Serge WOLIKOW - Historien

Mon intervention peut sembler paradoxale puisqu'elle concerne le parti communiste dans la campagne électorale de l'élection présidentielle de décembre 1965 dans le cadre de laquelle il n'a pas présenté de candidat. Pour autant j'essaierai de montrer qu'on ne peut ignorer son rôle si l'on veut comprendre aussi bien la dynamique de la campagne que l'élection elle-même. Certaines forces politiques, dans la SFIO et le MRP, avaient engagé de longue date cette campagne, autour notamment de la candidature de Mr X devenue celle de Gaston DEFFERRE qui finalement renonce en juin 1965. En revanche, le PCF ne présente pas de candidat lors de cette première élection présidentielle au suffrage universel. Vu d'aujourd'hui, on sait que dans le contexte institutionnel de la V e république, toute force politique qui, pour une raison ou une autre, n'est pas présente dans cette élection risque la marginalisation. Depuis cette époque l'élection présidentielle apparaît primordiale et structurante du champ politique. Mais précisément, il faut éviter l'anachronisme en transposant notre savoir actuel sur cette période marquée par la mise en place d'un nouveau système électoral. Le paradoxe de la situation semble accru puisque le PCF est en 1965 la première force politique électorale de la gauche qui pourtant n'a pas de candidat ! Ce qui nous intéresse principalement ici ce n'est pas tellement de savoir pourquoi le PCF n'a pas présenté de candidat mais comment, malgré cette absence, il a pesé sur le déroulement de la campagne voire le résultat lui-même à travers son activité durant la période.

On rappellera successivement la situation du PCF, sa stratégie et sa tactique, depuis son 17 e Congrès en 1964 puis les conditions dans lesquelles il apporte son soutien à la candidature de François MITTERRAND, durant l'été 1965. On verra ensuite comment la direction du parti mobilise l'organisation en faisant face aux résistances suscitées par le soutien à la candidature MITTERRAND. Enfin on envisagera l'impact de ce choix sur le résultat électoral et au-delà sur le PCF lui-même comme sur la gauche dans son ensemble. Pour ce faire on dispose de sources et de recherches enrichies et renouvelées ces dernières années. Le livre de référence de Jean VIREUX sur Waldeck ROCHET, l'accessibilité aux archives de la direction du PCF 23 ( * ) .

La prise de position du PCF lors de la première élection présidentielle procède à la fois d'une histoire longue du parti mais aussi d'une évolution récente. Le PCF n'a cessé de dénoncer depuis 1958 le pouvoir personnel exercé par le chef de l'État dans le cadre de la nouvelle constitution. En 1962 il appelle à voter contre la réforme constitutionnelle instaurant l'élection du Président au suffrage universel. Globalement le Parti communiste conserve une importante assise électorale qu'il a réussi à stabiliser lors des élections législatives de 1962. Mais, en dépit de certains rapprochements circonstanciels avec la SFIO à l'occasion de ces élections, le PCF reste isolé sur la scène politique. Lors de son 17 e Congrès en mai 1964, Maurice THOREZ, quelques mois avant son décès, laisse la place à Waldeck ROCHET devenu le nouveau secrétaire général. Celui-ci s'emploie à sortir le parti de son isolement et s'efforce de le faire évoluer alors qu'une partie importante de l'équipe dirigeante reste réticente devant toute inflexion réformatrice. Pourtant le PCF qui s'attache à brandir l'étendard de l'union contre le pouvoir gaulliste doit faire face à l'entreprise politique de Gaston DEFFERRE qui, avec l'appui journalistique de l'Express, annonce sa candidature soutenue par un groupement de forces politiques, de type 3 e force avec les deux références à l'antigaullisme et à l'anticommunisme. Le PCF, dès 1964, s'emploie à torpiller ce projet en associant la perspective de l'élection présidentielle et l'union avec les autres forces de gauches autour d'un programme commun. Il reproche tout à la fois à DEFFERRE d'accepter en bloc la Constitution et de se refuser à tout accord avec les communistes tout en travaillant à la formation d'une grande fédération entre la SFIO et le MRP. Dans ces conditions le parti communiste laisse planer le doute sur le dépôt de sa candidature. Des intellectuels dans la mouvance communiste, du PSU et des clubs, s'inquiètent de l'impasse et mettent en place un comité sous la présidence de Jean VILAR en faveur d'une candidature unique de la gauche. Le PCF, après les élections municipales de mars 1965, où il a engagé des rapprochements avec diverses forces de gauche, ne cesse de dénoncer la candidature Deferre et s'adresse à la direction du parti socialiste pour qu'il la désavoue en laissant entendre la possibilité d'une candidature communiste au cas où un il n'y aurait pas d'accord avec les communistes. Or Les sondages de l'IFOP au cours de la période montrent qu'une candidature communiste pourrait recueillir 10 % des suffrages ne laissant à Gaston DEFFERRE dans cette hypothèse que 13 %. 24 ( * ) Ces estimations aussi bien que les oppositions internes dans la SFIO à l'alliance avec le MRP conduisent Gaston DEFFERRE à renoncer. Dès lors la voie semble libre à d'autres candidatures. C'est dans ce contexte que l'intervention, discrète sinon secrète de la direction du PCF va jouer un rôle en faveur de la candidature de François MITTERRAND. Alors que d'autres étaient envisagées, après que MENDES-FRANCE ce soit refusé à jouer le jeu des institutions, restaient Paul FAURE, Daniel MAYER ou François MITTERRAND auquel Waldeck ROCHET apporte de fait son soutien. Après diverses prises de contact assurées par l'avocat Jules BORKER c'est le secrétaire général du PCF qui rencontre le responsable de l'UDSR. René PIQUET, ancien membre du Bureau Politique, reconnaît aujourd'hui que des contacts officieux ont été noués en dehors de la direction du part :

« Des contacts officieux ont été noués en dehors de la direction du parti communiste par l'entremise de l'avocat Jules BORKER. Je précise ici que, pour moi, il est logique qu'un leader politique, un responsable de parti, avant d'engager son parti, et même ses organismes de direction, en faveur de telle ou telle orientation, puisse prendre des contacts, qu'il sollicite des avis à titre personnel en tant que secrétaire général. Mais il est un fait que nous n'avons discuté au bureau politique, et ensuite au comité central, que lorsque la candidature MITTERRAND est devenue possible, après que celle de Daniel MEYER ait été écartée, que MENDES-FRANCE renonce, comme Maurice FAURE, etc. » 25 ( * ) .... Le 8 septembre encore le secrétariat du PCF au lendemain de la conférence de presse de de GAULLE trace la ligne de conduite du parti sans mentionner explicitement les contacts engagés depuis plusieurs mois puisque la consigne en direction du parti est la suivante : « suivre les discussions entre les formations politique. Continuer à dénoncer le pouvoir personnel, donner les informations sur les positions des Partis, poursuivre nos efforts pour un candidat commun sur la base d'un programme commun en rappelant que si cela n'aboutissait pas, le Parti communiste présenterait son candidat . » 26 ( * ) . Lorsque François MITTERRAND, annonce, le lendemain, le 9 septembre, sa candidature il annonce qu'il refuse toute négociation sur un programme commun mais qu'il n'a aucune exclusive contre les communistes et il s'efforce, les semaines suivantes, de répondre aux questions posées par le PCF qui formule ainsi des conditions à son soutien. Les instances dirigeantes, secrétariat, bureau politique et comité central du parti, réunies à la fin du mois de septembre vont alors apporter leur accord à la proposition présentée par Waldeck ROCHET 27 ( * ) . Le soutien officiel du PCF apporté le 23 septembre à la candidature de François MITTERRAND est justifié par les convergences entre les propositions du candidat et celle du PCF qui a dû faire de larges compromis sur ses propositions initiales et ses positions sur un programme commun, la critique du Marché commun et du pacte atlantique, notamment. Il reste que désormais le PCF s'engage de manière concrète dans l'appui de cette candidature tout en devant encore apporter des explications au sein de l'organisation où demeurent des interrogations qui d'ailleurs traversent l'organisation des étudiants communistes et certains des milieux intellectuels qui dans le parti avaient milité pour une candidature commune mais qui acceptent difficilement la candidature de MITTERRAND eut égard à son rôle dans la politique algérienne de la IV e République. Ainsi le PCF est-il invité à tenir une ligne qui n'est pas exempte de difficultés sinon de contradictions comme en témoignent les orientations adoptées par le secrétariat le 28 septembre.

« La décision du Comité central pour l'élection présidentielle a créé les conditions pour une candidature unique de la gauche. Cette décision affaiblit un des arguments gaullistes sur la dispersion des forces démocratiques ; elle gêne les tentatives d'opération centriste ; elle est bien accueillie par les masses socialistes et les démocrates ; elle rencontre l'approbation de l'ensemble du Parti, même si quelques camarades qui ne voient pas toujours la grande importance de cette position peuvent hésiter. Dans la campagne électorale du Parti, exposer ses positions et son programme. Bien montrer que les options de MITTERRAND concordent avec un grand nombre de points de notre programme, et faire le nécessaire pour que, partout où cela est possible, des initiatives communes se réalisent dans la campagne. » 28 ( * ) Un plan de propagande est adopté qui prévoit notamment la diffusion du rapport de Waldeck ROCHET à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et l'implication du PCF dans les meetings du candidat.

De fait, lorsque les chercheurs de la fondation nationale des sciences politiques, en 1966, étudient l'effort de propagande du PCF, ils pointent le rôle de la presse communiste, les numéros spéciaux, les ventes de masse qui permettent de diffuser des centaines de milliers d'exemplaires. Quant aux tracts c'est par millions qu'ils sont tirés. Enfin, des centaines de milliers d'affiches sont également éditées. Des meetings communistes sont organisés dont le plus important, le 23 septembre a lieu au Palais des Sports, où devant 8 000 personnes Jeannette THOREZ VERMEERSCH, Paul LAURENT, Guy HERMIER et Waldeck ROCHET appellent à voter François MITTERRAND. Lors des meetings de celui-ci en province, les militants et les élus communistes apportent un concours important à leur succès, - les politistes insistent quelques semaines après les événements sur un engagement sans faille, confirmé aujourd'hui par l'analyse historienne. Ils précisent ainsi « que si certains militants n'étaient guère enthousiastes à l'idée d'idée d'une candidature MITTERRAND, l'appui du parti à François MITTERRAND a été par la suite d'une fidélité et d'un dynamisme à toute épreuve . » 29 ( * )

Si le rôle du PCF dans la candidature de François MITTERRAND a été important il ne faut sans doute pas surestimer ses effets sur le score électoral du premier tour : les 33 % de suffrages exprimés au premier tour ne représentent pas une poussée décisive de la gauche si l'on compare les chiffres à ceux de 1962 et aux sondages préélectoraux de 1964. Une partie de l'électorat populaire votant à gauche aux élections locales a sans doute encore voté de GAULLE. Il reste que la candidature ainsi soutenue a créé une dynamique unitaire et fait grandir l'idée d'un programme commun, ce qui était au centre de la stratégie communiste portée notamment par Waldeck ROCHET. Depuis sa récente accession au secrétariat général du PCF, il souhaitait tout à la fois sortir le parti de son isolement et ouvrir une perspective politique nationale nouvelle. Bon connaisseur du fonctionnement du parti, il met en oeuvre une méthode de direction qui ménage les différentes composantes du parti mais qui en même peut les contourner comme l'atteste les contacts préliminaires pris avec MITTERRAND. Cette orientation se heurte aussi à des difficultés externes manifestées par l'attitude critique des dirigeants soviétiques favorables au statut quo et au maintien en place de de GAULLE. Pour la première fois de son histoire récente le PCF est ainsi amené à s'élever contre des prises de positions de l'Agence Tass et l'instrumentalisation de la politique extérieure de la France dans la campagne électorale. Le PC juge ainsi, je cite : « que le communiqué de l'agence Tass, à la suite de l'annonce de la candidature de de GAULLE, n'était pas juste et que, dans ces conditions, il était utile d'en faire la remarque au PCU » 30 ( * ) . De même il faut relever l'intervention de Waldeck ROCHET contre la politique extérieure gaulliste nonobstant le voyage de COUVE de MURVILLE à Moscou est également l'occasion pour le PCF d'affirmer son attention prioritaire pour ses objectifs politiques nationaux.

Au moment où la campagne s'achève le bureau politique insiste sur les côtés positifs pour le PCF en se félicitant de l'évolution du candidat d'union et en se réjouissant que le PCF ait renforcé son image unitaire, gage de succès futurs. « Considérer l'effort de notre parti pour la candidature d'union démocratique comme très important ; il apparaît comme la force essentiel ce qui l'aidera demain à mieux jouer son rôle unitaire » 31 ( * ) .

Si le rôle du PCF dans l'existence, puis le déroulement et le succès de la candidature MITTERRAND apparaît indéniable on peut évoquer conjointement le rôle de l'élection présidentielle sur le PCF lui-même. Comme l'avait remarqué Olivier DUHAMEL 32 ( * ) en son temps, son implication dans cette élection a marqué une sorte de ralliement de fait à l'élection présidentielle en tant que telle. Il est d'ailleurs remarquable que, dans le cadre des convergences et du compromis avec MITTERRAND, le PCF abandonne à cette occasion l'idée d'une assemblée constituante chargée de refaire la constitution dans son ensemble au profit de l'engagement à supprimer les articles qui permettent l'exercice du pouvoir personnel. Sous la conduite de Waldeck ROCHET, le PCF a inauguré alors une nouvelle ère dans ses relations avec les différentes forces de gauche à travers des débats idéologiques, mais aussi de nombreuses rencontres en vue des prochaines élections législatives et l'édification d'un programme commun. Sans l'expliciter, le PCF amorçait des changements à l'égard desquels une partie de l'appareil du parti et les soviétiques marquaient leurs réticences. Quoi qu'il en soit, l'élection présidentielle de 1965 a été l'occasion pour le PCF de s'engager au moins partiellement sur une voie nouvelle. Dans l'immédiat, il a sans doute contribué de manière paradoxale à la consolidation des institutions mais aussi à la recomposition de la gauche comme force politique alternative au gaullisme.

VIII) Les autres candidatures

* 23 Jean VIGREUX, Waldeck ROCHET, Une biographie politique, 2000, Paris.

Archives du Bureau Politique du PCF, 1944-1994, Sous série 261 J 4 , du Secrétariat (1944-1994), sous série 261 J 5 Archives Départementales de la Seine St Denis, brochures politiques de 1965 en ligne sur le site de la MSH Dijon de l'Université de Bourgogne https://pandor.u-bourgogne.fr.

* 24 Jeanne PIRET, L'opinion publique et l'élection présidentielle, Revue française de Science politique, 1964, n°5 pp 943-951.

* 25 Le point de René PIQUET sur son blog, http://clins-doeil-intempestifs.fr/?page_id=63.

* 26 Secrétariat du PCF, 8 septembre 1965, AD 93 ss série 260 J 4.

* 27 Les raisons du soutien communiste à François MITTERRAND, Rapport de Waldeck ROCHET, Comité central, 23 septembre 1965. Brochure supplément à l'Humanité Dimanche du 26 septembre.https://pandor.u-bourgogne.fr/img-viewer/PK/03PK0192/iipviewer.html?base=mets&monoid=PK-3-1-3-2-2-85&treq=waldeck rochet&

* 28 Secrétariat réunion du 28 septembre 1965

* 29 L'élection présidentielle de décembre 1965, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1970, p 125.

* 30 Secrétariat, 9 novembre 1965.

* 31 Bureau Politique, 25 novembre 1965.

* 32 Olivier DUHAMEL, la gauche et la V e république, Paris, 1980, pp 317-320.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page