M. le président. Par amendement n° 8, Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 1er A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le premier alinéa de l'article L. 120-3 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'existence d'un lien de subordination juridique est incompatible avec la qualité de travailleur indépendant visée au premier alinéa ».
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le dépôt de cet amendement est justifié par la loi Madelin dont parlait Mme le ministre tout à l'heure.
Comme vous n'aurez pas manqué de le remarquer, madame le ministre, le groupe socialiste est particulièrement attaché à cet amendement que vous rencontrez pour la quatrième fois sur ce texte.
Nous sommes en effet très préoccupés des nouvelles formes d'emploi qui se développent depuis plusieurs années à la faveur de la pression que la mutation économique permet d'exercer sur tous ceux qui ont besoin de travailler pour survivre.
Ce sont maintenant des secteurs entiers qui sont gravement touchés, et nous ne pouvons demeurer inertes face à ce scandale. Combien de transporteurs routiers, de coursiers que nous voyons sillonner la capitale ou nos départements, de forestiers, et bien d'autres personnes exerçant un métier comportant un risque sont déclarés en qualité d'artisans, alors qu'ils ne sont en contact, en fait, qu'avec une seule entreprise, leur donneur d'ouvrage régulier et exclusif ! Il n'est pas acceptable, par exemple, que des entreprises de transport licencient leurs chauffeurs pour travailler ensuite avec eux en tant qu'artisans. Les entreprises s'exonèrent ainsi à bon compte des cotisations sociales qu'elles devraient acquitter. C'est encore mieux que les exonérations de charges sociales qui leur ont été consenties, puisque, dans ce cas, plus rien n'est dû.
On sait, par ailleurs, que cette pratique scandaleuse permet de contourner le SMIC en concluant avec les victimes des contrats de caractère léonin. Et je n'évoquerai même pas le respect des horaires de travail légaux ni les obligations qui incombent aux employeurs en matière d'hygiène et de sécurité. Ils ne sont même pas bafoués, puisqu'on s'en est tout simplement débarrassé !
La loi Madelin a permis une aggravation de ces pratiques de faux travail indépendant. Auparavant, l'inspection du travail pouvait demander au juge la requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, puisqu'il lui faut établir l'existence d'un lien de subordination juridique permanent, ce qui est souvent impossible en raison de la précarité de cette main-d'oeuvre.
L'amendement n° 8 tend donc à revenir au principe de réalité : un travailleur indépendant ne peut être en situation de subordination par rapport à une entreprise ; sinon, cela s'appelle du salariat et doit être reconnu comme tel.
Je conclurai, madame le ministre, en disant que nous devons rechercher une application honnête du code du travail afin que celui-ci protège les salariés en droit et en fait. Nous sommes défavorables à tout assouplissement prétexte dans l'avenir. Cela ne conduirait qu'à détériorer un peu plus la situation de toutes celles et de tous ceux qui ont besoin de louer leur capacité de travail pour vivre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Cet amendement me semble satisfait par le second alinéa de l'article L. 120-3 du code du travail, qui est ainsi rédigé : « Toutefois, l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes citées au premier alinéa fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. »
Si cette rédaction est sans doute moins nette que celle qui est proposée par Mme Dieulangard, l'une et l'autre se placent cependant dans une même perspective de contentieux : quelle que soit la rédaction retenue, le lien de subordination juridique devra être prouvé.
En outre, j'observe que l'amendement n° 8 n'a pas de lien direct avec le projet de loi.
La commission émet donc un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 8, et ce pour le motif évoqué très explicitement par M. le rapporteur.
J'ajouterai simplement que la jurisprudence a été constante sur ce sujet et que je ne vois pas quel apport pourrait constituer cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Cet amendement me paraît plus précis que le texte existant. Or, il me semble important de faire preuve de précision en la matière. Je voterai donc l'amendement n° 8.
Je voudrais profiter de cette explication de vote pour dire à quel point je regrette que nous n'ayons pas pu discuter, à l'article précédent, du problème du délai !
M. Jean Delaneau. Il fallait transformer l'amendement en sous-amendement !
Mme Joëlle Dusseau. C'est exact, mon cher collègue !
M. le rapporteur a dit qu'il fallait dix-huit mois pour préparer les employeurs, et Mme le ministre a précisé que, s'il fallait certes faire le plus vite possible, un délai de dix-huit mois devait néanmoins être prévu ! Je crains que nous n'envoyons aux employeurs un autre signal !
Le Sénat, lors de la première lecture, a envoyé une série de signaux aux employeurs, leur expliquant notamment que les propositions initiales étaient trop dures vis-à-vis d'eux et qu'il convenait donc de les édulcorer. Aujourd'hui, sur l'initiative de l'Assemblée nationale qui a modifié le texte qu'elle avait adopté en première lecture, nous continuons dans ce sens, en disant aux employeurs qu'il n'y a pas d'urgence et qu'ils ont dix-huit mois pour appliquer la loi. Un délai de dix-huit mois pour permettre aux employeurs de se préparer à respecter effectivement la loi, très honnêtement, cela me paraît excessif !
M. Jean Chérioux. Je salue ce grand souci du respect de la loi républicaine !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je voterai, tout comme la commission, contre l'amendement n° 8. Je voudrais néanmoins signaler au Gouvernement que la généralisation de faux travailleurs indépendants risque de poser un problème dans le fonctionnement de beaucoup d'organisations.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Par conséquent, comme l'a dit M. le rapporteur, il convient d'appliquer le texte existant, et il n'est pas nécessaire d'en voter un autre.
Mais il y a un véritable problème dans un certain nombre d'entreprises où l'on essaie de jouer entre le statut de salarié et celui de travailleur indépendant. Il faut donc, madame le ministre, que vous examiniez cette question.
Je voudrais enfin dire quelques mots sur le signal envoyé aux entreprises. Dans la discussion de ce texte, nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste se comportent un peu comme ces prêtres qui, à la messe, adressent des remontrances à l'assistance sous prétexte de s'adresser aux personnes absentes ! (Sourires.) Le projet de loi dont nous discutons est effectivement un texte sérieux, qui permettra de resserrer le dispositif législatif. Mais ce n'est pas une raison, sous prétexte de traquer les entreprises qui auraient, de temps en temps, quelques difficultés avec la législation (Mmes Dieulangard et Dusseau protestent), pour compliquer les formalités et la gestion de toutes les entreprises qui, à l'heure actuelle, font des efforts à nos côtés pour essayer de créer des emplois.
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ne passons pas d'un extrême à l'autre ! Ce texte me paraît raisonnable. Essayons de le voter et de le faire appliquer plutôt que de systématiquement bousculer et modifier toute la réglementation sous prétexte d'obtenir de meilleurs résultats. Le mieux est souvent l'ennemi du bien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 1er BA