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CANDIDATURES À UN OFFICE

PARLEMENTAIRE

M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation de dix sénateurs membres de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.

En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée et les candidatures seront ratifiées s'il n'y a pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Je rappelle que M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance maladie dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale, sont membres de droit de cette délégation, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat.

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ZONE DE PROTECTION ÉCOLOGIQUE

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République
Art. 1er

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi (n° 261, 2001-2002) relatif à la création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire : 52 minutes ;

Groupe socialiste : 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste : 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen : 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Evelyne Didier.

Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'objet du présent projet de loi est de rendre possible la création d'une zone de protection écologique en Méditerranée. Ce dispositif original, qui se présente comme une déclinaison de la zone économique exclusive, devrait permettre, entre autres, d'assurer une meilleure protection du milieu marin et de notre façade maritime méditerranéenne, face aux risques de pollution, notamment les pollutions délibérées.

Ainsi, les dispositions réglementaires en matière de protection de l'environnement, aussi bien préventives que répressives, valables jusqu'ici dans nos eaux territoriales et dans nos zones économiques exclusives, s'appliqueront désormais dans ce nouveau périmètre. Autant dire qu'un tel projet de loi est intéressant tant la Méditerranée, mer prisonnière des terres qui l'encerclent, est particulièrement sensible et vulnérable aux attaques dont elle est victime.

Cependant, l'examen de ce texte intervient après une nouvelle catastrophe qui donne encore plus d'actualité au débat qui nous occupe aujourd'hui. Une fois de plus, les côtes françaises sont souillées par du fioul lourd, autrement dit par des résidus de pétrole hautement toxiques. Une fois de plus, la catastrophe écologique a des retombées sociales et économiques dramatiques, en particulier pour tous ceux qui vivent de la mer ; j'ai une pensée pour les ostréiculteurs du bassin d'Arcachon qui en ont subi les conséquences, même s'ils ont pu, depuis quelques jours, reprendre leur activité.

Dans bien des cas, les réglementations actuelles ne sont pas respectées : combien de navires auront profité, sans scrupule aucun, de la marée noire du Prestige pour se livrer à des rejets polluants sauvages et délibérés ? Pourtant, la France a récemment renforcé sa législation à l'égard des navires qui commettent des infractions en matière de rejets d'hydrocarbures, notamment par le biais de lourdes sanctions financières et de peines d'emprisonnement.

Mais ne nous leurrons pas ! Nous savons que toutes les améliorations du dispositif répressif n'atteindront pas leur but si un effort important en matière de réglementation et, surtout, de contrôle n'est pas accompli à l'échelon européen et international.

Tout doit être mis en oeuvre pour interdire la navigation des bateaux « poubelles », battant pavillon de complaisance, des navires ne respectant pas les normes minimales de sécurité, des navires aux équipages soumis à des conditions de travail déplorables et qui sont autant d'Erika ou d'Amoco Cadiz en puissance. Aujourd'hui, qui peut affirmer que le naufrage du Prestige, ce navire à simple coque âgé de vingt-six ans, n'était pas prévisible ? Comment ne pas souligner qu'il est le résultat d'un réel laxisme en matière de contrôle du respect des normes de sécurité ?

Car nous avons des textes : convention de Bruxelles en 1969, convention créant le FIPOL en 1971, convention de MARPOL en 1973, convention de Barcelone, mémorandum de Paris, convention des Nations unies en 1982, « paquet Erika I » et « paquet Erika II », pour n'en citer que quelques-uns. Certes, ils peuvent et doivent être complétés, améliorés et actualisés. Mais, faute de volonté, d'obstination, qui devrait se traduire par le déploiement de moyens au service d'un contrôle permanent et efficace, la règle ne sera pas appliquée ou elle le sera mal.

La France, qui a pourtant fortement soutenu les « paquets Erika », ne fait pas exception, notamment en matière de contrôles et d'inspections des navires à risque, dont la fréquence est encore trop faible. Des engagements ont été pris en ce domaine, mais nous manquons de moyens, sur le plan tant humain que matériel, pour faire face à nos responsabilités. Nous manquons de moyens pour surveiller, contrôler et contraindre au respect des réglementations en vigueur. C'est pourquoi la grande majorité des bateaux nettoie ses cuves en mer et non dans les ports. Pourtant, pour certains d'entre eux, des aménagements ont déjà été réalisés.

Enfin, comment ne pas évoquer, au travers de ce débat, le principe pollueur-payeur, qu'on applique très volontiers, et avec pugnacité, aux particuliers : nous payons tous - nous ne pouvons pas y échapper, et c'est d'ailleurs normal - nos taxes d'assainissement et d'ordures ménagères. Mais ce principe est plus difficilement appliqué lorsqu'il s'agit de retrouver et de poursuivre les donneurs d'ordres et les transporteurs de matières dangereuses. Il n'est pas normal que le coût global environnemental, économique et social soit principalement à la charge de la collectivité.

Certes, la question du partage des responsabilités entre le propriétaire du navire, le capitaine, l'armateur et la compagnie d'affrètement n'est pas une question facile, mais les propriétaires et les affréteurs devraient être reconnus comme les responsables au premier chef lorsque de tels accidents se produisent. Cela suppose de pouvoir les identifier clairement. Aucun des deux ne peut, en effet, ignorer l'état du bateau qu'il fait naviguer et, en conséquence, le danger potentiel qu'il représente.

A ce stade de mon propos, je poserai quelques questions.

Qui sont les véritables propriétaires des navires et des frets ? D'après les enquêtes journalistiques, le propriétaire du Prestige semblait être un véritable fantôme.

En ce qui concerne les indemnisations, je voudrais souligner la faiblesse des sommes versées aux victimes par le FIPOL. Il faudrait augmenter les contributions des compagnies pétrolières. Les affréteurs du Prestige sont, quant à eux, déjà remboursés par les assurances.

Les propriétaires des navires ou des frets sont-ils assurés ? Quelles sont les garanties ?

Pourtant, on peut affirmer que les catastrophes ne sont pas inéluctables. Dès 1990, les Etats-Unis ont imposé les navires à double coque, mais, surtout, ils ont instauré le principe de responsabilité illimitée au tandem armateur-affréteur en exigeant une garantie financière des navires qui entrent dans leurs eaux.

Il est évident que la nécessité de responsabiliser l'ensemble des acteurs du transport maritime, y compris les Etats, devra être clairement posée. Sinon, nous risquons de subir, dans quelque temps, une nouvelle catastrophe.

Il était bon, me semble-t-il, de rappeler le contexte dans lequel nous débattons de ce projet de loi. Bien entendu, ce texte améliore notre dispositif réglementaire. Bien entendu, nous le voterons. Mais ne nous trompons pas : si ce projet de loi est adopté, nous n'aurons fait qu'un pas. Vous nous avez d'ailleurs fait part de votre volonté d'aller plus loin et nous vous avons écoutée avec beaucoup d'attention, madame la secrétaire d'Etat.

Il reste à mettre en place en France, en Europe et dans le monde une même règle qui mettra définitivement hors jeu les bateaux « poubelles » et qui obligera les navires à respecter leur environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Trucy.

M. François Trucy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis a donc pour objet de créer une zone de protection écologique en Méditerranée pour permettre à notre pays, notamment, de prendre des mesures coercitives, comme dans notre zone économique de la Manche, de l'Atlantique ou d'outre-mer, à l'encontre de navires qui ont commis ou sont susceptibles de commettre des faits de pollution, en particulier par hydrocarbures.

Comment ne pas approuver un tel projet de loi ? En ma qualité de représentant du département du Var, comme mon collègue et ami André Geoffroy, ici présent, je ne peux que me féliciter des mesures que vous présentez aujourd'hui, madame la secrétaire d'Etat.

Tout d'abord, permettez-moi de rendre hommage au rapporteur de ce texte, mon collègue Jean-Paul Alduy, qui a procédé à une parfaite analyse de la situation. Ses observations pertinentes n'ont pas manqué de retenir notre attention, ainsi que celle, j'en suis sûr, Mme la secrétaire d'Etat au développement durable.

Ensuite, je voudrais rappeler que, durant l'année 2000, j'ai eu le privilège de participer aux travaux de la mission commune d'information du Sénat « chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage du navire Erika, de proposer les améliorations concernant la réglementation applicable et de définir les mesures propres à prévenir de telles situations ». Je vous rappelle également que le naufrage avait eu lieu le 12 décembre 1999. L'excellent rapport de notre ancienne collègue Anne Heinis est encore dans nos mémoires.

Ce sont alors quatre cents kilomètres de côtes qui avaient été souillés dans les quatre départements français touchés par la marée noire. Les dommages économiques induits furent d'une ampleur sans précédent. Le retentissement médiatique de l'événement a favorisé la prise de conscience des risques encourus quotidiennement sur 5 500 kilomètres de côtes françaises.

Fort de l'expérience de ses travaux antérieurs, notamment avec la commission d'enquête de 1978 sur la catastrophe de l'Amoco Cadiz et la mission d'information sur la sécurité du transport maritime de 1994, le Sénat a formulé un certain nombre de propositions à l'issue des travaux de la mission commune d'information sur le naufrage de l'Erika,le 22 juin 2000.

Ces propositions comportaient, entre autres orientations, la relance du pavillon français, l'accroissement de la sécurité maritime, le renforcement de la structure des navires, une plus grande transparence et une meilleure prévention ainsi que le durcissement de la lutte contre la pollution avec, notamment, la limitation des rejets sauvages en mer, une meilleure mobilisation des moyens de l'Etat, un régime d'indemnisation plus satisfaisant et, enfin, la modification de la législation française, dans le sens de son adaptation au régime international.

En se préoccupant de la protection des côtes, de la prévention ainsi que de l'amélioration de l'indemnisation pour faits de pollution, la mission commune d'information du Sénat a voulu être fidèle à la vocation de la Haute Assemblée, qui est de défendre et de protéger les collectivités locales en général et les communes en particulier. Le Sénat a voulu ainsi apporter une contribution aux travaux du Gouvernement et de l'Union européenne. C'est pourquoi je me permettrai ici de souhaiter que nos travaux et nos propositions soient suivis d'effets. Madame la secrétaire d'Etat, permettez-moi d'en rappeler le détail, puisque la discussion de ce projet de loi intervient alors qu'un nouveau naufrage de pétrolier, survenu le 19 novembre dernier, fait encore l'actualité.

Le pavillon français est en voie de disparition : il ne compte plus, à l'heure actuelle, que deux cent quinze navires, ce qui est dérisoire. La pénurie de navigants expérimentés compromet la sécurité maritime, certains métiers ne pouvant être exercés à terre que si la compétence a été acquise à la mer. Pourquoi notre pays n'a-t-il pas institué les aides spécifiques que la Commission européenne a autorisées afin de soutenir les flottes de l'Union, alors que plusieurs autres Etats - à commencer par la Grèce - y ont déjà recours ?

L'exemple de l'Erika montre que, malgré la multiplicité des contrôles, les défaillances dans les structures des navires ne sont pas ou sont mal décelées. Seuls les contrôles opérés en cale sèche par les sociétés de classification permettent de repérer des vices de structure. Ils doivent donc être renforcés. L'activité des sociétés de classification doit elle-même être mieux contrôlée.

Dans les eaux européennes, cent quarante navires âgés transportent du fioul lourd du type de celui de l'Erika ou du Prestige : ce produit est à la fois le plus corrosif pour la structure des navires et le plus polluant pour l'environnement. C'est pourquoi les contrôles des structures et les contrôles des ports doivent être ciblés sur les navires transportant du fioul lourd.

Il faut bien reconnaître que la France ne dispose pas, aujourd'hui, de moyens suffisants pour lutter contre une pollution majeure. Le recours à la coopération européenne est indispensable. Il importe cependant de disposer, sur chaque littoral, de moyens propres susceptibles d'être mobilisés en urgence, par exemple des navires récupérateurs, des avions épandeurs de produits dispersants et un remorqueur.

La procédure actuelle d'affrètement des remorqueurs est inadaptée. Elle ne permet pas d'effectuer de nouveaux investissements et ne garantit pas que la sécurité de nos côtes soit assurée par des navires battant pavillon français. La catastrophe de l'Erika avait mis en lumière l'impréparation des autorités : les plans POLMAR-terre n'étaient pas tenus à jour, les équipes n'étaient pas entraînées et l'action des services de l'Etat avait souffert d'un manque de coordination, parce que la pollution touchait quatre départements.

Nous sommes néanmoins persuadés que, fort de l'expérience de la catastrophe de l'Erika, le Gouvernement a pu mieux se préparer à la nouvelle marée noire causée par le naufrage du Prestige. Nous l'avons constaté avec plaisir.

Cependant, il est important de faire observer que les marées noires ne constituent qu'une infime partie des rejets d'hydrocarbures en mer, l'essentiel provenant de rejets sauvages de résidus, appelés « déballastages » ou « dégazages ». Et les chiffres annoncés, s'ils sont confirmés, sont impressionnants. Or, contrairement à ceux d'Europe du Nord, les ports français, dans leur majorité, ne sont pas équipés de moyens suffisants pour recycler les résidus, notamment ceux qui proviennent des fonds de cale. En outre, les services d'inspection des affaires maritimes ne sont pas en mesure de vérifier que les navires quittant un port français y ont bien laissé leurs déchets.

Il est, par ailleurs, absolument nécessaire que le secrétariat général de la mer dispose de moyens juridiques et budgétaires nécessaires pour mener une action cohérente.

S'agissant, enfin, du régime d'indemnisation, celui qui résulte des conventions de 1992 sur la responsabilité et sur le FIPOL a fait preuve de son efficacité. Il privilégie, à juste titre, une logique d'indemnisation effective des victimes sur une logique de recherche à tout prix des responsabilités.

Sans remettre en cause les principes de base que sont la responsabilité objective et limitée du propriétaire du navire et l'intervention complémentaire du FIPOL, jusqu'à un certain plafond, de substantielles améliorations pourraient être apportées au dispositif. Il s'agirait d'obtenir une indemnisation à la fois plus complète et plus rapide et de moduler la responsabilité du propriétaire en fonction du danger que représentent le navire et sa cargaison.

Telles étaient les propositions que la mission commune d'information du Sénat avait émises voilà déjà deux ans et demi. Madame la secrétaire d'Etat, où en sommes-nous aujourd'hui ? Quel est l'état d'avancement de la mise en oeuvre des recommandations du Sénat ?

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, et que nous allons, bien sûr, voter avec l'ensemble des membres du groupe de l'UMP, est une première étape très importante. Cependant, il doit être absolument complété par les mesures qui ont été préconisées par la France lors du sommet de Copenhague, les 12 et 13 décembre derniers, ainsi que par celles qui ont été recommandées par la mission sénatoriale d'information, dont le rapporteur fut notre excellent collègue Henri de Richemont.

Le sujet est d'une actualité brûlante : nous aimerions, madame la secrétaire d'Etat, obtenir des apaisements et des assurances sur les différents points que je viens de développer et qui intéressent, au premier chef, tous nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Louis Moinard.

M. Louis Moinard. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime devant vous, votera le projet de loi relatif à la création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République, en total accord et avec le gouvernement que vous représentez, madame le secrétaire d'Etat, et avec la commission des affaires économiques et du Plan et son rapporteur, notre collègue Jean-Paul Alduy.

Ce texte vise à créer en Méditerranée une « zone de protection écologique ». La France pourra ainsi prendre, à l'encontre des navires qui ont commis ou sont susceptibles de commettre des pollutions par hydrocarbures, des mesures coercitives qui, aujourd'hui, sont applicables uniquement dans la zone de protection économique.

Je ne commenterai pas davantage le projet de loi.

Permettez-moi cependant, compte tenu de l'actualité du naufrage du Prestige et en ma qualité d'élu vendéen, donc hautement concerné, de dessiner des perspectives et de faire des propositions. En cela, je réponds au souhait exprimé par Jean-Paul Alduy dans son rapport.

Les dispositifs mis en place pour faire face aux pollutions par hydrocarbures sont largement commentés en raison de ce naufrage ; je tiens à souligner le travail fait en ce domaine par les collectivités territoriales.

En Vendée, l'expérience acquise avec la marée noire du pétrolier Erika est grande. Je voudrais citer, sans les développer, certains dispositifs « anti-marée noire », notamment la création d'une « brigade vendéenne plages propres », un procédé de protection en mer par le filet « anti-marée noire » inventé par Thierry Thomazeau, pêcheur de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, ou encore l'achat de matériels et de cribleuses, notamment pour équiper cette brigade qui sera composée de volontaires rémunérés.

Bien évidemment, les difficultés rencontrées pour obtenir juste réparation des préjudices causés lors du naufrage du pétrolier Erika ont conduit le conseil général de la Vendée à mener une action en justice.

Il s'est ainsi constitué partie civile auprès du juge chargé de l'instruction du dossier au tribunal de grande instance de Brest, non sans avoir préalablement fait constater l'état de propreté du littoral par un huissier de justice ; le tout en faisant procéder au ramassage et aux analyses systématiques des pollutions qui arriveraient sur les côtes, comme sont conduits à le faire tous les responsables des plages touchées aujourd'hui.

Il est du devoir du Parlement de faire des propositions au Gouvernement pour que l'histoire ne se répète pas inlassablement. Ce sera la seconde partie de mon propos.

Je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport de la mission commune d'information chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier Erika de proposer les améliorations concernant la réglementation applicable et de définir les mesures propres à prévenir de telles situations, comme vient de le rappeler notre collègue François Trucy. En nommant nos collègues Anne Heinis, présidente, et Henri de Richemont, rapporteur, je veux rendre hommage à la qualité de leur travail, dont je peux témoigner ici pour avoir eu l'honneur de participer à cette mission.

Attaquons-nous aux causes ! Cela évitera en grande partie à l'Etat et aux collectivités territoriales concernées de déployer des moyens humains et financiers importants. N'oublions pas les conséquences économiques et le désespoir des victimes !

Voici les points sur lesquels, à mon avis, il faut s'attarder, en gardant à l'esprit l'impérieuse nécessité de ne pas régionaliser les mesures qui conforteraient les instances internationales dans leurs manquement.

Premièrement, la responsabilité des différents acteurs devrait être alourdie pour les propriétaires de navires de plus de quinze ans d'âge transportant du fioul lourd ou autres hydrocarbures devant être chauffés pendant le transport.

Selon le principe, admis par tous, du « pollueur-payeur », nous devons internaliser le coût pénal. En effet, une marée noire a un coût écologique, économique et social que les victimes et les contribuables ne peuvent et ne doivent pas être seuls à supporter.

Deuxièmement, le pavillon national doit être redynamisé. Il est facile de dénoncer les pavillons de complaisance ou de libre immatriculation dont relève l'essentiel de la flotte marchande mondiale. Constatant le déclin continu des flottes communautaires ; en raison d'une absence de compétitivité liée à la fiscalité,...

M. Jean Chérioux. Et aux charges sociales !

M. Louis Moinard. ... l'Union européenne autorise maintenant un régime d'aides attribuées par les Etats.

Notre pays est-il disposé à faire bénéficier sa flotte, et dans les meilleurs délais, d'un régime d'aide analogue à celle du tonnage plus favorable que celui qui est actuellement en vigueur ?

Le pavillon français est le gage d'une meilleure sécurité et l'assurance que la voix de la France, au sein des organisations internationales maritimes soit entendue.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. Louis Moinard. Troisièmement, il s'agit aussi d'appliquer les lois et les règlements. Il ne suffit pas de les durcir ; encore faut-il les appliquer et, par conséquent, mettre en place les moyens indispensables aux contrôles.

Sur cette question, je veux souligner, mes chers collègues, que le « paquet Erika I » voté en décembre 2001 par l'Union européenne, sous l'impulsion de la France, renforce, notamment, la directive relative au contrôle des navires par l'Etat du port. Or, nous sommes en retard dans l'application de cette disposition communautaire. L'exigence de contrôle de navires étrangers touchant un port français est de 25 % : nous avons atteint, et péniblement, 12 % pour l'année qui vient de s'écouler. Certes, contre les 9 % seulement du printemps, nous enregistrons un taux de 14 % à l'automne. Mais avons-nous à disposition le personnel qualifié ?

Madame le secrétaire d'Etat, quels sont les moyens supplémentaires que nous allons mettre à disposition pour répondre aux légitimes exigences de l'Union européenne ?

Nous devons également, sur les plans international et européen, réduire les délais d'application des mesures.

Quatrièmement, il faut se préoccuper de la formation des hommes. Un tiers des accidents en mer sont dus à une erreur humaine. Les pays qui fournissent les équipages ne forment pas leurs marins, notamment les Philippines. Nous devons consacrer des actions très énergiques en faveur de la formation de ces hommes.

Cinquièmement, enfin, s'agissant de la fiscalité écologique, il faut favoriser, au-delà du pavillon français et conformément aux dispositions européennes existantes, les investissements relatifs au recrutement de marins formés et à l'entretien des bateaux.

En conclusion, mes chers collègues, il nous faut être lucides. Notre modèle énergétique est fondé sur le pétrole. Les besoins en matière de transport augmentent. Le coût de ce transport doit représenter la part la plus faible dans le coût total du pétrole. De ce fait, les investissements en matériels et en hommes diminuent.

De plus, il nous faut être responsables. Dans le droit-fil des propositions que je viens de vous exposer au nom du groupe de l'Union centriste, nous avons le devoir d'infléchir en faveur de la protection de l'environnement, de la santé de nos enfants, et de nos petits-enfants le calcul économique rationnel du transport des hydrocarbures et des matières dangereuses sur les mers et les océans. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il me soit permis, d'entrée de jeu, après le naufrage du mal-nommé Prestige, d'exprimer au nom du groupe socialiste toute ma solidarité à toutes celles et à tous ceux qui, sur le pourtour du golfe de Gascogne, sont victimes de cette catastrophe et se battent contre ses effets.

MM. Raymond Courrière et Claude Domeizel. Très bien !

M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la Méditerranée est loin d'être à l'abri de telles catastrophes. L'étude d'impact fait, en effet, apparaître que le risque de pollution marine accidentelle y est très élevé. Ces dix dernières années, on a enregistré sept incidents majeurs qui ont entraîné une pollution grave.

Cependant, le vrai fléau spécifique à cette mer, et mon collègue audois Raymond Courrière, ici présent, ne me démentira pas, réside tout particulièrement dans les dégazages et les déballastages sauvages. On en parle peu ou pas du tout, car ils sont moins spectaculaires. Pourtant, ils sont plus insidieux et tout aussi dramatiques sur le plan écologique.

Ainsi, comme le souligne une association écologique, chaque année, dans une mer quasi fermée, les pollutions par dégazages ou par déballastages sauvages représentent environ 1 million de tonnes d'hydrocarbures rejetés à la mer, soit quinze fois la cargaison du Prestige ou cinquante fois le fioul lourd de l'Erika, et ce pour une surface polluée de dizaines de milliers de kilomètres carrés. C'est tout dire !

Les dégradations que font subir ces pratiques au milieu marin et aux côtes sont, à terme, plus lourdes, que celles qui sont causées par le naufrage accidentel d'un pétrolier. Ces actes sont d'autant plus intolérables qu'ils sont commis sciemment et organisés par des capitaines de navire, sans aucun respect de l'intérêt général. Voilà donc une nouvelle forme de vandalisme des mers !

Pour combattre ces comportements délinquants, a été adoptée, sur l'initiative de la précédente majorité, la loi du 3 mai 2001, relative à la répression des rejets polluants des navires, qui a aggravé les sanctions en multipliant par quatre le montant des peines maximales.

Ce texte a par ailleurs opéré une première réorganisation des compétences des tribunaux. L'article 4 du projet de loi achève utilement cette réforme, et mon collègue Pierre-Yvon Trémel évoquera cette question lorsqu'il interviendra sur cet article.

Cependant, ce dispositif répressif, qui s'applique actuellement tant dans nos eaux territoriales que dans nos zones économiques exclusives de la Manche, de l'Atlantique et d'outre-mer, n'est pas d'une grande incidence en Méditerranée. Et pour cause, puisque, pour des raisons diplomatiques diverses qui ont déjà été évoquées, il n'a pas été institué de zone économique exclusive dans cette mer. De ce fait, les différentes mesures coercitives ne sont applicables en Méditerranée que dans la zone des 12 milles, c'est-à-dire dans nos seules eaux territoriales, et pas au-delà.

Or, vous l'avez souligné, madame la secrétaire d'Etat, les trois quarts des faits de pollution surviennent en dehors des eaux territoriales, ce qui explique que 1 % seulement des opérations illicites seraient sanctionnées ; pourtant la convention MARPOL a déclaré cette mer « zone marine spéciale », avec interdiction de rejets pétroliers ou huileux. Seulement 1 % ! C'est dire s'il était temps d'agir ! C'est dire aussi si l'examen de ce texte, déposé en février dernier par le précédent gouvernement et repris par vous-même, madame la secrétaire d'Etat, est attendu dans les départements riverains.

Avec la création de cette zone de protection écologique dans le périmètre des 200 milles, la France aura donc, à l'exception de la pêche et de l'exploitation du sous-sol, toutes compétences en matière de préservation et de protection du milieu marin, donc en matière de lutte contre les pollutions marines. Cela permettra aux autorités françaises de poursuivre devant les juridictions françaises les navires qui auraient commis des dégazages dans cette zone ou qui se seraient livrés à des opérations d'immersion et d'incinération illicites.

Cela dit, je regrette que le droit international ne nous permette pas de sanctionner aussi sévèrement les navires étrangers que les navires français en cas de dégazage, et que seules des peines d'amende soient applicables aux navires étrangers fautifs. Il faut absolument faire évoluer le droit international sur ce point, mais également agir au niveau européen afin de sanctionner, y compris par des peines de prison, les opérateurs qui auraient pu être à l'origine d'une pollution.

Ainsi, le renforcement de nos capacités d'action dans cette zone de protection devrait nous permettre d'écarter les navires à risques, ce qui constituerait une première grande avancée. Je ferai volontiers mien ce passage du rapport selon lequel le repérage, l'identification et l'éloignement forcé des navires au comportement délinquant sont tout aussi nécessaires que le repérage, l'identification et l'éloignement des navires poubelles, dont la circulation maritime devrait être interdite.

Sur ce point précis, pourquoi ne pas confier à la Marine nationale de nouvelles missions, comme celle de garde-côte, pourvu, toutefois, que les moyens humains et matériels, madame la secrétaire d'Etat, soient à la hauteur ?

J'éprouve par ailleurs, quelques inquiétudes concernant les moyens financiers. En effet, dans son rapport sur le budget de la mer, Marc Massion notait à propos de la modernisation des CROSS, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, que les autorisations de programme seraient certes en augmentation de 18 %, mais que, en revanche, les crédits de paiement chuteraient de 34 %.

Cela étant, madame la secrétaire d'Etat, il faudra veiller à ne pas réduire à la portion congrue le périmètre retenu pour cette zone, et il serait utile que nous puissions connaître l'état des négociations avec l'Italie, l'Espagne, Monaco et l'Algérie sur la définition de ses contours. Il faudra également que les décrets soient publiés très rapidement.

Concernant les dégazages, force est de constater que, étant effectués de nuit, ils sont difficilement repérables, et les contrevenants difficilement identifiables. Dès lors, il apparaît nécessaire que soient rapidement mises en oeuvre les dispositions, prévues par la Commission européenne dans le « paquet Erika II », qui rendent obligatoire la présence sur les navires circulant dans les eaux communautaires de « transpondeurs », ces systèmes d'identification automatique permettant l'amélioration du signalement et du suivi des navires.

Surtout, de tels équipements, utilisés en association avec la liste noire mentionnant les navires suspects, permettraient aux autorités françaises d'identifier et d'éloigner ceux que l'on nomme désormais les « navires poubelles ».

Nous touchons là à l'essentiel, mes chers collègues, d'autant plus que 70 % du trafic empruntant la Méditerranée est un trafic de passage. Dès lors, on voit mal comment les risques qu'y présentent certains navires pourraient être traités par le seul biais du contrôle effectué par l'Etat dont dépend le port.

J'en viens au deuxième volet de mon intervention, et j'élargirai mon propos aux plans national, européen, voire mondial.

Les contrôles, précisément, me paraissent, à l'échelon national, quantitativement insuffisants malgré les efforts importants de recrutement d'inspecteurs réalisés en 2001 et en 2002, qui ont permis de doubler les effectifs. J'ai noté que, pour 2003, la loi de finances ne prévoyait que quatre créations de postes. Cela me paraît très insuffisant, même si je relève qu'il sera procédé au recrutement de retraités de la marine. Mais, puisque, nous le savons, il faut plus de trois ans pour assurer la formation d'un inspecteur, mieux vaudrait ne plus lésiner et recruter suffisamment afin de préparer l'avenir !

Qualitativement, en revanche, ces contrôles sont satisfaisants en France, mais c'est loin d'être le cas dans d'autres pays ! Faut-il préciser, en effet, que le Prestige, le mal nommé - je me répète ! - avait été inspecté en 1999 par les autorités britanniques ? On connaît la suite ! Or, il importe que, dans les pays de l'Union européenne, une vérification approfondie des éléments vitaux des navires soit effectuée systématiquement, en fonction de l'âge, du fait que le navire bat ou non pavillon de complaisance, ou encore si les membres de l'équipage se soient plaints des conditions de vie à bord. Pourquoi ne pas imposer un contrôle annuel en cale sèche des pétroliers de plus de quinze ans d'âge ?

M. Claude Domeizel. Evidemment !

M. Roland Courteau. L'agence européenne de la sécurité maritime se devra, entre autres missions, de rapprocher les procédures d'inspection et de contrôle des Etats membres et de veiller à une fréquence beaucoup plus soutenue des contrôles.

Mes chers collègues, la carte de visite du Prestige est à l'image de ce qu'est le transport maritime international dans un contexte commercial dérégulé : un pétrolier construit au Japon voilà vingt-sept ans déjà ; commandé par un capitaine grec ; armé par un équipage multinational ; soumis à des conditions de travail dignes du Moyen Age ; certifié par le bureau letton d'une société de classification nord-américaine ; immatriculé aux Bahamas bien qu'il appartienne à une société libérienne ; affrété, enfin, par un conglomérat russe qui, semble-t-il, vient de se séparer de sa filiale, propriétaire de la cargaison du tanker, pour échapper à ses responsabilités.

M. Raymond Courrière. C'est inacceptable !

M. Roland Courteau. Face à ce type de situation, la France et l'Europe doivent effectivement se considérer en situation de légitime défense. L'Union européenne ne doit pas se laisser intimider ou limiter par certaines particularités du droit maritime. En attendant que prenne corps l'espace maritime européen ou que soit complètement réformée l'Organisation maritime internationale, l'OMI - et la France, sur ce plan, pourrait prendre des initiatives -, il apparaît hautement nécessaire, mes chers collègues, que notre pays réagisse, de manière unilatérale ou en liaison avec les Etats qui sont nos voisins immédiats, à l'encontre des navires qui ne répondraient ni aux normes de sécurité ni, en l'absence, pour les équipages, d'un contrat de travail conforme aux indications du Bureau international du travail, aux normes sociales.

Dès lors, puisqu'il s'agit de légitime défense, autant mettre les instances européennes et internationales devant le fait accompli en interdisant immédiatement la circulation des navires poubelles dans les zones économiques exclusives, donc prochainement dans la future zone de protection écologique en Méditerranée.

Il faut par ailleurs accélérer le retrait des pétroliers à simple coque de plus de quinze ans d'âge. Leur interdiction par les instances européennes à l'horizon de 2015 ou même de 2010 n'est pas acceptable, car il y a une nette corrélation entre l'âge des pétroliers et la fréquence des accidents survenus au cours de ces dernières années : ainsi, 60 des 77 navires perdus entre 1982 et 1995 avaient plus de vingt ans d'âge ! Sans commentaire !

Tant que les navires dangereux ne seront pas définitivement mis hors circuit, y compris dans les eaux internationales, un risque subsistera.

Sur ce point, la France devrait prendre des initiatives pour une réforme complète de l'OMI, qui est trop dépendante, à mon avis, des pays offrant un pavillon de complaisance afin d'améliorer les normes techniques des navires et les conditions de travail des marins, dont découle la sécurité des navires.

Si l'on veut vraiment que disparaissent les « navires poubelles » dans les plus brefs délais, il faut par ailleurs que la responsabilité soit élargie aux affréteurs...

M. Raymond Courrière. Bien sûr !

M. Roland Courteau. ... et appliquée avec une reconnaissance pleine et entière de la notion de dommage environnemental. Car c'est au vu du risque pris que les affréteurs opteront pour des navires plus sûrs. (M. Raymond Courrière approuve.)

Avec mes collègues Pierre-Yvon Trémel, Raymond Courrière, Marie-Christine Blandin et l'ensemble du groupe socialiste, je présenterai un amendement visant à rendre les affréteurs pleinement responsables du transport de leurs marchandises. Il importe en effet que, en cas de sinistre, ils soient systématiquement poursuivis pour la réparation des dommages causés. Il est trop facile d'engranger le maximum de profits en faisant peser le maximum de risques sur l'environnement et en laissant ensuite les contribuables assumer les conséquences des dégâts !

Mes chers collègues, si l'intensité du trafic maritime aux abords des côtes méditerranéennes ne relève pas du même ordre de grandeur qu'en Manche ou en mer du Nord, la Méditerranée n'en constitue pas moins un lieu de transit important. L'infrastructure portuaire du complexe Marseille-Fos-Lavera réceptionne l'un des plus importants volumes de marchandises dangereuses et polluantes en France. Cette mer est ouverte au flux de pétrole brut en provenance du golfe arabo-persique via le canal de Suez. Elle est également le point de passage obligé pour le transport du pétrole caucasien, qui devrait s'accroître encore dans les prochaines années.

En fait, la densité du trafic en Méditerranée est d'ores et déjà très élevé puisqu'il représente 30 % du volume du transport maritime commercial et 28 % du trafic pétrolier maritime mondial.

Le trafic via le canal de Suez se situait en 1996 autour de 15 000 navires par an, tandis que le Bosphore en voyait 42 000. Les pétroliers, les méthaniers, les chimiquiers, sont donc particulièrement nombreux : 53 accidents ont été recensés en 1996 et en 1997, dont 40 impliquent des bâtiments transportant des hydrocarbures.

Si une amélioration importante, dans cette zone fragile, du « niveau de préparation à la lutte contre d'éventuelles pollutions, y compris des pollutions majeures par hydrocarbures, » est nécessaire, elle n'est pas suffisante, car, en règle générale, les pollutions marines dans le monde proviennent à 60 %, nous le savons, des déchets industriels et pour 7 % seulement des pétroliers en exploitation. Le caractère spectaculaire des accidents de navires transportant des hydrocarbures ne saurait donc occulter l'importance des autres atteintes à l'écologie marine.

Bien évidemment, bon nombre de ces navires battentpavillon de complaisance et recourent à des pratiques de dumping social et fiscal. Nul ne peut nier que les navires sous pavillon de complaisance connaissent un taux de sinistres plus important que la moyenne.

Enfin, si le transport de fioul lourd n° 2 ne représente que 2 % du trafic des hydrocarbures à proximité des côtes françaises, il n'en reste pas moins que ces produits particulièrement polluants, mais également très corrosifs pour les structures des navires, sont transportés, pour des raisons économiques, par les bâtiments les plus anciens, ce qui entraîne un risque supplémentaire. Je souligne également que le fioul lourd donne lieu à des échanges réguliers entre l'Europe du Nord et la Méditerranée, puisque la moitié des centrales électriques italiennes utilisent ce produit.

Dans cette mer semi-fermée et de dimensions réduites, donc fragile, se pose dès lors la question, en cas de sinistre majeur, de la suffisance ou non des différents moyens disponibles.

D'une manière générale, si certains Etats tels que la France, l'Italie ou l'Espagne paraissent disposer de stocks significatifs de matériels et de produits, en revanche, des incertitudes demeurent pour d'autres Etats riverains - je pense à l'Algérie, à la Tunisie, au Maroc. De même, il paraît certain, quels que soient la zone de référence ou le pays, que cette région souffre d'un manque de navires spécialisés capables de récupérer en mer de grandes quantités d'hydrocarbures. La coopération internationale en Méditerranée doit donc être vigoureusement relancée, car les dangers qui pèsent sur ce bassin sont d'autant plus inquiétants que les moyens et les procédures de lutte contre la pollution ne sont pas à la hauteur d'un sinistre majeur.

Dans le cadre du processus de Barcelone, il serait hautement nécessaire que la France prenne un certain nombre d'initiatives diplomatiques. Certes, je n'ignore pas que de nombreux accords internationaux couvrent la Méditerranée, notamment la convention de Barcelone et son organisme d'urgence, le CREMPEC - Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence en cas de pollution marine accidentelle - ou bien l'accord RAMOGE entre la France, Monaco et l'Italie, ou encore le Lion Plan entre la France et l'Espagne.

Il n'empêche que les côtes du Languedoc-Roussillon, en particulier, ne sont pas à l'abri d'un sinistre de grande ampleur, et ce n'est pas M. Raymond Courrière qui me démentira ! (M. Raymond Courrière confirme.) Dans ce cas, les délais de réaction doivent être très courts, et j'ai déjà interrogé à plusieurs reprises le Gouvernement sur le nécessaire approfondissement de la complémentarité entre les pays riverains en cas de sinistre, mais également sur les capacités d'intervention françaises. Il faut aussi développer la coopération franco-espagnole à travers l'accord Lion Plan et la programmation régulière d'exercices en commun.

Concernant les capacités françaises d'intervention, je m'interroge, et je m'inquiète du grand délai d'intervention du remorqueur Mérou, basé à Toulon - vous l'avez évoqué tout à l'heure, monsieur le rapporteur -, en cas de sinistre au large des côtes du Languedoc-Roussillon.

Je souhaite également m'assurer qu'un avion spécialisé dans la détection des pollutions effectue bien des vols quotidiens consacrés à la recherche des nappes d'hydrocarbures susceptibles de menacer le littoral.

Enfin, madame la secrétaire d'Etat, nos côtes seront-elles concernées par le nouveau navire antipollution dont doit se doter la marine nationale, conformément à ce qui m'avait été indiqué par votre prédécesseur ? Je suggère d'ailleurs au Gouvernement de baser ce navire dans l'un des ports du Languedoc-Roussillon.

M. Claude Domeizel. A Port-la-Nouvelle ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. Cela dit, madame la secrétaire d'Etat, et pour en revenir au projet de loi, c'est bien volontiers que je conclurai mon intervention en précisant que le groupe socialiste votera le texte proposé. (Applaudissements.)

M. Emmanuel Hamel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité obtenir du Gouvernement des éclaircissements sur plusieurs points importants. Je tenterai de vous répondre aussi complètement que possible.

L'Europe doit-elle évoluer, en matière de sécurité maritime, vers un « modèle américain », selon vos propres termes, monsieur le rapporteur, c'est-à-dire vers un droit autonome, appliqué par un corps de garde-côtes et sans rapport avec le droit de l'Organisation maritime internationale ?

Il s'agirait là d'une évolution radicale par rapport aux choix qu'a défendus la France au cours des dernières décennies, à savoir le renforcement et l'amélioration du droit maritime édicté par l'Organisation maritime internationale, évolution qui, par ailleurs, ne correspond pas, et de loin, à la position de nos partenaires au sein de la Communauté.

De plus, la création d'un corps de garde-côtes européen exigerait des moyens considérables. En outre, elle conduirait au transfert d'une compétence de police à la Communauté, ce qui, à ce jour, n'est pas notre priorité.

En revanche, nous agissons en faveur d'une meilleure coordination des moyens de police au sein de la Communauté, et la nouvelle agence européenne que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur, y contribuera fortement.

S'agissant des conventions internationales, notamment en matière de responsabilité, notre choix est non pas de dénoncer celles auxquelles nous sommes partie, mais de travailler activement à leur amélioration. Un document français vient d'être déposé à l'Organisation maritime internationale en ce sens. Mais, à plus long terme, avec l'élargissement, la quasi-totalité des côtes européennes relèveront de l'Union, et l'option d'une action européenne autonome sera à considérer.

M. Trucy a centré ses questions sur la mise en oeuvre des décisions qui avaient été prises tant à l'échelon communautaire qu'à l'échelon national à la suite du naufrage du pétrolier Erika en décembre 1999. Le récent naufrage du pétrolier Prestige a permis de modifier certaines de ces décisions et leur mise en oeuvre devrait être accélérée.

En ce qui concerne les sociétés de classification, la directive communautaire n° 2001/105 adoptée à la suite du naufrage de l'Erika est en cours de transposition dans le droit français. Ce sont les services du secrétariat d'Etat aux transports et à la mer qui mènent à bien ce travail.

En substance, ce texte modifie les modalités du contrôle exercé sur les sociétés de classification. Aujourd'hui, seuls les Etats membres agréent ces organismes. Demain, l'agrément sera prononcé par la Commission européenne, qui établira une liste de sociétés de classification agréées. Les Etats membres seront ensuite chargés de reconnaître les sociétés de classification qui opéreront sur leur territoire.

Par ailleurs, la nouvelle directive institue un contrôle de performance des sociétés de classification. L'efficacité et le sérieux de ces organismes seront évalués sur la base de ratios établis entre le nombre de navires classés et le nombre de navires classés présentant des anomalies ou des risques selon les critères du mémorandum de Paris.

Concernant le contrôle des navires qui transportent du fioul lourd, je souhaite informer la Haute Assemblée que la Commission a transmis au Conseil et au Parlement européen, le 20 décembre 2002, un projet de règlement en vue d'interdire le transport du fioul lourd dans les pétroliers à simple coque et d'accélérer le calendrier de leur élimination.

Ce texte, actuellement évalué par le secrétariat d'Etat aux transports et à la mer, rejoint les mesures décidées à la suite du naufrage de l'Erika et reçoit le soutien global de la France.

La France défend l'idée d'une extension de la responsabilité des acteurs du transport maritime de façon à obtenir une indemnisation plus complète et plus rapide des victimes de marées noires. Elle maintient ses efforts au sein de l'Organisation maritime internationale pour convaincre ses partenaires de l'intérêt d'une modulation de la responsabilité du propriétaire du navire en fonction du danger que représentent le navire et sa cargaison.

Enfin, les dispositifs destinés à soutenir les flottes marchandes des Etats membres de l'Union européenne permettent aux Etat membres d'instituer des exonérations de charges sociales au profit des armateurs et des réductions d'impôts au profit des marins. Il ne s'agit pas d'aides directes sous forme de compensation versée par l'Union européenne.

Le premier mécanisme est aujourd'hui appliqué par le secrétariat d'Etat aux transports et à la mer au profit des armateurs français. En revanche, le second mécanisme contrevient au principe fondamental de l'égalité des citoyens devant l'impôt et n'a donc pas été mis en oeuvre.

M. Courteau m'interroge sur les modalités de la mise en oeuvre effective du projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui ainsi que sur les moyens de contrôle et d'intervention dont dispose l'Etat. Mon discours de présentation a, me semble-t-il, permis de répondre à une grande partie de ses interrogations. Je me permets néanmoins de revenir sur certains points.

En ce qui concerne les délais, le projet de loi institue la zone de protection écologique, la ZPE, et renvoie la fixation des limites de celle-ci à un décret d'application.

J'espère que le projet de loi sera rapidement adopté par les deux assemblées, compte tenu de son caractère consensuel. La démarche de votre commission, comme celle des groupes politiques, qui n'ont pas déposé d'amendement, témoigne de la volonté de votre assemblée d'aller vite. La promulgation de la loi pourrait donc intervenir d'ici à deux ou à trois mois.

Quant au décret d'application, il est déjà en préparation et le Gouvernement veillera à ce que sa publication intervienne très rapidement après le vote de la loi.

J'ajoute que la préfecture maritime de Toulon est déjà en train de s'organiser pour s'adapter à ses nouvelles missions et pour renforcer sa coopération avec le parquet afin d'assurer le suivi des procédures judiciaires.

Le dispositif pourrait donc entrer en vigueur et être complètement opérationnel très rapidement, avant l'été.

Dans le souci d'aller vite, une procédure de délimitation de la ZPE en deux temps a été privilégiée.

Un premier décret procédera à une délimitation « minimale » puisque les points de délimitation retenus seront en deçà des limites auxquelles la France pourrait prétendre au regard des règles applicables dans le droit de la mer. L'objectif est d'arrêter ainsi une délimitation difficilement contestable. Dans cette mesure, l'existence de la ZPE et son opposabilité aux navires étrangers ne sont pas subordonnées à des accords de délimitation bilatéraux avec les Etats voisins.

Un second décret entérinera les résultats qui seront obtenus en matière de délimitation au terme des négociations qui seront menées avec l'Espagne et l'Italie sur la base du premier décret. Ce second décret arrêtera la délimitation définitive de la ZPE.

Nous ne pouvons pas préjuger de la longueur des discussions avec l'Espagne et l'Italie dans un domaine aussi sensible. L'essentiel est que ces négociations ne soient pas un obstacle à la mise en place de la ZPE française en Méditerranée.

Dès le début, cette initiative du Gouvernement a été conduite en concertation étroite et confiante avec les Etats riverains de la Méditerranée. Ils ont tous été contactés, pour être tenus informés de notre projet et pour faire connaître leurs réactions. Dans leur grande majorité, ils ont manifesté un vif intérêt pour notre action en faveur de la protection de l'environnement marin.

En ce qui concerne ensuite les moyens disponibles, l'Etat dispose de nombreux moyens de surveillance, de contrôle et d'intervention en mer Méditerranée. Ces moyens, qui relèvent de plusieurs administrations, à savoir la marine nationale, les affaires maritimes, les douanes, la gendarmerie maritime et départementale, sont placés sous l'autorité du préfet maritime de la Méditerranée, qui est basé à Toulon. Quant au programme d'action, il est coordonné par le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage en Méditerranée, qui relève des affaires maritimes.

Des moyens navals de tous types, adaptés aux différentes zones et aux différentes tâches de contrôle et de surveillance, sont répartis sur le littoral méditerranéen.

Pour la zone des 300 mètres et la bande côtière, le contrôle et la surveillance sont assurés par trente-quatre embarcations légères et pneumatiques ainsi que par une quarantaine de vedettes de dix à quinze mètres des affaires maritimes, des douanes et de la gendarmerie.

Pour les eaux territoriales - 12 milles nautiques - et pour la zone contiguë - 24 milles nautiques - sont utilisés les moyens de la marine nationale, soit deux patrouilleurs de service public et deux remorqueurs de haute mer affrétés auprès de la Compagnie des Abeilles internationales, et ceux des affaires maritimes, soit une vedette régionale à capacité hauturière.

Des moyens aériens sont également disponibles. Ainsi, la marine nationale peut utiliser un hélicoptère de type Dauphin, un hélicoptère de type Super-Frelon et un avion de type N 262. Par ailleurs, les douanes disposent de quatre avions de type Cessna F 406, dont un dit « POLMAR 21 », spécialement équipé pour relever et constater les rejets illicites, et de trois hélicoptères de type Ecureuil.

La création de la zone de protection écologique permettra le redéploiement de ces nombreux moyens sur une zone de contrôle et de surveillance plus vaste. Il est ainsi d'ores et déjà prévu par la préfecture maritime de la Méditerranée, d'une part, de coordonner le programme de vol des avions POLMAR avec les programmes des navires de l'Etat de façon à faire intervenir immédiatement un moyen naval de contrôle lorsque les moyens aériens ont constaté une infraction et, d'autre part, de promouvoir une étroite coopération entre les CROSS et leurs partenaires italiens et espagnols.

M. Moinard a souhaité savoir quelles mesures étaient prises par le Gouvernement pour que notre pays respecte le niveau de contrôle exigé par la réglementation communautaire.

Le secrétariat d'Etat aux transports et à la mer a décidé d'augmenter le nombre de fonctionnaires habilités pour réaliser le contrôle des navires : au 1er avril, nous passerons ainsi de soixante à quatre-vingt inspecteurs de la sécurité des navires. Il a en outre lancé un programme d'emploi de jeunes retraités anciens navigants, qui interviendront en tant qu'experts vacataires. A ce jour, plus d'une centaine de personnes ont transmis leur curriculum vitae au secrétariat d'Etat aux transports et à la mer.

A la fin de l'année 2002, le taux de contrôle des navires était de 16,4 %. Il atteindra 25 % en 2003 grâce aux mesures décidées par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Emmanuel Hamel. C'est encore trop peu !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.