PRÉSIDENCE DE M. Serge Vinçon

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, véritable richesse de notre pays, les territoires ruraux ont longtemps été négligés et laissés à l'abandon, si ce n'est en friches !

Victimes d'une politique d'aménagement du territoire sans concession, axée pendant plusieurs décennies sur l'urbanisation à tout crin, et source regrettable de blocages pour nombre d'initiatives locales, ces mêmes territoires ruraux reviennent au goût du jour, par leur vitalité affichée.

Forts de leurs fonctions agro-productive, résidentielle, touristique, récréative ou environnementale, ils s'affirment plus que jamais comme des acteurs d'avenir et de proximité pour notre nation.

Mes chers collègues, si l'expression « Paris et le désert français », lancée et popularisée par Jean-François Gravier en 1947, ne semble plus de mise de nos jours, le récent rapport de notre excellent collègue Jean François-Poncet, intitulé L'exception territoriale, un atout pour la France bat en brèche nombre d'idées reçues sur un monde rural qui, pour la première fois, fait l'objet d'un projet de loi spécifique, ce dont je me réjouis.

Tout d'abord, le monde rural a cessé d'être marqué par l'exode et le déclin de sa population. En effet, le renouveau démographique dont bénéficie la province ne s'arrête plus aux grandes agglomérations, mais profite également aux villes moyennes et aux régions les plus rurales où jeunes actifs et étrangers viennent désormais s'installer car ils recherchent - tous les sondages le prouvent - une qualité de vie que l'urbanisation ne leur offre pas.

Ensuite, si la campagne se repeuple, le rééquilibrage entre Paris, les métropoles provinciales et le reste du territoire demeure néanmoins très partiel, notamment en matière économique. Cela explique l'impérieuse nécessité de valoriser durablement les atouts et les spécificités de nos territoires et de jouer sur l'imbrication de plus en plus forte de la ville et de la campagne. En effet, plus d'un million d'habitants ont migré de la ville vers la campagne entre les deux derniers recensements.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, plusieurs volets de ce texte sont particulièrement attendus par les élus locaux. C'est la raison pour laquelle je considère qu'il est fondamental et je me réjouis qu'il soit aujourd'hui proposé.

Mais cette bonne volonté affichée doit se traduire dans les faits non seulement sur le plan budgétaire mais aussi par une série de mesures significatives d'accompagnement.

En ce qui concerne le plan budgétaire, bien que ce ne soit pas l'objet de ce projet de loi, je veux mettre l'accent sur l'urgence de combler l'écart insupportable des dotations de l'Etat, en particulier de DGF, entre les territoires des communes rurales et les zones urbaines. Tant que nous n'effectuerons pas les correctifs nécessaires, nous maintiendrons une injustice intolérable pour nos territoires ruraux, et l'ensemble des dispositions, certes positives, présentées dans ce texte ne seront que d'aimables mesures substitutives évitant de toucher le fond du problème.

Monsieur le ministre de l'agriculture, votre projet de loi, que je soutiens, traitant de l'ensemble des problématiques rurales telles que le maintien d'une agriculture performante et de qualité, le soutien à l'ensemble des services publics comme aux commerces de proximité, le maintien local de l'emploi, qui se traduisent par la création de zones de revitalisation rurales, est donc essentiel mais encore insuffisant.

C'est pourquoi j'attire votre attention et souhaite obtenir de votre part une réponse à cette interpellation concernant l'amélioration des finances locales en secteur rural.

Notre pays a fait le choix, respectable et indispensable, du maintien de ses 36 000 communes, particularité européenne, mais richesse indiscutable. Si elle a été un temps mise en danger par plusieurs gouvernements de gauche, c'est grâce à la vigilance du Sénat qu'un véritable équilibre a été trouvé entre les structures intercommunales et la richesse des communes qui les composent. C'est en effet d'abord vers elles que nos concitoyens se tournent très souvent et auprès d'elles que le lien de proximité et de solidarité se concrétise le mieux.

Aujourd'hui, notre espoir réside dans une série de mesures très attendues pour lutter activement contre la « décomposition territoriale » et pour redynamiser un monde rural longtemps sacrifié.

En effet, il apparaissait nécessaire de créer une dynamique dans nos campagnes les plus fragiles en appliquant les principes de solidarité.

J'approuve l'ensemble des propositions de cet important projet de loi et les nombreux amendements déposés par la commission des affaires économiques, dont je suis membre.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaite attirer personnellement votre attention, par voie d'amendements, sur certaines problématiques et améliorations législatives.

La première concerne un territoire qui m'est cher, la Vendée, où nous avons eu l'honneur de vous accueillir l'année dernière. II s'agit de la problématique complexe du « marais du Sud » communément appelé « marais poitevin ». Je défendrai trois amendements visant à la reconnaissance législative du travail mené de longue date par ses associations syndicales.

Comme vous le savez, cette zone humide en milieu rural n'est aucunement un lieu de désertification ; c'est une réelle entité économique au service de la préservation et de la conservation de ce joyau de l'ouest de la France. Nous devons en reconnaître la cohérence et soutenir activement l'engagement des acteurs locaux chargés de la gestion de ces zones humides en maintenant les syndicats de marais actifs et performants.

Je souhaite que vous preniez également en considération l'ensemble des amendements déposés par ma collègue Sylvie Desmarescaux et que j'ai cosignés. Tant dans le département du Nord qu'en Vendée, ils visent à améliorer concrètement l'activité et la responsabilité solidaire des groupements d'employeurs, en particulier agricoles, qui recrutent, par le biais d'associations à but non lucratif, des salariés mis à la disposition de leurs adhérents.

Par ailleurs, je soutiendrai les dispositions tendant à préserver la répartition équilibrée de la distribution du fioul domestique en soumettant la distribution de carburants à autorisation d'exploitation commerciale des commissions départementales d'équipement commercial, les CDEC.

Enfin, je souhaite que soit étudié avec une particulière attention l'amendement corédigé avec Patrice Gélard et mes deux collègues sénateurs vendéens visant à améliorer et à alléger la procédure déconcentrée des schémas de mise en valeur de la mer.

Pour conclure, il s'agit bien d'un texte aux atouts multiples dont la bonne volonté affichée en matière de développement durable doit se traduire dans les faits par un véritable accompagnement budgétaire.

Ne nous leurrons pas. Un développement rural durable passe à mes yeux par deux axes fondamentaux : d'une part, le respect des spécificités locales, tout particulièrement les activités agricoles et horticoles en zones périurbaines, et, d'autre part, la nécessaire mobilisation et la coordination des compétences au sein de bassins d'emplois. En effet, développer l'activité économique dans l'espace rural est capital.

Je tiens en cet instant à rendre hommage à la qualité du travail mené par nos éminents rapporteurs. Je soutiens activement l'idée cohérente d'un redécoupage des zones de revitalisation rurale, dispositif créé en 1995, en faveur des espaces en déclin démographique important. Ces zones sont aujourd'hui considérées comme inefficaces.

Par ailleurs, la complexification du droit du sol dans la gestion des espaces périurbains est évidente. C'est en nous donnant clairement pour objectif la maîtrise de la périurbanisation pour contrôler l'aménagement de ces zones que nous favoriserons durablement la revitalisation des grandes et moyennes agglomérations et l'installation à leurs abords.

Cela passe, entre autres choses, par des mesures importantes mais qui doivent être clairement financées, ainsi que le prévoit le projet de loi, telles que l'encouragement fiscal en vue de la rénovation du bâti ancien pour proposer plus de locations, qui font actuellement cruellement défaut à la campagne, et l'appui nécessaire donné aux établissements publics intercommunaux pour « mutualiser » les moyens des petites communes rurales dont les budgets sont trop souvent insuffisants face aux besoins et aux attentes de leurs administrés.

Pour finir, mes chers collègues, rappelons que la ruralité est une véritable chance pour la France.

Si au XXIe siècle le bonheur n'est plus tout à fait dans le pré (Sourires), c'est bien entre la « ville » et le « vert » que le coeur de nos concitoyens balance. Car, comme l'écrivait si bien l'académicien Jacques de Lacretelle, si la ville a une figure, la campagne, elle, possède bien une âme.

M. Jean-Pierre Sueur. Les gens de la ville ont aussi une âme !

M. Philippe Darniche. Contrairement à l'uniformisation et à la standardisation, sa nécessaire revitalisation conforte la défense d'un système de valeurs, des mentalités et des réseaux de solidarité qui font la force en France d'un mode de vie et d'une joie de vivre si enviés à l'étranger.

Pour toutes ces raisons, et en souhaitant que soient pris en compte par le Gouvernement les amendements que j'ai évoqués, je soutiendrai activement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France rurale d'aujourd'hui est loin de ressembler à celle d'hier, celle de nos racines terriennes, de l'authentique et des traditions paysannes, celle à laquelle on assigna au lendemain de la guerre la mission de nourrir le pays.

Si la France est le premier fournisseur de produits alimentaires à l'échelon européen, l'activité agricole cesse d'être prépondérante dans nos campagnes. Si, après avoir connu l'exode, les campagnes ont gagné en dix ans quelque 250 000 habitants, retrouvant même leur niveau de population de 1962, le monde rural passe progressivement sous dominante urbaine.

La DATAR distingue d'ailleurs désormais une campagne à trois visages : « les campagnes des villes », « les nouvelles campagnes » et « les campagnes les plus fragiles ». Cette terminologie cache des réalités bien différentes et difficiles à délimiter. Là, les conflits d'usage deviennent fréquents, les agriculteurs subissant de plein fouet la pression foncière et l'expansion démographique. Ici, s'agglutinent des gens d'horizons très divers et émergent des dynamiques qu'il faut encourager. Enfin, ailleurs, tout se meurt, s'en va, sent le vieux, laissant un sentiment d'abandon chez les habitants et d'impuissance chez les élus.

Une telle diversité du monde rural pose un véritable casse-tête. Certains sont tentés de mettre sous cloche les espaces naturels ou agricoles, notamment dans les périphéries des villes tentaculaires. D'autres estiment que l'extension urbaine, avec ses emplois à la clé et ses ressources en termes de fiscalité locale, est nécessaire et inéluctable. Le rôle d'une politique d'aménagement du territoire est de trouver le juste milieu entre ces deux objectifs apparemment contradictoires. Il est aussi et surtout de réduire la fracture de plus en plus profonde entre campagnes riches et campagnes pauvres par un effort particulier de solidarité envers ces dernières.

S'inscrivant dans cette politique, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, permettra-t-il de répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles attentes des territoires ruraux ? Leur donnera-t-il les outils et les moyens nécessaires à un développement économique, social et culturel équilibré ?

Ce texte a le mérite d'exister, et je salue au passage le considérable travail de préparation que vous avez effectué avec les autres ministres concernés. Il permet de relancer la politique de revitalisation rurale tombée en déshérence alors que la politique de redynamisation urbaine a connu un essor remarquable ces dernières années.

Malheureusement, ce projet de loi me paraît un peu touffu, décousu. Ses dispositions portent sur des aspects aussi divers que les exonérations fiscales en zones de revitalisation rurales, le mode de distribution du fioul domestique, les tarifs du service universel de télécommunications, la préservation du patrimoine bâti, le régime des terrains truffiers ou la chasse. On me dira certainement qu'il traduit d'une certaine manière le caractère hétéroclite de nos campagnes, mais nombre de mesures eussent sans doute mieux trouvé leur place dans des textes réglementaires.

Cela dit, ce projet de loi contient de nombreuses avancées. En premier lieu, il renforce le dispositif des zones de revitalisation rurale, qui avaient été réduites à leur plus simple expression par Dominique Voynet, ministre de l'environnement de Lionel Jospin. Il actualise les zonages, en prenant en compte les intercommunalités à fiscalité propre et en prévoyant des mesures financières et fiscales pour développer l'attractivité de ces territoires.

Ce dispositif devrait intéresser quelque 4,5 millions de personnes et profiter aux petites villes ou aux bourgs centres, qui étaient jusqu'à présent exclus des aides, notamment fiscales. Ce point me paraît particulièrement important. Les villes moyennes ou bourgs centres constituent des points d'ancrage pour la campagne environnante ; ils supportent aussi la charge financière de certains équipements collectifs sportifs, culturels ou d'enseignement, qui profitent à l'ensemble des populations avoisinantes.

Dans ma ville de Dole, par exemple, nous accueillons de nombreux enfants d'autres communes à la piscine, à l'école de musique et dans l'ensemble des équipements culturels et sportifs. C'est pourquoi il importe de donner à ces communes les moyens qui correspondent à leur rôle dans l'espace rural et à leurs charges, ce qui n'est pas tout à fait le cas des dotations actuelles.

La rédaction de l'article 1er soulève néanmoins quelques questions. Lorsque l'on parle de communes situées dans « une unité urbaine », qu'entend-on par cette dernière notion ? Est-ce l'entité au sens de l'INSEE, au sens économique, ou l'entité membre d'un EPCI ? Par ailleurs, on définit des effets de seuils - 31 ou 33 habitants au kilomètre carré - qui me semblent un peu rigides et pourraient laisser sur le bord de la route ou défavoriser certaines communes. Quel sera exactement le sort d'un bourg de 3 000 habitants entourés de 10 communes de 200 habitants, soit 2 000 habitants, ou celui des communes défavorisées situées dans des cantons et arrondissements exclus du zonage ? Ce n'est pas très clair, et c'est parfois injuste.

Il me paraît préférable que la loi se borne à fixer des principes pour laisser au pouvoir réglementaire la possibilité de faire évoluer certains critères en fonction des nécessités. A cet égard, je me réjouis des amendements que la commission des affaires économiques a déposés en ce sens.

Enfin, l'article 1er ter prévoit le remboursement des sommes non acquittées au titre des exonérations prévues en ZRR par l'entreprise qui cesse volontairement son activité pendant la période d'exonération ou les cinq années suivant la fin de celle-ci. Il est en effet nécessaire de ne pas créer d'effet d'aubaine, mais le terme « volontairement » mériterait d'être plus explicité.

Bien d'autres mesures du projet de loi méritent être soulignées. Concernant l'emploi, l'assouplissement du régime de la pluriactivité, le soutien aux groupements d'employeurs et le cumul plus facile d'un emploi public et d'un emploi privé vont incontestablement dans le bon sens.

S'agissant du patrimoine rural bâti qui contribue au développement des territoires ruraux, je me félicite des dispositions retenues en faveur du logement locatif et de la relance en milieu rural des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, quasiment gelées sous le gouvernement précédent.

L'accès aux services publics et à une offre de soins satisfaisante est également déterminant. Outre le renforcement des maisons de services publics, des aides financières et des mesures fiscales sont prévues pour favoriser l'installation des professionnels de santé en milieu rural, l'exercice en cabinets de groupe, ainsi que la constitution de pôles de soins.

Sur ce dernier point, gardons-nous néanmoins de transformer les médecins en chasseurs de primes. Plutôt que des bourses d'études ou des mannes diverses, je crois que l'augmentation du numerus clausus, la revalorisation spécifique des consultations et des visites à domicile en milieu rural, ainsi que la création d'indemnités kilométriques sont des solutions moins illusoires et plus valorisantes à long terme.

Le projet de loi prévoit encore des mesures intéressantes de soutien aux activités agricoles, mais il ne répond pas complètement aux inquiétudes profondes des agriculteurs quant à leur avenir, notamment dans la perspective de la mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole commune. Je regrette que le projet de loi de modernisation agricole que vous nous annoncez n'ait pu être intégré à celui-ci.

En conclusion, ce texte marque un changement, mais le groupe du RDSE estime qu'il ne constitue que la première pierre d'un édifice, comme nombre d'orateurs l'ont souligné avant moi, édifice dont la construction devra être poursuivie avec détermination. Nous resterons très attentifs, monsieur le ministre, aux débats à venir.

S'agissant notamment des finances locales, il faudra bien aborder un jour de manière concrète le problème de l'insuffisance des moyens octroyés à certaines collectivités et, plus généralement, celui de la péréquation.

Aucun financement n'est prévu dans ce projet de loi pour atteindre les objectifs définis pour les ZRR., et la plupart des mesures sont finalement à la charge des collectivités, pourtant a priori les plus pauvres.

M. Gilbert Barbier. Le groupe du RDSE a d'ailleurs déposé plusieurs amendements visant à pallier ces lacunes.

Nous serons également attentifs à un autre débat important, celui sur les travaux d'infrastructures, que défendra M. Gilles de Robien. Le développement des moyens de communications et de transports est évidemment capital pour l'attractivité d'un territoire. Il faudra prendre garde que les projets ne fassent pas décrocher un peu plus un certain nombre de zones. J'en veux pour preuve, par exemple, le tracé retenu pour la Branche Est du TGV Rhin-Rhône. En excluant le département du Jura, département rural par excellence, ce tracé ne retarde pas seulement l'accès à la capitale de plus d'une demi-heure, il lèse toute une population et ne prend pas en compte l'articulation des branches du TGV entre elles et la desserte du territoire. On ne peut soutenir d'un côté et spolier de l'autre.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais faire. Bien entendu, nous soutiendrons votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre d'entre vous, je viens d'un département et d'une région où la ruralité est une réalité vécue au quotidien et non un simple concept. Je rencontre très souvent des élus ruraux directement confrontés aux difficultés grandissantes de ces territoires, qui cumulent les handicaps pour leur développement. Je pense que nous partageons la même analyse quant à l'état des lieux : des mesures fortes et incitatives doivent être prises en faveur de la ruralité pour assurer son développement.

La très récente étude de la DATAR : «Quelle France rurale pour 2020 ?», a bien mis en exergue, à travers l'analyse de la situation actuelle, le fait que ces territoires ruraux avaient plusieurs fonctions, d'une part, et que trois France rurales cohabitaient, d'autre part.

En effet, les territoires ruraux semblent remplir quatre fonctions : premièrement, une fonction résidentielle, une dynamique démographique positive étant relevée dans une majorité d'espaces ruraux ; deuxièmement, une fonction productive, l'activité économique se développe et se diversifie, l'agriculture n'étant plus dominante ; troisièmement, une fonction récréative et touristique ; quatrièmement, une fonction de nature : la protection des ressources naturelles.

Par ailleurs, cette étude souligne qu'il existe non pas une, mais trois France rurales : tout d'abord, une campagne des villes, ce sont les zones périurbaines ; ensuite, une campagne fragile cumulant tous les handicaps - faible densité de population, monoactivité, évolution démographique négative -, enfin une campagne nouvelle, intermédiaire entre les deux précédentes.

Cette étude présente un grand intérêt au regard de l'objet du projet de loi que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui. Elle démontre que les territoires ruraux sont extrêmement divers et que, selon les cas, les enjeux auxquels ils sont soumis sont différents. Ces enjeux peuvent être liés soit à la compétition des fonctions, dans les zones périurbaines par exemple, avec des conflits entre l'agriculture et le résidentiel, soit à un déficit de fonctions dans les campagnes les plus fragiles, dont la seule fonction est en outre déclinante, soit enfin, dans les territoires intermédiaires, à l'équilibre à trouver entre différentes fonctions.

Légiférer en faveur des territoires ruraux sans tenir compte de cet état des lieux n'est pas logique et ne peut conduire qu'à l'adoption de mesures inappropriées et inefficaces. Je crains, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas tiré toutes les conclusions de cet état des lieux, ce que je vais tenter de vous démontrer.

La population rurale est inquiète et ressent un véritable sentiment d'abandon. Une certaine résignation s'est installée, fondée sur l'idée que les zones rurales sont progressivement vouées à se vider au profit des villes et à devenir des zones abandonnées, ce mouvement étant inexorable.

Votre projet de loi a suscité intérêt et espérance, comme un signal de la prise en compte de leurs réelles préoccupations. Je dois vous dire que la déception est à la hauteur de cette attente. Les résultats des élections locales de mars dernier devraient vous inciter à changer le cap adopté lors de la première lecture de ce projet de loi à l'Assemblée nationale en janvier dernier.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Bernard Piras. Vous avez réussi le tour de force de réunir dans le mécontentement les agriculteurs, les artisans, les médecins, les agents de la fonction publique, les élus, y compris ceux de votre majorité, et les habitants de ces territoires.

Or, face à ce constat partagé, vous ne proposez qu'un texte fourre-tout qui survole de nombreux domaines, en en oubliant étrangement certains, pourtant très concernés, tels le commerce et l'artisanat ou les autres utilisateurs de la nature, un texte qui ne contient pas vraiment de mesures phares.

La formule selon laquelle il s'agit de diverses dispositions techniques de gestion défensive des territoires ruraux sans soutien financier ni considération de cohésion sociale et de solidarité nationale me semble correspondre à la réalité.

En effet, comment ne pas relever le caractère extrêmement disparate et hétéroclite des mesures proposées et le flou inquiétant, singulièrement pour les finances locales, quant à leur financement ?

Comment ne pas regretter l'absence de stratégie globale pour la ruralité ?

Comment ne pas regretter que les propositions les plus intéressantes - il y en a quelques-unes, telles que les mesures techniques en faveur des pluriactifs et des travailleurs saisonniers ou la définition des espaces pastoraux - soient noyées dans un catalogue de mesures d'intérêt fort inégal ?

La lisibilité du texte a encore été amoindrie par l'ajout de diverses dispositions qu'il faut bien qualifier de clientélistes, par exemple en direction des vétérinaires et des chasseurs.

Monsieur le ministre, comme l'ont souligné certains membres de votre majorité, ce projet de loi ressemble plus à un étal de bricolage comportant des « mesurettes » dans des domaines aussi divers que les zones de revitalisation rurales, l'agriculture, l'emploi, la chasse, les services publics...

Vous-même, monsieur le ministre, vous avez qualifié ce texte de « boîte à outils ».

M. Jean-Pierre Plancade. Elle n'en contient pas beaucoup !

M. Bernard Piras. Mais, pour être opérationnelle, encore faut-il qu'une boîte à outils ne soit pas vide et contiennent des outils appropriés aux travaux à exécuter !

Autre preuve de l'inconsistance de ce projet de loi, les principaux domaines survolés, à savoir l'agriculture, les services publics et les dotations aux collectivités locales, feront l'objet dans les semaines et les mois prochains de textes particuliers, lesquels auront pour objet de régler ou du moins d'essayer de régler les difficultés que nous sommes amenés à aborder aujourd'hui.

Il est légitime de se demander ce qui justifie un tel déploiement de moyens médiatiques et d'annonces ronflantes. C'est, hélas ! une montagne qui n'accouchera que d'une souris !

Sur la forme, ce projet de loi n'est donc pas satisfaisant, et les moyens dégagés en faveur de l'objectif annoncé le sont encore moins.

Vous avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, que ce texte ne coûterait pas « un sou » à l'Etat.

M. Bernard Piras. Certes, l'efficacité d'une loi ne se mesure pas forcément à l'ampleur des crédits débloqués ; le sujet méritait néanmoins, au regard de son importance, un engagement plus important de l'Etat.

Votre texte est une coquille vide. On est proche de l'incantation, et je ne doute pas que les hommes et femmes des territoires ruraux s'en apercevront très vite.

M. Jean-Pierre Sueur. Malheureusement !

M. Bernard Piras. Plus grave encore, sur le plan des moyens, les quelques dispositions prises sont à la charge des collectivités locales.

M. Bernard Piras. Plusieurs élus locaux m'ont déjà fait part de leur vive inquiétude sur les nombreuses exonérations qui leur seront imposées par ce texte et qui ne seront pas compensées par l'Etat.

M. Jean-Pierre Plancade. C'est bien le problème !

M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, certains membres de votre majorité ont publiquement regretté que soient laissées à la charge des collectivités locales les moins riches les exonérations fiscales proposées.

C'est vrai, ce texte accorde un nouveau droit aux collectivités locales les plus pauvres : celui de payer, par dégrèvement d'impôts locaux non compensés par l'Etat, ce que les plus riches peuvent obtenir gratuitement parce que la densité assure la rentabilité.

C'est le même type de raisonnement qui a conduit à permettre aux communes dont les opérateurs en téléphonie ne veulent pas à devenir elles-mêmes opérateurs en faisant supporter la charge de leur réseau à leurs contribuables.

Ajoutez à cela l'esprit dans lequel le gouvernement actuel appréhende la décentralisation et vous comprendrez aisément que les campagnes grondent ! Elles gronderont de plus en plus, car, loin d'aider la ruralité, vous l'enfoncez, monsieur le ministre.

M. Hervé Gaymard, ministre. Oh !

M. Bernard Piras. Sur le contenu de ce texte, les autres orateurs de mon groupe reviendront plus en détail, mais je veux brièvement évoquer certains sujets qui démontrent indéniablement que vous n'avez pas pris conscience de la réalité.

Revenons à l'objectif annoncé : le développement des territoires ruraux pour contrecarrer l'évolution actuelle qui se fait dans le sens du déclin.

Pour que des personnes aient envie de rester dans les territoires ruraux ou de venir s'y installer, il faut qu'elles puissent y trouver les éléments structurants majeurs que sont l'emploi, les services publics, le logement et les moyens de communication.

En matière d'emploi, je sais que la tâche est difficile et que seule une démarche volontaire des pouvoirs publics peut être efficace. Mais pourquoi avoir rejeté l'idée d'instituer des zones franches rurales ? Pourquoi refuser au monde rural ce qui a été accordé aux villes ? De nombreux députés de votre majorité ont émis le souhait que cette question donne lieu à un véritable débat.

Les problèmes rencontrés dans les villes ont fait l'objet d'une politique volontariste, mais le texte relatif à la ruralité ne donne pas la même impulsion, monsieur le ministre.

Dans un souci d'équité et d'aménagement cohérent du territoire, il n'est pas admissible de s'attaquer aux problèmes des zones urbaines hypertrophiées et d'ignorer la désertification des zones rurales. Nos concitoyens tentés par un retour à la vie rurale sont en nombre croissant. Si les moyens leur sont donnés, à n'en pas douter le mouvement de désertification rurale s'inversera.

Le deuxième sujet que je veux aborder est le service public. Je suis certain en effet, monsieur le ministre, que, sur ce sujet, vous n'avez pas pris conscience du problème et que votre démarche va à l'encontre des objectifs annoncés.

Je reçois chaque semaine des requêtes d'élus locaux qui ne comprennent pas pourquoi, d'un côté, on leur affirme que la ruralité doit bénéficier d'un développement alors que, de l'autre, on leur retire un à un tous les services publics.

Le maintien d'un maillage de services publics de qualité est un élément déterminant d'une ruralité vivante et constitue le gage de l'équité territoriale dont l'Etat doit être le garant.

M. Gérard Le Cam. C'est vrai !

M. Bernard Piras. Si les collectivités locales sont prêtes à se mobiliser, et elles le font depuis longtemps déjà, elles ne souhaitent pas se substituer à l'Etat. Confier la gestion du service public aux communes, c'est rompre l'égalité en faisant payer deux fois les bénéficiaires.

M. Gérard Le Cam. Très juste !

M. Bernard Piras. Je ne suis pas sûr que la notion de service au public, qui tend en fait à privatiser le service en le confiant à des personnes privées, soit la meilleure solution. Confier un service à un commerçant, par exemple, c'est à court terme transformer ce service en bien marchand.

Et que dire des services publics, tels que les hôpitaux ruraux, qui sont tout simplement supprimés sans pouvoir être transférés à un tiers ? Comment persuader une personne à qui l'on apprend que, pour toute urgence médicale, elle devra se rendre à plus d'une heure de chez elle de s'installer dans un territoire rural ?

Nous avons bien compris que la philosophie libérale qui anime le gouvernement actuel le conduit à se délester de nombreuses charges qu'il estime ne pas être de sa compétence afin de se cantonner à ses missions régaliennes. Or, même pour les adeptes de cette doctrine, un service public accessible à tous dans les mêmes conditions fait partie du service minimum qu'un Etat régalien doit pouvoir assumer.

En matière de logement, troisième élément structurant, l'offre s'avère largement insuffisante, ce qui contrarie nombre de projets. Les élus locaux, qui connaissent le mieux les besoins et les potentialités, sont prêts à jouer le jeu et à favoriser l'émergence de logements, notamment sociaux, pourvu qu'on leur en donne les moyens.

Favoriser la rénovation du patrimoine bâti et développer l'habitat collectif dans les territoires ruraux doivent devenir des priorités. Or ces priorités ne sont pas assez prises en compte par votre texte.

Lorsque l'on examine les cartes de la DATAR, on constate que les zones rurales les plus frappées par le déclin démographique et économique sont celles qui sont le plus enclavées. ?uvrer pour le développement des territoires ruraux, c'est lutter ardemment contre l'enclavement.

Il ne faut pas se leurrer, monsieur le ministre : le texte que vous nous proposez permettra peut-être de régler un certain nombre de problèmes techniques, mais il serait incongru de prétendre qu'il a pour ambition de garantir le développement des territoires ruraux comme son titre l'indique. « Projet de loi portant diverses dispositions relatives aux territoires ruraux » aurait sans doute été un intitulé plus approprié.

Outre le fait qu'il est moins ambitieux qu'il n'y paraît, le texte qui nous est soumis cumule les défauts : il est incomplet, injuste et - l'avenir le prouvera - inefficace.

Les véritables décisions relatives aux territoires ruraux ne sont pas contenues dans les nombreux articles du présent projet de loi. Les véritables décisions, ce sont les coupes claires que vous effectuez par ailleurs : réduction drastique du FNDAE, le fonds national pour le développement des adductions d'eau ; baisse de la participation de l'Etat au budget des parcs naturels régionaux ; réduction de la dotation globale de fonctionnement pour les communautés de communes rurales ; remise en cause d'infrastructures routières et ferroviaires.

Je conclurai en revenant sur l'étude de la DATAR sur la France rurale en 2020.

Cette étude soulève une question qui me semble cruciale : la France rurale aura-t-elle les ressorts propres à son développement ou est-elle condamnée à servir d'annexe aux villes pour leur apporter ce qui leur fait défaut, à savoir des espaces résidentiels, des lieux d'implantation industrielle, des sites environnementaux ou encore des sites de stockage des déchets urbains ?

Le second scénario, fondé sur la dépendance, n'est évidemment pas acceptable : il cumule tous les inconvénients, qu'ils soient d'ordre sociologique, économique, écologique, etc.

Parmi les propositions des auteurs de cette étude, j'en ai relevé plusieurs qui me paraissent essentielles mais qui n'ont pourtant pas été retenues dans le projet de loi.

En premier lieu, il faut donner aux territoires ruraux les moyens de se développer par eux-mêmes, sans plus demeurer dépendants des villes

En second lieu, le « désir de campagne » manifesté par un nombre croissant de nos concitoyens peut constituer un phénomène structurant et pérenne, la réalisation d'une telle aspiration pouvant avoir un effet d'amorce sur l'ensemble de l'économie rurale, notamment sur le besoin de services aux personnes, de commerces, etc. C'est particulièrement vrai s'agissant des retraités, de plus en plus nombreux.

En troisième lieu, une nouvelle politique de développement durable suppose une forte volonté reposant en partie sur le soutien de l'Etat pour aider les espaces ruraux les plus défavorisés en termes d'habitat, d'accessibilité, de développement économique et de services aux populations, la solidarité étant incontournable dans ce domaine.

M. Bernard Piras. Ce projet de loi ne répond pas à cette attente. Au cours de la discussion, mon groupe présentera des amendements pour améliorer les aspects techniques abordés, mais je regrette que ce projet de loi soit une nouvelle occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, annoncé depuis de nombreux mois, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux a suscité beaucoup d'espoirs parmi les acteurs de la ruralité.

Après avoir subi l'exode massif des années soixante, le monde rural a en effet maintes fois eu le sentiment d'être l'oublié de l'aménagement du territoire, voire la victime de mesures prises au niveau national et souvent mieux adaptées au monde urbain qu'au monde rural.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit, c'est vrai, plusieurs mesures pouvant redonner confiance au monde rural. Je citerai les dispositions relatives à la montagne, qui ont fait l'objet d'une importante concertation avec les différents acteurs de ce milieu si spécifique, ou encore les dispositions relatives à l'accès aux services publics ou en faveur des zones de revitalisation rurale.

Mais, pour intéressantes que soient certaines des dispositions proposées qui créent de nouveaux « outils », comme vous l'avez vous-même dit, monsieur le ministre de l'agriculture, pour tenter d'enrayer le déclin économique des zones les plus fragiles ou pour faciliter la gestion de certains espaces sensibles, il n'en demeure pas moins vrai que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui ressemble plus à un catalogue de mesures sectorielles et disparates qu'à un véritable projet d'aménagement du territoire.

En précisant la définition du « chien en état de divagation » ou en réglementant le « transport de bois rond », le texte complète peut-être utilement, je n'en disconviens pas, le code rural ou le code forestier ; mais quelle perspective de développement offre-t-il aux territoires ruraux ? Les vraies questions sont-elles abordées ?

Que voulons-nous que soit demain le monde rural ? Voulons-nous un espace vide où l'on s'efforce de maintenir artificiellement - à coup de cadeaux fiscaux - les services publics et les commerces malgré l'absence d'une population suffisante pour les faire vivre ? Ou voulons-nous un espace qui revit parce que l'on aura su conforter l'attractivité des petites villes et des bourgs ruraux qui maillent le territoire et qui sont les seuls endroits où l'on peut encore, avec de réelles chances de succès, maintenir voire développer les services publics et privés qui permettent de faire vivre tout un territoire ?

Il faut cesser de laisser croire que l'on peut aujourd'hui assurer les mêmes services qu'hier dans chacune des 36 000 communes de France, mais il faut aussi cesser de légiférer en permanence comme si la loi ne s'appliquait qu'au secteur urbain.

Il est d'ailleurs facile de multiplier les exemples de décisions prises depuis des années au niveau national et qui, ne tenant pas compte des spécificités du monde rural, lui causent plus de torts que de bien.

Lorsque le législateur a créé, en 1996, une allocation de vétérance au profit des anciens pompiers volontaires, de nombreuses petites communes n'ont pu faire face à cette nouvelle charge financière et se sont vu contraintes de supprimer leur corps de pompiers. Est-ce un progrès pour la vie en milieu rural ? Je n'en suis pas certain.

Lorsqu'un texte réglementaire a imposé, il y a deux ans, aux directeurs des centres de loisirs sans hébergement d'être titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions de directeur, et non plus seulement du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, quelle que soit d'ailleurs l'importance de la commune, on a alors tout simplement fait disparaître des centres de loisirs en milieu rural, faute de trouver les animateurs en possession du bon brevet.

Lorsqu'on a exigé l'obtention préalable d'un concours de la fonction publique territoriale pour accéder aux postes d'agent de service des écoles maternelles, on a alors fermé la porte d'accès à cette fonction à des mères de famille du village qui auparavant trouvaient ainsi un emploi sur place.

Lorsque l'on a renforcé sans nuance, en 2001, les normes de sécurité applicables aux établissements recevant du public, une halte-garderie située dans un village de mon canton a été fermée, faute pour la commune de pouvoir assumer financièrement le coût des mises aux normes.

Et que dire du nouveau code des marchés publics qui, en imposant le principe de mise en concurrence et de publicité pour toute acquisition ou aménagement, quel que soit son montant, contraint les petites communes soit à se mettre dans l'illégalité, soit à retarder, voire tout simplement à stopper, la mise en oeuvre de certains de leurs projets, faute de disposer des moyens financiers, juridiques et techniques nécessaires au respect du code ?

Et qu'adviendra-t-il de nos campagnes si la future charte de l'environnement est inscrite dans la Constitution ? Elle rendra tout simplement impossible, dans certains cas, l'installation en milieu rural de certaines industries, notamment des industries agro-alimentaires qui créent quelques nuisances : je suis bien placé pour le savoir puisque tel est le cas dans ma région. Nous obtiendrons sans doute, avec de telles mesures, un environnement de rêve, mais hélas ! sans travail ni valeur ajoutée...

Je m'arrête là, mais je pourrais multiplier les exemples : vous en avez tous, j'en suis sûr, un certain nombre en tête. !

Cessons donc de vouloir légiférer en permanence et sur tous les sujets !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est le cas de le dire !

M. Yves Détraigne. Nous ne faisons, bien souvent, que créer des contraintes nouvelles auxquelles le monde rural n'est pas en mesure de faire face et qui lui font plus de tort que de bien. Et je crains fort que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux n'évite pas toujours cet écueil !

Au contraire, redonnons espoir à ce monde rural autrement que par des mesures sectorielles, proposons-lui une véritable vision pour l'avenir, qui soit de nature à mobiliser tous les acteurs de la ruralité !

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, hélas ! ne le fait pas, malgré son titre. Espérons, messieurs les ministres, que les véritables questions qui se posent pour l'avenir des territoires ruraux soient soulevées lors de la préparation de la future loi d'orientation agricole, et qu'il y soit répondu en offrant, enfin, au monde rural un véritable projet mobilisateur pour demain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Gérard Le Cam. Belle critique : c'est intéressant !

M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.

M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi ne pouvait répondre ni à toutes les questions du monde rural ni à toutes les problématiques de l'aménagement du territoire -vous-même l'avez dit, monsieur le ministre -, et les interventions de nos collègues sur sa diversité l'auraient prouvé si besoin en était.

Vous nous avez indiqué que ce projet de loi s'articulait avec d'autres textes récents ou en cours d'élaboration, notamment un projet de loi de modernisation agricole qui viendrait compléter certaines des dispositions de ce texte, tirer les conséquences de la récente réforme de la politique agricole commune, et qui est - n'en doutons pas - très attendu.

C'est dans ce contexte favorable d'évolution que nous prenons ce projet de loi tel qu'il vient, visant à faciliter la vie dans les territoires ruraux et à améliorer les services offerts à leur population. Je suis donc très favorable à ce projet de loi qui mettra « en ligne » les politiques conduites en faveur du monde rural en les améliorant, et je voudrais, ici, saluer le remarquable et difficile travail de nos rapporteurs.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Merci !

M. Ambroise Dupont. Au-delà de ces impressions, j'aimerais m'arrêter brièvement sur certains points particuliers qui, entre autres, me semblent mériter l'attention.

Votre projet de loi, messieurs les ministres, revoient le dispositif des zones de revitalisation rurale, créé par la loi Pasqua de 1995, en faveur des parties les plus fragiles des espaces ruraux. C'était une belle initiative - rappelons-le - venue corriger des inégalités flagrantes sur notre territoire. Chacun s'en souvient, l'instauration des ZRR avait suscité l'espoir de nos communes. Toutefois, cet enthousiasme est souvent retombé du fait de complications administratives, de critères trop restrictifs et d'un manque de moyens.

Il est très préjudiciable pour une politique publique de faire naître des espoirs et de les décevoir. Les élus ruraux attendent donc de votre nouveau dispositif une plus grande souplesse dans son ensemble, une durée suffisante et des moyens afin que ce dernier atteigne ses objectifs.

Je me réjouis de la part que les ZRR tiennent dans votre texte.

En matière d'urbanisme, je voudrais rappeler les difficultés que nous rencontrons dans la mise en application de la PVR, la participation pour voirie et réseaux : j'ai eu l'occasion de les évoquer dans un certain nombre d'interventions. Certaines constructions d'intérêt architectural réel ne peuvent être réhabilitées ou transformées car elles se situent en dehors du champ d'application possible de la PVR. Comment, en effet, partager la participation au raccordement des réseaux lorsque le demandeur est le seul bénéficiaire ?

Je pense que votre texte, dont c'est la philosophie, devrait régler ce problème d'une charge trop lourde pour de petites communes. Il permettrait ainsi de sauver un patrimoine réel, de l'adapter et de développer le milieu rural.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Ambroise Dupont. Vous connaissez mon intérêt pour le monde du cheval, dont les diverses activités jouent un rôle dynamique dans l'économie et l'emploi des zones rurales. Je suis tout à fait sensible, monsieur le ministre de l'agriculture, aux efforts que vous-même et les services de votre ministère avez déployés afin de mettre en oeuvre une politique ambitieuse en faveur de la filière équine française.

Cette politique ambitieuse, annoncée en juillet 2003, que vous avez conduite avec vos collègues Jean-François Lamour et Alain Lambert - je tiens à les saluer ici pour leur rôle actif dans ce dossier -, voit dans ce projet de loi l'une de ses traductions concrètes : l'harmonisation du statut agricole pour l'ensemble des activités équines, à l'exception de celles du spectacle.

Je rappelle au passage que la commission des finances du Sénat, comme l'a également indiqué Joël Bourdin, avait anticipé ce texte dès le projet de loi de finances pour 2004 en faisant basculer ces activités dans le régime des bénéfices agricoles.

Je saisis également l'occasion de ce débat pour évoquer la situation des entreprises du paysage qui sont affiliées aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics, alors que leurs prestations principales revêtent un caractère agricole.

Nos travaux auraient pu permettre de proposer des modifications du régime actuel, mais la mesure semble relever du domaine réglementaire. Lors des discussions devant l'Assemblée nationale, vous aviez indiqué, monsieur le ministre, que le décret serait pris rapidement. Ne voyant rien venir, nombreuses sont les entreprises qui s'inquiètent de la prolongation de leur affiliation aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics. J'aimerais que vous nous précisiez les choses.

S'agissant du Conservatoire du littoral, cet établissement public, créé par la loi du 10 juillet 1975, a vocation à mener une politique foncière de sauvegarde de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique.

Personne ne peut nier qu'il revêt donc un rôle capital dans la préservation du patrimoine littoral menacé par toutes sortes de convoitises, et je voudrais dire ici qu'il réussit dans sa mission.

Aussi attaché à la sauvegarde du littoral que l'on soit, il faut pourtant admettre que la mission du Conservatoire du littoral n'est pas d'acheter l'ensemble de la France, mais plutôt des sites soigneusement sélectionnés sur lesquels s'applique une politique cohérente. Ces achats mobilisent des ressources financières très importantes et, par conséquent, difficiles à obtenir, compte tenu des sommes nécessaires à la réalisation des opérations foncières.

C'est pourquoi les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, prévoyant une possibilité d'extension de son intervention dans les zones humides des départements côtiers, ainsi que sur les départements limitrophes, semblent, de l'avis de tous, plus équilibrées que le projet de loi initial. Elles ne doivent cependant pas faire oublier le problème de l'adéquation des moyens aux missions. De plus, à notre sens, les interventions dans les départements limitrophes devront demeurer exceptionnelles.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Tout à fait !

M. Ambroise Dupont. S'agissant de la création d'un « Conseil national du littoral », dont la composition et les compétences sont largement calquées sur celle du «Conseil national de la montagne », je m'interroge.

En effet, si ce conseil paraît « séduisant » au vu de ses attributions, l'instauration d'une telle instance correspond-t-elle à une nécessité ?

Nous connaissons la propension française à créer des comités, commissions et autres conseils n'améliorant souvent en rien les dispositifs existants, parfois même compliquant les choses.

La création du « Conseil national du littoral » devra donc représenter un « plus » par rapport aux outils actuels. Il lui faudra - je crois que c'est son rôle - rappeler la doctrine, le souci de l'Etat et les grands principes. Nous avons peu de grands principes, il faut les défendre et je ne voudrais pas, en effet, dans ce domaine du littoral, voir les dérogations successives leur enlever leur force.

Les territoires ruraux subissent aujourd'hui de fortes mutations : urbanisation croissante, inflation du prix des terres, diminution du nombre d'agriculteurs...

Dans ce contexte, les SAFER jouent un rôle extrêmement important dans la préservation et l'aménagement des zones rurales, en partenariat avec les collectivités territoriales.

Afin de mieux gérer l'espace, le droit de préemption des SAFER pourrait être étendu à l'ensemble des territoires ruraux pour la réalisation de projets de développement local.

Plus précisément, il faudrait faire bénéficier les communes rurales de l'attribution d'un bien acquis par préemption par la SAFER, ce qui est aujourd'hui possible pour les seuls biens acquis amiablement par la SAFER, les SAFER devenant concurrentes des établissements publics d'aménagement foncier, alors que, me semble-t-il, vous souhaitez donner le choix aux collectivités de leur opérateur foncier.

Enfin, il me semble que, de façon générale, le présent texte de loi ne laisse pas suffisamment de place à la problématique des paysages.

En signant et en prévoyant de ratifier la convention européenne du paysage, notre pays a montré son intérêt pour la prise en compte de la dimension paysagère dans les politiques nationales.

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux pourrait être l'occasion de traduire cet engagement, et je ferai quelques propositions à ce sujet.

Pardonnez, messieurs les ministres, le caractère un peu « zappeur » de mon propos.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Le texte l'est aussi !

M. Ambroise Dupont. La nature « composite » du projet de loi, pour reprendre le qualificatif de M. le ministre, s'y prêtait.

Le fond reste l'essentiel. Pour faire vivre le monde rural, votre texte ambitionne d'offrir des outils mieux adaptés. Ils rendront de grands services.

Ce projet de loi a un mérite : faire reconnaître le monde rural. Nous ne pouvons que nous en réjouir et vous soutenir dans votre volonté de l'aider à tenir sa place dans l'aménagement humain, social et économique de notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « La montagne est une partie essentielle du pays dont il faut assurer la continuité avec le reste du territoire national. » Tels sont les propos du rapporteur Francis Saint-Léger lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale.

Je me réjouis de cette reconnaissance, tout en regrettant qu'elle ne soit pas mieux concrétisée dans le présent texte qui reste très frileux quant aux moyens qui lui sont accordés comme l'a déjà dénoncé mon ami Gérard Le Cam. Et les gels de crédits récemment annoncés ne vont rien arranger...

Bien sûr, le passage à l'Assemblée nationale a permis d'enrichir quelque peu votre texte sur la partie « montagne », puisque quatre articles étaient, initialement, consacrés à ce sujet ! Mais, par rapport aux attentes, concrétisées par la richesse de la proposition de loi déposée l'été dernier par les élus de l'ANEM, le bilan est somme toute mitigé, d'autant que la commission des affaires économiques du Sénat, par plusieurs amendements, revient sur les quelques avancées obtenues par les députés.

Toutefois, malgré les amendements de M. Emorine, les objectifs généraux de la politique de la montagne restent inscrits dans le texte et font apparaître de façon emblématique la notion de « développement équitable et durable », pour reprendre une partie de l'article 62.

Quant à la reconnaissance de sa spécificité par la mise en oeuvre des politiques de massifs, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas suivi les propositions des élus de nos massifs, celles inscrites dans le texte de loi dont je vous parlais il y a un instant, et celles déposées à l'Assemblée nationale.

En effet, bien peu d'amendements déposés par les députés de l'ANEM ont été retenus, les amendements ayant des incidences financières n'obtenant pas l'aval du ministère des finances, et ceux affirmant la spécificité montagne étant repoussés d'un revers de manche !

Par ailleurs, les quelques mesures obtenues accordent des possibilités d'intervention nouvelles aux collectivités, mais ne sont pas compensées par l'Etat. Ce ne sont pas celles que j'aurais privilégiées.

Quelques avancées concernent les saisonniers, elles seront les bienvenues pour ces salariés dont une partie en tout cas, les « non locaux », éprouve de grandes difficultés à faire respecter ses droits les plus élémentaires du travail.

Le pastoralisme est à peine abordé, et la formation des bergers totalement ignorée. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements à ce sujet. Mais je ne vais pas vous dresser une liste exhaustive des points négatifs ou positifs du texte : nous en débattrons tout au long de cette discussion...

Toujours est-il que la prise en compte des réalités du terrain, et surtout de leur diversité d'un territoire à l'autre, a du mal à se matérialiser. Pourtant, les enjeux liés à ces territoires, qu'il s'agisse des zones de revitalisation rurale ou des territoires de montagne, sont loin d'être négligeables, notamment du point de vue de leur patrimoine naturel.

Alors même que s'inscrit dans ce projet de loi la notion de développement équitable et durable, il serait logique que la qualité des espaces naturels et la densité de population constituent des critères de base pour l'affectation des dotations aux collectivités et que le concept de « spécificité montagne » soit enfin reconnu !

Dès à présent, le « massif » doit se positionner sur le plan européen, et je ne partage pas l'analyse de la commission des affaires économiques à ce sujet. Je ne voterai donc pas l'amendement que nous soumettra M. Emorine au cours de la discussion des articles. Je regrette même qu'il revienne sur le texte adopté à l'Assemblée nationale.

Enfin, le Conseil national de la montagne est appelé à jouer un rôle important et nouveau, de par la reconnaissance des objectifs généraux de la politique de la montagne inscrite dans ce texte, notamment pour le « développement équitable et durable ». Pourquoi alors ne pas avoir donné la possibilité aux acteurs locaux de la vie de nos massifs de réellement prendre en main leur destinée ?

Par ailleurs, monsieur le ministre - mais ce point fera l'objet d'un autre texte -, la réflexion en cours sur la taxe professionnelle ne fait qu'ajouter aux inquiétudes des élus locaux, qui constatent déjà le désengagement de l'Etat s'agissant de certaines compensations fiscales acquises auparavant.

J'en reviens à la proposition de loi de modernisation et de renouvellement de la politique de la montagne et de revitalisation rurale déposée par les sénateurs de nos massifs, dont moi-même. Cette proposition de loi avait pour objet, en cohérence avec la philosophie définie de façon unanime en 1985 par les deux assemblées, le renforcement des responsabilités et de la capacité des populations, collectivités et organisations de montagne, à prendre en main leur destin, cette nouvelle capacité devant être mise au service d'un développement équitable et durable de la montagne.

Monsieur le ministre de l'agriculture, vous qui êtes un élu de nos massifs, pourquoi n'avoir pas mis en discussion cette proposition de loi, en y apportant vos amendements ? Pourquoi avoir préféré la noyer au sein du présent texte ? Aujourd'hui, la loi montagne existe, mais elle ne donne plus entièrement satisfaction. Vous avez manqué l'occasion qui vous était donnée de la moderniser, de reconnaître cette spécificité que nous demandons en toute légitimité.

Ainsi, je m'attacherai, pendant la discussion de ce texte, à faire valoir cette spécificité montagne, à mettre en avant l'enjeu de la diversification des activités de nos massifs, qu'elles soient économiques ou touristiques, environnementales, culturelles, sociales, sanitaires, au-delà de l'urbanisation à outrance.

Je vous dirai aussi comment nos forêts de montagne ne sont pas « rentables » d'un point de vue strictement économique, mais combien elles sont indispensables à nos concitoyens et à nos villes, comment les communes stations de moyenne montagne ont besoin du soutien des grandes agglomérations, car elles subissent un surcoût d'aménagement qui profite à toutes nos collectivités.

Je vous parlerai encore du rôle citoyen important que jouent nos territoires par les classes vertes, les classes de découverte, l'aménagement durable et équitable de notre pays, du rôle primordial des éleveurs et de leurs troupeaux dans nos alpages, de la difficulté de vie des saisonniers et, enfin, de la particularité pour les montagnards de vivre dans nos massifs, dès lors qu'ils sont confrontés à la désertification des services publics, notamment ceux de l'éducation nationale !

Finalement, messieurs les ministres, ce texte est habillé de belles promesses, mais il est dépouillé des moyens nécessaires ! Il doit dès à présent être étayé par une volonté politique indéfectible, par des ressources appropriées et des mesures durables ! C'est dans ce sens que vont nos amendements.

Le concept de développement durable et équitable ne doit pas seulement être inscrit, même de façon emblématique, dans votre texte ; il doit maintenant être mis en oeuvre.

Et votre « boîte à outils » - qui se doit d'être pragmatique et pratique, nous avez-vous dit, monsieur le ministre -, doit à cet effet contenir des outils performants et correspondant aux besoins. Encore faut-il que ceux qui auront à l'utiliser, c'est-à-dire les acteurs locaux du développement de nos territoires, tant ruraux que montagneux, en aient le mode d'emploi.

Ne pouvant développer davantage mon propos dans le cadre de cette discussion générale, j'en resterai là, en vous assurant néanmoins de ma vigilance durant la discussion des articles quant à la prise en compte de la spécificité de nos territoires de montagne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, votre texte est très attendu. Il fait naître beaucoup d'espoirs : il doit, entre autres, apporter des réponses pratiques à l'évolution des services publics, l'attractivité économique, les problèmes fonciers, mais, plus que cela, il doit permettre de gérer au mieux l'ensemble du territoire français et ses ressources humaines en donnant à la ruralité sa vraie place.

Les zones rurales doivent être un atout pour notre pays. Développer les territoires ruraux, c'est choisir l'aménagement du territoire, réduire l'entassement de la population et les temps de transports qui génèrent insécurité, mal-être, tensions dans les zones urbaines. C'est aussi faire un choix économique à moyen et à long terme pour la nation, en donnant toute leur place aux zones rurales dans l'économie nationale, plutôt que de développer, toujours et encore, des infrastructures très coûteuses dans des zones urbaines déjà saturées.

Les Français ne s'y trompent d'ailleurs pas. A la question suivante : « D'après vous, quel sera le mode de vie le plus moderne en 2010 ? », 48% répondent : « vivre à la campagne », 25%, « vivre dans un cadre périurbain » et 23%, « vivre en ville » !

La question est donc de savoir si le projet de loi que vous nous proposez permet de mettre en place les outils de cette nouvelle modernité rurale. Les zones rurales ne veulent pas l'aumône. Elles veulent simplement que l'égalité des chances ne soit pas seulement un principe virtuel de notre République, mais qu'elle s'inscrive concrètement dans la réalité.

En reconnaissant que « l'Etat est garant de la solidarité nationale en faveur des territoires ruraux et de montagne et reconnaît la spécificité desdits territoires », vous prenez un engagement solennel dès le premier article de votre projet de loi. Vous faites naître, je le répète, un espoir. Et je suis d'ailleurs heureux que le Gers, département le plus rural de France, bénéficie désormais, et grâce à un dialogue fructueux, d'une extension des zones de revitalisation rurale sur l'intégralité de son territoire, à l'exception d'un seul canton.

Mais il ne faudrait pas que cet espoir soit déçu. Voilà cinq ans, la loi Chevènement, dont l'un des objectifs était le rééquilibrage entre communes riches et communes pauvres, laissait espérer une nouvelle harmonie du territoire.

Aujourd'hui, quel est le bilan ? Le développement intercommunal a-t-il permis un lissage des déséquilibres entre les ressources des communautés de communes, d'une part, des communautés d'agglomération, d'autre part ? Si tel n'est pas le cas, il faut proposer qu'une fraction significative de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération les plus riches vienne abonder les ressources des communautés de communes les moins favorisées.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut une péréquation !

M. Aymeri de Montesquiou. Je rappelle que ce gouvernement a déjà marqué son intérêt pour les territoires ruraux avec, par exemple, la loi « urbanisme et habitat » de juillet 2003 améliorant certaines dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU, dans les zones rurales, le CIADT, dit « rural », du 3 septembre 2003 ou, tout récemment, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique qui autorise désormais les collectivités territoriales à devenir opérateurs de réseaux locaux de communications, disposition très attendue dans les zones rurales.

Aujourd'hui, le pragmatisme doit être le maître mot de vos propositions et nous voulons des outils pour concrétiser l'aspiration à la ruralité exprimée par les Français.

Dans le débat récurrent sur les moyens de garantir la présence des services publics dans les zones rurales, il s'agit d'écarter ce qui est, aujourd'hui, une fausse bonne idée : le moratoire des fermetures de services publics en milieu rural dans les communes de moins de 2 500 habitants. Il faut, dès à présent, avoir le courage de proposer une organisation dynamique des services publics : un moratoire ne résoudrait rien sur le fond et ne ferait que renforcer les mécontentements qui se manifesteraient à l'issue de ce dernier.

Le pragmatisme, je le dis à nouveau, doit être le seul objectif pour assurer le présent et préparer le futur. Deux moyens complémentaires vont dans le bon sens : la modernisation du régime juridique des maisons de services publics, avec la possibilité de permettre l'accueil de services privés, professions libérales ou artisanales. L'exécution d'une mission de service public pourra même être confiée à une personne privée. Pourquoi pérenniser une coupure archaïque entre secteur privé et secteur public ?

Je mentionnerai des dispositions supplémentaires pour maintenir des services de proximité fournis par l'Etat, les établissements publics ou les entreprises publiques. De plus, vous proposez une meilleure information des élus et des administrés concernant les décisions de réorganisation des services publics. C'est aussi une forme de démocratie.

A cet égard, l'école tient une place particulière dans la vitalité des communes, et nos collègues députés ont souhaité que les seuils des effectifs scolaires pour le maintien des classes d'enseignement primaire, des collèges ou des lycées soient abaissés de 20% dans les zones de revitalisation rurale. Pour des raisons budgétaires, un transfert des enseignants des zones urbaines vers les zones rurales le permettrait. Nous avons tous connu des classes aux effectifs plus nombreux que celles d'aujourd'hui.

Deuxième axe indispensable à l'attractivité des territoires ruraux : le développement des services de santé dans nos communes.

Je retiendrai trois dispositions : la coordination des aides des collectivités locales avec les organismes d'assurance maladie pour favoriser l'exercice en cabinet de groupe et la constitution de pôles de soins, un système d'indemnités et d'exonération de la taxe professionnelle pour une installation ou un regroupement, une indemnité destinée aux étudiants en médecine s'engageant à exercer au moins cinq ans en zone déficitaire, ainsi qu'à ceux de troisième cycle effectuant leur stage dans ces mêmes zones.

Toutes ces dispositions pratiques me semblent applicables à l'échelle d'une communauté de communes.

Le troisième axe porte sur les mesures en faveur de l'emploi et des entreprises, avec trois dispositions phares : la compatibilité d'un emploi public et d'un emploi privé dans les communes de moins de 3 500 habitants et pour toutes les catégories de personnels ; des mesures relatives aux emplois saisonniers, comme la possibilité de cumuler des périodes de contrats saisonniers successifs dans une même entreprise pour le calcul de l'ancienneté ; le renforcement des exonérations fiscales pour des travaux de rénovation d'immobilier d'entreprises dans le domaine de l'artisanat, du commerce et des activités d'entreprises, et la possibilité ouverte aux communes rurales de mettre en location un bien immobilier à usage commercial à un prix inférieur au montant de l'amortissement du bien.

Monsieur le ministre, votre projet de loi constitue certes une boîte à outils contenant des instruments novateurs, alliant la souplesse, la synergie entre les différentes collectivités publiques et un partenariat entre les sphères publique et privée.

Néanmoins, si, dans ces trois domaines, votre projet de loi innove et apparaît comme réellement incitatif, les communes et leurs regroupements doivent avoir les moyens de mettre ces instruments en place, sinon le présent texte deviendrait l'inventaire à la Prévert que vous redoutiez tant.

Par ailleurs, votre projet de loi n'apporte pas assez de précisions sur les modalités de compensation de ces mesures d'allégements ou d'exonérations aux collectivités locales. Cette préoccupation revêt une importance particulière dans le contexte actuel de réforme de la taxe professionnelle, ressource importante des collectivités locales, et dans le cas des établissements publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique, cette dernière étant leur seule ressource.

Les élus ruraux doivent être rassurés d'une part sur les financements, d'autre part sur la péréquation territoriale qui doit être mise en oeuvre.

Le financement des projets est plus préoccupant à l'heure où débutent les négociations communautaires sur l'avenir des fonds structurels européens, dont les modalités d'attribution et les montants seront modifiés à compter de 2007.

Monsieur le ministre, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous apportera son soutien. Cependant, une absence de réponses précises aux questions de financement créerait des frustrations justifiées et rendrait sans objet un texte aux nombreuses propositions innovantes et concrètes. Nous comptons sur vous pour nous les donner. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Dussaut.

M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, se pencher sur le développement des territoires ruraux nécessite une approche complexe. En effet, en zone rurale, que l'on se place d'un point de vue économique, sociologique ou culturel, tout s'enchevêtre, se complète et parfois s'oppose.

Par ailleurs, tout y est en devenir, tant l'évolution est considérable depuis ces cinquante dernières années, ce qui ajoute à la complexité de l'exercice.

Nos territoires ruraux possèdent les potentiels pour une dynamique de développement. Ils doivent les faire émerger par une identité profonde, historique, essentiellement agricole, où au quotidien de ceux qui vivent et travaillent sur place s'ajoute la façon de vivre de ceux qui habitent « à la campagne » mais travaillent au pôle urbain le plus proche, de ceux qui ont une résidence secondaire à la campagne, de ceux qui ne font que passer. Une telle complexité peut être source de conflits.

Pour ces raisons, une approche transversale est indispensable. Tous les acteurs sont concernés ; les secteurs sont interdépendants.

De nombreux ministères sont également concernés. Il est néanmoins regrettable que les petites et moyennes entreprises, le commerce, l'artisanat, ainsi que les finances soient absents. Car le bât blesse sérieusement dans ce domaine.

Grand balayage pour les uns, texte composite pour les autres : il manque assurément une ligne directrice à ce texte, une philosophie. Il contient des dispositions intéressantes, mais sans ossature générale, sans envergure et, surtout, sans moyens.

Le monde rural doit, pour son équilibre, préserver une activité plurielle faite de solidarité entre les acteurs. Or, au final, beaucoup d'insatisfactions et de sentiments de frustration demeurent.

Le monde agricole trouve que les dispositions sont insuffisantes et qu'elles manquent de perspectives. Or, vous le renvoyez, monsieur le ministre, au futur projet de loi de modernisation agricole qu'il aurait sans doute été préférable d'examiner préalablement à ce texte.

Je ferai deux réflexions sur les dispositions relatives au monde agricole.

La définition de l'activité agricole est élargie, la notion figurant dans la précédente définition de « maîtrise d'un cycle biologique » est mise de côté. On y intègre l'activité touristique liée à l'usage des chevaux. Pourquoi pas ?

Monsieur le ministre, il faudra une réponse à la question des baux des exploitants équins. Sont-ils désormais des baux ruraux ?

Par ailleurs, la levée du plafond d'agrandissement des exploitations agricoles à responsabilité limitée aura des conséquences importantes, et à mon sens négatives, tant d'un point de vue économique qu'en matière d'aménagement du territoire parce qu'elle aura pour conséquence de privilégier l'agrandissement des exploitations.

Le nombre de résidents autres qu'agricoles est en augmentation. Parmi eux, les artisans estiment que la part qui leur est réservée dans le texte est fort modeste au regard de la place qu'ils occupent désormais. Trois cent dix mille entreprises artisanales sont installées en milieu rural. Ces entreprises doivent pouvoir être pleinement associées et intégrées dans les politiques territoriales, elles doivent se voir offrir un environnement favorable avec une mise à niveau par rapport au reste du territoire national en matière d'équipements, compte tenu des besoins et des évolutions technologiques.

Ce sont ces entrepreneurs qui sont désormais porteurs de dynamique.

Déjà, dans certains cantons ruraux, les artisans sont plus nombreux que les agriculteurs.

Certes, dans les zones de revitalisation rurale, des dispositions sont proposées. Cependant, la règle du jeu est encore loin d'être équitable.

Premiers employeurs, les artisans demandent à pouvoir travailler dans les mêmes conditions que les agriculteurs pluriactifs sans que diffèrent les règles fiscales appliquées aux uns et aux autres. Simplifier les démarches auxquelles doivent faire face les agriculteurs pluriactifs est une bonne chose, mais il faut prendre garde à ne pas amplifier les distorsions de concurrence.

Par ailleurs, les artisans se méfient des dispositions liées au zonage : quid de ceux qui se trouvent hors de ce secteur et qui sont confrontés bien souvent aux mêmes problématiques malgré un contexte structurel un peu moins défavorable ?

La dynamique des territoires nécessite également une vitalité commerciale. Dès lors que celle-ci fait défaut, la désertification s'accélère.

La proposition de loi déposée par notre collègue Gérard Le Cam tendant à préserver les services de proximité en zone rurale, proposition dont nous avons examiné les conclusions de la commission il y a un peu plus d'une année, avait lancé une piste extrêmement intéressante qui consistait à proposer la mise en place d'un système de complément de ressources pour garantir un minimum aux commerçants installés en zone de « rénovation rurale ».

Là est, en effet, le rôle de l'Etat : ce ne sont pas les collectivités rurales en difficulté qui peuvent apporter un tel soutien aux commerçants.

La politique de libéralisation conduite par le Gouvernement ne peut qu'accroître les disparités entre les territoires.

Les entreprises s'installeront-elles si l'abandon de la péréquation tarifaire fait suite à la déréglementation du secteur de l'électricité, si l'actuel maillage départemental des centres de tri postal est remis en cause, si les tarifs des services de La Poste sont augmentés, si, comme on l'entend en ce moment, son réseau de distribution est « allégé » de 17 000 bureaux et si sont transférés aux communes rurales ou aux commerçants certains bureaux non rentables, alors même que les communes rurales ne disposent plus de moyens et que les commerçants sont fort peu incités à demeurer en activité, voire à s'installer ?

Or, la population active et les entreprises ne s'installent qu'en présence d'une infrastructure publique.

Au-delà des insuffisances de ce texte que mes amis du groupe socialiste continueront de relever, au-delà même des inquiétudes que peut engendrer la politique très libérale de ce Gouvernement et qui risque d'avoir un effet dévastateur - créer les conditions d'un environnement équilibré est à mon sens incompatible avec une vision libérale de la politique -, demeure le rôle très préoccupant que vous laissez aux collectivités territoriales et à leurs élus locaux.

Finalement, ce qui est offert aux communes, c'est de prendre en charge financièrement la dynamique de développement des territoires ruraux sans compensation, ou presque, de l'État.

Que dire de cette manière d'agir consistant à laisser aux élus la responsabilité de faire appel à l'argent des contribuables locaux pour inciter, par exemple, les médecins à s'installer chez eux ?

La proposition de loi de mon ami Jean-Marc Pastor tendant à assurer la présence des médecins généralistes dans les zones médicalement dépeuplées revêtait une tout autre dimension puisqu'il s'agissait de réaffirmer le rôle de l'Etat « en tant que premier aménageur du territoire et garant de la sécurité publique » : c'est à l'Etat, et non aux collectivités territoriales, d'assurer un meilleur équilibre territorial quant à l'accès aux soins.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Bernard Dussaut. Pour conclure, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur l'article unique du titre liminaire qui pose une déclaration de principe que l'Assemblée nationale a adoptée à l'unanimité : « L'Etat assure la solidarité nationale en faveur des territoires ruraux et de montagne et reconnaît la spécificité desdits territoires. »

Or, l'engagement de l'Etat doit se traduire par un engagement financier ; ce n'est pas le cas ici. Comment alors parler de solidarité nationale, comment alors soutenir votre projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Je voudrais, tout d'abord, monsieur le ministre de l'agriculture, vous adresser mes compliments pour la consultation que vous avez engagée.

Elle a en effet permis aux forces vives de nos zones rurales, élus, société civile et associations, de s'exprimer et de formuler des propositions susceptibles d'enrayer le mouvement de déclin de nos campagnes.

Il est toutefois dommage que cette contribution n'ait pas débouché sur un projet plus mobilisateur.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !

Mme Françoise Férat. En outre, d'aucuns ont insisté sur le caractère « fourre-tout » de ce texte. Mais le sujet abordé, celui de l'avenir de la ruralité, est trop sérieux pour que nous nous laissions griser par une critique que je souhaite dépasser.

En effet, depuis vingt ans, les multiples interventions législatives et réglementaires n'ont pas permis au monde rural d'affronter avec optimisme et sérénité les bouleversements économiques et démographiques.

A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux a été enrichi d'une centaine d'articles.

Il nous faut donc, à l'instar de nos collègues députés, user de notre pouvoir d'amendement pour améliorer ces dispositions qui ont pour ambition d'encourager l'emploi, de relancer le logement, d'améliorer les services publics et de préserver les espaces naturels. Comme vous le souligniez, monsieur le ministre, ce texte est une « véritable boîte à outils, outils pragmatiques et efficaces au service de nos territoires ruraux ».

C'est donc avec ce souci de pragmatisme et d'efficacité que je souhaite aborder ce débat. Je présenterai par conséquent plusieurs amendements visant les services aux publics, l'accueil des jeunes enfants et les interprofessions agricoles.

J'espère que le meilleur sort leur sera réservé tant ils répondent non seulement aux objectifs gouvernementaux, mais surtout à l'attente des personnes qui vivent et travaillent en milieu rural.

Ces mêmes personnes doivent faire face, depuis plusieurs années, à la mutation des espaces agricoles, à la disparition des services publics, à la fermeture des commerces, à la diminution des sources d'emplois et à l'éloignement des centres névralgiques. Aussi devons-nous valoriser les atouts de nos bassins de vie ruraux pour que leurs habitants ne voient pas ce déclin comme une fatalité.

Nos villages bénéficient notamment d'une qualité de vie incomparable, mais n'arrivent pas à pallier l'absence ou le déficit de commerces. Ainsi, pour améliorer l'attractivité des communes rurales, il convient d'offrir aux habitants une offre suffisante de prestations. Nous pourrions notamment favoriser le maintien des commerces de proximité en limitant l'implantation des établissements hard discount qui leur mènent une concurrence effrénée.

Nos villages sont connus pour la modération de leur pression fiscale, mais ne disposent pas ou ne disposent plus de services aux publics.

Si la modernisation du cadre juridique des « maisons de services aux publics » répond à cette nécessité, ce mouvement doit aller bien plus loin. Nous pourrions autoriser les collectivités locales à signer des conventions de partenariat avec des associations pour créer ou maintenir des services non satisfaits par l'initiative privée.

Nos villages ne connaissent pas les embouteillages des agglomérations, mais sont trop souvent éloignés des coeurs urbains. Nous devons confier à des particuliers, agréés par les services préfectoraux, le soin de transporter les personnes privées de mobilité géographique.

Nos villages connaissent un taux de natalité soutenu mais rencontrent d'innombrables difficultés, en particulier réglementaires, pour créer des structures d'accueil. Nous pourrions favoriser de telles initiatives en reconnaissant le principe d'une direction partagée des services d'accueil de jeunes enfants.

Conseiller général d'un canton de 3 900 habitants répartis sur 18 communes, je vis la ruralité au quotidien. Ce regard m'amène à considérer ce projet de loi comme une bouffée d'oxygène pour des espaces en proie à l'asphyxie. Mais ce regard me conduit également à considérer que ce texte doit être bien plus qu'une bouffée d'oxygène. Il est donc indispensable que ses dispositions soient amendées dans le sens d'une plus grande liberté laissée aux collectivités locales et à l'initiative privée.

C'est dans cet esprit que je milite pour la création d'une conférence annuelle sur la ruralité. Elle pourrait dresser les constats de carence et proposer une évolution des dispositions qui constituent une réelle entrave au dynamisme rural. Car, en dépit des louables intentions de ce projet de loi, ce sont ces carcans qui freineront, sans doute encore demain, le développement de nos territoires ruraux.

Au Parlement, nous devrons profiter des quelques mois qui nous séparent de l'examen du projet de loi d'orientation agricole pour mener des auditions et confronter les points de vue.

Ainsi, nous pourrons contribuer à l'amélioration de ce prochain texte qui ne devra plus se contenter d'une addition de mesures, mais qui devra affirmer une politique agricole ambitieuse.

Dans cette perspective, monsieur le ministre, soyez assuré que je serai à vos côtés pour relever ce défi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Arthuis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, vous nous proposez un changement fondamental puisque, depuis vingt ans, c'est-à-dire depuis la loi montagne, jamais, me semble-t-il, n'avait été abordé de façon globale le problème de la ruralité, le problème de la montagne.

C'est donc un choix politique qui traduit une volonté d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire.

On ne saurait s'étonner que la notion d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire appelle une multitude de réponses. En effet, il n'y a pas une réponse unique pour la ruralité. La ruralité est diverse. Le développement de la vie rurale, en particulier dans les zones de montagne, n'appelle pas une réponse unique.

On a parlé de texte composite : pour ma part, je préfère parler de la technique de Seurat., le pointillisme.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous le savons. Nous ne sommes pas incultes !

M. Jacques Blanc. Certains, malheureusement, ne comprennent jamais le sens de ces tableaux, n'y voient que des points dispersés et estiment qu'ils manquent de souffle et de cohérence.

Il faut trouver le sens profond et le sens d'un choix politique au maintien de la vie dans la ruralité.

Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir introduit dans cette politique en faveur de la ruralité une dimension sur laquelle nous avons beaucoup travaillé au Sénat, dimension qui est celle de la montagne. Nous vous avions d'ailleurs reçu en audition lors de la mission sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider avec M. Amoudry, qui en était le rapporteur, et l'éminent président de l'Association nationale des élus de montagne, notre ami Pierre Jarlier, qui s'est fortement mobilisé. Ce rapport a donné lieu à un débat auquel vous avez participé. Nous avons élaboré un texte, signé par M. le président du Sénat lui-même, et dont vous avez repris un certain nombre d'éléments pour les introduire dans le projet de loi que vous nous soumettez.

Mme Annie David. Ce n'est pas suffisant !

M. Jacques Blanc. Encore une fois, nous vous en remercions.

Il est vrai que l'on aurait pu rêver d'un texte global sur la montagne,...

Mme Annie David. Il existe déjà !

M. Jacques Blanc. ...mais le choix a été fait d'introduire des dispositions dans une série de textes, notamment celui sur l'urbanisme, dont les avancées devront être complétées dans celui qui nous est soumis aujourd'hui. Par ailleurs, nous débattrons prochainement du projet de loi de modernisation agricole.

D'aucuns diront qu'il aurait fallu attendre. A trop attendre, on ne fait rien. Cette stratégie a été celle d'un gouvernement précédent il y a quelques années : on attendait toujours pour régler les problèmes. Donc, vous ne pouviez pas attendre.

La loi de modernisation agricole sera, à l'évidence, conditionnée par les décisions qui seront prises à l'échelon européen. Je pense à la PAC. Je pense également aux évolutions des fonds européens, notamment avec les mesures agro-environnementales ou le deuxième pilier.

Permettez-moi, monsieur le ministre de l'agriculture, de vous féliciter pour l'action que vous menez à Bruxelles pour défendre les intérêts légitimes de notre agriculture et de l'agriculture européenne, ainsi que pour les combats que vous menez courageusement pour empêcher certaines dérives.

Le présent projet de loi a le mérite d'exister. Il a également le mérite d'aborder une série d'éléments qui conditionnent la vie dans la ruralité.

Je me bornerai à souligner l'importance de la revalorisation des zones de revitalisation rurale. On avait parlé, à un moment donné, de zones franches rurales. En réalité, s'agissant des zones de revitalisation rurale, nous espérons que nous pourrons aller un peu plus loin que ce qui a été fait à l'Assemblée nationale. Nous espérons que, par un allégement de charges, un accent très fort pourra être mis sur le développement économique, sur les entreprises artisanales, commerciales ou agricoles, ainsi que sur les activités libérales. S'agissant de ces dernières, un point particulier, sur lequel je reviendrai, concerne le secteur de la santé.

Il faut que ces zones de revitalisation rurale prennent un peu plus corps. Vous ne remettez pas en cause le grand schéma, vous l'aménagez, là où, compte tenu des évolutions, des communes qui sont entrées dans l'intercommunalité pourraient être défavorisées par rapport à d'autres collectivités. Les amendements qui ont été défendus par l'ensemble des élus de la montagne vont donc dans le bon sens.

J'en viens à la politique des services. Sur ce point aussi, il faut être clair. Vous abordez, et cela correspond à une prise de conscience nouvelle, le problème de la santé. Je parle sous le contrôle de mes collègues membres de la mission « montagne ». Pour avoir exercé dans le secteur de la santé, je connais un peu ce domaine. Je suis effrayé par les perspectives en matière de distribution de soins dans notre pays. D'abord, il nous faut faire un mea culpa : nous n'avons pas formé les personnels de santé dont nous avons besoin. La première mesure consisterait donc à ouvrir enfin les vannes, si je puis dire. Or, nous écartons du secteur de la santé des jeunes merveilleux au motif qu'ils leur manquent quelques points, et ce alors même que nous manquons déjà de médecins, d'infirmières et de kinésithérapeutes, et que la population vieillit.

Le manque de personnel est encore plus criant dans les zones qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme un peu plus difficiles pour vivre - je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit plus difficile de vivre dans ces zones. Mais il faut prévoir des incitations fiscales et favoriser l'installation. Cela est prévu dans le projet de loi, et je m'en réjouis.

J'espère, monsieur le ministre, que vous accepterez notre amendement visant à permettre aux collectivités locales de financer un certain nombre d'équipements indispensables - je pense à des cliniques ou à des hôpitaux ruraux, publics ou privés. En effet, sans l'intervention des collectivités locales, ces établissements disparaîtront. Je souhaite que l'on aille un peu plus loin que ce qui est prévu. Il s'agit d'un dossier essentiel, d'autant que ces zones de montagne sont des zones d'accueil, où de nombreuses personnes reviennent pour prendre leur retraite. C'est un élément majeur.

Concernant les outils de la politique de la montagne, et pour répondre à certaines de nos questions, vous proposez des améliorations. Je pense à la politique de massif, à la politique de coopération intercommunale. Je pense également à la possibilité consistant à jouer sur les taxes perçues par une commune pour les reverser à telle ou telle structure. Des allégements fiscaux sont prévus pour le développement du tourisme. Et vous n'oubliez pas l'agriculture, car, même si le « gros morceau » viendra par la suite, le présent projet de loi comporte des mesures fiscales, notamment pour exclure du calcul de l'assiette des cotisations sociales la dotation aux jeunes agriculteurs.

Mais l'agriculture ne peut pas seule faire vivre l'ensemble des zones de montagne. Il faut une politique de soutien en faveur des activités artisanales, libérales ou commerciales et pour favoriser le développement d'un tourisme maîtrisé.

Il s'agit, dans la gestion d'une politique territoriale et d'environnement, d'une approche nouvelle, associant des collectivités. Est prise en compte l'exigence consistant à aborder le problème du développement de la montagne avec rigueur eu égard à la protection de l'environnement. Il est mis fin à un certain nombre de blocages, notamment en ce qui concerne les unités touristiques. De nombreux freins qui empêchaient l'action des collectivités locales ou les initiatives privées devraient disparaître grâce au projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre. Nous aurons l'occasion de revenir sur un certain nombre de points au cours de la discussion des articles.

Enfin, je voudrais souligner le sens politique de ce débat. L'aménagement du territoire est non pas une seule mesure, mais une succession de mesures. Encore faut-il qu'elles aillent dans le bon sens. En l'occurrence, c'est le cas. Il s'agit de renforcer un certain nombre d'outils et de créer des perspectives nouvelles. Dans un monde fou, caractérisé par une perte de repères, nous avons besoin d'un équilibre nouveau. La montagne peut permettre de revenir à des valeurs vraies porteuses d'espérance. Vous nous proposez donc un choix politique, un choix de société, une société faite pour l'homme, une société dans laquelle l'homme peut maîtriser son angoisse existentielle grâce à la qualité de son environnement. Ce choix de société, nous serons à vos côtés pour le défendre, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, je salue la présence dans cet hémicycle de M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, qui siège pour la première fois au banc du Gouvernement. Je lui souhaite une amicale bienvenue et lui présente nos voeux de plein succès dans sa mission.

M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire. Merci !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)