennes que nous devons connaître puisque nous sommes amenés à nous rapprocher de nos voisins européens ? De quel remède use-t-on et y a-t-il eu des améliorations dans ce sens qui n'iraient pas vers un renforcement d'un contrôle tatillon, inopportun, excessif et parfois injurieux d'un contribuable qui ne veut pas payer son impôt ?

M. Denis BADRE .- J'ai beaucoup travaillé sur la question de la T.V.A. alors que j'étais chargé de rapport.

Par définition, l'importance de la fraude n'est pas mesurable. Cet élément a toujours été opposé à Bercy. En revanche, est-il possible de mesurer l'impact de la lutte contre la fraude ? Cette lutte existe et vous lui affectez des moyens. Vous savez ce que vous faites. Il serait intéressant, ou tout au moins utile, d'affecter aux résultats de cette lutte une part des recettes que l'Etat encaisse. C'est une manière de légitimer ces actions de lutte contre la fraude et de se donner la capacité de les renforcer, ou d'arrêter les frais si cela ne sert à rien. Il serait intéressant de mesurer l'impact de ces actions. Est-ce possible ?

Sur les baisses ciblées de T.V.A. en général et sachant que nous avons sous les yeux une expérimentation grandeur nature, puisque des baisses ciblées ont été retenues à l'automne dernier, notamment dans le domaine du bâtiment, l'exemple est clair : baisse de taux signifie à volume constant, baisse de recettes, mais ces baisses de taux étaient fondées essentiellement sur le fait que l'on imagine qu'une baisse de taux augmentera la consommation et réduira le travail au noir.

Aujourd'hui, au bout de six mois, est-il possible d'affecter au travail au noir une part de l'impact de ces mesures ? Entre la baisse des recettes liée à la baisse de taux à volume constant et l'augmentation de la recette liée à l'augmentation du volume et une relance de la consommation ou une baisse du travail au noir, ces éléments peuvent-ils être analysés de manière précise ? Ce serait intéressant pour permettre de cerner nos travaux à l'avenir.

Vous avez évoqué, en parlant de l'I.S.F, la baisse de résultats par rapport aux prévisions en matière d'I.S.F. en passant de 14 à 12, mais vous n'avez pas parlé de l'effet de délocalisation. N'avez-vous pas traité ce sujet par pudeur ou parce qu'il n'existe pas d'impact ou, toujours pour la même raison, ne savons-nous pas le mesurer ?

M. Paul LORIDANT .- Monsieur le directeur général, je voudrais revenir quelques instants sur l'impôt sur les sociétés. J'avoue que je n'avais pas mesuré la volatilité de cet impôt et sa difficulté de prévision et j'avais une autre vision sans doute simpliste.

Je constate que les grandes entreprises, notamment celles qui sont cotées, du fait de règles quasi internationales font aujourd'hui des communications trimestrielles de résultats. Par ailleurs, il suffisait de lire la presse financière pour savoir que dès l'an dernier le volume des dividendes versés au titre des actionnaires avait substantiellement augmenté.

Le phénomène -puisque nous sommes dans la période des assemblées générales- semble se reproduire car toutes les assemblées générales des sociétés, les unes après les autres, annoncent des augmentations de dividendes. Je sais qu'il existe parfois, du fait de la cotation et de la volonté des entreprises d'être cotées, une politique de dividendes déconnectée en partie des résultats, mais cette situation ne peut pas durablement exister.

Une société, une entreprise, qui verse des dividendes majorés d'une année sur l'autre peut puiser dans les réserves ou mettre moins en réserve, mais cela ne peut pas aller plus loin. Le phénomène d'accélération du volume des dividendes versés est un phénomène ressenti depuis tout au moins deux exercices.

N'y a-t-il pas là une méthode d'une meilleure approche du volume de l'impôt sur les sociétés ?

M. Bernard ANGELS .- Ma question est une précision concernant la façon dont la collecte des statistiques fiscales est exercée au sein de la D.G.I. Quelles sont vos sources de statistiques ? Comment sont-elles centralisées, traitées et diffusées ? Quel service et quel effectif ce travail concerne-t-il au sein de la D.G.I. ?

M. Roland du LUART .- M. BADRE a posé les deux questions que j'avais envisagé de poser, notamment quand le directeur nous a dit, concernant l'I.S.F que d'après lui il existait une surestimation du projet de loi de finances par rapport à la réalité. Ne s'agirait-il pas plutôt d'une délocalisation non mesurée ?

Je rappelle qu'à plusieurs reprises, quand M. STRAUSS-KAHN était ministre de l'économie et des finances, nous lui avions posé des questions mais n'avions pas obtenu de réponses. La commission des finances aimerait les connaître.

Un éclairage : je n'ai pas compris votre propos quand vous avez dit que dans le domaine de l'impôt sur le revenu, 2 milliards de francs de recettes supplémentaires étaient liés à l'effet CSG-CRDS. Je voudrais comprendre le mécanisme.

Enfin, concernant la baisse de la T.V.A., qui, comme M. BADRE l'a évoquée sur le bâtiment l'année dernière, était un élément excellent pour lutter contre le travail au noir et relancer la machine économique, quand souvent nous avons le souhait d'aller plus loin dans ce sens, on nous explique que ce n'est pas possible par rapport à Bruxelles.

Je voudrais savoir pourquoi nous ne pouvons pas aller à une T.V.A. à 5,5 % pour la restauration puisque les Mc Donald's le peuvent, à l'inverse de la restauration traditionnelle.

M. le Président .- Monsieur le directeur général, vous avez, en réponse au rapporteur général, donné des explications sur les différences de méthodes, éventuellement entre les grandes directions du ministère.

Pour le ministre qui doit arbitrer à partir de prévisions qui lui sont faites par différentes directions, existe-t-il une tradition d'optimisme ou de pessimisme suivant les directions ? Le politique doit parvenir à élucider, dans la somme d'informations qui lui parviennent, ce qui est la bonne mesure. J'aimerais que vous nous contiez -avec le sens de la concision qui est le vôtre- l'exercice auquel il doit se livrer.

Quelle était l'appréciation de votre direction sur le niveau des recettes fiscales en février 1999 puis en novembre ? Y avait-il des différences de prévision avec les autres directions et qu'elles pourraient-elles être ?

Nous nous posons un certain nombre de questions sur le bon usage du temps démocratique du Parlement dans l'élaboration de la loi de finances. Nous avons travaillé un certain nombre de semaines pour l'élaboration de la loi de finances 2000 à partir de prévisions dont manifestement un toilettage n'aurait pas été inutile. Vous paraît-il, avec l'expérience qui est la vôtre, incontournable et impossible d'introduire des éléments nouveaux de prévision au début du débat budgétaire ?

J'imagine qu'entre le début et la fin de l'année 1999, au moment où nous commencions le débat budgétaire, vous aviez une perception précise des modifications et de l'impact qui se produiraient sur l'exécution 2000.

Je voulais, s'agissant des opérations de fin de gestion, savoir si votre direction, dans les propositions au ministre, a un rôle essentiel, et quel formalisme s'opère pour ces opérations de fin de gestion. La décision est-elle orale ou donne-t-elle lieu à des procès-verbaux ou d'autres documents administratifs ?

S'agissant des opérations ou des recettes liées au contrôle fiscal, les prévisions de recettes intègrent-elles les droits constatés après contrôle fiscal ou n'en tiennent-elles pas compte ?

C'est un sujet que nous avons souvent évoqué au sein de cette commission. Je souhaiterais avoir votre réponse sur le sujet.

Où en est le processus d'intégration des recettes de l'Etat au budget ?

Le ministère fait-il des prévisions de recettes qui concernent les recettes extra budgétaires ?

La D.G.I. communique-t-elle au ministre son appréciation la plus réaliste des prévisions de recettes ou fait-elle preuve de prudence ? Sommes-nous inévitablement dans un jeu de rôles et votre direction a-t-elle une tradition de pessimisme la conduisant à faire des prévisions de recette prudentes, car, loyalement, dans votre propos introductif, vous n'avez pas hésité sur la qualification et vous avez parlé « d'erreur économique » et de « sous-estimation ». Il est important, nous concernant, de savoir qu'elle était vraiment l'appréciation de votre direction.

Compte tenu que vous avez bien connu la période 1992-1993, dans un autre sens, trouve-t-on les mêmes phénomènes d'amplification ?

La D.L.F a-t-elle une science que vous pourriez nous révéler aujourd'hui en avant-première sur l'estimation des mesures fiscales et les géniales propositions que le Parlement émet au cours de la discussion budgétaire ?

M. François VILLEROY DE GALHAU .- Sur la question de M. BLIN, concernant l'efficacité et la rentabilité de la D.G.I, j'ignore si l'on peut parler de rentabilité. C'est dans tous les cas une administration qui, à cette aune, rapporte beaucoup plus qu'elle ne coûte. C'est un raisonnement sur lequel une certaine prudence s'impose.

Concernant les effectifs de la D.G.I., une précision : les effectifs budgétaires de la D.G.I., en équivalents temps plein, sont de l'ordre de 78 000 personnes, ce qui, compte tenu du temps partiel, correspond à 84 000 personnes physiques.

Un essai de comparaison a été effectué depuis deux ans avec des administrations fiscales étrangères sur le coût d'intermédiation ou le coût de gestion de l'impôt, pour rapporter ce que coûte non seulement la D.G.I., mais l'ensemble des administrations fiscales, dont la partie fiscale de la D.G.C.P. , sachant qu'à la D.G.I., une partie non fiscale est sortie. On arrive à un coût de gestion qui se situe pour la France, comme vous le savez, autour de 1,6 %, ce qui est au niveau de l'Allemagne et de l'Italie, sensiblement supérieur à la moyenne européenne autour de 1,1 %, certains pays étant même significativement au-dessous de ces chiffres, comme la Suède.

Il existe quelques éléments d'explications objectifs de cette situation qui correspondent à des choix politiques tout à fait légitimes à la France. J'en cite tout au moins trois :

à L'absence de retenue à la source qui est un facteur de coût.

à L'importance du maillage territorial qui résulte d'un choix d'aménagement du territoire qui doit être pris en compte.

à Dernier facteur plus difficile à chiffrer : l'importance relative des impôts locaux en France, plus compliqués et plus chers en gestion, en particulier les impôts sur les personnes. La taxe d'habitation -pour laquelle la même étude avait tenté de déterminer un coût de gestion- est, parmi les impôts importants, celui le plus cher en gestion. Cela correspond au souci de limiter certaines imperfections par des dégrèvements et des mécanismes plus chers en gestion.

Ces éléments d'explications objectives existant, nous avons néanmoins une marge d'amélioration. C'était le sens de la réforme telle qu'elle avait été mise sur la table fin janvier, et de la réforme : modernisation que M. Fabius a relancée vendredi dernier à l'occasion du Comité Technique Paritaire ministériel.

Il me semble que notre objectif premier doit être de rendre un meilleur service à l'usager, ce qui passe par des modernisations prioritaires, particulièrement concernant les systèmes d'information.

Pour faire très court sur ce sujet qui mériterait de beaucoup plus longs développements, nous avons à la D.G.I., comme par ailleurs assez largement à la D.G.C.P., une informatique qui a rendu des services éminents. Mais elle est très verticale par impôt et par processus à l'intérieur des impôts, avec des applications souvent différentes pour l'assiette, le contrôle et le recouvrement.

De plus en plus, nous devons aller vers une informatique transversale qui n'est plus par processus, mais par contribuable. Ceci sera permis notamment par l'utilisation du NIR sous le contrôle de la CNIL.

Quand nous aurons fait ces progrès de systèmes d'information, ce qui est un processus ambitieux, et quand nous aurons introduit des simplifications pour l'usager, nous pourrons améliorer significativement l'efficacité de l'organisation ; ce doit être un objectif, sans toucher aux emplois, puisque personne dans la Fonction publique n'est menacé de perdre son emploi. Nous verrons ce que donne les effectifs futurs de la D.G.I.

Concernant la fraude, le souci que vous avez exprimé ainsi que M. BADRE, est un souci que nous partageons quotidiennement.

Par définition, la fraude est très difficile à chiffrer. Des estimations circulent, mais je ne crois pas pouvoir sérieusement les reprendre à mon compte devant votre commission, car elles me paraissent insuffisamment fiables. Le chiffre qui en la matière est probablement le plus fiable, est ce que représente l'effort de lutte contre la fraude, à savoir l'ensemble des redressements au titre du contrôle fiscal toutes catégories confondues, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises, du contrôle sur pièces ou du contrôle sur place.

Ce total est de l'ordre de 90 milliards de francs à 100 milliards de francs. Il est possible de considérer que c'est une approche de la fraude, même si une partie du contrôle fiscal ne correspond pas à de la fraude, mais plutôt à des omissions de bonne foi du contribuable, des erreurs matérielles et autres.

En la matière, nous devons marier un certain nombre d'orientations, la principale étant d'avoir une meilleure qualité du contrôle fiscal. Il est sûr que le chiffre que je viens de citer mêle un certain nombre de petits contrôles et d'erreurs de bonne foi des contribuables ainsi que des contrôles lourds qui correspondent à ce que vous appeliez la grande fraude ou la fraude internationale.

Je crois que, de plus en plus -ceci devrait se traduire dans nos structures administratives sans abandonner le terrain du contrôle quotidien qui est essentiel à l'égalité des citoyens devant l'impôt et à une forme d'équité fiscale- nous devons dégager plus de moyens pour le contrôle de nouvelles formes de fraudes qui se dégagent, en particulier au niveau des entreprises, mais pas uniquement.

Je ne sais pas s'il faut aller jusqu'à la piste que M. BADRE évoquait qui est d'intéresser directement les structures de lutte contre la fraude en leur consacrant, sous forme de moyens supplémentaires, une partie des résultats. Nous tentons de développer les moyens de ces structures. L'intéressement direct pourrait peut-être avoir un certain nombre d'inconvénients psychologiques, voire politiques.

Je précise, car l'idée existe très souvent, que les inspecteurs des impôts, les vérificateurs, individuellement n'ont pas d'intéressement en termes de rémunération au résultat de leur propre activité. Cette question m'est souvent posée. Pour favoriser l'objectivité du contrôle fiscal, c'est un élément important.

Nous devons aller dans le sens de cette qualité du contrôle fiscal. Un des éléments importants de la réforme annoncée par le ministre vendredi, à savoir la mise en place d'une Direction des Grandes Entreprises qui nous permettra d'intégrer le traitement des grands groupes, a ce double effet : un effet de simplification pour les entreprises en cause -et il est très important de pouvoir les considérer en tant que groupes- mais aussi, dans certains cas, le meilleur repérage de certaines pratiques qui peuvent s'apparenter à de la fraude et notamment de la fraude internationale.

Concernant l'effet des baisses ciblées de T.V.A. sur la réduction du travail au noir, je n'ai pas aujourd'hui le moindre élément à vous donner. Je crois qu'il est un peu tôt pour en juger. C'est un élément qu'il faudra regarder précisément le moment venu, afin que votre commission puisse disposer d'un maximum d'éléments.

Vous avez posé la question de l'I.S.F et de l'effet des délocalisations : je donnerai une précision chiffrée. L'effet auquel j'ai fait allusion en 1999 est un effet de moindre rendement par rapport à ce qui était prévu en loi de finances. C'est une prévision plus faible que prévu, à l'inverse d'autres impôts.



Si nous regardons la séquence des rendements réels de l'I.S.F., année après année en termes d'exécution, nous constatons une croissance régulière et même assez forte de 10,5 milliards de francs en 1997, 11,1 milliards de francs en 1998, et 12,7 milliards de francs en 1999, soit une forte augmentation de plus de 10 % des recettes de l'I.S.F. en 1999.

Je ne crois pas que l'on puisse imputer aux délocalisations un effet très significatif en termes de rendement de l'I.S.F. La D.G.I. vient de terminer une étude assez complète sur les délocalisations en 1997 et 1998. Nous n'avons pas encore les chiffres de 1999.

Le chiffrage que nous avons, aussi bien sur 1997 que sur 1998, est de l'ordre de 350 contribuables chaque année délocalisés à l'I.S.F. par rapport à plus de 180 000 contribuables à l'I.S.F. En termes de perte de rendement, il est de l'ordre de 140 millions de francs chaque année, soit à peu près 1 % du rendement total de l'I.S.F. Le phénomène existe. Je ne veux pas en nier l'existence, mais il est moins fort que ce qui a parfois été évoqué.

M. LORIDANT est revenu sur la question de la prévision de l'I.S. Je rejoins en partie ce que vous suggériez, à savoir partir le mieux possible d'une observation de la pratique des grands groupes, en partie seulement parce qu'il existe un certain nombre de facteurs propres au rendement fiscal des sociétés que nous n'arriverons pas à prendre en compte par l'observation de leur politique de dividendes.

Il y a l'effet, que vous citiez vous-même, du taux de distribution qui peut varier et qui est neutre par rapport au bénéfice fiscal, mais également un certain nombre d'autres effets.

Le mode même de versement de l'I.S. amplifie considérablement les variations, avec quatre acomptes versés entre mars et décembre, et un solde versé en avril de l'année N+1. L'effet de ce solde peut être un considérable amplificateur ainsi que cela s'est vu en avril 1999.

Le rapport économique et financier associé au projet de loi de finances en septembre dernier comprenait (car c'est une difficulté qui était déjà identifiée à l'époque) deux pages de développement sur ce sujet précis des acomptes et du solde. C'est une caractéristique très spécifique de l'I.S. d'enregistrer un effet accélérateur, à la différence des autres impôts qui enregistrent une variation simple du premier degré.

Je crois qu'il faut que nous arrivions à mieux intégrer -peut-être pas directement les dividendes des grands groupes- mais leurs résultats publiés. Néanmoins, il restera un aléa fiscal important. Quand nous regardons ces dernières années dans les deux sens et entre les directions (j'effleure à ce propos votre question, M. le Président), l'I.S. est toujours l'impôt sur lequel nous avons les divergences les plus importantes entre les prévisions des directions et l'exécution et à l'intérieur des prévisions des différentes directions.

Sur la question posée par M. ANGELS à propos du bureau CS4, de son organisation, de ses sources et de l'utilisation des statistiques, le bureau CS4 représente 35 personnes tous grades confondus.

L'origine de ses statistiques vient des chaînes de gestion de l'impôt et des applications informatiques gérées par la D.G.I. sur l'I.R., la T.V.A. et autres, avec une modification importante -la CNIL y veille de façon vigilante-  qui est « l'anonymisation » des données qui figurent dans les applications informatiques, de façon à pouvoir en faire un traitement statistique.

Ces statistiques sont assez largement utilisées dans les simulations des mesures fiscales telles qu'elles sont communiquées au Parlement et dans les prévisions de recettes que j'évoquais. Le bureau CS4 publie chaque année, en outre, un « annuaire statistique de la D.G.I. ».

Sans entrer dans le détail technique, le basculement CSG/cotisation a pour effet d'augmenter les traitements et salaires après cotisations et, en sens inverse, de diminuer les revenus de l'épargne après CSG.

Cela se traduit par une augmentation de l'impôt sur le revenu encaissé au titre des salariés. C'est cette augmentation qui avait été sous estimée pour environ 2 milliards de francs dans la prévision 1999.

Concernant la baisse de la T.V.A. sur la restauration, c'est une question qui dépasse mon champ de compétence. Je me limiterai à une réponse juridique en la matière : la liste des produits qui peuvent être mis au taux réduit est fixée dans l'annexe H de la sixième directive T.V.A. à Bruxelles et, à la suite des débats assez approfondis à l'automne dernier, la restauration ne figure pas dans cette liste, plusieurs pays européens y étant fortement opposés.

Elle n'y a jamais figuré. Le traitement Mc Donald's était assimilé à la vente de produits alimentaires. C'était de la vente à emporter.

Sur les questions qu'a posées le Président, vous me demandez, en ajoutant ma responsabilité actuelle et ma responsabilité passée, comment pondérer les traditions des différentes directions en termes de pessimisme et d'optimisme.

Il n'existe pas de bonne réponse à cette question ou, pour le dire autrement, je ne crois pas qu'un biais particulier soit associé à telle direction ou à tel impôt. Effectivement, toujours savoir que la D.G.I. est pessimiste sur l'I.S., ou le Budget, optimiste sur l'I.R., pourrait simplifier la vie du ministre pour ses arbitrages : mais il ne me semble pas que l'on puisse repérer de biais historique en la matière.

Dans tous les cas, dans la sagesse qui se transmet de génération en génération parmi les ministres, ou les cabinets, ou les directions à Bercy, cet élément ne figure pas. Je ne crois pas que l'on puisse donc identifier précisément la réponse à votre question.

Sur les différences de prévisions des autres directions, je n'ai pas la réponse à votre question, car je ne dispose pas ici de ces éléments.

Je n'ai pas souvenir, dans les chiffres de 1999, d'écarts significatifs entre les ddirections, le plus important se situant sur l'impôt sur les sociétés pour les raisons que j'évoquais précédemment.

Temps du Parlement : c'est une question qui dépasse le directeur général des impôts. Ma réponse sera à ce titre purement personnelle.

Il me semble qu'en la matière l'exécutif et le législatif ont à gérer deux difficultés : d'abord le souci de stabilité qui conduit à savoir (relativement tôt) sur la base de quels grands chiffres construire le budget, en particulier sa partie fiscale qui est souvent celle qui retient le plus et légitimement l'attention du Parlement.

Des prévisions de recettes arrêtées en juillet sont jugées tardives de la part de certains membres de l'exécutif dans cette préparation de la loi de finances, car cela signifie que les arbitrages fiscaux au niveau de l'exécutif doivent se conduire dans une période extrêmement restreinte qui coïncide avec la période estivale.

Faudrait-il ensuite refondre le budget ? Vous me permettrez de m'abstenir sur cette question en relevant qu'à certaines périodes -je pense en particulier à l'automne 1998- un processus de ce type avec une révision des recettes en octobre-novembre aurait probablement conduit à un budget 1999 qui aurait enregistré une erreur de prévisions plus lourde que ce qu'il a finalement enregistré. Si je prends l'exemple de l'automne 1998, si l'on avait fait une révision en octobre-novembre, c'était après l'intervention de la crise russe et de l'inquiétude lourde que l'on pouvait avoir sur la conjoncture en Europe. A l'époque le débat, aussi bien au Parlement que dans le pays, consistait à juger que la prévision de recettes était trop élevée. En fait, elle s'est avérée plutôt trop prudente.

Le souci de stabilité peut conduire, à un moment, avec les meilleures informations disponibles, à retenir des éléments qui permettent à l'exécutif ou au législatif de travailler. Encore une fois, je suis en la matière au-delà de mon champ de compétences.

Sur les opérations de fin de gestion, le rôle de la D.G.I. en la matière est plus limité que celui d'autres directions, car il porte essentiellement sur son rôle de comptable sur la T.V.A.. A ma connaissance, il n'est pas entouré d'un formalisme particulier.

L'intégration des recettes extra budgétaires est un exercice assez largement mené ces dernières années qui ne concerne pas directement la direction générale des impôts. Sur les crédits d'articles que vous mentionnez, il est aujourd'hui pratiquement terminé et le sera totalement en 2001, conformément aux engagements pris par Christian Sautter devant votre Assemblée à l'automne dernier.

D.L.F : je ne suis pas certain d'avoir compris la fine pointe de votre question, M. le Président.

S'il s'agissait de donner les mesures que la D.L.F peut envisager dans le P.L.F 2001 et le chiffrage qu'elle y associe, je suis incapable de répondre aujourd'hui. Concernant les mesures qui ont été prises dans le collectif ou ailleurs, je crois que la D.L.F tente à chaque fois (la prévision est un art difficile) de chiffrer le mieux possible pour le Parlement et pour nos concitoyens l'effet, soit des propositions du gouvernement, soit de celles des parlementaires.

Je reviendrai en conclusion sur le jugement sur la D.G.I. et ce qui s'est passé ces dernières années : vous avez relevé les termes que j'ai employés « d'erreur de prévisions ».

Je voudrais conjointement souligner que ces écarts de prévisions ont été de portée relativement limitée puisque nous sommes semble-t-il -sauf erreur de ma part- de l'ordre de 1 % à 2 % maximum sur chacun des impôts que j'ai cités.

Par rapport à une grande organisation ou une entreprise, un écart ou une erreur de cet ordre est plus qu'honorable, qui plus est dans une année qui a été particulièrement chahutée et difficile à prévoir sur le plan économique.

Il me paraît à vrai dire utile -et je parle en tant que directeur général des impôts- que pour la partie de ces écarts qui tient non pas à des erreurs économiques (si j'ai employé le mot, il est peut-être un peu lourd) mais à des éléments techniques que nous n'avons pas suffisamment intégrés dans la prévision, nous puissions la corriger pour l'avenir.

C'est l'enseignement le plus utile, concernant la direction générale dont j'ai la charge, que j'en tirerai.

Je ne crois pas que l'on puisse qualifier le biais de la D.G.I. dans le sens de la prudence ou de l'optimisme. La plupart des directions dans cette phase de la croissance économique qui a été une phase d'accélération quelque peu constamment sous-estimée, ont appliqué le principe de précaution. Et, après tout, je suis plutôt fier que l'erreur de la direction générale des impôts ait été faite dans ce sens.

Quant à la comparaison avec 1992-1993 qui était dans l'autre sens, j'avoue ma totale incompétence, même si j'ai connu cette période. Je suivais alors les affaires européennes au cabinet du Premier ministre. J'étais plus loin de ce sujet qui nous a occupés aujourd'hui.

M. le Président .- Merci, Monsieur le directeur général.

Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain à 10 heures pour poursuivre nos auditions et vous remerciant une nouvelle fois, je lève la séance.

La séance est levée à 19 heures.



Séance du 2 mai 2000
La séance est ouverte à 18 heures sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de M. Jean-Philippe COTIS,
Directeur de la Prévision



Notre ordre du jour appelle dans le cadre des travaux que nous menons avec les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, l'audition de Monsieur Jean-Philippe COTIS, directeur de la prévision. Monsieur le directeur, je vous souhaite la bienvenue à la commission des finances.

Je vous rappelle que l'objet de notre mission est de nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances, que nous sommes dotés des prérogatives de commissions d'enquête afin d'éviter tout débat juridique sur nos droits en la matière et que notre méthode est celle de la méthode pluraliste, puisque nous avons désigné un rapporteur par groupe politique siégeant au Sénat et à notre commission. Les rapporteurs sont le rapporteur général Philippe MARINI, Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et moi-même.

J'indique à la commission comme à vous-même que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de notre commission et nous serons, au cours de cette audition, dans le cadre de travaux non publics.

Je dois, conformément à la loi, monsieur le directeur, vous rappeler les textes qui régissent ces auditions et qu'en cas de faux témoignage la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, et 434-15 du Code pénal.

Je dois recueillir votre serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je vous propose de lever la main droite et de dire  : « Je le jure ».

M. Jean-Philippe COTIS .- Je le jure.

M. le Président .- Comme les autres personnalités qui vous ont précédé, je vous propose d'introduire cette audition au moyen d'un propos introductif d'une dizaine de minutes, avant de vous livrer aux questions de monsieur le rapporteur général auquel vous répondrez immédiatement et j'ouvrirai ensuite la discussion à la Commission entière.

M. COTIS .- J'ai quelques exemplaires d'une partie des réponses. Il en reste deux à compléter.

Vous m'aviez invité à dire quelques mots d'introduction sur le rôle de la direction de la prévision (D.P.). Avant d'évoquer notre implication dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances, je souhaitais revenir sur nos missions au sein du ministère.

Le rôle que joue aujourd'hui la D.P. au sein du ministère est celui d'un bureau d'expertise conseil à vocation généraliste. Il emploie près de 220 personnes dont une centaine d'économistes. Si nous opérions en milieu anglo-saxon la D.P. serait qualifiée de département économique du ministère, ce qui signifie qu'au-delà de nos activités de prévisions, qui constituent le coeur historique de la direction, la D.P. intervient sur une grande diversité et variété de dossiers.

Des dossiers relatifs aux réformes structurelles, dans des domaines comme la politique agricole, l'ouverture des secteurs à réseau, les expertises et contre-expertises en matière de choix d'infrastructures publiques, de taxation environnementale, de marchés, de droit à polluer et d'attribution de fréquences hertziennes.



Dans des domaines comme ceux des politiques fiscale et sociale, nous analysons par exemple les réformes fiscales récentes au sein des pays de l'O.C.D.E. Nous avons travaillé à la réforme des régimes de retraite dans le cadre du rapport CHARPIN. Nous travaillons sur l'étude d'un crédit d'impôt pour les bas salaires dans le cadre de la lutte contre le chômage et la pauvreté et sur la réforme de l'aide au logement.

Il nous arrive de traiter de sujets concernant le marché du travail ; pour citer deux exemples récents, nous avons étudié les avantages et les inconvénients d'un système de bonus/malus pour l'indemnisation du chômage ou les conséquences de la taxation des formes de travail précaire.

Nous traitons aussi de dossiers plus traditionnels à connotation macro-économique : les conséquences d'un krach à Wall Street, les divergences conjoncturelles au sein de la zone euro, qui se sont creusées au cours de la crise asiatique et toute une série de travaux sur la nouvelle économie.

La D.P. participe aux activités internationales du ministère, elle représente la France au comité de politique économique de l'O.C.D.E. et de la Communauté européenne.

Je dirai quelques mots de l'insertion de la D.P. au sein du ministère et des modalités de sa collaboration avec les grandes directions opérationnelles que sont les directions du budget et du trésor, la D.L.F ou la D.G.I.

Au cours des années récentes, plusieurs ministres ont souhaité que la D.P. soit plus réactive, plus extravertie, plus concrète dans ses approches, et l'équipe qui anime aujourd'hui la D.P. s'est attelée à cette tâche avec beaucoup d'ardeur. Une des traductions de ses efforts se trouve dans la multiplication des travaux inter-directionnels au sein du ministère.

C'est vrai en matière de programmation budgétaire avec l'élaboration des programmes de stabilité que nous menons à bien avec la direction du budget ; c'est vrai en matière fiscale avec la participation active de la D.P. aux travaux du comité de stratégie fiscale dont l'objet est de préparer le volet fiscal des lois de finances ; c'est vrai des questions de politique économique générale avec la participation du directeur de la prévision au conseil de politique économique du ministère créé il y a deux ans.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a pris la mesure d'un certain nombre de dysfonctionnements qui ont pu nuire à l'efficacité des travaux au sein des directions dites d'état-major et nous essayons de travailler de manière plus collégiale et plus transversale que ce n'était le cas dans le passé. Du travail est encore à faire, mais l'effort est bien engagé.

Quelques mots sur notre contribution à l'élaboration des lois de finances pour dire qu'elle est triple : nous fournissons le cadrage macro économique avec la croissance du P.I.B., l'inflation, le revenu des ménages, les profits des entreprises, les emplois taxables et la T.V.A.

Nous participons activement à la prévision de recettes qui fait également intervenir la direction du budget, la comptabilité publique, la D.G.I., et les Douanes. La D.P. et le Budget couvrent l'ensemble des recettes, les autres directions étant plus spécialisées.

La D.P. aligne sans doute le dispositif le plus important avec son bureau des études fiscales dans le domaine de la prévision de recettes. Nous réalisons sous l'égide du cabinet du ministre, la prévision d'ensemble des administrations publiques qui inclut les administrations de sécurité sociale, les collectivités locales, l'Etat et les organismes divers d'administration centrale.

Ces prévisions sont exprimées en langage maastrichien, à savoir en comptabilité nationale.

Dans cet exercice, nous nous appuyons largement sur la direction du budget qui nous fournit les dépenses de l'Etat, les prévisions de comptes spéciaux du Trésor et les recettes non fiscales et, dans tous ces travaux, nous nous appuyons sur nos collègues de l'INSEE dont le diagnostic conjoncturel constitue un « input » très important du cadrage économique.

Nos méthodes sont extrêmement variées et loin de se résumer à l'application aveugle d'un modèle macro économétrique. Nous « consommons » par exemple beaucoup d'informations de terrain sous forme d'enquêtes conjoncturelles, d'exploitation de centrales de bilan et d'informations qualitatives diverses, mais il est vrai que malgré nos meilleurs efforts nous commettons toujours des erreurs de prévision ; elles sont particulièrement marquées lors des retournements de conjoncture.



La prévision, comme l'analyse économique, n'est pas une science exacte et d'aucuns disent, que lorsque les économistes s'expriment, ce n'est pas parce qu'ils savent, mais simplement parce qu'on les interroge. Il y a une part de vérité dans cette boutade. Nos prévisions n'ont pas l'ambition de prédire l'avenir, mais de fournir aux pouvoirs publics, à un certain moment, le scénario le moins improbable.

Nous avons été relativement chanceux au cours des trois ou quatre dernières années. Nos pronostics en matière de croissance ne se sont pas trop écartés de la réalité. Malgré ce succès relatif dans le domaine macro économique, nous avons commis des erreurs de prévision significatives en matière de recettes fiscales, notamment pour l'année 1999, ce qui reflète dans une très large mesure la difficulté et la complexité de la prévision fiscale, qui est plus difficile que la prévision macro économique.

Je viens devant vous, de ce point de vue, avec beaucoup d'humilité et de modestie.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général .- Le directeur pourrait-il, pour l'information de nos collègues, nous dire comment les choses s'organisent entre la direction de la prévision et l'INSEE ; quand on parle cadrage économique et loi de finances en particulier, en règle générale on évoque la D.P. et l'INSEE en en faisant presque un ensemble, mais chacun a ses responsabilités

D'autre part, concernant les hypothèses sur lesquelles est construite la loi de finances, pourriez-vous nous rappeler comment les choses fonctionnent entre vous et le cabinet du ministre ? Existe-t-il des temps forts décisionnels, une certaine formalisation des approches, comment et à quel moment ?

En troisième lieu, les hypothèses que vous élaborez (je crois que vous y avez fait allusion) ne le sont pas en Chambre mais en fonction des déclarations à un certain moment, des conjoncturistes et des économistes les plus crédibles. C'est ce que l'on évoque souvent sous le terme de consensus.

Comment ce consensus apparaît il ? Quel rôle la direction de la prévision y joue-t-il ? Quels sont les choix faits de sollicitation et de consultation d'experts extérieurs par rapport à l'administration ?

Comment ces confrontations d'idées et d'hypothèses se réalisent-elles ? Concrètement, cela vous conduit-il le cas échéant, à modifier vos propres hypothèses ?

Par ailleurs et concernant le suivi de l'exécution des recettes et, plus généralement, du suivi budgétaire, quelle est la participation de votre direction ?

Participation à la prise en compte de l'évolution du contexte économique dans les comités d'arbitrage de recettes de février et de juillet : comment a-t-elle lieu ? Existe-t-il une formalisation de vos approches ? Remettez-vous des notes, des commentaires ?

S'agissant par ailleurs des réunions mensuelles de suivi budgétaire organisées par la direction du budget, quel est le degré d'implication, d'association de la direction de la prévision ?

Y a-t-il des points de rendez-vous périodiques, des documents internes à votre direction, des documents livrés par celle-ci pour la préparation des réunions mensuelles de suivi ? Pouvez-vous nous informer du fonctionnement administratif, voire du formalisme de ces procédures ?

Dernier aspect : nous avons noté -c'est je crois l'objet d'une des questions écrites- l'existence du bureau des études fiscales au sein de votre direction. Ce bureau réalise-t-il des études sur l'impact des mesures fiscales inscrites en loi de finances ou susceptibles de l'être sur amendement parlementaire ? Comment se coordonne-t-il, s'il intervient dans ces matières, avec la direction générale des impôts et la D.L.F plus particulièrement ?

M. Jean-Philippe COTIS .- Relations avec l'INSEE : l'INSEE est une maison qui fabrique essentiellement de la statistique et qui réalise des études conjoncturelles. Elle a un département économique, mais qui représente certainement en termes d'effectifs, une petite fraction de l'institution. Pour le travail de prévision qui nous concerne, l'horizon de l'INSEE est à six mois. Il s'agit de confectionner des prévisions à six mois à partir notamment des enquêtes de conjoncture.

La D.P. a une mission plus étendue : elle fait des prévisions à horizon de deux ans et, dans le domaine conjoncturel, elle a la responsabilité de l'environnement international. Nous fournissons à l'INSEE, qui fait sa note de conjoncture, l'environnement international de la France A contrario, nous bénéficions du cadrage conjoncturel de l'INSEE.



Nous avons nous-mêmes un petit bureau d'analyse conjoncturelle qui travaille en liaison avec l'INSEE. Il nous permet de nous approprier pleinement son diagnostic conjoncturel et de vérifier que nous n'avons pas de divergences d'appréciation ; nous pouvons en parler avec eux. Les personnels de la D.P. viennent de l'INSEE et y retournent souvent. Une communauté professionnelle est en oeuvre.

Le « leadership » pour la conjoncture française appartient à l'INSEE et pour la conjoncture internationale, à la D.P. A l'horizon de deux ans, c'est une responsabilité de la direction de la prévision.

Hypothèses sur lesquelles est construite la loi de finances : nous avons une procédure séquentielle. Pour prendre l'exemple du projet de loi de finances, nous faisons une première prévision, à la fois macro-économique et sur les finances publiques, en général à partir de la fin juin et jusqu'à la mi-août.

Ensuite, ces comptes qui constituent une première étape, sont présentés au cabinet du ministre, plus exactement au conseiller économique et aux conseillers chargés de la fiscalité et des finances publiques.

A partir de là, nous avons des itérations qui concernent souvent la prise en compte de nouvelles mesures de politique économique, à savoir qu'il est possible de modifier le cadrage de la dépense ou, souvent, d'incorporer des mesures nouvelles en recettes.

Parfois, ce que nous disons à partir de ce premier jet modifie le réglage des politiques fiscales ou budgétaires et nous avons une discussion sur les hypothèses économiques avec les experts (notamment le conseiller économique du ministre) qui sont souvent des personnes issues de la Maison et que nous avons envoyées là en raison de leur grande compétence. Il est important de prendre leur avis.

Nous refaisons ensuite un deuxième tour qui incorpore les modifications de variables exogènes que le cabinet a pu nous communiquer, dans la dimension de la politique budgétaire et fiscale, et qui prend en compte éventuellement le résultat de débats sur nos hypothèses macro économiques.

Cet exercice qui, d'après moi, apporte un éclairage intéressant nous concernant, la D.P. se conduit dans le cas des hypothèses macro économiques dans un cadre malgré tout assez restreint. L'ampleur des modifications que l'on peut apporter, à l'issue d'une discussion, aux prévisions macro économiques est en général très limitée, car nous savons qu'en tout état de cause nous avons beaucoup d'interlocuteurs à qui nous présenterons ces prévisions, tels que le groupe technique de la commission des comptes, qui se réunit en général au début du mois d'octobre et dans lequel nous comparons nos prévisions avec celles des principaux instituts de conjonctures.

Nous avons élargi le panel aux économistes, notamment de banques, à la fois banques françaises et grandes banques internationales comme Goldman Sachs et Morgan & Stanley.

Nous sommes sous le regard d'un panel très étendu qui nous pose toutes sortes de questions sur nos prévisions. Nous tentons de ce point de vue de faire du « benchmarking », par des comparaisons très fouillées avec le reste de la profession. Il y a deux ou trois ans, nous avons souhaité élargir encore ce panel et ces regards extérieurs. Voilà comment se passe la procédure.

Figure également dans cette procédure l'arbitrage de recettes que vous évoquiez, Monsieur le rapporteur général. Il s'agit d'arrêter les prévisions de recettes fiscales pour le budget de l'Etat, exercice dans lequel la D.P. participe activement. Elle se trouve également dans cette réunion avec la direction générale des impôts, la direction de la comptabilité publique et la direction du budget.

Ainsi que je le disais, il existe deux directions généralistes dans cet exercice qui sont la D.P. et le Budget. Elles prévoient tous les impôts, mais les directions opérationnelles comme la D.G.I. ou la Comptabilité Publique ont des éléments importants à nous apporter en termes de prévisions, car elles gèrent les rentrées fiscales et possèdent des informations de terrain qu'éventuellement nous avons pu manquer.

C'est à l'issue de cette confrontation entre les différentes directions que le conseiller fiscal du cabinet procède à un arbitrage, et il arrive que nous n'ayons pas la même appréciation de telle ou telle prévision de recettes fiscales.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général .- Pouvez-vous illustrer l'exposé de cette procédure par l'exemple de l'année 1999 ?



M. Jean-Philippe COTIS .- L'arbitrage qui a été effectué à l'été 1999 était assez consensuel, au sens où les directions étaient proches sur la plupart des recettes, sauf l'I.S. Sur l'impôt sur les sociétés, la fourchette allait de 7 milliards de francs à 8 milliards de francs avec, en bas de la fourchette, la direction générale des impôts, en haut la direction de la prévision et, étagées entre ces deux estimations, la direction de la comptabilité publique et la direction du budget.

Un arbitrage prudent a eu lieu, proche de la prévision de la direction générale des impôts.

Pour le reste, nous avons commis des erreurs sur la prévision de T.V.A. et d'I.R. et, malheureusement, nous les avons faites de manière consensuelle.

Si je regarde ce que la D.P. avait proposé à l'arbitrage, nous constatons une erreur de prévision par défaut d'environ 20 milliards de francs dont l'essentiel était logé sur la T.V.A. et l'I.R. et un peu sur l'impôt sur les sociétés avec une insuffisance de 3,5 milliards de francs par rapport à l'exécution.

Voilà une illustration. Le détail de ces arbitrages sera remis à la commission d'enquête de manière à clarifier cette description quelque peu cursive et trop rapide.

M. le Président .- Monsieur le directeur, avez-vous des débats méthodologiques avec vos collègues des autres directions en matière d'évaluation des recettes (puisque nous parlons de recettes) ? Effectuez-vous une synthèse sur la base des informations fournies par les autres directions ?

Je le disais à vos collègues qui vous ont précédé, le Parlement qui autorise l'impôt, a le sentiment de débattre sur des propositions qui ne sont plus véritablement d'actualité.

Je vous demande à vous, directeur de la prévision, si vous êtes en mesure d'actualiser les chiffres de loi de finances qui nous sont proposés. Par exemple, entre septembre et décembre, existe-t-il ou non une opportunité, du point de vue de l'intérêt à la fois démocratique et public, à corriger en cours de débat ?

Votre direction joue-t-elle un rôle particulier concernant les dépenses et si oui, lequel ?

Les difficultés économiques importantes de l'année 1993 ainsi que (je les ai connues à l'époque en tant que rapporteur général) les erreurs de prévisions en matière fiscale des années 1995 et 1996 (on traitait beaucoup de la déflation des recettes fiscales à l'époque) ont-elles conduit à une révision des méthodes de votre direction ? Existe-t-il un principe de prudence qui est souvent évoqué dans les prévisions effectuées ?

Ce principe de prudence conduit-il à fournir au ministre des prévisions prudentes qu'il serait lui-même amené à interpréter de manière prudente ? A-t-on une sorte d'enchaînements de prudence ? Ou, au fond, les prévisions intègrent-elles tout le champ du possible ?

Dernière question : quand la D.P. tient-elle le Gouvernement informé de ses travaux d'actualisation du programme de stabilité ? Ces travaux seraient par ailleurs susceptibles de modifier le support du débat budgétaire.

Quels sont les liens techniques entre le projet de loi de finances et le programme de stabilité ?

M. Jean-Philippe COTIS .- J'ai oublié de répondre à plusieurs de vos questions.

M. le Président .- Répondez au rapporteur général.

M. Jean-Philippe COTIS .- Il arrive que le bureau des études fiscales fasse des études d'impact sur les mesures fiscales. Sur l'évaluation des mesures nouvelles, c'est souvent la D.L.F. ou la D.G.I. qui s'en occupent, mais il arrive que la D.P. en fasse lorsque sont en cause des considérations complexes d'interactions économiques, appelant des approches plus modélisées. Il nous arrive alors de reprendre la main pour tenter de mieux apprécier ce que peut être l'impact d'une mesure fiscale. Nous le faisons peut-être de manière moins comptable, moins focalisée sur les effets de premier tour mais en considérant l'ensemble des conséquences que cela peut avoir à terme.

Sur le suivi de l'exécution des recettes et la participation de la D.P. : nous participons à l'exercice de suivi mensuel des recettes de manière très étroite et en parfaite collégialité avec la direction du budget, la comptabilité publique et la D.G.I. Nous suivons ces éléments au mois le mois.



S'agissant par exemple de l'année 1999, nous n'avions pas, d'après moi, d'informations, en septembre-octobre et même jusqu'en novembre, sur l'impôt sur les sociétés qui nous auraient permis de lever le débat que l'on pouvait avoir entre les directions qui avaient des prévisions plus élevées que la moyenne et celles qui en avait de plus faibles.

Côté D.P., nous avions cette prévision que nous avons conservée, mais il est vrai qu'en cas de nuances d'appréciation entre plusieurs grandes directions, les informations stratégiques sur l'I.S. sont celles qu'apporte l'acompte de décembre et c'était un débat difficile à trancher jusque là.

Sur d'autres recettes, nous avons un suivi. Comment procédons-nous ? Nous avons une prévision pour l'ensemble de l'année et nous regardons, prorata temporis, ce qui doit encore tomber, en tenant compte d'un profil spécifiant les échéances spécifiques à chaque impôt. Nous tentons de voir comment chaque tombée mensuelle s'écarte ou non du tableau de marche.

Notre problème ce sont ces trois mois d'incertitude entre le moment où l'on dépose le projet et la fin de l'année.

Il est toujours difficile, après avoir observé l'accumulation de plus-values sur un ou deux mois, d'en conclure que l'on pourra continuer à les accumuler. Il nous arrive, sur des impôts comme la T.V.A. ; d'enregistrer un ou deux mois de plus-values ; ensuite, cela redescend. C'est une période un peu courte pour pouvoir se dire, à l'observation des plus-values, qu'elles sont significatives et que sur le dernier mois de l'année elles ne seront pas en partie, contrepassées.

Cette situation rend l'exercice délicat, même s'il est vrai, que lorsque nous avons connu les recettes de novembre, nous avions des résultats meilleurs que prévus en T.V.A. et en I.R.. Nous étions par ailleurs troublés car c'étaient des résultats que nous ne parvenions pas à expliquer.

Encore aujourd'hui, nous avons du mal à expliquer l'erreur de prévision que nous avons faite sur la T.V.A. et l'impôt sur le revenu. Une élasticité élevée de la recette aux assiettes taxables économiques nous a beaucoup surpris.

Nous avons observé en 1999, une élasticité des recettes fiscales nettes aux assiettes économiques, de 2,5, que nous n'avions jamais connue en 25 ans.

Nous nous sommes trompés et, s'agissant même de la prévision que nous avons faite à la D.P. à l'été 1998 pour 1999, nous devons avoir une erreur de prévisions de 35 milliards de francs ; nous étions encore autour de 20 milliards de francs à l'été 1999.

Les recettes de T.V.A. ont commencé à accélérer à partir des mois d'août et septembre et là nous avons une déconnexion entre ce que nous pensons être l'évolution de la consommation et les recettes de T.V.A. Avec cette difficulté qu'en période de redémarrage, c'est souvent la macro-économie qui est révisée et qui suit les recettes de T.V.A. Nous ne pouvons pas exclure que les comptables nationaux aient une appréciation conservatrice de ce qu'était l'embellie du seconde semestre et, par révisions successives, ces éléments peuvent changer.

C'est le « dual » de ce que nous avions observé en 1993, où nous nous demandions d'où venaient ces moins-values de T.V.A. Elles reflétaient en fait une récession et un ralentissement beaucoup plus forts que ce que nous avions en tête.

L'année 1999 n'est pas un très bon cru. Par ailleurs, il n'en existe pas beaucoup en matière d'I.S., car c'est un impôt extrêmement difficile à prévoir.

Les débats méthodologiques avec nos collègues des autres directions : nous en avons, avec notamment le souci d'essayer d'améliorer -si nous le pouvons- la prévision de l'impôt sur les sociétés, qui est le cauchemar des prévisionnistes de très longue date.

C'est l'un des sujets sur lesquels nous tentons d'avoir des informations plus précises qui remontent des systèmes comptables eux-mêmes, par exemple, savoir si les impôts payés à telle date concernent l'exercice N-1, N-2 ou l'exercice N.

Quand nous parlons du solde de l'I.S. qui nous aide à calculer les éléments, il s'agit à la fois de l'I.S et des plus-values.

La taxation des plus-values à taux réduit : nous ne savons pas exactement qu'elle est la part des deux types de recettes. Il existe une série de points de ce genre qui devrait nous conduire à améliorer les remontées d'information, sachant qu'il est par ailleurs très difficile de prévoir l'assiette taxable.

En 1999, les comptables nationaux nous disaient que l'excédent brut d'exploitation qui est un indicateur de profits fréquemment utilisé, augmentait de 5 %. C'est une estimation qui est restée inchangée pendant toute la période de prévision et l'est encore dans le compte provisoire 1999.

Conjointement, les bénéfices fiscaux ont augmenté de 12 %. La difficulté est de passer d'un indicateur de type macro économique à un indicateur pertinent fiscalement, en essayant de deviner quelles seront les comportements de report de déficit et les stratégies de versement des entreprises.

Sur ce point, malheureusement, tout ce que nous pouvons faire est d'essayer d'améliorer ce que nous savons du passé et, à travers des centrales de bilans, de mieux comprendre ce qui s'est passé ; mais ce sont des instruments très lourds et nous n'avons pas les informations pertinentes pour l'année en cours de prévision avec ce type de méthode. Nous en sommes réduits à des exercices impressionnistes.

Nous tentons de collationner dans la presse et les communications des grandes entreprises leurs déclarations de résultats comptables. Cet exercice doit nous permettre d'enregistrer toutes les tombées et de les mettre dans une base de données pour tenter de comprendre si le décalage entre la croissance des bénéfices comptables et fiscaux et les indicateurs macro économiques perdurera.

Nous ne sommes plus ici dans les méthodes qu'affectionnent les statisticiens rigoureux, qui cherchent à obtenir des échantillons représentatifs. Je crains pour l'I.S. que les aléas soient tels, entre le passage du résultat économique au bénéfice comptable et fiscal, que nous soyons amenés à avoir une grande imprécision sur cet impôt. Cela ne nous empêche pas de débattre activement des petites améliorations que nous pouvons essayer d'apporter.

L'épisode de 1999 est statistiquement imprévisible, car il n'est pas dans la plage de régularité observée depuis 25 ans.

J'ai répondu aux questions sur l'actualisation des chiffres de recettes sur la loi de finances. C'est un problème de jugement. La période est courte et nous ne pouvons pas être certains à chaque fois qu'en cas d'erreurs cumulées sur telle recette nous la retrouverons en exécution. Nous pouvons trouver des situations dans lesquelles, malgré tout, nous avons le sentiment que l'ampleur du cumul et son caractère systématique sur une courte période peut nous conduire à réviser. Nous ne pouvons pas tirer de conclusion générale ex ante ; c'est une affaire d'appréciation.

La période est courte, mais si la plus-value est forte et paraît se répéter sur deux ou trois points, nous pouvons juger utile de réviser. C'est véritablement un problème d'appréciation, au cas par cas, et sujet à critique a posteriori.

En matière de dépenses, nous dépendons très fortement de nos collègues du Budget. Nous effectuons nous-mêmes un calcul de prévision de dépenses de charges d'intérêts mais, pour le reste, c'est l'information budgétaire qui prévaut. Nous prévoyons nous-mêmes les dépenses sociales et celles des collectivités locales.

Sur le principe de prudence, quand la D.P. va à l'arbitrage, elle ne cherche pas systématiquement à avoir une prévision prudente. Elle essaie de donner le milieu de l'intervalle et il appartient ensuite au conclave des directions, dans le cadre de l'arbitrage avec le cabinet, de voir la bonne application du principe de prudence. Je ne pense qu'il existe un cumul de principes de prudence qui aboutirait à biaiser systématiquement la prévision de recettes.

M. le Président .- Avez-vous des contacts avec vos homologues européens ?

M. Jean-Philippe COTIS .- Le Ministère des Finances a incontestablement des contacts avec ses homologues européens. Ensuite les programmes sont débattus dans des réunions du Comité économique et financier dans lequel je ne siège pas. Je siège au Comité de politique économique qui est le versant consacré aux réformes structurelles et aux politiques de moyen terme. Des contacts bilatéraux existent et nous pouvons parler de ces questions.

Le calendrier du programme de stabilité dont il est inévitable qu'il se passe à l'automne, rend la situation extrêmement compliquée, car il faut remettre, en théorie, le programme de stabilité avant la fin du mois de décembre alors même que nous n'avons pas encore l'exécution, ce qui peut donner lieu à de vraies difficultés. Nous en avons eu l'illustration cette année.

C'est une procédure récente. Elle est très importante pour les pays membres mais, conjointement, elle court le risque d'être assise sur une année initiale éventuellement un peu périmée.

C'est complexe.

Si chacun attend de voir clair, nous remettrons ces programmes avec deux mois de retard ; il est alors trop tard pour la Commission qui doit examiner ces programmes et en tirer les conclusions au titre de ses grandes orientations de politique économique qui ont lieu au printemps. Nous avons ce timing qui s'impose à nous, qui a sa justification bruxelloise, mais qui nous met dans une situation éventuellement spectaculaire de porte-à-faux, ce qui était le cas cette année.

M. le Président .- Monsieur le Directeur, je vous remercie des réponses que vous avez bien voulu nous donner et de leur qualité.

Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain à 10 heures pour poursuivre nos auditions et vous remerciant une nouvelle fois, je lève la séance.



La séance est levée à 19 heures.





Séance du 3 mai 2000

La séance est ouverte à 10 h 10, sous la présidence de Monsieur Alain Lambert.

Audition de Monsieur Denis MORIN.



M. le Président . - Mes chers collègues, la séance est ouverte. Je vous rappelle que notre commission siège avec les prérogatives des commissions d'enquête.

L'ordre du jour appelle l'audition de Monsieur Denis MORIN. Monsieur le Directeur, je vous souhaite la bienvenue au sein de la commission des finances du Sénat que vous connaissez bien car vous êtes venu souvent accompagner les ministres auprès desquels vous avez travaillé.

Notre commission des finances a souhaité que le Sénat lui confère les prérogatives de commission d'enquête afin que nous puissions nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.

En demandant le bénéfice de ces prérogatives nous avons, dans un premier temps, voulu éviter le débat juridique qui consiste à savoir si nous avions les compétences pour mener l'ensemble des investigations liées aux travaux que nous voulons mener.

Sur le plan de la méthode, je voudrais rappeler que nous avons choisi une méthode pluraliste, nous avons désigné autant de rapporteurs que de groupes siégeant au Sénat et dans notre commission. Ceci nous a amenés à désigner comme rapporteurs, le Rapporteur Général, Philippe MARINI, Monsieur Roland du LUART, Monsieur Bernard ANGELS, Monsieur André VALLET, Monsieur Paul LORIDANT et votre serviteur.

Je rappelle à la commission comme à la personnalité auditionnée que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de la commission ce qui est le cas pour cette audition et celles qui vont suivre ce matin. Je rappelle, conformément à la loi, que la personne auditionnée, en cas de faux témoignage, est passible de peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du Code pénal.

Je vais donc vous demander, Monsieur Denis MORIN, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire « je le jure ».

M. Denis MORIN . - Je le jure.

M. le Président - Je vous donne maintenant la parole pour un propos d'introduction, nous nous livrerons ensuite au jeu des questions et réponses. Vous répondrez dans un premier temps aux questions du Rapporteur Général, j'ouvrirai ensuite la discussion à l'ensemble de la commission. Vous avez la parole.

M. Denis MORIN . - J'ai préparé, à votre demande, un bref exposé de 10 minutes/un quart d'heure, que j'ai souhaité, conformément à l'objet de cette commission d'enquête, centré sur un thème assez simple : la nature et l'ampleur des écarts traditionnellement observés entre la loi de finances initiale et l'exécution budgétaire.

J'insisterai, dans une première partie sur les écarts observés en matière de recettes et dépenses et j'essaierai, dans une seconde partie, de retenir l'attention de la commission sur les initiatives prises, depuis quelques années, par les gouvernements successifs pour essayer de porter remède à ces écarts qui nuisent parfois à la lisibilité des comptes publics.

Premier point, les écarts en matière de recettes entre les évaluations de la loi de finances initiale, le collectif et l'exécution budgétaire (les recettes dites encaissées), sont traditionnels. Le rapport de votre Rapporteur Général lors de la présentation de la loi de finances initiale pour 1999 en avait, à juste titre, souligné la permanence.

Je suis remonté jusqu'en 1987, n'ayant pu aller au-delà et, sur ces treize dernières années, j'ai effectivement observé six années pendant lesquelles les recettes exécutées ont été inférieures aux recettes prévues en loi de finances initiale : 1990, 1991, 1992, 1993, 1995 et 1996. Pour 1996, l'écart entre la prévision et l'exécution s'est élevé à plus d'une quarantaine de milliards de francs. Sept années, en revanche, ont vu des recettes supérieures aux prévisions initiales : 1987, 1988, 1989, 1994, 1997, 1998 et 1999, avec des écarts de l'ordre de 20 à 30 milliards, 31 milliards en 1999, 32 en 1987, 40 en 1988.

Il existe aussi des écarts importants entre les recettes telles qu'elles peuvent être révisées à l'occasion du collectif budgétaire et les recettes exécutées en définitive. Ils sont généralement plus faibles et qu'ils soient positifs ou négatifs, peuvent aller jusqu'à 10 à 15 ou 20 milliards. Pour 1999, le chiffre exact est de 13,5 milliards. En 1998, environ 7 milliards ; il avait été de l'ordre de 18 à 19 milliards en 1996.

En valeur absolue, ces chiffres paraissent relativement importants, mais je voudrais rappeler à votre commission le total des recettes de l'Etat. Le dernier chiffre connu est supérieur à 2 000 milliards de francs, les écarts entre prévision et réalisation représentent donc un total de 1 à 2 %.

Pourquoi ces écarts et comment les expliquer ?

Je vous donne un sentiment personnel en la matière. Trois éléments permettent de comprendre ces écarts : premièrement, l'appréciation de la conjoncture ; deuxièmement, une particularité française qui est le calendrier des recouvrements fiscaux et, troisièmement, la procédure de préparation du budget.

L'appréciation de la conjoncture.

Je ne pourrais dire que des banalités, je crois qu'il est connu que l'appréciation de la conjoncture est aujourd'hui plus difficile que par le passé car nous vivons dans une économie plus volatile. Si elle n'est pas aussi volatile que les marchés, nous constatons, en tout cas, que la croissance suit des cycles qui semblent de plus en plus courts.

Nous observons depuis 1994/1995, une succession de phases d'accélération et de décélération. Depuis 1997, une accélération forte qui n'avait pas forcément été bien anticipée et une décélération au deuxième semestre 1998, qui fut d'abord forte, vous vous rappelez les crises asiatique et russe. Forte reprise à partir du deuxième semestre 1999 dont l'ampleur et la vigueur n'avaient pas non plus été vraiment bien anticipées, au point qu'en 1999, d'une croissance moyenne au cours du premier semestre de 2 %, nous sommes passés à une croissance moyenne, au second semestre, de 4 %. Durant aucune autre année les écarts dans le rythme de croissance n'ont été aussi importants. C'est le premier point, il existe une forte corrélation entre l'ampleur des recouvrements fiscaux et l'évolution de conjoncture. L'aléa inhérent à toute prévision se retrouve en matière de recouvrements fiscaux.

Deuxièmement, le calendrier lui-même des recouvrements.

Je ne sais pas s'il est bien connu que les recouvrements fiscaux sont, en France, très centrés sur la deuxième partie de l'année. Tout le monde sait que l'ensemble de la fiscalité locale, pour laquelle l'Etat consent les avances à travers le compte d'avance, est recouvrée en octobre, novembre et décembre. Il faut également avoir à l'esprit que l'impôt sur le revenu pour lequel peu de nos concitoyens sont mensualisés, n'est appréhendé qu'à partir du 15 septembre.

D'autres impôts et, en particulier, l'impôt sur les sociétés qui est volatile et difficile à prévoir, comportent également des effets tenant à sa mécanique de perception, à la différence entre solde et acomptes, avec une incertitude très forte jusqu'à la fin de l'année puisque l'acompte du 15 décembre, de plus de 60 milliards de francs recouvrés en 1999, est un acompte que les entreprises ont la capacité de moduler en fonction de leur évolution ou évaluation de résultat de l'année en cours.

Le calendrier des recouvrements étant très décalé sur la fin de l'année avec une masse importante d'impôt recouvré à compter du 15 septembre, il y a une difficulté supplémentaire de prévision. Là se trouve probablement la deuxième explication de l'écart entre prévision et réalisation.

Troisième point, la procédure de préparation du budget.

C'est un élément qui peut expliquer des écarts dont je rappelais qu'ils tenaient dans une limite de l'ordre de 1 à 2 %.

Les recettes de l'Etat font l'objet, une fois par an, d'une révision qui a lieu au mois de juillet, lorsque le Gouvernement réévalue les recettes de l'année en cours. Ceci est indispensable avant de faire la prévision des recettes de l'année suivante puisque sur la plupart des impôts il y a un « effet de base » important. Donc, avant de prendre des décisions en matière fiscale et de lancer de façon définitive l'impression des documents budgétaires, le Gouvernement révise les recettes de l'année.

Cette révision est également utilisée pour la préparation et la présentation du collectif de fin d'exercice, autrement dit, il ne se passe rien en matière de recalage des recettes entre la mi-juillet et la date de présentation du collectif budgétaire, c'est-à-dire, en général, deuxième quinzaine du mois de novembre. La même évaluation est reprise, ce qui est normal puisque si nous devions réviser une nouvelle fois les recettes dans la deuxième partie de l'année, il faudrait, parallèlement, réviser les recettes du budget alors en cours de discussion au Parlement et cela soulèverait une série de difficultés.

Ceci signifie qu'entre le moment où les recettes de la loi de finances de l'année N sont évaluées et le moment où ces recettes sont effectivement constatées en exécution, il s'écoule 17 à 18 mois. Nous voyons bien que cette période est propice à des ajustements en tous genres en fonction, pour l'essentiel, de l'évolution de la conjoncture. Lorsque la conjoncture est linéaire, les écarts sont relativement faibles, lorsque la conjoncture est heurtée, les écarts peuvent être relativement importants, dans un sens ou dans l'autre.

Voilà, me semble-t-il, les trois points qui peuvent expliquer les aléas, l'évolution de la conjoncture, des recouvrements fiscaux très décalés sur la fin de l'année, et la procédure de préparation du budget. Ceci amène, par exemple, à relativiser les données fournies par les situations mensuelles budgétaires qui ne sont pas forcément significatives avant une date très avancée de l'année et la procédure de préparation du budget qui centre l'exercice de révision des recettes à un moment donné de l'année, au mois de juillet, sans y revenir jusqu'à la fin de l'année en cours.

Du côté des dépenses, il existe également des écarts significatifs sur lesquels je souhaiterais insister.

Le premier écart est relativement simple, il tient à la qualité, à la sincérité de l'évaluation des charges. Votre commission, dans ses rapports successifs, en particulier à l'occasion de l'élaboration de ce qu'il était convenu d'appeler les contre-budgets, ces dernières années, avait d'ailleurs souligné, à plusieurs reprises, l'importance des sous-consommations de crédits. Ces éléments sont publics. Il y a d'ailleurs dans le questionnaire que vous m'avez adressé, une question sur l'importance des sous-consommations de crédits pouvant exister sur telle ou telle ligne budgétaire.

A l'inverse, il peut arriver sur les crédits non limitatifs que l'évaluation ne soit pas toujours conforme à la réalité. C'est aussi un motif d'écart. Il faudrait regarder ce qu'a donné la prévision et l'exécution de la charge de la dette à travers les âges puisque vous faites un exercice portant sur les 10 dernières années. Ce constat mériterait d'être creusé.

Premier point, donc, en matière de dépenses : sincérité et qualité des évaluations. Plus les évaluations sont sincères et véritables -et le Conseil Constitutionnel nous y invite- plus les écarts sont réduits.

Deuxième point, les effets de champ. Sur ce point, des évolutions sont engagées qui vont dans le bon sens. Pendant de longues années, il y a eu des écarts de périmètre substantiels entre les dépenses budgétaires, au sens de ce que nous appelons la comptabilité budgétaire, présentées en loi de finances initiale, les dépenses telles qu'elles sont retracées en exécution (la comparaison entre la loi de finances initiale et la loi de règlement est un exercice pas toujours très simple) et les dépenses appréciées par les comptables nationaux. Il y a là trois éléments dont le recoupement n'est pas toujours d'une extrême simplicité. Je prendrai quelques exemples.

Traditionnellement, le Gouvernement présente les dépenses de la loi de finances initiale en additionnant les dépenses du budget général, à l'exclusion des remboursements et dégrèvements, et en ajoutant le solde des comptes spéciaux du Trésor. Je sais que les commissions des finances présentent l'article d'équilibre d'une façon différente. C'est une source inépuisable de discussion entre les fonctionnaires de la Direction du Budget et les administrateurs des différentes commissions. Ce qui est fâcheux pour la qualité de la présentation du budget est qu'il n'y ait pas de présentation normalisée.

En exécution, le rapport de la Cour des Comptes, l'année dernière, avait retenu une présentation différente, prenant en compte les remboursements et présentant la dette d'une façon brute et non pas d'une façon nette comme nous le faisons en présentation initiale.

Je dois reconnaître que la diversité des concepts et des modes de présentation des dépenses de l'Etat nuit un peu à la lisibilité de ces différents exercices. Je pense qu'il y aurait intérêt à essayer de normaliser tout cela.

J'ajoute le problème, soulevé à plusieurs reprises devant le juge constitutionnel, des prélèvements sur recettes qui ne sont pas considérés, comme leur nom l'indique, comme des charges budgétaires mais que le comptable national considère, re-traite, comme étant des dépenses de l'Etat. Il y a là une difficulté supplémentaire qui doit amener à se pencher sur la véritable nature juridique de ces prélèvements sur recettes qui concernent d'une part, le prélèvement communautaire qui sert à financer la part de l'Etat au budget de l'Union et d'autre part, une série de prélèvements au profit des collectivités locales. Nous voyons mal la différence qui peut exister entre ces divers prélèvements : concours de l'Etat qui sont en prélèvement et concours de l'Etat qui figurent sur diverses lignes budgétaires, que ce soit , par exemple, au budget du Ministère de l'Intérieur ou au budget du Ministère de l'Emploi. Donc, là encore, diversité des modes de présentation et de comptabilisation et nécessité d'une clarification qui est, à certains égards, engagée.

Je voudrais rappeler un certain nombre d'initiatives prises en la matière, ce sera l'objet de la deuxième partie de mon intervention. Je souhaite vous indiquer, dans cette deuxième partie, que, sous l'effet des nouvelles règles qui président, aujourd'hui, à la conduite de la politique budgétaire, une amélioration de la transparence et des procédures me paraît engagée.

Ces nouvelles règles tiennent en quelques mots : pilotage des finances publiques par la norme de dépense.

Les ministres ont eu l'occasion au cours de ces deux dernières années puisque l'exercice n'a que deux ans, lors de la présentation en commission des finances de la programmation budgétaire pluriannuelle à laquelle nous sommes astreints, comme l'ensemble de nos partenaires de l'Union, d'insister sur le fait que, de leur point de vue, l'élément déterminant est la référence à une norme de dépense sur laquelle le Gouvernement s'engage. Il doit donc être possible de la vérifier ex post, afin de s'assurer que les engagements pris et que la norme annoncée qui a servi à confectionner la loi de finance est la norme vérifiée en exécution budgétaire.

Je rappelle cette norme de dépense pour l'Etat : il s'agit de maintenir sur trois ans la dépense de l'Etat, en francs constants, assortie d'une réserve de 1% en volume sur les trois années de la programmation. Cette réserve conduit, par exemple, le Gouvernement, pour la préparation du budget 2001, à annoncer une évolution en volume des dépenses de 0,33 % correspondant à un tiers de ce 1 %.

A l'inverse, concernant l'évolution du déficit, les ministres ont insisté à plusieurs reprises sur le fait que le déficit évoluerait conformément au jeu des stabilisateurs automatiques, c'est-à-dire en fonction des évolutions effectives des recettes telles qu'elles sont prévues ou telles qu'elles sont exécutées. Ce fut d'ailleurs le cas en 1998 et en 1999.

Ces règles, tout à fait nouvelles dans la conduite de la politique budgétaire, de pilotage par une norme de dépenses qui s'applique à l'ensemble des agents publics, pas seulement l'Etat, impliquent des clarifications importantes qui visent à donner leur pleine application au principe de sincérité et de précaution.

Je crois d'abord qu'il s'agit de clarifier le champ des dépenses en question. A partir du moment où l'engagement du Gouvernement porte sur une norme de dépenses, il faut être en mesure de clarifier le champ des dépenses. Plusieurs décisions ont été prises, dont certaines correspondent à des demandes parfois anciennes de la représentation nationale. J'évoquerai, par exemple, la budgétisation des crédits d'articles qui a eu une suite dans le budget 2000 avec la budgétisation de l'ensemble des indemnités de divers agents appartenant à divers ministères, financées jusqu'alors de façon extra budgétaire. J'ajouterai la suppression d'une bonne cinquantaine de fonds de concours. Les éléments relatifs aux fonds de concours ne sont retracés, pour l'information des parlementaires que dans un jaune, ils ne figurent pas en présentation initiale. La suppression d'une bonne dizaine de comptes spéciaux du Trésor vise également à clarifier et à donner toute sa portée à notre principe fondateur d'universalité en matière budgétaire.

La budgétisation d'une importante réserve aux charges de communes a donné lieu à de nombreuses questions de la commission des finances. D'importantes réserves au titre des dépenses accidentelles éventuelles permettent d'assurer normalement un pilotage plus fin des dépenses.

L'ensemble des décisions en question, s'ajoutant à la décision prise en 1992 de budgétisation du compte d'avance aux collectivités locales qui, auparavant, n'apparaissait pas dans les documents budgétaires initiaux, vise à donner son plein effet à un principe général de budgétisation et au principe d'universalité qui veut que la représentation nationale soit saisie en loi de finances initiale, sans attendre la loi de règlement, du champ le plus large possible des dépenses de l'Etat.

J'ajoute, qu'en cohérence avec l'ensemble de ces décisions, depuis la loi de finances initiale de 1998, le Gouvernement a décidé de retenir comme champ de ces engagements en matière de norme de dépenses, l'ensemble des dépenses du budget général à l'exclusion du solde des comptes spéciaux du Trésor, cette précédente acception ayant pu conduire, dans le passé, les gouvernements à jouer sur la répartition des charges de façon à avoir l'affichage souhaité en loi de finances initiale. Ce jeu est dorénavant impossible.

Reste le problème des prélèvements sur recettes et celui de la définition de l'emploi public, sujets sur lesquels, je crois, des chantiers de clarification doivent s'ouvrir.

L'ordonnance organique, de ce point de vue, est relativement floue. La Cour des Comptes a insisté à plusieurs reprises en disant que peut-être l'Etat ne connaissait pas toujours le nombre de ses fonctionnaires. Ce n'est pas tout à fait exact, mais l'Etat ne connaît pas forcément le nombre des agents publics non permanents. Il y a là une zone grise qui, au-delà de l'acception stricte d'emploi public, agent statutaire exerçant des fonctions permanentes, peut recouvrir des notions très larges. Certains ont tendance à classer dans cette catégorie les emplois-jeunes, ce qui me semble relativement contestable. Une clarification est nécessaire.

Le Gouvernement s'est engagé à stabiliser l'emploi public. Dans le tableau des emplois publics présentés à l'appui de chacune des lois de finances initiales, apparaît, en règle générale, un solde égal à zéro ou négligeable. J'appelle votre attention sur le fait que l'ensemble de ces données est retraité par les comptables nationaux qui font apparaître, depuis quelques années, une réduction de l'emploi public due au fait qu'ils prennent en compte l'ensemble des emplois d'appelés, supprimés à l'occasion de la professionnalisation des armées.

Globalement, depuis la loi de finances initiale 1998, une masse de l'ordre de 55 à 60 milliards de francs n'apparaissait pas dans les documents budgétaires initiaux et, en conséquence, n'était pas soumise formellement à l'autorisation parlementaire. Aujourd'hui, elle est soumise à cette autorisation et apparaît dans les documents initiaux, mais je crois qu'il reste encore à faire. Ces chantiers doivent être poursuivis.

Concernant l'amélioration des procédures, deuxième et dernier point de cette partie, je voudrais souligner les efforts réalisés en liaison avec la Cour des Comptes pour que les délais de reddition des comptes soient raccourcis, ce qui permettra, pour la première fois cette année, que le projet de loi de règlement soit déposé sur le bureau des Assemblées avant l'été, avant l'examen de la loi de finances de l'année n+1 qui débute à l'automne. Ceci a supposé depuis de longues années, depuis 1995, un raccourcissement substantiel de la période complémentaire. A certaines époques, dans le passé, il n'était pas possible d'avoir connaissance des données de l'exécution budgétaire avant le 15 mars. Ce délai a été ramené au 31 janvier. Il est possible, actuellement, d'avoir, c'est une communication destinée plus spécialement aux médias, dès le début du mois de février, les données de l'exécution. Le Parlement peut, en conséquence, obtenir le rapport d'exécution de la Cour des Comptes dès le mois de mai et la loi de règlement, ce sera la première fois, avant l'été. L'ensemble de cette opération de raccourcissement des délais conduit à améliorer les modes de gestion. Peut-être les efforts accomplis n'ont-ils pas été suffisamment soulignés.

Je voudrais rappeler que les délais de publication des arrêtés de reports de crédits d'une année sur l'autre ont été sensiblement raccourcis. C'était traditionnellement un instrument de la régulation budgétaire que de la retarder le plus possible, parfois jusqu'au mois d'août. Aujourd'hui, ces reports sont, dans l'ensemble, produits dans des délais plus courts, à la fin du printemps, ce qui permet d'accélérer les opérations de certification des comptes.

Voilà l'ensemble des points sur lesquels je souhaitais insister, rappeler les écarts, indiquer ce qui me semble être leur motivation, rappeler les initiatives prises pour corriger ces écarts et souligner que l'ensemble de ces changements doit permettre de jeter les bases d'une modernisation de la gestion publique. Je crois qu'elle est nécessaire, notre pays ayant pris, par rapport à beaucoup de ces partenaires un certain nombre d'années de retard. Cette modernisation me semble reposer sur trois piliers : contractualisation, pluriannualité, performance.

Ces notions ont commencé à être appliquées par certaines directions ou ministères intéressés, par exemple, le Ministère de l'Intérieur. Il faut probablement continuer cette démarche de modernisation.

M. le Président - Merci, Monsieur le Directeur, pour votre exposé très précis et intéressant pour notre commission. Je vais demander à Monsieur le Rapporteur Général s'il veut bien poser quelques questions.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Je dois dire que je ne peux m'empêcher d'exprimer une certaine incrédulité après avoir écouté Monsieur Morin avec attention, car nous avons vécu la même période, nous avons vu se dérouler sous nos yeux les mêmes faits et nous ne sommes certainement pas en mesure de porter sur eux les mêmes appréciations.

(Arrivée de Monsieur LAMBERT.)

Je voudrais préciser mon propos. Monsieur Morin nous explique que les écarts sont normaux, qu'il y en toujours eu, tant en dépenses qu'en recettes et que les 31 milliards de surcroît de marge de manoeuvre de 1999 s'expliquent fort bien, sont parfaitement normaux, en oubliant de nous dire que ce n'est pas 31, mais 31 plus 15, puisque 15 ou 16 milliards de recettes non fiscales ont été déportés sur l'exercice suivant. Cela change les ordres de grandeur mais se présente plus favorablement en en restant à 31.

Monsieur Morin nous explique tout cela en nous disant que les progrès de méthode se poursuivent et, si je force un peu le trait, j'ai tendance à entendre dans son propos quelque chose comme « passez donc, il n'y a rien à voir ». Je crois que, plus nous entendons des expressions de cette nature, plus cela doit au contraire exciter notre curiosité.

Monsieur Morin, pouvez-vous, de façon un peu plus technique, nous rappeler les jalons qui ont émaillé toute cette année 1999 ? Quels ont été les principaux documents prévisionnels portant sur le niveau des recettes fiscales dont vous avez été destinataire en tant que collaborateur du Ministre ? Pouvez-vous nous rappeler quelles réunions d'arbitrages ont eu lieu pour préciser ce niveau de recettes ?

Pouvez-nous dire, avec la force d'un témoignage recueilli devant une commission d'enquête, qu'en votre âme et conscience, vous estimez qu'au moment où le Parlement et, en particulier, la commission des finances du Sénat exprimait des doutes sur le rythme des rentrées fiscales de l'Etat, vous n'aviez, vous, conseiller du Ministre, aucun élément d'information vous conduisant à douter, je dirai simplement à douter, des chiffres qui faisaient l'objet de la communication officielle de votre Ministre au même instant ? Je voudrais que vous nous répondiez nettement sur cet aspect des choses.

Je voudrais rappeler qu'à propos des recettes fiscales de 1999 nous avons, pour notre part, exprimé des appréciations lors du débat d'orientation budgétaire au mois de juin. Nous avons ensuite exprimé des interrogations et fait valoir certaines incompatibilités arithmétiques lors de la présentation du rapport général sur le projet de loi de finances, au mois d'octobre. Puis, en décembre, dans l'analyse du collectif budgétaire, nous avons repris, avec des éléments d'information plus récents et mieux ciblés, les mêmes interrogations.

A chaque fois, il nous a été répondu, jusqu'à des coups de théâtre partiels, que ces extrapolations étaient le fruit de notre imagination et de l'insuffisance de nos moyens et qu'il ne fallait pas y faire attention. Nous avons vu s'afficher dans la presse des communiqués, un peu méprisants parfois, mettant sur le compte de je ne sais quels effets calendaires les écarts importants sur lesquels nous avions mis l'accent.

Pourriez-vous, Monsieur Morin, vous livrer devant nous à un rappel des calendriers comparés, avec les informations que vous aviez, les doutes scientifiques que vous pouviez concevoir du coté exécutif d'une part et par les questions posées par la représentation nationale d'autre part.

Enfin, toujours à ce sujet, je voudrais que vous puissiez nous expliquer comment se passe le passage d'un exercice à un autre. Y a-t-il une certaine formalisation en la matière ? Il existe toujours, pour une entreprise, et c'est également vrai pour l'Etat ou une mairie, dans toute structure dont les comptes sont à clore au 31 décembre, des décisions à prendre pour l'imputation d'éléments de recettes ou de dépenses sur l'exercice qui se clôt ou celui qui s'ouvre. S'agissant de l'Etat, y a-t-il une formalisation de ce processus ? Qui décide ? Qui affecte les marges de manoeuvre ? Sur la proposition de qui ? Sur la base de quels éléments ?

Dernier point, nous avons donc exprimé nos interrogations sur l'année 1999, à tort ou à raison, quelques-uns peuvent penser que les faits ont été plutôt de nature à accréditer ces interrogations. Pour l'année 2000, nous voyons, pour la première fois, un objectif de déficit affiché plus élevé que celui du dernier exercice connu, et nous nous demandons si les mêmes causes ne vont pas produire les mêmes effets. Je suis donc tenté de poser une dernière question à Monsieur Morin. Peut-il, compte tenu de sa connaissance des rouages et méthodes, nous assurer que nous n'allons pas voir en 2000 se créer le même phénomène de gonflement d'une marge de manoeuvre au niveau de recettes fiscales sous-estimées dans la conjoncture que nous connaissons ?



M. Denis MORIN . - Je voudrais revenir brièvement sur mon exposé. Je ne crois pas avoir cherché à délivrer devant votre commission le message selon lequel tout est parfait dans le meilleur des mondes. Je crois avoir insisté sur le fait que des chantiers sont engagés, qu'il convenait de les poursuivre, qu'un certain nombre de notions juridiques mériteraient d'être clarifiées, je les ai citées. Je ne pense pas, Monsieur le Rapporteur Général, que le résumé que vous avez fait en disant « Passez donc, il n'y a rien à voir » soit l'exact reflet de mon intervention.

Au plan strictement technique, pour tenter de répondre à vos questions, je ne dirai pas grand-chose sur les recouvrements 2000. J'ai le sentiment qu'il y a probablement des personnes mieux placées que moi pour répondre à cette question et peut-être les auditionnerez-vous dans les prochaines semaines.

Je vais revenir sur les questions que vous avez posées sur 1999. Je crois avoir expliqué dans mon propos introductif que la prévision de recettes comme la prévision de croissance était un art assez aléatoire. Pour autant que ces aléas restent dans les limites raisonnables, 1 à 2 % ne me paraît pas déraisonnable, mais c'est une appréciation subjective, il n'y a pas matière à s'inquiéter outre mesure.

Je rappelle que la plupart des pays voisins du nôtre passent directement d'un document budgétaire initial à la loi de règlement, il n'y a pas de collectif. Probablement l'harmonisation des règles en matière budgétaire se fera-t-elle assez rapidement. C'est le cas notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne. Les pays que je cite ne pratiquent pas l'exercice de révision des recettes en cours d'année, exercice difficile car le risque de faire de l'overshooting existe et le principe de prudence doit s'appliquer.

1999 a été, de ce point de vue, une année particulière puisque nous avons commencé l'année avec des prévisions économiques plutôt sombres. Je crois qu'il est connu qu'au début de l'année 1999, la plupart des instituts de conjoncture privés auxquels nous confrontons systématiquement les prévisions et Bercy voyaient au mieux une croissance de 2 %, certains en dessous de 2 % et, probablement aurait-il fallu, comme le suggérait votre rapport de l'automne 1998, réviser à la baisse les recettes, en cohérence avec ces perspectives de croissance assez sombres.

Vous avez en mémoire qu'à l'époque l'expression politique, mais je ne veux pas m'aventurer sur un terrain qui n'est pas le mien, était, selon les propos de Dominique Strauss-Kahn « un trou d'air dont nous sortirons probablement ». Nous en sommes sortis dans le courant de l'été 1999 et avec une vigueur qui a surpris l'ensemble des prévisionnistes : rythme de croissance du premier semestre : 2%, rythme de croissance du deuxième semestre : 4%. Il y a eu un effet d'accélération très puissant.

Je notais hier soir l'évolution mois après mois, puisque ces données sont fournies à la représentation nationale comme aux médias et au marché. Je voudrais citer les chiffres. Au mois de mars, les recouvrements de TVA accusaient un retard important par rapport à une loi de finances initiale qui les voyaient évoluer de 4,7 %. En mars nous avions 1,7 % d'évolution de la TVA. La TVA est un impôt déterminant dans la perception de l'ensemble des recouvrements de l'Etat. En avril, nous passons à 3,5, en mai à 2,7, juin 2,8, juillet 3,4. Jusqu'à l'été nous sommes très sensiblement en deçà de la prévision de la loi de finances et 1 % de TVA représente environ 6,5 milliards de francs.

En revanche, à partir du mois d'août (au mois d'août les documents budgétaires sont déjà imprimés, nous avons les recouvrements du mois d'août au début du mois d'octobre, peut-être avons-nous un reporting un peu long) les recouvrements passent à 4,2. Il y a une accélération permanente jusqu'au mois de décembre qui termine en fanfare avec une TVA qui aura augmenté de 4,6 % sur laquelle il est permis de s'étonner parce que la consommation des ménages, en volume a augmenté de 2, 3 % en 1999. Les prix ayant augmenté de 0,5 %, la base de la TVA aurait logiquement dû conduire à environ 2,8 à 3 %. Or nous sommes à 4,6 après prise en compte de la mesure d'allègement décidée par le Gouvernement au 15 septembre en matière de travaux dans les logements.

Il y a là un élément étonnant. Les spécialistes parlent d'un effet de structure, d'un déport de la structure de la consommation sur des produits taxés au taux normal au détriment du taux réduit, c'est possible mais rien de ceci n'a été prouvé. Ceci me rappelle qu'en 1991, lorsque nous avons observé le phénomène inverse, c'est-à-dire des rentrées de TVA très en deçà de ce que les facteurs économiques avaient pu conduire à estimer, un ministre de l'époque, Pierre Bérégovoy et son ministre délégué au Budget ont décidé de demander un rapport à l'Inspection des Finances. Ce rapport, produit après un travail très approfondi, concluait que l'on n'arrivait pas à expliquer les 10 à 15 milliards de TVA manquants en 1991, bien que l'Inspection des Finances se soit mobilisée sur ce sujet.



En matière de recouvrement des recettes, il y a, et vous avez utilisé le terme qui paraît adéquat, des doutes. Je crois qu'il y a plus de doutes encore lorsque la conjoncture économique est heurtée, ce qui est le cas de l'année 1999. J'observe simplement qu'en dépit de ces doutes, de cette conjoncture très heurtée, de ces difficultés de prévisions manifestes, et il faut faire preuve d'humilité en la matière, les écarts en exécution par rapport au collectif ou à la loi de finances initiale sont restés tout à fait du même ordre de grandeur que certaines années passées. Bien que la base des recettes ne soit pas la même, 1000 milliards en 1987 et 1500 milliards en 1999, 1999 ressemble beaucoup à 1987 qui avait aussi été une année de reprise, cette reprise n'ayant pas été correctement anticipée.

Le Ministre reçoit les informations, le questionnaire que vous m'avez adressé y fait référence, il reçoit des prévisions d'exécution périodiques. Les ministres, à travers les âges, ont pris l'habitude de recevoir de la Direction du Budget qui centralise une série d'informations en provenance des autres directions du ministère quatre prévisions d'exécution dans l'année. Ces prévisions d'exécution sont entachées d'un aléa significatif.

En début d'année 1999, les prévisions étaient plutôt, pour l'ensemble du Ministère des Finances, pessimistes. Il n'était pas évident que l'exécution pourrait être correctement tenue. Les choses se sont inversées par la suite, notamment à l'extrême fin de l'année, en particulier lorsqu'il est apparu à tous ceux qui sont chargés de faire des prévisions économiques que la réalisation serait très supérieure à 2 %, qu'elle serait de 2,7%, chiffre conforme à la loi de finances initiale. L'INSEE a même révisé cette croissance à la hausse à 2,9% il y a quelques jours. Nous pouvons effectivement avoir des doutes sur cette année 1999 : à peu près la même croissance, 2,7 %, mais plus de recettes que prévu.

Je voudrais indiquer à votre commission que le seul impôt qui ait divergé est l'impôt sur les sociétés, les autres impôts sont à peu près en ligne. Pour tous les autres impôts, l'écart entre la prévision et la réalisation, j'ai fait ce calcul, s'élève à 600 MF sur une masse de 1 300 milliards. En revanche, pour l'impôt sur les sociétés, il y a un supplément qui n'avait pas été escompté de 30,3 milliards de francs qui correspond à la totalité de ce qu'il a été convenu d'appeler dans les médias « la cagnotte ».

Nous essayons de comprendre ce qui s'est passé en 1999 pour l'impôt sur les sociétés. Il s'est passé un phénomène sur lequel nous avons été alertés tardivement dans l'année car il n'est pas possible de l'anticiper : l'apurement des reports déficitaires générés par les très mauvais exercices des entreprises en 1992 et 1993. La législation autorise les entreprises à reporter les déficits pendant cinq ans. Il est probable que la forte progression de l'impôt sur les sociétés, presque 45 milliards d'une année sur l'autre, ce qui est considérable, entre 1998 et 1999, s'explique par deux phénomènes. Une progression plus rapide que prévu des bénéfices par les services, 14 % en moyenne au lieu de 10 % prévus, c'est le premier point qui n'explique qu'une partie de cette évolution. Le deuxième point est probablement l'apurement des reports déficitaires qui a amené beaucoup d'entreprises qui n'avaient pas payé d'impôt sur les sociétés en 1998 ou les années antérieures à en payer pour la première fois en 1999.

Je peux citer cet exemple puisque nos travaux sont couverts par le secret. Le 17 décembre 1999, nous avons appris, du comptable local à Boulogne, qu'une grande entreprise publique paierait pour la première fois de l'impôt sur les sociétés pour un montant considérable, 6 milliards, alors que l'année précédente le montant de l'impôt en question avait été de zéro.

Vous m'avez demandé de préciser, en mon âme et conscience, c'est un point important, s'il y avait des doutes sur la prévision et le suivi des recouvrements 1999, je crois avoir répondu à cette question.

Pour terminer, je voudrais citer trois chiffres, pour rester sur ce terrain technique. Après le dernier ajustement des recettes opéré à l'occasion de la première lecture du collectif au Sénat (de ce fait vous pouviez poser les questions sur l'effet de base que cela impliquait sur les budgets 2000), l'évaluation des recettes totales de l'Etat pour l'exercice 1999 était de 1557,4 milliards. Je crois me souvenir que l'évaluation du Rapporteur Général du Sénat qui était, très prudemment, une fourchette (je rends hommage à la prudence que vous avez manifestée), était de 1560 pour le bas et 1575 pour le haut de la fourchette.

Troisième chiffre, la prévision d'un parlementaire de l'opposition, très féru sur les sujets budgétaires, Monsieur de Courson, qui, à partir d'extrapolation sur le rythme mensuel des recouvrements, dont j'indiquais les limites, avait évalué les recettes à 1578 milliards. La réalité a été 1565, un peu au-dessus de la fourchette basse, nous ne nous situons pas très loin de la dernière évaluation du Gouvernement, 1557. Il s'agit de 7 à 8 milliards sur une masse totale de 2000 milliards ...

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - ... plus 15 ...

M. Denis MORIN . - ... lorsque nous parlons de la « cagnotte », nous parlons du supplément par rapport à l'évaluation initiale, à législation constante.

Dernier point, le passage d'un exercice à l'autre. Je rappelais que nous faisons une révision des recettes par an. Je crois que nous ne pouvons entrer dans une logique de révision des recettes tous les mois ou alors il faudrait que les parlementaires s'habituent à voir le projet de loi de finances amendé au rythme des recouvrements mensuels qui sont très variables. Voici quelques chiffres : évolution des recettes totales de l'Etat : 8% au mois d'août, 9,4% en septembre, 8,7% en octobre, 7,6% en novembre et 7,8% en décembre. Il faudrait s'habituer à amender les documents budgétaires mois après mois, pourquoi pas semaine après semaine, en fonction des données de la « situation hebdomadaire de trésorerie », ce qui me paraît difficile. Nous faisons un exercice formel et la révision à laquelle il a été procédé à l'été 1999 va dans le bon sens. Certaines années, nous révisons à la hausse et nous avons moins de recettes en collectif, là au moins, nous allons dans le sens de l'exécution.

Tout gouvernement est confronté à une difficulté lorsqu'il cherche à rester dans la ligne de l'objectif fixé. Entre le mois de juillet, où il fait ces prévisions avec 5 à 6 mois de connaissance de l'exécution de l'année en cours et l'exécution finale, il y a une période difficile à gérer. L'habitude a donc été prise d'utiliser les recettes non fiscales de l'Etat, environ 150 milliards. Tous les gouvernements successifs et je peux fournir les éléments chiffrés qui pourraient être demandés par votre commission, ont utilisé des recettes non fiscales à la hausse lorsque les recettes fiscales ont manqué. En 1996, les recettes non fiscales ont dépassé de 23 milliards les évaluations de la loi de finances initiale et l'exécution a dépassé de 4 milliards. En 1999, il s'est produit le phénomène inverse. Le Gouvernement, avec une situation de recouvrements fiscaux favorables qui signe une très forte reprise de l'activité économique, a ajusté à la baisse les recettes non fiscales. C'est un principe de prudence. Ces recettes non fiscales n'ont pas complètement disparu puisqu'elles réapparaissent en totalité, ce qui est un choix fait à l'époque, dès le collectif de printemps 2000, pour un montant que vous évoquiez, de 15 à 16 milliards.

Certains parlementaires ici présents, qui siègent ou ont siégé au Conseil de Surveillance de la Caisse des Dépôts savent qu'il est parfois difficile d'expliquer à la Caisse des Dépôts, qui est un contributeur très généreux au budget de l'Etat, qu'il faut payer plus. Cela est arrivé dans le passé, parfois à des niveaux supérieurs à 20 milliards, dont certains techniciens prétendaient qu'ils menaçaient les équilibres d'un certain nombre de fonds de réserve. En 1999, nous n'avons prévu que 10 milliards sur la Caisse des Dépôts, le prélèvement sera un peu supérieur en 2000.

En 1999, le total des recettes de l'Etat, recettes fiscales, recettes non fiscales, prélèvements sur recettes (j'exclus les fonds de concours qui n'ont pas à être comptés, ni en recette, ni en dépense) est égal à 1449 milliards, strictement égal à l'évaluation faite à l'occasion du collectif. Nous avons une égalité des recettes entre le collectif et l'exécution.

En revanche, il s'est produit une sous-consommation importante des dépenses, de l'ordre de 20 milliards, jointe à une amélioration du compte d'avance aux collectivités locales car des recouvrements fiscaux locaux ont été très dynamiques en octobre, novembre et décembre. Tout ceci a fait que le total des charges de l'Etat s'est trouvé, en exécution, inférieur de 20 milliards au niveau du collectif, ce qui explique le passage de déficit de 226 à 206.

M. le Président . - Merci, Monsieur le Directeur. Je voudrais prolonger votre réponse par une question. Même s'il n'est pas possible d'imaginer, tout au long du débat budgétaire, une modification des prévisions toutes les semaines, il y a quand même un lourd malentendu. D'un côté le Parlement émet des doutes et de l'autre, le Gouvernement réaffirme ses certitudes, chacun affirmant avec la même gravité ce qui l'habite, les doutes pour la représentation nationale, les certitudes pour l'exécutif.

Je me demande pourquoi les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, veulent maintenir six mois après les prévisions qu'ils ont pu arrêter ou arbitrer six auparavant. Je vais prendre un exemple pratique.

Pensez-vous qu'une forme de fétichisme amène les cabinets à recommander au ministre d'arriver, au terme de la discussion budgétaire, à un déficit budgétaire identique, à quelques francs près, de celui annoncé à la presse en septembre ? Si vous me dites que c'est bon pour l'image d'un Etat, je considérerais la réponse comme valable. Je constate cette année 67 millions de francs de différence entre le déficit budgétaire annoncé à la presse en septembre et celui que le Parlement a fini par voter. Je veux bien croire que nous sommes à un niveau de précision considérable, mais tout de même, n'est-ce pas une forme de fétichisme ?



Deuxièmement, le cabinet peut-il être amené, pour des raisons politiques (je crois que la politique est très noble, c'est pour cela que les exécutifs et le législatif ont été inventés) à recommander au Gouvernement de ne pas diffuser d'informations qui conduiraient à constater trop tôt une exécution divergente de la loi de finances initiale ou à démontrer trop tôt le caractère obsolète des chiffres sur lesquels se discute la loi de finances de l'année suivante ? La raison d'Etat peut-elle amener à retarder la diffusion au Parlement d'un certain nombre d'informations ?

Troisième observation : dans l'affaire dite « de la cagnotte » notre commission ne met pas en cause l'écart entre prévision et exécution, rien n'étant plus aléatoire que la prévision, mais souhaite connaître les motifs qui conduisent le Gouvernement à différer le moment où il admet l'importance des surplus fiscaux, ce qui l'enferme dans un calendrier qui l'amène à la révéler au plus mauvais moment pour lui. Cela reste un mystère pour moi, n'eût-il pas fallu l'admettre plutôt ?

Ma dernière question a trait à l'articulation entre le projet de loi de finances et le programme de stabilité que vous êtes obligés de boucler fin décembre, quasiment en même temps que le projet de loi de finances initiale alors qu'il existe des discordances. J'imagine que le calendrier est très contraignant, mais avez-vous quelque idée sur la manière de résoudre ce problème de calendrier ?

M. Denis MORIN . - Depuis l'époque d'une demande de l'Allemagne, l'habitude a été prise de présenter la programmation pluriannuelle dans le courant du mois de janvier. Il y a donc nécessairement une divergence entre la première année de cette programmation, qui ne peut pas prendre en compte les données d'exécution budgétaire, close, en France au tout début du mois de février et qui figure dans le document. Cette divergence est irréconciliable. Elle existe dans d'autres pays, le problème de calendrier se pose en Allemagne et chez certains autres de nos partenaires. Ce problème pourrait être réglé en faisant une transmission un peu plus précoce, dans le courant du mois de décembre, d'un document provisoire qui pourrait ensuite, au début du mois de février, être réajusté pour tenir compte des données d'exécution budgétaire de la dernière année.

Je crois que c'est ainsi que les Allemands entendent procéder à partir de l'année prochaine et c'est la suggestion que nous pourrions retenir pour la France également.

Vous avez évoqué cette affaire de la cagnotte. Un élément nouveau est survenu par rapport à ce qui existait il y a quelques années. A la suite d'une décision prise par Nicolas Sarkozy, à l'époque Ministre du Budget, et mise en oeuvre par le premier Gouvernement de Monsieur Juppé, à l'automne 1995, le Gouvernement publie des situations mensuelles budgétaires. Cela donne l'exacte situation de la consommation, des dépenses et de l'ensemble des recouvrements fiscaux. Les situations sont très divergentes d'un mois sur l'autre. Ce document, gage d'une transparence totale, n'existait pas dans les années 90 à 92 où, d'un document d'une loi de finances initiale à l'autre, d'une loi de finances initiale à l'exécution, des écarts très considérables ont pu apparaître entre les recettes initiales et les recettes finales, notamment en 1993. Aujourd'hui, nous vivons sous la contrainte de la transparence mensuelle absolue.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Vous recevez ces états assortis de commentaires.

M. Denis MORIN . - Quelques explications sont transcrites dans le document publié mais l'importance des effets calendaires est un élément très difficile à apprécier. Pour l'impôt sur le revenu, par exemple, comparer l'année 1999 et l'année 1998 est naturel, mais en 1998, le calendrier de traitement des émissions d'impôts sur le revenu par la Direction Générale des Impôts a été retardé parce que le début de l'année, de janvier à février, a été très perturbé par les grèves dans les centres informatiques, donc la campagne a été décalée sur la fin de l'année. En revanche, en 1999, la Direction Générale des Impôts a travaillé de façon très efficace, il n'y a pas eu de grève et la campagne d'impôt sur le revenu a été anticipée.

Les recouvrements mensuels, y compris ceux du 15 septembre, peuvent donner le sentiment que l'impôt sur le revenu est explosif alors que ce n'est qu'un élément d'ordre calendaire.

Un deuxième élément d'ordre calendaire va jouer pour 1999, la simplification, sous une forme qui n'a pas été forcément bien comprise, du mode de recouvrement du droit de bail, jusqu'à maintenant perçu selon un calendrier particulier, avec des déclarations spécifiques très complexes (depuis, d'ailleurs, cet impôt a été opportunément supprimé). La perception de cet impôt à l'occasion de l'impôt sur le revenu fait que le montant total de cette contribution, qui représentait 7 milliards pour les ménages et au total, 11 milliards, avec les personnes morales, a été recouvré par l'Etat le 15 septembre alors qu'en 1998 il a été recouvré en octobre.

La production de documents mensuels est évidemment un élément de transparence mais probablement le document tel qu'il est aujourd'hui mériterait-il d'être encore clarifié et nourri de plus d'informations pour que les commentaires faits à partir de ces informations un peu brutes soit plus pondérés. Ceci éviterait que les médias fassent des évaluations des plus-values très fantaisistes ou, en tout cas, moins pertinentes que celles qui ont pu être faites par la commission des finances du Sénat pour 1999 à une certaine époque.

Existe-t-il des documents à vocation publique qui ne soient pas diffusés ? Je n'en vois pas.

Certains documents internes sont destinés à l'information du Ministre, voire du Gouvernement. Ces documents n'ont pas vocation à être sortis des services ni du cabinet. Il appartient au Ministre de traiter cette information lorsqu'il en est saisi. Il est souhaitable qu'il le soit le plus systématiquement possible. A Bercy, en règle générale, il appartient au Ministre de traiter les informations, c'est dans son rôle et je ne crois pas qu'il y ait d'informations ayant vocation a être rendues publiques qui soit systématiquement cachées ou ne sortent pas. Les éléments de l'appréciation de notre situation budgétaire qui ont vocation à être publiés répondent à des contraintes déontologiques assez fortes puisque nous devons faire connaître, à l'avance, les dates de publication de ces documents, de façon très précise, et nous y tenir.

Je ne sais pas pourquoi il a été arrêté le 6 du mois M+2 pour sortir la situation mensuelle de M, mais c'est ainsi et Bercy sort un calendrier prévisionnel en tout début d'année à destination des personnes qui ont vocation à utiliser ces informations à des fins professionnelles. Bercy publie ces éléments indicatifs et nous nous y tenons de façon très scrupuleuse.

Vous m'avez posé une question sur le fétichisme qui animerait les gouvernements. Cela n'a pas toujours été le cas en matière de déficit annoncé et de déficit après l'examen du budget par le Parlement. Je crois qu'il existe une sorte tradition qui n'a subi que quelques très rares amodiations, qui veut que le Parlement ajuste la loi de finances, déplace, dans les limites de la Constitution, telle dépense ou telle recette. Pour ce qui est des dépenses, qu'il s'agisse des dépenses explicitement demandées par la majorité du Gouvernement ou ce qu'il est convenu d'appeler les demandes de la commission des finances, c'est le Gouvernement qui dépose les amendements.

Tout ceci déplace des sommes non négligeables. Chaque année, la discussion budgétaire ajuste ou déplace 5 ou 6 milliards. La tradition s'est instaurée de considérer que l'ensemble de ces ajustements devait se faire à solde nul. A titre personnel, je n'y vois pas du fétichisme mais plutôt une sorte de règle de bonne gestion qui associe le Parlement et l'exécutif, cela ne me paraît pas, en soi, contestable.

M. le Président . - Je vous remercie de toutes ces réponses et de votre disponibilité.



La séance est levée à 11 heures 13.

Séance du 3 mai 2000

La séance est reprise à 11 h 15 sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de Monsieur Jean-Jacques FRANÇOIS,
Trésorier Payeur Général.



M. le Président . - Notre séance est reprise. Je rappelle que notre commission siège avec les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. L'ordre du jour appelle l'audition de Monsieur Jean-Jacques FRANÇOIS, Agent Comptable Central du Trésor.

Monsieur FRANÇOIS, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre commission des finances.

J'ai à vous rappeler, conformément aux textes qui nous régissent, quelques informations. La première qui est l'objet même de notre mission, est de nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration puis dans l'exécution des lois de finances, ensuite que notre méthode est pluraliste puisque nous avons désigné des rapporteurs représentant tous les groupes parlementaires siégeant au Sénat.

J'en viens immédiatement aux solennités requises pour rappeler à mes collègues, comme à vous-même, que le secret doit être conservé sur nos travaux puisqu'il s'agit de travaux non publics, que j'ai obligation de vous rappeler qu'en cas de faux témoignage, la personnalité auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du Code pénal.

Je dois vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire « je le jure ».

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - Je le jure.

M. le Président . - Je vais vous donner la parole pour un propos introductif et vous demander de bien vouloir répondre ensuite aux questions du Rapporteur Général et de la commission.

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - Monsieur le Président, merci pour votre accueil. J'aurais souhaité, avec votre accord, vous présenter les attributions de l'Agence Comptable Centrale du Trésor concernant la préparation et l'exécution des lois de finances.

Les missions de l'Agence.

Elles sont de deux ordres : les missions traditionnelles et les missions nouvelles. Nous avons quatre missions traditionnelles. L'agence a été créée il y a 25 ans, en 1974 et, depuis 1996, des missions complémentaires ont élargi le champ d'action de cet organisme. Les missions traditionnelles sont de quatre types.

1/ Premièrement, participer à l'exécution directe des opérations budgétaire et financière de l'Etat, concernant le budget général, les comptes spéciaux du Trésor et la dette publique. L'ordre de grandeur est 800 milliards de francs, dont 640 milliards pour le budget général. Un tiers du budget de l'Etat transite par les caisses de l'A.C.C.T. en tant que comptable direct.

Deuxièmement, l'Agence Comptable est opérateur pour la gestion de la trésorerie de l'Etat. Mes collaborateurs tiennent le compte du Trésor à la Banque de France et assurent les liaisons avec la place financière et notamment la Caisse des Dépôts et Consignations, la Banque de France et les établissements financiers.

Troisièmement, l'A.C.C.T. est la plaque tournante des flux européens, en descente et en remontée et, à ce titre, depuis quelques années, j'ai été le premier comptable habilité à tenir des comptes en écus. Depuis le 4 janvier 1999, la moitié de nos attributions est passée en Euros.

Dernier point, l'A.C.C.T. prépare les comptes de l'Etat. Elle ne les tient pas, elle les prépare. Ce sont le compte général de l'administration des finances, le compte de la dette publique et le projet de loi de règlement.

Voilà nos missions traditionnelles qui donnent à l'Agence un rôle important dans l'exécution de la loi de finance et des comptes spéciaux du Trésor.

2/ Depuis 1996, les directions de Bercy nous ont fait confiance et nous ont confié des attributions complémentaires qui sont les suivantes.

En 1996, quatre agences comptables nous ont été confiées, dont deux très importantes, la CADES, Caisse d'Amortissement de la dette Sociale et j'ai été nommé Agent Comptable des établissements de défaisance E.P.F.R./E.P.R.D. Il a fallu organiser de toute pièce des agences comptables et mettre en oeuvre des principes comptables qui n'existaient pas puisque la CADES est un établissement financier et l'E.P.F.R. un organisme de défaisance qui n'avait pas de précédent.

La Direction du Budget m'a confié la gestion des fonds de concours en tant qu'opérateur et la gestion des reports de crédit pour les opérations d'investissements, ce qui a permis aux services des finances de gagner du temps et de la sécurité dans le traitement de ces opérations.

La direction de la C.P. nous a confié la gestion du recrutement et de la section du S.I.G.R.H. 1( * ) du Trésor Public.

3/ En outre, l'A.C.C.T. va devenir le site unique de la comptabilité générale de l'Etat. A terme, tout sera regroupé à Paris sur les moyens informatique de l'A.C.C.T.

Enfin, la Direction du Budget m'a demandé d'être site d'exploitation du projet ACCORD, projet de tenue de comptabilités de la défense au niveau central qui nécessite un opérateur de mon niveau. Il a été fait appel au centre informatique de l'A.C.C.T. Voilà les attributions qui sont les nôtres.

Notre ressource est d'environ 200 personnes, une équipe réduite qui associe sous des statuts différents, répartie pour une moitié de personnels administratifs et comptables, et pour l'autre moitié, d'informaticiens. La ressource humaine est ce qu'il y a de plus important puisqu'elle garantit l'expertise et le savoir faire de l'Agence.

La ressource technique a un rôle non négligeable. Nous nous appuyons sur un centre de calcul puissant avec un matériel BULL relié à l'informatique de la Banque de France et de la Caisse des Dépôts, ainsi qu'aux 22 départements informatiques, répartis sur le territoire : les centres informatiques du Trésor Public. Depuis quelques jours, je dispose également d'un ordinateur géré sous UNIX qui permettra de gérer les opérations du projet ACCORD.

Quels sont nos partenaires et nos clients ? Pour qui travaille l'A.C.C.T. ?

C'est un point très essentiel. Nous pouvons qualifier les organismes pour lesquels nous travaillons de puissants, exigeants et changeants. C'est ainsi que nous comprenons notre environnement. Qui sont ces interlocuteurs ?

La Direction de la Comptabilité Publique est mon patron direct, c'est elle qui me donne les instructions en matière de traitement comptable, de normes, de reporting, de management.

L'Agence travaille aussi pour toutes les directions de Bercy, spécialement pour la Direction du Budget, la Direction du Trésor, la D.R.E.E., la Direction du Personnel et de l'Administration qui est l'ordonnateur en titre des charges communes et pour tous les ministères. Un tiers du budget de l'Etat transite par nos caisses et cela nous met en relation avec les ministères, mais je suis, principalement, le comptable dédié du Ministère des Finances pour les interventions économiques et sociales de l'Etat.

Nous sommes en liaison continue, notamment de nuit, avec le réseau du Trésor Public, concrètement, cent Trésoreries Générales et ses départements informatiques, ce qui nous donne un système de remontée des informations très performant (centralisations quotidiennes).

Nous sommes en liaison avec l'Europe notamment la D.G.19. qui tient la comptabilité de l'U.E., et nous entretenons avec elle des relations très étroites et assez confiantes. Nous avons notamment été remerciés par Monsieur MINGASSON (DG 19) pour notre performance en matière de tenue des comptes en Euro.

Nous sommes en liaison avec les corps de contrôle, l'Inspection Générale des Finances, pour laquelle nous réalisons des études spécifiques et la Cour des Comptes que nous alimentons en permanence (reporting et comptes annuels).

Les liaisons entre l'A.C.C.T. et la Cour des Comptes se sont beaucoup resserrées et le Président de la Première Chambre s'est félicité, à plusieurs reprises, que nous travaillions avec ses équipes pour accélérer la production des comptes de l'Etat.

Depuis cette année l'A.C.C.T. travaille avec le Parlement, c'est un grand honneur. Nous avons reçu, en février, la visite du Rapporteur Général du Budget à l'Assemblée Nationale, qui est venu voir sur pièce comment nous avons travaillé et, aujourd'hui, Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil.

Pour faire face à cet environnement de haut niveau, qui n'est pas facile, nous essayons -c'est une démarche collective- de faire preuve d'un certain nombre de qualités. La première est l'expertise. Mes 200 collaborateurs sont les meilleurs spécialistes nationaux des problèmes que nous traitons. Nous sommes des spécialistes en matière de dette publique, de comptes spéciaux du Trésor et de flux financiers. Nous essayons de faire preuve, autant que possible, de réactivité. Nous avons, par exemple, répondu à votre questionnaire en trois jours. Enfin, nous avons intégré, au titre des comptes 1999, les importantes modifications demandées par la D.G.C.P.

Enfin, il est sûr que les faits nous rappellent en permanence -si c'était nécessaire- à la réalité et à ses contraintes, bref à la modestie.



Le service rendu.

Récemment, j'ai fait des offres de service, à sa demande, à la Direction de la Sécurité Sociale, qui pense créer un dispositif de consolidations des comptes sociaux qui n'existe pas actuellement et a pensé s'appuyer sur le savoir-faire de l'A.C.C.T. De même, le Ministère de la Culture fera peut-être appel à nous pour consolider les comptes des Etablissements Publics qui gèrent l'essentiel de sa ressource du budget de la Culture.

L'A.C.C.T. est une force de proposition. Deux ministres m'avaient confié ce projet important qu'était la mission comptabilité patrimoniale et nous faisons également partie d'une série de groupes de travail qui, à Bercy, travaillent sur l'Euro, le schéma directeur, l'informatique, la communication, les normes comptables, la gestion publique, etc...

L'A.C.C.T., sous le contrôle étroit de Bercy, considère qu'elle a une marge de manoeuvre importante que nous avons valorisée. Lorsque j'ai pris mes fonctions, les comptes de l'Etat sortaient le 14 juillet et, cette année nous avons envoyé les documents préparatoires à la D.G.C.P. le 31 mars, ce qui représente un gain important.

Nous essayons d'appliquer le principe de responsabilité par une gestion très déconcentrée et nous prenons position lorsque c'est nécessaire. C'est le principe de la transparence. Cette évolution est relativement récente. A ma prise de fonctions, le Président de la Première Chambre m'avait dit que l'A.C.C.T. était une boîte noire et, récemment le Rapporteur Général du Budget l'a considérée comme une maison de verre 2( * ) .

Nous avons bien conscience que nous travaillons sur des sujets qui ne sont pas évidents avec des interlocuteurs de très haut niveau et nous avons la conscience de la complexité des processus publics. Je suis frappé par la difficulté des sujets que nous avons à traiter qui nous rappellent à l'ordre en permanence.

Je puis vous dire quelques mots sur les orientations prévues pour la période qui s'annonce.

Nous avons constaté que l'A.C.C.T. constitue un atout pour le Trésor Public et Bercy, par le fait que nous concentrons beaucoup d'opérations financières traçables. Elles sont lisibles, facilement identifiables par les corps de contrôle et par le Parlement chargé de contrôler l'Administration. Notre préoccupation est de répondre aux attentes de nos tuteurs et de nos partenaires.

Pour être certains de bien répondre à ces attentes, nous avons entrepris, en 1999, une réflexion stratégique, pensant que pour évoluer de façon substantielle, il fallait travailler sur 3 à 5 ans. Nous avons travaillé sur la période 2000-2004 et les conclusions auxquelles nous arrivons correspondent assez bien à certaines demandes exprimées aujourd'hui.



Première idée, nous sommes partis de l'attente formulée ou supposée de nos « clients ». Nous avons d'abord supposé que Bercy allait demander, dans les trois ou quatre années à venir, des chiffres plus pertinents que par le passé. Les corps de contrôle vont vouloir plus d'auditabilité. Nous devons nous préparer à cette exigence qui n'est pas toujours formalisée mais que nous sentons venir.

Nous avons compris que l'Assemblée Nationale et le Sénat souhaitaient plus de lisibilité dans les comptes de l'Etat. Si le Parlement a d'autres souhaits, nous les prendrons en compte sous le contrôle de Bercy.

Nous avons considéré que l'opinion publique appelait plus de transparence. « Où va l'argent public ? » est un thème qui revient en permanence.

Enfin, la dimension internationale doit être prise en compte, notamment dans le cadre européen. A l'avenir, il sera demandé à l'Etat de donner des chiffres comparables. La comparabilité des chiffres produits par l'Etat est une dimension qui va s'imposer à nous sans que nous puissions y échapper.

Voilà pour les attentes de nos partenaires et tuteurs.

Seconde idée : les cibles. Nous avons trois cibles : une comptabilité décisionnelle, l'expression n'est pas très jolie, mais, je pense, plus juste que comptabilité soit d'entreprise, soit privée ou patrimoniale qui sont des concepts que beaucoup de personnes ne comprennent pas bien. Il semble en fait, que l'Etat doive disposer d'une comptabilité qui l'aide à prendre ses décisions et c'est pourquoi je l'appellerai « comptabilité décisionnelle ».

Il faut développer le reporting qui est la comptabilité utile et à la demande. Pour quoi faire ? Pour deux raisons. La première est le pilotage. Plus le temps passe, plus le pilotage, l'exécution budgétaire aura d'importance, il faut donc que l'A.C.C.T. soit à même de fournir un reporting de qualité. La seconde est la communication, encore balbutiante. Actuellement, la communication se fait sur les projets de lois de finances, tradition franco-française, mais si nous regardons ce qui s'est passé dans le secteur privé, nous voyons que la communication se fera également sur la comptabilité.

Dernier point : garantir la qualité de nos informations comptables et financières. Les interlocuteurs puissants que vous êtes, demanderont au comptable de garantir, de certifier ses chiffres.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons sept chantiers que j'évoque rapidement :

. le chantier ACCORD,

. devenir site national de comptabilité ,

. en 2002, basculement à l'Euro,

. développer le reporting à la demande des directions de Bercy,

. la consolidation. La demande n'a pas encore été formulée de façon expresse, mais nous sentons venir deux besoins capitaux de consolidations : les compte sociaux et les établissements publics.

. des comptes enrichis. Les comptes de 1999 vous permettront de constater que des avances significatives ont été accomplies en termes à la fois de lisibilité des informations et de contenu. Cet effort sera poursuivi pendant quatre ou cinq ans.

. l'auditabilité des comptes, concept proposé par mon Directeur Général. Les comptes de l'Etat doivent être mis en condition pour être audités. Nous devons être prêts à faire face à cette échéance.

Pour atteindre cet objectif, je m'efforce avec mes collaborateurs directs, de mobiliser toutes les ressources, humaines et techniques, notamment en travaillant sur l'architecture trois tiers. A partir de ce projet stratégique, envoyé à la C.P. Nous envisageons de changer le nom de l'A.C.C.T. pour tenir compte de ses nouvelles attributions, c'est en discussion. Nous essayons de décliner ces orientations pluriannuelles chaque année dans un programme précis et, à partir de l'an 2000, j'ai esquissé une première contractualisation avec certains interlocuteurs de Bercy (objectifs, moyens, responsables, résultats).

L'A.C.C.T. gère un tableau de bord trimestriel, considéré comme une « référence » dans le « monde administratif ». Avec mes collaborateurs, nous intervenons régulièrement (au C.P.C.S., à l'E.N.A.) pour indiquer à nos collègues des différentes directions comment, dans une administration régalienne, construire des tableaux de bord intelligibles et utiles.

Dernier point, notre souci permanent est d'optimiser les moyens. Parmi les 200 collaborateurs de l'Agence, 50 % sont de catégorie C, c'est un peu juste en capacité d'analyse et d'adaptation aux nouveaux métiers (produits dérivés, risques, I.R.P.). J'ai proposé à mon directeur de renforcer le haut de la pyramide des équipes de l'A.C.C.T. Pour l'instant, nous sommes en permanence mobilisés sur quelques grands principes :

. une équipe de direction de 4 personnes : 2 hommes, 2 femmes,

. une très forte délégation, les opérations sensibles sont traitées en collectif et déconcentré,

. beaucoup de formation : six jours et demi par agent en 99,

. essayer de gérer non des effectifs mais des profils, des potentiels, des qualifications,

. enfin, une organisation aussi réactive et décloisonnée que possible.

Pour terminer, je voudrais vous indiquer les sujets concrets sur lesquels nous essayons d'avancer en liaison avec les bureaux de l'Administration centrale. L'A.C.C.T. est en permanence conduite à aller chercher des accords à Bercy, ce qui est naturel puisqu'elle est force de proposition, et que le M.E.F.I. doit intégrer d'autres préoccupations plus larges.

Sur quels sujets travaillons-nous ?

1/ Cette année les comptes de l'Etat ont été mis sur CD-ROM, le C.G.A.F. sera mis sur l'intranet « Magellan », l'an prochain notre intention est de mettre les situations de dépense sur ce support.

2/ L'administration française est en difficulté avec l'Europe sur les fonds européens, gérés de façon opaque et lourde. Nous allons donc tenir le tableau de bord des fonds européens au niveau central à la demande des différents ministères.

3/ La consolidation, concept d'avenir : argumentation à organiser.

4/ L'auditabilité : création d'une mission « qualité comptable à l'Agence ».

5/ La gestion prévisionnelle de la R.H : étude en cours.

6/ La valorisation du projet ACCORD pour les comptables et le S.I. de l'Etat.

7/ Comité des normes comptables, né en 98, et qui est réactivé en 2000.

M. le Président . - Je donne la parole à Monsieur le Rapporteur Général.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général - Je voudrais, en un mot, saluer la prestation de Monsieur Jean-Jacques François qui nous montre que l'A.C.C.T. a déjà fait un chemin considérable et qu'elle est loin des clichés que certains d'entre nous pouvaient garder en mémoire. Au cours des années récentes, cet outil s'est adapté et vous nous avez expliqué vos principaux chantiers en cours.

Je voudrais reprendre deux points importants dans le questionnaire écrit auquel vous venez de répondre. En matière d'exécution de la loi de finances, pouvez-vous nous rappeler quels sont les documents que vous êtes amenés à adresser au Ministre ? Quelle est la périodicité des notes ? Quel est, très synthétiquement, le contenu de ces notes s'agissant d'informer le Ministre de l'évolution du budget de l'Etat en cours d'exécution ?

Sur ce même thème, et en appliquant, pour concrétiser les choses, la question à l'année 1999, vous arrive-t-il de recevoir, avez-vous reçu, des instructions visant à influer sur le rythme d'exécution des dépenses ou d'encaissement des recettes ? Si vous recevez de telles instructions, êtes-vous en mesure, techniquement, de les appliquer et dans quelles proportions ?

S'agissant des écritures de fin d'exercice qui ont fait l'objet d'investigations pour 1999, Monsieur le Directeur, votre agence qui est en charge pour une large part de ces écritures de fin d'exercice reçoit-elle des instructions à ce sujet ? Selon quel formalisme ? Avez-vous l'opportunité d'émettre vos propres opinions sur ces écritures de fin d'exercice ? En d'autres termes et pour reprendre votre expression de « comptabilité décisionnelle », l'A.C.C.T. est-elle un service interactif pour le Ministre et son cabinet dans le choix souvent difficile de l'affectation des marges de manoeuvre en fin d'année ?



M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - Concernant les informations transmises à Bercy, il n'y a pas de notes concernant l'exécution du budget. En revanche, il y a des transmissions d'informations comptables. Elles se font sur un rythme quotidien pour la dépense, sur un rythme hebdomadaire concernant la comptabilité, ce qui permet d'alimenter la situation hebdomadaire de trésorerie. Elles se font sur un rythme trimestriel concernant la situation résumée des opérations de trésorerie. La plus grosse transmission concerne la production des comptes de fin d'exercice qui nous mobilise entre le 1 er janvier et le 31 mars. Les informations transmises à Bercy sont de nature comptable.

Techniquement, ce sont des fichiers, envoyés soit par voie filaire, soit par disquette, au bureau 5A de la Direction Générale de la Comptabilité Publique ou aux autres directions. Nous alimentons, par exemple, le suivi de la dépense, transmis à la Direction du Budget, les suivis concernant la gestion de la trésorerie à la Direction du Trésor. Ce sont des transmissions de fichiers, il n'y a pas de notes concernant l'exécution budgétaire.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Il n'y a pas de commentaires ?

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - Non, il n'y a pas de commentaires. Les questions que vous avez posées m'ont d'ailleurs permis de réfléchir à notre positionnement, les textes ne prévoient pas que l'A.C.C.T. tienne les comptes de l'Etat. Les comptes de l'Etat sont rendus par le ministre et tenus par la Direction de la Comptabilité Publique, l'A.C.C.T. n'est qu'un opérateur. A la fin de l'année, nous avons deux types d'intervention sur les opérations inscrites : en tant que comptables directs et en tant que comptables centralisateurs. Le rôle de comptable centralisateur est « automatique », les opérations gérées par mes collègues départementaux étant consolidées au niveau central après les contrôles d'exhaustivité et de cohérence.

Nous constatons les opérations et notre rôle de contrôle, en liaison avec le bureau 5A de la C.P., est de vérifier que les balances sont exactes et d'établir les comptes de gestion. C'est un rôle de vérification et de mise en forme sans aucune interférence dans le contenu des opérations ni dans leur rythme, défini par les instructions de la C.P.

En revanche, l'originalité de cet A.C.C.T. est d'être comptable direct des opérations de dépenses. S'appliquent les règles de la comptabilité publique, avec un gestionnaire, un ordonnateur, un contrôleur financier et un comptable. Le comptable reçoit les dossiers, vérifie la compatibilité de l'ordonnance ou du mandat par rapport au décret de 1962 et, si l'opération est considérée comme valable, l'inscrit en comptabilité lorsque les éléments lui sont donnés. Il s'agit d'un rôle en bout de chaîne qui consiste à prendre en compte les opérations envoyées par Bercy.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Monsieur François nous parle des instructions de la C.P. Recevez-vous, effectivement, des instructions s'agissant notamment du principe de comptabilisation de fin d'année ?

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - Les instructions sont écrites, c'est le calendrier de rendu des opérations de fin d'exercice. Cette année, les comptables normaux arrêtent les opérations le 14 janvier, la Paierie Générale le 28 janvier et l'A.C.C.T. le 31 janvier.

Nous appliquons le décret de 1986, modifié en 1996, selon une mécanique que vous connaissez, pour les recettes jusqu'au 31 décembre, pour les dépenses par ordonnance jusqu'au 10 janvier et, ensuite, la marge de manoeuvre qui existe, que la Cour souligne depuis une bonne vingtaine d'années, ce sont les opérations réciproques.

C'est la raison pour laquelle le décret de 1986 a été rédigé. J'en ai été l'un des modestes rédacteurs à l'époque, avec Daniel Bouton, au Budget et Jean Dupont, mon prédécesseur à l'A.C.C.T. Dans une période antérieure, nous appliquions un décret de 56 peu explicite, nous avons donc proposé au Conseil d'Etat un décret qui établit de façon plus claire comment doivent être traitées les opérations de fin d'exercice. Il n'y a pas d'instructions sur la façon de comptabiliser les opérations. Ma marge de manoeuvre dans la comptabilisation est faible puisque je traite les dossiers qui me sont envoyés.

Pour que votre information soit complète, il est vrai que la tradition fait que l'A.C.C.T. se mobilise à la fin de la période complémentaire. Cette période a été de quinze jours, elle est maintenant d'une journée. Le 31 janvier dernier, un lundi, toutes mes équipes se sont naturellement mobilisées. A minuit, nous arrêtons la pendule et toutes les opérations présentées sont comptabilisées, notamment les opérations de garantie citées par Monsieur le Rapporteur Général. Le lendemain les livres sont ouverts à la Cour des Comptes. La tradition veut que le lendemain, à l'arrivée des membres de la Cour des Comptes, tout soit ouvert. Nous assurons ainsi la traçabilité totale des opérations.

Nous n'émettons pas d'opinion sur les écritures de fin d'exercice. C'est un point peut-être sur lequel nous pourrons peut-être évoluer. Il faut évoluer par étapes, même si l'A.C.C.T. n'est pas chargée de tenir les comptes de l'Etat, l'agent comptable peut avoir une opinion sur certaines opérations. Cela reviendrait à manifester cette opinion de façon formelle concernant les opérations traitées par l'Agence, comme elle le fait pour les E.P.A. dont elle est comptable.

Concernant l'Etat c'est plus complexe, il y a plus d'intervenants et jusqu'à présent, je ne formule pas d'opinion. Je pourrais commencer à formuler des opinions sur deux sujets : l'application du décret de 1986 modifié 1996 est-elle adéquate ? et quid de la permanence des méthodes ? Il s'agissait d'une simple expertise.

Depuis trois ans, nous travaillons sur la réduction des soldes des comptes d'imputation provisoires. En trois ans, nous sommes passés de 3 milliards d'imputation provisoire à 1,2 milliards, j'espère arriver à les réduire encore. Nous progresserons par étapes et peut-être qu'à l'avenir, si notre Ministre nous le demande, l'A.C.C.T. aura une valeur ajoutée complémentaire dans le suivi des C.I.P. centralisés.

Le côté interactif avec le cabinet du Ministre a existé, mais pas sur les sujets opérationnels. Nous avons un rôle d'exécution encadré par les textes, donc nous n'avons pas d'états d'âme. En revanche, l'interactivité a été très importante à la grande époque de la Mission comptabilité patrimoniale. Elle a été mandatée par deux ministres successifs et j'ai fait des propositions relativement bien accueillies, bien comprises, qui commencent à être mises en oeuvre.

M. le Président . - Je souhaiterais vous demander si vous avez le sentiment, depuis la place qui est la vôtre, que l'ampleur des opérations de fin de gestion a évolué ou évolue un peu en fonction de la conjoncture. La question que je me pose est de savoir si certaines opérations pourraient, de votre point de vue, figurer en loi de finances rectificative plutôt qu'en loi de règlement, ce qui aurait l'immense mérite de rester dans un temps démocratique, plus respectueux de la représentation nationale.

Je voulais savoir également si, de votre point de vue, dans la fonction d'exécution qui est la vôtre, le fait de ne pas comptabiliser des recettes non fiscales votées par le Parlement pose, ou non, problème. Vous nous avez rappelé que la période complémentaire a été réduite au cours du temps. Sommes-nous au bout des possibilités en la matière ou pensez-vous que nous puissions encore faire des progrès en matière d'effort de réduction de durée ? Y aurait-il avantage ou non à codifier, sous l'angle code de bonne conduite, l'utilisation de la période complémentaire ? J'aimerais connaître votre sentiment sur le sujet.

S'agissant de la situation hebdomadaire de trésorerie, quels sont les facteurs qui, selon vous, peuvent affecter la régularité de cette situation et élaborez-vous des prévisions à partir de ces situations ?

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - La loi de finances et les opérations de fin d'exercice sont deux choses très différentes. La première consiste à faire une prévision et une autorisation alors que les comptes de l'Etat ont pour rôle premier de rendre compte de façon exacte et fiable de l'exécution de cette autorisation. Je n'ai jamais entendu de critique sur ce point. C'est notre point fort, nous sommes capables de rendre compte au centime près de l'exécution, chapitre par chapitre. S'il y a débat, c'est sur les principes comptables.

Les opérations dites réciproques, objets de débats, sont les opérations existant entre l'Etat et sa périphérie publique, les organismes en liaison financière avec l'Etat. Le décret de 1986 a prévu une certaine marge de manoeuvre, pour deux raisons. La première est que ces opérations à caractère financier ont une dimension d'opportunité très importante et la deuxième est qu'il s'agit de la seule marge de manoeuvre dont disposent les autorités chargées de piloter. Est-ce choquant ?

J'ai assisté, il y a déjà 15 ans, à la Première Chambre, à des discussions au cours desquelles le Rapporteur Général expliquait quels étaient, d'après lui, les rattachements qu'il aurait fallu exécuter, donc cela se discute, mais dans la transparence.

Plus le temps passe, plus un solde d'exécution ne sera compris que dans la durée et tous les états de travail devenant pluriannuels, la France va y venir, ce qui est reporté d'une année sur l'autre se retrouve. Le problème devient différent en regardant l'exécution sur trois ans.

Avec un budget complexe de 1 800 milliards, il est normal qu'il y ait plusieurs soldes et qu'un solde unique ne traduise pas seul la réalité financière. Il faut que nous puissions voir ces soldes en encaissement-décaissement, en solde Mastrischtien et en solde patrimonial. Là est la voie de l'avenir (voir conclusions M.C.P.).

Je pense que nous ne sommes pas au bout de la réduction de la période complémentaire, que nous pouvons encore la réduire. J'ai écrit dans mon rapport que l'Etat serait au niveau le jour où ses comptes seraient rendus le 28 février. Le jour où l'Etat clôturera ses opérations dans les tous premiers jours de janvier et produira ses comptes définitifs fin février, il sera vraiment au niveau d'un Etat moderne.

Pouvons-nous penser à codifier au sens code de bonne conduite ? C'est une voie très prometteuse. J'ai beaucoup réformé l'administration, jamais je ne suis passé par des textes, je l'ai toujours fait par les bonnes pratiques. La transparence devient maintenant une banalité mais pour qu'elle devienne réellement une banalité, il faut qu'elle soit un sujet de consensus. Cela suppose que les décideurs, notamment les hommes politiques que vous êtes, se mettent d'accord sur les chiffres pertinents.

Je ne crois pas que la transparence soit de tout mettre, à tout moment sur la table. La transparence est de se mettre d'accord sur les chiffres pertinents et de s'assurer que les chiffres promis sont fournis et avec la garantie de fiabilité qui s'y attache. C'est également l'application des règles de bonne conduite et, notamment, savoir quels sont les documents originaires de Bercy qui peuvent ou ne peuvent pas être mis à disposition -et à qui-.

J'ai compris assez vite que la comptabilité est l'une des techniques les plus en retard concernant l'Etat et que nous avions des marges de progression considérables. Pourquoi la comptabilité de l'Etat est-elle dans cet état ? Pourquoi a-t-elle ce retard ? Il y a des raisons d'opacité que tout le monde connaît, mais indépendamment de cela, les équipes techniques n'ont pas toujours été au niveau. J'appelle de mes voeux la constitution d'une équipe de haut niveau à Bercy, capable de moderniser la comptabilité de l'Etat mais jusqu'ici, il n'y avait pas de demande. La demande qui apparaît maintenant, par votre intermédiaire, est nouvelle et nous stimule. La comptabilité sera l'un des supports de la transparence. C'est ce que nous dit M. Bassères, notre Directeur Général, qui en fait une priorité stratégique.

J'insiste là-dessus, ma conclusion personnelle, avec l'expérience exceptionnelle qui m'a été donnée, non par l'A.C.C.T. mais par la CADES et l'E.P.F.R. est qu'il n'y a pas de comptabilité sans comptable et qu'il faut que quelqu'un prenne cette responsabilité, très technique, difficile et, il faut le dire, peu valorisante.

M. le Président . - Vous avez pris une position. Considérez-vous que, techniquement, nous sommes en mesure d'y parvenir pour l'ensemble des comptes et dans quel délai ?

M. Jean-Jacques FRANÇOIS . - C'est la question que je me suis posée il y a deux ans et, pour y répondre j'ai procédé par scénarios. J'en ai proposé trois aux directions de Bercy car c'est un choix de nature politique et j'ai cherché à faire un travail d'expert honnête qui n'enfermait pas les décideurs dans une solution unique. Nous avons vu ce que cela a donné pour d'autres sujets.

J'ai proposé aux décideurs trois scénarios : un simple, qui peut être mis en place assez rapidement, un hybride qui porte sur plusieurs années et un scénario ambitieux qui suppose la mise à niveau des systèmes d'information.

Il serait intéressant de penser que le projet ACCORD, qui prend naissance, nous permettra de passer au droit constaté et sera l'occasion de faire des choix comptables et de mettre les systèmes à niveau. Le délai de passage au droit constaté dépend beaucoup des scénarios.

Par ailleurs, il y a des options de fond à prendre qui ne sont pas évidentes puisque nous ne pouvons pas appliquer les règles de la comptabilité privée qui ne concerne qu'une petite partie de nos opérations : les opérations de transferts, de subventions, les opérations fiscales n'ont pas d'équivalent dans le secteur privé et il faut trouver des règles de rattachement qui reposent sur un fait générateur réaliste. C'est l'exercice auquel nous nous sommes livrés à l'E.P.F.R. et à la CADES, sous contrôle du Conseil d'Administration et de la tutelle, car il y a des orientations difficiles à prendre.

Pour l'année 1999, je me réjouis que, pour l'impôt direct géré par le Trésor Public, nous soyons passés aux droits constatés. Nous l'étions déjà, en ce sens que nous avions les produits à recevoir, mais cette année nous provisionnons les produits à recevoir qui ne seront jamais reçus. Nous commençons à être dans les droits constatés et à donner une image fidèle des finances de l'Etat. Il faut maintenant aborder le droit constaté dans le domaine de la dépense et de la recette non fiscale, ainsi que dans le domaine de la recette indirecte.

M. le Président . - Merci, Monsieur FRANÇOIS. Je crois pouvoir me faire l'interprète de l'ensemble des Commissaires pour vous remercier pour la volonté et le dynamisme qui apparaissent dans votre présentation et dans vos réponses. J'associe les personnes qui vous accompagnent à ces remerciements.

L'audition est levée à midi.

Séance du 3 mai 2000

La séance est reprise à 12 heures sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de Monsieur PAUL CHAMPSAUR,
Directeur Général de l'INSEE.



M. le Président . - La séance est reprise. Notre commission siège en tant que titulaire des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. L'ordre du jour appelle l'audition de Monsieur Paul CHAMPSAUR, Directeur Général de l'INSEE. Je vous rappelle que l'objet de notre mission et de nous informer sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et dans l'exécution des lois de finances. Je vous rappelle encore, très brièvement, que nous avons choisi une méthode pluraliste ce qui nous a conduits à désigner un nombre de rapporteurs équivalent au nombre de groupes qui siègent au Sénat.

J'en viens à la phase des solennités requises, pour rappeler à la commission et à son invité que nous siégeons en travaux non publics et que nous sommes, par conséquent, tous tenus au secret.

Je dois, à votre intention, dans le respect des textes, rappeler qu'en cas de faux témoignage, la personnalité auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434.13, 434.14 et 434.15 du Code pénal, ce qui me conduit à vous demander Monsieur le Directeur Général, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».

M. Paul CHAMPSAUR . - Je le jure.

M. le Président . - Je vous propose de nous faire un propos introductif et de passer ensuite à la discussion.

M. Paul CHAMPSAUR . - Merci, Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir remis tardivement les réponses écrites aux questions que Monsieur le Président m'a fait parvenir. J'ai répondu parfois de façon un peu sommaire et parfois de façon plus détaillée, ce qui facilitera mon exposé.

Je m'écarterai de l'ordre des questions. J'ai regroupé, dans mon exposé liminaire, les réponses aux questions 1, 3, 5, 7. Je reviendrai sur les questions 2 et 6 et, sur toutes les questions de méthodologie, je n'ai pas prévu d'entrer dans les détails, c'est-à-dire la réponse à la question 4, dans la mesure où cela a été fait par écrit.

Je vais me centrer sur l'intégration du rôle de l'INSEE dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.

Il faut dire que ce rôle est modeste, il s'agit essentiellement d'un rôle de responsabilité de la comptabilité nationale, c'est-à-dire, pour ce qui vous intéresse, de l'établissement du compte des administrations publiques en comptabilité nationale.

L'INSEE contribue à la préparation et au suivi de l'exécution de la loi de finances par le fait qu'il est producteur d'informations et de prévisions conjoncturelles et il arrive qu'il soit consulté lors de la préparation des hypothèses macro-économiques.

Dans la suite de mon exposé, je parlerai de comptabilité nationale. Je rappelle que l'attention portée aux comptes des administrations publiques en comptabilité nationale est allée croissant au cours des vingt dernières années. Il y a vingt ans peu de monde s'en préoccupait, aujourd'hui la présentation faite par la comptabilité nationale du compte des administrations publique attire beaucoup plus d'attention.



Il y a à cela deux raisons fondamentales. Cette présentation en comptabilité nationale permet d'analyser les liens des administrations publiques avec l'ensemble de l'économie et, surtout, les besoins de comparaison internationale, notamment européenne, se sont traduits par la recherche d'une harmonisation statistique qui a débouché sur le fait qu'aujourd'hui, la comptabilité nationale française est, intégralement, une comptabilité européenne.

Notre comptabilité nationale résulte de l'application d'un règlement européen que, dans notre jargon nous appelons « le système européen du compte SEC.95 », règlement européen qui a force de loi et qui est lui-même une adaptation et une précision d'un système de comptabilité internationale édité par l'O.N.U. appelé C.S.N.93.

L'INSEE veille à ce que les règles de la comptabilité nationale européenne soit connues, correctement interprétées et appliquées. Le rôle de l'INSEE est essentiellement un rôle de coordination et de synthèse, car la comptabilité nationale, comme, plus généralement la statistique économique, est le fruit d'un processus décentralisé par domaine. S'agissant des comptes de l'Etat à l'intérieur du compte des administrations publiques, l'essentiel du travail est assuré par la Direction Générale de la Comptabilité Publique et la Direction de la Prévision. Nous nous appuyons également sur le Ministère de l'Emploi et de la Solidarité et les organismes de Sécurité Sociales.

L'INSEE est responsable, en dernier ressort, de la fabrication des comptes nationaux français, rapportant au groupe de travail européen spécialisé, ce qui veut dire qu'en dehors de ces procédures européennes dont l'indépendance technique est garante de l'application des textes européens, l'INSEE ne reçoit aucune instruction.

De même, les services qui contribuent à la fabrication du compte des administrations publiques, isolés à l'intérieur de la Direction Générale de la Comptabilité Publique ou de la Direction de la Prévision ne reçoivent d'instructions que de l'INSEE au titre de cette activité.

L'importance croissante, dans le cadre européen et international, donnée au compte des administrations publiques a rendu nécessaire l'acquisition, par les principaux services impliqués dans la procédure budgétaire, d'une assez bonne connaissance de la comptabilité nationale, je ne parle pas seulement des petits services qui fabriquent la comptabilité nationale.

Pour prendre le cas de la Direction du Budget, elle n'était pas très familiarisée avec la comptabilité nationale il y a vingt ans, elle l'est devenue. C'est également vrai pour la Direction du Trésor. Je dois dire que cette familiarité, acquise au fil du temps par ces principaux services, facilite considérablement le travail des comptables nationaux de l'INSEE. J'en donnerai deux exemples.

Le premier est le réflexe, bien installé dans ces services, d'interroger l'INSEE assez tôt, éventuellement par l'intermédiaire des instances européennes lorsque qu'ils se posent des questions sur l'instruction d'une mesure nouvelle, son articulation avec la comptabilité nationale.

Autre exemple, la connaissance des pratiques des autres pays européens a beaucoup progressé, ce qui permet à l'INSEE de jouer un rôle actif dans les instances européennes auxquelles j'ai fait allusion, qui ont la responsabilité d'établir les règles, de fabriquer, construire une jurisprudence en matière d'interprétation et, également, un rôle de surveillance mutuelle. Nous passons notre temps, dans ces instances européennes, à regarder si les autres font les choses correctement.

En résumé, les relations de l'INSEE avec les directions de l'administration centrale, du ministère de l'économie des finances et de l'industrie se sont continuellement développées ces dernières années, en ligne avec les besoins d'expertise de ces directions en comptabilité nationale et, plus généralement, en économie.

J'ai essayé de répondre de façon très synthétique aux principales questions. J'aborde maintenant les questions 2 et 6.

La question 2 demande si le Ministre et son cabinet s'appuient sur l'INSEE pour suivre la situation de budget de l'Etat. La réponse est non, le Ministre et son cabinet ont connaissance d'informations comptables budgétaires avant que celles-ci ne soient transmises à l'INSEE, avant que l'INSEE ne recueille ces informations pour les traiter et les transformer en comptabilité nationale. Il n'entre donc pas dans les missions de l'INSEE d'informer le Ministre et son cabinet sur la situation du budget de l'Etat. Ceci dit, l'INSEE écrit sur les questions de finances publiques et je vais essayer d'expliquer de quoi il s'agit.

Soit à son initiative propre, soit à la demande des directions impliquées dans la procédure budgétaire, soit à la demande du cabinet du Ministre, l'INSEE émet des notes expliquant ou précisant le passage de la comptabilité budgétaire à la comptabilité nationale. Dans la réponse écrite, je vous ai fourni la liste des notes émises par l'INSEE depuis 1997 sur ces questions.

Je peux donner un exemple récent. Le cabinet du Ministre a récemment entendu parler des licences de téléphonie mobile, d'attribution de lignes aux enchères en matière de téléphonie mobile au Royaume-Uni. Les sommes en cause étant relativement importantes, il nous a été demandé comment cette affaire serait traitée en comptabilité nationale. L'INSEE n'étant pas capable de répondre immédiatement, nous avons sollicité les autorités européennes. Cette question est à l'ordre du jour de la réunion du groupe de travail spécialisé qui aura lieu en juin. En juin, nous serons capables de répondre sur la façon dont ce sera traité. Nous avons commencé par le camp anglais, pour les pays qui suivraient ce chemin dans ce type d'opération.

Dernière question, la question 6 qui traite du monopole de l'INSEE. C'est l'occasion pour moi de faire une mise au point. L'organisation française en matière de statistiques et, notamment, de statistiques économiques, est très classique si on la compare à celle des pays de l'O.C.D.E. Elle est très proche de l'organisation du Royaume-Uni et des U.S.A. Je rappelle que l'INSEE, constitué en 1946, s'est beaucoup inspiré de l'exemple de ces pays qui étaient en avance sur la France en matière de statistiques économiques.

Dans les pays de taille relativement importante, se trouvent des situations différentes, pour les petits pays, la collecte et le traitement de l'information statistique sont très largement décentralisé par domaine.

Il existe des variations dans les rôles respectifs des divers organismes d'un pays à l'autre. Je vais prendre le cas britannique et le cas français. L'homologue britannique, l'Office National de Statistiques, a, dans l'ensemble, un rôle semblable à celui de l'INSEE. Il est également responsable de la comptabilité nationale mais ne fait pas exactement la même chose. Il présente des statistiques de commerce extérieur, l'INSEE ne le fait pas, ce sont les douanes qui sont responsables des statistiques du commerce extérieur. L'O.N.S. présente des statistiques de balance de paiement, l'INSEE ne le fait pas, c'est la Banque de France qui le fait.

Il existe des variations du même type d'un pays à l'autre, mais partout, il n'y a pas d'exception à l'intérieur de l'O.C.D.E., chaque organisme et en situation de monopole dans son domaine de compétence et en matière de comptabilité nationale.

Parler de pluralisme et de concurrence est, en fait, parler d'études, notamment d'études économiques, qui se situent en aval de la production statistique. En matière de production statistique, le monopole est la règle. Il y a des raisons à cela. L'INSEE est normalement en situation de monopole en matière de production de statistiques économiques et, en particulier en matière de comptabilité nationale. La contrepartie de cela est, évidemment, une très forte exigence de transparence et d'indépendance technique.

Nous avons deux piliers, les instances internationales, puisque l'essentiel de notre statistique économique, à commencer par la comptabilité nationale s'effectue dans le cadre de règles européennes, que se soient nos indices de prix ou nos indices de production industrielle, tout est encadré par des textes européens qui ont force de loi et, bien sûr, au plan national, le Conseil National d'Information Statistique, dont le rôle est fondamental pour assurer cette transparence et l'indépendance technique du système statistique dans son ensemble dont l'INSEE n'est qu'une partie.

M. le Président . - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je donne la parole à Monsieur le Rapporteur Général.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Monsieur le Directeur Général, un point est souvent revenu dans les auditions que nous faisons depuis la mise en place de cette commission d'enquête, celui concernant les modalités de prévision du rendement de l'impôt sur les sociétés.

L'impôt sur les sociétés a été noté comme représentant le principal espace d'écart des recettes fiscales dans la gestion 1999, mais au-delà de cet épisode particulier, sans doute y a-t-il des questions de méthode à se poser.

J'aurais souhaité que vous puissiez nous donner votre opinion sur les moyens dont dispose actuellement le ministère de l'économie et des finances pour anticiper, à partir des données prévisionnelles de la conjoncture, le rendement de l'impôt sur les sociétés. En second lieu, j'aimerais que vous nous disiez, dans ce contexte, ce qui est fait, ce qui peut être fait, ce qui peut être amélioré par l'INSEE qui a la connaissance à la fois macro et micro-économique, par les études sectorielles, les analyses issues de la réalité de la vie des entreprises. Face à ce problème difficile d'anticipation des recettes fiscales branche par branche de l'évolution de la conjoncture, que pouvez-vous faire pour nous assurer que nous progressons en fiabilité dans l'estimation des recettes fiscales et dans leur ré-estimation en cours d'année, s'il y a lieu.

M. Paul CHAMPSAUR . - Ce n'est pas un sujet facile car il s'agit de l'un des impôts les plus difficiles. Ce n'est pas la première fois que le ministre fait des erreurs de prévision en matière d'impôt sur les sociétés, cependant, j'ai l'impression qu'en 1999, l'écart a été particulièrement important.

En cours d'année, nos collègues des autres directions ont interrogé l'INSEE parce qu'ils constataient que les rentrées d'impôts sur les sociétés étaient supérieures aux prévisions. Il y a deux origines dans les erreurs de prévisions, l'erreur de prévision macro, c'est-à-dire erreur sur la macro-économie et une sur la situation des entreprises. Il peut également exister une erreur sur la macro-économie et la situation des entreprises et une dans l'articulation entre macro-économie et impôt.

En cours d'année, au niveau des comptes trimestriels, les indicateurs produits par l'INSEE concernant la situation des entreprises sont assez imprécis puisque nous n'avons pas de comptabilités d'entreprises en cours d'année. La comptabilité d'entreprises n'arrive à l'INSEE que dans le courant de la deuxième année qui suit l'exercice, c'est-à-dire qu'actuellement, à l'INSEE nous n'avons pas d'élément de comptabilité d'entreprises pour l'année 1999.

Bien sûr, nous aurons la comptabilité d'entreprises. Je vois, Monsieur le Rapporteur, que vous êtes surpris de ma réponse. Nous avons des données sur le chiffre d'affaires. Lorsque je parle de comptabilité d'entreprises, je parle de tous comptes d'exploitation. Nous avons des éléments de comptes sur chiffre d'affaires, sur les salaires, mais nous n'avons pas aujourd'hui la comptabilité venant des entreprises pour 1999.

Cette comptabilité d'entreprises nous parvient par deux procédures d'enquêtes annuelles. Ces enquêtes sont en cours et les réponses vont nous arriver dans le courant de l'année. Il n'y a pas que de très grandes entreprises en France, les entreprises moyennes et petites font également partie de la ressource fiscale.

Les entreprises fournissent cette comptabilité à la Direction Générale et, en dernier ressort l'INSEE a accès à toute l'information comptable. Ceci nous arrive plus tard encore.

M. Philippe MARINI, Rapporteur général . - Certes, en termes de comptabilité, nous ne pouvons que souscrire, mais dans les plus grandes entreprises, les groupes cotés, de plus en plus publient des comptes semestriels, voire trimestriels, non seulement les agrégats de chiffres d'affaires mais aussi des données qui affinent le résultat. Si je vous pose cette question c'est qu'à plusieurs reprises, il nous a été dit qu'une bonne surprise est intervenue en fin d'année, 6 milliards, par exemple. Cette information intéressante pose problème dans la mesure où les plus grands groupes, grands contributeurs, ont caché l'information financière tout au long de l'année. Pouvez-vous en faire quelque chose dans vos procédures sachant que ce n'est pas le tissu de la P.M.E. ?

M.Paul CHAMPSAUR . - Vous abordez des sujets assez complexes. L'année dernière, il a été demandé à l'INSEE : n'êtes-vous pas en train de nous tromper sur l'évolution des entreprises ? L'INSEE s'appuie sur un élément qui n'apparaît pas en comptabilité nationale, l'agrégat le plus proche, qui en est très loin quand même est le résultat brut d'exploitation. Pour passer du résultat brut d'exploitation à l'assiette de l'impôt sur les sociétés, il y a un chemin assez compliqué.

Lorsqu'en cours d'année, cette même question nous a été posée, nous avons examiné les chiffres. Nous avons eu le sentiment que nous ne nous trompions pas beaucoup sur le résultat brut d'exploitation qui n'évoluait pas de façon spectaculaire. 1999 n'est pas une année au cours de laquelle, au sens de la comptabilité nationale, l'amélioration des comptes des entreprises est très spectaculaire.

Nous avons été amenés à examiner l'histoire, ceci doit figurer dans la liste des notes que j'ai donnée. L'histoire montre que la corrélation entre l'impôt sur les sociétés et les agrégats les moins éloignés de l'assiette de l'impôt est de très mauvaise qualité. Manifestement, en travaillant uniquement à partir de ce que produit la comptabilité nationale, il n'est pas possible d'espérer des prévisions de très bonne qualité en matière d'impôt sur les sociétés. Il faut donc mobiliser une information supplémentaire.

Depuis un certain temps nous entretenons, à l'INSEE, l'espoir, compte tenu du développement des comptes trimestriels d'entreprises pour les grandes sociétés, de monter une enquête qui nous permettrait d'avoir une idée de l'évolution trimestrielle des résultats des entreprises.



Nous avons fait des tests. Depuis quelques années, nous interrogeons un certain nombre d'entreprises en la matière. Nous ne sommes pas encore arrivés à bien maîtriser cette source car seules les grandes entreprises tiennent ces statistiques et nous avons des doutes sur leur qualité. Nous avons décidé de relancer cette affaire puisqu'il semble que le contexte soit en train de changer et que, compte tenu des besoins d'information des marchés financiers, un nombre croissant d'entreprises sera capable de répondre dans de meilleures conditions.

Je pense que, de toute façon, l'impôt sur les sociétés restera un impôt très difficile à prévoir. Je ne suis pas très bien placé car je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais c'est le cas le plus difficile.

Une remarque importante, le travail en question a été fait sur les comptes définitifs de la comptabilité nationale, c'est-à-dire sur des comptes reposant sur la comptabilité d'entreprises. Malgré l'élimination de la partie erreur macro-économique, la corrélation reste faible, bien que nous ayons eu comme base l'information comptable venant des entreprises. Ceci signifie que la difficulté est intrinsèque, que ce n'est pas une affaire de prévision macro. Les prévisions macro peuvent s'y ajouter. Il est clair que tous les impôts, à degrés divers fluctuent un peu plus que la conjoncture ou que les agrégats macro.

Pour prendre le cas de l'an dernier, la TVA est un peu mieux rentrée que ce que prévoyait l'évolution à partir de la comptabilité nationale des emplois taxables. A ce stade, nous ne sommes pas tout à fait sûrs. La comptabilité nationale n'étant pas complètement stabilisée, il pourra y avoir des révisions, mais nous constatons cette espèce de cyclicité des additionnels de l'impôt par rapport aux agrégats de la comptabilité nationale. Nous le constatons sur le passé le plus ancien, c'est-à-dire au moment où nous avons toute l'information. Cela veut dire qu'il est difficile de prendre en compte le fait que lorsque les entreprises ont une trésorerie facile, l'impôt rentre bien et à l'inverse, lorsque la trésorerie des entreprises est difficile, qu'il y a des faillites, l'impôt rentre moins bien. Nous ne savons pas bien prendre cela en compte, cela explique les difficultés de mes collègues.

M. Denis BADRE . - Monsieur, vous êtes Directeur Général de l'INSEE et, comme l'était votre prédécesseur, un économiste réputé. Vous avez dit que vous aviez eu le souci de familiariser les grandes directions de Bercy avec la comptabilité. Avez-vous également le souci de les familiariser avec l'économie ? Que faites-vous en ce sens ?

Concernant l'Europe, vous avez beaucoup insisté sur le rôle actif que vous avez à Bruxelles pour que le règlement européen que nous appliquons en matière de comptabilité nationale soit le plus performant et le plus propre à traiter nos difficultés. Vous avez insisté sur vos relations avec nos partenaires de l'Union, notamment la Grande-Bretagne. Avez-vous préparé l'avenir en établissant des relations avec les candidats de l'union européenne ?

M. Paul LORIDANT . - Je voudrais revenir sur quelques missions de l'INSEE. Vous réalisez des enquêtes de conjoncture, vous n'êtes pas seul sur la place, il y a au moins la Banque de France qui en fait. J'étais l'un des acteurs, donc je sais qu'il y avait souvent concurrence entre la Banque de France et l'INSEE à l'époque. Quel est votre horizon dans ce domaine ? Il nous a été dit six mois. Lorsque vous êtes consultés votre horizon de prévision est-il de six mois ou au-delà ?

Je reviens sur les comptes des entreprises. Je suis frappé que l'émergence des marchés financiers fasse que les entreprises, du moins celles qui sont cotées aient le souci de donner des informations beaucoup plus régulières, nous allons vers des comptes trimestriels annoncés. Il est un fait incontestable, depuis deux ans, les dividendes versés aux actionnaires, nous pouvons le constater à travers les déclarations d'impôts, l'avoir fiscal, ont sérieusement augmenté. C'est un indice fort car même si je n'imagine pas que les entreprises puissent avoir une politique de distribution déconnectée des résultats de l'entreprise, l'une peut être très divergente de l'autre. Le constat que les dividendes versés soient beaucoup plus importants était quand même un indice fort d'une amélioration substantielle des résultats des entreprises, pouvant générer de l'impôt sur les sociétés. Etes-vous capable de l'apprécier ?

Troisième question concernant les comptes des entreprises : avez-vous des coordinations ou des contacts avec les autres organismes qui tiennent des centrales de bilan, comme la Banque de France ou le Crédit National à une époque ? Il y là aussi une source de connaissance de la comptabilité des entreprises intéressante parce que cela va, à ma connaissance, au-delà des entreprises cotées et prend en compte des entreprises de toutes tailles.

M. le Président . - Nous avons la chance de vivre en démocratie. Pour que cette démocratie vive, il faut que nous respections ses principes fondateurs et, en particulier, que le citoyen puisse, par sa représentation, autoriser l'impôt et suivre son emploi. Nous sommes à l'épreuve, face à l'articulation difficile entre loi de financement, loi de finances et programme de stabilité. Ces exercices sont distincts, étant entendu que le plus important est le programme de stabilité et c'est celui qui n'est pas soumis au processus démocratique. Je voudrais vous demander, en tant que haut fonctionnaire de l'Etat, si, sur le plan technique, nous pouvons améliorer la consolidation de ces éléments financiers. Cela paraîtrait essentiel du point de vue démocratique. Je pose la question au technicien que vous êtes : la technique peut-elle faire mieux que ce qu'elle fait actuellement ?

Sur le plan politique, pensez-vous qu'il y aurait, par exemple au plan du calendrier, de la méthode, possibilité de faire mieux s'exprimer la représentation nationale ?

Les personnalités qui vous ont précédé nous ont montré des variations très erratiques de l'élasticité des recettes fiscales et ceci a été exprimé à travers un graphique qui m'a beaucoup marqué. Or, c'est un élément essentiel pour le calcul des prélèvements obligatoires et je voudrais vous demander si votre direction mène des recherches à ce sujet.

M. Paul CHAMPSAUR . - Je réponds à Monsieur BADRE, à propos de ce que nous faisons pour inciter nos collègues à s'intéresser à l'économie. En fait, ce qui importe, c'est qu'eux-mêmes se rendent compte de l'intérêt de l'expertise économique. Je dois vous confesser que je n'ai rien à apprendre à mon collègue de la Direction de la Prévision en matière d'économie, il emploie une légion d'administrateurs de l'INSEE.

M. Denis BADRE . - C'est une manière de faire.

M. Paul CHAMPSAUR . - Une façon intéressante de l'INSEE pour répondre aux besoins d'expertise économique a été de permettre à de jeunes économistes de l'INSEE d'aller travailler dans les directions en question.

Actuellement, dans toutes les grandes directions des finances, notamment les directions d'état-major, il y a un certain nombre d'administrateurs INSEE employés pour les questions qui appellent une expertise économique. Un des conseillers économiques du Trésor vient de l'INSEE.

Nous pouvons nous réjouir de ce que l'appel à l'expertise économique de la part de mes collègues, qui était ancienne à la Direction de la Prévision, s'est développé au cours de ces dernières années et de façon naturelle. Le pouvoir d'injonction de l'INSEE en la matière est certain.

L'Europe. Si j'ai bien compris, votre question porte essentiellement sur les candidats. L'union européenne gère des programmes de coopération extrêmement importants en matière de statistiques, notamment économiques, vis-à-vis des pays d'Europe Centrale et Orientale et la mise à niveau des statistiques économiques fait partie des exigences formulées à l'égard de ces pays.

Eurostat est rarement en mesure de faire lui-même le travail de coopération, c'est-à-dire qu'il s'appuie sur les pays. L'INSEE a un programme de coopération très lourd en matière de statistiques économiques avec les pays d'Europe Centrale et Orientale. Nous avons eu un très grand succès avec la Pologne qui a fait d'énormes progrès et nous avons beaucoup travaillé avec la Roumanie mais, malheureusement, le progrès de la statistique dépend du contexte général du pays. Il est impossible de faire de la bonne statistique avec une administration qui ne fonctionne pas bien. Je dois dire que l'INSEE est actuellement à la limite de sa capacité en matière de coopération, compte tenu de l'importance des demandes européennes.

Pour revenir à l'union européenne, ce système de surveillance mutuelle par l'intermédiaire des instances européennes est très important. C'est un facteur de transparence considérable. Maintenant le réflexe est là, c'est-à-dire que tout le monde lit les journaux de tout le monde, chacun sait ce que sont les projets budgétaires des divers gouvernements et tout le monde s'intéresse à la façon dont cela sera enregistré en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale.

Le passage au droit constaté, qui a été une opération délicate est l'un des grands progrès du système de comptabilité actuel par rapport au précédent. Un certain nombre de pays avait fait une interprétation très laxiste en matière de droit constaté et il nous revient à tous, dans le cadre des instances européennes, de repérer les risque de dérive et d'y mettre bon ordre.

M. Paul LORIDANT . - Le seul domaine dans lequel vous parlez d'enquêtes qualitatives sont les enquêtes de conjoncture. Demander aux chefs d'entreprises s'ils pensent que la situation est bonne ou mauvaise est faire un sondage d'opinion. Ces enquêtes sont beaucoup moins coûteuses que des statistiques quantitatives.

M. Paul CHAMPSAUR . - Il y a recouvrement entre les enquêtes de conjoncture de la Banque de France et celles de l'INSEE. Ceci dit, l'INSEE s'est clairement retiré du domaine des enquêtes régionales puisque la Banque de France, qui a un réseau très implanté sur le territoire et des moyens que l'INSEE n'a pas, souhaitait gérer un dispositif d'enquêtes de conjoncture locale et que l'INSEE ne le fait pas, le seul recouvrement portant sur les enquêtes de conjoncture nationale.

Je rappelle que l'INSEE en est chargé dans le cadre des accords européens. Les enquêtes de l'INSEE répondent à des règlements européens avec un petit financement européen marginal.

Nous avons l'habitude de travailler avec les enquêtes de la Banque de France car sur certains points, elle couvre des domaines que l'INSEE ne traite pas et réciproquement. Dans les domaines de recouvrements, elles concordent remarquablement mais je dois reconnaître qu'il faut être spécialiste pour aller le vérifier, la présentation n'étant pas la même. Personnellement, je préfère la présentation INSEE, ceux qui sont habitués à la présentation Banque de France préfèrent sans doute la présentation Banque de France. Cela ne me semble pas être un sujet trop grave mais l'INSEE tient beaucoup à suivre ces enquêtes et la collaboration entre l'INSEE et le réseau européen d'instituts qui font des enquêtes analogues, dont je rappelle qu'elles sont normalisées, est excellente.

Il est très clair que l'INSEE ne fait pas de prévisions conjoncturelles au-delà de l'horizon de six mois en matière de prévisions conjoncturelles. Nous appliquons les mêmes règles d'indépendance qu'en matière de statistiques. L'horizon à six mois a une logique forte, aller au-delà serait dangereux pour l'INSEE. A six mois, nous pouvons considérer que les mesures de politique économique qui ne sont pas encore connues et seront à prendre n'auront pas d'effet significatif à cet horizon. En matière de mesure politique économique, nous ne pouvons intégrer dans le raisonnement que ce qui est parfaitement connu. Au-delà de six mois, nous entrerions dans des supputations sur la politique économique et ceci compliquerait les relations entre l'INSEE et le Gouvernement. Cette règle de six mois est impérative.

L'INSEE fait des exercices de projections économiques à d'autres horizons, des projections de moyen-terme et même plus, ce sont des scénarios. Cela n'a rien à voir avec la conjoncture et nous le faisons en collaboration avec la Direction de la Prévision qui nous apporte sa compétence dans le domaine des finances publiques et internationales.

Quel est la répartition d'efforts entre l'INSEE et la Direction de la Prévision ? Généralement, les prévisions du Gouvernement à relativement court terme sont parfaitement codifiées, l'INSEE ne s'exprime de façon importante que deux fois par an, fin juin pour le deuxième semestre et fin décembre pour le premier semestre de l'année suivante. Les points conjoncturels qui suivent ne sont que des mises à jour, l'INSEE ne s'exprime pas au moment où le Gouvernement s'exprime. Lorsque le Gouvernement fait des prévisions à horizon de 18 mois, en mars et en septembre, il n'y a pas de production de l'INSEE. Cette organisation est bien comprise par tout le monde, elle permet une bonne information du public, et elle est gérable, c'est-à-dire que l'INSEE peut, dans ces conditions, conserver un caractère strictement technique à ces exercices de conjoncture.

Je ne serais pas totalement complet si je ne vous disais qu'au moment où le Gouvernement prépare ses hypothèses macro-économiques, il arrive qu'il me demande, plutôt à titre personnel qu'à celui de Directeur Général de l'INSEE mon opinion, éventuellement sur un horizon plus lointain.

Au sein du Conseil Politique et Economique, institution mise en place par Monsieur Strauss-Kahn, qui se réunit tous les mois, siègent le Directeur du Trésor, du Budget, le Directeur de la Prévision et le Directeur Général de l'INSEE. Il arrive, une fois sur deux ou trois, que nous commencions par un point de conjoncture que j'introduis et le Ministre ne s'interdit pas de demander mon opinion sur l'évolution de l'inflation par exemple, au-delà de six mois, mais cela reste du domaine de l'informel.

Comptes des entreprises, dividendes, centrales de bilan. Il existe une collaboration permanente, ancienne, entre tous les organismes qui gèrent des centrales de bilan. Elles sont, dans une certaine mesure, complémentaires.

Les centrales de bilan de la Banque de France ne sont pas complètes, elles sont sur une base volontaire. La Banque de France a des moyens de persuasion alors qu'à l'INSEE, elles résultent d'un processus statistique, dans le cadre d'enquêtes obligatoires. Nous mobilisons l'information d'origine fiscale, c'est-à-dire les déclarations des entreprises à l'occasion de l'établissement de l'impôt sur les sociétés.

Ces centrales de bilan sont très utiles pour étudier les caractéristiques des entreprises, les caractéristiques structurelles, l'évolution de ces populations selon de multiples critères. Par contre, cette information arrive beaucoup trop tard et est d'une telle complexité qu'elle ne peut être utilisée en matière de prévision efficace. Il serait peut-être possible, à partir de ces centrales de bilan, de faire des études permettant d'améliorer les méthodes mais l'information arrive de toute façon trop tard.

Vous avez fait allusion à l'information publiée sur les dividendes, elle arrive très tard. Les dividendes au titre de l'année 1999 sont connus maintenant, mais nous avions des problèmes de prévision l'année dernière.



Je pense que le nouveau contexte des marchés financiers pousse les entreprises à produire une information plus abondante, de meilleure qualité et plus précoce et que, collectivement, aussi bien en matière de statistiques économiques qu'en matière de prévisions fiscales, nous devrions être capables de tirer un meilleur parti de cela dans les prochaines années, mais je ne peux guère être plus précis, par manque de compétence.

Votre question est complexe, Monsieur le Président et je pense que vous vous adressez plutôt à l'économiste qu'au Directeur Général de l'INSEE : articulation lois de finances / programmes de stabilité, calendriers, etc.

En tant qu'économiste, je suis convaincu que l'incitation européenne à réfléchir, à replacer nos procédures budgétaires dans un cadre de moyen terme est positive, parce que je crois que, pour de multiples raisons, il est bon qu'aussi bien le Gouvernement que le Parlement accompagnent la préparation d'un projet de loi de finances et sa discussion au Parlement d'une remise en perspective de moyen terme et explicitent leur stratégie de moyen terme.

Je pense plutôt, en tant que citoyen parce que je ne suis pas compétent dans ces domaines, que les procédures de préparation et de discussion du projet de loi de finances doivent évoluer en France. Tirer toutes les conséquences de ce que je viens de dire me semble souhaitable. J'ajouterai qu'en tant que gestionnaire d'un service public, car l'INSEE est un service public, j'aimerais un peu plus de pluriannuel et de lisibilité à moyen terme, c'est une condition d'efficacité du service public.

Comment le faire ? Je ne sais pas bien. Il me semble que cela vaudrait la peine d'aller regarder comment font les autres pays. Il me semble que des pays, européens ou non, sont plus avancés que nous en la matière, qu'ils ont réussi à maintenir pleinement le rôle du Parlement tout en réussissant à mieux insérer les exercices annuels dans des perspectives de moyen-terme.

Si j'ai une suggestion à faire, c'est de commencer par étudier ce que font les autres pays. Une partie de ce qui nous arrive au plan européen s'explique en partie par des références venant d'expériences d'autres pays, par exemple, l'Allemagne qui a une tradition de plus grande prise en compte de moyen-terme, aussi bien par le Gouvernement que par le Parlement. Je ne peux guère être plus précis. Pour l'être, il faudrait que je prépare une réponse, je ne m'attendais pas à ce type de question.

L'élasticité erratique des recettes fiscales et calculs des prélèvements obligatoires. Si vous le souhaitez, je peux vous faire parvenir une fiche du même type que celles que vous avez déjà, explicitant le calcul de prélèvements obligatoires. L'attention portée aux prélèvements obligatoires va croissant, les normes internationales existent mais ne sont pas vraiment européennes, elles viennent de l'O.C.D.E et sont moins précises que pour la comptabilité nationale proprement dite.

Je suis tout à fait prêt à vous donner tout l'état de la situation mais il est clair que lorsqu'il y a des variations importantes de recettes fiscales, cela se voit dans le taux de prélèvements obligatoires, c'est ce que nous avons vu en 1999. L'INSEE enregistre les recettes fiscales après correction de l'histoire de droit constaté, comme elles viennent et, lorsqu'elles sont fortes, cela se traduit par une montée des prélèvements obligatoires.

Je voudrais quand même terminer, sur cette question des prélèvements obligatoires, par une note de prudence. Le concept de prélèvements obligatoires est plus flou que les concepts standards de comptabilité nationale. Il est plus difficile de s'abstraire des institutions et, notamment, du fait que les institutions changent beaucoup d'un pays à l'autre puisque, comme je l'ai dit au début, la comptabilité nationale actuelle a été créée pour dépasser les différences institutionnelles en matière de procédure de comptabilité budgétaire. Nous y réussissons assez bien dans l'ensemble.

En matière de prélèvements obligatoires, c'est plus compliqué, la difficulté principale se situant plutôt du côté des cotisations sociales que du côté de l'impôt au sens étroit du terme. Qu'est-ce que qu'une cotisation sociale ? Une cotisation sociale est-elle un prélèvement obligatoire ou non ? Il y a parfois de petits problèmes. Je veux simplement rappeler qu'il n'y a pas de cotisations sociales employeur pour les fonctionnaires en matière de retraite. Si, à l'intérieur du budget de l'Etat, nous nous mettions à calculer, à isoler un compte des retraites, nous ferions apparaître des cotisations sociales. Nous changerions la référence mais nous n'aurions pas radicalement changé la situation des finances publiques ni les relations entre les finances publiques et l'ensemble de l'économie puisque les retraites sont bien, finalement, payées par le budget de l'Etat.

Je prends ce petit exemple et vous voyez que chaque fois que nous faisons passer une entreprise qui était un ancien service de l'Etat vers un statut d'entreprise de type privé, comme ce fut le cas pour France Télécom, cela donne une rupture de série en matière de prélèvements obligatoires qui n'a pas de véritable signification. Tout cela pour dire qu'il faut manier le concept de prélèvement obligatoire avec prudence.

M. le Président . - Merci, Monsieur le Directeur Général de cette heure d'audition au cours de laquelle vous avez apporté une contribution importante.

Je vous remercie, la séance est levée.

La séance est levée à 12 h 55.





Seconde séance du 3 mai 2000
La séance est reprise à 16 h 40 sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de M. Laurent FABIUS,
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie





M. le Président. - L'ordre du jour appelle l'audition de M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.

Je vous rappelle que nous siégeons dans le cadre de la mission chargée de recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement du service de l'État dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances. Nous sommes ainsi titulaires des prérogatives reconnues aux commissions d'enquête.

Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue devant une commission qui a la chance de vous accueillir deux semaines consécutives. Vous savez quelle est notre mission. Il s'agit de lever, pour partie, tout débat juridique sur les droits et les compétences de notre commission à être informée. Nous avons souhaité donner à notre démarche un caractère pluraliste. C'est ainsi qu'ont été nommés autant de rapporteurs qu'il y a de groupes dans l'hémicycle : MM. du Luart, Angels, Vallet, Loridant, le rapporteur général et votre serviteur.

Il m'appartient de rappeler les solennités requises en pareille circonstance. D'abord, le secret doit être conservé pour les travaux non publics, et nous sommes dans ce cadre aujourd'hui. Les articles n°s 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal traitent des conséquences liées à votre témoignage. Je dois recueillir votre serment de dire rien que la vérité mais toute la vérité. Vous devez lever la main droite et dire « je le jure ».

( M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie prête le serment d'usage. )

M. Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames, Messieurs -j'allais dire chers collègues, mais je dis chers amis-, je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission, dans un cadre plus juridique, il est vrai.

Je me dois d'abord de rappeler le caractère récent de ma nomination au Gouvernement, puisqu'elle ne remonte qu'à un mois environ, ce qui ne me permet pas de me prononcer sur les conditions d'élaboration et d'exécution du budget de 1999.

Votre champ d'investigation portant sur les conditions de préparation et d'exécution, je voudrais décrire la séquence et le contenu des notes traditionnelles de la Direction de la Prévision et de la Direction du Budget qui, en fait, rythment les procédures pour la préparation et l'exécution d'un projet de loi de finances. Quelques modifications ont été décidées ces dernières années, mais depuis extrêmement longtemps existent des procédures. Il me faut les rappeler à grands traits.

S'agissant du contexte macro-économique, la Direction de la Prévision fournit habituellement deux séries de notes au Ministre.

D'abord, à la fin de l'hiver, les principaux résultats des budgets économiques pour l'année n et pour l'année n + 1. Les prévisions sont rassemblées dans deux notes principales. La première décrit le scénario macro-économique retenu, notamment en matière de croissance, d'inflation et d'emploi. La seconde présente les prévisions pour l'ensemble des administrations publiques, en termes de soldes-recettes et de dépenses.



Ensuite, à la fin de l'été, dans la perspective du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous pratiquerons un exercice similaire. Du point de vue des projections, la direction de la Prévision est aussi conduite à réaliser des variantes de ses budgets pour apprécier les conséquences possibles des mesures envisagées entre deux campagnes de comptes.

En ce qui concerne la préparation du projet de loi de finances lui-même, la Direction du Budget transmet habituellement au Ministre trois notes.

Au mois de février, une note synthétise les travaux de la Direction du Budget sur une projection pluriannuelle - trois ans - des dépenses publiques en grands postes de dépenses. Il s'agit non pas d'une projection tendancielle des dépenses, mais d'une série de propositions qui visent à nourrir la réflexion du Gouvernement sur les réformes à envisager afin de faciliter le respect des objectifs de dépense fixés.

Au mois d'avril, une note est consacrée à l'année à venir et aux propositions de dépenses associées au projet de loi de finances en vue de l'engagement des négociations avec les ministères.

En juin, une troisième note fait le point sur le résultat des conférences budgétaires et propose au Ministre des positions sur les sujets qui n'ont pas été réglés entre les services.

J'en viens à la prévision de l'exécution, puisque vous vous y intéressez également. La Direction du Budget transmet trois notes associées aux principales étapes de la procédure budgétaire : la première au début du mois d'avril, en liaison avec la note relative à la préparation du budget de l'année suivante, la deuxième, en juin, après l'achèvement de la première phase de la préparation du projet de loi de finances de l'année n + 1, et la troisième, au mois d'octobre, en liaison avec la préparation du projet de collectif budgétaire de fin d'année. Je ne sais pas depuis quand les choses fonctionnent ainsi, mais il y a très longtemps, me semble-t-il.

De ce point de vue, il paraît important de se demander quelles notes peuvent être systématiquement transmises - ou non - au Parlement. Nous sommes tous ici des responsables, quelle que soit la fonction que nous exerçons.

Il doit pouvoir exister une itération entre les directions et le Gouvernement, hors toute publicité. Sinon, connaissant la nature des institutions et des hommes, nous risquerions d'aboutir à une espèce de double circuit. Vous auriez d'un côté des notes destinées à la publication, de l'autre, des éléments plus confidentiels sur lesquels aurait lieu le véritable travail. Personne ne souhaite aboutir à ce résultat, je pense. Il faut de la transparence, mais il faut aussi que le Gouvernement - pas seulement le Ministère des Finances - puisse disposer d'un espace de réflexion et de débat internes qui préserve la liberté de proposition et d'écriture - j'allais dire de rature - de chacune des directions du ministère, ainsi que la liberté d'appréciation et d'arbitrage du Ministre et du Premier ministre.

C'est là qu'apparaît sinon une difficulté, du moins un champ de réflexion dont vous aurez certainement à entendre parler. Ce que j'appellerai espace de « proposition », de « rature » ou de « liberté », peu importe l'expression, sera d'autant plus légitimement protégé que seront mises en oeuvre par ailleurs des mesures de transparence consensuelle qui permettront au Parlement de connaître, dans les hypothèses sous-jacentes à la prévision budgétaire, les résultats précis de l'exécution. Pour être très concret, des mesures concernant la transparence seront présentées lors du débat d'orientation budgétaire.

C'est le cas, par exemple, de l'amélioration de la présentation du compte général de l'administration des finances, CGF, avec l'introduction des droits constatés pour les charges de la dette et de provisions pour dépréciations d'échéances fiscales et une nouvelle évaluation des dotations et participations, d'une comptabilisation plus fidèle des immobilisations, de l'introduction d'une annexe au bilan retraçant les engagements de l'État. Ces éléments, qui marquent déjà le franchissement d'une étape importante, tendent vers une meilleure appréciation de la situation financière et des engagements de l'État.

Autre exemple, le dépôt, au mois de juin, du projet de règlement pour l'exercice 1999, de manière à informer le Parlement des conditions d'exécution du budget de l'année précédente, avant même l'examen du projet de loi de finances pour 2001. La demande était formulée depuis longtemps.

Le projet de loi de règlement accompagné du compte général de l'administration des finances et amélioré, où vous disposerez, pour la première fois, des comptes rendus de gestion des ministères. C'est l'amorce d'un rééquilibrage entre, d'une part, la discussion sur le projet de loi de finances - qui tend vers une présentation plus globale et plus stratégique - et, d'autre part, l'examen de l'exécution qui devrait fournir l'occasion de se pencher sur les résultats obtenus ainsi que sur la situation patrimoniale.

En outre, dans le projet de loi de finances, nous irons dans le sens de la clarté de la budgétisation avec une présentation par programme et par acteur faisant apparaître les missions, les objectifs, les indicateurs de résultats. Une chartre de budgétisation devrait vous permettre de mieux vous y retrouver dans le budget et son périmètre d'année en année. S'il y a des modifications de présentation, il faut pouvoir, en effet, passer rapidement d'une présentation à une autre. Enfin, nous aurons une description des relations financières entre l'État et les organismes de sécurité sociale, comme on le demande depuis longtemps, et c'est d'ailleurs souhaitable.

Le déploiement de la démarche que je viens de vous exposer passera par un certain nombre d'étapes que je vais vous décrire.

Premièrement, la poursuite de l'amélioration de la présentation des comptes, avec une généralisation progressive des droits constatés afin de mieux cerner les charges d'exercice et de rapprocher les résultats obtenus.

Deuxièmement, la description des engagements en matière de retraites, dans le cadre de l'annexe hors bilan. Elle sera progressivement mise en oeuvre dans un cadre méthodologique qui devrait être partagé avec nos principaux partenaires européens.

Troisièmement, le développement du contrôle de gestion dans les services de l'État et la professionnalisation de la gestion immobilière qui constituent des objectifs également importants pour l'amélioration de la gestion concrète de l'État et de son patrimoine. Le Ministère des Finances anime déjà depuis un certain temps des travaux interministériels sur ces thèmes afin d'élaborer des propositions opérationnelles qui pourraient être soumises à l'adhésion du Gouvernement avant la fin de cette année.

M. le Président. - Monsieur le Ministre, vous venez, certes, de prendre récemment vos fonctions. Nos travaux ont donc un caractère quelque peu rétrospectif. Mais il nous semblait inimaginable de ne pas commencer par entendre le Ministre de l'Economie et des Finances. C'était l'occasion d'avoir de plus amples informations sur ce que vous comptiez faire dans le domaine de la transmission et de la circulation de l'information entre l'exécutif, que vous incarnez, et le législatif.

Avant de donner la parole à M. le Rapporteur général, je dois indiquer que nous avons une idée, que je crois partagée, du bon équilibre de nos institutions. Il ne s'agit d'aucune façon de gêner le Gouvernement, car ce ne serait pas bon pour la France. Mais il faut en même temps que les règles de la démocratie les plus élémentaires, ou les plus fondamentales, soient respectées. Vous-même les avez rappelées avec force lorsque vous étiez président de l'Assemblée nationale. Nous devons dégager la voie de la conciliation, tel est l'objet des travaux que nous devons conduire à bien.

M. Philippe Marini, Rapporteur général.- C'est une grande chance pour nous, et qui augure bien des travaux de notre commission, que de pouvoir auditionner à ce stade de nos travaux un Ministre qui vient de prendre ses fonctions juste après avoir exercé des responsabilités éminentes au sein du pouvoir législatif, ce qui le rend à même de comprendre encore mieux nos préoccupations.

Et ce, d'autant plus qu'en d'autres temps, ce Ministre a lui-même exercé les fonctions de Ministre du Budget et de Premier ministre. Comme vous l'avez mis en évidence, toutes ces procédures décrites sont, dans leur principe, définies depuis longtemps et s'appliquent dans la continuité. Pour ma part, je serais tenté de vous poser les questions suivantes.

Au moment où vous prenez des responsabilités éminentes, quels sont les éléments d'information sur lesquels vous êtes susceptible de fonder votre appréciation des marges de manoeuvre dont vous disposez ? Car telle est bien la question essentielle qui se pose au politique. Comment peut-il faire évoluer les choses ? Comment, à partir d'une situation donnée, peut-il imprimer sa marque ?

Qu'est-ce que cela signifie en matière d'élaboration et de suivi de l'exécution des lois de finances ? Nous bénéficions d'une conjoncture heureusement très porteuse, dont nous avons vu les effets dans les résultats de l'année 1999. Or, cette conjoncture va induire des conséquences spécifiques pour l'exercice 2000. Comment suivre en temps réel les effets de la conjoncture sur l'estimation des recettes fiscales ? Comment demeurer prudent tout en répartissant ce qui peut l'être ? De ce point de vue, quels sont les instruments de votre tableau de bord ?

De la même manière, s'agissant des dépenses, existe-t-il parmi ces instruments une appréciation, par exemple, des crédits susceptibles d'être mis en réserve si la conjoncture l'exigeait ? Autrement dit, prenant vos responsabilités au début de l'exercice budgétaire, sur quels instruments pouvez-vous fonder vos appréciations afin de piloter l'exécution budgétaire ?

M. Laurent FABIUS. - Ces questions décrivent effectivement la problématique, et je vais m'efforcer d'être le plus concret possible.

D'abord, quelles informations m'ont été communiquées à mon arrivée ? En prenant mes fonctions, j'ai été saisi d'une note relative à l'appréciation portée par la Direction de la Prévision sur la situation économique et ses perspectives. Cette note mettait en évidence la bonne situation conjoncturelle de l'économie française. Les informations tirées des enquêtes de conjoncture confirmaient qu'elle était sur un rythme de forte croissance pour toutes les raisons que vous savez. En matière de prévision, les budgets économiques réalisés permettaient de tabler, toujours selon la Direction de la Prévision, sur une accélération de la croissance en l'an 2000, par rapport à 1999, mais sur une légère décélération en 2001. D'après la note, les mesures prises dans le collectif budgétaire pourraient conforter le scénario de croissance qui avait été envisagé.

Par ailleurs, j'ai reçu de la direction du budget les premiers éléments d'information sur l'exécution du budget de l'État. Les documents qui m'ont été communiqués étaient des documents publics, que vous avez donc eus puisqu'ils sont publiés mensuellement dans les notes bleues. Ils s'intitulent « La situation du budget de l'État » et ils analysent, mois par mois, l'évolution des dépenses et des recettes. Un peu plus tard, au mois d'avril, la Direction du Budget m'a transmis les premiers éléments d'une prévision d'exécution pour 2000.

De même, j'ai reçu, à mon arrivée, les résultats des travaux de programmation à moyen terme réalisés par la direction du budget au début de chaque année, depuis maintenant deux ans. L'exercice consiste essentiellement à éclairer la réflexion du Gouvernement sur l'effort envisageable pour atteindre les objectifs fixés.

Si j'élargis mes réponses, pour coïncider très exactement avec les préoccupations exprimées par le Rapporteur général, je dois parler de la marge de manoeuvre. Par rapport à ce que j'ai connu il y a quelques années, je vois deux éléments supplémentaires.

D'abord, l'aspect absolument décisif de la situation européenne et de nos engagements européens. Désormais, nous travaillons en liaison avec nos collègues. La relation n'est pas seulement théorique. La France a fait connaître aux autorités européennes, la Commission ou nos partenaires, un certain nombre de prévisions et même d'engagements en matière de dépenses publiques et en matière budgétaire. Comme nous agissons dans le cadre d'une coopération économique qu'au demeurant nous, Français, revendiquons, il est évident que la coopération s'applique d'abord à nous-mêmes. Cet élément, qui n'existait pas il y a quinze ans ou même dix ans, est déterminant. C'est une donnée quand on réfléchit aux marges de manoeuvre, c'est-à-dire à ce que l'on peut ou non modifier.

Ensuite, il en va de l'État comme de nos collectivités territoriales : pour pouvoir bien travailler, il faut pouvoir se placer sous un horizon pluriannuel. C'est là que s'aperçoit l'incidence de ce que nous faisons, ou ne faisons pas. Puisque vous allez vous pencher sur l'ordonnance du 2 janvier 1959 que cette dimension temporelle ne devra pas être négligée. L'annualité est une contrainte. Dans le bon et dans le mauvais sens.

Pardonnez-moi quelques mots incidents, mais à l'époque où cette ordonnance a été bâtie, elle était certainement nécessaire en réaction contre un certain nombre d'excès, bien connus, de la IV e République. Oui, mais nous voici quarante ans plus tard. Ni la comptabilité ni l'environnement ne sont les mêmes. Des souplesses doivent être recherchées. La notion de lisibilité est absolument déterminante. Quelle entreprise pourrait travailler si on lui interdisait de s'ouvrir une perspective à moyen terme - je ne dis même pas à long terme ? Nombre d'entre vous animent un département, une commune ou une région, si l'on vous demandait de vous consacrer à l'année prochaine, en vous interdisant toute perspective sur les années suivantes, ce ne serait pas facile ! Marges de manoeuvre, oui, mais non sans garder à l'esprit qu'il y a, d'une part, l'environnement européen horizontalement, si je puis dire, et, d'autre part, cette fois verticalement, le moyen terme et le long terme.

Cela dit, existe-t-il la possibilité d'une mise en réserve de crédits qui auraient vocation à être annulés en cas d'affaiblissement de la conjoncture ? Là, le système a été modifié voilà quelques temps, mais pas d'une façon heureuse.



Quand on se penche sur l'histoire budgétaire des vingt-cinq dernières années, on s'aperçoit que tout a été inventé. Je me souviens, par exemple, du « Fonds d'action conjoncturelle » qui existait à un certain moment. Autre chose lui a succédé. Avec le FAC, on partait d'une certaine perspective de croissance, sachant qu'il pouvait toujours arriver « un pépin », auquel cas, il fallait pouvoir corriger la trajectoire. Évidemment, les effets pervers sont apparus très vite, un peu comme si s'appliquait le principe d'Heisenberg - la simple observation de la trajectoire d'un élément modifie l'élément lui-même. Un ministre dépensier pensait à ce qui allait être mis en réserve conjoncturelle et on agissait de telle manière que, même si on se heurtait au problème conjoncturel, il arrivait à financer ce qu'il voulait financer. Dans ces conditions, le Ministre de l'Economie et des Finances devait manifester encore plus d'imagination pour que la conjoncture soit vraiment la bonne !

Il y a un ou deux ans - peut-être même au début du Gouvernement de Lionel Jospin - a été mis en place une procédure que je juge pertinente, appelée « contrat de gestion ». Vous vous souvenez - je vous l'ai d'ailleurs dit la semaine dernière alors que vous me receviez pour débattre du DOB - qu'une des bases de notre stratégie des finances publiques consistait, à partir d'une analyse théorique de celles-ci, à projeter un niveau de dépenses sur plusieurs années qui ne soit pas sensible à la situation conjoncturelle.

Si celle-ci s'améliore au-delà des prévisions, nous engrangeons des recettes supplémentaires qui nous procurent des ressources pour les jours où la conjoncture se retournera. A l'inverse, si nous assistons à une décélération de la conjoncture, mais à condition qu'elle se tienne dans des limites raisonnables, nous n'amputons pas trop les dépenses, ce qui, du même coup, permet, keynésianisme ou pas, peu importe, de faire jouer au budget le rôle incitatif qu'il peut avoir en bonne théorie économique.

La procédure exige évidemment d'avoir un rythme constant de projection de la dépense quelle que soit, au fond, la conjoncture. C'est ce que nous avons fait au cours des deux ou trois premières années de ce Gouvernement. Nous ne nous en sommes pas mal trouvés.

Mais, et c'est là où je voulais en venir, en lançant les « contrats de gestion », le Gouvernement de M. Jospin a responsabilisé les ministères. Nous les invitons à gérer leurs crédits en fonction de l'évolution de la situation, en prévoyant et en redéployant, c'est selon, parce que personne ne connaît mieux son budget que le Ministre qui le dirige. Certes, il a des objectifs à ne pas dépasser, mais dans ce cadre ce n'est pas à nous, Ministère des Finances, de décider qu'il vaut mieux faire ceci plutôt que cela. Nous devons être informés, bien sûr, mais nous passons avec le Ministre un contrat de gestion. Respectueux de ses propres initiatives, mais un contrat en vertu duquel les objectifs ne seront dépassés en aucun cas.

A l'expérience que nous en avons, les contrats de gestion sont probablement plus efficaces que les inventions du passé parce qu'ainsi les ministres, pour parler familièrement, sont « mis dans le coup ». Il n'y a plus cette pratique, connue maintenant de bon nombre d'entre nous, qui consiste à décider à Bercy que puisqu'il manque X francs, tout le monde va passer sous la même toise. Moyennant quoi, les investissements étaient amputés considérablement et les décisions n'étaient pas toujours très pertinentes. La procédure du « contrat de gestion » est plus « participante », ou plus « impliquante », que les fonds d'action conjoncturelle et autres techniques auxquelles on avait recours auparavant. Je pense donc que cette procédure est bonne.

Dernier point, Monsieur le Rapporteur général, vous me demandez si j'ai en cours d'année des informations sur les recettes fiscales : cette question, tout à fait d'actualité ces jours-ci, est très complexe. Il vous faudra vous y pencher.

Chaque mois paraît un état de la situation. Nous sommes au mois de mai : compte tenu de ce que sont nos règles d'acompte, compte tenu aussi des difficultés techniques considérables, nous avons beaucoup de mal à évaluer, à ce stade de l'année, quelle sera exactement l'exécution en matière de recettes. Cela peut paraître assez étrange, car nous-mêmes, en tant que particuliers, nous avons une idée, au moins approximative, de nos rentrées et de nos sorties...

Pourtant, cet état de fait peut expliquer un certain nombre de mécomptes du passé : au fond, on ne sait qu'assez tardivement comment va se dérouler l'année.

Pour ce qui concerne les rentrées, le dernier état de la question vient d'être publié, et le degré de complexité où se situent les choses rend les comparaisons extrêmement malaisées. On m'a par exemple indiqué - je n'ai pas vérifié moi-même - que, pour l'année précédente, l'une des difficultés de décalage rencontrées provenait de recettes d'impôt sur les sociétés de fin d'année qui, à pareille époque, étaient très difficilement prévisibles.

Il y a donc un suivi infraannuel, ce qui est très intéressant. Mais, en l'état actuel de nos prévisions, l'idée que l'on pourrait, au jour le jour, savoir comment se terminera l'année est malheureusement infondée. Sur ce point, nous avons des progrès à faire  !

M. Roland du Luart. - Avez-vous eu connaissance du rapport Bonnet-Nasse et de la liste d'économies potentielles auxquelles il fait allusion ? Pensez-vous pouvoir utiliser ce rapport dans votre fonction ?

Par ailleurs, est transmis chaque année à la Commission européenne un programme pluriannuel dans lequel le Gouvernement s'engage à un taux de progression des dépenses en volume. Or, en 1999, ce taux n'a pas été respecté puisque, comme l'a récemment remarqué la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances de 1999, les chiffres du Gouvernement ont été établis hors dépenses exceptionnelles, alors que la Cour estimait que celles-ci auraient dû être prises en compte. Comment sont comptabilisées ces dépenses exceptionnelles dans les autres États de l'Union ? Quelle a été la pratique de votre Ministère pour les exercices précédents ?

En outre, comme ce programme pluriannuel sur les finances publiques est transmis chaque année en décembre à la Commission européenne, alors que l'exécution budgétaire n'est pas terminée, les deux derniers programmes se sont révélés en contradiction avec la réalité des dépenses publiques. Ne faut-il pas une coordination plus étroite entre la présentation pluriannuelle, l'élaboration de la loi de finances et son exécution ?

M. François Trucy. - Monsieur le Ministre, par notre expérience d'élus locaux, nous savons qu'au moment des choix et des arbitrages a lieu un dialogue précis entre l'exécutif et le spécialiste des finances. Comment se passe le dialogue entre le Premier ministre et son Ministre des Finances, présumé reposer sur un rapport sincère et véritable de l'un à l'égard de l'autre ? Le Ministre des Finances fait-il état des réserves de prudence qu'il a senties chez ses différents collaborateurs et qui tendent à minorer les recettes pour ne pas se tromper, pour se ménager une marge et garder des disponibilités ? Fait-il état de ces réserves afin que le Premier ministre ait une véritable appréciation qui éclaire ses choix ?

De façon plus générale, nous sommes nombreux ici à partager l'opinion du Président de la commission, qui, considérant le débat budgétaire au Parlement, le trouve conformiste, lourd, long, comportant des rites certes très sympathiques et chaleureux, mais tout à fait stériles au regard de la minuscule marge du budget sur laquelle peut peser le Parlement. Que pensez-vous de cette procédure, compte tenu également de votre expérience en tant que Président de l'Assemblée nationale ? Avez-vous des idées pour réformer ce débat de façon à le rendre à la fois plus utile, plus rapide et plus vivant ?

M. Maurice Blin. - Monsieur le Ministre, je m'adresserai d'abord non pas seulement au responsable actuel de nos finances, mais aussi à l'ancien Président de l'Assemblée nationale et, plus lointainement, au responsable du budget, pour lui poser une question qui m'habite et dont je ne me défais pas.

La procédure budgétaire a atteint en France un degré de médiocrité reconnu de tous et subi par tous. Y a-t-il un moyen de davantage intéresser le Parlement - au sens précis du verbe - à l'élaboration et, ensuite, à la sanction du budget ?

Peut-on éviter les deux écueils qui se présentent ? Nous connaissons bien le premier : c'est que l'on nous apporte un paquet bien ficelé sur lequel nous n'avons qu'une petite faveur à nouer autrement, c'est-à-dire à peine 5 % ou 6 % des crédits, tout le reste étant joué d'avance. Dès lors, à quoi servons-nous, et comment s'étonner de l'absence des parlementaires aux séances budgétaires ?

L'autre écueil, auquel se heurtent les États-Unis et quelques pays à tradition démocratique et parlementaire forte, c'est de vouloir associer authentiquement la majorité du Parlement à la préparation du budget.

La première façon de faire est manifestement insuffisante, et la seconde nous paraît tout à fait utopique. Y aurait-il moyen de trouver une cote mieux taillée entre ces deux extrêmes ? Qu'en est-il de nos voisins européens ? Je ne manque pas de poser la question chaque fois que je rencontre une personnalité susceptible de nous informer sur ce point, mais jusqu'à présent les réponses ne me viennent guère ! Pour les Britanniques, on en a quelque idée. Les Allemands, par exemple, associent davantages les länder , mais ils ont des partenaires bien connus ; c'est un pays fédéral, ce qui n'est pas notre cas.

Les Allemands s'adonnent à la pluriannualité, et cela me paraît mériter réflexion. J'ai d'ailleurs beaucoup apprécié ce que vous avez dit tout à l'heure sur l'impératif désormais incontournable que représente la pluriannualité. Certains pays d'Europe la pratiquent depuis longtemps ; pourrait-on aller plus loin ? Je le crois.



Pourrait-on aller jusqu'à fixer de façon durable, donc pluriannuelle, un pourcentage de croissance - ou de stabilité, comme on voudra - de l'investissement public ? Je le demande parce que, depuis quelques années, bien avant votre arrivée, d'ailleurs, c'est l'investissement public qui a payé le prix des tentatives tantôt de réduction de la dette, tantôt de réduction du déficit budgétaire, tantôt de stabilité générale de l'économie. Ce procédé est d'autant plus tentant qu'il ne fait de mal à personne, tout au moins dans l'immédiat, et rares sont les électeurs qui s'attachent à ce problème. Le fonctionnement, en revanche, est intouchable, on l'a bien vu il y a peu. Ce n'est pas sain et c'est grave, vous l'avez dit vous-même.

Pourrait-on fixer, pour une durée de cinq ans par exemple, un quota et un pourcentage d'investissement public qui seraient sacrés, tabous ?

Je voudrais également évoquer l'emprunt. Cette année, nous allons encore emprunter, je crois, plusieurs centaines de milliards de francs. C'est beaucoup ; certains penseront que c'est trop. Pour quoi le fait-on ? Pourrait-on au moins connaître d'entrée de jeu - et je ne la connais pas : qui la connaît autour de cette table ? - la nature de l'affectation de ces emprunts ? S'ils ne vont qu'à de l'équipement, cela peut se défendre, celui-ci étant, par définition, rentable sur de longues durées. En revanche, je suis très inquiet lorsque, comme cela a été le cas à plusieurs reprises dans le passé, on emprunte pour payer des dépenses de fonctionnement, ce qui, vous le savez, est parfaitement interdit à toutes les communautés de France. En clair, cela interdirait à l'État de faire ce qu'il se permet et qu'il interdit lui-même à ses agents principaux. Pourrait-on sur ce point, au moins, caler des chiffres connus, simples et réconfortants ? Si j'emprunte pour équiper, je sers mon peuple ; si j'emprunte pour fonctionner, je le dessers gravement.

M. Jacques Chaumont. - Monsieur le Ministre, vous avez donné tout à l'heure une dimension européenne à votre intervention. La consultation de la Banque de France joue-t-elle dans les décisions budgétaires ? La Banque centrale européenne peut-elle éventuellement être consultée ?

Par ailleurs, est-il concevable, compte tenu de nos engagements européens, d'avoir encore des politiques budgétaires réellement différentes, avec un contenu véritablement politique, ou bien les choix qui s'exerceront seront-ils, pour les années à venir, des choix essentiellement de recettes techniques ?

M. Jacques Pelletier. - Monsieur le Ministre, dans des vies antérieures, je me suis beaucoup élevé contre la tentation, voire la volonté des fonctionnaires des finances d'aller dans l'extrême détail des articles budgétaires des ministères techniciens.

Je comprends que le Ministère des Finances fixe un plafond global de dépenses, je comprends même qu'il aille jusqu'à fixer un plafond de dépenses par grand chapitre. Mais l'Administration des Finances, d'après mon expérience, allait beaucoup plus loin. J'ai connu dans mes fonctions un seul Ministre du Budget qui ait su échapper à cette tentation : c'était Michel Charasse. Je tiens à lui en rendre hommage.

Vous nous avez parlé de contrats de gestion avec les ministères afin de responsabiliser ceux-ci. C'est une très bonne idée. Cela signifie-t-il que votre administration fiscale n'ira plus trop dans le détail au moment de la discussion budgétaire avec les ministères techniciens ? Si c'était cela, ce serait un grand pas vers quelque chose que nous souhaitions depuis longtemps.

M. Paul Loridant. - Monsieur le Ministre, si la partie « dépenses » est importante, le Ministre des Finances garde néanmoins la possibilité - c'est toujours très simple, même si nous le contestons alors ! - de freiner ou d'accélérer les dépenses, et, à la limite, d'en contenir le volume si la conjoncture et les rentrées des recettes viennent à faillir.

En vérité - je voudrais me livrer à une réflexion un peu philosophique sur le fonctionnement du budget de l'État - ce qui m'intéresse, notamment dans la conjoncture actuelle, c'est la partie « recettes » : je suis frappé de l'ampleur des effets cumulatifs, aussi bien à la hausse qu'à la baisse, en cas de reprise ou de récession économique. J'ai le souvenir du temps où Pierre Bérégovoy, pour qui j'avais beaucoup d'estime, a vu son budget déraper parce que la récession était là. D'une certaine façon, nous avons vécu l'année 1999 en sens inverse.

La vraie difficulté pour un Parlement - puisque je me place ici du point de vue de commissaires qui veulent faire honnêtement, de façon très rigoureuse et très vigilante, leur travail de membres de la commission des finances - est de se situer par rapport au Ministère des Finances sur ces phénomènes cumulatifs.

Ma question est donc relativement simple et naïve : où peut être cette vigie éclairée qui donnerait des informations au Ministre, certes, mais aussi à la représentation nationale, l'instance qui doit voter le budget ? Doit-elle nécessairement être au sein du pouvoir exécutif ? Si oui, comment fait-elle alors partager, de façon démocratique, ses informations au Parlement ? Doit-elle au contraire être au Parlement ? Ou bien faut-il créer un instrument spécifique ? Cela revient peut-être à se poser la question de savoir comment on peut réformer l'ordonnance de 1959 !

Quoi qu'il en soit, nous partageons tous, d'une façon ou d'une autre, une certaine insatisfaction.

M. Michel Charasse . - Je suis tout à fait convaincu de la nécessité de la pluriannualité. On la pratiquait déjà autrefois, on est obligé de le faire de plus en plus, notamment à cause de nos engagements européens. Mais comment peut-on tenir la pluriannualité, dès lors qu'elle n'est pas faite à la soviétique, quand il y a des élections tous les quatre matins, des gens indisciplinés, des manifestations corporatistes, sans parler des événements internationaux imprévisibles et des aspirations européennes liées aux foucades du Parlement européen ou aux imaginations débordantes des présidences européennes successives ?

En d'autres termes, avez-vous demandé une analyse des conséquences que pourraient avoir les imprévus sur un fonctionnement pluriannuel ? En particulier, avez-vous demandé plusieurs scénarios qui tiendraient compte, justement, des éléments qui font que la pluriannualité n'est pas respectée ? Et si elle n'est pas respectée, c'est qu'elle ne peut pas l'être : on ne fait pas marcher les hommes comme un adjudant-chef fait marcher ses soldats.

Ma question porte donc sur la question de la fragilité de la pluriannualité.

Par ailleurs, de quelle marge estimez-vous que nous disposons pour modifier l'ordonnance de 1959 sans remettre en cause la Constitution de 1958, sans empêcher le Gouvernement de gouverner, sans rétablir un régime d'assemblée, sans rendre l'initiative de la dépense au Parlement et sans supprimer les contraintes que fait peser l'article 40 sur l'augmentation des dépenses ? Si l'on écarte tout ce qui fait l'originalité du régime de 1958, que reste-t-il que l'on puisse modifier dans l'ordonnance de 1959 ? À mon avis, il reste une chose : ce serait, comme dans les budgets communaux, de voter les recettes à la fin, alors que, actuellement, on les vote au début.

J'aimerais beaucoup avoir votre appréciation sur ce point, si, bien entendu, le Ministre des Finances a eu le temps de réfléchir à une question que n'a pas manqué de se poser pendant des années le Président de l'Assemblée nationale.

M. le Président. - J'ai été conduit, vraiment sans plaisir, à harceler votre prédécesseur pour lui demander de me communiquer la situation hebdomadaire d'exécution du budget. Cette transmission m'a toujours été refusée, pour un motif d'ailleurs empreint de délicatesse : c'était pour m'éviter la peine d'avoir entre les mains un document que je ne pourrais probablement pas comprendre !

M. Michel Charasse. - Il n'y a qu'à prendre votre carte de presse et entrer au Monde !

M. le Président. - Monsieur le Ministre, pensez-vous pouvoir me la transmettre, étant entendu que je pourrais comprendre que vous souhaitiez vous réserver le temps d'avoir vous-même examiné l'ensemble de son contenu ? Elle est hebdomadaire, donc se périme vite, mais peut-on changer les choses sur ce point ? Car une telle situation n'est agréable ni pour le Ministre harcelé, ni pour le Président de la commission qui harcèle ; et je n'ai pas envie de vous harceler.

Vous avez parlé de pluriannualité. J'ai pris bonne note de votre intention de nous transmettre les hypothèses sur lesquelles reposent les projets financiers du Gouvernement, et je vous ai fait part de notre souhait que vous nous communiquiez celles qui sous-tendent le programme de stabilité pour 2000-2003. Ces éléments seraient très précieux dans la mission que nous avons reçue, car ce sont eux qui nous permettent de suivre la trajectoire des comptes et de vérifier que les objectifs fixés par l'exécutif - et qui doivent être fixés par l'exécutif - seront atteints. Pouvons-nous compter sur vous pour la transmission de ces documents ? J'indique - mais vous le saviez déjà - que, dans cette maison, vous ne craignez pas qu'on vous demande de dépenser davantage. Tel n'est pas le but de nos demandes.



Je terminerai par une observation qui prolongera celle de M. Charasse. En coopération avec l'Assemblée nationale, nous allons nous atteler à la réforme de l'ordonnance de 1959. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. M. Charasse vient de nous en rappeler les contraintes, et je souscris à toutes celles qu'il a posées il y a un instant. Mais modernisons ! Et, Monsieur le Ministre, votre première année dans les fonctions qui sont les vôtres, pardonnez-moi de le dire avec peut-être trop d'insolence, c'est sans doute l'occasion ou jamais de moderniser la discussion budgétaire dont M. Loridant, après M. Blin, soulignait tout à l'heure qu'elle n'est plus digne d'une assemblée parlementaire. Nous pouvons peut-être, dans un premier temps sans modifier l'ordonnance, introduire à titre expérimental dans le détail budgétaire des éléments sur lesquels on ne votera pas, mais qui seront des éléments heureux d'information - nous parlions de la pluriannualité - pour adopter le budget de notre pays.

M. Laurent Fabius. - Je m'efforcerai de répondre à toutes vos questions, dont je vous remercie. Si je ne le fais pas suffisamment, vous ne m'en voudrez pas, Monsieur le Président, d'apporter quelques compléments par écrit.

Je commencerai par vos propres questions, Monsieur le Président, comme il est normal.

Il est exact que la situation hebdomadaire du budget, même pour des esprits aussi préparés que les nôtres, ressemble parfois, le talent en moins, à des poèmes de Mallarmé, dont un écrivain fameux disait : « Mallarmé : poète abscons qui n'a pas su s'exprimer. » Au demeurant, la situation mensuelle n'est pas non plus d'une clarté limpide ; j'y faisais allusion en commentant ce document, que j'ai moi-même reçu ce matin.

Cela dit, il va de soi que nous n'avons pas de secret pour vous. Je pense, pour ne pas vous surcharger, vous faire parvenir le document tous les quinze jours. Cela permettrait d'améliorer les choses et, petit à petit, en les étudiant, peut-être nous apercevrons-nous que nous comprenons plus facilement, vous et moi, que ce que nous pensions au départ.

Je donnerai donc des instructions pour que l'on communique bi-mensuellement ces situations à la fois au président et au Rapporteur général des commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne les hypothèses pour le programme de stabilité 2000-2003, il n'y a pas de difficulté.

J'ai noté - vous connaissez la célèbre formule de Tristan Bernard : « J'ai une excellente mémoire, j'oublie tout » ; sur ce point je n'oublierai pas - que, dans cette maison, il n'y a pas de risque que l'on propose de dépenser davantage. Je suis sûr que, à l'occasion, Mme Parly vous le rappellera.

M. Michel Charasse. - Il s'agit de la majorité sénatoriale, naturellement !

M. le Président . - Et uniquement pour les crédits de fonctionnement !

M. Laurent Fabius. - Plusieurs d'entre vous sont revenus à juste titre sur la discussion budgétaire, et tous auraient pu le faire. La façon dont vous organiserez vous-mêmes la discussion budgétaire, évidemment, vous revient. J'essaierai, à partir de l'automne, de vous donner plus de renseignements, des renseignements plus utiles surtout, et d'aller vers plus de transparence. J'ai évoqué ce point tout à l'heure.

Ensuite, la façon dont on peut faire mentir la célèbre formule du président Edgar Faure, litanie, lithurgie, léthargie, c'est un petit peu à chacun et à chacune de l'imaginer. Le problème demeure que cet exercice est extrêmement complexe et charrie des éléments très divers.

La partie intéressante du débat de la loi de finances est, à mon avis, celle où l'on discute grands équilibres, perspectives, grands choix, priorités. Mais il y a aussi la partie - qui, ayons l'honnêteté de le reconnaître, est souvent réclamée par nombre de vos collègues - où certains interviennent sur des sujets qui, dans une certaine vision des choses, ne mériteraient peut-être pas de mobiliser l'attention de la totalité de l'hémicycle, comme la situation des abattoirs dans telle ou telle région ou le développement des routes dans telle autre. Cependant, je ne verrais aucun inconvénient à ce que vous canalisiez autrement ce type d'éléments, notamment en les réservant pour les questions orales, pour les questions d'actualité ou par des procédures écrites.

La discussion budgétaire, ce sont tout de même les grands choix. Ce n'est pas la pratique, à l'Assemblée nationale en tout cas. Je ne sais pas si c'est exactement pareil au Sénat, mais peut-être y a-t-il entre les deux hémicycles certains éléments de contagion !

M. le Président. - Cela reste imparfait !

M. Laurent Fabius. - Nous avons donc ce que j'appellerai, d'un terme neutre, une discussion composite, avec, d'un côté, de grandes perspectives, de grands arbitrages, de grands choix, de grands éléments de discussion, et, de l'autre côté, des thèmes qui, souvent, sont un peu mineurs. Je pense que c'est là, dans cette hétérogénéïeté, dans cette juxtaposition, que réside la difficulté principale.

J'ajoute qu'il y en a une autre : c'est ce qui est dit en séance publique, parfois moins bien, et ce qui a été dit de façon plus ramassée en commission. Du même coup, l'exercice est fait deux fois, ce qui vous fait perdre votre temps et ôte beaucoup de son intérêt à la chose.

Je vous fournirai donc des documents j'espère plus intéressants, plus lisibles. Ensuite, je me prêterai, de même que mes collègues « dépensiers », à la discussion comme vous voudrez l'organiser.

Je reviens rapidement aux différentes interventions.

Pour ce qui est du rapport de MM. Nasse et Bonnet, je vous ferai passer une note, Monsieur du Luart, sur la façon dont on peut l'utiliser.

La Cour des Comptes a peut-être été, dans une rédaction intermédiaire, quelque peu sévère sur tel ou tel point de la programmation pluriannuelle. J'ai tout de même le sentiment - mais, bien sûr, cette analyse est libre - que nous avons grosso modo tenu les engagements que nous avions pris en la matière. Je ne sais pas si les dépenses exceptionnelles sont comptabilisées de la même manière dans les autres pays ; peut-être. Je crois néanmoins - mes collègues de la Commission européenne m'en ont rendu témoignage, d'autant plus que ce n'était pas à moi que cela s'adressait, puisque je n'étais pas alors au Gouvernement - que nous sommes attachés à respecter ce que nous avions dit.

Je vous suivrai davantage sur la transmission du programme pluriannuel, sans pour autant entrevoir de solution à ce stade. Vos remarques sont tout à fait pertinentes. Nous avons des dates  -habituellement, c'est au mois de décembre que nous transmettons les documents concernés- mais ce ne sont pas exactement les mêmes que celles de notre exercice interne, si bien que c'est trop tôt pour les uns, trop tard pour les autres. Il faut donc que nous réfléchissions à la façon dont nous pourrions harmoniser les exercices. Je vous propose d'y réfléchir et de faire des suggestions. Actuellement, j'en suis d'accord, ce n'est pas très satisfaisant.

Vous avez parlé de coordination plus étroite des politiques économiques, et notre collègue s'interrogeait sur notre marge de manoeuvre.

La France plaide, en particulier dans le cadre de l'euro, pour une meilleure coordination des politiques économiques ; l'un de mes prédécesseurs parlait même volontiers de « gouvernement économique » - une formule qui fait image ! Cela ne signifie pas, heureusement, que notre politique économique et budgétaire ne comporte pas d'éléments d'autonomie, mais il est vrai que l'orientation générale de nos politiques, au moins au sein de l'« Euro 11 », doit être convergente. C'est la conséquence des traités que nous avons signés, c'est la logique de l'institution, et c'est le choix de l'euro. Comment voudrait-on avoir une monnaie unique si l'essentiel des politiques économiques divergeait ? Elles doivent non pas être identiques sur tous les points, mais au moins harmonisées.

Nous, Français, réclamons, je crois à juste titre, plus de coordination économique. C'est une nécessité, en particulier pour l'euro. Nous n'allons pas conduire aujourd'hui un débat sur ce thème, mais si l'euro se trouve dans une situation à certains égards difficiles, c'est sans doute en partie parce que se pose la question, pour reprendre la formule d'Henry Kissinger : pour parler de l'euro, qui puis-je appeler au téléphone ? En tout cas comme responsable politique ! Si nous voulons une monnaie unique stable, si nous voulons une situation économique prospère par rapport à celle des autres grands ensembles, il nous faut une coordination plus forte, c'est-à-dire non pas identité sur tous les points, mais au moins harmonisation.

Monsieur Trucy, vous m'interrogez sur le dialogue entre le Premier ministre et le Ministre des Finances. J'ai cette chance, liée aux hasards de l'histoire, d'avoir été des deux côtés, Premier ministre avec Pierre Bérégovoy pour Ministre des Finances, et aujourd'hui Ministre des Finances dans une situation différente. Eh bien, cela dépend des Premiers ministres et des Ministres des Finances ! Je peux vous dire ce que je faisais quand j'étais à Matignon. Je faisais grande confiance à Pierre Bérégovoy, et il menait son affaire. Je crois qu'il avait Henri Emmanuelli comme ministre délégué ou comme secrétaire d'État au budget, qui recevait les ministres. Ils regardaient les choses ensemble. Quand devait être rendu un arbitrage un peu difficile, il venait à la connaissance du Ministre de l'Economie et des Finances, et quand l'arbitrage était vraiment compliqué, il était traité ensuite entre le Premier ministre et le Ministre des Finances.

Le processus que je viens de décrire est particulièrement vrai au moment où se font les arbitrages, c'est-à-dire entre juin et août ; mais, en général, le Premier ministre et le Ministre des Finances se voient toutes les semaines, et les choses se font souvent de façon informelle.

Les pratiques sont sans doute différentes selon les personnalités, mais, en général, c'est ainsi que cela se passe.

Sur la question des recettes globales, il n'y a pas beaucoup de discussion, parce que, lorsqu'on a défini le probable taux de croissance et quelques autres éléments, les recettes sont du même coup fixées. Là où il y a davantage discussion, c'est sur la question de savoir ce que l'on fait spécifiquement pour tel ou tel impôt. Généralement, on arrête cela au mois d'août, même si certains journaux croient que c'est tranché en avril, voire en janvier. Cela leur permet de faire des titres, ou même de vendre quelques exemplaires supplémentaires !

Plusieurs d'entre vous ont souligné que le débat budgétaire n'est pas intéressant ou plutôt vivant. J'évoquerai plusieurs éléments.

Il y a d'abord une spécificité française tout à fait regrettable. Alors que, dans la quasi-totalité des autres pays, le débat a lieu sur le point de savoir ce que l'on va faire dans une situation qui est donnée, en France, le débat porte sur la situation elle-même. Et quand je dis cela, je n'invente rien, puisqu'il paraît même que, parmi les causes qui expliqueraient la dissolution qu'a prononcée un Président de la République - je ne peux pas totalement lui reprocher de l'avoir fait, sinon je ne serais pas nécessairement devant vous ! - figure le fait qu'on lui aurait soumis une analyse selon laquelle la situation financière et budgétaire était à ce point impossible qu'il valait mieux dissoudre dans le mois ou les mois qui venaient plutôt que d'affronter l'année suivante avec les catastrophes qu'elle réserverait.

Je reconnais à sa décharge rétrospective que l'excellence du Gouvernement qui a suivi nos prédécesseurs a certainement été la cause que cette situation dramatique s'est retournée tout d'un coup...

M. le Président. - C'est une hypothèse !

M. Laurent Fabius. ... et a permis que les orages redoutés ne se produisent pas. Mais il faut être modeste dans la vie, surtout quand on parle des autres. Si cette explication joue certainement pour beaucoup, elle n'est peut-être pas la seule !

Nous avons tout de même un génie extraordinaire pour porter la discussion sur ce que j'appellerai - le terme est à la fois trivial et littéraire - le « degré zéro de la politique », en d'autres termes : qu'y a-t-il dans la caisse ? Il n'y a pas un pays développé au monde où la question principale soit celle de la situation réelle. Dans un pays démocratique comme le nôtre, le débat politique doit porter sur ce que l'on peut faire, compte tenu de la situation, en matière d'investissement, de fonctionnement, d'impôts, de déficit... En France, il n'en va pas ainsi, et l'histoire de la cagnotte recommence. Ce n'est pas la première, puisque je vous en ai donné un autre exemple qui venait du sommet même de l'Etat. Il faut arrêter cela.

Il faudrait se fixer des mécanismes relativement objectifs pour que l'on sache à peu près où l'on en est et que le débat démocratique puisse avoir lieu. C'est donc toute la question des prévisions.

La Cour des Comptes nous rend un grand service en la matière en nous donnant peu à peu des renseignements très précis sur la situation des finances sociales, des finances publiques. La mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, vos propres travaux sont également de très bons éléments. Tout cela commence à porter ses fruits.

Il reste un problème, on l'a vu, à propos des recettes. Pour ce qui me concerne, en tant que Ministre des Finances, je ne verrais aucun obstacle à ce que la Commission des comptes de la nation, de même qu'elle est consultée sur la prévision de croissance, donne son avis sur l'évaluation des recettes. Que le Gouvernement, ensuite, soit d'accord ou non, c'est de sa responsabilité, mais qu'au moins le débat ait lieu en amont, de sorte que, lorsque la discussion vient devant votre assemblée ou devant l'Assemblée nationale, la situation elle-même soit un acquis. Je suis choqué que ce type de discussion ait lieu. Si l'on pouvait se débarrasser de cette problématique qui est un genre bien franco-français, on aurait déjà fait un pas en avant.

Une fois la situation objectivement constatée, reste à décider ce que l'on fait. Et là se pose dans toute sa vigueur la question de savoir à quoi sert la discussion budgétaire. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec plusieurs d'entre vous, qui, reprenant une thèse souvent évoquée, ont estimé que l'on pouvait mesurer sa qualité à l'aune de la masse financière modifiée par les amendements parlementaires. J'ai moi-même développé ce thème, mais je ne suis plus sûr qu'il soit exact dans une démocratie moderne.

D'abord, si vous faisiez l'analyse exacte, vous constateriez que, si on laisse de côté la question du salaire des fonctionnaires, qui représente tout de même une bonne part du budget  mais les députés et les sénateurs ne vont pas décider de ne pas payer la dette publique ou les fonctionnaires, laissons cela ! , il reste une masse de crédits x , cet x n'étant pas infini, sur laquelle peuvent porter les amendements même s'il n'est pas ridicule par rapport à la masse totale disponible.

De toutes les manières, le critère quantitatif n'est pas le meilleur. La situation étant connue, l'important est que nous ayons une discussion sérieuse sur la politique économique, sur la politique budgétaire, sur la politique fiscale, sur la politique de concurrence, sur la politique européenne. C'est là que sont les grands choix politiques.

Que nous ayons une discussion sur les fonctions est également essentiel; que vous, en matière de dépenses, peut-être, mais surtout en matière de recettes d'impôts, sur tel ou tel point, apportiez des corrections, déposiez des amendements, cela a un sens. Dans les démocraties rationalisées, avec une majorité et une opposition, l'opposition en général ne vote pas le budget. Personne ne comprendrait pour autant que la majorité ramène à 800 ou porte à 3 200 milliards de francs un budget de 1 600 milliards de francs ! Ce n'est pas là-dessus que doit porter le débat.

Si le Parlement moderne fait la loi, au sens étymologique, son action la plus forte est sans doute désormais d'évaluer, de corriger, par une espèce de rétroaction. Il est souhaitable que vous évaluiez ou contrôliez la dépense publique et que ce travail fait une année vous serve l'année suivante. On serait alors réellement, me semble-t-il, au coeur de la discussion budgétaire telle qu'elle devrait être pratiquée, les sujets d'intérêt local étant abordés dans un autre cadre.

J'ajoute que l'on pourrait rendre cette discussion certainement moins ennuyeuse si vos collègues, dont j'étais il y a quelques semaines encore, acceptaient que certains éléments soient prononcés par écrit et que les travaux de vos commissions fassent l'objet d'une publicité suffisante dans les journaux locaux pour que vous ne soyez pas obligés de redire la même chose en séance publique.

Au fond, nous sommes les victimes de la conception du parlementarisme issue de la Révolution française, dans laquelle la capacité d'entraînement de l'orateur qui s'exprime dans l'hémicycle suffit à faire basculer l'assemblée. Cela n'existe pas ! Cela n'existe pas ! Seulement voilà, nous avons les hémicycles.

Je défends une conception légèrement différente  et la nouvelle télévision que Sénat et Assemblée nationale ont créée peut nous y aider  qui tiendrait compte du fait que le travail réel se fait beaucoup en commission et qu'il peut aussi se faire par écrit. Un travail très important est celui du contrôle, qui pourrait reposer sur un système d'auditions  ce que les Anglais et les Américains appellent les hearings . Tout cela permettrait que les citoyens aient le sentiment que leurs représentants font le travail pour lequel ils les ont élus.

La discussion budgétaire pourrait être un produit de cette conception peut-être un petit peu différente du Parlement. Comme le disait l'un de vos collègues, autant je n'ai pas le temps de réfléchir depuis que je suis à Bercy, autant j'y avais un peu réfléchi auparavant. Il est vrai que j'avais le temps !

M. Blin pose des questions fondamentales et, notamment, celle du fonctionnement et de l'investissement à l'échelon des collectivités locales.

M. Blin, pour les grands économistes cette distinction entre investissement et fonctionnement n'a pas de sens lorsqu'il s'agit du budget de l'Etat. Si l'on prend l'exemple de l'Education nationale, on peut parler de fonctionnement, mais il n'existe pas de meilleur investissement.

Quant à moi, le modeste économiste que je suis ne serait pas choqué si l'on disait : l'investissement peut être financé par l'emprunt et le fonctionnement doit être équilibré. Il peut être anormal d'utiliser des emprunts pour couvrir des dépenses de fonctionnement. Nous appliquons ce principe dans nos collectivités locales, moi dans ma commune, vous dans la vôtre. Si l'on étendait cette pratique aux finances de l'Etat, nous aurions un budget de fonctionnement en excédent d'une cinquantaine de milliards de francs. Peu importe d'ailleurs la conjoncture, c'est le principe qui compte.

Lorsque cette suggestion avait été esquissée, notamment devant une commission spéciale de l'Assemblée nationale, on nous avait regardé de haut. Je me permets de me ranger à vos côtés. Il n'est pas interdit de continuer à travailler sur ce point.

Quant à la pluriannualité, j'y suis favorable, mais il arrive qu'il y ait des à-coups.

M. Chaumont m'a demandé si nous consultions la Banque de France et la Banque centrale européenne avant d'arrêter les choix budgétaires. La réponse est non. La Banque centrale européenne s'exprime peu, la Banque de France s'exprime davantage, mais nous ne les consultons pas, elles non plus. L'indépendance joue dans les deux sens.

M. Pelletier a fait observer que les services du Ministère des Finances vont souvent trop dans les détails, ce qui déresponsabilise les ministres dépensiers.

M. le Premier ministre vient d'envoyer des lettres de cadrage et c'est à partir de celles-ci que les ministres vont travailler. Ensuite, ils discuteront avec Mme Parly et s'il y a des problèmes avec moi-même. S'il subsiste encore des difficultés, j'en parlerai au Premier ministre. Le Ministère des Finances ne doit pas se substituer aux différents ministres.

M. Loridant a abordé la question des changements de conjoncture économique. Où doit se situer la vigie qui donnerait des informations ? Au sein de l'exécutif ou ailleurs ?

Il existe plusieurs solutions. Les Etats-Unis disposent d'un office très puissant, aussi puissant que le Ministère des Finances. En France, les commissions des finances du Parlement peuvent consulter tel ou tel organisme public ou privé. Il y a également la Cour des Comptes et la commission des comptes de la nation. Il n'est peut-être pas indispensable d'être cartésien. Nous pouvons avoir une pluralité de regards.

A l'époque où j'arrêtais le taux de croissance figurant dans le projet de budget - je ne l'ai pas encore fait cette année - j'écoutais les prévisions des services du Ministère des Finances, je notais ce que les autres pays disaient de nous et j'arrivais à une espèce de consensus. D'ailleurs, aujourd'hui on fixe des fourchettes, ce qui n'est pas plus mal, parce que personne ne connaît les chiffres à 0,01 % près.

M. Charasse m'a interrogé sur la pluriannualité. Elle est nécessaire, mais elle doit être souple. Il faut accepter, comme vous le faites sans doute dans vos collectivités, de remettre très souvent l'ouvrage sur le métier.

Dans ma commune, lorsque j'étais maire, je prévoyais un plan sur cinq ans et régulièrement les services le remettaient en cause parce qu'il survenait tel ou tel problème. C'est plus facile à réaliser pour le budget d'une petite commune que pour celui de l'Etat. Toutefois, nous devons avoir ce type de démarche.

M. Charasse a également abordé la question de la modification de l'ordonnance de 1959. Certaines de ses dispositions peuvent être modifiées, mais il ne faut pas bouleverser les finances publiques. La maîtrise et le sérieux sont indispensables, mais entre les deux, il s'agit de la démocratie économique et parlementaire au début des années deux mille.

Quand on aborde ce dossier, de nombreux interlocuteurs nous disent : attention, vous allez revenir à la IVe République ! Ce n'est pas la question. Il s'agit de voir, quarante ans après, compte tenu des évolutions économiques de notre pays et de celles de nos voisins, comment le Gouvernement peut gouverner et comment le Parlement peut contrôler. Le Parlement ne doit pas gouverner à la place du Gouvernement, mais il n'est pas non plus un muet volontaire ou involontaire. Il nous faut trouver un équilibre en changeant peut-être la place du curseur décidée voilà plusieurs décennies.

M. le Président. - Monsieur le Ministre, nous vous remercions.



(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)





Séance du 9 mai 2000

La séance est ouverte à 16 h 10 sous la présidence de M. Alain Lambert.



Audition de M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC,
Directeur du Budget





M. le Président .- Mes chers collègues, la séance est ouverte. Je vous prie de m'excuser pour le retard avec lequel nous commençons nos travaux, mais notre invité n'en est pas responsable, j'en suis le seul responsable du fait de cet éloge funèbre prononcé en séance publique.

Je crois qu'il faut commencer nos travaux le plus vite possible pour rester dans le délai imparti. Nous siégions en cet instant avec les prérogatives attribuées aux commissions d'enquêtes, dans le cadre de la mission chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et dans leur exécution.

L'ordre du jour appelle l'audition de Christophe BLANCHARD-DIGNAC, Directeur du Budget. Monsieur le Directeur, je vous souhaite la bienvenue au nom de mes collègues. Je vous ai rappelé l'objet de la mission confiée par le Sénat. Nos travaux visent à lever toutes controverses juridiques sur les droits de notre commission à s'informer, et également notre souhait de les mener d'une manière pluraliste puisque notre commission a nommé autant de rapporteurs qu'il siège de groupes au sein de notre commission, parmi ceux-ci : Philippe MARINI (Rapporteur Général), Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et votre serviteur.

Je rappelle à chacun que le secret doit être conservé pour les travaux non publics de notre commission, ce qui est le cas. La loi me fait obligation de rappeler qu'en cas de faux témoignage la personne auditionnée est passible des peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du Code Pénal. Je dois recueillir votre serment, et vous demander toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite, et de dire : « Je le jure ».

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Je le jure.

M. le Président .- Je vais vous donner la parole pour un propos liminaire, et, ensuite, je vous proposerai de répondre aux questions du Rapporteur Général, puis nous ouvrirons la discussion avec l'ensemble de la commission.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Je vais dans ce propos liminaire rappeler un peu ce que fait la Direction du Budget. Cette Direction compte 232 personnes dont deux tiers de cadres. Cette Direction d'état-major est chargée d'une triple mission actuellement.

La première, celle dont nous allons parler le plus, consiste à aider le Gouvernement dans la préparation du projet de loi de finances, en suivre l'adoption et l'exécution, notamment du point de vue des dépenses.

La deuxième mission est une fonction financière générale. Comme vous le savez, le Ministre du Budget contresigne un très grand nombre de textes, et, la plupart du temps, pour tous les textes touchant à la fonction publique, la Direction du Budget prépare l'instruction technique des textes. La Direction du Budget participe à des réunions interministérielles, assure la co-tutelle financière d'un très grand nombre d'établissements publics et de quelques entreprises publiques. La Direction du Trésor est plutôt en première ligne. La Direction du Budget est au coeur de tout ce qui est régalien.



Plus récemment, une fonction de modernisation de la gestion publique s'est développée. Il y a eu de très nombreuses tentatives ; dans le temps, la Direction du Budget a travaillé sur la rationalisation des choix budgétaires. Ce n'est pas nouveau, mais c'est devenu une activité ne concernant pas qu'un bureau de la Direction du Budget, mais son ensemble.

Cela consiste à travailler sur le renforcement de la qualité de la procédure budgétaire, y compris les règles de transparence, mais aussi le contrôle de l'efficacité de la dépense avec de nouvelles méthodes de gestion en s'inspirant des meilleures pratiques constatées à l'étranger, et je vais revenir sur ce point.

Cette Direction d'état-major de 232 personnes a un directeur, un adjoint, sept sous-directeurs, deux sous-directions sont chargées de fonctions de synthèse et cinq de fonctions sectorielles.

Les sous-directions assurent la fonction de synthèse concernant la loi de finances, le sous-directeur est derrière moi, et une autre sous-direction assure le suivi des dépenses de fonction publique, puisque le Ministre du Budget contresigne tous les textes concernant la fonction publique.

Les fonctionnaires ne sont pas qu'une dépense, ils représentent un investissement, une richesse de l'Etat, mais c'est tout de même une dépense de très long terme : 37,5 ans plus la retraite. La fonction publique fait l'objet d'un examen partagé par le Ministre du Budget et le Ministre de la Fonction publique.

Cinq sous-directions sectorielles suivent l'ensemble des ministères, plus particulièrement sous l'aspect des dépenses.

S'agissant du sujet principal de la commission, la Direction du Budget joue un rôle éminent dans la préparation de la loi de finances. Elle nous occupe tout au long de l'année, dès le début de l'année avec la phase des perspectives, quand nous proposons aux Ministres les orientations pour l'année suivante, dans les phases de confrontation avec les ministères, les conférences budgétaires, l'arbitrage et la confection matérielle des documents.

Une fois le projet de loi de finances déposé, le plus difficile reste à faire. Il faut convaincre le Parlement de sa justesse, assurer son adoption et en suivre l'exécution. Dans ce domaine, la Direction du Budget a un quasi-monopole sur les dépenses.

Nous travaillons avec la Direction Générale de la Comptabilité Publique qui nous fournit la matière première, la Direction du Trésor pour la dette, mais la Direction du Budget a un rôle éminent dans la synthèse de l'exécution budgétaire.

Sur les recettes, la fonction est partagée avec les autres Directions des Finances, chargées de l'encaissement de la fiscalité.

Voilà les quelques mots liminaires, Monsieur le Président, sur le rôle exact de la Direction du Budget.

M. le Président .- Merci de ce propos introductif. Je vais donner à la parole à Monsieur le Rapporteur général. Vous lui répondrez immédiatement.

M. Philippe MARINI, Rapporteur Général .- J'ai une succession de questions, mais ce sera assez bref.

Je voudrais poser une première question en me référant à l'édition du vendredi 5 mai dernier du journal le « Monde » : il y est évoqué une note que vous auriez rédigée peu avant septembre 1999, qui évaluerait le déficit de l'exercice 1999 à un niveau qui se serait ensuite avéré proche de l'exécution, ce chiffre selon la source que j'ai citée aurait été de 206 milliards de francs.

Monsieur le Directeur, une telle note existe-t-elle ?

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Il existe plusieurs notes de ce type-là. Je voudrais répondre rapidement.

Dans le suivi de l'exécution budgétaire, nous émettons deux types de documents : ceux de reporting dans lesquels nous nous contentons, a posteriori, de commenter ce qui s'est passé. Nous avons un reporting mensuel en termes de recettes élaboré avec les Directions compétentes de Bercy, appelé « tableau inter-directionnel des recettes fiscales ». Nous avons un reporting de la situation mensuelle budgétaire, publié 36 jours après son intervention, à la clôture du mois.

Nous avons des outils prévisionnels auxquels l'article du « Monde » doit faire allusion. Je n'ai pas eu l'opportunité de discuter avec le journaliste en question. Nous émettons à destination de notre Ministre plusieurs prévisions d'exécution. Là, nous nous livrons à un exercice qui n'est pas facile ; il s'agit non pas de commenter ce qui s'est passé, mais de prévoir ce qui va se passer. La science n'est pas exacte, l'année 1999 est difficile.

Nous avons fait quatre prévisions d'exécution à un rythme trimestriel : en avril, en juillet, en octobre et en décembre.

Plus on approche de la fin de l'année, plus on a tendance à voir juste, et quand on a le résultat, on est encore plus sûr des données.

Etant la première, la prévision d'avril est entachée de très grandes incertitudes. Nous n'avons pas fait de note en septembre, contrairement à l'article que j'ai lu, c'est soit en juillet, soit en octobre. En juillet, on commence à avoir des éléments sérieux sur les recettes, et un semestre sur les dépenses. En octobre, c'est en accompagnement du projet de collectif, en décembre, c'est une fois le collectif arrêté et déposé. Nous avons fait ces quatre exercices.

S'agissant du contenu, en avril, nous n'avons pas fait très fort dans la prévision, il est vrai que la conjoncture de l'année 1999 était très difficile à lire. La prévision initiale de croissance était de 2,7 %, mais dès la discussion parlementaire, nous avons eu des contestations.

En début d'année 1999, les meilleurs experts économiques prévoyaient une situation assez maussade. Ce n'est qu'à la sortie du premier semestre que nous avons commencé à y voir clair. La prévision d'exécution d'avril est marquée par ces éléments.

M. Philippe MARINI, Rapporteur Général .- Bien entendu, la commission d'enquête souhaite la production des notes dont l'existence vient d'être mentionnée. Puisqu'il semble ne pas y avoir eu de tels documents émis par la Direction du Budget au mois de septembre 1999, peut-être serons-nous conduits à rechercher par ailleurs de telles informations, à supposer que les échos ainsi diffusés par voie de presse reposent sur une réalité administrative ?

Je voudrais maintenant, Monsieur le Président, me référer aux récents travaux de la Cour des comptes. Dans son rapport préliminaire sur l'exécution de la loi de finances 1999, elle fait apparaître environ 18 milliards de francs d'ajustement de fin d'exercice sur les recettes non fiscales. Il convient de rappeler, en ce domaine, que le chiffre allégué par le Gouvernement, à la fin de l'année au début de l'année 2000, était à peine supérieur à 15 milliards de francs, et également que ces sommes auraient été susceptibles, compte tenu de leur réalité dès ce moment-là, d'être imputées sur l'année 1999, venant ainsi majorer le résultat effectif des recettes fiscales et non fiscales de cet exercice 1999.

La Cour des Comptes indique que ces pratiques ne correspondent pas aux exigences croissantes de sincérité et de permanence de méthode dans les pays les plus développés. Je voudrais demander au Directeur du Budget de nous rappeler les règles relatives à l'imputation des recettes non fiscales, de nous préciser si ces phénomènes d'imputation aléatoire, sur un exercice ou un autre, sont spécifiques à la fin de l'année 1999, ou si des pratiques analogues ont eu lieu fin 1997 ou fin 1998.

Me référant aux travaux de la Cour des Comptes sur l'exécution du budget 1998, la Direction du Budget évoque le niveau anormalement élevé des dégrèvements et remboursements d'impôts en matière de T.V.A. Je cite : « On peut penser que des reports ont été effectués en 1997 sur 1998, et qu'à l'inverse des remboursements ont été accélérés en fin d'exercice 1998. De plus, l'ampleur de l'augmentation et des dégrèvements d'impôt exerce à la fois un effet important sur la progression globale des recettes nettes et sur le résultat final de l'exécution du budget 1998 ». Je voudrais demander au Directeur du Budget ses commentaires sur les indications dont il s'agit, et plus généralement, s'il y a une procédure permettant de formaliser quelque peu les décisions d'imputation des éléments variables, tels que ceux rappelés par la Cour des Comptes, soit sur l'exercice qui se clôt, soit celui qui va s'ouvrir.

Y a-t-il des décisions explicites en la matière, des itérations entre la Direction du Budget, Direction Générale des Impôts, Direction générale de la Comptabilité Publique, Cabinet du Ministre, Ministre, Premier Ministre pour aboutir à la clôture des comptes budgétaires tels qu'ils seront présentés au Parlement et à l'opinion ?



Enfin, dernière question, j'aurais souhaité que le Directeur du Budget nous explique quels sont les rapports existants entre la Direction du Budget et du Trésor pour ce qui est de la gestion des charges de la dette et de son remboursement, et qu'il nous indique, en ce domaine, s'il y a aussi des marges de manoeuvre, d'imputations sur le budget de l'Etat ou sur les comptes de trésorerie n'apparaissant pas directement dans le budget de l'Etat ? S'agissant des imputations budgétaires, y a-t-il aussi des marges de manoeuvre quant au rattachement à tel ou tel exercice ? Pourrait-il nous apporter des précisions en ce domaine, et nous permettre par quelques exemples de concrétiser notre approche ?

M. le Président .- Merci, Monsieur le Rapporteur Général. Monsieur le Directeur, vous avez la parole.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Sur le premier sujet, les recettes non fiscales constituent un ensemble peu homogène dans lequel il y a des produits tout à fait récurrents et prévisibles, considérés comme non fiscaux par tradition, je prendrai l'exemple des retenues perçues sur les traitements des fonctionnaires pour le régime de pension. On peut se tromper dans les calculs, mais c'est récurrent.

Puis un certain nombre de produits sont plus difficiles à prévoir, y compris en cours d'année, ce sont les dividendes versés par les entreprises publiques dépendant de leurs résultats, les trésoreries dormantes, des sommes disponibles à un moment donné, exceptionnelles dans leur nature, et qui peuvent être plus ou moins importantes.

Dans le rapport de la Cour des Comptes, on notera la trésorerie dont dispose l'Etat dans son compte géré par la COFACE.

En fonction de la situation budgétaire, jouons-nous sur cette marge de manoeuvre ? Bien sûr, je le reconnais bien volontiers. La Direction du Budget informe le Ministre en temps réel de la situation de toutes ces marges de manoeuvre possibles. Nous avons des objectifs de finances publiques à tenir, et quand nous avons eu des périodes difficiles, nous avons dû prélever dans ces marges de manoeuvre, et nous avons été bien contents de les avoir identifiées, et qu'elles aient pu être constituées précédemment.

En 1995, lors du collectif de fin d'exercice, on a prélevé 15 milliards de francs sur la caisse du Logement social, ce n'est pas passé inaperçu. Ce sont des sommes non négligeables. Les années où l'on connaît une situation heureuse en matière de recettes fiscales, on ne va pas prélever jusqu'au dernier franc les sommes en question. En fonction de la date à laquelle nous savons, en fonction des décisions prises, nous sommes en mesure ou non de retracer ces évolutions dans le collectif de fin d'exercice.

Sur la COFACE, il était prévu de prélever 7 milliards de francs, et dès le collectif budgétaire de fin d'exercice, le chiffre a été révisé à 3 milliards de francs. Aucune somme n'a été finalement prélevée. Il a été décidé qu'elle serait conservée pour les mauvais jours.

Quelles sont les règles ? Il faut bien préciser qu'il y a le budget d'un côté, et les comptes de l'autre. Le budget offre en ce domaine une certaine souplesse, qui me semble d'ailleurs à peu près inéluctable. Il est impossible de prévoir dans le détail toutes les recettes non fiscales, et de savoir quel sera, un an ou un an et demi après, la situation de trésorerie d'un organisme. Tout cela est un peu difficile.

En matière de comptabilité européenne, s'imposant à tous les Etats, un certain nombre de règles se sont dégagées pour attacher à l'exercice considéré les bonnes recettes. Nous allons déterminer le fait générateur, cela s'applique surtout pour les recettes fiscales, et nous sommes en train de travailler sur les recettes non fiscales. Le compte général de l'administration des finances, publié pour l'année 1999, montrera, parallèlement à la comptabilité budgétaire, que nous travaillons avec la Direction Générale de la Comptabilité Publique à une présentation de nos comptes en droits constatés.

On essaie de définir une règle du jeu et de la mettre en oeuvre. Il y a distinction entre une comptabilité « budgétaire », comptabilité de caisse, ce qui entre dans l'année ou pas, et la comptabilité « comptable », si j'ose dire, faisant appel à des données beaucoup plus de droit commun.

La Direction du Budget travaille à la réduction de ces facilités, tout en inspirant un certain nombre de mesures, de perception ou de non-perception de recettes non fiscales en fonction de la conjoncture budgétaire, tout ceci donnant lieu à des décisions explicites des Ministres.

Nous avons proposé de réduire la période complémentaire. Celle-ci permettait pour les recettes non fiscales, correspondant à des opérations réciproques en liaison avec d'autres administrations publiques, de continuer à percevoir des sommes jusqu'au 8 mars de l'année suivante. Aujourd'hui, c'est le 31 janvier.

Nous avons une période complémentaire d'un mois, et dans les travaux que nous menons sur la comptabilité en droits constatés, nous nous efforçons de créer les conditions, techniquement compliquées (sur lesquelles nous pourrions donner notre sentiment, si le Sénat le souhaitait) pour supprimer définitivement la période complémentaire pour les ordonnateurs, c'est-à-dire qu'il n'y ait que des écritures comptables, et plus de flux financiers passés le 31 décembre.

Y a-t-il eu des opérations les années précédentes ? Oui. Je les considère comme des opérations de normalisation vertueuses : par exemple, dans les années difficiles, on a prélevé des acomptes sur dividendes auprès d'entreprises publiques. C'était le cas d'EDF qui versait son dividende non pas l'année suivante, mais l'année en cours. On était en anticipation de ce que pouvait être son résultat.

Nous sommes passés à des systèmes dans lesquels les entreprises publiques ne versent plus d'acomptes sur dividendes. C'est le droit commun. Les entreprises versent une fois l'exercice clôturé, avec un an de décalage. Quand les temps sont heureux, nous procédons à des opérations de normalisation. Quand ce n'est pas le cas, nous faisons preuve de plus d'imagination, et tout ceci donne lieu à des décisions explicites qui, chaque fois que possible, sont retracées dans un texte de loi de finances.

Voilà pour les recettes non fiscales.

S'agissant des dégrèvements de T.V.A., je peux répondre que la Direction du Budget n'est pas chargée de l'encaissement des recettes fiscales, ce qui est vrai, ni du paiement ou du remboursement des crédits de T.V.A. La Direction du Budget n'est pas destinataire d'instructions des Ministres en matière fiscale, contrairement aux recettes non fiscales.

Je n'ai pas le droit de dire qu'aucun budget n'a pu avoir la tentation de jouer sur l'accélération ou la non-accélération, ou le retardement d'un certain nombre de dépenses fiscales de type remboursements.

Je ne crois pas non plus pouvoir dire que ceci a atteint des proportions énormes ces dernières années. Des phénomènes identifiés ont très fortement perturbé les dégrèvements de T.V.A., ce qui fait que nous avons du mal à y voir clair. Nous avons changé les règles pour nous mettre en harmonie avec des dispositifs qui paraissaient appropriés. Nous avons pu avoir des périodes où nous avons accéléré des rentrées car nous nous sommes aperçus que certaines entreprises importantes avaient des délais anormaux. Au contraire, nous avons pu veiller dans des périodes difficiles à payer plus vite des petites entreprises.

En fin d'année, des grèves des services fiscaux ont pu avoir un impact très fort sur les dégrèvements sans que nous souhaitions quoi que ce soit en ce domaine. Il y a eu des phénomènes peu rationnels tenant à beaucoup des considérations liées à la vie de la fiscalité.

Y a-t-il une procédure en ce domaine ? A ma connaissance, non. Il peut y avoir des instructions, mais je n'en suis pas destinataire. Pour les recettes non fiscales, il y a des décisions des Ministres. J'ai été à l'origine de certaines de ces décisions proposant de ne pas prélever sur la COFACE tout l'argent disponible, considérant que le jour où le commerce extérieur se dégraderait, nous serions heureux d'avoir une réserve pour ne pas faire appel au contribuable à ce moment-là.

Quels sont les rapports entre la Direction du Budget et du Trésor en matière de gestion de la dette ? Nous travaillons avec elle pour prévoir le mieux possible les charges de la dette dans la loi de finances. Nous nous sommes trompés dans le bon sens collectivement. Nous avons surévalué les charges de la dette. Nous avons sous-estimé la baisse du déficit, et le moment à partir duquel la conjoncture du taux d'intérêt se retournerait. Il est très compliqué de prévoir l'évolution exacte des taux d'intérêt.

Y a-t-il des manipulations sur les charges de la dette ? Si on voulait le faire, elles seraient retraitées en comptabilité européenne l'année où les emprunts sont émis pour la part les concernant. Si l'on se réfère au passé, il fut un temps où l'on émettait des emprunts comptabilisés en intérêt in fine, ce qui allégeait l'exercice à due concurrence.

Nous avons proposé un article de loi de finances, voté par les deux assemblées, permettant de provisionner la charge des OATI indexées sur inflation, en vertu d'une disposition législative clairement présentée et votée par le Parlement.

En revanche, il y a certainement des possibilités d'action en fonction des opportunités de marché ou de la conjoncture budgétaire, d'accélérer ou de faire des échanges en termes d'emprunt, pour optimiser la gestion financière de l'Etat. La Direction du Trésor fait cela en liaison avec le Ministre sans avoir la moindre interférence de la Direction du Budget en ce domaine, sinon pour fournir les éléments de contexte sur ce sujet.

Si nous faisons une prévision d'exécution tous les trimestres, tous les mois, nous faisons une actualisation pour voir si nous sommes dans le cadre de la prévision précédente. Cela ne correspond pas à une note ou à une prévision d'exécution. C'est un tableau fourni tous les mois.

M. le Président .- Merci.

M. MARINI, Rapporteur Général .- Dois-je comprendre des propos du Directeur que le document, dont l'existence était alléguée et située en septembre, serait plutôt une actualisation mensuelle qu'une note en bonne et due forme du Directeur du Budget ?

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Je ne crois pas. Je signale cela pour le Sénat. Cet exercice est un tableau où l'on met des flèches montantes ou descendantes ou égales. On ne considère pas ces notes secrètes.

M. le Président .- Merci. Nous allons pouvoir ouvrir la discussion à l'ensemble de la commission. La parole est à François TRUCY.

M. François TRUCY .- Merci, Monsieur le Président. C'est une question non pas en dehors du sujet, mais connexe, qui m'est venue quand vous avez parlé des prélèvements ou des non-prélèvements sur la COFACE.

Quelles sont les contraintes et les possibilités laissées aux entreprises pour les placements des fonds ? Les fonds sont extrêmement importants, visiblement, il y a des occasions très importantes de placement : France Télécom, COFACE, EDF, quelles sont leurs latitudes ? Quand la participation de l'Etat vient à s'amenuiser, comme pour France Télécom, les contraintes changent-elles ou restent-elles les mêmes ?

M. Michel CHARASSE .- Je voudrais demander au Directeur du Budget une précision pour me rafraîchir la mémoire. J'ai pratiqué en son temps, comme tout le monde, la gestion de fin d'exercice. Concernant les recettes non fiscales, les instructions sont bien données par le Ministre à la Direction du Budget ou la Direction du Trésor, selon qui émet les titres ?

Je ne me suis jamais posé la question de savoir en vertu de quelle disposition j'avais le droit de ne pas encaisser, étant entendu que la loi de finances couvre tous les produits intervenant dans le cours de l'exercice budgétaire. Si les comptes définitifs des organismes devant verser ne sont pas arrêtés, on peut dire qu'on n'est pas censé savoir ce qu'ils doivent au moment de la clôture de la fin d'exercice. Quand ils le sont, et que le Ministre décide de ne pas encaisser, sur quel article de la loi organique se fonde-t-il ?

M. le Président .- J'ai deux questions de même nature.

La première, dans le prolongement des propos de M. CHARASSE, nous avons tous lu le rapport préliminaire de la Cour sur l'exécution 1999 ; elle nous indique que certaines recettes de T.V.A. et d'I.S. auraient été déportées sur 2000.

Cette non-imputation existe-t-elle ? Est-elle compatible avec l'ordonnance de 1959 ? Si ce n'est pas le cas, est-ce une infraction à l'ordonnance ? Et si elle s'est produite, y a-t-il des précédents ?

La deuxième, dans ce rapport préliminaire, on constate un écart entre l'affirmation du Ministère des Finances en matière de progression des dépenses que l'évolution de 1 % en volume est respectée, et celle de la Cour estimant que les dépenses se sont accrues de 2,8 % en volume.

Je voudrais connaître votre avis sur la position de la Cour des Comptes. Dites-nous ce qui peut justifier cette différence importante de 1,8 point, et, si ceci résulte d'un point de vue méthodologique, indiquez-nous quelles sont les différences d'appréciation en la matière.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- S'agissant des recettes non fiscales, je me suis peut-être mal exprimé tout à l'heure. L'argent dont il est question pour la COFACE ne lui appartient pas, mais à l'Etat. La COFACE gère pour le compte de l'Etat des procédures, et l'Etat a une trésorerie disponible. Cet argent est indépendant de toutes les règles de placement que peut avoir la COFACE. Un article de la loi de finances sécurise l'argent. Si la COFACE disparaissait, l'argent serait insaisissable.

Il n'est pas dans la comptabilité budgétaire, mais dans un organisme qui le gère pour le compte de l'Etat. Quand il y a des défaillances de pays, on fait appel à cette trésorerie pour ne pas avoir à alimenter le compte en termes budgétaires.

En comptabilité européenne, cela ne change rien. Pour la COFACE, je ne me prononcerai pas, mais un grand nombre d'organismes sont considérés comme des établissements publics. Si l'on a une trésorerie importante à l'Opéra de Paris, considéré comme une administration publique, et qu'on la prélève pour l'affecter au budget général, cela ne change rien au résultat consolidé sur lequel on est jugé au niveau européen. On a des comptes consolidés, pas des comptes considérés de manière séparée.

Sur le sujet des relations avec les entreprises publiques, nous sommes de plus en plus vigilants, de très nombreux comités d'audits ont été créés. Dès qu'une entreprise est une entreprise, elle n'est plus dans l'obligation de déposer ses fonds libres au Trésor. Ainsi la Poste est en train de récupérer la gestion des CCP. Le Directeur du Trésor serait mieux à même de répondre.

Les trésoreries appartiennent à l'Etat, et les recettes et dividendes peuvent venir du secteur public, ce sont deux notions différentes.

S'agissant de la gestion de fin d'exercice, des instructions sont données par le Ministre à la Direction du Trésor, à la personne chargée d'émettre les recettes. Je dois avouer mon ignorance pour savoir quelle est la disposition de l'ordonnance organique encadrant ou non les recettes non fiscales.

Autant je suis catégorique sur les recettes fiscales, autant sur les recettes non fiscales, on ne peut pas avoir l'obligation de prélever un dividende d'un certain montant. Pour France Télécom, on a un pourcentage du capital. Associé à celui-ci, le taux de distribution peut changer en fonction d'autres considérations. Si le résultat n'est pas ce que nous espérons, nous n'aurons pas ce produit. Si nous vendons des actions, nous n'aurons pas le produit, pourtant, nous aurons fait tous nos meilleurs efforts pour prélever. Devons-nous augmenter le taux de distribution pour avoir le même résultat initialement prévu ?

Tout ceci est un peu complexe. En ce domaine-là, on a plus de liberté qu'ailleurs. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas écrire ou proposer un certain nombre de règles du jeu pour savoir un peu quel est le référentiel.

Je suis désolé, Monsieur le Ministre, je ne peux pas répondre à votre question.

M. Michel CHARASSE .- Nous sommes deux, je ne sais pas non plus. En réalité, je crois qu'il n'y a pas de disposition, et qu'on fait ce que l'on veut. Le budget doit retracer toutes les recettes et toutes les dépenses. C'est la notion.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Sur les recettes de T.V.A., je ne sais pas répondre à la commission, car ce sujet n'entre pas dans les missions de la Direction du Budget. Nous sommes chargés des dépenses, nous nous tenons au courant des recettes. Nous assurons le suivi, la coordination et le recouvrement, mais nous ne sommes pas chargés de l'encaissement de la T.V.A. ou de l'impôt sur les sociétés. Ce n'est pas passé par l'instruction ou par proposition de la Direction du Budget.

En matière de fiscalité, il y a une obligation de recouvrer les impôts pour autant qu'on en soit capable, que les services fiscaux ne soient pas en grève ou que les contribuables soient toujours là, et solvables. Je ne sais pas quelles sont les pénalités.

M. Michel CHARASSE .- Celles du Code Pénal.

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Quand on a donné une semaine de plus pour payer un acompte ou la taxe professionnelle, cela peut impacter les comptes de l'Etat.

Pour les dépenses, Monsieur le Président, permettez-moi d'être un peu plus long, je suis dans mon coeur de métier. La Direction du Budget est au coeur du suivi des dépenses budgétaires. La stratégie de finances publiques du Gouvernement est axée sur le respect d'une norme de dépenses intangible, les recettes faisant appel à des stabilisateurs automatiques.

Cela a été exposé clairement lors du débat d'orientation budgétaire, on s'engage à des normes de dépenses. Si les recettes sont meilleures, le déficit s'améliore, si les recettes sont moins bonnes, le déficit se dégrade. Si les recettes se dégradent, les services proposent au Ministre des mesures de redressement. C'était le cas dans le passé. L'abondance relative des recettes est un phénomène tout à fait récent.



La Cour des Comptes fait un calcul que j'estime un peu contestable. La présentation faite au Parlement montre les dépenses du budget général en dette nette, c'est-à-dire, en neutralisant les produits financiers liés aux charges brutes de la dette. C'est compliqué, mais c'est une présentation classique, et hors rebudgétisation. Quand on rebudgétise des dépenses n'étant pas dans le budget général, cette année-là, on donne l'évolution à structure constante.

Dans son calcul, la Cour des Comptes conteste les rebudgétisations, c'est son droit, cela représente tout de même 19 milliards de francs, chiffre indiqué au Parlement lors de la présentation du budget. De plus, elle considère que des dépenses dites exceptionnelles doivent être comptées, j'y reviendrai, et elle retire les fonds de concours. J'insiste parce qu'il y a une erreur méthodologique très forte.

En 1998, dans le budget initial, il n'apparaissait pas des dépenses de pension financées par un fonds de concours venant de la Poste. La Poste rembourse à l'Etat les dépenses de pension que l'Etat fait pour le compte des pensionnés de la Poste, et d'un certain nombre d'établissements publics.

Nous avons rebudgétisé ces sommes qui, dans l'exécution de 1999, y sont au titre du budget général, depuis l'origine, et en budget exécuté. La Cour des Comptes compare le budget général incluant ces 22 milliards de francs à un chiffre hors fonds de concours de l'année précédente dans lequel les dépenses de pension ont été retirées. Cela s'appelle une erreur méthodologique, je le dis devant cette commission, pourtant, nous leur avons indiqué.

En revanche, la Cour des Comptes considère que 13 milliards de francs de dépenses exceptionnelles ont à être comptabilisés. Quelles sont ces dépenses exceptionnelles ?

Une somme de 3 milliards de francs est liée aux intempéries exceptionnelles de l'hiver, les services des finances estiment que la probabilité qu'une tempête de ce type se renouvelle tous les ans n'est pas avérée.

De plus, une opération exceptionnelle avec l'UNEDIC concernant 10 milliards de francs, retracée dans le collectif budgétaire de fin d'exercice, a consisté, en vertu de décisions prises en 1994, et confirmées en 1996, à se substituer à l'UNEDIC dans le paiement d'un remboursement d'emprunt que celle-ci avait effectué.

Nous avons considéré que l'opération était exceptionnelle. Si les dépenses exceptionnelles ne sont pas comptées dans le calcul du Gouvernement en 1999, dans celui de 2000, il ne faudra pas les compter non plus. Il faudra raisonner pour apprécier la réalité par rapport à une base hors dépenses exceptionnelles, sinon la base serait haute, et il serait facile d'avoir une très faible progression.

La Cour des Comptes a le droit d'avoir un avis différent sur ce sujet. Concernant les pensions de la Poste et des organismes détachés, à mon sens, elle a fait une erreur méthodologique.

M. le Président .- Une simple précision, quand même, le Rapporteur Général nous le disait en écho aux propos de M. CHARASSE, s'agissant des recettes, l'ordonnance ne fait qu'indiquer, je ne la connais pas par coeur, en son article 2 : « La loi de finances prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat ».

Voilà sans doute le texte sur lequel nous pouvons appuyer nos débats.

S'agissant des recettes non fiscales, la Cour estime que les pratiques ne correspondent pas aux exigences croissantes de sincérité et de permanence des méthodes dans les pays les plus développés.

Je reviens aux questions liées aux prévisions d'exécution, sans doute d'autres Directions que la vôtre en dressent-elles ? J'aimerais savoir si ces prévisions sont confrontées, et comment en pratique sont-elles soumises à l'arbitrage du Ministre ?

Vous nous avez indiqué la périodicité des notes prévisionnelles d'exécution, vous en dressez en septembre, en octobre et en décembre. Par ailleurs, les paramètres économiques et financiers du projet de loi de finances évoluent, et, pendant ce temps, le Parlement examine, discute du budget. Il n'est pas toujours informé de ces évolutions, quand je dis cela, c'est par courtoisie, et pourtant il débat du projet de budget.

Pensez-vous qu'on puisse améliorer la situation ? Pourrait-on introduire pendant la discussion, ou cela comporte-t-il vraiment trop d'inconvénients, des éléments d'informations permettant au Parlement d'ajuster davantage la loi de finances soumise ?

Nous constatons, je l'ai fait remarquer à d'autres personnalités auditionnées, que votre Direction obéit à une certaine forme de fétichisme puisque le déficit adopté par le Parlement est à peu près celui figurant dans le communiqué de presse de septembre.

On peut se demander, quand on est au Parlement, si l'exercice auquel on se livre n'est pas exclusivement formel. Je voudrais votre point de vue d'expert en la matière. Peut-on faire vivre le débat budgétaire d'une manière plus réaliste par rapport à la situation dans laquelle nous nous trouvons ? En particulier, comment pourrait-on l'articuler avec le programme de stabilité, qui ne fait l'objet d'aucune consultation du Parlement, alors qu'il est dans la même période transmis aux autorités européennes ?

La dernière question vise des prévisions à moyen ou long terme entre cinq et dix ans. Recommandez-vous que de telles prévisions soient élaborées ? Existent-elles ou méritent-elles d'être exercées ? Existent-elles dans d'autres pays ?

M. Philippe MARINI, Rapporteur Général .- Monsieur le Président, puis-je ajouter deux questions, et j'en aurai également terminé ? Je voudrais revenir un instant sur la recette non fiscale en provenance de la COFACE, chiffrée à 7 milliards de francs. Le Directeur nous a précisé que cette somme devait être considérée comme appartenant à l'Etat, mais qu'il n'était pas considéré comme opportun de la rattacher au budget de l'Etat compte tenu de la relative aisance des comptes budgétaires d'aujourd'hui.

Ce propos signifie-t-il dire que les 7 milliards de francs en question ne seront pas rattachés à la gestion 2000 ? Le choix en est-il déjà fait ? Par ailleurs, si tel est le cas, n'est-il pas gênant de voir diverger les interprétations sur le solde d'exécution entre le Ministre des Finances et la Cour des Comptes, qui est en quelque sorte l'auditeur des comptes de l'Etat ? Si des écarts structurels se creusent, cela ne pose-t-il pas un problème de crédibilité ?

Le Directeur nous a indiqué qu'il ne peut plus y avoir manipulation des transcriptions budgétaires de la dette car, si tel était le cas, il y aurait retraitement au niveau européen.

Ceci me semble appeler deux questions : d'une part, quels sont les éléments d'informations transmis à l'échelon européen pour permettre à celui-ci d'opérer les retraitements nécessaires, s'il y a lieu ? D'autre part, à quelles époques le Directeur faisait-il allusion en évoquant la possibilité que de telles manipulations aient eu lieu par le passé ?

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- Pour la confrontation des prévisions d'exécution sur les recettes, nous travaillons avec l'ensemble des Directions de Bercy, et nous faisons un reporting mensuel, appelé « tableau inter-directionnel des recettes fiscales ». Nous confrontons nos points de vue, ce qui n'est pas toujours facile, notamment s'agissant de la lecture de l'impôt sur les sociétés. Ce dernier a bondi de 25 % en 1999.

Quand on se trompe sur cet impôt une fois, on se trompe deux fois. Si l'on se trompe dans l'évaluation du solde payé en avril, avec le mécanisme des acomptes, on se trompe tout au long de l'année. Quand des majorations exceptionnelles disparaissent en fin d'exercice, c'est difficile car on ne connaît pas l'impact.

Nous avons des travaux communs concernant l'ensemble des administrations publiques, le critère premier n'est pas seulement le budget de l'Etat, mais l'ensemble consolidé formé par le budget de l'Etat, de la Sécurité sociale, les budgets locaux, tout ce qui est considéré comme administration publique au sens européen du terme ; nous travaillons étroitement avec la Direction de la Prévision.

Pour les dépenses de l'Etat, se fondant sur le système d'information de la comptabilité publique, nous élaborons des prévisions d'exécution des dépenses. Ce n'est pas facile, nous procédons à des évaluations, des abattements statistiques, sans savoir si, chaque année, nous avons raison. Pour cet exercice sur les dépenses, nous sommes un peu seuls, sauf sur les charges de la dette où nous sommes en parfaite association avec les gestionnaires, la Direction du Trésor.

Les notes d'exécution donnent lieu à une information du Ministre. Le Parlement n'est pas toujours informé des évolutions. Il reçoit tous les éléments concernant les impôts dans le cadre des questionnaires auxquels nous répondons très régulièrement. Evidemment, sur le fait de savoir si la situation amènera des suppléments ou pas, nous nous trompons très souvent.

Il n'est pas facile de prévoir les recettes, ni la conjoncture, mais l'information, une fois qu'elle est comptable, est immédiatement produite au Parlement, sans aucune entrave, dès qu'elle est disponible. Elle est même publique puisqu'elle est sur Internet avec un décalage de 36 jours.

Comment peut-on améliorer la situation ? C'est plus par des obligations de moyens que de résultats. Les pays ayant essayé d'améliorer les choses dans ce domaine ont eu recours à des comités d'experts indépendants qui se sont prononcés sur les prévisions économiques et de recettes des Gouvernements. Ces comités d'experts se trompent, comme tous les experts, beaucoup, comme en Allemagne, mais ils offrent la garantie que, si l'on s'est trompé, c'est de bonne foi.

L'articulation avec le programme de stabilité connaît un problème de date, son calendrier ne correspond pas au calendrier parlementaire. Comment font certains pays ? Deux programmes : un temporaire et un définitif. Le calendrier européen veut que l'on dépose les programmes pluriannuels avant le 1 er mars, et qu'on notifie ensuite au 1 er avril et au 1 er septembre la situation prévisionnelle de l'année en cours.

La Direction du Budget ne fait que des prévisions à trois ans pour le court et moyen terme, sérieusement, et essentiellement axées sur les dépenses.

Nous avons désormais une règle en matière de dépenses, il est facile de voir à quelle condition nous y arrivons. Des prévisions à long terme existent dans certains pays, je ne sais pas quelle est la validité de la comptabilité intergénérationnelle.

Le principal engagement de très long terme concerne les pensions. En ce domaine, tous les deux ans, nous fournissons au Parlement les informations sur le régime de retraites des fonctionnaires. Dans le compte général d'administration des finances pour 1999, une méthodologie du calcul hors bilan de cette charge de pensions a été fournie.

S'agissant de la COFACE, je voudrais indiquer au Rapporteur Général que les considérations intervenant ne sont pas uniquement liées à l'aisance plus ou moins grande du budget, aisance toute relative, quand on sait que la dette était de 4 300 milliards de francs fin 1999, mais il y a aussi la situation des organismes, et les risques que l'on peut avoir. Quand le baril de pétrole était très bas, nous avions d'importantes inquiétudes sur un certain nombre de pays du Moyen-Orient. Nous avons eu des craintes lorsqu'il y a eu la crise du sud-est. On peut ne pas être dans ce cas de figure. Nous tenons compte des risques devant couvrir les sommes ainsi disponibles.

Evidemment, a posteriori , on peut toujours dire que l'argent aurait dû ou pas être prélevé. S'agissant de la COFACE, le Parlement était tenu informé dans le collectif de fin d'exercice de la révision à la baisse des recettes, et que la somme ainsi considérée n'était pas extensible. Ce n'est pas un matelas qui grossit, mais une somme déterminée ; le jour où elle sera prélevée, elle n'existera plus.

S'agissant de la dette, nous avons une comptabilité européenne et nationale. La comptabilité européenne est tenue par les comptables nationaux, l'INSEE. Le Directeur Général a dû vous dire qu'il n'accepterait aucune instruction, et n'en a jamais reçu. L'INSEE dispose de toutes les données, et en fonction des règlements de comptabilité européenne, que cela fasse plaisir ou non aux services concernés de Bercy, il retraite ou traite les données comptables.

Les charges de la dette sont en droits constatés. La totalité des charges du budget de l'Etat est retraitée en droits constatés en vertu du règlement de comptabilité européenne, le SEC 95. Il en va de même pour les charges de la dette en comptabilité publique. Dans le CGAF, pour 1999, les charges de la dette ont été retracées en comptabilité budgétaire, mais également en droits constatés. Cela tient compte notamment des intérêts courus non échus.

Pour les opérations dont il était question qui ont permis dans le passé de jouer sur les charges budgétaires de certaines années, elles doivent remonter aux années 1980. Je crois que c'étaient les ORT. Je ne sais plus la date exacte.

M. le Président .- Merci. Avez-vous d'autres questions ?

M. Michel CHARASSE .- Je profite du caractère un peu ouvert de votre discussion pour faire une réflexion concernant les prévisions budgétaires.

Au fond, l'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons, ayant suscité de la part du Parlement des observations et des récriminations, tient aussi assez largement au dispositif de la loi organique. Tout cela doit être quand même rapporté aux obligations du Gouvernement telles qu'elles découlent de la loi organique. Puisque nous sommes sur une réflexion de réforme de celle-ci, il n'est pas inutile d'aborder ce point en trente secondes.



Le Gouvernement doit présenter une ordonnance sincère à la date du dépôt de document, le 1 er octobre. A cette date, le Gouvernement dispose des prévisions fondées sur la réalité utilement observée au mois de juillet précédent, qu'il extrapole. La loi organique ne lui fait aucune autre obligation. La question se pose quand, le 15 novembre, il y a le collectif. Il doit être aussi sincère puisque c'est une loi de finances. Il doit comporter des prévisions fondées sur les résultats les plus récemment connus, qui ne sont pas les mêmes que ceux de la loi de finances initiale, mais qui sont décalés en septembre ou octobre.

Faut-il tirer les conséquences de la sincérité la plus récente, celle du collectif, pour modifier encore la discussion de la loi de finances ? La loi organique ne l'oblige pas. Cela peut paraître incohérent, mais c'est ainsi. Si elle l'obligeait, ce qui peut être inclus dans la loi organique, nous serions obligés de modifier la loi de finances initiale en cours de discussion, à un moment où elle ne peut plus être modifiée, compte tenu de la jurisprudence.

L'année dernière, nous étions à la limite concernant le collectif. S'il y avait eu un recours sur le point de l'ajustement des recettes devant le Sénat, il n'aurait pu qu'être annulé puisqu'il s'agissait d'une disposition financière entièrement nouvelle non soumise à l'Assemblée Nationale.

Si nous introduisions dans la loi de finances l'obligation d'ajuster les prévisions de la loi initiale en fonction du collectif de fin d'année - s'il y en a un, ce n'est pas une obligation - je pense que nous entrerions dans le système des douzièmes provisoires. Nous passerions notre temps à nous courir après.

Si nous ne pouvons plus modifier la loi de finances initiale, au point où elle en est arrivée compte tenu de la date du collectif - je sais pas où nous en sommes, nous pouvons l'envisager -, il faudrait prévoir la possibilité de faire un collectif budgétaire d'une loi de finances non entrée en application. Cela n'est pas possible, mais la loi organique peut tout comporter.

Même si l'on doit traduire en termes juridiques la pratique, je me demande comment faire, je ne sais pas. Ce n'est pas si facile. Nous pourrions étudier ce sujet dans le cadre du groupe de travail sur la révision de la loi organique.

M. le Président .- Je participe à la réflexion de Michel CHARASSE, et j'insiste sur le fait que nos compatriotes ont besoin d'avoir le réel sentiment que le Parlement sert bien à ce pourquoi il a été institué : autoriser le prélèvement et suivre l'emploi.

Si le projet de loi de finances doit être sincère, nos compatriotes attendent que la loi de finances le soit elle-même. Si je pousse la juste observation de Michel CHARASSE à son paradoxe, dès lors que le projet serait sincère, peu importe la loi elle-même. En pratique, s'il va de soi que nous ne pouvons pas travailler sur des hypothèses en permanence changées, il faut peut-être, dans le cadre de l'ordonnance remaniée, que nous soumettions au Parlement un certain nombre de choix généraux, globaux, moins dans le détail, mais qui ressemble vraiment à ce pourquoi le Parlement a été institué.

Au moment du collectif, on est près de l'exécution définitive. Or, on constate des différences importantes. Selon vous, Monsieur le Directeur, quels sont les événements, les situations pouvant justifier qu'un écart important se produise entre la loi, le règlement et le collectif ?

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC .- La sincérité du projet de loi de finances initiale, qui n'est d'ailleurs pas un principe de l'ordonnance organique, mais une construction jurisprudentielle, est une obligation de moyens, mais cela ne peut pas être une obligation de résultats à ce stade de l'année. Les comptes sont une obligation de résultats.

Il s'agit d'émettre les meilleures hypothèses et explications et garanties possibles, que le texte soit conforme à une certaine cohérence, à la stratégie que le Gouvernement entend mener, et qu'il soumet au Parlement.

Nous pouvons nous entourer de très nombreuses précautions, mais un an à l'avance, nous ne sommes pas capables de prévoir dans le détail la finesse de ce qui va se passer avec des conjonctures économiques, telles que celles de 1999.

Nous sommes partis avec une espérance de 2,7 %, les experts étaient en dessous de 2 %, le Gouvernement a affiché à 2,4 %, et nous avons fini à 2,9 %. Tous les autres pays européens ont connu les mêmes problèmes, ils ont tous eu des dépassements de recettes.

Il est important d'expliquer la stratégie. Le Gouvernement actuel a une stratégie consistant à dire que l'on a une règle en matière de dépenses, que l'on s'y tient, et qu'on laisse jouer les stabilisateurs automatiques ; la règle est précisée. S'il y a plus de recettes, le déficit s'améliorera, sinon il se détériorera, car le Gouvernement ne souhaite pas faire des prélèvements fiscaux pour compenser les pertes de recettes que la mauvaise conjoncture peut entraîner.

C'est un choix soumis au Parlement, d'autres peuvent être faits. C'est plus facile pour la Direction du Budget. Nous avons une obligation de résultats en termes de dépenses ; en termes de recettes, il s'agit de faire le mieux possible compte tenu de cette stratégie, et de la difficulté à les prévoir.

Au niveau des comptes, nous appelons de nos voeux l'élaboration de référentiels, si possible européens, permettant de dire quelles sont les règles du jeu, de préciser celles qui doivent l'être, de manière à apprécier la sincérité des comptes. Il s'agit d'apprécier si les chiffres sont bons ou pas, c'est plus facile qu'au stade des hypothèses.

Pourquoi y a-t-il des écarts entre le collectif et la fin de l'année ? Le collectif se prépare en septembre ou octobre et il reste un trimestre. L'échéance fiscale de décembre est très lourde (impôt sur les sociétés, T.V.A., taxe professionnelle), nous avons énormément de dépenses pour lesquelles nous ne savons pas ce qui va se passer, comme les dépenses militaires. Des consommations très fortes sont permises et nous constatons qu'elles ne sont pas réalisées. Puis il y a un mois au cours duquel des opérations peuvent encore intervenir, jusqu'au 31 janvier, autrefois c'était le 8 mars. Il reste un long moment et des périodes d'incertitude.

Cet exercice est encore très largement aléatoire. Je rappelle que lorsque l'on a 1 700 milliards de francs de dépenses et 1 500 milliards de francs de recettes fiscales nettes de dégrèvement, pour un total de 3 200 milliards de francs, 1 % d'erreur représente 32 milliards de francs. C'est un exercice qu'aucun comptable dans aucune entreprise ne sait faire.

Il faut s'attacher aux conditions d'une très bonne budgétisation initiale. Plus le budget initial est prudent, plus il comporte des marges de fongibilité dans le respect des droits du Parlement, moins nous sommes obligés de le modifier en cours d'année.

M. le Président .- Je vous remercie. Nous mesurons bien la difficulté qu'il peut y avoir dans la prévision, que les entreprises ont sans doute elles-mêmes des variations plus importantes que celles que vous pouvez constater. On ne devient pas actionnaire comme on devient citoyen d'un pays. On choisit d'être actionnaire, on est dans un pays. On n'arrivera jamais à la perfection, il faut faire en sorte que les chiffres soumis au Parlement soient le plus proche possible de la réalité.

Monsieur le Directeur, je vais vous remercier pour cette longue audition, et pour les informations que vous nous avez données.

Je vais suspendre cinq minutes la séance puisqu'il est 17 h 25, et que nous accueillons M. LEMIERRE à 17 h 30.

(La séance est suspendue à 17 h 25 et reprise à 17 h 30).

Séance du 9 mai 2000

La séance est reprise à 17 h 30 sous la présidence de M. Alain Lambert



Audition de M. Jean LEMIERRE,
Direction du Trésor



M. le Président .- L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean LEMIERRE, directeur du Trésor. Monsieur le directeur, je vous souhaite la bienvenue à la commission des finances du Sénat. Nous siégeons dans le cadre de la mission qui nous a été confiée par le Sénat de recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et de leur exécution.

Nous siégeons avec les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Dans le cadre de la méthode pluraliste qui prévaut dans notre commission, nous avons choisi de nommer autant de rapporteurs qu'il siège de groupes au sein de notre commission : Philippe MARINI (rapporteur général), Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et votre serviteur.

Je rappelle que notre commission doit conserver le secret sur les travaux non publics de celle-ci. Conformément à la loi, je dois indiquer à la personnalité auditionnée, qu'en cas de faux témoignage, elle est passible des peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du Code pénal.

Vous devez prêter serment, dire la vérité, toute la vérité et dire : « Je le jure ».

M. Jean LEMIERRE .- Je le jure.

Deux ou trois remarques liminaires avant une intervention plus substantielle. Vous m'avez adressé un questionnaire la semaine dernière, et je vous ai envoyé ce matin les réponses. Je suis à votre disposition pour toute précision complémentaire ou tout élément supplémentaire que vous souhaiteriez avoir. Nous avons essayé de rendre les réponses aux questions posées les plus précises et les plus complètes possibles.

Pour faciliter l'échange, je ferai une intervention liminaire qui croisera deux approches : que fait la direction du Trésor, quel est son rôle, et, dans le cadre de ses attributions, qu'y a-t-il de marquant en 1999 du point de vue de notre travail ?

Au regard des questions posées, je souhaiterais aborder trois points essentiels figurant parmi les attributions de la direction du Trésor :

- la gestion de la dette ;

- la gestion du compte d'affectation spéciale des privatisations ;

- la gestion ou le suivi d'un ensemble de recettes non fiscales essentiellement au nombre de trois, les recettes provenant de la Caisse des Dépôts, de la CADES et de la COFACE.

Tout d'abord, premier point, la gestion de la dette : la direction du Trésor a la responsabilité d'assurer le refinancement de l'Etat et la gestion de sa trésorerie et de son encours de dette.

Ceci se fait sur la base d'un programme proposé et arrêté par le ministre. A la fin de l'exercice ou dans les premiers jours du nouvel exercice, le programme s'appuie sur le besoin de financement de l'Etat pour l'année à courir, et indique les volumes globaux de nos émissions, le document est public.

Je n'entrerai pas, sauf en cas de question, dans les modalités pratiques de gestion de la dette, mais j'indiquerai les caractéristiques de sa gestion en 1999 : un moindre coût et de moindres encours que prévus initialement.

Le moindre coût se retrace au travers des informations que vous avez : les taux d'intérêt moyens constatés en 1999 par rapport aux prévisions de juillet 1998 pour élaborer le projet de loi de finances pour 1999. Je vous indique d'abord la prévision, puis le constaté par département de financement :

- Pour les BTF, on avait prévu un taux de 4 %, on a constaté 2,74 %.

- Pour les BTAN, la prévision était de 4,3 %, on a constaté 3,55 %.

- Pour les OAT, on avait prévu 5 %, et le taux est de 4,53 %.

La prévision est élaborée selon des modalités que vous connaissez parfaitement, le consensus de marché, ce ne sont pas des chiffres normés en juillet, quand on élabore le projet de loi de finances.

Les taux constatés ont été plus faibles que prévu. Ceci est dû à plusieurs phénomènes, notamment à un afflux de capitaux plus important, et à une baisse des taux d'intérêt partout dans le monde, dont le coût de la charge de financement de l'Etat a bénéficié. C'est ma première remarque.

Le moindre encours : de ce point de vue, l'année 1999 est caractérisée, dès le mois d'août, par le sentiment que les flux de trésorerie dont l'Etat a bénéficié étaient tels que nos indications de besoins de financement seraient probablement réduites.

Cette appréciation s'est faite à partir des flux de trésorerie constatés dans les écritures de l'Etat, et à partir d'un solde budgétaire que nous n'établissons pas. Ceci nous a conduit à proposer et à gérer deux décisions :

- la réduction du programme d'émission des BTF : il y avait davantage d'argent en trésorerie, nous avons réduit nos émissions puisque nous n'en avions pas besoin ; du 31 décembre au 31 décembre, les émissions de BTF se sont réduites de 14 milliards d'euros ;

- la deuxième action entreprise, conformément aux décisions du ministre, est de proposer l'exécution d'opérations de rachat de la dette pour réduire l'encours ; notre rachat de dette s'est élevé à environ 3,5 millions d'euros.

Pour résumer ces deux caractéristiques de cette année 1999 : des taux d'intérêt plus faibles que ceux anticipés, et la prise en compte d'un bon flux de trésorerie lié à l'excellence des recettes fiscales à la fois par la réduction de notre programme de BTF, et par un programme de rachat de dette.

La deuxième mission de la direction du Trésor est la gestion du compte d'affection spéciale des recettes de privatisation. Celui-ci donne lieu à une prévision très souvent modifiée parce que les opérations ne sont pas parfaitement arrêtées en début d'année. L'équilibre se gère à la fin de l'exercice.

Pour 1999, les recettes prévues étaient de 17,5 milliards de francs, nous avons constaté des recettes de 31,2 milliards de francs. Face à celles-ci, une partie présente des caractéristiques tout à fait exceptionnelles, mais cela a été très largement analysé, s'agissant notamment des opérations Thomson ou Aérospatiale, et il y a toute une série de dépenses de dotation en capital d'entreprises publiques. L'exécution se traduit par un solde de 105 millions de francs. On est à l'équilibre.

Une opération particulière est à évoquer, ne figurant pas dans le compte d'affectation spéciale : les recettes de privatisation du Crédit Lyonnais. Elles ont été instantanément utilisées pour réduire l'endettement de l'EPFR qui refinançait le Crédit Lyonnais. Les recettes de privatisation sont remontées à l'EPFR qui les a utilisées pour réduire sa propre dette.

Le troisième point concerne les recettes non fiscales. J'en ai évoqué trois essentielles :

  • - La première, les recettes provenant de la Caisse des Dépôts sont constituées de trois sources :

. la contribution à la Caisse des Dépôts représentative de l'impôt sur les sociétés, celle-ci a été acquittée tout à fait normalement ;

. la deuxième contribution est un dividende versé par la Caisse à l'Etat, fixé de manière prédéterminée au tiers du résultat net consolidé du groupe ; ce dividende est versé annuellement ;

. la troisième contribution est prélevée au titre des fonds d'épargne rémunérant la garantie accordée par l'Etat aux fonds collectés au titre du livret A et de l'épargne populaire. De ce point de vue, l'Etat opère des prélèvements examinés par la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts. Son montant est déterminé par le ministre par décret et inscrit en loi de finances.

  • - Le deuxième prélèvement non fiscal est lié à la CADES. Vous savez qu'elle est soumise à un prélèvement fixé par l'ordonnance du 24 janvier 1996 de 12,5 milliards de francs devant s'exercer jusqu'en 2009. En 1999, un prélèvement de 5 milliards de francs devait être versé ; le ministre des finances a donné instruction de ne pas l'effectuer.
  • - Le troisième point de recettes non fiscales : en loi de finances initiale, un prélèvement de 7 milliards de francs était inscrit au titre de la COFACE. Il a été modifié en loi de finances rectificative, et a été porté à 3 milliards de francs. Le prédécesseur de l'actuel ministre n'a pas opéré ce prélèvement.

Voilà, brièvement résumés, les trois points que je souhaitais évoquer, sous réserve de vos questions, avec les éléments caractéristiques, la dette, le compte d'affectation spéciale et les prélèvements non fiscaux de la responsabilité de la direction du Trésor.

M. le Président .- Merci, Monsieur le directeur.

Je donne la parole à Monsieur le rapporteur général.

M. Philippe MARINI, rapporteur général .- Le premier sujet qui me soucie concerne la coordination direction du Trésor, direction du Budget, en matière de prévisions relatives à l'élaboration et à l'exécution des lois de finances.

Vous le savez, Monsieur le Président, j'étais à une réunion m'empêchant d'assister au début de cette séance, je n'ai donc pas entendu les propos du directeur du Trésor, mais je voudrais qu'il nous dise concrètement quelle est la participation de ses collaborateurs aux réunions permettant :

- d'approcher le niveau des recettes fiscales ou non fiscales d'un exercice déterminé ;

- s'agissant des comptes d'affectation spéciale de la compétence de la direction du Trésor, de connaître le niveau prévisionnel des ressources disponibles dans le cadre de la loi de finances.

Nous connaissons les spécificités de la gestion de la dette de l'Etat, nous savons qu'elle est techniquement très performante, et que ses performances progressent sans doute chaque année, mais nous manquons de points de repère sur les méthodes appliquées, en particulier dans la relation direction du Trésor/direction du Budget, pour définir en prévision, et pour suivre tant les charges financières que le remboursement de la dette.

Le directeur pourrait-il nous rappeler quelles sont les procédures en la matière ? Comment les choses se passent-elles lorsque, en cours d'exercice, et en fonction des événements de marché, des innovations interviennent dans la gestion de la dette ? Quand il y a des opportunités de marché conduisant à transformer tel ou tel élément de la dette, comment les conséquences sur la gestion budgétaire sont-elles identifiées et par quels moyens ?

Enfin, je voudrais interroger le directeur sur tous les aspects concernant les finances publiques liées à l'existence de participations de l'Etat. Ceci concerne, d'une part, l'évaluation des actifs publics qui, pour certains d'entre eux, sont susceptibles de devenir liquides, et, d'autre part, la prévision des remontées de recettes en provenance du secteur public ou des entités dans lesquelles l'Etat a des participations. Comment les informations de la direction du Trésor sont-elles élaborées ? Comment se coordonnent-elles avec celles de la direction du Budget lorsqu'il y a lieu à des transcriptions en loi de finances ?

M. Jean LEMIERRE .- Je vais essayer de répondre de la manière la plus concise aux questions posées.

La première tentative de réponse à la question : quelles sont les relations, quelles sont les responsabilités entre directions du ministère des finances ? La direction du Trésor n'a aucune responsabilité et ne participe pas aux réunions de prévisions de recettes. En revanche, bien entendu, celle-ci participe aux différentes réunions avec le Budget qui arrêtent les charges de la dette, tout ce qui a trait à sa gestion, notamment le compte d'affectation spéciale des recettes de privatisation, et ce qui concerne quelques prélèvements non fiscaux (la Caisse des Dépôts, la COFACE, la CADES), en particulier toute une série d'opérations financières avec des pays étrangers ou des organisations financières internationales, sur lesquelles je peux donner des précisions portant sur des montants de moindre importance retracés tous les ans dans la loi de finances.

Sur la deuxième remarque : de quel type d'informations disposons-nous ? La direction du Trésor dispose d'une information extrêmement importante, les flux de trésorerie enregistrés par l'Etat. C'est de notre responsabilité, nous les suivons et les gérons, notamment le moyen de couvrir le besoin de financement.

Je reviendrai tout à l'heure sur les enseignements que nous pouvons en tirer.

Cette information importante donne lieu à une série d'informations économiques. La direction du Trésor ne dispose pas régulièrement du solde budgétaire. Nous le connaissons lorsqu'il est fait. Nous avons une information sur les flux de trésorerie. A partir de là, je vais revenir sur quelques éléments déjà évoqués.

Sur la dette, quels sont les deux éléments principaux de 1999 ?

Le premier est un constat positif. Les taux constatés sont significativement inférieurs à ceux projetés tels qu'ils pouvaient être appréciés en juillet 1998 par le consensus de marché.

La deuxième caractéristique : en milieu d'année, notre sentiment a été que les flux de trésorerie, pas les soldes budgétaires, étaient élevés. Ils allaient avoir assez rapidement une incidence sur le besoin de financement. Celui-ci est fixé, vous le savez, tout à fait à la fin de l'année précédente, ou au tout début de l'année en cours, par le ministre des finances et par les communications publiques.

La situation que nous pressentions en milieu d'année 1999 était que le besoin de financement de l'Etat serait inférieur, compte tenu des flux constatés. Nous avons proposé, sur décision du ministre, de mener deux actions : réduire ce que nous avions envisagé de faire au titre des BTF ; la trésorerie étant meilleure, nous avions besoin de moins de ressources courtes : nous avons réduit de 14 milliards d'euros du 31 décembre 1998 au 31 décembre 1999. De plus, nous avons proposé et exécuté des opérations de rachat à hauteur d'un peu plus de 3,5 milliards d'euros.

Encore une fois, sur une double considération : la première, les flux de trésorerie, la deuxième, l'accord du ministre.

Ce sont des points importants, notamment les opérations de rachat. En 1999, il y a eu une réflexion tout à fait claire. La gestion de la dette 1999 peut être caractérisée par d'autres éléments, notamment, une nouveauté importante, les émissions d'OATi. Il y a, en permanence à la direction du Trésor, et avec les SVT, des analyses des besoins des investisseurs et les possibilités d'émission de nouveaux produits pour refinancer au meilleur coût.

Nous avons étudié plusieurs hypothèses et, compte tenu de l'intérêt de différents investisseurs, nous avons procédé à l'émission d'OAT indexés sur l'inflation avec un réel succès.

Nos politiques d'émissions sont caractérisées par plusieurs éléments, tous tenant à donner une grande visibilité à la gestion de la dette de l'Etat pour obtenir le meilleur taux possible pour le contribuable :

- la constance et la clarté de la politique : ce que nous ne voulons pas faire, et que nous ne ferons jamais, est de jouer contre le marché. Nous gérons des encours gigantesques sur des durées longues. La manoeuvrabilité n'est pas considérable. Nous devons être prévisibles, visibles, et les investisseurs doivent savoir ce que nous faisons. Quand on est un très petit émetteur, on peut se livrer à toute une série d'opérations, qu'un gros émetteur ne peut pas faire. S'il le faisait, il le paierait dans le temps ;

- accroître en permanence la liquidité de notre papier, outre la sécurité, la qualité du papier, l'investisseur cherche sa liquidité et à ne pas être pris par surprise par le marché. La liquidité est une question fondamentale, d'où nos émissions par référence à une même souche, d'où nos opérations consistant à essayer de ramener certaines émissions sur d'autres pour accroître en permanence les liquidités. Tous les émetteurs souverains se sont engagés dans la même politique.

Pourquoi ne pas basculer brutalement des encours de dette sur du court terme quand le taux court est bon ? Nous ne pratiquons pas cette politique. Nous pouvons le faire à la marge, bien entendu, mais pas de manière massive car nous pourrions être pris à rebours par le marché. Certains grands émetteurs souverains se sont lancés dans ces opérations, notamment l'Américain, et cela lui a coûté extrêmement cher.

La durée moyenne de notre dette est d'environ six ans, six ans et demi, c'est la durée généralement constatée. Un pays a tenté ces dernières années de profiter de taux courts plus faibles, l'Italie, mais elle a redressé la durée moyenne de la maturité de son papier pour cette raison-là.

Basculer beaucoup d'encours sur une durée déterminée, notamment courte, est une approche de très courte vue pouvant être extrêmement dangereuse. On peut se retrouver dans une position où tout ceci peut coûter extrêmement cher.

Nous avons eu des échanges de vues très importants sur les OATi. Il est important de prévoir du provisionnement, et nous avons obtenu qu'il soit réalisé. Cela a été un travail important de discussions par rapport à des produits nouveaux, et des approches budgétaires nouvelles, réalisé l'année dernière pour rendre très sûre la gestion des finances publiques.

Voilà sur la manière dont nous gérons l'ensemble des dispositifs.

M. Philippe MARINI, rapporteur général .- D'autres questions peuvent être posées, celle sur le patrimoine public.

M. Jean LEMIERRE .- Le compte d'affectation spéciale comporte des prévisions en début d'année. Comme vous le savez, chaque année, il y a un écart significatif entre la prévision et l'exécution.

La loi de finances 1999 prévoit 17,5 milliards de francs de recettes pour 31,2 milliards de francs de recettes constatées. L'année 1999 est caractérisée par des opérations exceptionnelles, notamment l'ouverture du capital de France Télécom, pas totalement connue au moment de la présentation de la loi de finances pour 1999. Cette année-là, l'exécution a été marquée par un reversement de 9 milliards de francs à la GGP. Le solde est de 105 millions de francs. L'ensemble des recettes a été réaffecté à des dotations en capital des entreprises publiques.

Un point extrêmement important : car l'EPFR a été utilisé pour son désendettement dans le CAS 1999. Les recettes de privatisation du Crédit Lyonnais ne figurent pas car l'EPFR a été utilisé pour son désendettement.

Nous étions totalement d'accord avec cette approche.

M. le Président .- Merci, Monsieur le directeur.

M. Jacques CHAUMONT .- Monsieur le directeur, le Trésor s'intéresse également à un problème très important, celui du développement. Je crois savoir que, personnellement, cela vous intéresserait encore plus.

Il y a les prêts du Trésor à des pays étrangers, mais également des dons du Trésor. Je voudrais savoir quel était le montant de ces derniers pour 1999 ? Quel est le mécanisme de décision intervenant dans ces dons ? Quelle est la justification de ce mécanisme ? Pourquoi n'apparaîtraient-ils pas plutôt dans le budget des affaires étrangères et de la Coopération ? Ils auraient une plus grande visibilité pour les pays bénéficiaires.

Quelle est l'articulation entre le Fonds monétaire international et le Trésor ? En particulier, comment interviennent les remises de dettes, par exemple à la suite d'un G7 ? Les prêts d'ajustement structurel ? Quels sont les mécanismes que vous avez avec le Fonds monétaire international ?

M. le Président .- Merci. La parole est à Maurice BLIN.

M. Maurice BLIN .- J'ai écouté avec beaucoup d'attention les précisions que vous venez de donner sur vos tâches. Est-il possible d'aller plus avant, et de mieux faire sentir à vos auditeurs l'originalité de votre fonction ?

Sur la gestion de la dette, hormis la masse considérable que vous avez en charge, il semble que vous pourriez, d'autres le font d'ailleurs, gérer l'endettement d'une entreprise, grosse, moyenne ou petite, les mêmes problèmes se poseraient à elle que ceux que vous rencontrez.

Y a-t-il une spécificité donnant à votre tâche un relief particulier la distinguant de toute activité comparable, par exemple, dans le domaine privé à la tête d'une très grande entreprise, comme EDF, publique il est vrai, mais privée également ? Avez-vous un code de conduite particulier vous interdisant de vous comparer à ce qui se fait ailleurs ?

Vous avez évoqué des prélèvements non fiscaux et la Caisse des Dépôts. Il me semble que c'est un peu l'inverse. Quelle est la liberté dont vous disposez ? Quelle est la marge de manoeuvre ? Vous avez dit, compte tenu de la masse des capitaux à gérer, qu'elle était faible, le prélèvement sur la Caisse des Dépôts n'est pas fixé par vous, mais par l'Etat.

Oserais-je dire, sans aucune malice, que dans ces fonctions vous assumez le rôle d'un super comptable. On vous dit que la Caisse des Dépôts devra payer le tiers de ce qu'elle gagne par an, vous appliquez la loi, et vous lui demandez de bien vouloir verser à l'Etat un chiffre de données que vous avez signifié. Quelle est votre marge de décision par rapport au pouvoir politique ?

Concernant la gestion des entreprises nationalisées, parlons de l'industrie et de l'armement où la situation est mauvaise, pour ne pas dire critique. S'il s'agit de recapitaliser le GIAT, l'Etat en décidera, vous appliquerez des règles imposées du dehors en lui accordant tant de dizaines de milliards pour lui permettre de survivre. En d'autres termes, j'essaie de mieux saisir quelle est, non pas la qualité de votre gestion, mais votre marge de manoeuvre et de responsabilité. Face au pouvoir politique, elle me paraît sans doute faible.

M. Roland du LUART .- J'ai été très intéressé par vos propos. J'aimerais vous poser des questions découlant des réflexions venues en vous entendant.

Vous avez évoqué la gestion de la dette à un moindre coût en 1999, pouvons-nous en connaître le montant ? Votre sentiment sur les prévisions de l'an 2000 est qu'avec la remontée des taux d'intérêt le phénomène sera inverse, et qu'il se traduira par un surcoût, peut-on le connaître ?

Vous avez tout à l'heure parlé de la gestion du compte d'affectation spéciale en indiquant que les recettes de privatisation du Crédit Lyonnais avaient été affectées directement à l'établissement de défaisance. Je n'ai pas l'honneur de faire partie de cet établissement, et il serait intéressant de connaître son montant.

Vous avez évoqué le problème de la CADES. J'ai lu avec attention le rapport MIGAUD dans lequel il est bien précisé que, sur les 12,5 milliards de francs prévus en 1999, 5 milliards de francs n'ont pas été appelés sur l'année 1999, mais ont été versés le 8 février 2000, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Quelle en est la justification et quel est le montant des intérêts versés pour ce retard à la CADES pour le différé de règlement ?

M. le Président .- J'en viens à mes questions, Monsieur le Directeur.

Celle de Maurice BLIN à propos de la Caisse des Dépôts m'amène à vous faire la demande suivante : la loi de finances autorise le prélèvement sur la Caisse des Dépôts et Consignations, c'est donc le Parlement. Quand le prélèvement n'est pas effectué, comment juridiquement cette décision s'analyse-t-elle ?

Quels sont le rôle et le statut de France Trésor ? Pourquoi cette structure a-t-elle été créée ? En quoi sa création a-t-elle apporté des améliorations dans la gestion de la dette de l'Etat ?

Vous nous avez rappelé comment était composée la dette publique, dette financière, mais aussi désengagement de l'Etat : retraite, épargne logement, garanties accordées aux entreprises publiques. Où en est le travail d'évaluation de tous ces montants ? Avez-vous des chiffres à nous citer ?

Vous nous avez indiqué que la réduction de la charge de la dette avait été une aide précieuse pour contenir l'augmentation des dépenses, avez-vous une idée de l'évolution au cours de l'année 2000, voire de l'année 2001 ?

Enfin, j'ai noté que vous ne participiez pas aux travaux de prévisions des autres directions, en revanche, vous informez naturellement le ministre en matière de prévisions de charges de la dette. Je vous remercie de nous dire à quel moment vous adressez ces prévisions et sous quelle forme sont-elles transmises ?

M. Jean LEMIERRE .- Sur l'ensemble du dispositif relatif au financement du développement, le sujet est extrêmement complexe car il couvre énormément de rubriques. Globalement, les crédits se retrouvent au budget des charges communes, et pour partie au budget des affaires étrangères sur un certain nombre d'opérations.

Sur le mécanisme de décision, ce sont des discussions de conférences budgétaires traditionnelles entre la direction du Budget, le Trésor, le ministère des affaires étrangères. Les décisions sont prises selon la mécanique habituelle par le ministre des finances, les membres du gouvernement, et tranchées par le Premier ministre.

La répartition entre budget des charges communes et des affaires étrangères tient à la nature des opérations, notamment, il y a des opérations de prêts avec des charges en capital et en intérêt passant au budget des charges communes.

Sur les relations entre le FMI et le Trésor, s'agissant de la dette, il y a deux questions différentes :

- vous avez évoqué les décisions prises en G7 : les décisions d'annulation de dettes sont bilatérales ; elles sont examinées par le FMI et par des décisions des créanciers du Club de Paris. Elles impactent le budget de l'Etat avec des mécanismes sur les dividendes ou indirectes quand on renonce au capital. Cela concerne le budget de l'Etat au regard de chacune des créances qu'il a sur les pays concernés ;

- les formes multilatérales concernent le FMI et certains mécanismes communautaires de niveau européen avec une série de mécanismes complexes, notamment ceux relatifs au SCA2, la réévaluation du stock d'or.

Ces questions étant très complexes, je peux reprendre tout ceci dans un document écrit, et faire une fiche. Si vous souhaitez voir l'impact financier de l'ensemble des décisions prises sur 1999, nous pouvons vous l'établir très facilement.

Le montant relatif au Crédit Lyonnais est de 33 milliards de francs.

Sur la CADES, le ministre a décidé de reporter les 5 milliards de francs. Ce versement n'a été fait ni au titre de 1999 ni à celui de la période complémentaire, il n'y a pas eu d'intérêt.

Sur la gestion de notre dette, je pense que la spécificité essentielle est la taille de ses encours. On ne trouve pas d'émetteurs privés de la dimension d'un émetteur souverain comme la France. A la différence d'un émetteur privé, nous avons un avantage, la solidité du crédit français. C'est évident. Les taux d'intérêt dont « bénéficie » le papier souverain français est meilleur grâce à la grande qualité du risque français.

Bien entendu, nous bénéficions de ceci. La taille de notre dette, et le fait que nous devons assurer dans le temps le meilleur taux possible, nous oblige à respecter des règles, que nous communiquons au marché et auxquelles nous tenons. Il est évident qu'il y a une immense compétition entre émetteurs souverains. La création de l'euro a accru la compétition. C'est une bonne chose.

De la compétition naissent des taux plus faibles, ce que nous recherchons. Il a fallu apparaître comme plus performants. L'évolution caractéristique de l'année 1999 est une ouverture internationale beaucoup plus grande de la dette française, davantage portée par des non-résidents qu'antérieurement.

Nous nous rapprochons de l'habitude allemande, et ceci est important. Cela signifie que d'autres capitaux que les capitaux français refinancent la dette française, ce que nous pouvons souhaiter.

Les grands émetteurs privés sont obligés de faire la même chose, une grande visibilité, une grande clarté des engagements, et les grands émetteurs privés doivent faire de même s'ils veulent inspirer confiance. La spécificité est la taille, nous devons la respecter.

Sur la Caisse des Dépôts, vous avez raison, pour le prélèvement du tiers, la règle a été fixée, il n'y a pas d'éléments d'appréciation.

Un autre point important concerne le prélèvement opéré sur la Caisse des Dépôts au titre du fonds d'épargne, il est suivi par la Commission de surveillance et donne lieu à des discussions annuelles avec celle-ci. On a introduit beaucoup de clarté avec la Caisse des Dépôts et la Commission de surveillance, notamment de provisionnement du risque, de création de fonds de garantie. Pour l'année 1999, par exemple, la loi de finances fixait le montant qui devait être prélevé à 17 milliards de francs.

Sur les décisions prises, en 1998, on avait une prévision de prélèvements pour 1999 de 17 milliards de francs sur les fonds d'épargne. Ce chiffre a été repris en loi de finances initiale 1999, et au total 7 milliards de francs n'ont pas été prélevés. Techniquement, les chiffres sont inscrits en loi de finances, et les prélèvements sont opérés par voie de décret.

Bien entendu, il y a un débat extrêmement compliqué sur l'ensemble des opérations 1999 sur la Caisse des Dépôts et les 7 milliards de francs. En 1999, les taux de marché ont commencé à remonter, la Caisse des Dépôts a attiré notre attention sur les excédents extrêmement importants pouvant être affectés par leur remontée.

Un certain nombre de réformes comptables ont été introduites pour mieux protéger les fonds d'épargne. Les résultats de prévisions des fonds d'épargne intégraient des plus-values extrêmement élevées sur les OPE en cours de réalisation, notamment ELF et les opérations bancaires, qui ont fait apparaître des profits exceptionnels avec une incertitude sur leur réalisation connue tardivement.

Sur les entreprises nationales, vous avez raison, Monsieur BLIN, les prévisions sont réalisées à partir peut-être des programmes de privatisation envisagés par le gouvernement. Les résultats ont été plus élevés en 1999 car le volume des opérations était plus important que prévu, cela a été à peu près identique en 1998. Des opérations extrêmement lourdes ont été réalisées en cours d'année. Les propositions d'affectation sont préparées par la direction du Trésor qui fait des propositions, discutées avec la direction du Budget, et arrêtées par le ministre.

Sur le moindre coût 1999, la charge de la dette prévue initialement dans le projet de loi de finances était de 237 milliards de francs, la charge réalisée de 227 milliards de francs, soit 10 milliards de francs de moins.

Pour l'année 2000, il est encore un peu tôt pour corriger et avoir une estimation précise, savoir s'il faut introduire une correction et de quelle ampleur elle doit être. De fait, nous constatons plutôt une remontée des taux.

M. Roland du LUART .- Le ministre de l'économie a dit qu'il était préoccupé par la remontée des taux, et que cela aurait une incidence différente. Vous avez fait 10 milliards de francs de mieux, de quel ordre est-ce, 5 milliards de francs ?

M. Jean LEMIERRE .- C'est l'ordre d'évolution que l'on peut avoir.

Les prévisions de taux d'intérêt sont faites sur la base des analyses de la direction du Trésor mais nous nous appuyons sur le consensus des analystes de marché. Nous ne faisons pas uniquement référence à nos propres estimations, mais, surtout, nous reprenons les analyses de marché pour voir ce qu'ils anticipent comme évolution des taux d'intérêt ; nous comparons les approches.

Cette discussion a lieu avec la direction du Budget, à qui nous expliquons la manière dont nous apprécions les évolutions de taux d'intérêt ; elles sont soumises au ministre comme tout élément relatif au projet de la loi de finances.

Sur la Caisse des Dépôts, j'ai peut-être répondu par avance. Des décrets permettent d'opérer les prélèvements.

L'appellation France Trésor n'implique pas de modification de nature statutaire. France Trésor est une équipe de la direction du Trésor qui, dans son organigramme, s'appelle le Bureau 1 de la direction du Trésor.

Nous lui avons donné une appellation pour deux raisons :

- la première parce que nous avons réalisé une réforme en rapprochant les éléments de conception et d'exécution des travaux matériels de gestion de la dette à tous les éléments de front-office à tous ceux de back-office. Pour exprimer le fait d'avoir réuni l'ensemble des éléments épars, notamment ceux gérés par la direction de la Comptabilité publique, nous avons souhaité lui donner un nom clair d'équipe ;

- la deuxième est une raison de présentation au marché en ayant une présentation plus claire, homogène, sur l'ensemble des documents, dans le cadre de la compétition extrêmement vive que j'ai décrite : French Tresories, en français, France Trésor. C'est extrêmement important à l'égard du marché.

J'ai répondu aux questions relatives à la charge de la dette. Elles sont effectuées par la direction du Trésor, en reprenant le consensus de marché.

M. le Président .- A quel moment, envoyez-vous cette prévision ?

M. Jean LEMIERRE .- Les chiffres sont arrêtés en juillet.

M. le Président .- Il y a une note ?

M. Jean LEMIERRE .- Nous transmettons ceci sous forme de note à la direction du Budget et au ministre.

M. le Président .- Avez-vous d'autres questions ?

M. Jean LEMIERRE .- Le directeur du Trésor demande si nous avons besoin d'informations complémentaires. Il a noté une demande. Je vous ferai passer les compléments d'information par courrier. Je peux vous donner les dates auxquelles nous transmettons nos prévisions sur les taux d'intérêt.

M. le Président .- Je vous remercie. La séance est suspendue.

(La séance est suspendue à 18 h 25 et reprise à 18 h 35.)

Séance du 9 mai 2000

La séance est reprise à 18 h 35 sous la présidence de M. Alain Lambert

Audition de MM. Jacques BONNET et Philippe NASSE,
Président de Chambre honoraire et Conseiller-maître à la Cour des Comptes

M. le Président .- L'ordre du jour appelle l'audition de Messieurs Jacques BONNET et Philippe NASSE. Je vous souhaite la bienvenue à la commission des finances.

Comme vous le savez, nous siégeons titulaires des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour une mission confiée par le Sénat, chargée de recueillir les éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.

Nous avons choisi de mener nos travaux avec une méthode pluraliste nous ayant conduit à désigner un nombre de rapporteurs correspondant au nombre de groupes siégeant à notre assemblée. Ont été nommés rapporteurs : Philippe MARINI (rapporteur général), Roland du LUART, Bernard ANGELS, André VALLET, Paul LORIDANT et votre serviteur.

Je rappelle à la commission, comme aux personnalités auditionnées, que le secret doit être conservé sur les travaux non publics de notre commission. Nous sommes dans ce cadre. Je dois rappeler aux personnalités auditionnées qu'en cas de faux témoignage la personne est passible des peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du code pénal.

Je vais vous demander de prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite, et de dire : « Je le jure ».

M. Jacques BONNET .- Je le jure.

M. Philippe NASSE .- Je le jure.

M. le Président .- Je vais, comme nous le faisons pour toutes les personnalités auditionnées, vous donner la parole pour un propos introductif, et vous répondrez aux questions du rapporteur général, et à la commission.

M. Jacques BONNET .- Avec l'accord de mon collègue Philippe NASSE, je vais vous donner quelques propos introductifs.

La mission qui nous avait été confiée par le Premier ministre était de dresser un tableau de la situation financière de l'Etat, des collectivités locales et des organismes de protection sociale en juin 1997, et d'en tirer des prévisions sur les réalisations probables à la fin de 1997, en l'absence de toute mesure correctrice prise en cette période.

Le délai imparti pour réaliser le travail était extrêmement court, et je pense que cela intéresse votre commission. Le problème qui s'est posé a été de trouver des matériaux suffisamment indépendants pour nous permettre de nous faire une opinion qui ne soit pas le strict reflet de celle des services intéressés.

A cette fin, nous avons utilisé plusieurs procédés : nous avons entendu un certain nombre de personnalités, par exemple, les dirigeants des principales caisses de sécurité sociale et le directeur de l'ACCOSS, le directeur du Budget et ses collaborateurs et le directeur du Trésor.

Pour nous faire une idée de l'état de l'exécution du budget en juin 1997, nous avons également convoqué et entendu les principaux contrôleurs financiers, des plus importants ministères dépensiers, pour savoir si, de leur point de vue, des dérapages significatifs avaient été notés, en particulier s'ils étaient anormaux par rapport à ceux constatés les années précédentes, ou si ces écarts entre l'exécution de la loi de finances et les prévisions contenues étaient de nature relativement traditionnelle. La réponse a été que ces écarts étaient traditionnels.

A supposer que les directions du ministère de l'économie et des finances aient souhaité nous présenter une vision correspondant à leurs préoccupations propres plus qu'à l'état réel de la situation, nous avons bénéficié du fait qu'elles étaient contradictoires, et qu'il nous était possible d'essayer de trouver, sinon un juste milieu, du moins un juste équilibre entre celles-ci.

La direction du Budget souhaitait que nous présentions au gouvernement la situation la plus noire possible, de manière à dresser un barrage contre les tentations dépensières que la direction du Budget imagine à chaque changement de gouvernement.

Changement de ton complet à la direction du Trésor qui souhaitait le contraire : elle désirait que nous présentions une situation aussi proche que possible sinon de l'équilibre, du moins des critères de convergence de Maastricht, et du besoin de financement des administrations publiques, parce qu'elle redoutait les conséquences internationales d'une annonce trop mauvaise de la situation budgétaire de la France, ses conséquences sur le prix de l'argent et sur le coût du financement du déficit de l'Etat.

Nous avions donc deux préoccupations contradictoires des deux principales directions du ministère de l'économie et des finances. Pour la direction générale des impôts, nous avons eu des documents assez bien faits, tirés de la réunion dite d'arbitrage, donnant des indications précises et vraisemblables sur la situation des recettes.

Est-ce à dire pour autant que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qu'en juin 1997, c'était un jeu d'enfant de savoir ce qui allait se passer au 31 décembre ? La réponse est non. La raison majeure n'est pas la mauvaise volonté supposée des services, mais l'extraordinaire complexité des systèmes financiers, l'insuffisance notoire des instruments de mesure dont nous disposions et notre système comptable.

Il s'agit d'un système de comptabilité de caisse, qui ferait rougir les épiciers de province, et quant aux comptes des organismes sociaux, pour avoir l'apparence d'être un peu plus élaborés, les réunir ensemble, sans trous ou double emploi, a occupé une partie non négligeable de notre temps et celui de nos interlocuteurs. Ils n'avaient pas les réponses immédiates aux questions que nous nous posions, même lorsqu'elles portaient sur 10 milliards de francs, ce qui est un ordre de grandeur raisonnable, quand on s'occupe des finances publiques.

En 1997, le fait majeur est que l'Etat ne disposait pas de documents ou de méthodes permettant avec une grande précision de prévoir l'exécution du budget dans les six mois suivants. Est-ce à dire que c'était impossible ? Cela serait de ma part malhonnête et prétentieux, car nos prévisions se sont révélées à peu près justes. Je ne veux pas avoir l'air de dire que nous avons réussi là où personne n'aurait réussi à démêler l'« indémêlable ». Ce n'est pas vrai.

Il est de fait, lorsque l'on cherche à faire des prévisions, que l'on se trouve devant des insuffisances comptables, devant des boîtes noires. Pour n'en citer qu'une, la boîte ODAC (organismes divers d'administration centrale), dans laquelle il y a tout, de l'université au Commissariat à l'énergie atomique et des organismes divers, est complètement noire. Personne n'est capable d'apprécier de façon convenable l'évolution de cette boîte dans les six mois qui suivent.

Nous avons aussi une boîte noire pour les collectivités locales. Les événements nous ont été favorables. Le compte des collectivités locales était prévu en excédent, il nous avait un peu intrigué, nous nous sommes demandés s'il était solide. Nous l'avons pris faute de trouver rapidement quelque chose de plus solide. Bien nous en a pris, à un milliard près, les comptes d'exécution ont été conformes aux prévisions. Peut-être est-ce un heureux hasard ? Mais cela se s'est passé ainsi. Les prévisions faites concernant les organismes de sécurité sociale se sont révélé à peu près justes.

Pour l'Etat, il y a eu un écart important entre les prévisions faites et les réalisations. Il n'est pas à porter à notre passif, dans la mesure où l'écart entre ce que nous avions prévu, une fourchette comprise entre 3,5 et 3,7 % du PIB, comme mesure des besoins de financement des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, nous sommes arrivés à 3 %.

Cet écart s'explique presque exclusivement par une conjoncture plus favorable que celle prévue par l'INSEE, avec l'effet sur les recettes correspondantes, et il a tenu aux mesures correctrices prises par le gouvernement à la suite de notre rapport, se traduisant par un supplément de recettes non négligeable.

En tenant compte de ces deux éléments, notre prévision était à peu près correcte. Sachant qu'un dixième de point de PIB représentait 8 milliards de francs, se tromper d'une telle somme quand les masses mesurées sont de l'ordre de 4 000 milliards de francs, ce n'est tout de même pas si mal, et c'est un ordre de précision raisonnable.

Je crois que la philosophie que M. NASSE et moi-même avons tirée de cette mission est qu'il n'y avait volonté ni de dissimuler ni de tromper, mais des instruments traditionnels très insuffisants, très lents, pour avoir une vue vraiment satisfaisante de l'évolution des finances publiques.

J'ajoute, et ce sera mon mot de conclusion, qu'il en est des finances publiques comme des finances des entreprises. En dedans d'une certaine limite, on peut faire du résultat, sinon ce que l'on veut, du moins ce que l'on souhaite.

Si vous prenez l'exemple d'entreprises privées, au changement de président, le compte se dégrade en l'espace d'une nuit de manière à faire apparaître que le successeur prend une succession lourde, et qu'il lui appartient de redresser la situation. C'est arrivé à M. Tchuruk chez Alcatel, à M. Fox quand il a pris la succession de M. Calvet.

Concernant l'Etat, c'est identique. Même en respectant strictement les règles de la comptabilité publique, il est possible de faire varier les soldes dans des proportions pas tout à fait négligeables, et permettant dans les nuances de gris d'avoir celle à la mode lorsque l'on présente les comptes de l'Etat.

M. le Président .- Merci, Monsieur le Président.

M. Philippe NASSE .- Un seul mot parce que le Président Bonnet a très bien résumé l'opération. Je confirme tout à fait son propos. J'ai gardé le souvenir d'une opération difficile, non pas en raison de la mauvaise volonté des services, qui ont collaboré très sincèrement à notre mission, mais du fait de la réelle très mauvaise qualité et de l'information disponible.

M. le Président .- Merci beaucoup.

M. Philippe MARINI, Rapporteur Général .- J'ai deux questions à poser à Messieurs Bonnet et Nasse.

La première concerne les moyens d'information qu'ils ont pu consulter au sein de l'administration. Peuvent-ils nous dire aujourd'hui s'ils considèrent que les deux gouvernements successifs de l'époque ont été correctement et sincèrement informés de la situation réelle des finances publiques ?

Leur semble-t-il, après avoir collationné les différentes notes internes, en particulier celles de la direction du Budget, que ces informations étaient suffisamment claires, cohérentes, pour permettre au gouvernement sortant et à celui entrant de piloter les finances publiques avec la certitude nécessaire ?

En deuxième lieu, s'agissant plus précisément des recettes, ont-ils un jugement à formuler sur la nature et l'élaboration des informations au sein de l'administration des finances, sur leur coordination au sein des différentes directions tendant à estimer, puis à réestimer en cours d'exercice, le niveau des recettes fiscales et non fiscales ?

A l'intérieur de cette question, je voudrais les interroger sur les phénomènes de chevauchement d'exercices, bien que leur mission soit intervenue en milieu d'année, mais peut-être se sont-ils posé la question de l'ouverture de la gestion sur laquelle ils travaillaient, et ont-ils regardé les questions d'imputation ?

Leur semble-t-il que ces questions soient réglées par des méthodes suffisamment certaines, formalisées, permettant aux autorités politiques et au travers de l'information délivrée au Parlement de se faire une opinion sur la sincérité des documents financiers de l'Etat ?

M. Jacques BONNET .- Concernant les recettes, nous avons eu l'impression que, d'une part, la sincérité des états donnés ne faisait pas de doute, et, d'autre part, que le ministre avait la totalité des renseignements dont l'administration disposait au moment où ont lieu les arbitrages. Il n'y a pas de doute.

En revanche, si vous vous souvenez des débats de cette époque-là, la complexité de la réglementation, les effets du marché unique, et enfin un certain nombre de difficultés informatiques, ont fait qu'il y avait toute une série de débats sur la T.V.A., sur ses apparitions et ses disparitions portant sur des sommes non négligeables dont on s'expliquait mal l'origine.

Cela rejoint le propos de M. NASSE de tout à l'heure ou le mien, on avait affaire non pas à une difficulté liée à la volonté d'orienter le jugement du ministre dans un sens plutôt que dans un autre, mais à une difficulté réelle. Je crois que ce débat a disparu. A cette époque, l'estimation des recettes de la T.V.A. faisait apparaître une certaine incertitude.

Cette même raison explique qu'il y a chaque année des surprises très agréables, quelquefois moins agréables sur l'impôt sur les sociétés. Compte tenu du décalage entre l'établissement de l'assiette et l'encaissement de l'impôt, on a parfois des surprises en voyant apparaître des plus-values alors qu'on ne s'y attendait pas ou des moins-values que l'on n'espérait pas avoir.

Ces difficultés techniques tenant aux complexités de la réglementation et aux incidences du marché unique doivent être surmontables.

Nous n'avons eu l'impression ni de documents biaisés, ni de documents de mauvaise qualité. Les documents que nous avions, dont M. Nasse et moi-même avons laissé un exemplaire à la commission, nous ont paru plutôt bien faits.

Je serais moins affirmatif concernant les recettes non fiscales. Il y a davantage d'incertitudes.

Le rapport de la Cour fait un couplet sur cet intéressant sujet, qui chaque année mérite des développements, qui ne sont pas originaux, mais relativement éclairants.

En 1997, je trouve que l'administration éclairait le ministre comme elle le pouvait, sur la situation financière avec tous les inconvénients indiqués par M. Nasse et moi-même, et qui sont dans notre rapport.

Il est traditionnel, et ce n'est pas à vous, Monsieur le Sénateur, que je l'apprendrai, que la direction du Budget pratique plus volontiers l'apocalypse que le vaudeville. Il est clair que ces notes sont toujours marquées d'un certain catastrophisme.

L'année en cours est bien pire que l'année précédente et bien moins mauvaise que la suivante. Il ne nous est pas apparu de manques. L'administration met à la disposition du ministre ce qu'elle a, et c'était d'une qualité tout de même assez médiocre pour 1997.

M. le Président .- Merci.

M. Philippe NASSE .- Il faut bien séparer le problème des recettes fiscales et non fiscales qui est complètement différent. J'ai passé une trentaine d'années au ministère des finances, je le connais assez bien.

Il y a une procédure très bien rôdée pour estimer le produit des recettes fiscales. Elle tombe en défaut sur deux points : l'impôt sur les sociétés, qui n'est pas prévisible compte tenu de la façon dont il est perçu, et les remboursements de T.V.A. dépendant du rythme des remboursements opérés en direction d'une centaine de grosses entreprises.

Ce rythme, lié à des problèmes informatiques, est irrégulier et perturbe la prévision. A ces deux difficultés près, le système est relativement bien rôdé.

Pour les recettes non fiscales, la marge d'interprétation, les possibilités de choix sont beaucoup plus ouvertes, et prévoir les recettes non fiscales est tout à fait délicat.

C'est le même problème que celui de l'imputation d'exercice tant qu'on sera en compte de caisse : c'est-à-dire des comptes abandonnés par le système économique, dans le courant du quatorzième siècle, les premiers à avoir pris un système de comptabilité, en droit constaté, étant les marchands vénitiens.

Nous continuons de faire fonctionner une partie de notre comptabilité publique selon les comptes de caisse, et ceci ouvre une possibilité de variation aléatoire dans les imputations d'exercice.

Sur le début de votre question : le gouvernement est-il correctement informé ? A l'évidence, je dois répondre non car l'information de base est mauvaise. Est-il informé de façon non sincère ? Les personnes chargées de l'informer font-elles au mieux ou pas avec cette information de mauvaise qualité ?

Je crois qu'il faut reconnaître que l'information est de mauvaise qualité pour toutes les raisons expliquées par M. Bonnet, mais que les services essaient de faire au mieux avec.

J'ai vu souvent se produire des erreurs de prévisions lourdes dans un sens comme dans l'autre. Quand on est tombé en récession, à la fin 1992, on a eu des révisions à la baisse massive les unes après les autres décrivant une situation à peu près inverse de celle que la conjoncture d'aujourd'hui nous réserve.

Les prévisionnistes des finances courent après les événements plutôt qu'ils ne les précèdent. Quand il y a de violentes inflexions conjoncturelles, le système fonctionne mal. Quand la conjoncture ne change pas trop de rythme, la prévision des recettes fiscales est relativement bonne.

M. Roland du LUART .- Il est très intéressant d'entendre M. le Président Bonnet et M. Nasse car nous sommes un certain nombre qui, à l'époque, étaient en relation étroite avec le ministre de l'économie et des finances. Une note a amené une certaine panique à la fois au ministère, à Matignon et à l'Elysée, et a entraîné la dissolution. Une réunion de conjoncture montrait bien qu'il existait des problèmes.

En vous écoutant, comme on joue sur des masses énormes, en compte d'exécution, si l'on a plus ou moins 1 %, on est à plus ou moins 30 milliards de francs. On se rend bien compte qu'il est extrêmement difficile d'être très précis. A l'époque, le problème était d'une autre ampleur.

Concernant l'évolution des dépenses, les analyses des contrôleurs financiers sont-elles divergentes ou non des bureaux de Bercy ? Nous, rapporteurs spéciaux, devons prendre nos renseignements pour notre travail auprès des budgétaires du ministère. Faut-il plus le faire auprès des contrôleurs financiers ou des chefs de bureau de Bercy ?

Pour avoir une bonne appréhension de la matière à traiter, à quelle porte s'adresser ?

M. Philippe NASSE .- Sur cette question de l'information des contrôleurs financiers ou du bureau de Bercy, ce n'est pas la même information ni la même nature. Les bureaux de Bercy essaient d'avoir une information synthétique prenant en compte l'ensemble du domaine qu'ils sont chargés de surveiller. Par construction, un contrôleur financier sait ce qui se passe dans son secteur. Il peut percevoir le rythme instantané de la dépense, il n'a aucun moyen d'opérer des prévisions ou d'avoir un jugement économique plus global autre que son opinion personnelle.

J'ai eu le sentiment qu'il faut essayer de conforter les informations issues de ces deux sources, et pas de les opposer.

Nous avions essayé d'avoir une vue globale à partir de l'opinion des bureaux, et nous avions interrogé les contrôleurs financiers pour percevoir si le dérapage des dépenses dont on parlait dans les bureaux était perçu comme plus ou moins intense que la normale. Tous les ans, on parle d'un dérapage de dépenses. La vraie question est de savoir si cela dérape plus que naturel ou dans les limites habituelles. Un contrôleur financier peut avoir une certaine perception de cela.

Les informations procédant de ces deux sources n'ont pas la même nature, et c'est à l'explorateur hardi d'en faire la synthèse.

M. le Président .- Merci.

J'ai quelques questions à vous poser. Vous nous indiquez avoir, pour vos travaux, consulté la situation hebdomadaire. Pour nous éviter trop de labeur et de misères, le ministre, pour l'instant, n'a pas trouvé le temps de nous la faire parvenir, au motif qu'elle est lourde à comprendre et à décrypter. Avez-vous eu des difficultés à en analyser la substantifique moëlle ?

Vous évoquez dans votre rapport de l'été 1997, une liste de dépenses et d'économies supplémentaires à réaliser. Cette liste est-elle habituelle ? Qui la rédige ? Qui en est le destinataire ? Dans quelle mesure est-elle prise en considération pour l'exécution de la loi de finances ?

Vous nous avez confirmé ce que nous savons un peu, c'est-à-dire que les grandes directions ont leurs préoccupations, et celles du Trésor ne sont pas celles du Budget. Il y a une sorte de dialogue un peu convenu sur le sujet, et le ministre doit arbitrer à partir de là.

Pensez-vous que ces usages demeurent depuis la qualification pour l'euro, ou pensez-vous qu'ils ont évolué ?

Enfin, une question relative aux autorités européennes : nos finances publiques nationales sont maintenant soumises au regard et à l'appréciation des autorités communautaires, et de nos partenaires de l'euro.

Comment les instances européennes forment-elles leur propre jugement ? Disposent-elles d'éléments complémentaires à celles dont le Parlement français dispose ? Disposent-elles d'éléments tels que ceux dont vous avez disposés en 1997 ?

M. Jacques BONNET .- Nous sommes arrivés à la conclusion que les situations hebdomadaires étaient inutilisables, qu'elles nous apportaient beaucoup de soucis, et en aucune manière des renseignements utiles à la rédaction de notre rapport. Nous en avons eu une collection considérable, nous les avons regardées, laissées de côté, sans pratiquement les utiliser.

Il y a deux éléments concernant la liste des économies à réaliser. D'abord, le Budget considère que l'on constate des écarts, des budgets ne sont pas dépensés, et, globalement, ce sont à peu près les mêmes chaque année, une quinzaine de milliards. Il considère que c'est un acquis qu'il empoche.

Ensuite, il a un certain nombre d'idées pouvant varier d'une année à l'autre sur des économies réalisables ou sur des dépenses dont il apparaît qu'elles ne seront pas réalisées dans l'année, compte tenu des difficultés de procédure. Pendant des années -je ne sais pas si la situation est encore celle-là- les budgets de la ville n'étaient dépensés que dans des proportions tout à fait dérisoires en raison de la complexité extrême du système mis en place. Cela varie d'une année sur l'autre, les montants également.

Sur les divergences entre le Budget et le Trésor, je l'ignore, je ne les ai pas revus depuis.

Sur l'Europe, des organismes internationaux, comme le FMI, ont incontestablement des systèmes de renseignements propres, et qui, à dire le vrai, nous avaient paru assez performants. Nous avions rencontré un expert du FMI qui avait parlé de la situation, et il nous avait paru relativement bien informé sur ces sujets. Comment font-ils ? Je l'ignore.

Sur l'information du gouvernement transmise à l'Europe, des déclarations sont faites par le gouvernement français chaque année aux autorités communautaires. La Cour des comptes a eu beaucoup de difficultés à en avoir communication. On nous dit qu'elles sont terriblement secrètes, et que nous serions à l'origine de graves catastrophes si nous en étions destinataires. Ayant eu tant de mal, je ne sais pas ce qu'il y a dedans, je n'ai pas d'opinion.

M. Philippe NASSE .- Monsieur le Président, sur l'utilisation de la situation hebdomadaire, je n'ai pas de commentaires supplémentaires. Il est navrant de voir que la fonction de reporting mise en place, la situation hebdomadaire, n'est pas utilisable pour des raisons sur lesquelles on pourrait disserter à l'infini.

J'ai retrouvé la liste des dépenses établie par le Budget, je l'ai mise dans le dossier. Vous pourrez constater que c'est un inventaire d'éléments tout à fait divers et variés, et, du côté des recettes, on retombe sur la question des recettes non fiscales. Il y a là un peu de possibilités, de choix et de place pour l'imagination budgétaire.

Sur les préoccupations des grandes directions de Bercy, c'était le cas en 1997, mais il vous appartient de vérifier si c'est toujours le cas en 2000.

Je peux être un peu plus précis sur l'information des autorités européennes ou internationales car j'ai eu professionnellement à connaître ce sujet. Il y a trois autorités internationales : le FMI, l'OCDE et Bruxelles.

Le FMI a un système d'information fondé sur une grande pratique de la discrétion. Il a des contacts réguliers avec les administrations, il est sincèrement mis au courant d'énormément de choses. Il y a la certitude dans les administrations nationales qu'il ne fera jamais de fuites, d'histoires, et n'ira pas se targuer d'une information non publique reçue. Il est bien informé en contrepartie de sa très grande discrétion.

L'OCDE rend public tout ce qu'elle sait. La problématique est différente. Sa technique est d'entretenir au contraire un petit groupe d'experts spécialisés sur chaque pays, et de l'utiliser pour soumettre les fonctionnaires nationaux à des interrogatoires extrêmement serrés, et à procéder, environ une fois par an, à l'examen collectif annuel du pays, où la situation économique d'un pays est regardée à la loupe.

Pour avoir autrefois dirigé la délégation française devant se soumettre à cet examen, c'est un vrai examen dont on ressort épuisé. Ils sont bons, ils connaissent bien les sujets, et ils s'informent simplement parce qu'ils font cet effort.

La situation est un peu différente à Bruxelles. L'information macro-économique de Bruxelles est reprise de l'OCDE car ils ne font pas le même effort pour s'informer sur la situation des pays. En revanche, les innombrables comités bruxellois donnent accès à des informations pouvant être plus ou moins privilégiées en contrepartie de la discrétion dans leur utilisation.

M. le Président .- Avez-vous d'autres questions ?

Je ne résiste pas à vous faire part d'un sentiment. Le constat que vous avez été amené à faire en 1997 est au fond assez sévère sur le système d'information dont dispose l'exécutif pour prendre ses décisions. Avez-vous, de votre côté, des avis sur des mesures qui pourraient être mises en oeuvre afin de l'améliorer ?

Vous est-il arrivé de connaître la manière dont les choses fonctionnaient dans d'autres pays, afin de voir si des méthodes pouvaient être importées chez nous ?

Avez-vous un sentiment sur la période différente que nous venons de traverser, où les recettes fiscales ont été très supérieures à celles anticipées, et portées à la connaissance du Parlement avec beaucoup de retard ?

Quel est votre sentiment par rapport à votre expérience acquise en 1997 ?

M. Jacques BONNET .- Sur la dernière partie de votre question, je pense que, traditionnellement, et pour des raisons de prudence, Bercy a tendance à sous-estimer légèrement le montant des recettes attendues, même si les prévisions conjoncturelles sont bonnes.

C'est une première source de légère sous-estimation des recettes, par prudence. Le souci majeur de la direction du Budget est d'éviter de se laisser aller à faire progresser la dépense dans des conditions inconsidérées, dramatiques si la situation se retournait.

Je crois que les prévisionnistes ont un peu sous-estimé la croissance pour des raisons tout à fait estimables. On continue à réviser la croissance attendue, mécaniquement, ceci s'est traduit par une sous-estimation des recettes.

Ce n'est que progressivement que l'on a fait les ajustements. M. NASSE y faisait allusion tout à l'heure, je n'ai pas d'expérience directe, il s'est passé la même chose qu'en 1993, mais dans l'autre sens. Alors que l'on avait pris conscience par à-coups successifs de l'ampleur du ralentissement auquel nous avions affaire, autant par à-coups successifs on a pris conscience que la croissance se révélait plus forte que prévue. Probablement, cela explique ces retards dans la réévaluation des recettes.

Concernant les réformes à entreprendre, il faudrait avoir un système comptable tenant à peu près la route, que cela ressemble à une vraie comptabilité en droit constaté, et que les différents éléments constituant les finances publiques puissent s'agréger les uns dans les autres dans des conditions raisonnables.

La Comptabilité nationale le fait avec un certain retard. On devrait pouvoir arriver à consolider les comptes publics alors qu'aujourd'hui c'est du domaine de l'impossible. Ce n'est pas raisonnable, ni convenable.

Il me semble que, plus l'Etat fait compliqué, plus il aura du mal à connaître exactement sa situation, et celle des innombrables collectivités qui l'entourent. Si l'on se refuse à simplifier les législations, les réglementations, la constellation d'organismes publics, cela sera toujours compliqué. Il y aura toujours place pour des incertitudes et des aberrations.

C'est un peu dans ce sens qu'il faudrait aller, mais j'ose à peine le dire, tellement je suis sûr d'être bien mort et enterré avant que la situation n'ait évolué dans des proportions sensibles.

M. le Président .- Restons optimistes !

M. Philippe NASSE .- Sur la troisième partie de votre question, la situation actuelle du reporting fiscal, je ne connais pas le dossier, je n'ai pas d'opinion.

En revanche, sur la connexion entre le problème de la mauvaise qualité de l'information sur les comptes publics, la connexion entre cela, et l'organisation même du système étatique, je crois qu'il y a beaucoup d'informations non pas d'exemples ou de modèles, mais d'informations à prendre dans les expériences étrangères.

La réforme de l'Etat - mot familier qu'il faudrait vraiment préciser - recouvre une multitude de facettes, de choses différentes, compliquées, couvrant une superficie étendue. Parmi celles-ci, il y a une information sur le système public.

Ma conviction, peut-être, mais je me sépare du Président Bonnet, est que l'ensemble des réformes forme un tout, et que l'on peut faire des efforts pour améliorer les comptes publics. Cela ne peut pas aller loin, non pas parce qu'on n'aurait pas la volonté de faire des efforts, ni qu'on ne serait pas assez persévérant, si cela n'est pas inclus dans un projet plus cohérent, plus étendu, plus consistant.

Plusieurs exemples étrangers le montrent, à commencer par celui des Etats-Unis. Leur Président a dû taper du point sur la table en disant que l'information fournie était de mauvaise qualité, et a demandé à son système comptable de faire des efforts et de transformer les comptes en droit constaté.

Le GAO américain, l'équivalent de la Cour des Comptes, a vu arriver un rapport fort compliqué sur la transformation des comptes américains, et il a été rejeté parce que les Américains ont essayé de plaquer sur une situation « administrativo-budgétaro-financière », restée à l'identique, un nouveau système de comptes, sans faire aucune réforme sur le fond. Et ce nouveau système de compte ne fonctionne pas. Les comptes sont le reflet de ce que l'on compte, et la mauvaise qualité de nos comptes est probablement le reflet d'une mauvaise qualité plus profonde dans ce que nous faisons.

Je vous donne ma réponse, je pense que la réforme du système d'information ne peut pas être menée comme un objet en soi, seul, sans toucher à beaucoup d'autres éléments.

M. Jacques BONNET .- Nous ne sommes pas en désaccord.

M. le Président .- Merci beaucoup de la qualité de vos réponses faisant la qualité de cette audition.

Je rappelle à mes collègues que nous nous retrouverons demain à 10 h 00, et à 15 h 00, pour poursuivre nos travaux d'auditions, et l'examen des rapports soumis.

Merci encore. La séance est levée.

La séance est levée à 19 h 25.

Séance du 10 mai 2000
La séance est ouverte à 10 heures sous la présidence de M. Alain Lambert

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