PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi-cadre dont nous débattons aujourd'hui a pour objet de transposer en droit interne une directive qui, pour la première fois, établit un cadre général pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières au sein de l'Union.

Comme cela a été dit avant moi, elle fixe des « objectifs environnementaux » pour « parvenir à un bon état écologique » des eaux avant décembre 2015.

Elle définit également un cadre géographique et institutionnel pour la mise en oeuvre de la politique communautaire de l'eau et, plus particulièrement, pour conduire les actions de protection des eaux. S'inspirant de l'organisation française, elle consacre l'approche par bassins hydrographiques, ce que l'on retrouve à l'article 2 du projet de loi-cadre consacré aux SDAGE et à leur organisation.

Les SDAGE et les SAGE ont été instaurés par la loi du 3 janvier 1992 afin de mettre en place une véritable planification territorialisée de la gestion de la ressource en eau, s'agissant des bassins hydrographiques. Le nouveau texte réécrit et complète cet article afin d'y introduire les dispositions de la directive, notamment pour faire des SDAGE les véritables « plans de gestion » prévus à l'article 13 de la directive.

La directive reconnaît aussi la possibilité de reporter les échéances des objectifs définis aux alinéas 1 et 2 du paragraphe IV de l'article 2, pour des raisons techniques ou de coûts, à la condition que ces reports soient motivés dans le plan de gestion. Ils ne peuvent toutefois excéder la période correspondant à deux mises à jour du plan de gestion, soit douze ans, donc certains objectifs pourraient n'être atteints qu'en 2027 !

Des objectifs moins stricts peuvent aussi être fixés sous certaines conditions pour les eaux très touchées par l'activité humaine ou si la réalisation de ces objectifs est d'un coût disproportionné. Dans ce cas, toutes les mesures qu'il est possible de prendre pour éviter une dégradation suplémentaire des eaux doivent être prises. C'est bien le moins que l'on puisse faire !

Et pourtant, la transposition en droit français de cette directive nous propose au paragraphe VI de l'article 2 d'aller encore plus loin que le texte initial. Alors que certains de nos collègues députés s'étaient inquiétés du flou de cette notion « d'objectifs moins stricts » et avaient proposé d'introduire la notion de « contrats d'objectifs », pour mettre en oeuvre ces éléments de souplesse, l'Assemblée nationale a retenu les termes d'« objectifs dérogatoires ».

Cette modification reprise par M. le rapporteur paraît aller au-delà de ce que permet la directive puisqu'elle autorise non plus une adaptation ou une prolongation mais une dérogation, c'est-à-dire la non-application de la loi.

Par ailleurs, au paragraphe suivant, un régime de dérogations aux objectifs est mis en place. Il autorise, en effet, à modifier les caractéristiques physiques des eaux et à permettre l'exercice de nouvelles activités humaines, mais il ne précise pas sous quelles conditions et laisse ainsi un trop large pouvoir d'appréciation au pouvoir réglementaire.

Ce régime dérogatoire mériterait d'être plus encadré et mieux explicité, car le point 7 de l'article 4 de la directive européenne ne concerne que les cas d'inondation, de sécheresse ou d'intérêt public supérieur pour lesquels les Etats membres ne peuvent être considérés en infraction à la directive.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter quelques précisions sur ce point ?

Outre les dérogations se pose le problème des délais d'application de la loi, car cette directive européenne ne trouvera sa raison d'être et surtout de s'appliquer que lors du prochain examen du projet de loi réformant la politique de l'eau, qui devrait, selon vos dires, madame la ministre, n'être présenté en conseil des ministres que vers le mois de juin 2004.

Nous pouvons donc considérer que nos débats d'aujourd'hui ne trouveront leur traduction concrète dans le droit français que dans plusieurs mois, voire dans un an, et croyez bien que nous le regrettons, car dans le domaine de la reconquête de la qualité de l'eau, il y a urgence. Même si tout le monde s'accorde à dire que les aspects curatifs prennent beaucoup de temps, les aspects préventifs mériteraient peut-être une application plus rapide de la loi, d'autant plus que ce texte a été examiné en première lecture à l'Assemblée nationale le 10 avril 2003 et qu'il devait être transposé au plus tard le 22 décembre 2003 !

Commencer l'année par ce texte est de bon augure et le respect des engagements européens, même avec un peu de retard, évitera à la France de nouveaux contentieux.

Cette grande réforme de l'eau tant espérée risque de n'intervenir au plus tôt qu'en 2005, car il faudra attendre la parution des textes règlementaires alors que les programmes de mesures dans chaque district devront être établis en fonction des résultats des analyses mentionnées à l'article 5 avant la fin de 2009 et que ces mesures devront être opérationnelles avant la fin de 2012. Dans certains cas, cela ne laissera que trois ans pour parvenir aux résultats attendus.

C'est très peu, trop peu puisque, dans ma propre région, en Bretagne, cela fait maintenant plus de dix ans que nous nous battons pour la reconquête de la qualité des eaux, et les résultats commencent à peine à se faire sentir.

Et pourtant, depuis les années soixante-dix, que de progrès obtenus au regard de la compréhension des problèmes de la pollution et de ses processus !

Partout, on trouve des statistiques, des rapports techniques, des conférences et des expositions, sans compter les publications scientifiques, et ce depuis plusieurs années. Cependant, des prises de position radicales et parfois erronées, dues peut-être à des informations trop médiatisées ou partielles, ont souvent rendu difficile le débat sur la qualité des eaux.

Le grand débat que vous avez souhaité, madame la ministre, a pris fin le 16 décembre dernier, et nous en avons maintenant la synthèse. Il a au moins eu le mérite de faire parler du problème, de mettre en relation les différents protagonistes et de permettre aux divers utilisateurs de se rencontrer. Toutefois, les premiers éléments de cette synthèse n'ont pas apporté beaucoup d'orientations nouvelles. J'espère que nous aurons bientôt la possibilité de discuter de vos propositions. En attendant, il apparaît plus que nécessaire de proposer enfin des dispositions législatives et de mettre rapidement en application cette directive.

Cependant, madame la ministre, je crains que le Gouvernement, en ayant fait le choix de traiter par étapes successives la réforme de la politique de l'eau, ne vous permette pas, à partir de cette loi-cadre, de nous proposer bientôt une véritable grande loi sur l'eau.

Outre le présent projet de loi, qui traite des principes, des objectifs et du cadre institutionnel, il conviendra de se référer à la loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels du 30 juillet 2003 pour le volet « préventions et inondations », au projet de loi relatif aux responsabilités locales pour le volet « décentralisation des cours d'eau », au projet de loi relatif au développement des territoires ruraux pour le volet « zones humides » et au projet de loi d'orientation de la santé publique pour la protection des captages. Vous vouliez faire simple, mais les dispositions sont pour le moins éparpillées !

Et pendant ce temps, la qualité des eaux se dégrade dans de nombreuses régions, et surtout les consommateurs sont de plus en plus insatisfaits du fait de l'opacité de la gestion et de la disparité des coûts pour un même service.

Pourtant, madame la ministre, chacun sait bien maintenant que le bon état écologique de l'eau est un enjeu essentiel, tant pour la qualité de la vie que pour le développement économique, et il faudra bien à un moment ou à un autre se poser la question des moyens de la politique de l'eau !

Déjà, on pouvait s'inquiéter dans le texte initial de la directive de certaines options que je qualifierai de « libérales », qui prévalent en Europe et qui vont à l'encontre des notions d'égalité entre les citoyens et de solidarité entre les territoires, favorisant toujours la concurrence au détriment des services publics et des consommateurs.

Aussi, j'aurais souhaité que, en réaffirmant la notion qui fait de « l'eau : patrimoine de l'humanité », on y associe celle de développement durable et solidaire, et que l'on favorise davantage la gestion et le contrôle démocratiques.

Dans le domaine de la récupération des coûts, ce ne sont pas les modifications apportées par l'Assemblée nationale à ce texte qui me rassurent : ne risque-t-on pas de faire passer les intérêts économiques avant les intérêts écologiques, ce qui, à terme, s'avérera également catastrophique pour l'économie durable ?

En effet, le problème se situe bien là, madame la ministre : la qualité de l'eau sera, et est déjà, par endroits, la condition sine qua non du développement économique, voire de son simple maintien, notamment - je vous en parle en connaissance de cause - dans le domaine de l'agroalimentaire.

Pour le moment, force est donc de constater que le flou législatif entretenu depuis la suppression de la loi sur l'eau de 2002 ne facilite pas la tâche de tous ceux qui oeuvrent pour reconquérir une eau de qualité.

Le paragraphe VIII de l'article 2 du projet de loi prévoit que les SDAGE indiquent comment serait opérée la récupération des coûts liés à l'usage de l'eau, en distinguant les différents secteurs économiques : l'industrie, l'agriculture et les ménages.

Le texte modifié par l'Assemblée nationale, quant à lui, précise « comment sont pris en charge par les utilisateurs les coûts », ce qui paraît plus restrictif que la directive en ce qui concerne le fait de faire supporter aux seuls utilisateurs tous les coûts : services, environnement et ressources.

Ce principe de récupération ainsi que celui de « pollueur-payeur » devraient conduire à un rééquilibrage des redevances acquittées par les usagers au profit des ménages, sans pour autant augmenter de manière exponentielle les redevances, notamment agricoles. Cela ne sera pas aisé !

Il nous semble indispensable, aux termes du prochain projet de loi, d'appliquer à l'agriculture les mêmes principes qu'à l'ensemble des activités potentiellement polluantes, c'est-à-dire le paiement de redevances assises sur les quantités nettes et réelles de substances polluantes émises vers les eaux souterraines ou superficielles.

Il conviendrait également de respecter le principe « non-pollueur, non-payeur », car je peux vous affirmer, madame la ministre, que, depuis plus de trois ans maintenant, j'ai suivi, dans ma région, les efforts réalisés par beaucoup d'agriculteurs dans des zones dites prioritaires dans la politique des bassins versants. En moyenne, 80 % à 85 % d'entre eux ont réalisé des analyses de terrain et des plans de fumure, des classements de parcelles à risques, des couverts végétaux, sans parler de ceux qui refont des talus et des haies bocagères.

Malgré les aides qu'ils ont parfois obtenues, cela leur demande beaucoup d'investissements et de temps, et il conviendrait non seulement de tenir compte, d'une manière ou d'une autre, des efforts réalisés par certains, mais également de bien faire la différence avec ceux qui ne veulent rien faire en faveur de la qualité de l'eau.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partage complètement votre avis.

Mme Odette Herviaux. En effet, madame la ministre, l'absence de contrôle sérieux des mauvaises pratiques, notamment celle de l'épandage abusif de boues, de fumier, de lisier ou d'engrais minéraux, constitue toujours le maillon faible des actions de reconquête de la qualité des eaux. On ne pourra donc pas faire l'impasse sur une redéfinition de la police de l'eau, de ses missions et surtout de ses moyens.

D'après le rapport de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques, c'est là, de l'avis unanime des observateurs, le « maillon faible ». C'est avant tout à l'Etat d'être le garant de la qualité des eaux. Sa mission de contrôle est indispensable. Il conviendrait donc de créer une véritable police de l'eau, peut-être au niveau régional, avec - pourquoi pas ? - des antennes départementales, dont le contrôle pour être efficace devra s'accompagner de sanctions réelles et dissuasives.

Cela peut paraître trop directif, mais il n'est plus admissible que les efforts des uns soient mis à mal par l'inconscience ou l'irresponsabilité des autres : le succès de tout dispositif repose sur le suivi, l'évaluation et le respect de la réglementation.

Pourtant, jusqu'à présent, le Gouvernement a donné l'impression, dans le domaine de l'eau, de manquer d'ambition ou de rapidité, en remettant toujours à plus tard les décisions importantes. Il a distillé sa politique, qui aurait dû être globale, à travers bon nombre de projets de loi, rendant ainsi difficilement lisible la cohérence de l'ensemble.

Madame la ministre, j'espère ne pas avoir donné le sentiment de vouloir polémiquer sur ce texte. Mais, au-delà de la transposition de la directive européenne, nous ne pouvons que nous interroger sur les dispositions générales d'une véritable politique de l'eau dont les principes fondamentaux restent, pour nous, de réaffirmer le caractère de bien public de l'eau, de renforcer la transparence, la démocratie et la solidarité dans le service public de l'eau, de mieux définir et d'appliquer le principe « pollueur-payeur » et d'améliorer l'exercice de la police de l'eau.

Cette simple transposition nous laisse, pour le moment, sur notre faim. Les modifications apportées tant par l'Assemblée nationale que par le rapporteur de la commission des affaires économiques ne nous semblent pas toujours aller dans le bon sens. C'est pourquoi, madame la ministre, nous avons déposé des amendements, notre vote dépendra de leur adoption. (Applaudissements sur les travées socialistes et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat arrive à son heure, d'abord parce qu'il était plus que temps que cette directive européenne, qui date du 23 octobre 2000, soit transcrite en droit français. Il eût été dommage que la France se fasse une fois de plus épingler par la Commission de Bruxelles sur un sujet aussi sensible...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il faut en parler à mon prédécesseur !

M. Paul Raoult. ... alors même que cette directive européenne s'est beaucoup inspirée du droit français.

Ensuite, je me réjouis que cette transposition n'ait pas été faite, comme d'autres directives, par une ordonnance, procédure trop souvent utilisée, hélas ! par les gouvernements de gauche comme de droite. Cette méthode est toujours une façon d'humilier ou de mépriser le pouvoir législatif ; elle laisse un peu sceptique sur la ferveur européenne de la classe politique française, qui met si peu d'empressement à transposer en droit français des directives européennes qu'elle a acceptées à Bruxelles ou à Strasbourg.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il fallait le dire à M. Jospin !

M. Paul Raoult. De plus, on le sait par l'exemple de directives précédentes, l'Union européenne joue un rôle majeur dans la mise en oeuvre d'une stratégie de développement durable en ce qui concerne la gestion de l'eau. C'est heureux, tant il est vrai que les problèmes environnementaux ne connaissent pas les frontières politiques ou administratives dans le domaine de l'eau comme dans celui de l'air.

Aujourd'hui, l'Europe établit un cadre pour une politique communautaire active, pertinente et audacieuse. Cette directive établit un cadre général pour la protection des eaux continentales, souterraines et côtières, ainsi que des milieux aquatiques. Le fait qu'elle définisse un objectif précis de résultat, à savoir le bon état écologique des eaux pour la fin de l'année 2015 et qu'elle prévoie une réduction sensible des pollutions par les substances dangereuses nous paraît intéressant.

Elle implique que nous établissions un état initial des eaux, qui doit être dressé au plus tard avant la fin de l'année 2004. Cette initiative est pertinente. Les agences de bassin se sont déjà mises au travail sérieusement. Les études menées par l'agence de l'eau Artois-Picardie me permettent de dire qu'un certain nombre de données scientifiques, humaines, économiques, hydrogéologiques, ainsi que des données liées à la richesse de la biodiversité sont encore manquantes.

Il nous faut poursuivre de manière forte notre effort et l'intensifier pour obtenir une meilleure connaissance de ces données, par exemple des données piscicoles, qui sont un excellent marqueur de l'état écologique des eaux. Des moyens humains et financiers plus importants sont donc nécessaires.

Il faut peut-être aussi harmoniser pour toute l'Union les méthodes de calcul afin de disposer de données objectives susceptibles d'être comparées, qui permettront d'analyser l'évolution dans le temps, jusqu'en 2015. Nous avons besoin d'un système d'information sur l'eau performant et efficace.

Il nous faut aussi améliorer la connaissance des coûts directs et indirects de l'eau pour pouvoir les comparer aux niveaux national et européen, qu'il s'agisse du coût de l'exploitation, du coût des services, du coût de l'amortissement, du coût du capital, mais aussi du coût pour l'environnement ou du coût des dommages non marchands.

Tous les rapports, qu'ils émanent de la chambre régionale des comptes ou de la Cour des comptes, montrent bien qu'il est difficile dans la gestion déléguée d'analyser clairement les coûts réels. Un gros effort administratif et réglementaire reste à faire pour aboutir à plus de transparence et pour informer correctement les élus et les citoyens.

On peut aussi souhaiter avoir une meilleure connaissance, par exemple, des tarifs spéciaux consentis aux gros consommateurs, en particulier pour l'industrie et pour l'irrigation en système collectif.

De la même façon, il serait utile de mieux connaître ce qui est financé par l'impôt sous forme de subventions et ce qui est financé par le prix de l'eau.

Une meilleure connaissance permettra de mieux mettre en oeuvre le principe de récupération des coûts sur les usagers et d'appliquer de manière plus rigoureuse le principe « pollueur-payeur ».

La directive prévoit qu'un programme de surveillance des eaux de surface et des eaux souterraines sera mis en place avant la fin de l'année 2006. Les constats tragiques mais parcellaires concernant l'évolution des taux de nitrate, par exemple, devront être mieux synthétisés. En effet, malgré tous les efforts réalisés depuis trente ans, la France a accumulé beaucoup de retard dans le traitement des eaux résiduaires et ce malgré la directive européenne de 1991.

Il faut pouvoir analyser de manière continue les améliorations au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

La directive demande aussi à la France d'établir un plan de gestion pour la fin de 2009, associé à un objectif de qualité et de quantité d'eau. Le cadre géographique est celui du district. Le SDAGE est l'outil indispensable pour réaliser ce plan de gestion. Sa mise en place a été, jusqu'à maintenant, trop timide et difficile. Il nous faut donc réfléchir aux meilleurs moyens de rendre les SDAGE plus réactifs et plus opérationnels.

Au-delà de ces principes généraux demeurent quelques interrogations fortes auxquelles la loi devrait répondre. Il conviendra de trouver la collectivité, souvent issue des intercommunalités existantes, susceptible d'assurer la maîtrise d'ouvrage, de surveiller la mise en oeuvre et le rythme des investissements, afin d'atteindre les objectifs définis pour 2015 en ce qui concerne la collecte, le raccordement et le traitement des eaux usées ainsi que de définir les actions de prévention, en particulier dans le domaine du ruissellement.

Les dispositions prises collectivement par le Gouvernement concernant le fonds de roulement des agences de l'eau et la disparition du FNDAE ne sont pas faites pour nous rassurer. Je souhaite cependant que vous puissiez nous tranquilliser aujourd'hui sur ces sujets.

Nous devrons également tenir compte de l'importance des bassins transfrontaliers et de la nécessité de renforcer la coopération internationale. Des efforts ont été consentis pour le Rhin ; la procédure est en cours pour l'Escaut ; le même processus devrait être engagé pour la Sambre et la Meuse. C'est là un enjeu majeur qui demandera une forte volonté politique si nous entendons obtenir des résultats tangibles.

La gestion des champs captants transfrontaliers soulève les mêmes difficultés ; et il nous faudra les surmonter.

Il est un dernier enjeu d'importance : il s'agit de la participation du public en tant que consommateur et citoyen, qui a droit à une information indépendante. C'est d'ailleurs une obligation forte qui figure dans la directive-cadre. Il est donc nécessaire de déterminer des méthodes de concertation innovantes par rapport aux pratiques actuelles.

On constate une faiblesse dans la procédure d'information du public. Il faut développer une sensibilisation pour économiser l'eau et créer une animation pédagogique, comme cela a déjà pu se faire dans certains parcs naturels régionaux.

Aussi, au-delà de ce moment important qu'est la transposition de la directive européenne en droit national, qui marque un progrès dans la volonté de définir une gestion intégrée par bassins-versants, nous attendons avec impatience, madame la ministre, votre projet de loi sur l'eau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup se souviennent de la campagne présidentielle de René Dumont, filmé en 1974, un verre d'eau à la main, annonçant que l'eau serait la préoccupation majeure du xxie siècle... Il y a trente ans, et nous y voici.

Personne ne nie l'enjeu, et d'agences de bassin en élaboration de SDAGE et de SAGE, de normes réglementaires en politiques incitatives, des actes sont accomplis. Mais ils restent modestes et ne sont pas proportionnés à l'importance du sujet.

Et quand s'est présenté un bon projet de loi, après un long travail de réflexion, porté par Dominique Voynet puis par Yves Cochet, tous les obstacles, toutes les objections, tous les ralentissements se sont accumulés pour éroder puis enrayer une démarche ambitieuse sous-tendue par deux objectifs louables et commandés par l'urgence : la protection de l'environnement et la justice sociale.

Pourtant, l'eau n'est pas une matière banale. Il ne suffit même pas de dire qu'elle n'est pas une marchandise, ou qu'elle est, au même titre que l'air ou les sols, patrimoine mondial de l'humanité. Elle est plus que cela : elle est non seulement vitale, mais également directement constitutive de notre corps et de tous les tissus vivants. Nous y naissons et, quand la vie nous quitte, nous la perdons. Nos aliments en sont intrinsèquement constitués, et l'oxygène que nous respirons ne serait pas renouvelé suffisamment s'il n'y avait l'océan, milieu de vie du phytoplancton.

C'est dire l'importance du travail législatif sur le sujet et de son calendrier, hélas ! déjà tardif et fractionné, puisque la transposition de la directive n'est pas aujourd'hui accompagnée d'une loi précisant les moyens, la gestion, le contrôle démocratique et la volonté ou non de maintenir un service public de l'eau.

C'est dire l'importance du contenu et de l'ambition de la transposition. Ou bien la France « subit » une directive, elle se vit « encadrée », « tenue d'appliquer » et ne déploie son zèle que pour retarder ou excuser, ou bien la France rebondit sur cette opportunité, s'appuie sur ses outils parfois précurseurs, et fédère tous les acteurs autour des principes intéressants de la directive. C'est ce scénario volontariste que choisit notre groupe.

Il est temps de comprendre qu'une simple exigence physico-chimique est nécessaire, mais insuffisante pour l'avenir. Madame la ministre, vous avez qualifié ce constat physico-chimique de « simpliste ».

Par exemple, l'eau d'une rivière peut être pure et limpide, mais si le cours de cette rivière est entravé de hauts barrages successifs, nous ne sommes pas près d'y voir des saumons !

Par exemple, si nous revenions à la norme « nitrates » de 40 milligrammes par litre, nous ne serions toujours pas libérés de la prolifération des algues vertes dont la décomposition pollue les plages et asphyxie l'eau du littoral.

Par exemple, une industrie peut être exemplaire dans le traitement de ses rejets, mais exercer des prélèvements si forts sur la nappe souterraine que des masses salées du sous-sol proche du littoral en viennent à pénétrer dans les terres et à rendre saumâtre un pompage éloigné.

L'approche fonctionnelle des écosystèmes que demande la directive doit enfin permettre la restauration et la pérennité des ressources, qualitativement et quantitativement.

La ressource hydrique et la « potabilité » dépendent de la biodiversité et de la circulation des espèces naturelles dans des réseaux de cours d'eau et de zones humides.

Le « bon état des eaux » doit être étendu aux critères biologiques et au bon état du milieu aquatique, de ses habitats et de ses espèces. En effet, ces milieux, trop longtemps ignorés ou abîmés, sont précisément de formidables machines naturelles de renouvellement, d'épuration, de filtration, d'oxygénation auprès desquelles nos stations ou appareillages complexes sont bien peu performants.

C'est pourquoi il ne faut en aucun cas suivre la mauvaise pente de la dérogation, de la minoration des objectifs ou de leur dilution. Nombreux sont les acteurs économiques concernés par le coût d'une politique exigante de l'eau et par la rigueur des normes à venir. Nombreux sont les aménageurs jusqu'à présent peu soucieux de la qualité des masses « artificialisées ».

Je pense à ces toitures, parkings, infrastructures imperméabilisées, à leurs eaux de ruissellement, puis à leurs bassins de rétention, puis au débouché dans les lacs et les rivières ou dans le sous-sol des villes, au point d'inonder celles qui sont placées en réceptacles, au point de générer des coûts phénoménaux de construction d'émissaires, sur fonds publics, pour évacuer ces trop-pleins générés par des installations privées.

Car, dans une directive, dans une transposition ou dans une loi sur l'eau, tout est là : comment la quête de profit des uns ne se substitue-t-elle pas au droit des usagers à une eau de qualité, d'un coût juste, et à l'absolue nécessité de préserver les milieux et les écosystèmes ?

Pour que les usagers soient entendus, pour que les milieux soient protégés, il nous a semblé nécessaire que les associations de consommateurs, comme celles de protection de la nature, aient leur mot à dire. Pour avoir les moyens de conduire une bonne politique de l'eau, il faut appliquer le principe pollueur-payeur.

Je terminerai en vous signalant deux chantiers méconnus, mais non anecdotiques, que la France s'honorerait d'entreprendre.

Il s'agit d'abord du plomb de chasse, que l'on interdira seulement en 2005, et uniquement en zone humide. Pourtant, chaque année, c'est l'équivalent de cinq cents fois les émissions de Metaleurop qui se répand. Le CNRS a trouvé quatre cents kilogrammes de billes de plomb par hectare dans l'estuaire de la Canche, rivière du Pas-de-Calais bordant une réserve. Il est urgent de généraliser l'usage du métal de substitution. Des fédérations y sont prêtes.

L'autre chantier est lointain : il s'agit du mercure, dont la forme méthylée pose de graves problèmes en Guyane. Le programme environnemental de l'ONU prévoit douze mesures d'urgence. Pourquoi ne pas faire du mercure une cible privilégiée de l'application de la directive en Guyane ?

Les milieux chauds, pauvres en oxygène et en acides, sont particulièrement touchés, tandis que les incendies de forêts, les inondations et l'érosion disséminent le métal toxique. Les personnes les plus modestes, qui ne mangent que du poisson, sont les premières victimes.

Le rapporteur a fait état d'éléments novateurs et a cité « la suppression, à terme, des substances les plus toxiques ». Il serait judicieux de faire un exemple.

Nous sommes en retard ! Les lobbies crient avant d'avoir mal, l'eau se raréfie, le chantier n'est pas facile. Saisissons donc l'opportunité de cette directive : soyons indépendants, ambitieux et exemplaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de cette discussion générale, je vous adresse mes remerciements pour la qualité et le niveau du débat qui s'est déroulé. Il était sans doute attendu qu'un sujet tel que l'eau donne lieu à une convergence de vues.

Le rapporteur nous a appelés, à juste titre, au réalisme et au pragmatisme. Je le reconnais bien là, et je souhaitais, bien entendu, le remercier de la qualité de son rapport.

J'ai probablement eu le tort d'avoir fait une intervention introductive très technique, alors que Mmes Didier et Herviaux, notamment, ont rappelé, très justement, que l'eau n'était pas une simple marchandise : cette question ne devait pas être abordée uniquement d'une façon technique ou technocratique ; l'eau constitue, effectivement, un bien commun de l'humanité. Il était tout à fait important que cet éclairage soit donné.

Au travers des interventions des orateurs, une interrogation est apparue : fallait-il élaborer un seul grand texte sur l'eau ? Compte tenu du fait que les sujets ne me paraissaient pas avoir la même importance, n'appelaient pas la même méthodologie et n'avaient pas la même urgence, j'ai finalement décidé de les traiter de façon plus segmentée.

J'ai d'abord voulu remettre sur le métier le texte précédent, car il avait été beaucoup critiqué, y compris au sein de la majorité qui l'avait soutenu. Je n'aurai pas la cruauté, madame Blandin, de vous rappeler l'appréciation de M. Mamère sur le texte de Mme Voynet, mais je la tiens à votre disposition. Je suppose toutefois que vous connaissez ce texte mieux que moi.

Ce projet de loi avait été jugé par les acteurs de terrain, les acteurs de bassin, comme un texte technocratique ; la concertation aurait été insuffisante. J'ai donc voulu que cette concertation soit menée.

Vous avez tous plaidé pour la démocratie, pour la participation du public à la politique de l'eau. Le premier exercice auquel nous étions conviés, c'était donc, bien entendu, une nouvelle loi sur l'eau qui se plie à cet exercice de démocratie, et cet exercice ne pouvait pas être mené dans la précipitation et au travers de faux-semblants.

Depuis trente ans qu'un tel ministère existe, je suis le premier ministre en charge de l'eau à m'être rendue dans les six bassins hydrographiques, qui sont d'ailleurs maintenant sept - on croit rêver ! -, pour animer une vraie discussion démocratique dans ces bassins. Celle-ci nous a pris effectivement toute l'année 2003. Nous ne pouvions pas faire moins !

J'ai voulu régler tout de suite la question des inondations. Il y avait urgence, car la sécurité de nos concitoyens était en jeu. J'ai tenu, avec la loi relative à la prévention des risques technologiques naturels et à la réparation des dommages, à donner les outils qui permettaient de régler ce problème des inondations, à bâtir un appel à projets auprès des collectivités territoriales, avec des moyens financiers, et à réformer les services d'annonce des crues en services de prévision des crues.

Cette action s'est achevée au milieu de l'été 2003. A l'évidence, il y avait urgence, car il y allait de la santé de nos concitoyens.

Il est vrai que la France a pris un peu de retard pour la transposition de la directive, mais elle avait largement anticipé un certain nombre de dispositions et elle a été, en quelque sorte, la patrie de la conception du bassin hydrographique.

J'ai profité de tous les véhicules législatifs qui se trouvaient à ma portée : le texte sur les territoires ruraux pour les zones humides ou le texte de santé publique pour la protection des captages. Finalement, cette démarche ne reflète-t-elle pas le fait que l'eau est, à l'évidence - vous l'avez toutes et tous dit - un sujet d'une telle importance qu'il n'est pas cantonné dans un seul secteur ministériel : il relève de plusieurs politiques, en particulier de politiques internationales ? C'est aussi un sujet très important de coopération internationale.

Ce sujet retrouve tout naturellement sa cohérence puisque toutes ces dispositions législatives seront regroupées dans le code de l'environnement. Ni la cohérence ni la lisibilité n'auront échappé aux acteurs de la politique de l'eau qui m'aident dans cette démarche législative de rénovation de notre politique.

Je suis très heureuse que cette discussion générale laisse augurer une suite favorable.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.