Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française, d'une part, et le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la Communauté française, le Gouvernement de la Région wallone et le Gouvernement flamand, d'autre part, sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux
Art. unique (fin)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française, d'une part, et le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la Communauté française, le Gouvernement de la Région wallonne et le Gouvernement flamand, d'autre part, sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux, fait à Bruxelles le 16 septembre 2002, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

Art. unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française, d'une part, et le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la Communauté française, le Gouvernement de la Région wallone et le Gouvernement flamand, d'autre part, sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux
 

présidence de m. christian poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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hommage aux victimes

d'un tremblement de terre

et aux victimes

d'une catastrophe aérienne

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, en ce début d'année, j'aurais aimé, conformément à la tradition, pouvoir me contenter de vous présenter mes meilleurs voeux de bonne et heureuse année et surtout de souhaiter une excellente santé à chacun d'entre vous.

Malheureusement, l'actualité en a décidé autrement et je me dois de rendre hommage, en votre nom à toutes et à tous, aux victimes des catastrophes survenues pendant la suspension de nos travaux. (Mme la ministre, MM. et Mmes les sénateurs se lèvent.)

Au lendemain de Noël, un terrible tremblement de terre a presque entièrement détruit la ville de Bam, au sud-est de l'Iran : plus de 40 000 morts.

Le Sénat assure le peuple iranien de sa profonde sympathie.

La France a manifesté sa solidarité en envoyant sur place des équipes de sauveteurs, dont je salue une fois encore le dévouement et l'efficacité.

M. André Dulait, qui préside le groupe d'amitié France-Iran, peut en témoigner.

Nous avons été profondément émus - bouleversés, dirai-je même - par la disparition des 148 passagers et membres d'équipage de l'avion qui s'est abîmé en mer, samedi matin 3 janvier, en mer Rouge au large de Charm el-Cheikh, ne laissant, hélas ! aucun survivant.

La plupart des victimes sont françaises ; des familles entières originaires de diverses régions ont été brutalement décimées.

Le Sénat a une pensée émue pour les victimes ; nous compatissons tous à la douleur des familles et des proches des disparus.

Comme en témoigne la présence sur place de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, dès le lendemain de la catastrophe, le gouvernement français n'a pas ménagé ses efforts pour mobiliser les moyens de recherche et d'identification des victimes. L'essentiel est en effet, aujourd'hui, d'aider les familles à faire leur travail de deuil et d'élucider le plus rapidement possible les causes de cette catastrophe aérienne particulièrement meurtrière et qui nous frappe profondément.

Je vous propose maintenant, madame la ministre, mes chers collègues, d'observer un moment de recueillement à la mémoire des victimes. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Je souhaite, mesdames et messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, m'associer au témoignage de solidarité et d'émotion que vient de prononcer M. le président du Sénat.

Je tiens à manifester notre solidarité au peuple iranien, une nouvelle fois marqué cruellement dans sa chair par un terrible tremblement de terre qui a fait plus de 40 000 morts et qui a détruit une ville entière, ainsi qu'à exprimer notre compassion aux familles des 133 victimes françaises du terrible accident qui a vu périr 148 personnes à Charm el-Cheikh.

Le Gouvernement, par la voix de Jean-Pierre Raffarin, vient de réaffirmer solennellement que tout sera fait pour que soient élucidées les causes de ce terrible accident et pour que soit apportée toute l'aide possible aux familles des victimes.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle, pour un rappel au règlement.

M. Yves Coquelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la fin du mois de novembre, le département du Pas-de-Calais, plus exactement la région lensoise, vit un véritable drame.

Chaque jour, on annonce un ou plusieurs cas de légionellose. A l'heure actuelle, cinquante-neuf personnes sont atteintes par cette épidémie ; sept d'entre elles sont décédées. D'après les dires des experts, rien ne peut nous rassurer quant à l'avenir de cette épidémie très éprouvante pour nos populations.

L'activité de l'usine Noroxo qui, apparemment, serait à l'origine du développement de la légionellose a été arrêtée début décembre. Les installations ont été nettoyées et purgées. Malgré cela, l'épidémie n'a pu être stoppée.

Aujourd'hui, par mesure de précaution, M. le préfet du Pas-de-Calais a décidé l'arrêt de l'usine et d'une station-service à proximité, bien que les taux de légionelle soient assez faibles dans l'un comme dans l'autre cas. Rien ne permet d'assurer que ces fermetures permettront de stopper cette épidémie unique en France.

Le 1er janvier, M. le ministre de la santé est venu, accompagné de quelques experts.

De nombreuses usines ont été visitées, sans résultat. Nous pensons que les moyens mis à disposition du département pour stopper cette grave épidémie sont insuffisants, comme sont très insuffisants les moyens accordés à la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, pour contrôler les usines et entreprises à risque.

Nos populations, déjà touchées voilà quelque temps par les maladies nosocomiales contractées à l'hôpital, requièrent que des moyens sans commune mesure avec ce que l'Etat a prévu jusqu'alors soient mis en oeuvre pour enrayer ces fléaux.

Une véritable psychose s'installe dans la population, qui, après l'annonce de fermetures d'entreprises en cascade et l'aggravation considérable du chômage, mérite que l'on consacre des moyens à la hauteur des problèmes qui nous sont posés.

Madame la ministre, je sais que vous allez venir dans le Pas-de-Calais cette semaine ; j'espère que vous pourrez nous annoncer des dispositions plus importantes, notamment le déploiement de moyens supplémentaires pour permettre à la DRIRE d'accomplir son travail de surveillance des entreprises dans de meilleures conditions. D'ailleurs, si vous pouviez nous en donner dès aujourd'hui la teneur, nous vous en saurions gré.

En attendant, je vous informe que le groupe communiste républicain et citoyen a l'intention de déposer, le plus rapidement possible, une demande de constitution de commission d'enquête parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Il n'est pas d'usage qu'un ministre réponde à un rappel au règlement, mais, si M. le président m'en donne l'autorisation, je vais apporter un certain nombre de précisions qui devraient répondre à vos préoccupations, mesdames, messieurs les sénateurs.

Monsieur Coquelle, comme vous l'avez très justement indiqué, nous nous trouvons devant une épidémie très grave de légionellose : cinquante-neuf cas, sept décès sont à déplorer.

Le diagnostic précis d'épidémie de légionellose a été porté par les services déconcentrés de la santé le 28 novembre.

Le 29 novembre, nous avons donné l'ordre d'arrêter l'activité du site industriel de Noroxo et, bien entendu, de procéder à la décontamination de la tour aéroréfrigérante incriminée, puisque, parallèlement au diagnostic d'épidémie par légionelle, s'est avérée la contamination de la tour aéroréfrigérante de Noroxo.

Dans les premiers jours du mois de décembre, nous avons donc fait procéder à la décontamination de la tour aéroréfrigérante de Noroxo et à l'analyse des souches bactériennes des malades incriminés. Ces cultures, qui sont extrêmement difficiles à mettre en oeuvre, ont pu être menées sur quatorze malades porteurs de légionellose. Elles ont toutes révélé qu'elles relevaient de la bactérie qui avait infecté la tour de Noroxo.

Nous avons voulu éviter que ne se développe un deuxième, voire, pourquoi pas ?, un troisième foyer de contamination dans la région. J'ai donc demandé à l'inspection des installations classées de se livrer à pas moins de 350 inspections de sites industriels dans dix-huit communes, puis dans quatre communes supplémentaires, ce qu'elle a fait sans trouver un seul site contaminé.

J'ai donc, à la suite de la décontamination réussie de Noroxo, autorisé la réouverture, le 22 décembre, du site industriel, notamment pour y ménager l'emploi.

Nous avons eu la très mauvaise surprise, alors qu'aucun site secondaire de contamination n'avait été trouvé et que la décontamination avait parfaitement réussi, de voir que les cas de légionellose continuaient au-delà de la période d'incubation normale, qui est théoriquement de dix jours et que l'on peut étendre à quinze jours.

Dans ces conditions, j'ai pris, le 1er janvier, la décision de fermer de nouveau Noroxo pour qu'il soit procédé à une nouvelle vérification de la décontamination.

Les services de la DRIRE ont trouvé un site de contamination secondaire dans une station de lavage pour voiture située à trois cents mètres du site de Noroxo. J'ai donc fait fermer, dans le périmètre de Noroxo, l'intégralité des sites de lavage de voiture. J'ai étendu le périmètre de vérification des sites industriels à vingt-trois communes supplémentaires. Pour que cette vérification se fasse dans les meilleures conditions, j'ai renforcé de dix inspecteurs supplémentaires les effectifs de la DRIRE afin de former un véritable commando. Un certain nombre de DRIRE moins sollicitées - DRIRE Champagne-Ardenne, DRIRE Ile-de-France, DRIRE Picardie - ainsi que les services de la préfecture de police de Paris fourniront des effectifs pour renforcer ceux de la DRIRE Nord - Pas-de-Calais.

Inutile de vous dire, monsieur le sénateur, que cette situation de crise a entièrement mobilisé les services de l'Etat. Bien entendu, nous avons fait appel à des experts pour nous indiquer la méthodologie à suivre dans le traitement de cette crise complètement atypique. Elle doit être gérée sur le long terme. C'est la raison pour laquelle, dans la loi de finances, les effectifs des inspecteurs des installations classées ont été renforcés de cent nouveaux postes. C'est également la raison pour laquelle le plan santé-environnement comprendra un plan légionellose, que j'ai personnellement annoncé au mois de novembre et qui s'accompagnera d'un meilleur listage des tours aéroréfrigérantes et sans doute d'un décret spécifique au traitement de la légionellose.

Un guide de bonnes pratiques sera également proposé aux exploitants et j'inciterai tous ceux qui en ont la possibilité à remplacer les installations de climatisation qui provoquent des légionelloses.

La loi sur les risques industriels permettra aussi de mieux cerner ces questions.

Oui, monsieur le sénateur, comme le rappelait ce matin le Président de la République dans ses voeux aux forces vives de la nation, nous devons tout faire en faveur de la politique de l'emploi, mais celle-ci ne saurait s'exonérer du respect de l'environnement et de la santé humaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RSDE.)

M. le président. Le Sénat - et notamment, j'en suis sûr, notre collègue Yves Coquelle - vous remercie, madame la ministre, de ces précisions et informations.

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POLITIQUE COMMUNAUTAIRE

DANS LE DOMAINE DE L'EAU

Adoption d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi portant transposition de la directive 2000 / 60 / CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 260, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, portant transposition de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau. [Rapport n° 119 (2003-2004)].

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques et du Plan, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter a pour objet de transposer dans notre législation la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau. Il a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale sans qu'aucune opposition ait été enregistrée.

Par cette directive, les Etats membres de l'Union européenne ont marqué leur volonté de metre en oeuvre une stratégie de développement durable dans la gestion de l'eau.

Depuis 1975, un trentaine de directives ou de décisions communautaires ont été adoptées selon une double approche : d'une part, lutter contre les rejets de substances dangereuses dans l'environnement ; d'autre part, définir des normes de qualité concernant des usages particuliers.

L'objet de la nouvelle directive est d'établir un cadre global pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières, en fixant des objectifs ambitieux et une méthode.

Les Etats membres doivent ainsi parvenir, au terme de l'année 2015, au bon état écologique des eaux.

Pour certaines eaux, telles que les eaux fortement modifiées ou les canaux, lorsque les coûts sont disproportionnés, les objectifs peuvent être fixés à un niveau moins exigeant. De plus, des reports d'échéances dus à des raisons économiques et techniques peuvent être nécessaires.

Le texte prévoit la réduction, voire la suppression à terme, des rejets de substances dangereuses. La protection des eaux souterraines est renforcée par rapport à la situation précédente.

La directive introduit, de plus, un principe de récupération du coût des services liés à l'utilisation de l'eau, y compris des coûts environnementaux. Cependant, dans l'application de ce principe, il est tenu compte des effets sociaux, environnementaux et économiques, ainsi que des conditions géographiques et climatiques locales.

Elle crée également un cadre spatial pour conduire les actions de protection des eaux : le district hydrographique, qui correspond à notre notion de bassin hydrographique. Des plans de gestion et des programmes de mesures sont prévus pour chaque district, afin de répondre à l'objectif général de la directive.

La participation active du public à la mise en oeuvre de la politique de l'eau est fortement encouragée. Elle introduit, en outre, des concepts novateurs, notamment la référence à l'état écologique des masses d'eau. En effet, actuellement, les experts qualifient essentiellement l'état des eaux à partir de données physico-chimiques passées au crible de critères de concentration de substances et établies le plus souvent au niveau national, voire européen. C'est une représentation simpliste d'une réalité plus complexe, qui prête souvent à contestations et débats d'experts.

Par cette directive est offerte une approche intégratrice avec la description directe des milieux aquatiques à partir des habitats et des espèces qui les composent. L'objectif devient le bon état écologique, un état qui reste compatible avec une pression humaine raisonnable.

Cette directive, en introduisant autant de notions nouvelles, nécessite un lourd travail au niveau européen afin d'en préciser les concepts.

Ce travail, actuellement en cours sous l'égide des directeurs de l'eau des Quinze, associe largement les représentants des organisations non gouvernementales et des usagers. En France, un groupe miroir associant la société civile a été créé, de façon à asseoir les positions françaises sur les avis de l'ensemble des acteurs.

Par ailleurs, il s'agit bien d'une directive-cadre, c'est-à-dire qu'elle a vocation à être déclinée en directives particulières, appellées directives filles, qui remplaceront progressivement les directives antérieures.

La Commission européenne a ainsi proposé, voilà trois mois, au Conseil des ministres et au Parlement européen une directive-fille concernant les eaux souterraines et en prépare une deuxième concernant les substances dangereuses.

Comme vous pouvez le constater, cette directive est un texte fondateur majeur pour la politique des Etats membres de l'Union européenne en matière d'eau.

Quelle est la situation en France ?

Si elle s'inspire largement du système français, la directive-cadre sur l'eau en diffère sensiblement par plusieurs aspects, notamment l'obligation de résultat sous peine de contentieux, la prise en compte de la biologie dans la qualification forte du public à tous les stades de la procédure.

Si sa transposition ne nécessite que des aménagements législatifs relativement limités - c'est l'objet du projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui -, cette mise en conformité juridique ne doit pas cacher le haut niveau d'exigence des objectifs à atteindre.

La qualité des milieux aquatiques, en France, est globalement en deçà de l'ambition affichée et des efforts soutenus seront nécessaires pour y parvenir.

A titre d'exemple, le rapport de l'Institut français de l'environnement sur la pollution par les produits phyto-sanitaires confirme, à partir des données de l'année 2001, une situation particulièrement préoccupante, à savoir une contamination généralisée des eaux de surface et littorales par certaines substances.

La transposition législative de la directive-cadre, que nous examinons aujourd'hui, n'est ainsi qu'un point de départ et en aucun cas une fin en soi.

A partir de cet aménagement législatif, c'est toute notre politique de l'eau qu'il faut réexaminer au regard des enjeux que révèle cette directive, ce qui implique une forte mobilisation.

Cela m'a conduite à reprendre la concertation sur la politique de l'eau sous la forme d'un débat national et décentralisé, qui s'est déroulé durant l'année 2003.

L'objectif est de retrouver l'élan consensuel des deux précédentes lois fondatrices de 1964 et de 1992 et de mobiliser l'ensemble des acteurs pour parvenir à des objectifs partagés.

Lors de la conférence qui s'est déroulée le mardi 16 décembre 2003 au CNIT, j'ai présenté une synthèse des recommandations et des pistes de solutions qui serviront de base à la construction d'une politique de l'eau rénovée et d'un plan d'action partagé.

La participation des milliers de citoyens qui ont contribué au forum sur l'eau nous prouve que ce débat était nécessaire. L'ensemble du monde de l'eau sortira apaisé de cette période de concertation intense et fructueuse.

Je souhaite aussi que les comités de bassin et le Comité national de l'eau, dont le nouveau président, Jacques Oudin, est un membre éminent de votre assemblée, puissent encore débattre de cette synthèse et me fassent connaître leurs observations avant la fin du mois de février. Bien entendu, je serai particulièrement à l'écoute des propositions que vous pourrez me faire, car j'apprécie la proximité de votre assemblée s'agissant des préoccupations des collectivités locales, lesquelles assument de grandes responsabilités dans le domaine de l'eau.

Mon objectif est de faire adopter par le conseil des ministres un projet de loi tendant à réformer notre politique de l'eau avant la fin du mois de juin 2004.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement ne souhaite donc pas que le débat parlementaire autour du texte de transposition de la directive sur l'eau vide de sens le projet de loi à venir.

Ainsi, le texte qui vous est proposé n'a pas pour objet d'anticiper sur le résultat du débat concernant la décentralisation : l'autorité administrative, dont il est question à plusieurs reprises, s'entend par défaut comme une autorité d'Etat ou comme la collectivité territoriale de Corse.

Le projet de loi que vous examinez comprend huit articles. Il vise à modifier le code de l'environnement et le code de l'urbanisme. Son économie repose pour l'essentiel sur la modification des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, créés par la loi sur l'eau de 1992, qui vont dorénavant servir de support juridique aux plans de gestion de la directive-cadre.

L'article 1er précise que les coûts liés à l'usage de l'eau doivent être récupérés sur les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques, ainsi que des conditions géographiques et climatiques.

L'article 2 est au coeur du dispositif de transposition. Tout d'abord, il confie à l'Etat le soin de délimiter les districts hydrographiques qui correspondent aux actuels bassins ou groupements de bassins créés par la loi du 16 décembre 1964. Cette délimitation incombe au ministre de l'écologie, qui fixera également la liste et la consistance des masses d'eau maritimes ou souterraines qui leur sont rattachées.

Les comités de bassin établiront ensuite l'état des lieux des eaux, en utilisant notamment les résultats de la surveillance mise en place en application de l'article 4. Ils établiront et mettront à jour les registres des zones soumises à une protection particulière ou des zones de captages actuelles ou futures destinées à l'alimentation en eau potable. Ces opérations devront être réalisées au plus tard le 22 décembre 2004.

Mais, surtout, l'article 2 fait des SDAGE la clef de voûte de la transposition de la directive en les érigeant en « plans de gestion ». Les SDAGE devront ainsi fixer les objectifs de qualité des eaux correspondant à un bon état écologique ou à un bon potentiel écologique des eaux. Ces objectifs devront être atteints avant le 22 décembre 2015, sauf reports ou dérogations encadrés par le projet de loi et précisés par décret en Conseil d'Etat. L'Assemblée nationale a d'ailleurs déjà apporté des améliorations à la lisibilité de cet article.

Lorsque tout ou partie de ces bassins sont inclus dans un « district hydrographique international », une étroite concertation sera assurée avec les autorités étrangères compétentes.

Les SDAGE indiqueront comment est opérée la récupération des coûts liés à l'usage de l'eau, en distinguant les divers secteurs d'activité économique. Un SDAGE déterminera les dispositions nécessaires pour prévenir la détérioration de l'état des eaux de bonne qualité et pour atteindre les objectifs de qualité pour les autres.

Les SDAGE détermineront également les eaux intérieures ou territoriales, les sous-bassins ou groupements de sous-bassins pour lesquels un schéma d'aménagement et de gestion des eaux, ou SAGE, visé à l'article L. 212-3 du code de l'environnement, est nécessaire pour respecter les orientations fondamentales et atteindre les objectifs fixés par le schéma directeur, ainsi que le délai dans lequel ce schéma doit être élaboré.

L'article 3 traite de la procédure d'élaboration et de révision des SDAGE. Ceux-ci seront élaborés, comme actuellement, par les comités de bassin. Le public sera associé aux différentes phases de la procédure d'élaboration. Ils seront approuvés par l'autorité administrative, tenus à la disposition du public et remis à jour tous les six ans.

Cette participation du public constitue l'une des grandes innovations de la directive-cadre, dans le droit-fil de la convention d'Aarhus. Bien loin d'y voir un alourdissement des procédures, nous mettons en oeuvre la nécessaire transparence de la politique de l'eau, transparence dont il faut admettre qu'elle n'a guère été effective jusqu'à ce jour.

En cas de défaillance du comité de bassin pour assurer ses missions, le préfet coordonnateur de bassin pourra se substituer au comité de bassin dans des conditions qui seront fixées par décret. Cette disposition permet de s'assurer de l'approbation en temps utile des SDAGE, approbation qui devient un engagement de la France vis-à-vis de l'Union européenne.

L'article 4 met à la charge de l'autorité administrative l'élaboration d'un programme de mesures prises en application de ce plan de gestion, pouvant comprendre des mesures de nature réglementaire, économique ou fiscale.

Ce programme de mesures doit comprendre en particulier, là où des lacunes existent, les dispositions imposées par les directives européennes - par exemple, obligation de traitement des eaux résiduaires urbaines, plans d'action pour réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole - et les programmes d'intervention pluriannuels des agences de l'eau s'intègrent dans ces programmes de mesures.

Il indique que l'autorité administrative établira également un programme de surveillance de l'état des eaux. Les résultats de cette surveillance seront utilisés pour établir l'état initial des eaux préalable à l'élaboration des SDAGE et pour assurer, notamment, le suivi de leur mise en oeuvre.

L'article 5 précise dans quelles conditions l'autorité administrative peut se substituer à la commission locale de l'eau pour élaborer le SAGE en cas de carence constatée de cette dernière. Le SAGE est en effet, dans certains cas, un outil indispensable pour décliner localement les préconisations du SDAGE, conformément à l'esprit de la directive-cadre. Cette disposition permet d'éviter que l'élaboration des SAGE prioritaires ne s'enlise.

L'article 6 fixe les délais à ne pas dépasser pour l'établissement de l'état initial des eaux et des registres des zones soumises à une protection particulière, ainsi que pour l'élaboration ou la mise à jour des SDAGE.

L'article 7 modifie le code de l'urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les orientations fondamentales d'une gestion équilibrée de la ressource en eau définies par les SDAGE ainsi qu'avec les objectifs de protection définis par les SAGE.

L'article 8 définit les dispositions applicables à Mayotte.

Enfin, la question s'était posée, lors du débat à l'Assemblée nationale, des conditions d'application de ce texte à la Corse. En effet, la loi du 22 janvier 2002 a fait de la Corse un bassin autonome et a confié des pouvoirs particuliers à la collectivité territoriale de Corse, notamment en matière d'initiative et d'approbation du SDAGE.

Je tiens à saluer ici le travail réalisé par la collectivité territoriale de Corse, qui a permis de constituer et de rendre opérationnel ce nouveau comité de bassin « Corse » dès 2003.

Les dispositions générales du projet de loi transposant la directive européenne sur l'eau s'appliquent, bien entendu, à la Corse, mais sans remettre en cause les compétences particulières accordées à la collectivité territoriale.

Toutefois, il est apparu nécessaire de clarifier les modalités de substitution de l'Etat en cas d'éventuelle inaction du comité de bassin Corse : je n'ose l'imaginer, mais la loi doit tout prévoir ! C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a soumis à l'assemblée de Corse un projet d'amendement en ce sens, lequel a reçu un avis favorable de sa part le 19 juin 2003. J'aurai donc l'honneur d'y revenir tout à l'heure en défendant un amendement du Gouvernement.

Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie du texte que le Gouvernement soumet à votre approbation.

Il constitue le socle de la politique de l'eau nationale, sans doute pour les vingt ou trente ans qui viennent. Comme la directive qu'il transpose, ce texte est le point de départ du grand chantier de réforme de notre politique de l'eau, dont vous aurez à examiner le volet législatif en 2004. Son aboutissement permettra à l'école française de l'eau de conserver sa place de leader au plan mondial. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à notre examen vise à transposer la directive du 23 octobre 2000 qui donne à la politique communautaire de l'eau un cadre législatif transparent et efficace.

En adoptant cette directive, les Etats membres ont voulu redonner une certaine cohérence et une ligne directrice ambitieuse au secteur de l'eau - pour lequel la multiplication des textes devenait un handicap - avec l'adoption de pas moins d'une trentaine de directives ou de décisions communautaires depuis 1975.

L'un des objectifs est de simplifier ce paysage réglementaire, et l'article 22 de la directive-cadre abroge progressivement sept directives, auxquelles elle se substitue.

Par la suite, des directives particulières et deux « directives-filles », actuellement en préparation et concernant les eaux souterraines et les substances dangereuses, préciseront ce cadre.

L'autre objectif de ce texte, qu'il faut considérer comme fondateur, est de décider d'un cadre géographique pertinent pour mener les actions de protection de l'eau en se fixant des obligations de résultat et non plus seulement de moyens.

A ce titre, cette directive s'appuie très largement, et il faut s'en féliciter, sur le modèle français de gestion de l'eau introduit par la loi de 1964 avec les agences de l'eau. S'agissant des structures elles-mêmes, la transposition n'induit donc pas de bouleversements mais seulement des aménagements.

En revanche, s'agissant tant des objectifs que des paramètres de qualité des eaux ou des coûts liés à l'utilisation de l'eau à prendre en compte, la directive-cadre introduit des principes résolument novateurs, qui vont modifier en profondeur le système français de gestion de l'eau.

S'agissant des éléments forts de reconnaissance du modèle français de gestion de l'eau, je citerai la consécration du bassin hydrographique comme unité de référence pour l'application de la politique de l'eau, un principe d'autonomie consacré par les agences et les comités de bassin ou encore l'autorité administrative déconcentrée avec le préfet coordonnateur de bassin. Enfin, le principe du plan de gestion du district hydrographique, prévu à l'article 13 de la directive, reprend l'essentiel des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, adoptés en 1996 pour chaque bassin hydrographique.

Quelques aménagements de structure sont néanmoins à prévoir, qui concernent notamment : le rattachement des masses d'eaux souterraines et des eaux maritimes intérieures et territoriales aux bassins hydrographiques ; le renforcement du principe de coordination avec les autorités étrangères compétentes sur les bassins transfrontaliers - et la commission des affaires économiques a souhaité que ce principe soit affirmé sur le plan législatif - ; une meilleure association du public aux prises de décision dans le domaine de l'eau, en application de la Convention d'Aarhus.

Au-delà de ces aménagements ponctuels, la directive-cadre introduit des éléments novateurs qui vont modifier, en profondeur et de manière pérenne, la gestion de l'eau en France.

Progressivement, le texte prévoit la réduction, voire la suppression à terme, pour les plus dangereuses d'entre elles, des rejets de substances toxiques.

La directive-cadre fixe désormais des objectifs de résultats ambitieux qui s'inscrivent dans un calendrier précis. Ainsi, après avoir établi un état des lieux fin 2004, les Etats membres doivent parvenir, d'ici à fin 2015, au bon état écologique des eaux superficielles et au bon état chimique des eaux.

Le calendrier est également strict concernant les moyens à mettre en place, notamment pour l'établissement du registre des zones protégées fin 2004, du programme de surveillance fin 2006, d'un premier programme de mesures fin 2009, ou encore d'une politique de tarification incitative au plus tard fin 2010.

L'obligation de parvenir à des résultats quantifiables est également renforcée, notamment à travers l'élaboration du plan de gestion et du programme de mesures qui doit en découler.

L'appréciation du « bon état des eaux » est élargie, au-delà des seuls critères physico-chimiques, à travers une approche intégrative prenant en compte le bon état du milieu aquatique, à partir des habitats et des espèces qui le composent.

La prise en compte du coût de l'utilisation de l'eau se traduit par l'obligation, à l'échelle d'un bassin hydrographique, de la récupération de l'intégralité des coûts liés à l'usage de l'eau par grand secteur économique en distinguant, au minimum, le secteur industriel, le secteur agricole et les usagers.

Enfin, pour assurer une meilleure cohérence de l'ensemble des politiques publiques, l'obligation de compatibilité avec les dispositions des SDAGE est renforcée.

Néanmoins, il faut souligner que la directive prend assez largement en compte les critères économiques et sociaux, ainsi que les réalités géographiques, voire climatiques, comme autant de contraintes permettant de définir des objectifs moins stricts ou des processus dérogatoires pour parvenir aux résultats fixés.

Ainsi, en ce qui concerne la définition des objectifs à atteindre, la directive permet d'identifier des masses d'eau superficielles artificielles ou fortement modifiées pour lesquelles seul un bon « potentiel » écologique devra être atteint, afin de prendre en compte les activités humaines.

S'agissant des délais pour parvenir aux résultats fixés, s'il apparaît que, pour des raisons techniques ou financières, ou pour des raisons tenant aux caractéristiques physiques de la masse d'eau considérée, ces délais ne peuvent être respectés, le SDAGE peut les proroger dans certaines limites.

Plus généralement, s'il apparaît que le bilan coût-avantage est disproportionné pour la réalisation d'un objectif, des objectifs dérogatoires pourront être fixés par le SDAGE.

Ayant examiné ce projet de loi de transposition avec le souci de ne pas alourdir le présent texte par des dispositions qui devront être discutées lors des débats sur la future loi sur l'eau et dont, madame la ministre, vous avez esquissé le contenu lors de la conférence de synthèse du 16 décembre dernier au CNIT à La Défense, je souhaite néanmoins faire quelques recommandations, qui s'inspirent des réflexions et éléments recueillis lors des auditions organisées avec les principaux acteurs de l'eau.

Premièrement, les coûts initiaux de mise en oeuvre de la directive apparaissent raisonnables : ils ont été évalués par le ministère entre 7 et 9 millions d'euros. Mais, au-delà, il ne faut pas oublier que le dispositif a vocation à être pérenne, avec des mises à jour régulières et l'actualisation tant de l'état des lieux que des objectifs fixés et des programmes de mesure, ce qui aura nécessairement des répercussions durables sur les besoins des agences en personnels et en moyens financiers.

Deuxièmement, la directive-cadre définit des principes et des objectifs de résultats à atteindre ambitieux dans un calendrier strict, mais « la boîte à outils » reste encore à remplir. Il faut définir à l'échelon communautaire les paramètres à prendre en compte, les seuils autorisés, les critères à retenir pour procéder à l'état des lieux.

La France, qui sert de référence, doit se garder de toute tentation de perfectionnisme. En effet, une fois le cadre fixé, les masses d'eaux identifiées et les objectifs définis, toute dérogation devra être motivée et justifiée.

Troisièmement, la récupération de l'intégralité des coûts liés à l'usage de l'eau par grand secteur économique doit être mise en place très progressivement et en prenant systématiquement en compte les effets sociaux, économiques et environnementaux liés à ce principe pour le corriger éventuellement.

Quatrièmement, enfin, sur la définition des objectifs à atteindre selon les types de masses d'eau, il convient d'être réaliste et de ne pas se fixer des objectifs inatteignables. La prise en compte effective des coûts disproportionnés, tant sur le plan financier que dans le domaine social, doit permettre d'écarter ce type d'objectifs. Il faut privilégier, autant que faire se peut, les réalités de terrain et s'appuyer sur les acteurs de l'eau, à travers les comités de bassin et les conférences géographiques des agences pour établir l'état des lieux et fixer les objectifs.

Les amendements que la commission des affaires économiques va soumettre à votre approbation sont largement rédactionnels ou de précision. Certains d'entre eux, plus importants, entendent réaffirmer l'importance des comités de bassin et d'une gestion décentralisée de la politique de l'eau. (Applaudissements sur les travées de UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Evelyne Didier.

Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet de transposer dans notre législation la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.

Tout d'abord, il nous faut avoir présent à l'esprit que la question de l'eau est l'une des questions fondamentales posées à l'humanité parce que cette ressource est vitale pour le vivant, indispensable au développement des activités humaines et qu'elle n'est pas inépuisable. En effet, la plupart des experts s'accordent à dire que la raréfaction de l'eau douce est inéluctable.

La directive européenne précise que l'eau n'est pas une marchandise comme les autres. Nous affirmons, nous, qu'elle n'est pas une marchandise du tout, qu'elle est un bien vital que personne n'a le droit de s'approprier et que, de ce fait, sa gestion doit être contrôlée par la puissance publique. Elle ne doit donc pas dépendre de groupes privés qui, s'ils peuvent assurer des missions de service public - et nous n'avons rien à redire sur ce point - ne peuvent prétendre en aucun cas représenter l'intérêt public.

C'est ce qu'ont bien compris nombre de communes, décidées à reprendre le service de l'eau en main, malgré les attaques dont elles sont victimes devant les tribunaux de la part des grands groupes qui cherchent à conserver et à accroître leur contrôle sur une activité lucrative dont les bénéfices vont surtout aux actionnaires.

Pour notre part, nous pensons qu'il s'agit d'une responsabilité publique nationale. C'est pourquoi nous demandons la création d'une agence nationale de l'eau, garante d'un usage solidaire et responsable de la ressource, dans le cadre d'une convention mondiale de l'eau. Une proposition de loi avait été déposée en ce sens par notre groupe en 1999 et notre collègue Robert Bret avait expliqué, à cette occasion, les raisons l'ayant motivée.

J'en viens maintenant au texte que vous nous soumettez. Il eût été à notre avis beaucoup plus judicieux d'élaborer un projet global présentant une véritable politique de l'eau au service de nos concitoyens et incluant les objectifs de cette directive-cadre, comme le prévoyait le projet préparé par le précédent gouvernement. Si la directive « eau » est d'un intérêt évident, ce projet de loi aurait pu, dès maintenant, apporter des précisions sur quelques sujets d'importance pour nos concitoyens et que je souhaite évoquer ici.

L'article 1er indique que les coûts liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs.

Pourtant, la directive, elle, dans son article 9 utilisait les termes suivants : « Les Etats [...] tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l'utilisation [...] et conformément en particulier au principe pollueur-payeur ». Le texte que vous proposez ne reprend pas cette notion. Ne pas réaffirmer ce principe « pollueur-payeur » me semble lourd de conséquences, en particulier pour les ménages dont on sait qu'ils paient actuellement l'essentiel de la facture.

En effet, ce qui coûte cher, en dehors des investissements liés à la distribution, c'est de traiter l'eau polluée pour en faire de l'eau potable propre à la consommation humaine. Dans ce schéma, je crains que le couple « utilisateur-payeur » ne se substitue au coupe « pollueur-payeur ».

Nous savons bien que l'une des grandes questions posées dans ce débat est celle de la répartition des charges du coût de l'eau entre les différents utilisateurs et, plus particulièrement, le montant de la facture d'eau pour les ménages. Nos concitoyens sont très sensibles surce sujet, parce qu'ils subissent, depuis de nombreuses années, des augmentations importantes du prix du mètre cube sans qu'ils sachent au juste pourquoi, les modalités de calcul de ce prix étant des plus obscures.

Le coût moyen en France est de 2,64 euros le mètre cube, chiffre qui masque la disparité des tarifs pratiqués.

D'ailleurs, j'habite dans un secteur en Meurthe-et-Moselle où le prix acquitté par les consommateurs a franchi et dépassé 5 euros le mètre cube, et cela parce que nous devons subir, là encore, les conséquences de l'activité minière : le sous-sol bouge, les tuyaux cassent, l'eau se perd, il faut refaire les canalisations.

Ajoutons à cela que les eaux utilisées sont souvent des eaux d'exhaure stagnant dans les anciennes galeries de mines et qui, de ce fait, contiennent des taux très élevés de sulfates. Qui sont les pollueurs ? Les consommateurs ? Certes non ! Pourtant, ce sont bien eux qui paient.

Une clarification est absolument nécessaire qui permettrait aux consommateurs et aux citoyens de connaître les éléments qui entrent dans la composition du prix, ainsi que les mécanismes de réévaluation périodique des tarifs.

La deuxième grande question est celle du coût des investissements pour les collectivités locales. En effet, ce sont elles qui apportent les capitaux pour les investissements dans le domaine de l'eau. Les groupes privés préfèrent, eux, s'occuper de traitement, d'entretien et de services parce que les normes élevées et la sophistication des traitements mis en place nécessitent une haute technicité induisant un meilleur profit.

Je veux rappeler à ce propos l'initiative prise par trois députés communistes et trois députés verts qui ont demandé la création d'une commission d'enquête sur le rôle de Veolia Environnement, ex-Vivendi, « sur l'utilisation des provisions versées par les communes pour l'entretien et la rénovation des réseaux de distribution d'eau ». Il semblerait que cet argent ait été placé sur le compte d'une société off shore. Certes, des provisions ont été faites, mais au profit de qui ?

Les milliards d'investissement à venir pour une mise en conformité des réseaux et des centres de production d'eau potable ou de traitement des eaux usées vont augmenter de manière considérable le prix de l'eau.

Nous partageons bien entendu les objectifs fixés, c'est-à-dire préserver la ressource en quantité et en qualité, afin d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015. Pourtant, nous nous interrogeons sur les moyens et les méthodes qui seront mis en oeuvre pour y parvenir.

L'article 2, quant à lui, prévoit que le comité de bassin compétent procède à un état des lieux pour fixer ensuite dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux « les orientations fondamentales d'une gestion équilibrée de la ressource en eau » et des « objectifs de qualité et de quantité des eaux ». Soit, mais l'article 2 ne précise pas quels seront, par exemple, les critères utilisés ou les seuils fixés. Cela nous aurait au moins permis de connaître le niveau d'exigence du Gouvernement et de mesurer, par exemple, la volonté réelle de protéger la ressource contre les pollueurs ou encore celle de faire cesser les pompages sauvages et anarchiques dans les nappes phréatiques, pour ne citer que ces deux problèmes.

On peut imaginer retrouver un jour une eau naturelle dans un bon état. C'est possible, à condition de lutter efficacement contre les rejets de substances polluantes dans le milieu naturel. Là encore, il serait intéressant de connaître la détermination du Gouvernement.

Le rapporteur a parlé tout à l'heure de « boîte à outils ». C'est un concept intéressant et nombre d'éléments restent à préciser dans ce domaine.

Par ailleurs, vous indiquez, monsieur le rapporteur, que la France doit éviter le perfectionnisme et se montrer réaliste. Oui, mais jusqu'où ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Effectivement !

Mme Evelyne Didier. Je crois que l'essentiel est de déterminer où l'on va arrêter le curseur.

Le présent projet de loi soulève une autre question, celle de la définition des concepts. Vous l'avez dit, madame la ministre, il reste à définir avec précision notamment le bon état écologique et la notion de masse d'eau. La Communauté européenne travaille actuellement sur ces concepts et devrait nous indiquer ses exigences.

De plus, les normes qui s'imposeront à tous les acteurs de l'eau dans l'avenir sont en cours d'élaboration. Elles concerneront à la fois les outils de mesure, les méthodes d'analyse, l'évaluation des masses d'eau mais aussi les produits de la construction, notamment. Mon énumération s'arrête là.

J'ai déjà indiqué à quel point l'établissement de normes très contraignantes était générateur de coûts exorbitants pour les collectivités. Nous ne sommes pas contre les normes. Mais je me demande quel contrôle, autorisé et démocratique, sera fait et par qui, pour évaluer si ces normes ne sont pas excessives et si elles n'entraînent pas des investissements nouveaux profitables avant tout à certains grands groupes.

L'objectif dicte-t-il les normes ou bien les normes guident-elles l'élaboration des objectifs ? La question mérite d'être posée.

L'article 2 prévoit également la possibilité d'assouplir les exigences, tant pour le calendrier de 2015 que pour le niveau de qualité demandé, afin de tenir compte de la réalité. Si la souplesse est en soi une bonne chose, elle laisse, de fait, la porte ouverte à tous ceux qui voudraient exercer des pressions sur les décideurs. Nous aurions aimé que des précisions soient apportées sur l'ampleur de cette souplesse.

Enfin, la notion de masse d'eau fortement modifiée permet dans certains cas de faire des exceptions. Là encore, nous souhaiterions avoir des précisions.

Je me bornerai aujourd'hui à faire ces quelques remarques sur les deux premiers articles qui m'ont semblé essentiels dans ce projet de loi.

Le prochain texte que vous annoncez pour 2004 nous permettra sans doute d'apporter des réponses à toutes ces questions - du moins nous l'espérons -, mais il faut remarquer qu'une fois encore nous sommes appelés à adopter aujourd'hui un texte sans pouvoir mesurer vraiment quelles seront les conséquences de son application.

Si nous sommes d'accord, je le répète, sur les objectifs de restauration de la qualité des eaux, nous sommes dubitatifs sur tous les points que j'ai indiqués.

C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, comme ses collègues de l'Assemblée nationale, s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

(M. Daniel Hoeffel remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)