SEANCE DU 10 OCTOBRE 2002


AMENDEMENT À LA CONVENTION DE BÂLE
SUR LES DÉCHETS DANGEREUX

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 198, 2001-2002) autorisant l'approbation de l'amendement à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination. [Rapport n° 343 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la production d'une quantité croissante de déchets de toutes natures est l'une des caractéristiques de nos sociétés et entraîne un certain nombre de problèmes pour la santé publique et l'environnement.
La mise en décharge, qui reste le mode d'élimination le plus répandu, pose des problèmes en matière de pollution des sols, des eaux superficielles et souterraines, d'émissions de gaz à effet de serre et, directement ou indirectement, en matière de santé humaine. La nature et l'importance de ces problèmes dépendent du type de déchets concernés et de la qualité des techniques de mise en oeuvre utilisées. L'incinération pose d'autres problèmes liés à la pollution atmosphérique - émission de produits toxiques et de métaux lourds - dont la solution est coûteuse.
Le renforcement des politiques de gestion des déchets dans les pays développés au début des années quatre-vingt a entraîné une augmentation significative des coûts d'élimination des déchets dangereux. Ce phénomène a conduit certains éliminateurs à se débarrasser de leurs déchets dangereux dans des pays de l'Est ou en développement, dans des conditions désastreuses pour la santé et l'environnement.
La mise au jour de ces pratiques a amené la communauté internationale à élaborer et à adopter, sous l'égide du programme des Nations unies pour l'environnement, le PNUE, en 1989, la convention de Bâle, afin de contrôler les mouvements transfrontières de déchets dangereux. A ce jour, cent-cinquante deux Etats et la Communauté européenne sont parties à ce texte entré en vigueur en 1992.
La convention de Bâle s'est fixé trois objectifs principaux : la réduction de la production de déchets dangereux au minimum ; le traitement des déchets aussi près que possible de leur lieu de production ; la limitation des mouvements de déchets dangereux.
Afin de mettre clairement un terme à tout mouvement de déchets dangereux vers les pays en développement, la deuxième conférence des parties à la convention a adopté une décision qui vise l'interdiction d'exportation de déchets dangereux des pays membres de l'OCDE vers les pays non membres de l'OCDE.
Lors de sa troisième réunion, en 1995, elle a décidé de donner suite à la demande des pays en développement et d'adopter un amendement qui interdit les exportations de déchets dangereux des pays industrialisés vers les pays en développement. En conséquence, les déchets destinés à être éliminés étaient interdits d'exportation et ceux qui étaient destinés à la valorisation l'ont été à compter du 31 décembre 1997.
Ces interdictions d'exportations s'imposent aux Etats membres de l'OCDE, de la Communauté européenne et au Liechtenstein.
Pour la France, l'entrée en vigueur de cet amendement n'entraînera pas de conséquences juridique, économique, budgétaire ou administrative. La France exporte, en effet, peu de déchets dangereux, et les pays destinataires sont presque exclusivement des pays européens.
La France applique, en outre, les dispositions du règlement communautaire du 1er février 1993 en ce qui concerne la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'intérieur et à la sortie de la Communauté. Les articles 14 et 16 de ce règlement transposent en droit communautaire les dispositions de l'amendement du 22 septembre 1995.
Cet amendement a été ratifié, à ce jour, par vingt-neuf Etats, ainsi que par la Communauté européenne. Il n'entrera cependant en vigueur que lorsque soixante-deux parties l'auront ratifié.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'amendement à la convention de Bâle qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert Del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quatre cents millions de tonnes de déchets dangereux sont produits chaque année dans le monde, principalement par les pays industrialisés ; 5 %, c'est-à-dire vingt millions de tonnes, franchissent les frontières. Deux cents millions de tonnes sont produites par les parties à la convention et cent soixante-treize millions de tonnes par les Etats-Unis, qui ont des accords en particulier avec le Mexique et avec le Canada, où ils exportent 95 % de leurs déchets.
Pour ne pas nuire à la santé humaine, ni à l'environnement, ces déchets doivent faire l'objet d'un traitement approprié et être soit éliminés, soit recyclés.
Entrée en vigueur voilà maintenant dix ans, la convention de Bâle a mis en place des procédures de contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux. Avec pour objectif final la réduction de la production, la convention privilégie le traitement des déchets dans le pays de production sur le critère de la « gestion écologiquement rationnelle » et soumet les mouvements à des procédures transparentes selon le principe du consentement préalable à l'importation donné en connaissance de cause.
Le texte qui est aujourd'hui soumis à l'approbation du Sénat est un amendement à la convention de Bâle, adopté à Genève en septembre 1995, qui pose le principe d'une interdiction totale des flux de déchets dangereux produits dans les pays développés, définis comme les pays membres de l'OCDE, de la Communauté européenne et le Liechtenstein, et regroupés dans une annexe, vers les pays en développement, définis comme n'appartenant pas à cette annexe.
Cette interdiction totale des flux en direction des pays en développement avait été réclamée à Bâle, mais, à l'époque, elle n'avait pas obtenu le consensus nécessaire.
Avant d'aborder de façon plus détaillée les enjeux de ce texte, il convient de souligner que ces dispositions sont déjà applicables en France - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - puisque mises en vigueur par le règlement communautaire du 1er février 1993. L'Union européenne applique donc totalement ces mesures.
L'approbation de la France est nécessaire à l'entrée en vigueur de l'amendement : à l'heure actuelle, seuls 29 pays sur 62 l'ont ratifié.
Après avoir dressé brièvement un bilan d'application de la convention de Bâle, j'aborderai les questions posées par cet amendement qui, s'il s'inscrit dans le droit-fil des principes définis à Bâle, n'en soulève pas moins certaines interrogations.
Le bilan juridique qu'il est aujourd'hui possible de dresser de la convention est largement satisfaisant : il s'agit d'un instrument dynamique, très largement ratifié - 149 Etats à ce jour - et qui a contribué de façon décisive à la mise en place des règles internationales, sous l'effet, notamment, des législations types et des directives techniques élaborées par le secrétariat de la convention.
La convention de Bâle a également été complétée par toute une série d'accords régionaux dont le champ d'application est parfois plus large. C'est le cas, notamment pour l'Afrique avec la convention de Bamako, entrée en vigueur en mars 1996, et qui interdit l'importation en Afrique de déchets dangereux et de déchets radioactifs en provenance de parties non contractantes. Je citerai aussi l'accord ACP - Afrique, Caraïbes, Pacifique - de Lomé, article 39, l'accord Centre américain, l'accord du Pacifique Sud, l'accord de Barcelone-Méditerranée et l'accord de Moscou pour les pays de la Communauté des Etats indépendants, la CEI.
Quant à l'impact sur l'environnement, il est difficile à évaluer en l'absence de données statistiques homogènes. Une tendance générale se dégage toutefois : sur les 5 % de la production mondiale de déchets qui franchissent les frontières, soit environ vingt millions de tonnes par an, la part destinée à l'élimination finale est en diminution, tandis que les flux de déchets destinés au recyclage connaissent une augmentation. Cette tendance est valable, quelle que soit la zone observée.
Enfin, la convention de Bâle a connu un développement très rapide de ses dispositions, qui ont été enrichies au fur et à mesure des réunions de la conférence des parties. Ainsi, outre le texte qui est aujourd'hui soumis à notre examen, les conférences des parties ont adopté des textes relatifs à la définition des déchets dangereux, ainsi qu'un protocole particulièrement attendu sur la responsabilité et l'indemnisation.
L'amendement d'interdiction des exportations en direction des pays en développement était en germe depuis l'entrée en vigueur de la convention. Il s'inscrit, en effet, dans le prolongement de deux principes fondateurs de la convention : le principe de proximité du traitement des déchets dangereux de leur lieu de production - on ne veut pas les transporter trop loin - et le principe de leur gestion écologiquement rationnelle.
Partant du constat qu'il est difficile pour le pays en développement d'assurer le traitement des déchets dangereux dans des conditions satisfaisantes pour la santé et l'environnement et que, faute de moyens techniques, réglementaires, financiers et humains, ils ne peuvent faire respecter une interdiction d'importation, il a très vite semblé nécessaire, comme mesure de précaution d'envisager une interdiction de ces exportations.
L'amendement procède, en conséquence, à une division du marché mondial des déchets selon un critère d'appartenance à des organisations économiques. C'est précisément ce critère de division qui soulève certaines interrogations et qui explique l'absence de consensus observé lors de l'adoption de cet amendement.
Deux points n'appellent pas d'objection particulière : l'interdiction est incontestablement positive pour les déchets destinés à être éliminés et pour les exportations de déchets en direction des pays les moins avancés.
Le premier type de questions soulevées est la valeur commerciale des déchets.
Les pays en direction desquels les exportations seront désormais interdites sont loin de constituer un groupe homogène.
Pour certains pays en transition, les déchets constituent des matières secondaires nécessaires au fonctionnement de leur industrie, notamment en Asie. On peut citer ici le cas de Taiwan, qui importe près des trois quarts des débris d'aluminium produits par l'Union européenne pour fabriquer son propre aluminium.
On peut citer encore deux chiffres, mes chers collègues : 38 % de la production mondiale de cuivre et 50 % de la production mondiale de plomb sont du recyclage.
Certains Etats, comme Israël, ont accès à des techniques avancées de recyclage, avec un risque de baisse de rentabilité d'installations particulièrement coûteuses si les importations sont interdites.
A l'inverse, les pays candidats à l'Union européenne se trouveront automatiquement, du fait de leur adhésion, importateurs potentiels de déchets dangereux.
La valeur commerciale des déchets pourrait être un obstacle à une ratification rapide de l'amendement d'interdiction des exportations.
Le second type de questions porte sur le caractère hétérogène du dispositif adopté, qui reste à éclaircir sur certains points.
Une possibilité de contournement de la règle posée persiste tant que les Etats-Unis, qui sont, par ailleurs, le premier producteur mondial de déchets - 200 millions de tonnes -, n'auront pas ratifié la convention de Bâle.
En outre, la convention non amendée s'applique aux relations entre deux Etats dans l'hypothèse où l'un d'entre eux n'a pas ratifié l'amendement.
Le texte de l'amendement n'apporte pas de précisions sur le statut des accords particuliers relatifs aux exportations de déchets, qui restaient autorisés par la convention. Si l'Union européenne a considéré qu'il fallait désormais les proscrire, certains pays, comme l'Australie, les ont considérés comme étant toujours valables.
Enfin, même si certains pays comme Monaco, Israël ou la Slovénie ont manifesté leur intention d'y entrer, les critères d'adhésion à l'annexe regroupant les pays importateurs de déchets ne sont pas encore définis et la définition de l'annexe est gelée jusqu'à l'entrée en vigueur de l'amendement.
Pour conclure, l'amendement qui vous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans le prolongement des principes posés à Bâle. Il complète un dispositif dynamique aux effets incontestablement positifs. Pour autant, il devra être accompagné d'actions concrètes et de moyens pour lutter notamment contre le trafic illicite, qui va se trouver mécaniquement grossi, pour renforcer les moyens environnementaux des pays en développement, confrontés qu'ils sont à la croissance des flux sud-sud en provenance d'Asie, et pour définir de façon plus fine les destinataires des flux autorisés.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le présent projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - Est autorisée l'approbation de l'amendement à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, adopté à Genève le 22 septembre 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.

5