Séance du 16 décembre 1999






ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
PAR LES MILITAIRES ÉTRANGERS SERVANT
DANS L'ARMÉE FRANÇAISE

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 104, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant les conditions d'acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers servant dans l'armée française. [Rapport n° 132 (1999-2000).]
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alex Turk, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi parvenant de l'Assemblée nationale et tendant à modifier les conditions d'acquisition de la nationalité française pour les militaires étrangers qui ont été blessés au cours d'opérations de combat ou à l'occasion d'engagements opérationnels.
Il s'agit d'un dispositif spécifique, qui permettra de conférer la nationalité française, par une décision de l'autorité publique et selon un régime différent de celui de la naturalisation, aux étrangers servant sous le drapeau français, en l'occurrence aujourd'hui les légionnaires.
Je précise d'emblée que l'effet pratique de cette disposition sera limité. En effet, actuellement, près de 97 % des demandes sont satisfaites dans un délai avoisinant six mois. Par ailleurs, au cours des onze dernières années, et c'est heureux, seulement, si l'on peut dire, quatre-vingt-deux légionnaires ont été blessés, dont cinquante sont d'origine étrangère, ce qui signifie que la moyenne, si tant est que l'on puisse parler de moyenne en l'occurrence, est de cinq légionnaires par an susceptibles d'être concernés par le texte.
Néanmoins, ce texte a une portée symbolique. De toute façon, rien ne présage l'avenir en la matière et si des conflits devaient survenir ce texte pourrait, hélas ! trouver un regain d'actualité.
La présente proposition de loi est hautement symbolique à un double point de vue.
D'abord, ce texte, d'une certaine manière, s'inscrit dans le processus d'intégration qui est mis en place par la Légion, qui s'efforce, depuis ses origines, d'avoir une politique d'assimilation des étrangers qui rejoignent ses rangs. A cet égard, quelques chiffres sont intéressants. Sur 8 500 candidats, 900 seulement sont retenus après une première sélection. Actuellement, la Légion compte 138 nationalités pour 8 159 hommes. Si le taux moyen de francophones est de 40 %, il est actuellement de l'ordre de 30 % pour le recrutement.
Il est donc nécessaire de mener une politique d'intégration dont l'objectif premier, d'après les représentants de la Légion, est la pratique de la langue. On considère aujourd'hui que cet objectif est atteint puisque, au bout de quatre mois, des soldats qui viennent d'être engagés pratiquent environ 600 mots de notre langue.
De manière plus symbolique encore et s'attachant beaucoup plus au cours de l'histoire, ce texte aurait pour effet, d'une certaine manière, de permettre au législateur d'affirmer solennellement qu'il n'y pas de doute - car il y a eu quelques malentendus sur ce point - quant au degré d'attache de ces personnes avec notre pays. D'une certaine façon, les 38 000 tués depuis la création de la Légion et les 40 000 blessés depuis 1940 créent en quelque sorte un droit pour que ceux qui, aujourd'hui, sont engagés sous nos couleurs puissent bénéficier d'une procédure leur permettant d'acquérir plus facilement la nationalité française.
Cela étant dit, le champ d'application de ce texte est précis mais limité.
Il est précis puisqu'il ne concerne que les légionnaires blessés au cours ou à l'occasion d'engagements opérationnels, ce qui a une signification très précise pour les autorités militaires mais suffisamment large pour répondre à notre préoccupation puisqu'il s'agit à la fois des interventions qui ont lieu à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières, dans le cadre de véritables engagements armés ou lorsque la légion est engagée dans des opérations humanitaires ou au titre du plan Vigipirate. On peut donc dire que, de ce point de vue, toutes les hypothèses sont envisagées. Est bien entendu exclu le cas d'un légionnaire qui serait blessé lors d'un accident complètement détachable d'un engagement opérationnel. A cet égard, il appartiendra au ministre de procéder à la vérification nécessaire.
La procédure est simplifiée, puisqu'il s'agit d'une acquisition quasi automatique de la nationalité dans la mesure où il suffit qu'une proposition soit formulée par le ministre de la défense. Cela a suscité quelques réflexions de notre part. Nous avons toutefois admis ce point de vue dans la mesure où le représentant du Gouvernement doit pouvoir vérifier que le légionnaire concerné a été blessé dans des conditions permettant à celui-ci de bénéficier de cette procédure. La nature de la blessure et les circonstances de la survenance de celle-ci doivent être conformes à ce que nous attendons.
Enfin, il est précisé que les enfants sont, bien sûr, concernés. Il s'agit, d'une part, des enfants mineurs qui résident avec le légionnaire au jour de la blessure et qui bénéficieront ipso facto du même régime au titre de l'effet collectif. Il s'agit, d'autre part, des enfants du légionnaire décédé, qui pourraient se substituer à lui pour engager la procédure.
Par ailleurs, le champ d'application de ce texte est limité. Cela me conduit à évoquer une autre question qui, en réalité, me semble être de même nature. Le champ d'application est limité car ce texte ne vise que le présent et l'avenir. En effet, seuls sont concernés les légionnaires « engagés », c'est-à-dire engagés au moment où ils effectuent la demande d'acquisition de la nationalité française. Cela conduit, indépendamment de ce texte - mais nous devons saisir l'occasion de l'examen de celui-ci pour le faire devant vous, monsieur le secrétaire d'Etat - à poser le problème du passé. En effet, nous sommes autant redevables du passé sur ce point.
Comme vous le savez, une autre proposition de loi, émanant de M. Pelchat, avait été déposée dans cet esprit. Celle-ci n'est pas soumise à la discussion aujourd'hui, mais nous l'examinerons sans doute dans quelque temps. Aussi n'est-il pas inutile de préparer le débat futur. Il s'agit non seulement de tous les anciens légionnaires qui ont été blessés au service de la France, mais aussi de l'ensemble des combattants qui ont servi sous les couleurs françaises dans les différents conflits depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour donner un ordre d'idée, il est bon de rappeler que dans l'armée du maréchal Juin comme dans l'armée du maréchal de Lattre les deux tiers ou les trois cinquièmes des combattants étaient originaires de l'ensemble de l'empire, tout au moins des pays issus de la décolonisation tels que nous les définissons aujourd'hui. Ainsi, 40 % des combattants à Bir Hakeim et 60 % de ceux qui sont morts sous les couleurs françaises pendant la Seconde Guerre mondiale étaient originaires de l'empire.
A cet égard, nous considérons que la France a une dette. Il s'agit, bien sûr, d'un cas de figure un peu particulier car plus nous attendons, plus le problème sera facile à résoudre. En effet, par définition, la plupart de ces anciens combattants ont un âge tel que, si nous repoussons le moment d'assumer notre dette morale envers eux, cette dette sera, d'une certaine façon, éteinte d'elle-même, mais nous n'en serons pas plus fiers pour autant.
En effet, quelle est la situation qui est réservée aujourd'hui à tous ceux qui ont combattu pour nous permettre de rester libres ? Elle est difficilement admissible sur le plan matériel et particulièrement choquante sur le plan moral.
Sur le plan matériel, je rappelle que nous sommes confrontés au mur de ce l'on appelle la « cristallisation » des pensions. En effet, s'agissant des trois types de pensions possibles, à savoir la retraite du combattant, les pensions d'invalidité et la pension militaire de retraite pour ceux qui ont servi pendant plus de quinze ans, l'ensemble des taux sont gelés depuis la décolonisation. Cela signifie, pour prendre le seul exemple de la retraite du combattant, que, aujourd'hui, un ancien combattant issu d'un pays d'Asie du Sud-Est touche 100 francs par an, alors qu'un Français perçoit 2 600 francs et un Marocain quelque 300 francs. Il suffit d'appliquer cette proportion pour avoir une idée de ce que cela peut représenter pour des pensions d'invalidité qui, par définition, sont plus importantes. Donc, on voit bien dans quelle situation sont les intéressés.
De plus, se pose le problème de la fragilité juridique de ce dispositif. En effet, depuis 1989, tant le comité des droits de l'homme de l'ONU que certains commissaires du gouvernement du Conseil d'Etat ou la cour administrative d'appel de Paris se sont demandé s'il était légitime, en tout cas légal, que nous maintenions une telle différence, fondée non pas sur des services rendus, mais uniquement sur la nationalité de la personne.
De ce point de vue, une responsabilité morale nous incombe, et l'occasion nous est donnée aujourd'hui d'en faire mention. Cette responsabilité morale existe également en ce qui concerne le problème de la nationalité. Je ne reprendrai pas le détail, qui est extrêmement complexe, de l'évolution du statut en matière de nationalité pour ces personnes depuis l'origine, de 1946 en passant par 1960 puis les lois de 1973 et 1993. Aujourd'hui, leur situation est complexe, parfois disparate et, assez souvent, kafkaïenne. En effet, ces personnes sont soumises à un régime qui a été rendu de plus en plus difficile pour elles. On a progressivement fermé la porte jusqu'en 1993. Ainsi, certaines personnes qui auraient souhaité garder la nationalité française l'ont perdue sans vraiment le savoir et l'ont appris de manière fortuite. Certaines demandes de réintégration sont systématiquement rejetées dans la mesure où elles ne satisfont pas la condition de l'obligation de résidence, qui est le sens général de notre législation sur ce point depuis une trentaine d'années.
Aussi, dans quelques semaines, nous nous interrogerons sur l'opportunité de maintenir en dehors du dispositif tous ces anciens combattants dont la plupart sont âgés de plus de soixante-dix ans et qui souhaitent tout simplement avoir la possibilité d'être reconnus Français, effectivement de manière exceptionnelle car cela est contraire à la jurisprudence et à notre législation, le fondement étant le seul fait que, à un moment donné, la nation française a eu besoin d'eux.
S'agissant des conséquences matérielles, et donc financières, qui pourraient en résulter, je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour vous demander de bien vouloir faire une évaluation la plus précise possible en la matière, afin que, à l'occasion du débat qui interviendra sur la proposition de loi de M. Pelchat, vous puissiez nous apporter tous les éléments nécessaires, et donc éclairer nos collègues.
Quoi qu'il en soit, s'agissant du texte que nous examinons aujourd'hui et qui concerne les légionnaires, je vous demande, mes chers collègues, de l'adopter conforme, c'est-à-dire tel qu'il nous est parvenu de l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec fierté que, dans les années soixante, le médecin appelé du contingent affecté en Algérie que j'étais a eu la possibilité de vivre auprès des légionnaires. Cela me permet de témoigner des situations qu'un médecin militaire est appelé à rencontrer en temps de guerre, tout particulièrement au côté de légionnaires.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-François Picheral. Mon expérience m'a permis de découvrir qu'il s'agit pour eux d'un engagement au cours duquel, tout en se familiarisant avec notre langue, ils sont appelés à affronter des situations extrêmement dangereuses avec, pour seul devise, « honneur et fidélité ».
Les récits de toutes les guerres qui ont jalonné notre histoire font état de bataillons et de régiments étrangers. Cette pratique remonte à la guerre de Cent Ans ; les premières unités, composées de soldats étrangers engagés par contrat à servir le roi, ont été constituées à cette occasion. L'histoire retient la phrase de Choiseul qui, en 1762, a réformé et modernisé l'armée royale, expliquant qu'un soldat étranger équivaut à trois soldats français : un soldat enlevé à l'ennemi, un soldat gagné pour l'armée française et un soldat français épargné.
A la différence des troupes étrangères de l'Ancien Régime, constituées de bataillons ou de régiments de même nationalité, la Légion étrangère, créée le 10 mars 1831 par une ordonnance de Louis-Philippe, adopte rapidement le principe de l'amalgame des nationalités dans les unités. Cet « amalgame » est resté, depuis, un principe de base de cette organisation.
Toutefois, ce n'est pas simplement le caractère particulier de toutes les nationalités « amalgamées » dans ses rangs qui va faire de la Légion une troupe spéciale ; c'est surtout le fait que ces hommes, venus des quatre coins du monde pour les motifs les plus divers, n'aient rien, à l'origine, pour les souder entre eux : ils n'ont, au tout début de leur engagement, aucun idéal commun, aucun caractère commun. Et c'est là qu'intervient ce que l'on a appelé le « mystère » de la Légion. En effet, l'homme qui a rompu avec son passé, avec son cadre familial, va reporter sur la Légion son idéal et ses affections déçues, sacrifiant ainsi tout à sa nouvelle patrie, la France.
Aujourd'hui, la Légion comprend 8 200 hommes, dont 350 officiers, et regroupe des ressortissants de 138 pays, les francophones ne représentant que 42 % de l'effectif total.
J'en viens à la proposition de loi proprement dite.
Lorsque Mme Guigou m'a reçu, le 8 septembre dernier, en compagnie de M. Marceau Long, ancien vice-président du Conseil d'Etat, elle nous a exprimé tout l'intérêt qu'elle attachait à nos nouvelles propositions et a immédiatement fait procéder à l'étude de cette procédure en corrélation avec ses collègues Alain Richard et Martine Aubry.
La volonté des auteurs de cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans nos traditions républicaines d'exprimer la reconnaissance concrète et légitime de la France aux militaires étrangers, notamment aux légionnaires qui ont versé leur sang au service des engagements opérationnels plus récents à l'occasion desquels la France a mis en oeuvre, seule ou avec ses alliés, des unités des armées afin de faire prévaloir le droit international.
Actuellement - M. le rapporteur, que je remercie de son intervention, l'a d'ailleurs fort bien indiqué - les légionnaires étrangers souhaitant obtenir la nationalité française bénéficient d'une procédure simplifiée : ils sont en effet dispensés de la condition de stage de cinq ans en France prévue par le droit commun. Ils doivent donc, au moment de l'acquisition, justifier de la résidence en France, de leur assimilation à la communauté française, avoir « bonne vie et moeurs » et ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation visée à l'article 21-23 du code civil.
Depuis 1997, la procédure d'acquisition de la nationalité française par les légionnaires a été centralisée au commandement de la Légion étrangère à Aubagne, ce qui a eu pour conséquence de réduire les délais de traitement. Les dossiers font l'objet d'une préinstruction par le commandement de la Légion, qui vérifie les capacités d'intégration des demandeurs et leur maîtrise de la langue française. Les délais d'obtention de la nationalité française pour les légionnaires sont, en moyenne, de quatre mois à six mois, ce qui est nettement inférieur à la moyenne nationale, qui est environ de deux ans. Par ailleurs, la quasi-totalité des demandes font l'objet d'une décision favorable.
Toutefois, la naturalisation n'est pas un droit, elle peut toujours être refusée, et les délais de traitement pourraient, dans les années à venir, se dégrader.
Par ailleurs, la législation actuelle ne dispose pas d'une procédure particulière pour les étrangers blessés au combat. Les propositions qui nous sont soumises tentent de combler cette lacune de notre droit.
La proposition qui est la nôtre, aujourd'hui, reprend, en fait, le texte adopté par l'Assemblée nationale le 30 novembre dernier, sur proposition de nos collègues Mariani, Luca, Goasguen, Cova et Gaïa. Elle tend à accorder la nationalité française, le plus rapidement possible, par décret, sur proposition du ministre de la défense, à tout étranger engagé dans les armées françaises qui a été blessé en mission au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel et qui en fait la demande.
J'ai souhaité, moi aussi, instaurer un filtre afin que l'autorité militaire conserve ses droits et une marge d'appréciation sur la nature de la blessure, les circonstances dans laquelle elle est intervenue et la manière de servir de la personne concernée.
Comme M. le rapporteur l'a indiqué, en cas de décès de l'intéressé, cette procédure sera ouverte à ses enfants mineurs qui, au jour du décès, remplissent les conditions de résidence prévues à l'article 22-1 du code civil.
Mon collègue Michel Pelchat a retiré sa proposition de loi, ce dont je le remercie, car il clarifie ainsi le débat de ce matin. Je tiens à lui faire savoir que je serai à ses côtés, et j'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous lui apporterez votre aide dans ce combat qui est le sien depuis fort longtemps.
La proposition de loi dont nous discutons pourrait être adoptée définitivement aujourd'hui et entrer dans notre droit dès le début de l'an 2000 ; je m'en réjouis par avance.
Ce texte n'a pas l'ambition de régler les situations passées. Il n'a vocation que pour l'avenir.
Cette proposition de loi, qui ne devrait concerner, en fait, que cinq personnes par an, revêt à nos yeux, comme l'a dit tout à l'heure M. le rapporteur, un caractère hautement symbolique pour la France. Je vous demande donc, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale afin que ce texte puisse être appliqué dans les meilleurs délais et que la France fasse ainsi preuve de reconnaissance pour ceux qui la servent avec honneur et fidélité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner une proposition de loi modifiant les conditions d'acquisition de la nationalité française dans un cas bien spécifique : celui des militaires étrangers ayant servi dans l'armée française.
Pour ceux qui ne s'en souviennent pas, vous me permettrez de rappeler que c'est sur l'initiative de notre groupe, par l'intermédiaire d'un amendement présenté par l'amiral Philippe de Gaulle, lors de la discussion sur la réforme du code de la nationalité, qu'a été lancé le débat sur l'octroi de la nationalité française aux légionnaires blessés.
Au mois de septembre dernier s'était installée une polémique entre la Chancellerie, qui souhaitait pouvoir vérifier « le degré d'attachement des légionnaires à la France », et les représentants de la fédération des sociétés d'anciens de la Légion étrangère qui revendiquaient le droit pour le légionnaire blessé d'obtenir la nationalité française de façon quasi automatique, sa carrière militaire témoignant par là même de son attachement.
Cependant, cette demande, tout à fait légitime, s'était heurtée au refus de Mme le garde des sceaux, qui déclarait ceci : « Il n'apparaît pas opportun de créer une distinction supplémentaire entre un mécanisme d'acquisition de plein droit à la suite de blessures et le régime actuel de la naturalisation par décret. (...) Il importe que le Gouvernement conserve une marge d'appréciation afin de vérifier le degré d'attache avec la France de ces personnes. »
Devenir Français par le sang versé ! Cela devrait être un exemple pour chaque personne désireuse d'acquérir la nationalité française. Cela devrait signifier pour chacun de nous qu'être Français c'est avoir certes des droits, mais également des devoirs.
La Légion est une référence. Il n'existe pas un seul pays dans le monde qui ne nous envie ce corps d'élite. Depuis 1831, plus de 35 000 légionnaires ont été tués au combat et plus du double ont été blessés. Nous nous devons donc de leur offrir la reconnaissance du sang versé.
Pour eux, cela représente une juste récompense dontils se montrent fiers et honorés. Le cas du légionnaireNovakowski en est la preuve lorsqu'il répond à M. François Léotard, alors ministre de la défense : « Monsieur le ministre, je ne vous demande rien, je ne vous demande pas de décoration, je ne vous demande pas d'argent : la seule chose que j'aimerais, c'est être Français. »
Même si cela ne concerne que cinq légionnaires par an, la démarche qu'ils effectuent tous est un acte qui ne fait que renforcer et officialiser leur attachement à notre nation. C'est un véritable symbole !
La Légion étrangère ou institution de la deuxième chance, comme certains l'ont appelée, a toujours accueilli des hommes de tous horizons, comme cela a été rappelé tout à l'heure : 138 nationalités sont présentes en son sein. Tous doivent pouvoir devenir des citoyens à part entière.
La Légion, c'est l'école du courage, de la bravoure, de la fidélité. C'est un sentiment de loyauté à une mission de sacrifice. La patrie à laquelle appartiennent ces hommes, liés par la devise legio patria nostra, c'est la France.
Il faut que tout le monde comprenne que ce que nous offrons par la loi aux légionnaires blessés ou à leurs enfants, s'ils sont décédés, représente peu par rapport à ce que la France leur doit.
N'oublions jamais Camerone : le 30 avril 1863, 3 officiers et 62 légionnaires résistèrent toute une journée à 2000 Mexicains ! N'oublions jamais Diên Biên Phu, où 687 légionnaires furent tués et 1 503 blessés. N'oublions jamais Kolwezi : en mai 1975, la Légion étrangère saute sur cette ville pour sauver des Européens menacés par les rebelles katangais ; cinq légionnaires y perdront la vie. Mais depuis, il y a eu aussi la guerre du Golfe, le Rwanda, l'ex-Yougoslavie et le Kosovo. La Légion est toujours présente, même si les médias ont tendance à l'oublier.
Aujourd'hui, comment se déroule la procédure de naturalisation d'un légionnaire ? Selon les informations obtenues auprès du commandement de la Légion, 183 demandes de naturalisation ont été déposées en 1995, 156 en 1996, 276 en 1997, 233 en 1998 et 161 au 1er septembre 1999. Il faut savoir que, en 1998, la Légion étrangère comptait 8 200 hommes, dont 350 officiers. Elle regroupait dix-huit nationalités, les francophones représentant 42 % de l'effectif total.
Les dossiers de naturalisation des candidats font l'objet d'une préinstruction par le commandement de la Légion, qui vérifie les capacités d'intégration des demandeurs et leur maîtrise de la langue française. Une fois les dossiers transmis à la préfecture, les délais d'obtention de la nationalité sont, en moyenne, de cinq mois. Même si ce délai est bien inférieur au délai de droit commun - en moyenne deux ans - la naturalisation n'est jamais de droit, elle peut toujours être refusée, et c'est cela qui, pour nous, est inadmissible.
De plus, la législation actuelle ne prévoit rien en ce qui concerne le légionnaire en mission. C'est une lacune regrettable que vient combler cette proposition de loi. Même si, pour certains, elle ne survient que trop tardivement, il s'agit presque d'une question d'honneur ! En effet, si la France ne le faisait pas, n'aurait-elle pas perdu un peu de cet honneur pour lequel la Légion a combattu ?
La Légion étrangère a toujours captivé l'imagination populaire et fasciné tous les historiens, toutes nationalités confondues.
Aussi me permettrez-vous de citer M. Douglas Porch, professeur d'histoire militaire en Caroline du Sud et à l'école navale des Etats-Unis, à Newport : « Aucun corps n'est entouré d'un tel halo de romanesque, de légende, de mystère... Il n'est pas difficile de découvrir pourquoi la Légion étrangère a toujours été quelque chose d'unique : une force multinationale et polyglotte, composée d'individus fuyant les lois de leur pays ou au bout du rouleau, d'autres voulant pousser leur expérience de la vie jusqu'aux limites de l'endurance et même au-delà, dispersés sur de multiples et lointaines terres qui ont un temps constitué l'empire colonial français... Par beaucoup d'aspects, la Légion est un miroir de la société, une illustration des normes et des valeurs de l'Europe, de l'attitude de la France à l'encontre des étrangers, un lieu où certains hommes pouvaient trouver ce que la vie civile ne pouvait leur procurer... Le plus grand paradoxe de la Légion est peut-être d'avoir réussi à former un corps d'élite à partir d'un matériau considéré comme ingrat... Elle incarne un besoin essentiel de l'âme humaine, la conviction que l'on peut recommencer une vie brisée, que l'on peut connaître une rédemption par le danger et la souffrance... Tant qu'il y aura des hommes pour y croire, la Légion aura un avenir aussi brillant que son passé. »
Avant 1914, le premier étranger engagé dans la Légion fut surnommé le premier « mystérieux ». Alors, en mémoire de tous ces « mystérieux » blessés en mission, pour leurs enfants, pour l'ensemble des légionnaires, le groupe du Rassemblement pour la République du Sénat votera le présent texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souscrit à la proposition de loi qui vous est présentée ce matin et qui a été élaborée et votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Tous les orateurs, notamment M. le rapporteur, que je remercie de son excellent rapport, l'ont dit, il s'agit de marquer un témoignage supplémentaire de respect et de reconnaissance envers la Légion, cette arme qui, dans une armée devenue professionnelle, est non plus l'exception mais l'élément de référence.
Nous pouvons témoigner de l'engagement de la Légion au service de la France. J'étais, au mois d'avril dernier, à Diên Biên Phu pour rendre un hommage à tous nos soldats devant le monument érigé par un légionnaire d'origine allemande. J'étais, il y a moins de huit jours, à Hao, à Mururoa, pour marquer, au nom du Gouvernement, tout le respect et toute la reconnaissance que le pays a envers les légionnaires qui travaillent là-bas, dans des conditions très difficiles, depuis 1963, qui y travaillent encore et qui y travailleront jusqu'au 30 juin prochain, date à laquelle le régiment sera dissous.
Cette reconnaissance de la nation est d'ailleurs inscrite dans le droit à réparation. Le légionnaire, quelle que soit sa nationalité, a exactement les mêmes droits que le soldat français s'il se trouve dans une situation qui relève du code des pensions militaires d'invalidité. En outre, ses droits ne sont pas cristallisés, quelle que soit sa nationalité, contrairement à ceux qu'a évoqués M. le rapporteur.
Il est donc parfaitement légitime que, sans polémique aucune, le Sénat souscrive également, à l'unanimité, à cette proposition de loi.
Lorsque Mme Guigou a répondu à des revendications, ou à une lettre, elle a simplement rappelé le droit qui s'appliquait - et qui s'applique toujours tant que cette proposition de loi n'est pas votée. La marge d'appréciation qu'elle revendiquait, l'Assemblée nationale l'a, en fait, acceptée en reconnaissant au ministre de la défense le droit d'intervenir avant l'attribution de la nationalité. Nous avons donc fait, les uns et les autres, un parcours suffisant pour nous rejoindre autour du principe que nous voulons affirmer unanimement.
M. le rapporteur a évoqué un autre débat, et il est bon, à cet égard, que la proposition de M. Pelchat n'ait pas été débattue, que nous soyons restés centrés sur l'essentiel, à savoir ce texte concernant les légionnaires, l'important étant que l'unanimité se fasse sur le principe du témoignage du respect et de la reconnaissance de la nation envers eux.
Cela n'occulte en rien le débat que nous pourrons avoir sur le problème de la cristallisation des pensions et des retraites accordées aux combattants ayant eu un engagement sous le drapeau tricolore et qui sont aujourd'hui d'une autre nationalité que la nôtre parce que ressortissants de pays souverains.
Les chiffres qui ont été cités font référence à des situations historiquement tranchées. Si nous avons, certes, un devoir moral, il nous faut apprécier les dossiers en tenant compte à la fois du pouvoir d'achat que donnent aujourd'hui les prestations accordées dans les différents pays et des circonstances historiques qui ont conduit à telle ou telle situation.
Quant à l'attribution de la nationalité évoquée dans la proposition de M. Pelchat, je suis prêt à fournir tous les éléments d'appréciation permettant une approche rationnelle du problème. Si cette proposition répond à une préoccupation morale, je dois tout de même à la vérité de dire que le dossier a été traité et résolu à partir de la décolonisation, des possibilités ayant été ouvertes dans notre droit jusqu'en 1973 à ceux qui avaient combattu en ayant la nationalité française, car il faut distinguer entre ceux qui avaient été appelés sous nos drapeaux et qui, à l'époque, étaient de nationalité française - je pense notamment aux Algériens, aux Sénégalais - et ceux qui intervenaient sous le drapeau français tout en étant d'une nationalité autre.
Tout cela, nous devons le prendre en compte, et notamment le fait que l'histoire a progressivement tranché, des opportunités de choix ayant été offertes, je le répète, jusqu'en 1973.
M. Serge Vinçon, à l'instant, a fait allusion au débat qui s'était engagé, en 1998, sur l'amendement déposé par M. Philippe de Gaulle en commission des lois, sous la houlette de M. le président Jacques Larché.
Finalement, devant les arguments de la commission, l'amendement avait, fort justement, me semble-t-il, été retiré. En effet, le problème est beaucoup plus compliqué que celui qui sous-tend le texte qui nous rassemble ce matin.
Je remercie donc M. Pelchat d'avoir retiré son texte pour permettre une expression unanime du Sénat sur cette proposition de loi.
En cet instant, je veux dire combien, au travers de cette proposition de loi, le pays entend témoigner très concrètement son respect et sa reconnaissance pour le courage, le dévouement et l'héroïsme de ces légionnaires, de ces hommes qui se sont engagés au service de la France. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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