SEANCE DU 11 DECEMBRE 2000


M. le président. Par amendement n° II-69, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après l'article 48 unvicies , un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le II de l'article 1635 sexies du code général des impôts est ainsi modifié :
« A. - Le 4° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« S'agissant de la taxe professionnelle acquittée par France Télécom à compter de la date qui sera fixée par la loi de finances pour 2002, les taux applicables aux établissements de cette entreprise sont les taux appliqués pour l'année en cours par l'ensemble des collectivités locales, des établissements publics de coopération intercommunale et des établissements et organismes divers habilités à percevoir le produit de la taxe professionnelle sur le territoire desquels ils sont implantés. »
« B. - Il est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« 6° bis. A compter de la date qui sera fixée par la loi de finances pour 2002, le produit des cotisations afférentes à la taxe professionnelle acquittée par les établissements de France Télécom est, pour moitié, conservé par les collectivités locales, les établissements publics de coopération intercommunale et les établissements et organismes divers habilités à percevoir le produit de la taxe professionnelle sur le territoire desquels ils sont implantés et, pour moitié, versé au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle mentionné à l'article 1648 A bis. »
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'entendais, venant de derrière le banc de la commission, des murmures divers, à propos de l'amendement précédent. Je voudrais quand même rappeler à nos collègues que la commission s'efforce de promouvoir des solutions simples. Là, nous ne touchons pas au fond des choses, mais nous disons qu'il est beaucoup plus logique de procéder par compensation avec les versements dus par la CADES à l'Etat.
Or, que fait le Gouvernement ? Il nous propose la chaîne suivante, sur laquelle je me permets de revenir afin que chacun se pénètre bien de la simplicité du dispositif : l'Etat compense pour 350 millions de francs ; il diminue sa subvention au BAPSA de la même somme ; il affecte 350 millions de francs de produit de la C3S au BAPSA ; il diminue en conséquence de 350 millions de francs les ressources du fonds de solidarité vieillesse et donc réduit de 350 millions les ressources du fonds de réserve pour les retraites !
Premièrement, quand on peut faire simple, pourquoi fait-on aussi compliqué ?
Deuxièmement, pourquoi prélève-t-on 350 millions sur ce fonds de réserve pour les retraites dont on nous a dit par ailleurs monts et merveilles ?
Moi, à force de fréquenter les exploitants agricoles du département de l'Oise, je commence à avoir un peu de bon sens paysan, et j'avoue ne pas m'y retrouver ! (Sourires.)
Ce n'est donc pas du tout pour causer du déplaisir à nos collègues que notre amendement n° II-68 a été présenté !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas pour cela que nous « grognions » ! C'était pour savoir si la question relevait de la première ou de la deuxième partie !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'en viens à l'amendement n° II-69.
Il s'agit d'une vieille affaire, mais qui est importante : la taxe professionnelle de France Télécom. J'espère que nous retrouverons sur ce sujet la belle unanimité qui se dégage parfois ici sur ce genre de sujets.
L'article 48 unvicies du présent projet de loi de finances résume les objectifs d'une réforme de la fiscalité locale de France Télécom. Il faut reconnaître que c'est la première fois ! Après nos pressions successives, après nos prises de position réitérées chaque année, c'est la première fois qu'un article énonce les objectifs à viser en la matière !
Premier objectif : mettre en oeuvre un traitement de droit commun. Bravo !
Deuxième objectif : le développement de la péréquation et le maintien du rôle du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, le FNPTP.
Tout cela ne soulève évidemment aucune objection. Ce sont nos objectifs que le Gouvernement a fait siens, et le Sénat ne peut que s'en réjouir.
La réalisation de ces objectifs doit tenir compte d'une contrainte : les conséquences de la réforme sur le budget de l'Etat. Certes !
Je rappelle cependant que, depuis l'automne 1998, le Sénat a adopté à trois reprises, dont une fois à l'unanimité, un dispositif permettant de concilier ces objectifs et cette contrainte.
Ce dispositif consiste : premièrement, à assujettir les établissements de France Télécom au taux de la taxe professionnelle en vigueur dans la commune d'implantation, donc au même taux que les concurrents de France Télécom ; deuxièmement, à conserver aux collectivités ou structures intercommunales d'implantation la moitié du produit perçu ; troisièmement, à reverser l'autre moitié au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
Sachant qu'aujourd'hui plus de 2 milliards de francs sont déjà versés au FNPTP, le coût pour l'Etat de ce dispositif serait de l'ordre de 4 milliards de francs, soit un montant analogue à celui des dividendes versés en 1999 par France Télécom à l'Etat actionnaire.
Un passage au droit commun intégral coûterait, lui, environ 6 milliards de francs à l'Etat.
Le dispositif que nous proposons prévoit que c'est la loi de finances pour 2002 qui fixera la date d'entrée en vigueur du nouveau régime, de manière à laisser à l'Etat le temps de s'organiser.
Autrement dit, nous sommes favorables à ce que les objectifs soient bien indiqués dans la loi de finances, mais nous estimons qu'il faut aller plus loin et décrire le dispositif vers lequel nous souhaitons tendre, dispositif que, de façon persévérante, le Sénat a déjà adopté par trois fois.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Nous avons eu, lors de la discussion du collectif de printemps, un débat sur la question de l'assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle.
M. le rapporteur général l'a dit, l'objectif est de passer à un régime de droit commun, en faisant toutefois en sorte de respecter un certain nombre de conditions que je rappellerai brièvement.
Il faut d'abord que France Télécom procède à des adaptations en vue de cette évolution, ce qui a déjà nécessité de sa part un lourd travail d'inventaire de ses bases au niveau local.
Il faut ensuite garantir que cette banalisation, favorable aux communes dans lesquelles sont implantés les principaux établissements de France Télécom, ne se fasse pas au détriment des communes moins favorisées qui bénéficient aujourd'hui du FNPTP.
Enfin, il faut trouver un système qui permette de prendre en compte les conséquences budgétaires pour l'Etat des pertes de recettes qu'entraînerait cette normalisation.
Un important travail technique a été réalisé pour évaluer l'impact de cette normalisation. La direction générale des impôts a travaillé avec France Télécom et a procédé à un premier recensement des bases, qui a fait apparaître les chiffres que vous citiez tout à l'heure, monsieur Marini, c'est-à-dire un surcoût pour France Télécom d'environ 1 milliard de francs, une perte de recettes pour l'Etat évaluée à 4 milliards de francs au titre de la taxe professionnelle et une perte de l'ordre de 2 milliards de francs au détriment du FNPTP.
Depuis que ces travaux ont été réalisés, des faits nouveaux sont intervenus puisque France Télécom a filialisé ses activités « annuaires » et « téléphonie mobile ». Il faut donc que de nouvelles simulations soient réalisées et nous y travaillons. S'appuyant sur ces simulations, nous devrons trouver un système qui permette de tenir compte des conséquences de la normalisation, tant sur le plan budgétaire que sur celui des moyens affectés à la péréquation.
Dans ce contexte, le rapport que le Gouvernement s'est engagé à remettre au Parlement avant le 1er juin 2001, conformément à l'article 48 unvicies, apportera tous les éléments permettant à la représentation nationale de se déterminer en toute connaissance de cause dans le cadre de la prochaine loi de finances. Dans ces conditions, je souhaiterais, monsieur Marini, que vous puissiez retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Marini, l'amendement est-il maintenu ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mme le secrétaire d'Etat vient d'apporter un élément supplémentaire qui nous conduit à inviter le Gouvernement à aller encore plus vite.
Vous nous dites, madame le secrétaire d'Etat, que France Télécom a créé des filiales. C'est vrai ! Là où les filiales existent, elles engendrent des bases d'imposition aux conditions de droit commun.
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par conséquent, des inégalités supplémentaires se créent entre les collectivités locales.
Les communes qui ont la chance d'accueillir sur leur territoire des filiales sociétés anonymes de droit commun de France Télécom assujetties dans les conditions de droit commun à la taxe professionnelle sont parfaitement heureuses. Mais celles qui ont les bons vieux établissements de France Télécom société mère continuent à voir l'argent « leur passer sous le nez ».
Mme Hélène Luc. Ça, c'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par conséquent, la situation n'est pas acceptable, en tout cas, elle ne peut pas être durable. Le fait que les filiales se multiplient constitue une incitation supplémentaire à traiter le problème globalement.
L'amendement que je propose, commes les autres années, mes chers collègues, décrit l'architecture d'une solution qui nous conviendrait. Mais, bien entendu, des simulations devront être effectuées.
Cela dit, nous savons bien qu'il faudra trouver le moyen de satisfaire, d'une part, les communes d'implantation et, d'autre part, les bénéficiaires du système de péréquation.
Après avoir nous-mêmes appréhendé cette question de différentes manières et après avoir réalisé différentes études au cours de ces années successives, nous continuons de penser que la solution la plus raisonnable consiste à prévoir une répartition par moitié, comme nous le suggérons dans notre amendement : 50 % aux communes d'implantation et 50 % au dispositif de péréquation. En effet, même si certaines situations locales pourraient conduire à retenir une pondération différente, nous ne voyons pas, à ce stade, la rationalité qu'il y aurait à essayer de trouver une autre proportion entre les deux termes. C'est une question de principe, qu'il faut résoudre sur le plan des principes.
Les simulations sont, certes, nécessaires, mais il ne faut pas que l'arbre cache la forêt et qu'à trop vouloir affiner le dispositif par des études arithmétiques complexes on ne perde de vue l'enjeu, à savoir l'adaptation rapide de France Télécom à une fiscalité inspirée du droit commun. Il y va de l'intérêt de ce groupe !
Cette question est importante du point de vue non seulement du droit communautaire, mais aussi des différents compétiteurs. En effet, nous le savons, France Télécom peut être évincée par d'autres opérateurs qui, eux, sont assujettis à la fiscalité de droit commun. Si une collectivité territoriale a à choisir, elle risque d'accorder une prime à l'opérateur qui lui assure les meilleures conditions et la stabilité de ses recettes fiscales.
Madame le secrétaire d'Etat, il faut avancer rapidement en ce domaine. Pour ma part, je déplore que, depuis 1998, il ait fallu attendre aussi longtemps. En effet, réaliser des études, c'est bien, mais le problème doit être absolument résolu. Il est particulièrement important puisqu'il concerne les finances locales d'un très grand nombre de communes, de structures intercommunales, de départements et de régions.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-69.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. La commission des finances soulève un véritable problème, mais elle ne propose pas nécessairement la meilleure solution.
Les propos tenus par M. le rapporteur général à la fin de son intervention sont exacts et, madame le secrétaire d'Etat, j'aurais mauvaise grâce à critiquer la constance du Gouvernement dans cette affaire dans la mesure où je crois bien être l'auteur du texte initial de 1990,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous l'avez même sous-amendé !
M. Michel Charasse. ... au moment où nous avons réformé les PTT. Par conséquent, je prends ma part de responsabilité dans cette affaire.
Cependant, la situation n'était pas exactement la même qu'aujourd'hui parce que nous n'avions pas d'opérateur privé. Aujourd'hui, nous en avons. Or, les opérateurs privés de téléphone sont imposables dans les conditions de droit commun, comme n'importe quelle entreprise. Vous avez donc, pour la même activité, deux régimes différents : le régime de droit commun, selon lequel les établissements Bouygues, Cégétel et autres sont imposés dans les communes, les départements, etc., comme n'importe quelle entreprise industrielle et commerciale, et le régime dérogatoire au droit commun, qui est applicable à France Télécom. Telle est la situation actuelle !
Madame le secrétaire d'Etat, il faut, d'une manière ou d'une autre, trouver une solution si l'on veut éviter d'être condamné un jour par la Cour européenne pour discrimination et inégalité.
Monsieur le rapporteur général, la solution que vous proposez souffrirait de la même critique, puisque vous maintenez un double régime. Mais, au lieu de prévoir simplement une application des taux commune par commune, vous proposez un système de péréquation.
Vous ne pouvez pas appliquer la péréquation à France Télécom et laisser en dehors de la péréquation Bouygues, Cégétel et compagnie ! Vous avez donc bien un double régime ! Par conséquent, remplacer un double régime - il est apparu au fil du temps puisque, je le rappelle, en 1990 il n'y avait pas d'opérateurs privés - par un autre double régime n'est pas satisfaisant du point de vue du principe d'égalité.
C'est la raison pour laquelle les membres de mon groupe ne voteront pas cet amendement, même si, sur le fond, nous pouvons retrouver des choses qu'il nous est arrivé de dire dans le passé. M. le rapporteur général a de bonnes archives et il peut y trouver certainement les déclarations des uns et des autres. Mais, en l'état, remplacer un régime qui est contraire au principe d'égalité par un autre qui est équivalent - pour d'autres raisons, mais cela revient au même - ce n'est pas la meilleure solution.
Si chacun faisait un effort, on pourrait essayer de se mettre d'accord pour qu'un jour, enfin, on nous propose un régime différent.
Je sais bien que, pour l'Etat, cela représente dix milliards de francs, voire onze milliards de francs...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quatre milliards de francs !
M. Michel Charasse. ... même quatre milliards de francs, ce n'est pas rien ! A l'origine, c'était quatorze milliards de francs, mais, après divers rabotages successifs, nous sommes parvenus à quatre milliards de francs. C'est tout de même quatre milliards de francs ! Ce n'est pas si facile à trouver quand on doit tenir les comptes pour respecter nos engagements européens !
Il faut tout de même trouver une solution, car si nous étions condamnés par Bruxelles, la décision serait prise à chaud, et il vaudrait mieux qu'elle intervienne à froid.
De ce point de vue, la seule vertu que je reconnaitrais à l'amendement de la commission serait de renvoyer le problème à 2002, mais avec une solution qui ne convient pas.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sans vouloir allonger le débat, je souhaite tout de même rappeler que, s'agissant de l'amendement de la commission, nous y avons travaillé ensemble, cher collègue, et, si je ne m'abuse, il est devenu ce qu'il est grâce à un sous-amendement que vous aviez bien voulu présenter.
M. Michel Charasse. C'est ce que je voulais dire tout à l'heure !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit donc bien d'une oeuvre commune !
M. Michel Charasse. Elle a veilli !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes !
Pour ce qui est des opérateurs privés, ils sont régis par le droit commun, bien entendu. Mais peut-on appliquer le droit commun aux établissements de France Télécom sachant que leur répartition sur le territoire résulte de toute une histoire ? Bouygues et autres, eux, se sont impliqués selon les nécessités économiques, comme n'importe quelle entreprise.
M. Michel Charasse. Et si la Commission européenne nous y oblige !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le dispositif actuel, s'il reste inchangé, est plus repréhensible qu'un système qui aurait le mérite de préserver la péréquation, donc les ressources des communes qui ne sont pas directement concernées par des implantations de France Télécom. Je crois que l'Association des maires de France y tenait particulièrement.
Il est vrai qu'il s'agit d'une cote mal taillée.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais il est préférable de prendre une telle décision plutôt que d'être acculé à appliquer le droit commun, ce qui aurait le grand défaut de nous assujettir au libéralisme le plus échevelé, européen, critiquable, destructeur...
M. Gérard Delfau. Bravo !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et je pourrais presque faire l'intervention...
M. Michel Charasse. ... du groupe socialiste !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-69, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 48 unvicies .

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