PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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DÉSIGNATION DE SÉNATEURS EN MISSION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre deux lettres en date du 12 janvier 2004 par lesquelles il a fait part au Sénat de sa décision de placer respectivement en mission temporaire :

- auprès du ministre délégué à la famille, M. Gérard Longuet, sénateur de la Meuse ;

- auprès du secrétaire d'Etat au tourisme, M. Bernard Plasait, sénateur de Paris.

Je leur adresse toutes mes félicitations et je suis persuadé que leurs travaux permettront d'éclairer la réflexion du Gouvernement.

Acte est donné de ces communications.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux parlementaires.

Nous avons appris, par voie de dépêches hier, et à la lecture des quotidiens ce matin, que le Gouvernement entendait réformer l'assurance maladie par voie d'ordonnances. Une loi d'habilitation serait présentée au Parlement en ce sens durant le mois de juillet.

Cette annonce me semble relever d'un profond mépris de l'institution parlementaire. Rappelons-le : cette pratique des ordonnances équivaut à signer un chèque en blanc au Gouvernement qui, en dehors de la confrontation pluraliste des différentes propositions, décidera du contenu de la réforme.

Le recours à cette pratique des ordonnances est dangereux pour la démocratie. Elle retire non seulement aux élus mais aussi à ceux qu'ils représentent les clés du débat. Elle prive les partenaires sociaux d'un moyen d'intervention.

Ce n'est pas la première fois que la droite majoritaire cherche à mettre à mal la sécurité sociale par le biais d'ordonnances. Rappelons-nous le célèbre plan Juppé et ce qu'il en advint ainsi que du gouvernement d'alors !

Monsieur le président, le Sénat doit prendre date en rappelant les prérogatives du législateur. Comment accepter, six mois à l'avance, d'être ainsi dessaisi ?

Le mépris du Parlement découle également de l'annonce, de sa convocation en session extraordinaire au mois de juillet, pour examiner ce projet de loi d'habilitation. Nul ici, j'en suis certaine, ne refusera de siéger le 15 août, s'il le faut, pour examiner des textes fondamentaux, et surtout pas les sénateurs de mon groupe qui, en juillet dernier, je vous le rappelle, sont restés jusqu'au bout pour s'opposer, quinze jours durant, au projet de réforme des retraites.

Comment ne pas voir, une nouvelle fois, la manifestation d'une volonté d'agir en période de congés pour débattre en catimini d'un projet de loi qui intéressera au plus haut point les Françaises et les Français si soucieux, à juste titre, de l'avenir de la protection sociale ?

Je tiens à attirer solennellement l'attention sur le caractère manoeuvrier de l'annonce d'hier qui laisse présager des mauvais coups d'une rare ampleur contre la sécurité sociale. Chacun sait, en effet, que c'est non pas une réforme de progrès qui se prépare mais une réforme libérale que les milieux financiers, les assureurs privés en premier lieu, appellent de leurs voeux. Soixante ans, exactement, après la création de la sécurité sociale, on en serait à la liquider par voie d'ordonnances au mois de juillet !

Monsieur le ministre, votre ministère, celui de la santé, est concerné au premier chef par la réforme annoncée. Je demande instamment au Gouvernement de renoncer, d'une part, aux ordonnances et, d'autre part, à cette surprenante convocation du Parlement en session extraordinaire qui intervient avant même qu'ait été engagée la large concertation annoncée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. Acte est donné de ce rappel au règlement.

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POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la politique de santé publique
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 19, 2003-2004) relatif à la politique de santé publique. [Rapport n° 138 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux que nous puissions nous retrouver aujourd'hui pour débattre du texte de loi de santé publique. Avec le développement de la médecine moderne, notre système de santé s'est en effet constitué ces dernières années autour d'une démarche essentiellement curative. Malgré les progrès majeurs en matière d'hygiène et malgré une meilleure connaissance des déterminants de santé, la prévention occupe toujours une place secondaire dans notre pays avec les mauvais résultats que chacun d'entre vous connaît.

Il est grand temps de renforcer cette composante de notre système de santé et c'est précisément la responsabilité qui est la nôtre dans l'élaboration du texte dont nous allons débattre ces trois jours à venir. Je vous le redis, cette loi est fondatrice. Les événements de chaque jour montrent qu'elle répond à une nécessité, mais aussi qu'elle correspond à une attente forte de nos concitoyens qui refusent de plus en plus la fatalité dans le domaine sanitaire et réclament que l'Etat affiche sa responsabilité.

Le droit à la protection de la santé, c'est le devoir qu'ont les pouvoirs publics de protéger collectivement les populations contre les risques qui pourraient menacer leur santé. A ce droit, qui s'inscrit dans une longue tradition, celle de la police sanitaire, s'attachent aujourd'hui une signification, une demande et une urgence nouvelles.

Une signification nouvelle, tout d'abord.

La prévention fut très tôt une lutte acharnée contre les maladies contagieuses ; au Moyen Age, c'est à la lutte contre la lèpre que l'on doit les premières mesures de prévention collective : le lépreux était exclu de la communauté des fidèles et de toute vie sociétale. Au xive siècle, la grande épidémie de peste qui fit périr sept des vingt et un millions d'habitants que comptait la France ne fut vaincue que par des mesures d'hygiène individuelles et collectives rigoureuses.

Plus près de nous, qui se souvient que, sous Napoléon III, les grands travaux menés par le préfet Haussmann et qui ont donné à Paris son prestige architectural d'aujourd'hui avaient d'abord des motivations hygiénistes visant à « aérer » les quartiers insalubres ?

Enfin, comment pourrait-on passer sous silence le pas de géant que fit franchir l'approche scientifique de l'école pastorienne française avec la vaccination et dont les prolongements plus récents conduisirent à prévenir diphtérie, peste et tuberculose ?

Toutes ces dernières années, et du fait de l'allongement de la vie résultant des progrès de notre médecine curative, nos approches en matière de prévention se sont déplacées des maladies épidémiques aux affections chroniques ; c'est ce que l'on appelle la transition épidémiologique ! Parce que les alertes sanitaires nous y rappellent au quotidien, je vous le dis, gardons en mémoire les leçons de nos prestigieuses écoles hygiénistes françaises.

De nos jours, c'est surtout l'approche biomédicale de la prévention qui est mise en avant et insiste sur le moyen de traiter très en amont les déterminants des maladies, grâce à des politiques de dépistage précoce et à des thérapeutiques performantes. En faisant progresser l'éducation sanitaire de nos concitoyens, on peut espérer qu'ils évitent des conduites qui nuisent gravement à leur santé

Il est indispensable que la prévention en matière de santé soit aussi une politique globale prenant en considération l'environnement dans lequel évolue la personne au travail, dans son logement, dans son environnement naturel, mais aussi dans sa précarité sociale.

Enfin, les connaissances que la recherche biomédicale est en train d'accumuler pourraient donner naissance à une médecine prédictive qui, si l'on encadre ses dérives possibles, est une chance formidable pour la santé publique.

La politique de santé publique fait ensuite l'objet d'une demande nouvelle de la part de nos concitoyens.

Longtemps l'idée même de santé est restée incomprise. L'intervention de l'Etat en matière sanitaire n'échappait jamais au soupçon qui la dénonçait comme une tentative de moralisation et de redressement de comportements individuels jugés condamnables.

Mais, aujourd'hui, ces stigmates moralisateurs me semblent oubliés. La légitimité pour l'Etat d'intervenir dans les affaires de santé pour protéger la population n'est plus remise en question. Chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est bien vers l'Etat et ses agents que les Français et les Françaises se tournent pour exiger une protection efficace.

Aujourd'hui, le rôle de l'Etat n'est plus contesté, il est réclamé. A raison. L'actualité le dit assez : seul l'Etat peut organiser efficacement la lutte contre les épidémies comme le syndrome respiratoire aigu sévère, la légionellose, les méningites, le sida, la grippe ou l'hépatite B.

Une urgence nouvelle s'attache enfin à la politique de santé publique car à cette demande de nos concitoyens nous répondons de manière insuffisante.

Deux constats jettent une lumière malheureusement éloquente sur les conséquences de cette négligence dans laquelle a été tenue la santé publique.

Premier constat : la mortalité prématurée, celle qui survient avant l'âge de soixante-cinq ans, reste en France à un niveau anormalement élevé alors que les causes en sont connues et que l'on sait qu'elle est évitable. D'autres pays développés comme l'Allemagne, l'Italie ou le Japon connaissent une mortalité aux âges adultes inférieure à la nôtre. Cette situation est choquante, d'autant qu'elle contraste avec la performance de nos professionnels et de nos établissements de santé.

L'Etat peut agir et les Français attendent qu'il le fasse.

Nous avons déclaré une guerre sans merci au tabac parce qu'il est la principale cause de cancer et qu'il faut protéger les plus jeunes des dégâts de sa consommation prolongée. La politique de prix élevé que nous avons engagée nous a d'ores et déjà permis d'atteindre des résultats jamais obtenus jusqu'alors. Ce sont des dizaines de milliers de décès prématurés que nous allons ainsi éviter.

Chacun comprend aussi qu'il faut agir contre la consommation de drogues, quand la France détient le record de la consommation de cannabis chez les jeunes : cinq millions, soit 50 % d'entre eux, ont fumé du cannabis et environ 10 % d'entre eux en feraient un usage régulier.

Second constat : l'inégalité des Français devant la maladie et la mort est grande. Selon qu'ils résident en Bretagne, en Alsace, dans le Pas-de-Calais ou en Midi-Pyrénées, mais aussi selon leur milieu social, nos concitoyens sont affectés différemment par la maladie et n'ont pas la même espérance de vie. Partout, les moins favorisés font les frais de l'absence de priorités de santé publique.

Un autre exemple heurte l'équité : j'ai découvert, en prenant mes fonctions, que seul un tiers des départements offraient des programmes de dépistage des cancers du sein chez les femmes. La généralisation de ce dépistage avait pourtant été annoncée par mes prédécesseurs. Tous les départements, sauf la Guyane - mais ce sera chose faite dans le courant de l'année -, sont désormais engagés dans ces programmes de dépistage ou sont prêts à les développer.

De telles inégalités ne peuvent que rappeler à l'Etat son rôle de garant de la santé de la population et de la solidarité nationale. Il y a donc fort à faire, et telle est la raison d'être de ce projet de loi.

Déposé dès le mois de mai 2003 sur le bureau de l'Assemblée, il a pour objet de donner à l'Etat les moyens de tenir son rôle de garant de la protection de la santé. Il fait justice d'une compréhension des faiblesses structurelles les plus graves de notre système de santé : profond déséquilibre entre le système de soin et la prévention, responsabilité de l'Etat mal affermie dans ce dernier domaine, cloisonnement des acteurs et dispersion des efforts.

Je m'attacherai, tout d'abord, au délaissement de la prévention. Les efforts que nous déployons pour soigner les malades ne trouvent pas leur équivalent lorsqu'il s'agit de chercher à prévenir, éduquer, dépister. Sur 150 milliards d'euros de dépenses de santé, seulement 3,6 milliards, soit 2,3 %, sont consacrés à la prévention définie strictement, une estimation très large, généreuse, nous permettant au maximum d'atteindre le taux de 7 %.

Je noterai ensuite que la responsabilité de l'Etat dans le domaine de la santé publique est mal définie et insuffisamment organisée.

C'est en effet à coups de catastrophes écologiques - le naufrage de l'Amoco Cadiz -, de « scandales » - la vache folle, le sang contaminé -, de craintes plus ou moins fondées scientifiquement - l'ozone - ou d'accidents hospitaliers, anesthésiques ou obstétricaux, que l'Etat a été trouvé pour ainsi dire acculé à trouver, à la hâte, de nouvelles formes d'intervention. La santé publique, en effet, n'a jamais été consacrée en tant que telle comme relevant de la responsabilité de l'Etat ni comme domaine prioritaire de l'action des pouvoirs publics.

Ainsi, en l'absence de politique d'ensemble, l'organisation actuelle est le résultat de réformes successives qui manquaient d'une vision globale et dont la prévention n'était pas l'objet principal.

Ce projet de loi vise à fonder en France une politique pérenne de santé publique.

Nous ne partons pas de rien, il est vrai. En 1998, notre pays s'est doté d'un premier ensemble complet d'outils destinés à garantir la sécurité sanitaire de notre environnement, de notre alimentation et des produits de santé, tels les médicaments, et à organiser un réseau de veille sanitaire ; la création, à cette époque, des agences sanitaires correspond à une première étape sur la voie d'une meilleure approche du devoir de santé publique, et le Parlement, singulièrement la Haute Assemblée, a, à ce moment déjà, joué un rôle prééminent.

Ce projet de loi se veut une nouvelle étape majeure, plus structurante et plus aboutie ; il affirme la responsabilité de l'Etat en matière de santé publique et s'attelle à une tâche difficile : tirer le meilleur parti possible de l'extraordinaire dispersion des acteurs et des efforts qui caractérise le monde de la prévention. Je vais en dire quelques mots.

L'Etat est le garant de la protection de la santé, mais il n'a pas vocation à être l'acteur unique de la politique de santé publique. Le rôle que nous entendons donner aux pouvoirs publics en ce domaine est conforme à ce que doit être celui d'un Etat moderne : garantir plutôt que gérer ; s'adresser à tous et partout ; s'inscrire dans la durée ; organiser, impulser, mais non pas agir à la place des autres ; tracer la direction à suivre et évaluer les résultats, mais non marcher sur les brisées des acteurs de la santé publique sur le terrain.

Ce rôle de garant et de responsable de la politique de santé publique que les Français demandent à l'Etat de tenir doit se traduire de deux façons.

Premièrement, c'est à l'Etat qu'il appartient, après une large concertation, d'arrêter les priorités qu'il faut s'assigner pour améliorer l'état de santé des Français.

Pour que chaque acteur puisse situer son rôle et comprendre le sens de son action, il doit pouvoir inscrire celle-ci dans un cadre de référence explicite : il faut qu'il soit mis en mesure de se référer à une série d'objectifs pour juger si l'action va dans le bon sens. La mise sous objectifs du système de santé à un horizon de cinq ans est ainsi le premier axe directeur de ce projet.

Jusqu'à présent, lorsque l'on parlait d'objectifs, on faisait référence aux dépenses d'assurance maladie, et ce n'est pas M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui me démentira sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie : quand on parlait d'objectifs, c'était bien en termes d'assurance maladie, et c'est logique !

Mais cette logique est non seulement inflationniste par nature, elle est encore appauvrissante. Car la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé de la population.

C'est pourquoi nous fixons à la politique de santé publique cinq grandes priorités, dont nous aurons à répondre dans cinq ans : la lutte contre le cancer ; la santé environnementale, incluant la santé au travail ; la violence et les comportements à risque ; les maladies rares, dites maladies orphelines ; enfin, la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.

Par ailleurs, le projet de loi comporte un rapport annexé qui prévoit une centaine d'objectifs ayant vocation à constituer un tableau de bord pour améliorer le pilotage de notre système, pour mieux analyser ses forces et ses faiblesses, et pour évaluer sa performance. Qu'on ne s'y trompe pas : ces objectifs n'ont pas vocation à être exhaustivement réalisés. Ce sont des marqueurs, des indicateurs, destinés à permettre de faire périodiquement le point sur les évolutions de la situation sanitaire du pays, de repérer les progrès et les manques.

Deuxièmement, si l'Etat n'a évidemment pas le monopole de l'action en matière de santé publique, il lui revient d'organiser, sous son autorité, un partenariat associant les différents acteurs, publics et privés, qui sont nombreux à concourir à l'amélioration de la santé. Le projet de loi vise donc à organiser l'action sur le terrain, car c'est sur le terrain que se gagne la bataille de la santé : décloisonner, rapprocher les professionnels du soin, rapprocher les professionnels de l'action sociale, les soins de ville et les soins hospitaliers. Rapprocher : la nécessité pressentie dans l'élaboration de ce texte s'est dramatiquement confirmée cet été.

Certes, il n'est pas facile de prédire si cette meilleure coordination permettra de mieux maîtriser nos coûts ; mais il n'y a acun doute à garantir qu'elle permettra d'obtenir une meilleure efficience de nos actions.

A côté de ces grands acteurs que sont l'Etat, ses services, ses agences ainsi que l'assurance maladie et ses caisses, il existe aujourd'hui, selon les endroits, de nombreux organismes plus ou moins impliqués dans la prévention. Attardons-nous un instant sur leur liste : observatoires régionaux de la santé ; comités départementaux d'éducation pour la santé ; multiples associations spécialisées ; espaces santé jeunes ; centres d'éducation à la santé et à la citoyenneté en milieu scolaire ; observatoires de la santé au travail... Bref, la répartition des responsabilités est confuse.

Le projet de loi vise donc, sans exclure personne, à instituer un mécanisme permettant d'associer avec davantage de cohérence tous ceux qui souhaitent concourir à la politique de santé publique.

A l'échelon national, nous simplifions et nous rationalisons le paysage institutionnel en organisant trois niveaux.

D'abord un niveau de concertation, d'expertise et de coordination sera articulé autour de trois instances : la Conférence nationale de santé, instance permanente de débat entre les associations, les professionnels, les sociétés savantes ; le Haut Conseil de la santé publique, qui reprend les missions du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et celles du Haut Comité de la santé publique - nous simplifions - ; enfin, le Comité national de la santé publique, instance de coordination interministérielle et de gestion politique.

Ensuite, au niveau politique, le Gouvernement, sur la base des travaux de ces instances, soumettra tous les cinq ans à l'approbation du Parlement un projet de loi fixant les priorités de la politique de santé publique, et le ministre de la santé arrêtera les plans nationaux de santé publique.

Enfin, le troisième niveau consistera dans la mise en oeuvre par les agences sanitaires, les organismes de recherche, les associations et l'assurance maladie. Ce faisant, je le répète, nous simplifions notablement le paysage institutionnel actuel.

On trouve un schéma similaire à l'échelon régional. Car la région apparaît bien comme le meilleur niveau pour mettre en oeuvre la politique de santé publique ! C'est à cette échelle que les objectifs nationaux doivent être déclinés, en tenant compte des spécificités locales, et que tous les acteurs de la santé publique peuvent et doivent travailler ensemble.

La concertation sera assurée au sein de la conférence régionale de santé, qui réunira tous les acteurs concernés - collectivités, professionnels, associations, assurance maladie - et qui proposera des objectifs pour le plan régional de santé publique, arrêté par le préfet de région après due concertation. La mise en oeuvre opérationnelle de ce plan, quant à elle, sera confiée à une structure partenariale, le « groupement régional de santé publique ».

Je sais que, parmi vous, d'aucuns s'inquiètent de voir la santé publique par trop étatisée.

Je tiens à les rassurer :...

M. Jean-Pierre Fourcade. Ah !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... mon souhait est au contraire de tout faire pour que les collectivités locales et l'assurance maladie affermissent leurs compétences et développent leurs interventions, et nous prévoyons que le conseil régional puisse développer des actions particulières en matière de santé publique auxquelles, à mon sens, les conseils généraux, les grandes communes et les syndicats d'agglomération devraient également pouvoir être associés. Je sais, monsieur le rapporteur, que des amendements en ce sens ont été déposés.

Je propose donc un mécanisme souple d'association, de partenariat, de coordination, au sein d'un GIP, un groupement d'intérêt public, instance opérationnelle chargée de la mise en oeuvre du plan régional de santé publique. Tout en respectant la personnalité et l'identité de chacun des acteurs, ce GIP doit permettre de mutualiser les financements à l'échelon régional. Il garantira la coordination des actions sur la base de priorités établies par son conseil d'administration, où siégeront, outre l'Etat, l'assurance maladie, les collectivités locales qui le voudront et l'agence régionale de l'hospitalisation.

De même qu'à l'Assemblée nationale ont été clarifiées ces questions institutionnelles, je compte sur le travail que nous ferons ensemble pour améliorer les conditions de fonctionnement et de pilotage de cette structure.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes orientations du projet de loi.

Avant d'en évoquer rapidement les cinq titres, je voudrais encore vous dire que je me suis aussi attaché, sur les plans international et européen, à porter le message français du caractère primordial de la santé publique. Au cours des derniers mois, grâce à l'intervention de la France, trois sujets ont pu déboucher ou progresser significativement : nous avons vaincu les dernières hésitations de nos partenaires, ce qui a permis, en décembre dernier, l'adoption d'une directive interdisant la publicité transfrontalière du tabac. Je souhaite que nous la transposions dans le projet de loi.

C'est encore sur l'initiative de la France que les ministres de la santé européens ont adopté, en mai dernier, un certain nombre de recommandations qui ont été décisives pour contrôler l'épidémie naissante du SRAS.

Enfin, depuis ma prise de fonctions, je me suis employé à ce que voie le jour un centre européen de contrôle des maladies transmissibles, sur le modèle du centre de contrôle des maladies d'Atlanta, aux Etats-Unis, afin de doter l'Europe d'une capacité opérationnelle pour répondre efficacement aux enjeux des grandes épidémies et des maladies transmissibles. Au début du mois de décembre, le conseil des ministres de la santé européens a décidé de créer en 2005 ce centre de contrôle des maladies transmissibles, dont le siège sera en Suède.

Le projet de loi comporte cinq titres, dont je vais vous faire une très rapide présentation.

Le titre Ier est relatif à la politique de santé publique. Il définit le périmètre de celle-ci, clarifie les responsabilités et simplifie les instances impliquées. Je n'y reviens pas, sinon pour souligner que le Gouvernement a été guidé par le souci de parvenir à une architecture efficace et beaucoup plus simple que celle que nous connaissons actuellement.

Le titre II concerne les outils d'intervention de l'Etat. Il précise les missions de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, institue des consultations de prévention et établit de nouvelles dispositions relatives à la politique vaccinale.

Dès la première lecture de ce texte à l'Assemblée nationale, nous avons proposé de nombreux amendements, regroupés dans le nouveau titre II bis, afin de tirer rapidement un certain nombre de conclusions de la canicule de cet été.

Le projet de loi initial comportait déjà des dispositions relatives à la prévention et à la gestion des crises sanitaires permettant d'améliorer notablement la mobilisation des moyens en cas de menace sanitaire. Il renforçait notamment les contrôles de la production et de l'utilisation de micro-organismes et de leurs toxines, en particulier dans le cadre de la lutte contre le bioterrorisme. Il permettait aussi de renforcer les systèmes d'information sanitaire en ménageant un équilibre entre la nécessité d'avoir accès à des données importantes pour la protection de la santé et celle de protéger la vie privée.

La première lecture à l'Assemblée nationale nous a permis de compléter ces dispositions dans trois directions.

D'abord, notre système de veille et d'alerte sanitaires, cinq ans après sa création, appelait des renforcements et des précisions. Sans en changer le périmètre, nous avons mieux précisé les différentes tâches de l'Institut de veille sanitaire, l'INVS, afin de poser clairement que cet organisme doit mener une réflexion prospective sur les facteurs de risque sanitaire non identifié, compléter son approche par pathologie par une approche par population à risque, bâtir des systèmes d'information lui permettant d'élaborer des indicateurs d'alerte.

Ainsi, à l'article 11, l'obligation faite aux médecins et aux établissements publics de signaler aux autorités sanitaires les risques dont ils auraient connaissance a été étendue à l'ensemble des professionnels de la sphère sanitaire et médico-sociale.

Ensuite, les moyens d'action des pouvoirs publics pour prévenir une menace sanitaire grave ou pour atténuer l'impact d'une crise sanitaire ont été nettement renforcés. L'article 10 donne ainsi au ministre de la santé la possibilité de prescrire les dispositions appropriées en cas de crise sanitaire grave et d'habiliter le préfet à mettre en oeuvre ces prescriptions en prenant, dans des conditions strictement encadrées, les mesures individuelles et collectives qui s'imposent.

Nous avons également donné une base légale au plan blanc hospitalier, précisé les conditions dans lesquelles ce plan peut être déclenché en cas d'afflux de victimes ou de situation sanitaire exceptionnelle, et donné au préfet la possibilité de recourir à des plans blancs « élargis ». Il s'agit de requérir, selon les besoins, le concours de la médecine de ville, des infirmières libérales, des transports sanitaires et des établissements médico-sociaux en cas de crise grave.

Enfin, nous avons amélioré le système de remontée des certificats de décès depuis le médecin qui constate le décès jusqu'au centre d'analyse des décès de l'INSERM. L'objectif est double : d'une part, simplifier le circuit afin de permettre son informatisation et, par là même, la remontée presque en temps réel des cas de décès constatés ; d'autre part, permettre à l'INVS de s'appuyer sur ce circuit pour construire un dispositif d'alerte et de mesure au jour le jour des décès constatés. Il n'est pas acceptable de devoir, comme c'est le cas aujourd'hui, attendre le mois de mars pour connaître les chiffres de la mortalité des mois d'octobre, novembre et décembre de l'année précédente.

Le titre III comporte les dispositions relatives aux cinq plans de santé publique nationaux, qui sont les priorités que le Gouvernement assigne à son action.

Dans le domaine du cancer, nous créons l'Institut national du cancer, conformément aux engagements pris le 24 mars dernier par le Président de la République. Il permettra de mieux coordonner les acteurs du cancer ; il sera en quelque sorte la « tour de contrôle » du dispositif de lutte contre le cancer, capable d'en embrasser tous les aspects et veillant à la mise en oeuvre et au bon déroulement du plan cancer - de la prévention au soin, de l'observation à l'organisation de la formation médicale, à la coordination et au financement des actions de recherche -, et ce dans le souci constant de développer les synergies européennes et internationales. Il sera la maison commune des patients, des soignants et des chercheurs.

En matière de recherche, cet organisme permettra - sans, évidemment, se substituer à elles - de renforcer le potentiel des institutions de recherche comme l'INSERM, le CNRS ou les structures hospitalo-universitaires en finançant des programmes d'action coordonnés à l'échelon national et en contribuant à la structuration régionale des cancéropôles.

Dans le domaine de l'environnement, comme l'a demandé le Président de la République, un plan national en santé-environnement sera élaboré ; il comportera un volet relatif aux situations météorologiques extrêmes. Par ailleurs, nous facilitons la surveillance épidémiologique en milieu de travail. Nous actualisons également les dispositions relatives à la préservation de la qualité de l'eau.

Devant la menace que représente le risque de prolifération de légionnelles, je vous propose de renforcer la législation. Ainsi, les pouvoirs du préfet seront renforcés en cas de contamination issue des réseaux d'eau des particuliers ou d'établissements recevant du public. Au regard de ce qui se passe dans le Pas-de-Calais, et parallèlement au renforcement de la réglementation relative aux installations classées annoncé par Mme Bachelot, je vous proposerai un amendement visant, d'une part, à assurer le recensement de toutes les tours aéroréfrigérantes qui ne sont pas des installations classées et, d'autre part, à permettre de réglementer très précisément leurs conditions de fonctionnement, d'entretien et de contrôle.

Enfin, le texte de loi prévoit de renforcer les mesures de lutte contre le saturnisme.

Les dispositions du titre IV ont trait à la recherche et à la formation en santé. Elles créent, en premier lieu, l'école des hautes études en santé publique.

Nous disposons actuellement des ressources des facultés de médecine et de celles de l'ENSP, l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes. Cette dernière forme les agents de l'Etat et de la fonction publique hospitalière oeuvrant dans le domaine sanitaire et social, parmi lesquels les personnels de direction et d'encadrement des hôpitaux. Les facultés de médecine ne forment que les médecins, tandis que l'ENSP ne délivre pas de diplômes reconnus au niveau universitaire.

Le Gouvernement a donc choisi de créer un grand établissement d'enseignement supérieur permettant d'animer un réseau national de formation en santé publique, de mettre en commun les expériences et les compétences, et de hisser notre système de formation au meilleur niveau. Dans ce domaine, certains de nos partenaires sont extrêmement performants, Anglais et Nord-Américains notamment. Il faut que nous nous donnions les moyens de professionnaliser ce champ, de former des techniciens du bruit ou de la qualité des eaux et d'offrir aux professionnels de la santé, au sein d'un établissement disposant d'une visibilité internationale, une formation continue en matière de sécurité sanitaire.

La création de cette école profitera à l'ensemble des professionnels aujourd'hui formés à l'ENSP. Celle-ci ne sera atteinte ni dans sa mission ni dans sa localisation. Au contraire, elle gagnera en notoriété et en attrait en délivrant des diplômes nationaux et en étant adossée à un réseau performant d'enseignement universitaire en matière de santé publique.

En deuxième lieu, le projet de loi vise à actualiser le dispositif d'encadrement des recherches biomédicales, dû à la Haute Assemblée et issu de la loi du 20 décembre 1988, dite loi Huriet-Sérusclat.

Cette révision s'impose au regard non seulement de la nécessité de transposer en droit interne la directive 2001/20/CE relative aux essais cliniques de médicaments, mais aussi du besoin, exprimé précisément par tous les acteurs de la recherche en santé, d'adapter le dispositif existant.

La directive nous conduit sur le terrain des principes et des droits fondamentaux de la personne ; le Gouvernement a donc souhaité définir, au-delà du médicament, des règles et un cadre communs à toutes les recherches biomédicales.

Le projet de loi tend à procéder à trois modifications principales : il remplace l'actuel régime déclaratif par un régime d'autorisation ; il supprime la distinction entre recherche sans bénéfice individuel direct et recherche avec bénéfice individuel direct, souvent difficile à appréhender et trompeuse pour les personnes qui se prêtent à la recherche, au profit de l'appréciation plus fine d'un bilan bénéfice-risque ; il organise enfin la participation à la recherche des personnes vulnérables ou hors d'état d'exprimer leur consentement, afin qu'elles puissent bénéficier davantage qu'aujourd'hui du progrès scientifique et médical - je songe, en particulier, aux personnes atteintes d'affections neurodégénératives, comme la maladie d'Alzheimer.

En dernier lieu, ce projet de loi vise à simplifier le dispositif de formation médicale continue. La formation continue des médecins, comme celle de tous les autres professionnels de santé, est une des conditions du succès de la politique de qualité des soins que je souhaite enraciner au coeur de notre système de santé.

Les médecins perçoivent très bien la nécessité de se former pour continuer à délivrer des soins de la meilleure qualité possible et ils souscrivent de manière responsable à cette obligation. Je souhaite lier l'obligation de formation médicale continue à des mécanismes d'incitation et de valorisation professionnelle, qui devront se développer dans le cadre d'une politique conventionnelle bien comprise.

Ainsi, l'accès à certaines fonctions de responsabilité ou de représentation professionnelle pourrait être conditionné au respect de l'obligation de formation continue. Cela pourrait être le cas pour les fonctions électives au sein des commissions médicales d'établissement, les CME, des établissements de santé ou des unions de médecins libéraux ou pour certaines fonctions pédagogiques. Les primes d'assurances professionnelles pourraient être modulées dès lors que les praticiens s'engageraient à s'acquitter de l'obligation de formation. Des discussions préliminaires ont d'ores et déjà été ouvertes avec les assureurs dans ce sens.

Je conclurai en vous disant que je compte beaucoup sur le travail du Sénat pour poursuivre le débat sur certains points de ce texte - je songe à l'encadrement des psychothérapies, mais nous y reviendrons certainement lors de la discussion des articles (Marques d'approbation sur diverses travées) - ...

M. Gilbert Chabroux. Oh oui !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... et que le Gouvernement soutiendra par ailleurs, en vue de régler une série de difficultés dans le champ de la santé publique, un certain nombre d'amendements dont l'utilité et la « maturité » se sont révélées récemment : ils sont relatifs à des modifications nécessaires à l'activation de l'agrément des associations de malades, à l'extension de l'obligation de formation continue à toutes les professions médicales ou paramédicales, à la simplification de l'organisation de certains ordres professionnels.

Mesdames, messieurs les sénateurs, s'investir dans le domaine de la santé publique et de la prévention est une aventure exaltante, qui nous oblige à dépasser les repères auxquels nous nous étions cantonnés jusqu'alors.

La démarche individuelle de soins si largement mise en oeuvre ces trois dernières décennies s'enrichit ainsi d'une démarche plus collective où la société nous interpelle sur nos capacités à couvrir les besoins.

Le concept de santé, qui dépasse considérablement celui de soin, nous oblige à prendre en compte notre environnement et ses déterminants externes, ce qui ouvre le champ à de nouveaux acteurs et à de nouveaux partenaires.

L'exigence légitime de nos concitoyens, qui refusent de plus en plus la fatalité, nous assigne une responsabilité accrue que nous ne devons pas redouter d'assumer.

Enfin, l'humilité que nous devons garder face à un domaine qui affecte aussi profondément les comportements doit nous inciter à inscrire notre action dans la durée et à la mener avec détermination.

Le Gouvernement vous invite aujourd'hui à prendre part à cette aventure, en écrivant une page de l'histoire de la santé publique qu'il veut structurante, à marquer une étape qui permettra de pallier les faiblesses structurelles de notre système et de donner à tous les acteurs de la santé publique les moyens d'améliorer significativement l'état de santé des Français.

Je voudrais remercier la commission des affaires sociales du Sénat, son président, Nicolas About, ses rapporteurs, Francis Giraud et Jean-Louis Lorrain, pour la qualité du travail accompli, ainsi que l'ensemble des sénateurs qui se sont impliqués dans la préparation de ce débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attends beaucoup du débat à la Haute Assemblée ; ce sera un moment fort, qui permettra de signifier l'engagement de la nation pour la protection et l'amélioration de la santé. Il s'ouvre, opportunément, quelques jours seulement avant la conclusion des travaux de diagnostic partagé du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Cette première lecture au Sénat est donc très importante. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pas souhaité déclarer l'urgence pour ce texte,...

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. ... ce qui signifie que deux lectures dans chaque assemblée précéderont la réunion de la commission mixte paritaire.

M. Adrien Gouteyron. C'est bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. Le Gouvernement souhaite en effet que la loi soit le résultat du travail de tous, afin que nous nous approchions d'un consensus sur la santé publique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Daniel Hoeffel remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)