Section 3

Dispositions diverses et de coordination

Art. 23 (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Art. 24

Article 24 A

I. - Il est inséré, après l'article 706-53 du code de procédure pénale, un article 706-53-1 A ainsi rédigé :

« Art. 706-53-1 A. - L'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 se prescrit par trente ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.

« L'action publique des délits prévus et réprimés par les articles 222-27 à 222-30, 225-7, 227-22 et 227-25 à 227-27 du code pénal se prescrit par vingt ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces délits se prescrit par vingt ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. »

II. - Le dernier alinéa de l'article 8 du même code est supprimé.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, sur l'article.

Mme Nicole Borvo. Le présent article 24, qui vise à allonger à trente ans le délai de prescription en matière de délits sexuels, pose, on le sait, de vraies questions qui sont tout sauf simples.

Cette proposition de l'Assemblée nationale part en effet d'une réalité incontestable, soulignée notamment par les associations de défense des victimes d'inceste, quant aux inconvénients du délai actuel : aujourd'hui, la victime peut intenter une action dans un délai de dix ans à compter de sa majorité, donc, en pratique, jusqu'à l'âge de vingt-huit ans.

Or, il faut bien avoir à l'esprit que les jeunes quittent de plus en plus tard le domicile parental, du fait notamment qu'ils entrent plus tardivement dans la vie active, seule susceptible de leur donner l'autonomie financière requise.

Cette circonstance n'est pas sans influence sur la capacité de ces victimes d'inceste à intenter une action pénale : celle-ci est rarement envisageable tant que la victime vit sous le même toit que son bourreau.

Dans d'autres cas, la victime se refuse elle-même à accepter les faits et ce n'est parfois qu'au terme d'une psychothérapie ou d'une analyse qu'elle parvient à admettre la réalité, ce qui prend, chacun le sait, beaucoup de temps.

On observe aussi souvent, concernant les femmes, que c'est au moment où elles deviennent mères que les choses se dénouent et que la nécessité d'une action pénale devient pour elles impérative.

Ces arguments, auxquels j'ai été particulièrement sensible, plaident en faveur d'un allongement de la durée de prescription.

J'ai néanmoins conscience que l'allongement à trente ans de la durée de la prescription est susceptible de poser d'autres problèmes non pas tant d'ailleurs pour les raisons évoquées par notre rapporteur, qui plaide pour une réflexion générale sur la prescription, mais parce que certains professionnels redoutent des effets contraires à l'objectif visé.

Ainsi nous ont été rapportées les difficultés que pourrait engendrer l'allongement de la prescription en termes de preuve : alors que la victime pourrait être moins « incitée » à agir vite, la dénaturation des preuves au fil du temps rendrait plus difficile l'établissement de la culpabilité.

C'est ainsi que, de façon paradoxale, plus de non-lieux seraient prononcés dans des affaires particulièrement graves, ce qui serait particulièrement préjudiciable à la reconstruction des victimes qui perçoivent ces décisions de non-lieu comme une négation de leurs souffrances.

Etant donné ces arguments contradictoires et la difficulté du problème - je pense, mes chers collègues, que vous le reconnaissez - une solution transactionnelle pourrait néanmoins être trouvée en réservant le cas des mineurs victimes devenus majeurs et en prévoyant un allongement à vingt ans de la durée de la prescription.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cet article, en demandant au Gouvernement de bien vouloir examiner la suggestion que je lui fais ici. Si elle n'était pas prise en compte, je voterais le texte de l'Assemblée nationale.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 58 est présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission.

L'amendement n° 191 est présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

« Supprimer cet article. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Mme Borvo a bien introduit ce sujet extrêmement délicat en rappelant quelle était la situation. Je me permettrai d'apporter quelques précisions complémentaires mais je partage entièrement ses propos s'agissant de la situation des victimes d'infractions sexuelles dont les conséquences sont particulièrement douloureuses.

Fort heureusement, en vertu d'une loi de 1999,...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bonne période ! (Sourires.)

M. François Zocchetto, rapporteur. ... le délai de prescription des crimes et délits sexuels sur les mineurs commence à courir à partir de la majorité de la victime. Il s'agit d'une excellente initiative qui a produit des effets très positifs. Elle a permis aux victimes d'obtenir réparation, mais également - n'oublions pas que c'est l'objet du droit pénal de poursuivre de nombreux auteurs d'infractions, ce que l'on n'aurait pu faire sans cette modification.

Aujourd'hui, la prescription commence donc à courir à compter de la majorité de la victime. Elle est de dix ans pour les crimes sexuels, c'est-à-dire le viol, et également de dix ans pour tous les délit sexuels punis de dix ans d'emprisonnement, c'est-à-dire les agressions sexuelles aggravées.

Je me permets, au risque de prolonger les débats, de les énoncer de nouveau. Il s'agit des agressions sexuelles qui ont entraîné une blessure ou une lésion et qui sont commises : par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime ; par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ; avec usage ou menace d'une arme ; à raison de l'orientation sexuelle de la victime. Il existe une autre catégorie d'infractions sexuelles pour lesquelles le délai de prescription est de dix ans : ce sont les atteintes sexuelles aggravées sur les mineurs de quinze ans.

Voilà le champ d'application de la prescription de dix ans. Pour les autres infractions sexuelles, la prescription est de trois ans à compter de la majorité de la victime. L'Assemblée nationale a décidé de porter à vingt ans, pour les délits, et à trente ans, pour les crimes, la durée de la prescription en matière d'infractions sexuelles, à compter de la majorité.

L'intention est sans doute louable et elle est compréhensible au regard de ce que subissent certaines victimes. Néanmoins, en première comme en deuxième lecture, la commission s'est longuement interrogée sur cette question, prolongeant ainsi une réflexion qui s'était déjà engagée au sein de notre assemblée. Nous avions en effet refusé de multiplier les dérogations dans l'allongement des délais de prescription des crimes et des délits.

Le problème est de savoir si l'imprescriptibilité des infractions pénales en France est souhaitable. (M. Robert Badinter s'exclame.) Si tel est le cas, il faut le dire, mais cela mérite plus qu'une réflexion, cela nécessite un très large débat.

Je n'ai pas l'expérience de la plupart d'entre vous, mais je crois savoir que la position constante, en France, du législateur est de ne pas souhaiter une telle imprescriptibilité, sauf peut-être pour une ou deux situations particulières qui dépassent d'ailleurs le cadre des actes commis exclusivement sur le territoire français.

A partir du moment où nous refusons l'imprescriptibilité, il nous faut nous demander si, en France, les délais de prescription pour les crimes et pour les délits sont adaptés.

J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer - comme d'autres - sur le fait que l'allongement de la durée de vie, l'évolution des méthodes d'investigation et d'enquête, avec l'utilisation de nouvelles technologies, peut-être aussi l'attente de nos concitoyens, pouvaient nous conduire à modifier les délais de prescription sur les crimes et délits.

La commission des lois est allée assez loin sur le sujet et a suggéré que le délai général de prescription soit porté de dix ans à vingt ans pour les crimes et de trois ans à sept ans pour les délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement.

Nous devons poursuivre cette réflexion, à la faveur de la sollicitation de l'Assemblée nationale. Toutefois, en dépit de toute l'attention que nous devons aux victimes d'infractions particulières, je ne suis pas favorable à une dérogation supplémentaire qui pourrait entraîner des situations parfois inattendues dans la hiérarchie des sanctions pénales : ainsi, certaines atteintes sexuelles faisant l'objet de délais de prescription seraient plus sévèrement punies que le meurtre ou l'assassinat, par exemple.

Peut-être certains pensent-ils qu'il faut revoir la hiérarchie des infractions. Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu'il faille punir plus sévèrement les atteintes sexuelles que le meurtre ou l'assassinat. Cela pourrait entraîner des comportements curieux chez certains délinquants.

En l'état actuel de notre réflexion sur la modification des délais de prescription en matière de crimes et de délits - et je souhaite que M. le garde des sceaux nous apporte son soutien comme il l'avait fait en première lecture sur ce sujet - réflexion qui est encouragée au sein du Parlement mais également peut-être par le Gouvernement, nous pourrions revenir au texte proposé en première lecture et attendre - pas trop longtemps, je l'espère ! - que le délai général de prescription puisse être revu.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 191.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre amendement, dans sa lettre, est identique à celui que vient de présenter M. le rapporteur.

Celui-ci a rendu hommage, et je lui en suis reconnaissant - c'est suffisamment rare pour qu'on le souligne - au gouvernement précédent, qui a introduit une exception dans la loi en retardant de dix ans la prescription en matière d'infraction sexuelle. C'était une nouveauté, une exception, je le répète, et nous pouvons tous, en effet, la saluer. Son mérite est d'autant plus grand que, la notion de viol, telle qu'elle est définie par la loi, a également évolué. Il suffit désormais en effet de l'introduction de quoi que ce soit, aussi peu que ce soit, pour que le viol soit constitué, ce qui n'était pas le cas antérieurement.

Nous n'en sommes pas moins l'objet, les uns et les autres - pourquoi ne pas le reconnaître ? - d'un véritable lobbying. Tout citoyen a certes le droit d'adresser une demande à la représentation nationale. Mais nous recevons, les uns et les autres, un nombre de fax, de lettres, d'e-mails tout à fait impressionnant, émanant de femmes qui prétendent avoir été victimes et qui se plaignent de n'avoir pas eu le temps d'en prendre conscience et de porter plainte en temps utile, en des termes tellement juridiques que l'on s'étonne que ces femmes aient été si longtemps muettes. Je plaisante.

Mme Nicole Borvo. Il est des sujets sur lesquels il ne faut pas trop plaisanter !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour dire les choses clairement, nous avons affaire à un lobby qui envoie des lettres types préparées par des personnes qui ne sont pas forcément concernées directement.

On peut également penser qu'un certain nombre de femmes, ou d'hommes d'ailleurs - les femmes ne sont pas les seules à être victimes d'agressions sexuelles, c'est aussi souvent le cas d'enfants et de jeunes garçons - âgés de plus de vingt-huit ans au moment de la promulgation de la loi de 1999, n'ont pas eu, eux, la possibilité de porter plainte. C'est ainsi ! Les lois ne peuvent pas être rétroactives à l'infini. En revanche, ce n'est maintenant plus le cas : il est possible de porter plainte pendant dix ans après la majorité, et ce n'est pas rien.

Notons qu'on ne nous dit même pas combien de plaintes émanant de personnes, âgées de dix-huit à vingt-huit ans, ont été déposées depuis la nouvelle loi et quel sort leur a été réservé. Faudrait-il maintenant supprimer toute prescription pénale ? Je crains que, même avec l'apport de toutes vos nouvelles procédures, nos tribunaux ne puissent suffire à juger des infractions commises cinquante ou soixante ans plus tôt. Il faut bien qu'il y ait une limite. Il est vrai que des évolutions se produisent dans notre monde, bien entendu, mais nos anciens n'étaient pas idiots.

S'ils ont retenu - et depuis toujours - cette idée de prescription, c'est parce que les infractions troublent l'ordre public lorsqu'elles viennent de se produire, puis pendant un certain temps. Mais longtemps après, ce sont les poursuites, le rappel des faits oubliés, qui troubleraient l'ordre public. C'est pourquoi l'idée de prescription est depuis toujours inscrite dans notre droit.

Bien entendu, il existe une exception à ce principe : les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Est d'ailleurs très choquante la comparaison qui est parfois établie entre ceux-ci et les infractions sexuelles par les auteurs des courriels que nous recevons. En effet, s'il est normal d'avoir posé une telle exception pour des crimes d'une ampleur telle qu'ils ne peuvent s'effacer des mémoires, il ne faut pas les banaliser en les assimilant à quoi que ce soit d'autre.

J'ajoute que les auteurs d'infractions sexuelles sont souvent des malades, à tel point que nous sommes unanimes pour accepter l'idée de créer un fichier les recensant, même si nos opinions peuvent diverger sur les modalités de sa constitution et sur les possibilités pour les intéressés de demander à en être radiés, dans des conditions équitables. Dès lors qu'un tel fichier aura été mis en place, les victimes pourront être rassurées : les auteurs d'infractions sexuelles ne risqueront plus, en cas de récidive, d'échapper à la sanction. C'est déjà là une réponse aux personnes qui nous interpellent.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous estimons que, en l'état actuel des choses et en l'absence d'une réflexion complète sur l'ensemble des prescriptions, il n'y a pas lieu de maintenir le dispositif qui a été introduit à l'Assemblée nationale. Sur ce point, nous rejoignons tout à fait la commission des lois.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il me semble que le débat a déjà été suffisamment éclairant, aussi me bornerai-je à formuler deux remarques.

Tout d'abord, l'évolution des techniques d'enquête plaide en faveur de l'allongement des prescriptions.

En effet, l'un des éléments qui fondent la prescription est l'impossibilité, au-delà d'un certain temps, de démontrer l'existence de faits avérés. Dans ce cas, le jugement devient un traumatisme supplémentaire, car le tribunal, réduit à confronter des déclarations, ne peut trancher et la justice ne passe donc pas véritablement. Il y a là un vrai risque.

Or on a pu constater, dans un certain nombre d'affaires récentes, que, grâce au perfectionnement de certaines techniques, en particulier la constitution du fichier des empreintes génétiques, le temps produit désormais moins d'effets en termes d'effacement des preuves. Cela nous incitera sans doute, à l'avenir, à nous orienter plutôt vers une prolongation des délais de prescription.

Il est un second argument qui va dans le même sens, s'agissant des délits dont il est ici question : la nature de ceux-ci, leurs conséquences psychologiques pour la victime font que cette dernière peut se trouver durablement dans l'incapacité psychologique d'énoncer ce qui lui est arrivé. Là est le fond du problème ! Nous devons donc apporter une réponse à la question suivante : le délai de dix ans après la majorité est-il oui ou non suffisant pour permettre aux victimes de dire ce qu'il leur est arrivé et, éventuellement, de présenter des preuves matérielles au tribunal ? C'est aussi au regard de cette considération que l'Assemblée nationale a souhaité un allongement du délai de prescription.

Cela étant dit, j'indiquerai, pour répondre très directement à la question que M. le rapporteur m'a adressée, que porter de dix ans à trente ans après la majorité le délai de prescription ne me paraît guère raisonnable. Une telle proposition me semble excessive, la retenir constituerait un saut dans l'inconnu.

Quoi qu'il en soit, c'est une vraie question qui nous est posée. Personnellement, un certain allongement du délai de prescription ne me choquerait pas. Devant les positions très dissemblables arrêtées par l'Assemblée nationale et le Sénat en première lecture, je m'en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée sur les deux amendements identiques, mais il ne serait pas mauvais que les échanges en commission mixte paritaire permettent d'aboutir à une solution raisonnable, tendant à un certain allongement de la prescription, justifié par les raisons que j'ai évoquées, sans toutefois aller, peut-être, jusqu'à la durée retenue par l'Assemblée nationale lors de la deuxième lecture.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Sur cette question très sensible pour les victimes, je voudrais formuler un certain nombre d'observations.

Je fais miens les propos de M. le rapporteur concernant la nécessité de ne pas procéder, en matière de prescription, par retouches successives. En effet, une modification éventuelle du régime actuel de la prescription mérite une réflexion approfondie et doit faire l'objet d'un texte spécifique.

Cela étant, j'indiquerai, à l'adresse de nos collègues du groupe CRC, qu'il faut bien prendre la mesure de ce dont on parle.

Aujourd'hui, grâce à la loi votée en 1998, une personne ayant été victime de sévices sexuels durant son enfance a la possibilité de porter plainte pendant dix ans à compter de sa majorité.

Certes, on pourra invoquer la crainte révérencielle que peuvent ressentir ces personnes, mais il me semble qu'un tel sentiment ne correspond plus guère à l'état des mentalités. Quoi qu'il en soit, la législation actuelle permet de porter plainte jusqu'à l'âge de vingt-huit ans ; à cet âge, on est un adulte.

Je n'ignore pas, cependant, qu'une certaine pratique psychanalytique, en vigueur notamment aux Etats-Unis, vise, pour faciliter la guérison, à amener à la conscience le souvenir de sévices graves d'ordre sexuel qui auraient été subis dans la petite enfance, vers l'âge de trois ou quatre ans, mais refoulés à un degré tel qu'ils ne se manifesteraient plus, chez le patient, que par une souffrance sans cause identifiée. Il n'est alors pas du tout impossible que, parvenue au terme de ce lent processus, la personne concernée ait passé l'âge de vingt-huit ans.

Toutefois, je ne suis pas persuadé que, en matière de poursuites pénales, l'on puisse se fonder sur une pareille approche. Je veux quand même bien marquer que, si la proposition de l'Assemblée nationale devait être finalement retenue, on pourrait porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans ! S'agissant de faits pouvant remonter à la petite enfance, la justice aurait donc à connaître d'événements survenus quelquefois quarante-cinq années plus tôt !

Chacun d'entre nous mesure ce que deviendrait alors la démarche judiciaire. Il convient de rappeler, même si cela peut paraître inconvenant à cet instant, qu'il existe une présomption fondamentale d'innocence, sur laquelle repose toute procédure pénale.

Or tenter d'établir des faits qui seraient survenus quarante-cinq ans auparavant, ce n'est pas rien !

Certes, il y a la douleur des victimes, les souffrances subies et la possibilité de se constituer partie civile. Mais il existe aussi, nous le savons, de terribles règlements de comptes, qui amèneront par exemple un conjoint abandonné à affirmer que son enfant a été, dans le passé, victime de sévices infligés par l'autre parent. L'action publique va alors être déclenchée.

Par conséquent, porter à trente ans la prescription dans le cas qui nous occupe ouvrirait la voie à des saisines de justice impossibles à traiter compte tenu du temps écoulé, mais qui engendreront, pour la personne poursuivie, de profonds traumatismes. En effet, ce n'est pas rien que d'être accusé d'inceste sur la personne de son enfant ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.) Or bien des fois il est apparu que de telles accusations n'étaient pas fondées ; le souligner ne porte préjudice à personne.

Le dispositif actuel, qui permet d'agir pendant dix ans à compter de la majorité, me semble donc raisonnable. Que nous ayons à nous pencher, monsieur le garde des sceaux, sur l'ensemble de la question de la prescription au vu des progrès de la technique scientifique, je le conçois volontiers, mais ce n'est certainement pas à l'occasion de l'examen du présent texte que nous devons le faire.

De surcroît, au regard de l'action judiciaire, des exemples très différents montrent combien il est difficile d'apprécier la réalité des faits, de prouver quoi que ce soit lorsque les événements invoqués remontent à plusieurs décennies. Comme l'a très bien dit M. Michel Dreyfus-Schmidt, c'était d'ailleurs la première des raisons pour lesquelles il avait été décidé d'instituer la prescription au terme d'un certain délai.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo. On ne peut m'accuser, chers collègues du groupe socialiste, de vouloir que soient poursuivis jusqu'à leur mort tous les délinquants, quels qu'ils soient. Personnellement, je ne suis d'ailleurs pas favorable à la constitution d'un fichier des délinquants sexuels.

Certes, quelle horreur d'être accusé d'inceste par son enfant ! Mais quelle horreur aussi d'être victime d'un inceste de la part de son père ! En ce qui me concerne, n'étant pas aussi connue que vous, monsieur Dreyfus-Schmidt, je n'ai pas été inondée de fax ! (Sourires.) Cependant, je connais une jeune fille qui a été violée par son père, un homme à la profession et au statut social tout à fait honorables. A vingt-huit ans, après plusieurs tentatives de suicide, elle n'a toujours pas pu porter plainte, pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.

Je ne suis pas familière des théories de l'école psychanalytique américaine, mais j'estime qu'il faut quand même prendre en compte la réalité de la situation des enfants qui ont été victimes d'inceste.

A cet égard, je vous ai proposé, monsieur le ministre, de porter à vingt ans la prescription pour les crimes dont il s'agit ici. Je souhaite que vous étudiiez avec attention cette suggestion, car il ne me semble pas abusif de prévoir qu'une jeune femme ayant été victime d'un inceste dans son enfance pourra agir jusqu'à l'âge de trente-huit ans. (Mme Annie David applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 58 et 191.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l'article 24 A est supprimé.

Art. 24 A
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Art. 25 bis

Article 24

Après l'article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales, sont insérés deux articles L. 2211-2 et L. 2211-3 ainsi rédigés :

« Art. L. 2211-2. - Conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, le maire est tenu de signaler sans délai au procureur de la République les crimes ou les délits dont il acquiert la connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

« Le maire est avisé des suites données conformément aux dispositions de l'article 40-2 du même code.

« Le procureur de la République peut porter à la connaissance du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale toutes les mesures ou décisions de justice, civiles ou pénales, dont la communication paraît nécessaire à la mise en oeuvre d'actions de prévention, de suivi et de soutien, engagées ou coordonnées par l'autorité municipale ou intercommunale.

« Les dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal s'appliquent aux destinataires de cette information, sous réserve de l'exercice de la mission mentionnée à l'alinéa précédent.

« Art. L. 2211-3. - Les maires sont informés dans les meilleurs délais par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie des infractions causant un trouble grave à l'ordre public commises sur le territoire de leur commune, dans le respect des dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale. »

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 2211-3 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "dans les meilleurs délais" par les mots : "sans délai". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Il s'agit des conditions dans lesquelles le procureur de la République doit prévenir le maire des infractions causant un trouble à l'ordre public sur le territoire de sa commune.

L'Assemblée nationale a prévu que le maire devra être informé dans les meilleurs délais. Au fil de l'examen de ce projet de loi, l'Assemblée nationale a remplacé à de nombreuses reprises la mention : « sans délai » par les mots : « dans les meilleurs délais ». Or, en l'espèce, il convient à mon sens de prévoir sans hésitation que le procureur de la République devra prévenir le maire sans délai, puisque ce dernier est tenu, pour sa part, de dénoncer sans délai les infractions à l'article 40 du code pénal.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 24, modifié.

(L'article 24 est adopté.)

Art. 24
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Art. 26

Article 25 bis

I. - Après l'article 48 du code de procédure pénale, il est inséré une section 5 ainsi rédigée :

« Section 5

« Du bureau d'ordre national automatisé

des procédures judiciaires

« Art. 48-1. - Le bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires constitue une application automatisée, placée sous le contrôle d'un magistrat, contenant les informations nominatives relatives aux plaintes et dénonciations reçues par les procureurs de la République ou les juges d'instruction et aux suites qui leur ont été réservées, et qui est destinée à faciliter la gestion et le suivi des procédures judiciaires par les juridictions compétentes, l'information des victimes et la connaissance réciproque entre les juridictions des procédures concernant les mêmes faits ou mettant en cause les mêmes personnes, afin notamment d'éviter les doubles poursuites.

« Cette application a également pour objet l'exploitation des informations recueillies à des fins de recherches statistiques.

« Les données enregistrées dans le bureau d'ordre national automatisé portent notamment sur :

« 1° Les date, lieu et qualification juridique des faits ;

« 2° Lorsqu'ils sont connus, les nom, prénoms, date et lieu de naissance ou la raison sociale des personnes mises en cause et des victimes ;

« 3° Les informations relatives aux décisions sur l'action publique, au déroulement de l'instruction, à la procédure de jugement et aux modalités d'exécution des peines ;

« 4° Les informations relatives à la situation judiciaire, au cours de la procédure, de la personne mise en cause, poursuivie ou condamnée.

« Les informations contenues dans le bureau d'ordre national automatisé sont conservées, à compter de leur dernière mise à jour enregistrée, pendant une durée de dix ans ou, si elle est supérieure, pendant une durée égale au délai de la prescription de l'action publique ou, lorsqu'une condamnation a été prononcée, au délai de la prescription de la peine.

« Les informations relatives aux procédures suivies par chaque juridiction sont enregistrées sous la responsabilité, selon les cas, du procureur de la République, du juge d'instruction, du juge des enfants ou du juge de l'application des peines de la juridiction territorialement compétente, par les greffiers ou les personnes habilitées qui assistent ces magistrats.

« Ces informations sont directement accessibles, pour les nécessités liées au seul traitement des infractions ou des procédures dont ils sont saisis, par les procureurs de la République, les juges d'instruction, les juges des enfants et les juges de l'application des peines de l'ensemble des juridictions ainsi que leur greffier ou les personnes habilitées qui assistent ces magistrats.

« Elles sont également directement accessibles aux procureurs de la République et aux juges d'instruction des juridictions mentionnées aux articles 704, 706-2, 706-17, 706-75, 706-102 et 706-103 pour le traitement de l'ensemble des procédures susceptibles de relever de leur compétence territoriale élargie.

« Elles sont de même directement accessibles aux procureurs généraux pour le traitement des procédures dont sont saisies les cours d'appel et pour l'application des dispositions des articles 35 et 37.

« Sauf lorsqu'il s'agit de données non nominatives exploitées à des fins statistiques ou d'informations relevant de l'article 11-1, les informations figurant dans le bureau d'ordre national automatisé ne sont accessibles qu'aux autorités judiciaires. Lorsqu'elles concernent une enquête ou une instruction en cours, les dispositions de l'article 11 sont applicables.

« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine les modalités d'application du présent article et précise notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d'accès. »

II. - Non modifié. - (Adopté.)

Chapitre II

Dispositions relatives aux enquêtes

Section 1

Dispositions concernant le dépôt de plainte,

la durée ou l'objet des enquêtes

Art. 25 bis
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Art. 28

Article 26

I. - Non modifié.

II. - Le deuxième alinéa de l'article 53 du même code est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« A la suite de la constatation d'un crime ou d'un délit flagrant, l'enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours.

« Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l'enquête pour une durée maximale de huit jours. »

III. - Non modifié.

M. le président. L'amendement n° 192, présenté par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :

« Dans le dernier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour remplacer le deuxième alinéa de l'article 53 du code de procédure pénale, après les mots : "procureur de la République", insérer les mots : "par ordonnance motivée". »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce texte, qui nous réserve décidément beaucoup de surprises, prévoit que le flagrant délit ne sera plus le flagrant délit !

En effet, l'article 26 a pour objet de porter de huit jours à quinze jours la durée pendant laquelle peut se poursuivre une enquête de flagrance. Comme en matière de prescription, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? On va peut-être nous expliquer que, grâce aux progrès de la technique, les enquêtes de flagrance pourraient continuer pendant un mois, quarante-cinq jours, deux mois !

Nous ne sommes pas favorables à une telle évolution. Le flagrant délit est défini de la manière suivante : l'auteur des faits est poursuivi par la clameur publique. Dans ces conditions, une durée d'enquête de huit jours, c'est déjà beaucoup !

Quoi qu'il en soit, l'article 26 dispose que, en cas de crime ou de délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement, quel qu'il soit, le procureur pourra décider la prolongation de l'enquête pour une durée maximale de huit jours. A nos yeux, il convient au moins de prendre la précaution élémentaire de prévoir que le procureur de la République devra expliquer, par une ordonnance motivée, pourquoi il estime nécessaire une telle prolongation, qui doit rester exceptionnelle.

Tel est l'objet de notre amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. M. Michel Dreyfus-Schmidt nous propose de prévoir que l'enquête de flagrance ne puisse être prolongée que par ordonnance motivée du procureur.

Selon la commission, une telle procédure n'est pas adaptée à ce type de décision. Je rappelle que, aux termes de la rédaction initiale du projet de loi, était prévue une extension systématique de la durée de l'enquête de flagrance, mais que le Sénat, suivi, d'ailleurs, par l'Assemblée nationale, a souhaité qu'une décision en ce sens du procureur soit nécessaire.

La commission, estimant qu'il s'agit là d'un équilibre satisfaisant qu'il ne convient pas de modifier, émet un avis défavorable sur l'amendement n° 192.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 192.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 26.

(L'article 26 est adopté.)