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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous informer que, en application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie l'ordre du jour prioritaire des séances suivantes :

« Mardi 27 mai, le matin :

« - Questions orales ;

« Mardi 27 mai, l'après-midi et le soir :

« - Projet de loi portant décentralisation du revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

« Mercredi 28 mai, l'après-midi :

« - Suite éventuelle de l'ordre du jour de la veille ;

« - Deuxième lecture du projet de loi organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

« Signé : Jean-François Copé »

Acte est donné de cette communication et l'ordre du jour des mardi 27 mai et mercredi 28 mai est ainsi fixé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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DÉCENTRALISATION EN MATIÈRE DE REVENU MINIMUM D'INSERTION ET CRÉATION

D'UN REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ

Suite de la discusion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité
Art. additionnel avant l'art. 1er

M. le président. Je suis saisi, par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion, n° 58, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 282, 2002-2003). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, promise par le Président candidat, annoncée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, la réforme du RMI est désormais lancée. L'objectif affiché est de dynamiser l'insertion professionnelle des allocataires du RMI. Soit !

Nous pensons, quant à nous, que vos intentions sont tout autres et que les risques sont forts pour que, concrètement, ce texte conduise à fragiliser encore davantage les RMIstes et leurs familles.

Les deux mesures autour desquelles se structure votre projet de loi, monsieur le ministre, ne sont pas nouvelles. La droite a déjà lancé des « ballons d'essai ». En 1988, tout d'abord, lors de l'instauration du RMI, elle avait proposé une gestion intégrale du dispositif par les départements. En 2001, ensuite, la majorité sénatoriale a voté, sur l'initiative de MM. Lambert et Marini, une proposition de loi portant création d'un revenu minimum d'activité et liant le versement de l'aide à une participation de la personne à une activité.

Il était question « d'inventer des mécanismes nouveaux pour mettre en relation le besoin de main-d'oeuvre exprimé par les entreprises et la ressource considérable en valeur et en compétence que représentent les personnes bénéficiant de minima sociaux ».

Bref, il s'agissait de faire payer par la collectivité publique une partie du salaire, comme le souhaitait depuis longtemps le MEDEF, et de conditionner l'octroi de l'aide reçue de la société à l'exercice d'une activité.

En aucun cas il n'était question de permettre à tous ces allocataires, les RMIstes notamment, de s'autonomiser, de sortir de toute forme d'exclusion en se réintégrant dans différents processus économiques et sociaux.

Aujourd'hui, le dispositif envisagé est, certes, différent dans ses modalités pratiques, mais, monsieur le ministre, la philosophie est la même. Le parti pris pour aborder la question du RMI demeure flagrant : si non-emploi il y a, il est volontaire ! La stigmatisation des RMIstes se trouve renforcée.

L'analyse de votre démarche faite par un journaliste du journal Le Monde, dans un article en date du 8 mai dernier, me paraît à ce titre très juste : les deux textes s'inscrivent, peu ou prou, dans une même filiation idéologique et renvoient à la thèse, controversée, de la « trappe à inactivité ». Vous vous en êtes défendu tout à l'heure !

Mes chers collègues, nous ne sommes pas les seuls à penser que l'ombre du workfare à l'anglo-saxonne - il peut être résumé ainsi : travaillez en contrepartie de l'allocation que vous recevez - plane effectivement sur le présent texte.

Je vous invite tous à prendre connaissance des développements faits, sur ce point, par le rapporteur général du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC.

Si, faute de temps, la commission des affaires sociales a procédé à très peu d'auditions, il n'en demeure pas moins que les personnes entendues ont apporté un éclairage de qualité et pertinent sur l'ambiguïté de certaines dispositions et sur les risques qui en découlent.

En l'occurrence, M. Michel Dollé considère que « si le workfare n'a pas été, heureusement, retenu, il peut se réintroduire dans le concret et, notamment, dans la formulation des "contrats d'insertion" et dans les modalités du revenu minimum d'activité ».

Le danger, c'est évidemment que l'on s'écarte de l'esprit de la loi de 1988, de l'équilibre alors trouvé entre droit à revenu et implication effective dans une démarche d'insertion.

L'article chapeau de la loi relative au RMI, inspiré des principes constitutionnels tirés du préambule de la Constitution de 1946, pose que c'est l'incapacité de travailler qui fonde le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.

Permettre qu'une personne puisse travailler sans acquérir des droits différés sur l'ensemble de la rémunération perçue, n'est-ce pas, de fait, lui faire rembourser par son travail l'allocation perçue ?

Or cette restitution, cette contrepartie en temps de travail, non explicitement imposée, mais bien présente, conduit, toujours selon Michel Dollé, à « inverser la relation entre activité ou travail et perception de l'aide », ce qu'interdit justement « le principe constitutionnel figurant en amont du RMI ».

Monsieur le ministre - mon collègue Roland Muzeau a eu l'occasion de le dire -, bien au-delà de son contenu, votre projet de loi suscite des interrogations quant à sa philosophie ; j'y reviendrai. Il ne nous surprend pas dans la mesure où il est conforme à votre vision libérale et où il s'inscrit pleinement dans votre démarche continue de baisse du coût du travail et de réduction des dépenses de solidarité nationale.

Votre projet de loi vient pourtant heurter et contredire les ambitions de M. Raffarin « d'une France porteuse d'un nouvel humanisme », « d'une République en partage ».

S'agissant du nouvel humanisme, on ne peut pas dire que vous ayez fait, monsieur le ministre, de la lutte contre la précarité sociale votre priorité. Au contraire !

Tous les choix que vous avez opérés - assouplissement des 35 heures, de la loi de modernisation sociale ; fin des emplois-jeunes ; décrochage du SMIC ; mise en place du contrat jeune en entreprise - l'orientation nouvelle que vous avez donnée aux politiques publiques de l'emploi - temps partiel ; bas salaires - contribuent à abaisser encore davantage les normes d'emplois et à produire de nouveaux travailleurs pauvres. L'explosion de la précarité, des bas salaires et des emplois atypiques fait l'actualité.

Que dire, par ailleurs, de la volonté de votre gouvernement d'agir contre l'exclusion ?

Toujours pour aller dans le sens de l'opinion publique, les plus faibles d'entre nous - les mendiants, les prostituées, les gens du voyage - ont été attaqués, voire stigmatisés. (M. Roger Karoutchi s'exclame.)

Quant au programme national de renforcement de lutte contre l'exclusion présenté par Mme Dominique Versini, comparé aux plans précédents, le milliard d'euros mobilisé par l'Etat, les collectivités et autres partenaires, représente peu par rapport aux besoins à satisfaire. D'autant que la priorité donnée au logement, qui est le point noir majeur, restera de l'ordre des bonnes intentions, puisque les crédits de la politique de la ville, les aides de l'Etat au logement ne permettront pas d'améliorer substantiellement l'offre de logement.

S'agissant maintenant de « la République en partage, du renouveau de la démocratie sociale », permettez-moi, mes chers collègues, de remarquer qu'une fois de plus, sur ce texte, la méthode suivie par le Gouvernement est bien différente.

Alors qu'il est quand même question de réformer en profondeur le RMI, ultime filet de protection sociale pour deux millions de personnes, en catimini ou, plus exactement, entre amis, notamment avec l'Assemblée des départements de France, que représente ici Michel Mercier, un texte a été élaboré. Vous l'avez d'ailleurs dit tout à l'heure, monsieur le minsitre.

Il est tout à fait dommageable qu'aucune évaluation préalable, aucun bilan des avantages et des inconvénients du RMI n'aient été produits quinze ans après sa création.

Dans ces conditions, il est abusif, monsieur le ministre, de justifier votre réforme par l'échec relatif du RMI et d'entretenir le mythe d'allocataires qui se complairaient dans l'assistance.

Il est simpliste de se contenter d'avancer la forte augmentation du nombre de bénéficiaires et le faible taux - 50 % - de contractualisation.

Je comprends, toutefois, que vous vous en satisfassiez, car, à trop regarder, une autre lecture de la situation pourrait être faite, impliquant la responsabilité de l'Etat, en particulier dans les réformes passées du système de protection du risque chômage, qui ne couvre plus aujourd'hui les risques nouveaux du marché du travail en pleine mutation ; les jeunes, les chômeurs de longue durée, les personnes ayant une activité réduite en sont notamment exclus.

La responsabilité des départements est aussi engagée, car ils se sont impliqués différemment dans l'action d'insertion, par choix politique, mais aussi en raison du contexte socio-économique, plus ou moins favorable.

L'objectivité plus grande du rapporteur quant à l'analyse des raisons expliquant que, malgré l'obligation légale, tous les bénéficiaires du RMI ne se soient pas engagés dans une démarche d'insertion sociale ou professionnelle, mérite d'être notée.

Vous imputez, monsieur le ministre, le faible retour à l'emploi avant tout à la faiblesse de la demande, montrant ainsi du doigt les « allocataires coupables ».

M. Roger Karoutchi. N'exagérons rien !

M. Guy Fischer. Seiller, rapporteur, considère, lui, que « les carences du dispositif d'insertion expliquent pour partie les difficultés d'accès ou de retour à l'emploi des bénéficiaires du RMI », conviction que je partage.

Il n'en demeure pas moins que toutes les conséquences ne sont pas tirées. Les propositions d'amendements faites par la commission des affaires sociales ne viennent pas bouleverser l'économie générale du texte, dont les dispositions ne permettent absolument pas d'améliorer le contenu des contrats d'insertion et risquent même, à l'inverse de l'objectif recherché, d'exclure les publics les plus fragilisés, de les sanctionner.

Pressé d'agir, non pas pour améliorer le sort du million d'allocataires du RMI qui vivent, ou plutôt survivent, pour plus d'un tiers d'entre eux, de cette seule ressource, notamment en envisageant pour ces demandeurs d'emploi d'augmenter le niveau du RMI - c'est l'un des plus bas d'Europe - mais pour répondre aux « Français d'en bas », ceux qui vivent mal de leur travail, vous avez non seulement négligé cette étape d'évaluation, anticipé une réforme, alors qu'un rapport sur les minima sociaux est attendu, mais également complètement évincé de la réflexion, du travail préparatoire, l'ensemble des partenaires concernés : les associations, bien sûr, mais aussi les bénéficiaires eux-mêmes. Seule l'Assemblée des départements de France - et encore pas tous les membres susceptibles d'être intéressés - a été associée à l'élaboration du dispositif. On comprend pourquoi !

Permettez-moi, monsieur le ministre, de déplorer cette procédure.

Les associations regroupées dans le réseau Alerte, qui ont découvert votre texte la veille de son adoption en conseil des ministres, vous ont publiquement demandé un délai supplémentaire, afin de permettre une réelle discusion sur ses dispositifs ; notre rapporteur les a mieux entendues.

Je regrette profondément que vous n'ayez pas accepté de reporter l'examen du projet de loi, d'autant qu'a priori son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale serait repoussée à la rentrée.

Comme sur le dossier des retraites, nous pensons qu'il convient d'aborder l'ensemble des questions posées, de porter au débat public tous les éléments, mais surtout de ne pas faire de la « division » de nos citoyens un principe.

Or, en l'espèce, vous tentez d'opposer les Français qui ne tirent pas de revenus suffisants de leur temps partiel ou de leur mission d'intérim, tous ceux qui se trouvent dans une situation précaire sur le marché de l'emploi, aux RMIstes, exclus, eux, pour diverses raisons et aux Français qui sont en dessous du seuil de pauvreté.

Dans un contexte économique déjà très dégradé, alors que les chiffres du chômage sont à la hausse, que les licenciements économiques et les fermetures d'entreprises foisonnent, vous ambitionnez de conditionner plus strictement le versement du RMI à un résultat en termes d'insertion. Le piège va vite se refermer sur les allocataires du RMI les plus fragiles.

C'est en tenant compte de votre état d'esprit, des choix opérés par ailleurs par le Gouvernement en matière de politique économique, sociale et fiscale - je pense en particulier à l'allégement de l'impôt de solidarité sur la fortune - que nous avons apprécié le contenu de ce projet de loi.

Résultat de tant de précipitation, le dispositif proposé apparaît inachevé, inadapté, dangereux et témoigne de votre méconnaissance des publics auxquels il est pourtant destiné.

En ce qui concerne tout d'abord le RMA, le moins que l'on puisse dire, c'est que ce nouveau contrat, qui vient s'ajouter à la panoplie déjà très large de contrats aidés, est très loin d'être satisfaisant, sauf peut-être pour les employeurs, qui bénéficieront indiscutablement « d'une aide substantielle permettant de réduire significativement les coûts salariaux » ; je me contente de citer M. le rapporteur.

Les associations, pour leur part, sont unanimes à considérer que ce projet de loi est « trop rigide et trop précaire » - c'est notamment le cas de Martin Hirtsch, d'Emmaüs - et que c'est « un mauvais CES ».

Quelle que soit la « bonne volonté de la commission des affaires sociales », qui tente d'assouplir autant que faire se peut le dispositif en donnant au passage des gages aux professionnels de la lutte contre l'exclusion, ce projet de loi permettra, demain, l'embauche de « trois RMIstes pour le prix d'un smicard », comme l'a justement titré Libération le 8 mai dernier, ce qui est de nature non pas, loin s'en faut, à améliorer la situation de l'ensemble des salariés, mais à tirer encore plus vers le bas les petits salaires.

S'agissant ensuite du RMI, les questions soulevées sont nombreuses et d'importance.

Le RMI, prestation de solidarité, trop conditionné, est laissé à la seule responsabilité des présidents de conseils généraux. Restera-t-il un droit garanti ou deviendra-t-il un droit local, les modalités actuelles de la décentralisation ne permettant pas d'assurer l'égalité et la solidarité ?

Comment s'articulera cette compétence transférée avec les politiques de l'emploi, de la formation professionnelle, qui font, elles, intervenir l'Etat et les régions ?

Quels sont les termes exacts des transferts financiers ?

Qu'adviendra-t-il de la personne à la fin du RMA ?

La tonalité assez critique du rapport de la commission des affaires sociales et les nombreux amendements déposés n'apaisent pas nos craintes, au contraire. Cela confirme que le débat qui s'ouvre ne saurait suffire, à lui seul, à combler les insuffisances et les oublis du texte.

Nous ne refusons pas le débat ; nous pensons seulement qu'il ne doit pas être tronqué.

Afin de laisser le temps nécessaire à l'évaluation du dispositif actuel du RMI, à la concertation avec l'ensemble des parties prenantes et à la réflexion sur les moyens d'améliorer les perspectives d'insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires du RMI, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion de renvoi du projet de loi à la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en accord avec M. le rapporteur, j'ai tenu à présenter l'avis de la commission des affaires sociales sur la présente motion tendant au renvoi du texte en commission.

Il n'est, du reste, pas illogique que cette tâche revienne au président de la commission, puisque l'objet d'une telle motion, monsieur Fischer, est bien de contester la façon dont nous avons pu conduire nos travaux, notamment l'insuffisante attention que nous aurions pu consacrer à l'examen d'un projet de loi d'une particulière importance.

Bien sûr, j'ai cru comprendre en vous écoutant qu'en réalité les griefs du groupe communiste républicain et citoyen s'adressaient plutôt au Gouvernement...

M. Roland Muzeau. Bien entendu !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... et concernaient le calendrier retenu pour ce projet de loi.

Le Gouvernement voudra probablement s'exprimer, mais je souhaiterais auparavant formuler quelques observations.

Tout d'abord, je rappelle que la commission des affaires sociales a toujours fait preuve d'une grande mansuétude en matière d'ordre du jour. Elle sait que le domaine social est vaste, la matière complexe, les projets de loi nombreux et que, en définitive, le Parlement est bien souvent la variable d'ajustement des urgences de l'exécutif.

Nos collègues n'auront pas oublié les moments forts de la précédente législature. La commission des affaires sociales n'a alors jamais refusé ou retardé le débat en séance publique sur les projets de loi auxquels le Gouvernement était attaché. Elle n'a pas été avare de séances de nuit et s'est prêtée à bien des contraintes d'ordre du jour. C'est, en quelque sorte, son esprit républicain.

M. Robert Del Picchia. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a naturellement pas de raison aujourd'hui qu'elle agisse différemment.

Aussi la commission des affaires sociales s'est-elle organisée pour procéder à un examen approfondi du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.

La commission a pu ainsi entendre en séance plénière la présidente de la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, au titre de la place centrale que tient et que tiendra le réseau des caisses d'allocations familiales dans la gestion du revenu minimum d'insertion. De même, elle a entendu l'Assemblée des départements de France, dont un membre éminent n'est autre que le rapporteur pour avis de la commission des finances.

La commission des affaires sociales a entendu aussi MM. Bertrand Fragonard et Michel Dollé, deux experts des minima sociaux et des questions d'insertion. J'ai cru comprendre, d'ailleurs, que M. Roland Muzeau avait été particulièrement intéressé par les propos du rapporteur général du CERC.

Enfin, bien entendu, elle vous a entendu, monsieur le ministre, et elle vous remercie de lui avoir consacré le temps qu'il fallait avant de rejoindre votre ministère pour des négociations qui devaient durer toute la nuit.

En outre, le commission des affaires sociales a pris soin de désigner, en la personne de Bernard Seillier, un rapporteur qui fait autorité.

C'est un choix dont elle est coutumière, c'est vrai. L'expérience et la compétence ne s'improvisent pas. Je pense notamment à nos rapporteurs des projets de loi de financement de la sécurité sociale qui, exercice après exercice, approfondissent leur réflexion et enrichissent leurs propositions. Cela n'empêche pas la commission des affaires sociales d'être parallèlement très attentive à donner rapidement des responsabilités à de jeunes et brillants rapporteurs.

Dans le cas présent, l'expérience de Bernard Seillier, qui préside notre groupe d'études sur l'exclusion et a rapporté l'importante loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, lui a permis de procéder à un examen particulièrement attentif du projet de loi dans des délais qui n'étaient effectivement pas très longs.

Enfin, nous n'avons pas oublié, et cela a été rappelé par plusieurs orateurs, que notre collègue Bernard Seillier s'est vu confier par le Gouvernement une mission de vaste portée puisqu'elle tend « à une réforme globale des contrats aidés ». Il a entamé cette mission à la fin du mois de février. Son rôle de rapporteur de la commission des affaires sociales sur le présent projet de loi est ainsi la garantie de la cohérence de la démarche entreprise et le gage de son succès.

Le rapporteur a ainsi procédé à près d'une trentaine d'auditions qui ont éclairé ses analyses et inspiré ses propositions. Vous en trouverez la liste dans le tome II du rapport de la commission. Vous y trouverez également cités l'ensemble des partenaires sociaux ; les experts de l'INSEE, de l'Inspection générale des affaires sociales, de l'Observatoire décentralisé de l'action sociale ou encore du Conseil national contre la pauvreté et l'exclusion.

Vous y trouverez également les différents intervenants institutionnels que sont la Mutualité sociale agricole, qui complète l'action des caisses d'allocations familiales, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale ou l'ANPE et, naturellement, les représentant du monde associatif qui jouent - on le sait - un rôle déterminant dans les politiques en faveur de la cohésion sociale, à savoir le Secours populaire, le Secours catholique, Emmaüs, ATD Quart Monde, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale, la FNARS, et l'Union nationale interfédérale des oeuvres privées sanitaires et sociales, l'UNIOPSS.

Vous y trouverez enfin les acteurs du monde de l'insertion, c'est-à-dire le Conseil national de l'insertion par l'activité économique et le Comité national des entreprises d'insertion.

Au total, à l'issue de ces travaux, la commission a adopté une cinquantaine d'amendements sur les quarante et un articles que compte ce projet de loi.

Nos collègues Roland Muzeau, Gilbert Chabroux et encore à l'instant Guy Fischer ont voulu y voir la confirmation que le projet de loi avait été déposé de façon précipitée et qu'il aurait été en quelque sorte « bâclé ».

M. Roland Muzeau. Tout à fait ! C'est le mot.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Souvenez-vous du nombre d'amendements qui ont été adoptés sur d'autres textes, mon cher collègue !

J'y vois, pour ma part, la marque du travail sérieux accompli par notre rapporteur et par la commission des affaires sociales.

Certes, comme pour tous les textes qui sont soumis au Sénat en première lecture, certains amendements sont de nature rédactionnelle ou de précision. Certains - il faut aussi l'avouer -, tendent à revenir sur les corrections apportées par le Conseil d'Etat, qui manifeste parfois une préférence pour des rédactions qui nous semblent trop elliptiques. Mais d'autres sont véritablement des amendements de fond, qui tendent à modifier certains des paramètres retenus par le Gouvernement.

En séance publique, nous allons avoir un débat approfondi sur de vrais choix, qui peuvent reposer sur des analyses ou des appréciations différentes, mais qui, ni d'un côté ni de l'autre, n'ont été formulées dans la précipitation.

Nous espérons que les réflexions du Sénat se traduiront par un texte de loi finalement plus conforme à ce qui est sa philosophie profonde, à savoir la mise en oeuvre d'une politique résolue et ambitieuse d'insertion sociale et professionnelle des plus défavorisés grâce à l'efficacité d'une action décentralisée.

Une question importante demeure : nous sommes face à une réforme d'une exceptionnelle ampleur qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain. C'est un objectif auquel la commission des affaires sociales souscrit pleinement.

Entre-temps, cependant, nous avons un rendez-vous, non moins important, dès le début de l'automne, celui du projet de loi de finances pour 2004, qui assurera le bouclage financier d'un transfert de compétences aux départements portant sur près de 5 milliards d'euros.

Ce rendez-vous, nous ne pouvons en faire l'économie, dès lors qu'il appartient à la loi de finances, et à elle seule, de procéder à l'affectation aux départements de recettes fiscales, en l'espèce la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Sans entrer dans la problématique de la poule et de l'oeuf, je crois raisonnable d'arrêter un dispositif, puis d'en assurer le bouclage financier entre l'Etat et les départements, plutôt que de boucler financièrement un dispositif dont le Parlement ignorerait la teneur. Il nous faut donc être prêts rapidement.

Aussi, le travail que nous allons réaliser ici, au Sénat, dans un calendrier resserré - je ne sous-estime pas les contraintes que cela représente pour chacun d'entre nous - se justifie pleinement, monsieur le ministre, si l'Assemblée nationale est saisie du texte avant l'été. Ce point ne semble pas encore totalement acquis, au regard des incertitudes de l'ordre du jour et du temps que l'examen d'autres projets de loi exigera. Vous voyez à quel projet de loi je pense en particulier.

Une chose est certaine : si le Sénat retarde aujourd'hui l'examen du projet de loi, ce texte ne sera pas discuté à l'Assemblée nationale avant l'été. Personne ne peut contester cette déduction de bon sens.

En résumé, le projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité est un bon texte. Il est important que nous puissions être prêts pour le rendez-vous du projet de loi de finances pour 2004, qui sera la dernière étape avant l'entrée en vigueur de la réforme, au 1er janvier de l'année prochaine.

La commission des affaires sociales pense avoir procédé à un examen attentif de ce projet de loi, la qualité du rapport de M. Bernard Seillier en témoigne éloquemment.

Ce rapport, et les amendements présentés par la commission, répondent, je l'espère, à l'essentiel des questions que soulèvent les auteurs de la motion. Nos débats en séance publique achèveront, j'en suis sûr, sinon de les convaincre, du moins de les éclairer.

M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Aussi, notre commission ne fait pas siennes les raisons qui pourraient justifier le renvoi du texte devant elle. Elle émet donc un avis défavorable sur la motion de M. Roland Muzeau et des membres du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se félicite du travail qui a été réalisé par la commission des affaires sociales et par son rapporteur. Il n'a aucun amour propre d'auteur, surtout dans une matière où le Sénat a une grande expérience à la fois du fait de son rôle de représentant des collectivités locales et en raison des propositions qu'il a déjà à maintes reprises défendues dans le passé.

Je regrette d'autant plus que M. Fischer s'en tienne ici au procès d'intention plutôt que de procéder à l'examen précis et réel du texte. Il ne s'en est d'ailleurs pas caché, nous accusant de nourrir certaines arrière-pensées, notamment de vouloir transformer profondément le revenu minimum et la philosophie de l'Etat en matière d'insertion.

Ce n'est pas la réalité du texte qui nous occupe aujourd'hui. M. Fischer pourra d'ailleurs se rendre compte, au cours des débats, que ce projet est conforme à la philosophie du revenu minimum, puisqu'il s'agit, une fois dressé le constat de ses insuffisances, d'améliorer les performances de ce dispositif. Si quelques dizaines de milliers de nos concitoyens qui vivent aujourd'hui du revenu minimum peuvent, grâce à ce dispositif, trouver un passage vers l'emploi, je pense que nous pourrons tous nous féliciter du travail réalisé.

Je tiens d'ailleurs à faire remarquer au groupe CRC que, lors du vote du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales, aucune centrale syndicale ouvrière n'a voté contre ce texte. Certaines ont voté pour, comme la CFDT et Force ouvrière ; certaines se sont abstenues, notamment la CGT, dont vous reconnaîtrez que la position, en l'occurrence, n'était pas la marque d'une opposition déterminée ; certaines se sont contentées de prendre acte, comme la CFTC. Ce sont finalement des organisations plutôt assez éloignées de M. Fischer et de ses amis qui ont voté contre le texte.

J'y vois le signe que les centrales syndicales ouvrières, qui savent comment fonctionne le RMI et qui connaissent la valeur du travail, ne sont pas hostiles à un dispositif qui vise à corriger progressivement ce que nos concitoyens ressentent, encore une fois à tort ou à raison, comme l'une des injustices les plus graves de la société d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 58, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.