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NOMINATION DE MEMBRES DE COMMISSIONS

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté quatre candidatures pour les commissions des affaires économiques et du Plan, des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, des affaires culturelles et des affaires sociales, que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et du Plan et que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Francis Grignon pour siéger à la commission des affaires économiques et du Plan, à la place laissée vacante ;

- Mme Fabienne Keller pour siéger à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, à la place laissée vacante ;

- M. Philippe Richert pour siéger à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante ;

- M. Roland Ries pour siéger à la commission des affaires économiques et du Plan, à la place laissée vacante ;

- Mme Esther Sittler pour siéger à la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante ;

- Mme Gélita Hoarau pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Paul Vergès, dont l'élection comme député au Parlement européen est devenue définitive.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale (suite)

Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise

Suite de la discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « beaucoup de bruit pour rien » ou pour pas grand-chose : tel est, en substance, l'avis que nos collègues du groupe UDF de l'Assemblée nationale ont émis au sujet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

C'est également mon opinion sur ce texte, qui illustre une fois encore, mais inopportunément, « la prétentieuse exception française », exception sur la forme et exception sur le fond.

Sur la forme, je voudrais simplement vous rappeler, mes chers collègues, qu'à la différence de la France les autres Etats membres de l'Union européenne ne sont généralement pas intervenus par voie législative pour définir l'organisation du temps de travail dans leur pays : ils ont fixé des principes généraux, laissant le soin aux organisations syndicales de compléter le dispositif par voie de convention collective.

Chez nous, la logique incitative prônée par la loi du 11 juin 1996, dite loi « de Robien », a laissé place aux rigidités des lois « Aubry I et II » de juin 1998 et janvier 2000, imposant une réduction du temps de travail à 35 heures. Démarche idéologique au détriment d'une approche pragmatique !

Depuis, le Parlement ne cesse d'apporter des assouplissements à ce dispositif. Le texte que nous examinons en est une énième illustration.

Permettez-moi d'émettre des réserves sur la pertinence de légiférer ainsi par petites touches successives, sans mettre à plat l'ensemble des problèmes. Cela m'amène à formuler quelques réflexions sur le fond de la proposition de loi, notamment sur l'absence de certains sujets préoccupants.

Le texte comprend trois mesures.

Premièrement, il assouplit légèrement le compte épargne-temps, le CET. Très bien ! Mais nul ne doute que cet outil, encore assez peu utilisé pour l'heure, permettra, à l'avenir, à des salariés d'avancer leur départ de l'entreprise. Or c'est en pleine contradiction avec la question de l'emploi des quinquagénaires, qui sera l'un des enjeux majeurs du marché du travail dans les prochaines années.

Contrairement à nos partenaires européens qui, depuis les années quatre-vingt-dix, ont mené des réformes visant à reculer l'âge de cessation d'activité afin de prendre en compte le vieillissement démographique et, parfois, le déficit de main-d'oeuvre qualifiée, nous en sommes encore à mettre en oeuvre des mesures qui permettront le départ anticipé de certains salariés.

En 2000, le sommet européen de Lisbonne avait fixé l'objectif d'un taux d'emploi de 50 % pour les 55-64 ans. En France, ce taux est aujourd'hui de 37 %, contre 69 % en Suède.

Je crains que l'assouplissement du dispositif du CET n'aille pas dans le sens du nécessaire « changement culturel » de la société française tendant à travailler plus longtemps.

Deuxièmement, le texte prévoit la création des « heures choisies ». En théorie, c'est également une bonne chose, mais à quoi un tel dispositif pourra-t-il bien servir si l'on continue d'indemniser les heures supplémentaires comme on le fait actuellement ?

Le principe qui guide les auteurs de la proposition de loi est de « travailler plus pour gagner plus ». Comment ne pas être séduit a priori par ce principe simple, logique et basé sur le volontariat ? Les salariés pourront demander à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal. Mais le dispositif ne restera-t-il pas une faculté théorique dans la mesure où le contingent est déjà rarement épuisé, parce qu'en dépit de besoins évidents les heures supplémentaires coûtent trop cher à la plupart des entreprises ?

Cette remarque me conduit bien évidemment à me réjouir de la troisième mesure de la proposition de loi tendant à proroger le dispositif dérogatoire applicable aux entreprises de moins de vingt salariés.

Il est faux de considérer que tout est égal à tout et que tout le monde se trouve dans la même situation. Les très petites entreprises doivent faire face à des charges et à des pressions particulières, notamment quand leur activité connaît un rythme saisonnier. Ne pas les soutenir particulièrement reviendrait à faire peser sur elles des risques inconsidérés, à mettre en péril leur activité et, par conséquent, leurs emplois. Or gardons bien à l'esprit que l'on compte près de 2,3 millions de très petites entreprises en France, ce qui représente 4 millions de salariés.

Pour conclure ce propos sur le fond de la proposition de loi, je voudrais évoquer l'un des vrais problèmes soulevés par l'organisation du temps de travail, mais qui n'est pas abordé dans ce texte : la difficulté d'application des 35 heures dans le secteur médical et médicosocial.

La mise en place de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux s'avère d'autant plus délicate que la pénurie de personnel est criante dans ce secteur. De plus, elle repose sur le mensonge consistant à dire qu'une telle réduction peut s'accompagner de gains de productivité. Mais quels gains de productivité devions-nous attendre dans ce secteur où le dialogue et l'écoute des malades sont souvent aussi importants que les soins eux-mêmes ? Va-t-on faire des piqûres plus rapidement, donner à manger en moins de temps ?

Dans de nombreux hôpitaux, la situation est critique - plusieurs faits divers l'ont tristement démontré ces dernières semaines - et le moral des personnels hospitaliers n'est pas au beau fixe.

Plus grave peut-être encore : les lois sur la réduction du temps de travail ont permis à un certain nombre d'associations en charge d'activités sociales et médicosociales de passer non pas aux 35 heures, mais aux 32 heures et demie hebdomadaires et d'embaucher neuf mille salariés, dont la rémunération a été financée, d'une part, par les allègements de charges sociales et, d'autre part, par le gel des salaires de personnel. Or les allègements de charges vont être supprimés et les personnels demandent la remise à niveau de leur salaire.

Par conséquent, faute de trouver de nouvelles sources de financement, ce sont près de neuf mille salariés qui pourraient se trouver menacés de licenciement et c'est le maintien de la pluralité de l'offre de prestations sociales qui est en péril.

Il est peut-être temps de se pencher sur cette question, car, si l'Etat tarde, les départements, eux, n'ont pas d'autre choix que de le faire. Comme trop souvent, au final, ce seront eux les payeurs ! Les réductions des aides de l'Etat aux associations en question accroîtront leurs charges, ce qui peut les conduire à licencier. Outre la dimension sociale et humaine, l'absurdité du système veut qu'en plus, en cas de licenciement, l'association rembourse les aides qu'elle a reçues au titre des 35 heures pour chaque salarié licencié.

Les conseils généraux sont tous les jours confrontés à de telles situations. Quelle est la solution ? Soit l'association licencie et accroît le tarif des prestations qu'elle facture au département, soit le département compense directement la suppression des aides étatiques. Dans les deux cas, il y aura un transfert de charges, non compensé, de l'Etat en direction des départements.

Telle est l'une des vraies questions soulevées par l'organisation du temps de travail, question que la présente proposition de loi n'aborde pas.

Vous l'avez compris : mon sentiment est que la présente proposition de loi ne traite que très partiellement les vrais problèmes posés par l'organisation du temps de travail dans notre pays. Comme l'a très bien dit Jean-Marie Vanlerenberghe, le texte qui nous est soumis aménage à la marge un système catastrophique sur le long terme pour l'économie de notre pays.

Le gouvernement socialiste a, en son temps, privilégié le dirigisme au dialogue social en la matière, et ce au détriment à la fois des salariés et des entrepreneurs, sans créer le nombre d'emplois tant attendu.

Je ne crois pas que le travail soit un stock défini, un gros gâteau à partager. Cette image correspond à une perception malthusienne, figée, de notre économie, qui ne prend pas en compte un contexte de concurrence internationale accrue par l'émergence de pays tels que la Chine et l'Inde.

Plutôt que de partager l'emploi, nos politiques doivent s'évertuer à le créer. Pour ce faire, une organisation du travail flexible est indispensable pour augmenter notre taux d'emploi et celui de la productivité. La proposition de loi va dans ce sens. C'est pourquoi, malgré ses insuffisances et en dépit de certains regrets, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient en débat devant nous aujourd'hui restera à mes yeux probablement comme la pire de la législature et, pour tout dire, comme l'archétype du texte nocif sur le plan social comme sur le plan démocratique.

J'ai lu attentivement le compte rendu intégral des séances de l'Assemblée nationale et j'ai été frappée par le ton agressif, la volonté manifeste de régler des comptes, la violence mal contenue des parlementaires qui ont élaboré cette épouvantable loi. Ce ton agressif, cette volonté de régler des comptes, cette violence, je les ai retrouvés dans l'intervention martiale du ministre il y a quelques heures.

Comme si l'on avait longtemps rongé son frein à droite et que l'on pouvait enfin dire ce que l'on avait sur le coeur. Comme s'il s'agissait de fermer symboliquement ce que l'on estime, à droite, avoir été une parenthèse. Comme s'il s'agissait, au-delà du sujet lui-même, d'exprimer une sorte d'aversion profonde pour cette belle et noble tradition du mouvement populaire, du mouvement syndical, de la gauche et des écologistes, qu'est la bataille pour la réduction du temps de travail et la reconquête du temps libre.

Cette proposition de loi illustre le haut-le-coeur quasi philosophique qu'inspire à certains dans ce pays le fait que l'on puisse aspirer à travailler moins et à avoir du temps libre. Cette hantise de la fainéantise vient de loin, cette apologie du « gagner toujours plus » aussi.

Il est significatif que vous n'ayez exploré qu'une des dimensions de la souplesse dans la gestion des flux d'activité à laquelle vous prétendez vous intéresser.

Raymonde Le Texier a bien montré tout à l'heure qu'il s'agissait de travailler plus, pas forcément de gagner plus.

De nombreuses pistes auraient pu être explorées -  « travailler plus maintenant pour travailler moins ensuite », « travailler moins pour travailler autrement », « travailler autrement pour travailler tous » - afin de penser la place, le rythme du travail sur la durée de la vie.

Il semble bien loin le temps où le Président de la République présentait comme des modèles les entreprises passant aux 32 heures en quatre fois huit heures.

Vous avez renoncé au débat et à la négociation sur la difficile articulation entre sécurité et flexibilité, entre gains salariaux et création d'emplois, entre pouvoir d'achat et qualité du travail.

Vous avez préféré le passage en force, le recours à la loi pour faire la chasse aux acquis.

Vous avez donné la main à un seul des partenaires : l'employeur.

Votre rejet de tout ce qui s'apparente à un minimum de protection collective des plus faibles s'inscrit ainsi dans la vision conservatrice, qui nie en permanence le lien entre tradition républicaine et avancée du droit social.

Je m'interroge cependant sur ce qui a pu conduire le Gouvernement à organiser un tel règlement de comptes, alors que le Président de la République, qui avait su, là encore, trouver le mot juste, l'avait engagé à n'en rien faire.

Nous sommes en plein débat européen et c'est le moment que vous choisissez pour allumer les incendies et pour alimenter les conflits les plus divers. Nous sommes dans une phase critique du point de vue de la négociation entre les partenaires sociaux.

Comment le plan « santé au travail » de M. Larcher, qui a été présenté ces jours-ci, peut-il être crédible, alors que le Gouvernement soutient une proposition de loi prévoyant la monétarisation des congés payés et des repos compensateurs ?

En vérité, le texte qui nous est soumis met en porte-à-faux tous ceux qui croient dans ce pays à la prévention des conflits. Il donne du grain à moudre à ceux pour lesquels, au fond, une bonne partie du patronat ne peut entendre qu'un seul langage, celui du rapport de force, de la rue, de l'affrontement. Il relance la fausse querelle entre le « tout marché » et le « tout Etat ». Il fait reculer de plusieurs cases le débat intellectuel sur les questions d'emploi.

Pas un jour ne se passe sans que la presse annonce des profits record pour telle ou telle grande entreprise française. C'est à ce point que l'affichage indécent de la distribution des dividendes et le rachat par certaines entreprises de leurs propres actions suscitent des commentaires gênés de la part de ceux qui pensent que l'investissement productif et donc l'avenir sont sacrifiés à des pratiques à si courte vue.

Pas un jour ne se passe sans qu'on annonce les effets déséquilibrants sur l'économie de l'accumulation des stocks d'épargne que provoque chez les plus aisés votre politique socialement ciblée de baisse d'impôts.

Pas un jour ne se passe sans que les commentateurs les plus modérés pointent la persistance du chômage de masse et l' « enkystement » de catégories entières de la population dans la pauvreté.

Vous prétendez vouloir donner les moyens aux plus fragiles de « travailler plus pour gagner plus ». Vous auriez pu vous pencher en priorité sur le sort de celles et ceux qui subissent des temps partiels, de celles et ceux qui vont de petits boulots en CDD, de celles et ceux qui ne bouclent pas leurs fins de mois, de ces travailleurs pauvres qui dorment dans la rue ces jours-ci, de celles et ceux qui ne gagneront bientôt plus rien parce que leurs entreprises risquent de se délocaliser.

Vous auriez pu examiner sur le fond les difficultés rencontrées par tel ou tel secteur pour embaucher. Vous auriez constaté que l'aide à leur apporter consiste non pas à casser le droit du travail et à épuiser les salariés trop rares qui choisissent ces métiers, mais, au contraire, à améliorer la qualité du travail et à en réduire la pénibilité.

Vous auriez pu relancer la négociation en panne sur les bas salaires.

Au lieu de cela, alors même que la plupart des entrepreneurs ne vous demandaient rien et qu'ils n'utilisent même pas le contingent d'heures supplémentaires que M. Fillon puis M. Borloo leur ont octroyé généreusement, ...

Mme Dominique Voynet. ... vous nous sortez une proposition de loi idéologique et ravageuse, dont les effets concrets seront exactement inverses de ceux que vous annoncez. Car, bien évidemment, vous allez renforcer une situation de croissance sans emploi dans laquelle, avec quatre salariés à 44 heures pour un coût majoré de 10 % à 25 %, c'est un emploi à 35 heures qui sera supprimé ou qui ne sera pas créé.

Les grandes victimes seront les salariés les plus fragiles, ceux dont la capacité à négocier est la plus faible.

Contrairement à ce que vous dites, vous allez affaiblir notre tissu de PME et de PMI, lesquelles ont davantage besoin d'être aidées à franchir le cap de la modernité du siècle qui s'ouvre qu'à revenir à 1937. Oui, je dis bien 1937, car vous revenez, par maints aspects de ce texte, à la période précédant la Seconde Guerre mondiale !

Dans votre désir de rayer d'un trait de plume ce que vous présentez comme d'abominables contraintes, vous ne vous contentez pas de dénaturer la notion même de réduction du temps de travail : vous foncez en piqué sur les congés payés, sur la place respective de la loi et de la négociation dans notre compromis social.

Vous allez même plus loin que les Anglo-Saxons en tentant d'aligner par la bande le droit du travail sur le droit commercial et sur la négociation de gré à gré. Chez vous, c'est récurrent !

Votre discours sur l'individualisation et sur ce que vous présentez comme de la liberté, vous nous l'avez servi en matière de protection sociale collective et d'assurance privée. Vous nous le servez en matière de retraite ou de parcours éducatif.

Là où il faudrait mettre de la solidarité collective, de la responsabilité individuelle, vous en appelez au « chacun pour soi » et « au sauve-qui-peut ».

Là où il faudrait renforcer le droit pour mettre de la souplesse dans la prise en compte des situations concrètes, vous restaurez la règle d'airain de l'absence de règles, la fameuse théorie « du renard libre dans le poulailler libre ».

Au fond, à quelque chose malheur est bon !

Après mars 2002, parce que nous sommes des démocrates, nous avions intériorisé non seulement les critiques justes qui étaient émises sur les conditions d'application des 35 heures pour certains salariés, mais aussi les critiques moins justifiées que vous formuliez de moins bonne foi.

Eh bien ! votre texte, sur lequel, bien évidemment, nous envisageons de revenir immédiatement et en priorité absolue en cas d'alternance, a au moins le mérite de relancer notre motivation et notre réflexion sur la nécessaire reprise du mouvement historique de réduction du temps de travail et du partage des emplois.

Contrairement à ce que vous dites, il faut reprendre ce processus non pas par vision malthusienne de l'économie, mais parce qu'il est juste pour les personnes, parce qu'il est bon pour le vivre ensemble et pour le vivre mieux, parce qu'il est nécessaire pour le pays.

Si nous avions eu à redécouvrir la différence profonde entre la droite et la gauche, votre texte nous y aurait aidé. N'en doutez pas, la leçon sera retenue ! Vous avez soulevé une lourde pierre. Il serait juste qu'elle vous retombe sur le pied. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats portant sur la loi relative aux 35 heures, nous avions été plusieurs ici à dénoncer l'application autoritaire, uniforme et systématique de la réduction du temps de travail dans les entreprises. Nous avions alors critiqué l'inadéquation de ce texte aux besoins de celles-ci et nous nous étions inquiétés de ses conséquences sur la situation économique de la France. Nous nous étions surtout élevés contre l'idée de partage du temps de travail, comme si le travail était une marchandise qui pouvait se diviser, alors que chaque travailleur est un individu avec ses particularismes et son propre projet de vie.

Si la réduction du temps de travail s'est traduite par une création artificielle d'emplois fragiles, dont le coût pour les finances publiques a été estimé à 8 milliards d'euros en 2003, elle a surtout entraîné une hausse des contraintes pour les entreprises et freiné leur capacité productive.

Le pouvoir d'achat des salariés a été bloqué et les 35 heures se sont souvent accompagnées d'une intensification du temps de travail ainsi que d'une dégradation de la vie en entreprise, sans compter leur effet néfaste sur notre économie, puisque leur impact a été évalué à une perte du potentiel de production de l'ordre de deux points du PIB.

Enfin, quelle économie serait en mesure de supporter le choc que représente la perte de trois heures de travail hebdomadaire par salarié ?

Qui pouvait sérieusement croire que le partage du travail serait une arme de lutte contre le chômage ? Le travail des uns crée du travail pour les autres, et il n'existe pas une quantité d'emplois déterminée et fixe à partager.

D'ailleurs, comment avoir pu laisser notre société dévaloriser l'idée même du travail, alors que, face aux bouleversements et aux changements induits par la mondialisation, le travail et la compétitivité en découlant sont les seules armes efficaces pour préserver notre avenir ?

Plus que le désaccord avec ce choix politique, ce qui reste le plus préjudiciable à notre économie c'est la manière dogmatique avec laquelle a été mis en place le dispositif des 35 heures.

C'est donc avec intérêt, monsieur le ministre, que nous allons nous pencher sur le texte qui nous est présenté ce soir, lequel a vocation, tout en consolidant les aspects positifs, à aménager « le carcan des 35 heures » et a en corriger les défauts les plus criants en laissant aux partenaires le choix de la contractualisation après celui de la concertation.

Mme Raymonde Le Texier. Vous vous laissez abuser ! Vous êtes des naïfs !

M. Bernard Murat. Les assouplissements proposés s'inscrivent dans le prolongement des réformes précédentes et ils vont permettre de donner aux salariés plus de liberté dans la détermination et l'organisation de leur temps de travail.

Mme Raymonde Le Texier. C'est du pipeau !

M. Bernard Murat. II s'agit, en effet, de prendre en compte la diversité des souhaits exprimés par les salariés, dans le respect de leurs intérêts et de ceux des entreprises, et de permettre ainsi à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour augmenter leur rémunération ...

M. Roland Muzeau. C'est faux !

M. Bernard Murat. ...ou peut-être de travailler autrement ou plus longtemps.

C'est donc bien un accord « gagnant-gagnant » que nous offre cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. C'est le père Noël au mois de mars !

M. Bernard Murat. De fait, je suis assez surpris par les protestations suscitées par ce texte, qui, en réalité, ouvre simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux en leur permettant, dans le cadre d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail, donc un vrai choix de vie.

Mme Raymonde Le Texier. Et vous arrivez à le croire ?

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Murat. II était primordial de créer ces espaces de liberté, de moderniser l'environnement juridique en introduisant plus de réalisme, plus de flexibilité, plus de possibilités d'adaptation à chaque entreprise et à chaque individu. Mais encore faut-il connaître la vie d'une entreprise !

M. Roland Muzeau. Que ceux qui y ont travaillé lèvent la main !

M. Bernard Murat. Ce texte fixe un cadre à la discussion en entreprise et il donne plus de force à la convention collective, afin de permettre à chacun de déterminer contractuellement son temps de travail.

Mme Raymonde Le Texier. Ce n'est pas vrai !!

M. Roland Muzeau. Les juristes spécialisés en droit social disent l'inverse !

Mme Raymonde Le Texier. Travailler pour du beurre !

M. Bernard Murat. Le dialogue social, associé à la volonté individuelle du salarié, est le meilleur vecteur pour la construction d'un droit du travail compatible avec les lois de la concurrence internationale et avec nos traditions humanistes.

M. Roland Muzeau. Les lois de la concurrence internationale, c'est l'exploitation à n'importe quel prix !

M. Bernard Murat. La philosophie qui sous-tend ce texte, qui vise à redonner la primauté du droit conventionnel sur le droit réglementaire pour une meilleure démocratie sociale, est à saluer.

M. Roland Muzeau. C'est la loi de la jungle !

M. Bernard Murat. Comme l'a fait remarquer M. de Virville dans son rapport intitulé Pour un droit du travail plus efficace, une réforme en profondeur de notre droit du travail nécessite un véritable essor du droit négocié.

M. Roland Muzeau. Savez-vous qu'il y a dix-huit mille contrats précaires chez Renault !

M. Bernard Murat. C'est faux !

M. Roland Muzeau. Demandez à M. de Virville !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Il ne suffit pas de l'affirmer pour que cela soit vrai !

M. Bernard Murat. En effet, la négociation collective assure l'adaptation des normes aux besoins des salariés et des entreprises. Elle garantit ainsi l'adhésion des acteurs du monde du travail aux règles qui leur sont applicables et elle permet d'appréhender la diversité des situations.

Or, jusqu'à présent, la négociation collective n'a joué que les seconds rôles dans l'élaboration de la norme en droit du travail. C'est donc tout à l'honneur du Gouvernement de vouloir modifier cette situation.

En défendant ce texte, vous faites preuve, monsieur le ministre, d'une volonté forte, ...

Mme Raymonde Le Texier. Ça, c'est vrai !

M. Bernard Murat. ... seule susceptible de donner à l'avenir, et pour le bien de la démocratie sociale,...

Mme Raymonde Le Texier. Il ne sait pas ce que cela veut dire !

M. Bernard Murat. ... toute sa place à la négociation collective, dont je vous ai souvent entendu défendre l'intérêt lorsque vous siégiez sur ces travées.

Dans un second temps, pour que la négociation collective puisse se développer, il faudra donner des moyens techniques et juridiques aux négociateurs.

Monsieur le ministre, en tant que rapporteur pour avis du projet de budget du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, je tiens à appeler votre attention sur une question qui me tient particulièrement à coeur et que j'ai déjà évoquée à plusieurs reprises.

Actuellement, la question du temps de travail des sportifs professionnels est abordée dans le cadre de l'élaboration de la convention collective nationale du sport ainsi que dans la négociation de leur convention collective par certains sports professionnels.

A ce stade, nous sommes confrontés à un constat simple : l'inadéquation totale du droit légal du travail salarié avec ce type d'activité professionnelle très particulier. Aucune solution adaptée n'est offerte pour évaluer de manière juste la durée effective du travail des sportifs.

Nous y reviendrons plus précisément au cours des débats, puisque j'ai déposé un amendement tendant à offrir la possibilité aux négociateurs des accords collectifs existants ou à venir dans le sport professionnel de mettre fin à cette illégalité de fait en leur permettant de disposer d'un outil de mesure du temps de travail approprié à la réalité de leur activité. II s'agit là, je le concède, d'une disposition spécifique dans un texte qui se veut généraliste, mais en total accord avec son esprit.

Je n'entrerai pas dans le détail des mesures proposées par cette proposition de loi, qui nous ont été par ailleurs brillamment exposées par nos excellents rapporteurs.

Comme tous les élus de terrain, j'écoute les gens, surtout les plus fragiles d'entre eux. Ce qu'ils nous demandent, c'est de nous préoccuper de la sauvegarde de leur emploi, de leur stabilité et de leur pouvoir d'achat.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Raymonde Le Texier. Ce n'est pas pareil !

M. Bernard Murat. C'est un message d'espoir, mais c'est aussi une nouvelle chance que cette proposition de loi leur offre ce soir.

Mme Raymonde Le Texier. C'est ce qu'ils ont dit aux dernières élections !

M. Bernard Murat. C'est aussi, pour les entreprises françaises, un message de confiance dans leur capacité d'organiser, avec leurs salariés, les meilleures conditions pour défendre et développer leur savoir-faire et leur marché, donc, par définition, l'emploi.

C'est enfin, monsieur le ministre - et je sais que vous y serez sensible -, une étape pour pouvoir relancer l'idée, chère au général de Gaulle, de la participation.

C'est donc par conviction profonde que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en préambule, de vous faire part de ma stupéfaction en entendant Mme Voynet qualifier les propos du ministre d'agressifs.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Ce n'était pas du tout le cas !

Mme Gisèle Gautier. C'était peut-être un peu excessif. Ce dossier est important pour l'avenir de notre pays et des propos de cette nature peuvent nuire à l'esprit dans lequel nous souhaitons débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.- Marques d'incompréhension amusée sur les travées du groupe socialiste.) Mais je ne veux pas polémiquer.

La présente proposition de loi ne constitue pas une refonte générale de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. Elle se caractérise, à l'égard des salariés, par plus de souplesse et plus de liberté de choix.

Par ce texte, il nous est suggéré d'assouplir, sans le bouleverser, le cadre général des 35 heures. Cet assouplissement est une bonne chose, car il nous faut à tout prix rompre avec le dirigisme et la rigidité des lois Aubry : le libre choix de chacun doit déterminer l'ensemble des relations de travail.

Dans tous ses éléments, la proposition de loi dont nous entamons l'examen apparaît comme un texte de bon sens. Mais j'aimerais tout particulièrement insister sur le fait que les aménagements qu'elle comporte sont les bienvenus non seulement pour les entreprises, mais également pour les salariés,...

M. Roland Muzeau. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

Mme Gisèle Gautier. ...contrairement aux propos que j'ai entendus tout à l'heure.

C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne les mesures relatives au compte épargne-temps. L'assouplissement de son utilisation en fait un outil effectif entre les mains des salariés, qui disposeront désormais d'un choix réel entre temps de repos et salaire.

Il en est de même du nouveau dispositif relatif aux heures choisies.

M. Guy Fischer. Subies !

Mme Gisèle Gautier. Toujours dans le même ordre d'idée, il sera permis à un salarié désireux de travailler plus de le faire. Encore une fois, la liberté -  j'emploie ce terme à dessein - du salarié s'en trouvera accrue.

Enfin, la possibilité de convertir une partie du temps de repos en salaire profitera aux salariés des entreprises de moins de vingt employés, en attendant la mise en place de comptes épargne-temps dans ces structures.

Cependant, ce dispositif transitoire devra être relayé par la conclusion de conventions ou d'accords collectifs. Afin que le maillage conventionnel soit le plus complet possible dans les petites entreprises, la possibilité de conclure un accord par mandatement d'un salarié en l'absence de représentation syndicale doit être proposée. Nous déposerons un amendement dans ce sens.

Par ailleurs, la prorogation du régime dérogatoire applicable aux petites entreprises en matière d'heures supplémentaires est une mesure réaliste. Il est important de se mettre à la place des artisans et des petits commerçants, sur lesquels pèsent des charges très lourdes. Une PME, ce n'est pas une multinationale ! Je ne jette pas l'opprobre sur les grandes entreprises, cela va de soi, mais celles-ci n'ont pas les mêmes moyens humains et financiers pour s'organiser. Le créateur d'une entreprise engage quelquefois ses propres deniers, il prend des risques. A ce titre, il convient de l'aider.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Gisèle Gautier. Ces entreprises sont légion dans notre pays. Elles représentent des millions d'emplois et sont sources de richesse pour la société française.

La présente proposition de loi pourrait aller un peu plus loin en matière d'assouplissement du dispositif des 35 heures. L'activité de certains salariés non cadres, par exemple, rend impossible tout décompte en heures de leur semaine de travail. C'est le cas des personnes qui rendent service et qui se déplacent dans des entreprises, chez des particuliers : elles ne peuvent malheureusement pas bénéficier du forfait de jours ou d'heures réservé aux cadres autonomes par les lois Aubry. Je trouve cette situation particulièrement injuste et je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez rectifier cette iniquité.

Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, je voterai la proposition de loi qui nous est soumise.

Je tiens à féliciter la commission des affaires sociales, notamment M. Souvet, rapporteur, et M. About, président, pour l'excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis mai 2002, on observe en France 40 000 destructions d'emplois, 180 000 chômeurs de plus et 250 000 RMIstes de plus, des prélèvements supplémentaires, l'absence de négociation dans les entreprises, des suppressions de postes dans la fonction publique. Le nombre d'inscriptions à l'ANPE a augmenté de 8,5 % en 2004 ; le chômage s'est accru de 22 % chez les jeunes et il atteint parfois 40 % dans les quartiers sensibles ; le chômage de longue durée s'est également aggravé. Une fois de plus, ce sont les populations les plus fragiles qui paient le plus lourd tribut et qui subissent de plein fouet la politique du Gouvernement. La précarité s'accroît : 75 % des offres concernent des emplois précaires.

L'aggravation du chômage et de la précarité a provoqué une baisse du pouvoir d'achat. Quel triste constat !

Cependant, la crise ne concerne pas tout le monde : l'année 2004 a été un grand cru pour les entreprises et pour les actionnaires, qui ont connu des bénéfices records. Il y a donc une société à deux vitesses : d'un côté, des actionnaires qui touchent le gros lot et, de l'autre, des travailleurs en voie de paupérisation, dont les acquis sont régulièrement mis en cause. On ne peut que s'indigner face à l'explosion des profits et des dividendes des entreprises ne générant ni emploi ni hausse du pouvoir d'achat.

Le texte qui est aujourd'hui soumis au Sénat réussit à remettre en cause la durée hebdomadaire du travail, la progression des salaires, les congés payés et la politique de l'emploi. Ces régressions sociales sont inacceptables et lourdes de conséquences pour les salariés.

Avec des heures supplémentaires majorées de seulement 10 % dans les entreprises de vingt salariés au plus, contre 25 % et 50 % aujourd'hui, les salariés devront travailler plus et ils gagneront moins en termes de taux horaire.

En 2005, les Français vont travailler plus sans augmentation de salaire. En effet, le contingent d'heures supplémentaires est désormais fixé à 220 heures par an et par salarié, contre 130 heures en 2002 et 180 heures en 2003 et en 2004 ; les employeurs peuvent donc imposer 40 heures par semaine.

Les jours de congés stockés sur les comptes épargne-temps que les salariés ne prennent pas pourront faire l'objet d'une rémunération ; les employeurs pourront imposer aux salariés de travailler davantage sans nécessairement appliquer le taux de rémunération prévu pour les heures supplémentaires. En d'autres termes, c'est au tarif normal que l'on paiera les heures supplémentaires placées sur le compte épargne-temps. En outre, avec la « journée de solidarité », c'est-à-dire la suppression d'un jour férié, les Français vont travailler un jour supplémentaire sans être rémunérés.

Une fois de plus, le Gouvernement montre qu'il ne souhaite pas entreprendre une politique d'embauche, car, en favorisant les heures supplémentaires, il fait le choix du chômage plutôt que celui des embauches. De plus, il accentue les inégalités entre les salariés des grandes et des petites entreprises.

Je rappelle que, selon un sondage IFOP réalisé les 27 et 28 janvier 2005, 77 % des salariés souhaitent conserver leur temps de travail ; seuls 18 % préfèrent le voir augmenter. Aujourd'hui, les salariés ont compris qu'ils risquaient de n'avoir ni les 35 heures ni les salaires, alors que tout augmente, en particulier en matière de santé et de logement.

Le Gouvernement ne respecte pas le contrat passé lors de la réforme du dialogue social, qui engage à négocier tout changement, puisque le texte encourage la négociation de gré à gré entre l'employeur et le salarié.

Il ne faut pas oublier que, très souvent, dans les entreprises, les salariés n'ont pas les moyens de faire entendre leur voix. Dans la plupart des cas, les employeurs n'acceptent pas que les salariés décident de leur temps de travail. En fait, la réforme vise à permettre aux entreprises de contourner les organisations syndicales pour mieux contraindre les salariés. Ce sont ces salariés qu'il faut protéger contre la précarité. En France, comme dans tous les pays industrialisés, ce sont les employeurs qui décident des heures supplémentaires à effectuer, et non les salariés. En cas de refus, les salariés s'exposent à un licenciement. Cette réforme ne pourra donc pas permettre aux salariés de choisir de travailler plus pour gagner plus.

J'en viens aux effets positifs du dispositif relatif aux 35 heures.

Les 35 heures ont permis une évolution considérable de l'organisation du travail - réorganiser, redistribuer et rationaliser les missions - et favorisé le dialogue social dans l'entreprise. En effet, selon le ministère du travail, « les lois Aubry ont provoqué un accroissement très sensible du nombre des accords d'entreprise et d'établissement ».

La réforme des 35 heures a-t-elle créé des emplois ?

Selon EUROSTAT, le taux de création d'emploi entre 1999 et 2001 a été de 50 % plus élevé en France que dans les autres pays européens. Ainsi, le Commissariat général du Plan estime que 200 000 emplois ont été créés en 2000 uniquement grâce aux 35 heures. L'INSEE en dénombre 300 000 à la fin de l'année 2001 et la DARES précise que 50 000 emplois supplémentaires ont été créés lors du premier semestre de l'année 2002.

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Combien ont-ils coûté ?

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. A quel prix ?

Mme Patricia Schillinger. De juin 1997 à juin 2002, plus de 350 000 emplois privés ont donc bien été créés grâce aux 35 heures, auxquels s'ajoutent les emplois sauvegardés.

Quel est l'impact des 35 heures sur la compétitivité de la France ?

Globalement, les Français ont réussi à produire autant en moins de temps et les 35 heures ont permis de réorganiser et de rationaliser le travail...

M. Louis Souvet, rapporteur. La dégradation des conditions de travail !

Mme Patricia Schillinger. ...pour dégager plus de temps libre pour les salariés. Travailler moins ne revient donc pas à produire moins ou moins bien.

Selon EUROSTAT, la production par heure travaillée et la production par personne employée en France sont supérieures, pour 2001, à la moyenne européenne.

Le pouvoir d'achat est lié à l'emploi. Les 35 heures ayant permis une baisse du chômage, elles sont aussi à l'origine d'une hausse du pouvoir d'achat. Ainsi, entre 1997 et 2002, le pouvoir d'achat des ménages a augmenté en moyenne chaque année de 3 %.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui est inacceptable. Malgré un échec économique et social reconnu, fruit d'une politique économique injuste et inefficace, le Gouvernement refuse de modifier sa stratégie. Le Gouvernement est au service du CAC 40 : les groupes français qui affichent des profits records continuent à détruire des emplois et à geler les salaires.

Le Gouvernement a engagé d'énormes ressources publiques - loi Larcher sur les licenciements, loi Borloo sur les 35 heures, réductions fiscales, etc. - pour soutenir les groupes et éviter au CAC 40 de sombrer. Quelle crédibilité accorder au Gouvernement expliquant qu'il faut « travailler plus pour gagner plus » alors que les groupes recherchent une rentabilité toujours plus élevée ?

Cette politique libérale est un dramatique retour en arrière mettant en danger la cohésion sociale, et les 35 heures ne sont qu'un faux débat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir ce soir sur ce problème des 35 heures sans polémiquer (Mme Dominique Voynet rit.), ...

M. Roland Muzeau. Ça va être difficile !

M. Serge Dassault. ... avec comme unique souci l'efficacité pour tous.

Je vous demande d'avoir à l'esprit que, ce qui compte, c'est le résultat de l'activité de production d'une entreprise et le prix de vente auquel elle aboutit.

M. Robert Bret. Et les profits réalisés !

M. Serge Dassault. S'il est trop élevé, elle ne vendra pas et ce sera le chômage.

Je ne vois d'ailleurs pas quel incendie nous pourrions déclencher en permettant de travailler plus, comme l'a dit Mme Voynet. Les Chinois travaillent plus de quarante-cinq heures...

M. Robert Bret. Ce n'est pas un modèle !

M. Serge Dassault. ... et nous sommes inondés de leurs produits !

Mme Dominique Voynet. Il faut arrêter de parler des Chinois !

M. Serge Dassault. Je ne cherche pas à attaquer qui que ce soit ! Je veux simplement expliquer la réalité et ce qu'il faudrait faire pour réduire le chômage, car tel est l'objectif de tout gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite.

Je pense aussi au budget de l'Etat, gravement amputé par les aides à l'emploi dans l'espoir de créer des emplois.

M. Roland Muzeau. Et les cadeaux fiscaux ?

Mme Raymonde Le Texier. Et l'allégement des charges pour les patrons ?

M. Serge Dassault. Or il s'avère que ces aides ne créent aucun emploi. Tout juste permettent-elles aux entreprises de ne pas licencier un personnel dont le coût de production devient trop élevé en raison des augmentations répétées du SMIC et des 35 heures. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je ne suis pas contre les augmentations de salaires destinées à augmenter le pouvoir d'achat des salariés. Cependant, elles doivent non pas être imposées par l'Etat, mais décidées par chaque entreprise, en fonction de ses possibilités et de ses résultats, au moyen de la participation. Car à quoi servent des augmentations imposées si elles aggravent le déficit de l'Etat ou si elles conduisent les entreprises à licencier ?

M. Claude Domeizel. Total : 9 milliards d'euros de profits!

M. Serge Dassault. Ces augmentations permettent à leurs bénéficiaires d'acheter plus de produits, mais lesquels ?

Il s'agit, malheureusement, de produits fabriqués en Chine, où le coût de production est trente à quarante fois moins cher que chez nous et où il n'y a pas, comme Mme Voynet ou d'autres, des personnes qui disent n'importe quoi ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

En effet, nos coûts de production ont fortement augmenté : le coût horaire de la main-d'oeuvre dans l'industrie manufacturière en France est 1,5 fois plus élevé qu'en Espagne, 3,5 fois plus élevé qu'en Pologne, 4 fois plus élevé qu'en Hongrie et 56 fois plus élevé qu'en Inde ! (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.).

De plus, les salaires n'ont pas baissé en proportion, ce qui affaiblit encore plus la compétitivité de nos produits.

Il ne suffit pas de dire qu'il faut travailler moins et partir en vacances : il faut produire et vendre ! Or les entreprises produisent de moins en moins en France et de plus en plus à l'étranger. Tout cela ne permet de créer aucun emploi chez nous, d'où l'augmentation du chômage, malgré la croissance, qui ne sert qu'aux autres.

C'est d'ailleurs ce qui se passe aux Etats-Unis, où l'accroissement considérable des importations de Chine déstabilise la balance commerciale et conduit, malheureusement pour nous, à la baisse du dollar.

Aussi ne faut-il pas se leurrer : l'application des 35 heures pénalise lourdement nos entreprises, donc l'emploi, même si elle satisfait certains qui travaillent moins !

La réduction du chômage n'interviendra que si les entreprises peuvent embaucher pour satisfaire leurs clients.

Mme Raymonde Le Texier. On ne voit pas pourquoi elles embaucheraient avec 220 heures supplémentaires !

M. Serge Dassault. Cela ne se fera que si leur coût de production est compétitif par rapport aux mêmes produits fabriqués ailleurs, ce qui est de moins en moins le cas.

Travailler moins que les autres, avec des charges plus élevées, comme certains le demandent, ne peut qu'aboutir à la délocalisation ou à la sous-traitance à l'étranger.

M. Roland Muzeau. Mais non ! C'est seulement le capitalisme qui fonctionne ainsi !

M. Serge Dassault. C'est automatique, il faut le savoir. On peut le regretter, mais il n'y a rien à faire !

M. Roland Muzeau. Si : le condamner !

M. Serge Dassault. Par ailleurs, la réduction du chômage - cela va vous faire plaisir ! - ne pourra pas se faire sans flexibilité !

En effet, c'est la rigidité de l'emploi qui est responsable du chômage et de la précarité ; il faut le savoir. C'est aussi vrai que la terre tourne autour du soleil, et non l'inverse ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Toute action qui ne ramènera pas la flexibilité ne réduira pas le chômage, quoi que fasse le gouvernement. Néanmoins, les efforts de ce dernier pour assouplir cette règle sont méritoires. Aussi, je formulerai deux observations.

Premièrement, le Gouvernement devrait profiter de cette opération pour réduire ses aides à l'emploi, en particulier celles qui proviennent justement du coût supplémentaire des dépenses imposées aux entreprises qui payent 39 heures un travail de 35 heures. Cela nous coûte environ 10 milliards d'euros. Comme l'a dit Jean-Pierre Fourcade, nous sommes les seuls au monde dans ce cas ! Il vaudrait mieux favoriser la recherche et l'investissement plutôt que d'accroître les dépenses de fonctionnement.

Une solution consisterait à réduire cette compensation chaque année en passant de 1,6 fois le SMIC à 1,5, puis à 1,4, à 1,3, etc. L'Etat pourrait ainsi économiser plusieurs milliards d'euros, ce qui serait bienvenu pour le déficit budgétaire, mes chers collègues.

Deuxièmement, certaines mesures de cette proposition de loi ne sont pas applicables en l'état pour les petites et moyennes entreprises.

Avant tout, il faut être conscient que les PME, notamment celles de moins de vingt salariés, sont généralement très peu syndicalisées. Les derniers chiffres sont significatifs : seulement 20% des PME ont des délégués syndicaux. Aux termes de cette proposition de loi, elles ne seront pas en mesure de signer les conventions collectives de branche ou les accords d'entreprise qui permettraient de mettre en place un régime d'heures supplémentaires supérieur au contingent réel si elles n'ont pas de délégué syndical. Or elles ne veulent pas en avoir.

C'est un point fondamental pour les petites et moyennes entreprises, qui attendent beaucoup de ce texte, mais qui ne l'appliqueront pas si elles sont obligées de faire venir un délégué syndical d'une autre entreprise. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement qui devrait permettre à ces entreprises de signer des accords avec leurs propres délégués ou avec leur personnel si elles n'ont pas de délégué syndical.

M. Roland Muzeau. Avec des délégués maison ?

M. Serge Dassault. Cette proposition ne recevra sans doute pas l'accord des syndicats. Mais pourquoi ne seraient-ils pas raisonnables et conscients que, sans cette mesure, beaucoup d'entreprises ne pourront pas bénéficier de cette loi, ce qui serait dommage pour leur activité et pour leur personnel ? Essayons de dépasser nos idéologies respectives !

Que chacun soit conscient de l'enjeu de cette décision et fasse preuve de bonne volonté, dans l'intérêt de tous, et surtout des salariés. Est-ce véritablement impossible ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Jacqueline Alquier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, des sujets aussi essentiels et sensibles que l'organisation du temps de travail, le pouvoir d'achat, les conditions de travail, auraient mérité que l'on prenne le temps de l'analyse, de la réflexion et surtout de la concertation.

Plutôt que de présenter en hâte un rapport partial, orienté et mensonger sur lequel s'appuie une proposition de loi qui, loin de répondre aux réalités et aux besoins du monde du travail, en aggrave les disparités et fragilise la position déjà difficile des salariés, il aurait été respectueux et responsable d'associer les salariés et les dirigeants d'entreprise, par le biais de leurs organisations représentatives, à un véritable débat permettant d'aboutir à des propositions porteuses de progrès social, de solidarité et de dynamisme économique.

Les 35 heures ont permis la création de 350 000 emplois et la préservation de 50 000 emplois, une dynamique de négociation collective sans précédent, surtout dans des entreprises où cela ne faisait pas partie de la culture, une véritable innovation en matière d'organisation du travail chaque fois que l'application de la loi n'a pas voulu être subie comme une contrainte.

Les 35 heures ont également permis aux entreprises de conserver leur compétitivité en renforçant leur productivité chaque fois qu'une réflexion a été menée sur l'organisation du travail.

Faut-il vous rappeler que, sous le gouvernement Jospin, de 1997 à 2000, on a enregistré un chiffre record d'heures travaillées, alors que les salariés pouvaient libérer du temps pour s'occuper davantage de leurs enfants et de leur famille ? Cela a permis aux femmes, particulièrement, de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, aux cadres de bénéficier de jours de repos et de gagner en qualité de vie.

Et tout cela sans ruiner l'Etat - contrairement à ce qui a souvent été dit ! - puisque les 35 heures ont été l'une des mesures de soutien à l'emploi les moins coûteuses pour le budget de l'Etat.

Cela n'a pas non plus ruiné les entreprises puisque les dirigeants d'entreprise, loin de réclamer l'abrogation des 35 heures, souhaitent, pour une large majorité d'entre eux, conserver leurs accords. Ils ne se sont pas rués sur les ouvertures déjà proposées par la loi Fillon.

Les salariés n'ont pas été ruinés non plus puisqu'ils se sont en grande majorité exprimés pour le maintien du temps de travail. Ils le défendent même dans la rue, là où on est bien obligé de les entendre !

Non seulement vous niez et méprisez ces résultats, mais vous rendez les 35 heures responsables de l'échec économique et social de votre politique.

Or, depuis votre arrivée au gouvernement, la situation ne cesse de se dégrader : 40 000 emplois perdus, 180 000 chômeurs de plus, ...

M. Louis Souvet, rapporteur. Avec ce que vous nous avez laissé, ce n'est pas difficile !

Mme Jacqueline Alquier. ... augmentation des prélèvements, suppression de postes dans la fonction publique, absence de négociations salariales dans les entreprises, augmentation de la précarité des emplois, suppression d'un jour férié.

Comme on peut le constater, les effets de votre politique ne vont pas dans le sens d'une amélioration des conditions de travail et de vie des salariés. Aujourd'hui encore, les remèdes que vous proposez au travers de ce texte vont à l'encontre du contexte et de l'évolution naturelle de notre société. Ils sont également contraires aux intérêts des acteurs du monde du travail.

Pourquoi augmenter le contingent d'heures supplémentaires alors que le contingent de cent trente heures est à peine utilisé ?

Pourquoi inciter ceux qui ont un emploi à temps plein à travailler plus, au détriment de leur santé et de leur sécurité, alors que le chômage augmente et que les temps partiels subis sont en constante progression ?

Pourquoi encourager les arrangements individuels entre employeur et employé, au détriment d'un encadrement collectif qui, seul, garantit l'amélioration des conditions de travail, des statuts et des rémunérations ?

Nous savons bien aujourd'hui que, grâce aux progrès techniques, nous sommes capables de produire de plus en plus de richesses avec de moins en moins de travail, et que seule la diminution du temps de travail peut permettre une meilleure répartition des gains de productivité.

Dès lors, faut-il encore accroître les inégalités ?

Faut-il travailler plus ou faut-il travailler autrement, investir dans la formation, la recherche ?

Voilà l'orientation que doit prendre notre réflexion collective, alors que vous ne proposez que régression, que vous encouragez l'individualisme et que vous utilisez la démagogie.

« Travailler plus pour gagner plus » en faisant des heures supplémentaires, qui ne seront payées qu'à terme -  indéfini, d'ailleurs - sans garantie d'une majoration et sans certitude si l'entreprise rencontre des difficultés au moment du solde de ces heures. Certes, cela coûtera moins cher aux entreprises qui verront baisser charges et impôts, mais quel bénéfice en tirera le salarié ?

Pourquoi ne pas payer directement les heures supplémentaires au moment où elles sont faites, avec les majorations légales et le repos compensateur dû pour garantir la santé et la sécurité des salariés si votre motivation est vraiment d'accroître le pouvoir d'achat ? Ce serait plus simple, plus juste et plus sûr.

Pourquoi un contingent de 220 heures supplémentaires ? Un rapide calcul nous montre que c'est le retour aux 40 heures qui est permis par ce biais.

Cela conduit également à reporter d'autant le seuil de déclenchement du repos compensateur de 100 % dont bénéficie le salarié qui travaille au-delà du contingent légal.

De plus, la possibilité qu'offre votre proposition de loi de renoncer au repos compensateur de 50 % pour toute heure effectuée dans le contingent légal au-delà de la quarante-troisième heure présente un grave risque pour la santé du salarié et pour sa sécurité.

Pourquoi encore, si c'est bien l'augmentation du pouvoir d'achat du salarié qui est votre préoccupation, avoir maintenu à 10 % le taux de rémunération des heures supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés ? Alors que, à partir de la 36ème heure, le salarié devrait percevoir 125 % de rémunération, il n'en recevra que 110 %. Loin de travailler plus pour gagner plus, il s'agit donc bien de travailler plus pour gagner moins !

Mme Jacqueline Alquier. Et que dire des heures effectuées au-delà du forfait individuel ou du forfait jours, ainsi que des jours de repos auxquels le salarié pourra renoncer pour encore travailler ? Ni reconnus comme heures supplémentaires pour une quelconque majoration, ni imputables sur le contingent, ce sont encore des droits acquis qui seront perdus pour le salarié, et ce pour une hypothétique rémunération supplémentaire !

Et tout cela se passera dans le cadre d'une négociation employeur-employé, sans la garantie d'une protection collective et d'une intervention syndicale ; des litiges ne manqueront pas de surgir au vu d'un tel mépris pour le minimum de protections auxquelles a droit tout salarié.

Et que dire aussi de ces termes « heures choisies » ? A qui ferez-vous croire que les salariés pourront « choisir » leur temps de travail ? C'est méconnaître la réalité de l'entreprise ou être bien naïf que de penser que ce n'est pas l'employeur qui impose le temps de travail ! Ce temps choisi deviendra facilement du temps contraint que le salarié ne pourra pas refuser, sous peine d'être licencié.

C'est bien le démantèlement du droit du travail qui est le véritable objectif de cette proposition de loi !

Permettre la négociation directe entre l'employeur et le salarié sur son salaire et ses conditions de travail est la pire des atteintes que l'on peut porter à la protection du salarié.

Mme Jacqueline Alquier. C'est la fragilisation de positions déjà bien précaires, l'accroissement des inégalités entre les salariés et entre les entreprises selon leur taille, la dérogation aux principes de la négociation collective et la remise en cause du principe même d'une durée légale, référence collective applicable à tous.

Si cette proposition de loi était adoptée, les seules garanties qui resteraient aux salariés seraient de ne pas travailler plus de 48 heures par semaine et de bénéficier de quatre semaines de congés payés. Quel progrès !

Cela ressemble à une provocation et à une fuite en avant dans l'obstination à ne tenir compte ni de cette réalité économique qui veut que l'augmentation des heures supplémentaires implique la destruction du travail et de l'emploi, ni d'une réalité sociale, à savoir que les Français ne veulent pas que soit remise en cause la réduction du temps de travail.

Ils l'ont manifesté et le manifesteront encore. Ils seront dans la rue le 10 mars. La réduction du temps de travail, ils la vivent bien comme un acquis social, comme un progrès, et ils la défendront, car elle reste une réponse adaptée et à privilégier pour favoriser la création d'emplois et la croissance.

Nous en sommes convaincus et nous continuerons à oeuvrer dans ce sens, dans la concertation et le débat, forts du bilan positif de l'application d'une loi qui, bien qu'elle n'ait pu être menée jusqu'à son terme, a donné des résultats qui sont encourageants et qui vont dans le sens de l'évolution de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, je prends la liberté, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas, de répondre aux propos de Mme Gautier.

Un homme véhément est naturellement passionné ; une femme passionnée ne serait-elle pas « convenable » ?

Je réclame le droit, au nom de l'égalité, pour mes collègues et moi-même, d'être véhémente parce que je suis passionnée, surtout quand on nous présente un texte dont la caractéristique première est l'injustice et qui affirme la primauté du droit des employeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le taux de chômage dépasse la barre des 10 %, quand 75 % des offres d'emplois concernent des emplois dits atypiques - précaires, mal rémunérés, à temps partiel -, quand des entreprises réalisent un profit pharaonique au seul bénéfice de leurs actionnaires, il y a une forme d'indécence à afficher un slogan tel que « travailler plus pour gagner plus ».

Ce slogan se veut « vendeur », alors que nos concitoyens connaissent, depuis deux ans, une stagnation de leur pouvoir d'achat, voire, notamment avec l'augmentation des loyers, une érosion. Vous brandissez un miroir aux alouettes face à tous ceux qui ont besoin de plus de pouvoir d'achat...

Vous dites que les 35 heures ont été une réforme autoritaire : première erreur. C'est sur le fondement d'un programme clairement affiché que la gauche est revenue au pouvoir en 1997.

Mme Dominique Voynet. C'est vrai !

Mme Bariza Khiari. Les lois Aubry ont ensuite donné lieu à 120 000 accords d'entreprise. Rien de moins autoritaire et uniforme que cette organisation sans précédent du dialogue social et de différents process dans l'entreprise.

Vous dites aussi que les 35 heures sont responsables d'une crise de la « valeur travail » et d'une baisse de compétitivité de la France : deuxième erreur. Chaque jour, des salariés se battent avec l'énergie du désespoir pour garder leur emploi ! Le Conseil économique et social le rappelle dans une étude : « Il ne semble pas que la part relativement moins forte du travail dans la vie des personnes ait constitué une source de démotivation. » Il ajoute : « Le travail précaire, l'insécurité sociale et l'absence de déroulement de carrière et de valorisation des qualifications sont des facteurs beaucoup plus puissants de démotivation ».

Mme Bariza Khiari. Il est indécent de voir la majorité se réclamer de la « valeur travail », alors qu'elle est responsable de la hausse du chômage. Avec 200 000 chômeurs de plus depuis mai 2002, vous avez réussi à faire exploser la précarité. Votre échec est patent !

Grâce aux 35 heures, en travaillant individuellement moins, les Français ont travaillé collectivement plus. Ainsi, jamais les Français n'ont autant travaillé qu'en 2000, année de passage aux 35 heures, avec 27 milliards d'heures oeuvrées.

D'ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, de concert avec le MEDEF, les Français ne sont pas, et de loin, ceux qui travaillent le moins en Europe.

Mme Bariza Khiari. Vous dites encore que les 35 heures ont été coûteuses pour les finances publiques : troisième erreur. Il convient d'examiner globalement le coût des 35 heures, en intégrant tous les flux financiers.

En 2001, la sécurité sociale était excédentaire. Si l'on prend en compte les 4 milliards de cotisations sociales générées par les emplois créés, les baisses des dépenses chômage et les rentrées fiscales, les 35 heures ont coûté 5,2 milliards d'euros.

En guise de politique de l'emploi, votre programme politique se résume à des mesures de baisse des cotisations patronales sans aucune contrepartie. Ainsi, vous avez octroyé un milliard d'exonérations de TVA à la restauration, mais, sur les résultats de cette mesure, vous ne donnez aucun chiffre !

Mme Bariza Khiari. Au mieux, si l'on est optimiste, 10 000 emplois auront été créés, soit 100 000 euros publics par emploi.

Bien sûr, l'application des 35 heures, en répondant à la préoccupation numéro un des Français, à savoir le chômage, n'est pas allée sans quelques inconvénients. A chaque réforme, surgissent, bien évidemment, de nouvelles questions qu'il incombe aux politiques de prendre en compte - plus grande intensité du travail, polyvalence - et, parfois, il faut le reconnaître, une difficulté de mise en oeuvre.

En dépit de ces conséquences, 77 % des salariés qui sont passés aux 35 heures se disent aujourd'hui satisfaits et ne souhaitent pas revenir en arrière.

Trois dispositifs, parmi ceux que vous nous proposez, sont particulièrement pernicieux.

Le premier consiste à permettre à l'employeur d'affecter les heures supplémentaires sur le compte épargne-temps. Le mécanisme est astucieux et particulièrement profitable pour les employeurs qui pourront, bien sûr, confier à une société la gestion de ce compte qu'ils provisionneront en fonction des heures supplémentaires effectuées. Cette provision produira des intérêts que l'entreprise empochera. Au fond, c'est le salarié qui fait crédit à son entreprise. Du jamais vu !

Mme Bariza Khiari. Le deuxième dispositif consiste à autoriser, au-delà des heures supplémentaires, le salarié à faire des heures dites « choisies », pour reprendre votre vocabulaire. Je parlerai, quant à moi, comme mes autres collègues, d'heures « subies » qui pourront, elles aussi, être payées en différé, par une affectation sur le compte épargne-temps, ...

Mme Raymonde Le Texier. Monnaie de singe !

Mme Bariza Khiari. ... sans pour autant, là encore, être indexées sur l'inflation. C'est de l'arnaque !

Le « temps choisi » n'est qu'un leurre : arrêtons de faire comme si les salariés décidaient librement de leurs heures supplémentaires ! Les liens de subordination sont tels que la liberté en la matière, c'est celle de l'employeur et uniquement de l'employeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ceux qui voudront travailler plus ne pourront pas le faire aujourd'hui plus qu'hier. En revanche, ceux qui étaient satisfaits des 35 heures seront forcés, si leur employeur en décide ainsi, de travailler plus pour un salaire à peine supérieur.

Le troisième dispositif, le plus inquiétant, consiste à permettre - cela a été dit et redit - aux quatre millions de salariés des entreprises de moins de vingt salariés de faire, en plus des heures supplémentaires contingentées et des heures subies, des heures qui iront au-delà des 48 heures, durée maximale hebdomadaire autorisée par Bruxelles. Le salarié pourra se voir contraint de travailler dix jours de plus, ou 70 heures par an, par un simple accord avec son employeur !

Ce dispositif, d'inspiration libérale, porte fort logiquement un nom anglo-saxon : l'opting out. Il permet de déroger aux règles nationales et européennes existantes, si le salarié y consent. Mais aura-t-il le choix de le refuser ?

Certes, vous présentez cette possibilité comme temporaire. En vérité, en cherchant à légaliser l'opting out, vous devancez, une fois n'est pas coutume, une directive européenne à venir.

La nouvelle directive sur le temps de travail, qui sera soumise au vote du Parlement de Strasbourg en mars, comporte, en effet, une série de régressions, notamment la consécration de cet opting out individuel qui permet aux employeurs d'allonger sans aucune limite la durée du temps de travail, le seul contrepoids étant l'obligation floue de « respecter les principes généraux de la sécurité et de la santé des travailleurs ».

Cumulée avec le projet de directive Bolkestein - en vérité, il faut dire la directive Barroso, puisque le pauvre Bolkestein n'est plus là ! -, mise en sourdine pour cause de campagne référendaire, cette réforme du temps de travail que nous prépare la Commission européenne est un pas de plus vers le démantèlement des droits des travailleurs et la mise à bas de notre code du travail.

Vous soutenez la Commission dans ce sens : sachez que les socialistes seront là pour empêcher la régression sociale que vous êtes en train d'organiser avec l'aide des ultralibéraux qui y sont majoritaires.

Les salariés français ont accepté, en contrepartie des 35 heures, la modération salariale et une forme de flexibilité. Derrière ce prétendu assouplissement des 35 heures que vous nous proposez, vous démantelez ni plus ni moins le code du travail, vous surajoutez une injustice aux sacrifices consentis par les salariés et, ce qui est grave à mes yeux, vous vous réfugiez derrière une proposition de loi, alors que vous vous étiez engagés à favoriser la concertation.

Ce texte est purement idéologique. Il va vite se révéler économiquement inefficace et socialement injuste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Louis Souvet, rapporteur. Je demande la parole.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Souvet, rapporteur. Madame Khiari, je voudrais vous répondre.

Voilà un instant, vous avez réclamé le droit à la véhémence et à la passion. Vous venez de vous exprimer et chacun vous a écoutée : selon vous, qu'auraient ajouté la véhémence et la passion à vos propos ? Le débat en aurait-il été amélioré ?

Des événements personnels m'ont à tout jamais, je l'espère, éloigné des chemins de l'intolérance. Grâce à la confiance que m'ont accordée les grands électeurs du Doubs, j'ai été élu, puis réélu deux fois, et je siège dans cette maison depuis vingt-cinq ans.

M. Louis Souvet, rapporteur. Voilà vingt-cinq ans, certains d'entre vous - et je m'en réjouis, d'ailleurs - étaient encore au lycée. J'ai donc quelque avance en matière d'expérience ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je n'ai pas l'habitude de tourner les gens en ridicule ! Aussi, j'aimerais bien que vous respectiez ce que je dis !

Depuis vingt-cinq ans, je crois avoir été tolérant. En effet, m'avez-vous entendu, une seule fois, invectiver quelqu'un ou crier depuis ma place ? Jamais !

Avez-vous une seule fois lu, dans le compte rendu analytique ou dans le compte rendu intégral, une seule ligne dans laquelle je vous invective ? Non, jamais, car je vous respecte et que j'estime que vous enrichissez la réflexion.

Je ne pense pas que les propos de Mmes Printz, Voynet ou Schillinger aient pu paraître agréables aux membres de la majorité. Pourtant, pas une seule voix ne s'est élevée pour les interrompre. En revanche, MM. de Montesquiou, Fourcade et Murat ont tout juste pu s'exprimer tant ils étaient interrompus.

M. Claude Domeizel. Parce qu'ils disaient des contrevérités !

M. Louis Souvet, rapporteur. Lorsque vous vous voulez lyriques, vous dites respecter ce qui fait notre richesse, c'est-à-dire notre différence. Vous le dites ; je le fais ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord de remercier Mme Gisèle Gautier d'avoir pris ma défense. Madame Voynet, le mot « martial » vient de Mars, dieu protecteur de la végétation et de sa renaissance, fils de Jupiter et de Junon. En ce mardi, premier jour de mars, voyez tout simplement en moi le protecteur de la végétation, que je suis aussi par d'autres fonctions. (Sourires.)

Madame Khiari, vous avez dit une contrevérité s'agissant de l'opting out. C'est un sujet que je connais bien. Je fus le seul, à Bruxelles, le 7 décembre dernier, lors de la réunion du Conseil européen des ministres de l'emploi, à avoir pris une position claire et à avoir amené une minorité de blocage, formée de la Belgique, de la Suède, de l'Espagne, puis de la Finlande et du Portugal, à penser que l'on ne pouvait pas élaborer une directive sur le temps de travail fondée sur la dérogation permanente au-delà des 48 heures hebdomadaires. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Cette position, je l'ai confirmée la semaine dernière devant le comité du dialogue social européen et international et devant l'ensemble des partenaires sociaux. En effet, outre le fait qu'il s'agit d'un schéma sur lequel nous ne nous retrouvons pas en termes de valeurs, cela correspond aussi à un dumping social pour l'ensemble de la Communauté européenne.

Je récuse donc officiellement vos affirmations, madame le sénateur. J'indique par ailleurs que, si cette question est évoquée cette semaine par la présidence luxembourgeoise, la position de la France sera identique à celle qu'elle a adoptée le 7 décembre dernier.

Mme Bariza Khiari. Je m'en réjouis !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Par ailleurs, s'agissant de la directive Bolkestein, c'est le Gouvernement qui, le 4 juin dernier, au Conseil des ministres de Luxembourg, a demandé que le projet de directive soit examiné au préalable non pas par le seul conseil « compétitivité », mais également par le conseil « emploi ». A cette époque, cela n'intéressait personne !

M. Roland Muzeau. L'Humanité l'avait demandé au mois de janvier !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. L'Humanité, peut-être !

M. Roland Muzeau. Ce fut le seul journal à le faire !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le 4 juin 2004, lorsque ce sujet a été évoqué devant le conseil « emploi », j'ai pris position, au nom du gouvernement français.

M. Roland Muzeau. Tardivement : plusieurs mois après ! Il fallait réagir plus tôt !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous n'avons de leçon à recevoir de personne !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oh non !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le Président de la République, usant de son influence, a permis que ce projet de directive soit réexaminé sur le fond.

J'en viens à la proposition de loi. Monsieur le rapporteur, dans un exposé très clair, vous avez recadré nos débats. Il est vrai qu'aucun autre pays industrialisé n'a suivi la France dans sa démarche de réduction du temps de travail.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Aucun !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Vous avez démontré les raisons pour lesquelles des adaptations de notre législation étaient nécessaires. Vous les avez placées dans le prolongement de la loi Fillon du 17 janvier 2003. Ces deux réformes relèvent en effet de la même philosophie : ouvrir de nouveaux espaces au dialogue social. Car, je le rappelle, la clef de voûte de ce texte est non pas l'accord individuel, mais l'accord collectif, qui sera présent tout au long de notre débat. La proposition de loi prévoit de nouveaux outils ; il appartient aux partenaires de s'en saisir.

Madame le rapporteur pour avis, permettez-moi, au nom du Gouvernement, de vous féliciter, car je sais qu'il s'agissait de votre première intervention à la tribune du Sénat. Je n'ai pas été surpris que la commission des affaires économiques vous confie le soin d'élaborer ce rapport pour avis, auquel vous avez apporté votre expérience professionnelle et personnelle.

Comme vous l'avez souligné à juste titre, il n'existe pas d'hostilité de principe s'agissant de l'organisation du temps de travail. En fait, tout dépend de la méthode : on peut opter soit pour un système autoritaire, soit pour le dialogue et l'adaptation.

Je vous remercie d'avoir rappelé que ma position sur ce sujet est non pas idéologique, mais pragmatique. C'est d'ailleurs la vision du Gouvernement tout entier, qui soutient la proposition de loi déposée par plusieurs députés.

Madame Le Texier, vous avez fait un discours particulièrement modéré et mesuré. (Rires.)

Mme Raymonde Le Texier. Je vous remercie de l'avoir remarqué !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Vous vous êtes demandé s'il fallait brûler le code du travail. Or un autre orateur m'a reproché de manier le plumeau en matière de « recodification ». Entre le bûcher et le plumeau, je ne sais ce qu'il faut préférer. Peut-être faut-il parler d'autodafé, qui signifie « acte de foi » en portugais. Eh bien ! j'ai foi dans la capacité des partenaires sociaux à définir, demain, des conditions de fonctionnement dans l'entreprise autres qu'un affrontement idéologique ou législatif.

Madame Voynet, vous avez annoncé qu'en cas d'alternance vous reviendriez immédiatement sur ce texte. Et si nous prenions, ensemble, l'engagement de faire confiance aux partenaires sociaux...

Mme Raymonde Le Texier. Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?

Mme Dominique Voynet. Les partenaires sociaux sont tous contre ce texte !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...pour définir, demain, ...

M. Roland Muzeau. Il fallait le faire aujourd'hui !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...ce que sera l'organisation du travail dans l'entreprise, plutôt que d'opposer une loi à une autre. C'est un espace de négociation que nous voulons ouvrir !

S'agissant toujours de la recodification, je rappelle au Sénat, qui a déjà connu la recodification du code rural, du code de la famille et de l'aide sociale, du code de la sécurité sociale, que nous légiférons à droit constant, et que des garanties sont prévues, notamment l'avis du Conseil d'Etat.

Rendre le code du travail compréhensible, lisible, n'est-ce pas tout simplement rendre la loi et le règlement intelligibles aux citoyens ? C'est un devoir en démocratie ! En effet, lorsque la loi et le règlement ne sont plus compris, ils deviennent des textes de spécialistes plus difficiles à respecter au quotidien dans les entreprises. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Gournac, vous êtes revenu en détail, avec votre passion habituelle, sur un sujet que vous connaissez bien. Vous dénonciez, dès 1998, certains vices originels d'un système autoritaire qui n'était pas le fruit d'une négociation approfondie.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La réduction du temps de travail a été conçue dans une approche strictement macroéconomique, ce qui l'a rendue inapplicable dans de nombreuses entreprises, en particulier les PME.

Monsieur Vanlerenberghe, vous avez estimé, à juste titre, que la réduction autoritaire du temps de travail était inadaptée. La possibilité de convertir les droits acquis sur le compte épargne-temps en complément de salaire est effectivement une mesure innovante.

S'agissant des heures choisies, objet de l'une de vos préoccupations, permettez-moi de vous citer un exemple pour démontrer leur utilité. Au préalable, je vous rappelle que ces heures doivent être prévues par les partenaires sociaux dans le cadre d'un accord collectif majoritaire.

Pour illustrer mon propos, j'évoquerai l'industrie du décolletage, largement implantée dans les vallées savoyardes...

M. Roland Muzeau. Chez M. Gaymard ! (Sourires.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Dans le département de Haute-Savoie, monsieur Muzeau ; il faut affiner vos connaissances géographiques !

M. Roland Muzeau. Je n'ai pas le temps de m'offrir des vacances d'hiver. (Nouveaux sourires.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. L'industrie automobile se portant bien, les commandes devenaient plus nombreuses. Grâce à un accord de la branche métallurgique qui avait appliqué les dispositifs de la loi Fillon de janvier 2003, les salariés pouvaient travailler cent quatre-vingts heures par mois. Mais pour honorer les commandes, il aurait fallu qu'ils travaillent deux cent vingt heures pendant plusieurs mois. Le choix était simple : soit la République Tchèque, soit la vallée savoyarde.

Lorsque des industriels et des salariés vous exposent de telles situations, vous êtes confronté à la réalité, à la nécessaire adaptation aux besoins des entreprises.

Mme Raymonde Le Texier. Il y a les CDD !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Face à cette réalité, il ne faut pas opter pour la délocalisation. Comme on me l'a dit sur le terrain, si nous laissons la production s'en aller vers la République thèque, elle ne reviendra pas. Voilà ce que je vis au quotidien depuis près d'un an.

Monsieur Muzeau, la hiérarchie des normes est un sujet important.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. J'ai dit que je ne dynamiterai pas le code du travail.

M. Roland Muzeau. Pourtant...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il nous faut un code qui définisse un ordre public social.

M. Roland Muzeau. Pour protéger les salariés !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les règles en la matière ont été modifiées le 4 mai 2004. Elles sont claires et répondent à un équilibre qu'il est important de rappeler. L'ordre public social n'est en rien affecté : la loi s'impose toujours à l'accord collectif.

Pour prendre un exemple concret, les dispositions du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail s'imposent aux accords collectifs et, contrairement à ce qui a été dit, la loi du 4 mai 2004 n'a pas eu pour objet de permettre à l'accord de déroger aux dispositions dudit code. En revanche, et c'est une innovation, cette loi a modifié les rapports entre les différents niveaux de négociation - accords interprofessionnels, de branche, de groupe ou d'entreprise - s'inspirant en cela de la position commune adoptée en juillet 2001 par l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception de la CGT.

M. Roland Muzeau. Les autres syndicats l'ont tous dénoncée ensuite !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La loi prévoit que l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, mais à une double condition.

Il s'agit, d'abord, d'une condition de fond. Certains domaines ne peuvent faire l'objet de dérogations. C'est au législateur, mais aussi au négociateur des accords de branche, de les définir. C'est donc bien la branche qui garde la maîtrise sur les dispositions de fond.

Il s'agit, ensuite, d'une condition de majorité - une majorité d'adoption ou une majorité de blocage - telle que la définit la loi du 4 mai 2004.

La souplesse entre les différents niveaux d'accords collectifs est donc autorisée, mais le respect de l'ordre public social est garanti. L'équilibre est donc assuré.

Monsieur Muzeau, vous avez évoqué les salariés qui travaillent à temps partiel. Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lors du débat à l'Assemblée nationale, c'est un sujet qui me préoccupe et sur lequel j'ai entamé une série de consultations, notamment dans le secteur de la grande distribution.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'attirer votre attention sur le rapport élaboré par Mme Zimmermann à l'Assemblée nationale : « les salariés à temps partiel (...) ont été exclus du processus de réduction du temps de travail. Ces travailleurs, n'ayant pas eu de réduction du temps de travail avec maintien du salaire, ont continué à travailler le même nombre d'heures, avec le même salaire, ce qui a entraîné une inégalité de traitement, avec les temps pleins. »

Voilà un des exemples d'inégalité accrue pour ceux qui travaillent à temps partiel résultant de l'application du texte sur la réduction autoritaire du temps de travail.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Je l'avais dit !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà pourquoi, à l'occasion de ce texte, il va nous falloir retravailler, approfondir la question. En effet, dans un certains nombres de cas, le temps partiel n'est malheureusement pas du tout choisi : il est plutôt subi ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il s'agit d'un temps subi notamment dans la grande distribution.

Voyez le paradoxe : les lois de 1998 et 2000 ont aggravé cette inégalité ! Avec le texte qui nous réunit ce jour, nous pourrons, je l'espère, faire en sorte que les temps partiels soient réellement choisis.

M. Roland Muzeau. Avec quelles dispositions ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Avec les accords collectifs ! C'est ce que j'ai entrepris...

M. de Montesquiou a apporté son soutien au texte, et je l'en remercie.

Madame Printz, vous évoquiez la santé au travail. Permettez-moi de citer à cet égard l'ouvrage de Philippe Askenazy, Les désordres du travail. L'auteur, loin de passer pour un suppôt du ministère, est considéré comme un bon spécialiste des questions de santé au travail ;  il a d'ailleurs été consulté pour la préparation du plan santé au travail.

« Que ce soit en France dans la décennie 1990, notamment lors de l'application des 35 heures, ou aux Etats-Unis quelques années auparavant, l'arrivée de ce productivisme réactif » -  j'ai entendu beaucoup parler de « productivité » - « qui s'annonçait comme un enrichissement, voire comme une forme d'émancipation, par rapport au modèle tayloriste, s'est accompagnée en réalité d'une dégradation des conditions de travail et d'une intensification du travail. »

Telle est la réalité, et les phénomènes ainsi décrits ne nous sont pas inconnus, nous les avons étudiés. Dans un pays où l'on travaille en moyenne 262 heures de plus qu'en France, je veux dire les Etats-Unis - je prends cet exemple, mais il ne s'agit pas pour moi d'un modèle -,...

M. Roland Muzeau. Je l'espère !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...le nombre de maladies professionnelles, d'accidents du travail ainsi que de décès au travail est de 40 % inférieur au nôtre, parce qu'un véritable plan de santé au travail a été mis en place là-bas.(Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas sérieux ! Il n'y pas de sécurité sociale dans ce pays.

M. Robert Bret. Les accidents du travail et les maladies professionnelles n'y sont pas déclarés !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Mais je peux vous conseiller de bonnes lectures, si ce sujet vous intéresse, messieurs.

M. Fourcade a évoqué la pérennisation du régime transitoire des TPE.

Il est vrai que le niveau des exonérations pèse lourd sur les comptes publics. Rappelons que nous sommes sortis du dispositif Aubry par la loi Fillon pour avoir une politique d'allègements sur les bas salaires qui eux, et je renverrai à un certain nombre de rapports, sont créateurs d'emplois. Sans doute faut-il réfléchir aux évolutions qu'il conviendra d'imprimer à terme à ce système, d'une manière douce, peut-être en ciblant les publics.

Je pense ici aux seniors, question sur laquelle il va nous falloir réfléchir. En effet, nous avons le plus mauvais taux d'emploi des seniors des pays européens - en moyenne sept points de retard. Mais je fais confiance aux partenaires sociaux, qui ont entamé une négociation sur l'emploi des seniors.

M. Roland Muzeau. C'est mal barré !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Muzeau, ne me dites pas que vous ne faites pas confiance aux partenaires sociaux !

M. Roland Muzeau. Surtout à un !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. « Mal barré », dites-vous, mais les partenaires sociaux n'en sont qu'à leur première réunion ! J'ose espérer qu'à l'issue de leurs débats, ils dégageront un accord et des propositions, de sorte que si, le moment venu, il doit y avoir une consécration législative, le Parlement sera saisi.

Monsieur Jean-Léonce Dupont, vous avez évoqué la diversification des modes d'utilisation du CET. La cessation anticipée d'activité n'est qu'une solution parmi d'autres. Vous savez que nous avons ouvert beaucoup d'autres possibilités qu'il s'agisse du plan d'épargne retraite, du plan d'épargne entreprise, du congé sabbatique...

Vous aussi, vous avez particulièrement insisté sur la question des seniors. Il s'agit effectivement d'un défi que notre société va devoir relever du fait de l'évolution démographique qu'il va connaître dans les années à venir. Il s'agit aussi bien de l'intérêt des salariés que de l'intérêt des entreprises. Voilà pourquoi cela peut être, pardonnez-moi cette formule, « bien barré » si nous sommes capables de travailler non plus dans l'obsession de l'immédiat, mais pour le long terme.

Vous avez également évoqué la convention collective signée « sous pression », au cours de l'année 2001, pour la FEHAP notamment, la fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif. Cette fédération regroupe les hôpitaux et les associations sans but lucratif qui jouent un rôle important dans notre pays aussi bien dans l'hospitalisation et le service public hospitalier que dans l'accueil des personnes âgées, des personnes handicapées et des personnes dépendantes.

Je peux simplement vous assurer que ce sujet constitue aujourd'hui une véritable préoccupation pour le ministère ; il ne m'est d'ailleurs pas totalement étranger, et ce en raison de responsabilités que j'ai exercées antérieurement ; c'est pourquoi j'y suis particulièrement sensible.

Madame Voynet, je ne reviendrai pas sur la question des maladies professionnelles, puisque j'y ai déjà répondu. Je ne reviendrai pas non plus sur le prétendu esprit de revanche qui animerait le Gouvernement. Non, tel n'est pas l'état d'esprit du Gouvernement.

M. Roland Muzeau. Un peu quand même ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Non, ce n'est pas un esprit de revanche qui nous anime. Notre seul souci est de fournir une réponse qui se distingue d'un schéma uniforme.

Vous le savez sans doute, les petites et moyennes entreprises sont à l'origine de 80 % des emplois dans notre pays. La loi de modernisation sociale, comme les lois Aubry, a augmenté le fossé entre les grandes et les petites entreprises. Je rappelle tout de même que, dans la loi relative à la modernisation sociale, l'on consacrait, en moyenne, 6 000 euros à la reconversion des salariés des grandes entreprises, lesquels étaient indemnisés pendant douze mois, alors que, dans les petites entreprises, on consacrait, en moyenne, 1 000 euros à la reconversion des salariés, ces derniers ne bénéficiant que de deux mois d'indemnités.

C'est notre gouvernement qui hier, grâce à la loi de programmation pour la cohésion sociale, et aujourd'hui, en offrant la capacité aux partenaires sociaux d'adapter le schéma d'organisation, a entrepris de réduire ce fossé entre les salariés des grandes entreprises et les salariés des petites entreprises. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

La convention de reclassement personnalisé que nous proposons permettra aux personnels des entreprises de moins de 1 000 salariés de bénéficier d'un accompagnement individualisé au titre d'un stage de formation professionnelle d'une durée de sept à neuf mois.

Voilà un droit nouveau qui n'existait pas dans la loi relative à la modernisation sociale, texte dont je rappelle, de surcroît, qu'il n'était pas un modèle pour ce qui est du dialogue social. (Protestations sur les mêmes travées.)

Monsieur Murat, vous avez évoqué la nécessité d'un rééquilibrage entre la loi et le contrat, entre la loi et la négociation collective. Sachez que la moitié de notre code est d'origine conventionnelle et non pas législative. Un tel rééquilibrage est d'ores et déjà engagé et se traduit d'ailleurs par les lois sur le temps de travail, par les lois sur les restructurations et notamment les accords de méthode. L'accord collectif est bien la pierre angulaire de notre conception du droit des relations du travail !

Par ailleurs, vous avez évoqué le sujet spécifique du sport. Nous nous engageons à examiner cette question, mais l'examen de ce texte ne sera vraisemblablement pas l'occasion de lui trouver une solution ; toutefois, je vous ferai un certain nombre de propositions.

Madame Gautier, merci du soutien que vous avez apporté à ce texte, merci de l'intérêt que vous portez à la réalité des petites entreprises. Il s'agit bien, pour nous également, d'une préoccupation. Cela nous amène à fournir des réponses tendant à donner à ces petites entreprises dépourvues de tout accord collectif le temps d'en négocier. En effet, je crois qu'il est de l'intérêt des petites entreprises est de disposer d'accords collectifs demain !

Comme M. Serge Dassault, vous posez la question de la manière de négocier lorsqu'il n'y a pas de représentation syndicale au sein de l'entreprise. La loi du 4 mai 2004 a précisément ouvert deux nouvelles possibilités pour répondre à ces situations. 

Un accord peut être ainsi conclu soit avec le représentant élu du personnel, et je ne parle pas de délégué syndical, soit avec un salarié mandaté, sujet que vous évoquiez. Dans ce dernier cas, l'accord doit être approuvé par la majorité du personnel. Quant à l'accord conclu par un élu du personnel qui n'est pas un délégué syndical, il est soumis au contrôle d'une commission paritaire nationale qui vérifie si les conditions fixées dans le code sont respectées.

Deux branches ont d'ores et déjà signé pour dégager cette capacité au profit des petites et moyennes entreprises. Une dizaine d'autres accords sont en préparation. J'ai bon espoir que, dans les mois à venir, cette pratique de l'accord dans les entreprises qui n'ont pas de délégué syndical s'instaure grâce à ces nouvelles formules.

Madame Schillinger, je ne reviendrai pas sur certains de vos propos. Nous pourrions sans doute nous intéresser aux conditions de l'application de la réduction du temps de travail à l'hôpital public et à ses conséquences. C'est un sujet que vous connaissez bien, c'est un sujet que je connais un peu (Sourires) et sur lequel j'ai eu à me pencher.

Cela étant, il y a une vraie différence entre les heures supplémentaires et les heures choisies. Les heures supplémentaires relèvent du pouvoir de direction du chef d'entreprise : elles peuvent être imposées au salarié, c'est une réalité. Les heures choisies ont une double garantie - car nous allons au-delà du temps conventionnel - il s'agit de l'accord collectif, dans des conditions prévues par la loi du 4 mai 2004, ainsi que de l'accord individuel des salariés. Les heures choisies ne sont pas une espèce de happening, mais bien le fruit d'un accord collectif puis de l'accord du salarié.

Par ailleurs, je souhaiterais préciser que la négociation collective n'est pas en berne. En 2003, 16 000 accords d'entreprise ont été conclus ; en 2004, d'après des chiffres recueillis récemment, susceptibles de quelques ajustements mais à la hausse, plus de 15 000 accords d'entreprise ont été enregistrés.

Mme Dominique Voynet. Deux fois moins !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Et vous parlez de dialogue social en panne ?

C'est sans doute la preuve, et je m'en réjouis, qu'il il y a une réalité de la négociation sur le terrain dont les affrontements idéologiques ne rendent pas compte.

M. Dassault a évoqué la Chine.

M. Claude Domeizel. Il n'est pas là !

M. Roland Muzeau. Il est parti !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous aurons sans doute l'occasion de parler de l'évolution de ce pays.

Quant à la signature d'accord en l'absence de délégué syndical et aux exonérations de charges, je renvoie M.Dassault à la réponse que j'ai faite notamment à Mme Gautier.

Madame Alquier, je rappelle que la proposition de loi ne fait pas obligation de renégocier ; c'est une faculté qui pourra être utilisée par les entreprises. Si les grandes entreprises ont parfois bénéficié d'effets d'aubaine et profité de l'ARTT pour réorganiser leur organisation du travail et diminuer leurs coûts, notre devoir est de penser à toutes les entreprises françaises, notamment aux petites et moyennes entreprises, qui sont les créatrices d'emplois dans ce pays. Ne l'oublions pas ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Bel. Justement !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Rappelons-nous où en était le dispositif des 35 heures en 2003 : il n'y avait, en fait, que 57,3 % des entreprises qui l'appliquaient ; quant aux TPE, seules 19 % d'entre elles pouvaient le mettre en oeuvre. C'est dire que, pour l'essentiel des petites entreprises françaises, le dispositif n'était pas applicable !

Mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi cette longue intervention, mais j'ai souhaité répondre à chacun.

Vous l'aurez constaté vous-mêmes, la proposition de loi de vos collègues députés tend à offrir un cadre nouveau et une plus grande souplesse. L'accord collectif en est la clé de voûte, pour gagner plus et permettre aux entreprises et aux salariés de répondre demain aux besoins économiques. En effet, lorsqu'il n'y a pas de création de richesses, il n'y pas de création d'emplois ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) )

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 6, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la motion.

Mme Eliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je citerai ici M. Accoyer, président du groupe de l'UMP à l'Assemblée nationale, qui, au sujet de cette proposition de loi, s'exprimait ainsi : « Nous entendons les deux soucis prioritaires de nos compatriotes que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, et c'est pour cette raison que ce texte offrira la possibilité, dans la liberté, dans la concertation [...], d'aboutir à ce que ceux qui ont besoin de travailler puissent travailler plus afin de gagner plus. »

Mais de quelle liberté parle M. Accoyer ? Les salariés vont-ils avoir le droit de refuser que leurs horaires de travail soient encore plus flexibilisés ? Je ne le crois pas. Et de quelle concertation s'agirait-il ? Les auditions menées par la commission et l'importante mobilisation de ces dernières semaines ont montré que la totalité des syndicats de salariés sont opposés à ce texte !

La proposition de loi vise-t-elle réellement ceux qui ont besoin de travailler plus ? Les salariés au temps partiel imposé vont-ils accéder à de meilleurs contrats ? Les chômeurs vont-ils trouver un emploi grâce à cette réforme ? Bien sûr que non !

Enfin, les salariés vont-ils gagner plus alors que les heures supplémentaires versées sur les comptes épargne-temps ne seront plus payées, alors que le taux de majoration des heures supplémentaires est officiellement passé de 25 % à 10 % ?

Il est décidemment impossible d'accorder la moindre crédibilité au discours dogmatique et idéologique de ce gouvernement. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est un véritable mensonge fait à nos concitoyens. Au demeurant, les salariés ne s'y sont pas trompés : 67 % se déclarent pour les 35 heures, tandis que seulement 16 % y sont opposés. Et le succès des derniers mouvements sociaux, comme, sans doute, de la journée de grève et des manifestations du 10 mars prochain, vont dans ce sens.

Pourtant, lorsque M. Accoyer parle des « deux soucis prioritaires de nos compatriotes » que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, il n'a pas complètement tort : 3 millions de personnes sont au chômage ; le phénomène des « working poors », ces salariés à qui leur salaire ne suffit pas pour survivre ou se loger, ne cesse de croître ; 3 millions de personnes vivent avec moins de 579 euros par mois ; 10 millions de Français sont confrontés à la précarité ; les CDD et l'intérim se développent toujours davantage, à tel point que de plus en plus de gens font « carrière » dans la précarité, enchaînant petit contrat sur petit contrat...

Pourtant, cette proposition de loi ne vient en rien apporter une solution à ces problèmes. Au contraire, elle ne fait qu'ouvrir les vannes du libéralisme.

La vérité, c'est que les auteurs de cette proposition de loi réclamée par le MEDEF vont à l'encontre de toute forme de justice sociale. Ce à quoi ils procèdent est bien plus qu'une augmentation de la durée du temps de travail : ils déréglementent totalement l'organisation même du temps de travail. En mettant au coeur de leur projet le « volontariat », ils ne font qu'accentuer l'individualisme dans les relations de travail, au détriment de toute forme de solidarité. Et cela, dans un total irrespect des principes démocratiques de notre République.

Les défenseurs de ce texte ne cessent de ressasser l'idée que cette proposition de loi permettrait aux salariés de « choisir » leur volume horaire, leur donnerait la « liberté » de travailler plus. Or nulle part dans la proposition de loi n'est affirmé qu'un salarié aura le choix de refuser des heures supplémentaires ou d'en faire s'il en a envie. En appeler au « choix » et au « droit » des salariés et, en même temps, leur demander de se soumettre à toutes les injonctions patronales quant au recours aux heures supplémentaires est totalement schizophrénique.

Cette nouvelle notion de « temps choisi » me rappelle que mes collègues et moi-même sommes intervenus à plusieurs reprises dans cet hémicycle pour dénoncer la pratique du temps partiel imposé. Mais on nous rétorquait que c'était du temps choisi ! Or, aujourd'hui, tout le monde reconnaît que, à 80 %, le temps partiel est du temps imposé.

En fait, la liberté qu'évoque la majorité gouvernementale n'est rien d'autre que la liberté pour le patronat de flexibiliser encore plus les volumes horaires et d'imposer ce qu'elle veut à ses salariés : comme le soulignait encore M. Accoyer, la réforme des 35 heures est « une marge de manoeuvre offerte » aux entreprises.

Ainsi, les cas où la direction d'une entreprise a tenté d'exercer, sur ses employés, un chantage au licenciement pour obtenir qu'ils renoncent aux 35 heures se sont multipliés ces derniers temps. C'est, par exemple, ce qui s'est passé chez Chausson Outillage ; mais, le 21 janvier dernier, le tribunal de grande instance de Reims, saisi par les syndicats, a refusé la solution de la direction de l'entreprise, qui souhaitait pouvoir proposer au personnel non cadre de renoncer aux 13 jours de RTT - faisant ainsi passer la durée hebdomadaire du travail à 37 h 30 -, en échange de quoi 80 salariés ne seraient pas licenciés.

La proposition de loi n'a donc d'autre objet que de dépouiller la loi sur les 35 heures de ses aspects positifs tout en renforçant ses effet pervers, à savoir l'annualisation du temps de travail dans les entreprises, l'une des « avancées de la loi sur les 35 heures », selon M. Borloo...

Les sénateurs communistes républicains et citoyens refusent la politique de « gré à gré » entre l'employeur et le salarié parce que, dans ce cas, c'est toujours le salarié qui est en position de faiblesse. Dans les entreprises d'où les syndicats sont absents et dans les PME employant moins de vingt personnes, les salariés courent ce risque en permanence.

Tout doit passer par la négociation. Quand il n'y a pas de représentation syndicale, nous demandons la possibilité de désigner un mandaté syndical pour représenter les salariés, comme cela fut fait pour négocier les RTT. Il faut que ce mandatement soit spécifiquement inscrit dans la loi pour que des négociations aient lieu dans les entreprises quelle que soit leur taille.

Conformément à la promesse faite par le Président de la République, on maintient, tout du moins dans les mots, « la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures ». Mais cela signifie seulement que toute heure à partir de la trente-sixième doit être payée en heure supplémentaire. Or, ces heures supplémentaires, le Gouvernement a tout fait pour les rendre moins chères : depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003, c'est non plus le législateur, mais la convention ou l'accord de branche qui fixe le taux de majoration, lequel ne doit pas être inférieur à 10 %.

Dans le sillage de la loi Fillon, l'article 3 de la proposition de loi vise à repousser à la fin de 2008 le passage aux 35 heures dans les entreprises de moins de vingt salariés. Or les heures supplémentaires n'y sont comptées qu'à partir de la trente-septième heure - au lieu de la trente-sixième heure ailleurs -, et les quatre premières heures supplémentaires, soit de la trente-sixième à la trente-neuvième, sont majorées de 10 % au lieu de l'être de 25 %. De plus, cet article ouvre aux chefs d'entreprise, en l'absence d'accord collectif, la possibilité de faire abandonner dix jours de RTT par an à leurs salariés contre une majoration de salaire de 10 %.

La situation ainsi créée instaure une inégalité criante entre les salariés selon la taille de leur entreprise et déroge totalement à la règle : « à travail égal, salaire égal », règle qui est l'un des fondements de notre code du travail.

Il faut ajouter à cela que, si la distorsion de situation entre salariés d'entreprises différentes est appelée à s'accentuer entre petites et grandes entreprises, ce sera aussi le cas, dans une même catégorie d'entreprises, entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures et qui ont réellement réduit le temps de travail, et celles qui ont traîné les pieds et refusé à 3,5 millions de salariés le bénéfice de ce droit.

Prétendrez-vous, après cela, être plus soucieux que nous du monde de l'entreprise ? En réalité, vous créez les conditions d'un libéralisme sauvage !

Pourtant, la majorité du Sénat - majorité de droite, s'il est utile de le préciser - avait naguère introduit devant le Conseil constitutionnel un recours fondé sur l'article 1er de la Constitution, lequel dispose que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». Les signataires considéraient en effet que la distinction entre les entreprises de plus et de moins de vingt salariés créait une inégalité. Le Conseil a considéré que la différence de traitement ainsi relevée, qui repose sur la différence de taille des entreprises, revêtait un caractère temporaire, et c'est pour cette raison qu'il n'a pas censuré la disposition incriminée.

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est exact !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est tout à fait vrai !

Mme Eliane Assassi. Qu'en est-il aujourd'hui de ce « caractère temporaire » ? Votre gouvernement avait déjà repoussé l'échéance à 2005 ; aujourd'hui, votre majorité la recule encore de trois ans : ce qui était conçu comme provisoire semble en réalité s'installer et devenir une situation durable et irréversible. C'est là un motif certain d'irrecevabilité.

Enfin, le texte de la proposition de loi contrevient au principe même d'égalité entre les citoyens et remet en cause le droit au travail énoncé au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».

En effet, l'article 2 de cette proposition de loi vise à relever le seuil maximal d'heures supplémentaires réalisables par les salariés. Celui-ci était déjà passé de 130 heures à 180 heures avec la loi Fillon de 2003 ; aujourd'hui vous augmentez le plafond pour le porter à 220 heures. De plus, ces heures pourront être affectées à un compte épargne-temps, où elles seront payées au tarif normal et non pas au tarif des heures supplémentaires. Inutile de dire à quel point une telle décision représente une régression sociale, puisque l'on revient soixante ans en arrière, avant que le Front populaire ne fasse voter la semaine de 40 heures...

Pourtant, les effets néfastes de telles dispositions ne seront pas immédiatement visibles : vous savez très bien qu'aujourd'hui, alors que le contingent d'heures supplémentaires autorisé est de 180 heures, le contingent moyen serait d'environ 60 heures selon le MEDEF, de 80 selon la CGT. Il n'y a donc aucune justification à cette modification.

En réalité, vous préparez l'avenir : si la croissance reprend, ces dispositions en matière de réglementation du temps de travail donneront aux entreprises une telle marge de manoeuvre horaire qu'elles n'auront pas besoin d'embaucher.

En somme, la finalité de tout ce remue-ménage, c'est de préparer l'opinion publique à voir sauter la durée légale des 35 heures pour ne garder qu'une seule référence : les 48 heures par semaine. C'est bel et bien la fin des 35 heures. Certes, on les laisse inscrites dans la loi, mais elle deviennent virtuelles, comme est devenu virtuel le droit à la retraite à soixante ans.

Ainsi, en augmentant le nombre d'heures possibles, vous limitez encore plus pour ceux qui sont sans emploi la possibilité d'en trouver un.

Il y a quelque temps, lorsque M. Borloo est venu défendre ici le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, il avait évoqué la « nouvelle donne », la « démarche inédite en rupture avec le passé » qu'allait constituer ce texte. Il rappelait avec raison l'aggravation des inégalités sociales et l'accroissement de la pauvreté dans notre pays. Il venait donc, soi-disant, nous soumettre un ensemble de dispositions destinées à renverser la tendance...

Ce texte a démontré à bien des égards combien il ne ferait que renforcer ces inégalités ; devant la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au débat, nous ne pouvons que confirmer à quel point le Gouvernement entraîne le pays dans une phase de régression sociale incommensurable.

Votre « politique de l'emploi », monsieur le ministre, n'entraîne que flexibilité pour les entreprises et précarité pour les salariés. Pour que les salariés puissent gagner plus, il faudrait mettre en place des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales sur les bas salaires et de multiplier les contrats à durée déterminée, qui n'auront pas d'autre effet que la forte augmentation du nombre des salariés pauvres. On pourrait aussi permettre aux salariés en contrat temporaire ou à temps partiel et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. De plus, la réduction du temps de travail est aussi un moyen efficace de faire reculer le chômage de masse. C'est bien pourquoi, d'ailleurs, elle sera toujours combattue par le patronat !

Pour toutes ces raisons, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette motion demandent au Sénat de déclarer irrecevable la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Les auteurs de la motion considèrent que la proposition de loi est contraire à plusieurs principes constitutionnels.

En réalité, le seul point sur lequel un doute aurait pu exister est celui de l'inégalité de traitement entre les salariés selon qu'ils travaillent dans une entreprise employant plus ou moins de vingt personnes.

Le Conseil constitutionnel a cependant admis en 2000, dans une formule très elliptique, que cette inégalité était acceptable si elle était provisoire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Or la proposition de loi réaffirme le caractère provisoire des mesures envisagées en leur fixant un terme précis, le 31 décembre 2008.

M. Guy Fischer. Nous y voilà !

M. Roland Muzeau. C'est trois ans de plus !

M. Guy Fischer. C'est la dérogation à la dérogation !

M. Louis Souvet, rapporteur. En outre, il paraît justifié de prolonger de quelques années ce régime transitoire afin que les petites entreprises puissent s'approprier plus aisément les nouvelles règles de la négociation collective issues de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le Gouvernement n'est pas favorable non plus à l'adoption de cette motion.

Cependant, je voudrais revenir sur la question du contingent d'heures supplémentaires. Tout à l'heure, en citant l'exemple de la Haute-Savoie, j'aurais dû préciser que, naturellement, c'est parce que l'offre de formation est insuffisante par rapport aux besoins que, dans les entreprises employant jusqu'à vingt salariés, 16 % des salariés dépassent les 180 heures. Naturellement, la moyenne est évaluée à 60 heures par certains, à 80 heures par d'autres, et nos services optent pour un chiffre situé entre 70 et 75 heures. Mais les situations locales peuvent varier très fortement, selon la réalité économique du territoire concerné.

Par ailleurs, s'agissant du chômage de masse, si les lois de 1998 et 2000 l'avaient traité par des dispositions alliant la sécurité et la flexibilité, comme en Suède et au Danemark, plus personne ne les remettrait en cause.

Réfléchissons : en 2000, le taux de croissance était à son plus haut et atteignait 4 %. On a consenti un maximum de contrats aidés, y compris des sous-contrats pour des surdiplômés- je pense notamment aux emplois-jeunes -, que l'on a maintenus dans une situation qui, au regard du code du travail, était sans doute dérogatoire mais surtout proche de l'exploitation pure et simple.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Marc Todeschini. C'est incroyable !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Non, c'est la réalité !

En 2003, le taux de chômage descend à 8,9 %, il y a moins de contrats aidés, et cette situation est due notamment à la décision de mettre fin progressivement aux emplois-jeunes pour préparer les contrats de retour à l'emploi au sein du plan de cohésion sociale.

En même temps, la croissance est à 0,5 %, le chômage -  et ce n'est pas rien  - remonte à environ 10 %, mais on n'a pas traité pour autant le chômage de masse, à la différence du Danemark, dont le taux de chômage passe de 12 % à 6 %.

M. Jean-Marc Todeschini. Qui a fait monter le chômage ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Comment pourrons-nous résoudre demain ce problème qui se pose à nous tous depuis des années ? Le président Mitterrand disait déjà que tout avait été essayé, et tout avait été vain.

Je n'ai pas évoqué tout à l'heure l'accompagnement et la formation. C'est pourtant notre majorité qui a créé le droit individuel à la formation tout au long de la vie.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est sûr !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le droit individuel à la formation est un formidable progrès...

M. Jean-Marc Todeschini. La formation sans travail !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...car, auparavant, en France, au-delà de quarante-cinq ans, on n'investissait plus dans la formation des salariés.

Voilà la réalité. Nous ne pouvons donc pas vous suivre, madame Assassi, quand vous affirmez que les lois Aubry ont permis de traiter le chômage de masse. C'est ce à quoi nous essayons de nous attaquer, ...

M. Jean-Marc Todeschini. Vous obéissez au MEDEF !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...avec pragmatisme, au travers des contrats de retour à l'emploi, de la formation tout au long de la vie, en considération tout à la fois de la flexibilité et de la sécurité. Tel est le chemin sur lequel le Gouvernement entend s'engager. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Eliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Eliane Assassi. Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos arguments, mais ils ne répondent pas aux questions que j'ai posées.

M. le rapporteur reconnaît que nous sommes un tant soit peu sortis du cadre constitutionnel, mais in fine il émet un avis défavorable sur notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je continue à penser que l'exception d'irrecevabilité que le groupe CRC défend aujourd'hui est plus que légitime sur le fond, car ce projet de réforme bafoue les droits fondamentaux des salariés.

J'ose le répéter : cette proposition de loi organise un système où les salariés devront, si leur employeur l'exige, travailler plus sans pour autant gagner plus, puisque tout est fait pour que les heures supplémentaires ne soient pas payées.

Or, à l'heure du débat sur la Constitution européenne, je me permets de vous rappeler que notre régime repose sur une Constitution, elle-même héritière de droits fondamentaux, parmi lesquels figurent des droits sociaux, des droits pour les salariés, tels que l'accès pour tous à l'emploi ou l'égalité de traitement au travail.

Depuis le début des débats, vous ne cessez de brandir ce leitmotiv « travailler plus pour gagner plus », ciment théorique de ce texte. Outre le fait que ce slogan est mensonger, il véhicule aussi un individualisme forcené.

Pourtant, organiser le temps de travail, le diminuer, le répartir, peut permettre aux chômeurs et aux sans-emploi de travailler, aux titulaires d'un contrat à durée déterminée, intérimaires et précaires de travailler décemment et durablement, aux salariés contraints au mi-temps de travailler à plein temps.

La diminution du temps de travail est fondée sur des objectifs de solidarité et d'amélioration des modes de vie.

La publication récente dans de nombreux journaux des bénéfices faramineux engrangés par une partie des entreprises françaises, d'une part, appuie l'idée que la revalorisation des salaires est possible...

M. Guy Fischer. C'est bien vrai !

Mme Eliane Assassi. ...et, d'autre part, confirme, contrairement à ce que l'on sous-entend dans cette proposition de loi, que la diminution du temps de travail ne nuit pas à la santé économique de notre pays et permettrait, certes, avec d'autres mesures, de lutter efficacement contre le chômage. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 89 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 120
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de renvoi à la commission

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Domeizel, Mmes Le Texier,  Printz,  Voynet,  Schillinger,  Alquier,  Khiari,  Demontes et  Campion, MM. Godefroy,  Mélenchon,  Michel,  Guérini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la motion.

M. Claude Domeizel. Madame la présidente, permettez-moi, avant de défendre cette motion, de réagir aux propos qu'a tenus M. le rapporteur, car je considère que j'ai été interpellé.

Monsieur le rapporteur, vous nous reprochez notre véhémence. Il est vrai que, lorsque M. Fourcade est intervenu, j'ai bondi, mais c'est qu'il disait des contrevérités. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Fourcade a affirmé, en effet, que les impôts locaux avaient augmenté à cause des 35 heures. On aurait pu, il est vrai, imaginer que, par un effet mécanique, le nombre d'emplois augmenterait de 10 % ou de 11 %. Il n'en a rien été, je suis bien placé pour vous le dire. Depuis la mise en oeuvre des 35 heures, le nombre d'emplois dans la fonction publique territoriale n'a pas augmenté plus qu'au cours des dix ou quinze années précédentes : il augmente d'environ 1 % par an, y compris depuis l'instauration des 35 heures.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Les 35 heures n'ont donc pas créé d'emplois !

M. Claude Domeizel. Véhémence ou pas, voilà ce que j'avais à dire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Louis Souvet, rapporteur. Il s'agit du droit à la véhémence, ce n'est pas tout à fait pareil !

M. Claude Domeizel. J'en viens à la motion tendant à opposer la question préalable.

La bête à abattre, M. Fillon l'avait déjà blessée gravement par sa loi du 17 janvier 2003. Aujourd'hui, nous assistons à sa mise à mort. La bête à abattre, c'est non pas le loup, bien sûr, mais la loi des 35 heures, loi bouc émissaire, porteuse à vos yeux de tous les maux.

Vous n'avez eu de cesse de proférer, particulièrement dans cet hémicycle, des phrases assassines à l'encontre des 35 heures.

Le 14 juillet 2004, M. Jacques Chirac se prononce « pour de nouveaux assouplissements » et demande à son gouvernement « d'engager avec les partenaires sociaux les concertations nécessaires ».

Nous y sommes, à deux différences près.

La première, c'est que nous avons à débattre non pas d'un projet de loi gouvernemental, mais d'une proposition de loi présentée par quatre députés de votre majorité. Quel courage !

Vous me direz que c'est honorable pour le Parlement.

Soyons sérieux ! Reconnaissez que cette modification législative importante pour tous les salariés se fait par la petite porte. Ce n'est pas très glorieux pour le Gouvernement, qui se dégage ainsi de la responsabilité officielle de ce texte. La ficelle est trop grosse !

De plus, mes chers collègues, tout le monde l'a bien compris, le Gouvernement parvient à éviter l'avis du Conseil d'Etat.

La seconde différence, c'est qu'en dépit de l'engagement du Président de la République, cette proposition de loi portant réforme profonde de la législation du travail s'affranchit de toute négociation avec les partenaires sociaux.

Avouez qu'avec cette proposition de loi, qui a reçu la bénédiction du Gouvernement, vous envoyez le bouchon un peu loin. Résultat ? 500 000 personnes dans la rue le 5 février 2005. Et combien le 10 mars ?

La révolte gronde, les Français en ont assez.

Pendant ce temps, M. le Premier ministre prétend qu'il n'est pas sourd. Permettez-moi d'en douter !

Je voudrais revenir un instant sur ce que l'on a coutume d'appeler « les lois Aubry » et rappeler les effets positifs que tous les Français ont pu expérimenter, mesurer et apprécier.

Les lois Aubry ont autorisé la relance du dialogue social. Elles ont favorisé la réflexion et l'innovation en matière d'organisation de travail, ce qui a permis aux entreprises de gagner en productivité et en compétitivité. Car, contrairement à ce que la majorité a la fâcheuse tendance de vouloir faire croire, faisant passer les travailleurs français pour des paresseux - pensez, 35 heures ! - je vous rappelle que la France est au deuxième rang mondial en matière de compétitivité.

Bien sûr, les lois Aubry ont favorisé la croissance et l'emploi : 350 000 emplois ont été créés et 50 000 ont été sauvegardés.

Les lois Aubry, quoi qu'en disent leurs détracteurs, et selon les experts de Bercy, ont eu un impact limité sur les finances publiques. Elles ont même eu un effet positif sur les finances des entreprises, qui ont pu améliorer leur productivité et faire jouer la flexibilité.

Enfin, les lois Aubry ont été un formidable facteur de progrès social, en permettant aux salariés de dégager du temps qu'ils peuvent consacrer à leur famille, notamment à leurs enfants, et aux loisirs. C'est une avancée notoire dans la vie quotidienne des salariés, tout particulièrement de celles des femmes qui ont un emploi.

Je m'arrêterai un instant sur le rapport pour avis que vous avez présenté, madame Lamure, au nom de la commission des affaires économiques.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Excellent rapport !

M. Claude Domeizel. Chère collègue, je vous trouve très sévère dans vos écrits, souvent injustes et injustifiés.

Je vous le rappelle, grâce à la politique du gouvernement Jospin, deux millions d'emplois ont été créés, le nombre de chômeurs a été réduit d'un million et, à la suite des lois Aubry, la France a enregistré le taux de chômage le plus bas depuis 1983, puisque celui-ci est passé à 8,6 %.

M. Claude Domeizel. A cette époque, la barre des 10 % a été de nouveau franchie, mais dans l'autre sens !

M. Jean-Pierre Bel. Absolument !

M. Claude Domeizel. De 1997 à 2001, la masse salariale, qui s'est accrue de 100 milliards d'euros, a soutenu la croissance de l'économie, ce qui, en retour, a tiré la croissance de l'emploi : voilà une véritable politique économique qui a porté ses fruits !

Par conséquent, madame Lamure, monsieur Souvet, lorsque le gouvernement que vous soutenez aura fait reculer le chômage, ce qui est loin d'être le cas, vous aurez toutes les raisons de vous poser en donneurs de leçons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, madame Lamure, à la page 6 de votre rapport pour avis, vous écrivez que « le taux de satisfaction des salariés relevant de la législation des 35 heures est loin d'atteindre les 100% ». Vous ne manquez pas d'humour, ou d'audace, lorsque l'on sait que 77 % des salariés qui sont aux 35 heures ne veulent pas revenir en arrière. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Je devine votre réponse, car un autre sondage, paru aujourd'hui, fait apparaître que 62 % des personnes interrogées - ce n'étaient sûrement pas les mêmes ! - approuvent l'assouplissement des 35 heures ; c'est d'ailleurs le résultat de votre publicité mensongère : « Travailler plus pour gagner plus ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Nos concitoyens ont-ils vraiment saisi que c'est le patron qui décide d'attribuer les heures supplémentaires et qui décide soit de les payer, soit de les inclure dans un compte épargne-temps ?

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Heureusement qu'il y en a, des patrons.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Sans patron, pas de travail !

M. Claude Domeizel. Certes, il y a sans doute des secteurs où il serait nécessaire de renégocier les accords. Mais de là à procéder à la mise à mort des 35 heures, il y a un pas, mais vous n'hésitez pas à le franchir.

En fait, quels sont vos arguments en faveur de cette proposition de loi ?

« Travailler plus pour gagner plus » : c'est par ce slogan simpliste que vous pensez convaincre, mais personne n'est dupe !

Certes, ils sont nombreux les Français qui ont besoin de gagner plus. Dans le même temps, vous baissez l'impôt sur le revenu. Pour les plus modestes, l'effet est nul ; de plus, ceux-ci verront le montant de leurs impôts locaux augmenter, par l'effet des lois de décentralisation.

Nous dénonçons cette « arnaque » !

En outre, pour les plus démunis, se loger devient de plus en plus cher.

M. Jean-Marc Todeschini. Pas pour tous ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. « Travailler plus pour gagner plus » ? Depuis que vous êtes au pouvoir, votre politique tourne délibérément le dos à l'emploi.

Je le répète, nous venons d'atteindre, en janvier 2005, la barre fatidique des 10 % de chômeurs, tandis que M. Raffarin faisait miroiter une baisse du chômage de 10 % par an à partir de 2005.

Croyez-vous impulser la création d'emplois, en offrant sur un plateau d'argent aux chefs d'entreprises la possibilité de faire travailler leurs employés jusqu'à 48 heures par semaine ? Quelle mascarade !

« Travailler plus pour gagner plus » ? Vous parlez d'heures supplémentaires « choisies ». Or, tout le monde le sait, ce n'est pas l'employé qui choisit d'effectuer des heures supplémentaires, c'est le patron qui le lui demande.

« Travailler plus pour gagner plus » ? Si cela était vrai, la première réforme d'assouplissement des 35 heures, conduite par M. Fillon et consacrée dans la loi du 17 janvier 2003, aurait prouvé son efficacité.

« Travailler plus pour gagner plus » ? Croyez-vous que cette formule puisse s'appliquer à tous les salariés ? Je pense tout particulièrement aux salariés à temps partiel qui, à 80 %, sont des femmes et qui, en l'occurrence, effectuent plutôt des heures « subies »

De ceux-là qui affluent aux portes des associations caritatives, des 250 000 RMIstes et des 200 000 chômeurs de plus, de la forte poussée du chômage des jeunes, de l'aggravation du chômage de longue durée, vous ne parlez jamais !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Affreux !

M. Claude Domeizel. « Travailler plus pour gagner plus » ? Vous manquez vraiment de pudeur en agitant ce slogan démagogique.

Vous le savez bien, la croissance n'est pas au rendez-vous, sauf pour les grands groupes industriels. A cet égard, où partent donc les profits ?

M. Claude Domeizel. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple tiré de l'actualité récente : Total vient d'annoncer 9 milliards d'euros de bénéfice ; or, dans mon département, les Alpes-de-Haute-Provence, cette entreprise a décidé de supprimer 400 emplois, auxquels il faut ajouter les emplois induits, alors que 100 millions d'euros suffiraient pour sauver l'usine concernée.

D'ailleurs, d'une manière indirecte, monsieur le ministre, vous cautionnez cette dérive.

Le MEDEF se sentant soutenu, on se croit alors tout permis pour satisfaire une nouvelle devise : « Licencier plus, pour gagner plus » !

En définitive, cette proposition de loi se résume à trois petits articles, pour « achever » ce que vous percevez comme un « monstre », la loi sur les 35 heures, en la vidant de son sens.

De plus, ce processus s'intègre dans une volonté insidieuse de modifier plus globalement la législation sur la durée du travail. Vous n'en êtes d'ailleurs pas à votre coup d'essai...

Ainsi, dans la loi du 4 mars 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, vous avez instauré une inversion de la hiérarchie des normes en permettant aux accords d'entreprises d'être prioritaires sur des décrets ou des dispositions conventionnelles.

La loi de programmation pour la cohésion sociale ne contient-elle pas, elle aussi, quelques dispositions tendant à faciliter les licenciements, en prévoyant de réduire brutalement les délais de recours en cas de procédures de licenciement ?

Çà et là, le code du travail a été bouleversé ces derniers mois dans des proportions spectaculaires, sans qu'on ait l'air d'y toucher. A juste titre, les organisations syndicales s'en inquiètent et dénoncent une telle promptitude à « simplifier » le code du travail.

Contrairement à vos allégations, les salariés qui ne font pas d'heures supplémentaires aujourd'hui n'en feront pas plus demain. Cependant, ceux qui en font déjà beaucoup en feront encore plus !

Mme Bariza Khiari. Absolument !

M. Claude Domeizel. Peut-être faudrait-t-il en mesurer les conséquences sur la santé et la sécurité au travail...

Accuser les 35 heures d'être la cause de tous les maux, cela permet surtout de détourner le regard et d'éviter de se poser les vraies questions sur le marasme économique dû à votre économie libérale.

Comme tous mes collègues socialistes, je suis inquiet et je me demande jusqu'où vous irez dans cette fuite en avant.

Le salarié étouffe sous la pression que vous avez su mettre en place. Mais, attention ! Méfiez-vous du retour de flamme, comme en 1995 !

Si d'aventure la présente motion tendant à opposer la question préalable n'était pas adoptée, on ne sait jamais (Sourires), ...

M. Jean-Pierre Bel. Ce n'est pas possible !

M. Claude Domeizel. ...nous prendrions tout notre temps pour détailler les raisons de notre opposition à cette proposition de loi.

D'ores et déjà, nous tenons à dénoncer avec la plus grande fermeté les méfaits de ce texte dicté par le MEDEF et téléguidé par le Gouvernement : c'est une « casse » du code du travail, tout à l'avantage de l'employeur ; en un mot, c'est une « arnaque » !

Vous laissez la durée de travail à 35 heures, mais vous videz de son sens ce que les travailleurs ont désormais coutume d'appeler l'ARTT, c'est-à-dire l'aménagement de la réduction du temps de travail.

« Travailler plus pour gagner plus. » ? Chanson, aurait-on dit à l'époque de Molière. Aujourd'hui, nous vous demandons d'arrêter vos balivernes, qui détournent des vrais problèmes que rencontrent notre économie et le monde du travail.

Aussi, mes chers collègues, constatant que cette proposition de loi n'a été précédée d'aucune concertation avec les partenaires sociaux, considérant qu'elle est en contradiction avec la nécessité de réduire le nombre de chômeurs, considérant également qu'elle recèle de graves dangers pour les garanties des salariés en matière de durée du travail et de versement effectif du salaire, le groupe socialiste vous demande d'adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur. Mes chers collègues, je ne vous surprendrai sûrement pas en vous indiquant que la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

L'adoption de la présente proposition de loi est nécessaire pour libérer l'économie française des contraintes réglementaires excessives découlant de la législation sur les 35 heures. L'élaboration du texte qui nous est soumis a donné lieu à d'importantes consultations avec les partenaires sociaux. S'il est vrai que plusieurs organisations syndicales sont hostiles à ce texte,...

M. Louis Souvet, rapporteur. ...il appartient à la représentation nationale...

M. Jean-Pierre Bel. D'en tenir compte !

M. Louis Souvet, rapporteur. ...de savoir prendre des décisions courageuses, même impopulaires, lorsqu'elle les juge conformes à l'intérêt général.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Pour le Gouvernement, la réflexion sur l'aménagement du temps de travail s'est développée à partir notamment d'un rapport de l'Assemblée nationale publié au printemps 2004, puis d'une évaluation, pour s'inscrire dans un cycle de négociations que nous avons menées avec les partenaires sociaux sur les dispositifs à mettre en oeuvre. Cela nous a conduits, Jean-Louis Borloo et moi-même, le 30 juin dernier, à écrire à chacun des partenaires sociaux et à les rencontrer à deux reprises, au mois d'août, puis au début du mois d'octobre.

Le Premier ministre a ensuite reçu l'ensemble des partenaires sociaux, pour évoquer des thèmes qui ont été repris dans le contrat « France 2005 ». Nous avons donc pu réellement échanger nos points de vue, et je rencontre d'ailleurs encore très régulièrement les partenaires sociaux sur ces sujets.

En ce qui concerne la productivité et le taux de croissance par tête, je vous renvoie au rapport de l'OCDE sur les taux de croissance annuels moyens de la productivité par heure travaillée et par actif occupé entre 1996 et 2002.

Selon l'OCDE, la France enregistre, il est vrai, un bon résultat, puisque la croissance de la productivité se situe à 2,32 par heure travaillée. Mais d'autres pays ont des taux de croissance de compétitivité comparables. Pour l'Irlande, cette croissance s'établit à 5,66, soit un résultat plus de deux fois supérieur au nôtre !

M. Guy Fischer. Certes, mais avec quelles conditions de travail ? Il n'y a que des emplois atypiques !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Au reste, le taux de chômage en Irlande est passé de 12 % à 4,5 % !

M. Robert Bret. Bel exemple que ce paradis fiscal, monsieur le ministre !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il n'y a donc pas antinomie entre temps de travail, croissance de la productivité et réduction du chômage de masse.

Je ne reviendrai pas sur les autres arguments exposés par M. Domeizel, puisque j'y avais déjà répondu par avance. En tous les cas, le Gouvernement ne peut être favorable à la motion qu'il a défendue.

M. Claude Domeizel. C'est vraiment dommage !

M. Jean-Pierre Bel. Quelle occasion manquée !

M. Jean-Marc Todeschini. Quelle déception !

M. Bernard Frimat. Quelle surprise !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, la remarquable intervention de mon collègue Claude Domeizel recouvre, vous vous en doutez probablement, les préoccupations que j'ai pu exprimer tout à l'heure lors de mon intervention au nom du groupe CRC.

Au fil des différentes interventions, le débat s'est d'ores et déjà engagé, sinon avec passion, du moins avec conviction.

Pour ma part, mes préoccupations actuelles se concentrent sur les salariés d'Alstom Transport, d'Arcelor, de Faurecia, de Luchard, d'Emerson Network, de Cofisec, de Creuzet Aéronautique, de Bosch, de la succursale Renault de Marseille, des succursales Daimler-Chrysler, de Brandt, de l'entreprise Vergès, de Nobel, de l'usine Chausson de Reims, de Federal Mogul, de TRW, de Sediver, et de tant d'autres encore !

Outre la révision d'accords décidée pour « difficultés économiques », nous relevons surtout, sous le prétexte d'une amélioration de compétitivité, la mise en place de dispositifs d'annualisation, de modulation et de flexibilité du temps de travail dans des entreprises où les salariés et les syndicats avaient pu y échapper jusqu'à maintenant. De plus, les fusions ou les cessions d'entreprises servent souvent de prétexte à la révision des accords obtenus en la matière.

Je pense à ces centaines de milliers de salariés contraints à l'intérim, dont les effectifs ont tout de même augmenté de 137 %, ainsi qu'aux titulaires de CDD et aux stagiaires, dont les effectifs sont, eux, en progression de 69 %.

Je pense aux femmes, et j'aurais aimé que notre collègue Gisèle Gautier, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, évoque la place des femmes dans le milieu du travail, eu égard au temps de travail et aux inégalités salariales.

M. Robert Bret. Ce n'est pas dans ses préoccupations !

M. Roland Muzeau. Peut-être cela viendra-t-il au cours des débats...

Les femmes sont en effet les premières victimes du travail à temps partiel imposé et des bas salaires.

Je pense aussi à l'insécurité au travail : n'en déplaise à mon collègue Bernard Murat, il y a bien entre 15 000 et 18 000 emplois précaires chez Renault.

Je pense encore, monsieur le ministre, à ces chiffres qui frappent les esprits, qui gênent aux entournures certains d'entre vous, ces profits record et ces dividendes, qui ont représenté, en 2003, 7 % du produit intérieur brut, contre 5,3 % aux Etats-Unis.

Les résultats affichés par les entreprises montrent bien que les 35 heures ne sont aucunement responsables de tous les maux qui ont été dénoncés ce soir. Comment ne pas le voir ?

Je n'oublie pas non plus que la France a la meilleure productivité horaire et que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises s'effondre.

Par ailleurs, que penser des propos du baron Seillière ? Pour ceux qui souhaiteraient lire précisément ses déclarations, je tiens à leur disposition la revue du MEDEF dont j'extrais mes deux citations.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Vous avez de drôles de lectures !

M. Guy Fischer. Je lis tout, monsieur Gournac ! Vous-même devriez d'ailleurs lire l'Humanité plus souvent !

Voici ce que déclare le baron Seillière : « L'accès à ces facilités - il s'agit de la proposition de loi tant vantée à droite de cet hémicycle - ne sera pas créateur de pouvoir d'achat. »

Je citerai également, pour que chacun se sente à sa place, le président du MEDEF Ile-de-France, dont la même revue reprend les propos suivants : « Le Gouvernement, après deux ans d'atermoiements, vient de donner un "coup de grâce" à l'idéologie en reconnaissant que les "35 heures" étaient un frein à la compétitivité des entreprises. » Fermez le ban !

Tirant les conséquences de ces quelques propos et des valeurs qu'ils manifestent, le groupe CRC, vous l'aurez compris, chers collègues, votera cette motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de réserve (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 7, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant ces dernières semaines, à propos de la réforme des 35 heures, le Premier ministre a affirmé être « attentif » aux « demandes des syndicats ». Il a même souligné son « attachement au dialogue social dans l'entreprise et dans les branches pour assouplir la réglementation relative au temps de travail » et a demandé en conséquence aux parlementaires de veiller, lors du débat, à ce que « soit respectée la prééminence de l'accord entre les partenaires sociaux ».

Peut-être faudrait-il prévenir M. Raffarin que le MEDEF ne fédère ni tous les syndicats ni tous les partenaires sociaux !

Toutes ces déclarations de principes ne sont que poudre aux yeux. Le Gouvernement s'acharne à faire adopter une « réforme » qui est repoussée par la quasi-totalité des partenaires sociaux et par une grande majorité des salariés de ce pays.

Pourtant, lorsqu'on légifère sur des questions aussi importantes concernant le droit social, il est évident qu'il faut consulter les organisations syndicales et négocier avec elles, comme cela a été le cas pour le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Mais, sur ce sujet grave, le besoin de revanche sociale et idéologique qui anime la majorité atteint un tel niveau que l'on a fait l'impasse sur la négociation avec les organisations syndicales.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Mais non !

M. Guy Fischer. Ainsi, à l'inverse des réformes sur les retraites ou sur l'assurance maladie, la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise n'a pas fait l'objet d'évaluations ni d'études prospectives.

Pourtant, toutes les organisations syndicales confondues, quelles que soient leur sensibilité, quels que soient leurs points d'accord et de désaccord, ont protesté contre cette réforme du temps de travail et ses conséquences néfastes, profondes et durables sur les salariés de notre pays. Même le Président de la République avait, à l'époque, qualifié la polémique sur la RTT de « débat imbécile ». Il faut croire qu'il a été dépassé, au sein de sa propre majorité, par les parlementaires les plus libéraux conduits par M. Novelli, qui a eu l'initiative de cette proposition de loi.

Ce dernier affirme d'ailleurs que « la durée du temps de travail ne devrait pas être fixée par la loi », mais que « c'est à la négociation » - il s'agit de la négociation entre les partenaires sociaux - « de le faire ». En disant cela, il exprime clairement son voeu le plus cher, à savoir éradiquer toute forme de droit opposable, de rééquilibrage du rapport de force entre le salarié et l'employeur.

Pour comprendre ce dont il s'agit, il faut se pencher sur le contenu de cette proposition de loi, qui réintroduit le face-à-face entre employeurs et salariés, au mépris des règles collectives, en permettant la négociation directe sur le rachat de jours de repos ou d'heures supplémentaires.

Présentée comme une mise à jour de l'organisation du temps de travail, un « assouplissement », cette proposition de loi n'est en réalité rien d'autre qu'une pure application du dogme libéral.

Une semaine avant les arbitrages du budget pour 2005, le Fonds monétaire international a fait connaître ses préconisations pour la France : il s'agit, entre autres, de stopper les hausses programmées du SMIC et la réduction de la durée du travail, de revoir le fonctionnement du marché du travail, de faciliter les licenciements, d'alléger les charges des entreprises tout en diminuant les dépenses publiques, et de ne pas remplacer les fonctionnaires partant en retraite.

Cela apporte de l'eau au moulin du Gouvernement et éclaire le sens véritable du débat idéologique actuel.

Vaut-il mieux travailler 35 heures ou 36 heures ? Quel doit être le nombre d'heures supplémentaires ? Autant de questions qui sont un trompe-l'oeil pour masquer et faire accepter les choix stratégiques qui visent, en tout lieu, à faire baisser le niveau de rémunération et de protection du travail.

M. Raffarin veut « remettre la France au travail » !

M. Pierre Hérisson. C'est une bonne chose !

M. Guy Fischer. C'est une insulte à la fois pour les salariés de ce pays et pour les demandeurs d'emploi ou les travailleurs précaires. (M. Pierre Hérisson proteste.) Si la durée légale du travail en France peut paraître comme l'une des plus faibles d'Europe, c'est parce que la notion de durée légale n'est pas la même selon les pays : chez nous, c'est le seuil à partir duquel on déclenche le passage aux heures supplémentaires ; ailleurs, c'est la durée maximale autorisée, heures supplémentaires comprises.

Si l'on compare la durée effective moyenne du travail de l'ensemble des salariés, et pas seulement des salariés à temps plein, comme c'est très souvent le cas, on s'aperçoit que la France, avec 38 heures, est dans l'exacte moyenne européenne : en Suède, on travaille 36,5 heures ; au Royaume-Uni, 37,4 heures et, en Allemagne, 35,9 heures.

Avec 25,1 euros, le coût horaire du travail en France est plus faible qu'en Allemagne, qu'en Suède, ou qu'au Royaume-Uni, où il atteint respectivement 26,5 euros, 27,4 euros et 37,4 euros.

En France, en revanche, la productivité horaire du travail est supérieure à la moyenne européenne. Notre pays est au deuxième rang mondial, devant les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon, l'Italie et le Royaume-Uni. Les investisseurs étrangers ne s'y trompent pas !

Les gains de productivité horaire du travail ont avoisiné les 4 % à 5 % du fait des 35 heures. Pourquoi les employeurs devraient-ils être les seuls à en tirer profit ?

Au contraire, la « mise à mort » des 35 heures - il s'agit bien de cela - et tout le discours idéologique qui l'entoure permettent à certaines entreprises de procéder à de véritables chantages au licenciement à l'égard de leurs employés.

En déréglementant l'organisation du temps de travail, vous ne faites d'ailleurs que suivre, monsieur le ministre, ce qui se pratique déjà dans certaines entreprises, à l'image de la situation des salariés de l'usine Bosch implantée à Vénissieux, ville qui m'est chère. Cette entreprise est responsable d'un véritable chantage au licenciement poussant les salariés à signer un accord qui les conduit à travailler plus longtemps en gagnant moins. Cela démontre d'ailleurs que, sans changer la loi, les entreprises ont d'ores et déjà d'immenses latitudes, qu'elles utilisent non pas à valoriser le travail mais à le détruire.

Cette situation pose également un problème au regard de la politique européenne où le dumping social risque de se développer et de poser d'immenses problèmes de société.

Les salariés d'Arcelor se trouvent dans une situation similaire : ils relèvent non pas des minima fixés par le code du travail, mais de la convention collective de la sidérurgie et des accords de branche contractés dans la métallurgie. Et la direction a décidé de diminuer les salaires en payant les employés sur la base de 35 heures et non plus de 39 heures.

Ainsi, après plusieurs années de modération salariale, et alors que, en 2004, le groupe a réalisé 900 % de bénéfice net dû, notamment, à la hausse du prix de l'acier, et que l'ensemble des sites ont travaillé à 97 %, la direction de cette entreprise voudrait qu'un accord sur le temps de travail se traduise par une augmentation du temps travaillé, une flexibilité à outrance, le tout sans augmentation de salaire. Bref, c'est un accord « perdant » pour tous les salariés, au moment même où la situation de l'entreprise est favorable, sinon florissante.

Ces deux cas ne sont pas isolés : ces derniers temps, les exemples se sont multipliés. Outre-Rhin, les salariés de deux sites du groupe Siemens sont ainsi passés de 35 heures à 40 heures de travail hebdomadaire, sans compensation salariale, sous la menace d'une délocalisation en Hongrie. Le leader européen de la volaille, qui est français - il s'agit du groupe Doux, en Bretagne -, a dénoncé l'accord sur les 35 heures et supprimé 23 jours de RTT. L'entreprise Ronzat de Châlons-en-Champagne a proposé à ses salariés de revenir aux 39 heures, en conservant le même salaire, pour « éviter un dépôt de bilan ».

Plus récemment - c'était l'actualité de ce début de semaine -, le fabriquant d'isolateurs électriques en verre SEDIVER implanté à Saint-Yorre, qui est pratiquement numéro un mondial, a demandé à ses 294 salariés d'accepter une réduction de 25 % à 30 % de leurs salaires, pour « pouvoir maintenir le site en France au lieu de le délocaliser en Chine ou au Brésil ». L'argument fonctionne, même si les syndicats dénoncent ces « chantages à l'emploi », certains, comme la CGT, allant jusqu'à demander qu'ils soient rendus illégaux.

Jacques Chirac, dans son interview du 14 juillet dernier, a dénoncé cette « pente glissante sur laquelle il ne faut pas se laisser entraîner ». Mais le chômage de masse dont souffre la France demeure une arme redoutable contre le niveau des salaires et des garanties sociales.

Et c'est ce type d'accords injustes que vous voulez valider, en vous référant à un argumentaire simpliste selon lequel travailler plus serait la solution à tous nos maux ! Avec cette proposition de loi, le compte épargne-temps devient un outil de flexibilité de plus à la disposition des employeurs, qui pourront y affecter de leur propre initiative les heures effectuées au-delà de l'horaire collectif.

La réduction du temps de travail n'est pourtant pas un luxe. En effet, la santé des travailleurs en dépend.

En 2001, les statistiques de l'Organisation internationale du travail ont montré que, dans le monde, le travail tuait plus que les guerres, les accidents de la route et la malaria cumulés. En France, d'ici à la fin de l'année, plus de 600 personnes seront tuées au travail et au moins 3 000 décéderont d'une maladie liée directement à l'amiante. Et je ne compte pas les 40 000 personnes qui seront obligées d'arrêter de travailler à cause d'une maladie grave ou invalidante due à leur emploi, comme les TMS, les troubles musculo-squelettiques. A force de gestes répétitifs, des salariés de plus en plus jeunes souffrent, par exemple, du syndrome du canal carpien, qui affecte un nerf au niveau du poignet et entraîne des paralysies.

Monsieur le ministre, jeudi 17 février, vous avez présenté au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels le plan « Santé au travail 2005-2009 ». Il est évidemment plus que nécessaire et urgent d'intervenir pour améliorer les conditions de travail des salariés en France. Mais, pour cela, il faudrait revenir sur la « flexibilisation » accrue des horaires, sur les cadences de travail infernales et sur les compressions de personnel, qui sont des causes majeures de la dégradation de la santé liée au travail.

La flexibilisation des horaires de travail est responsable de perturbations dans la vie personnelle, notamment en ce qui concerne la santé. Je pense, bien entendu, aux troubles du sommeil, mais aussi à la dérégulation de l'alimentation.

L'intensification des rythmes du travail, l'augmentation concomitante des niveaux d'exigence pesant sur les salariés d'exécution en ce qui concerne la polyvalence, les flux tendus et la qualité, sont responsables de l'explosion des troubles de santé, mais aussi de ce que l'on appelle, en langage courant, le « stress au travail », lui-même à l'origine de conduites addictives diverses - tabac, alcool, drogues, médicaments - pour « tenir le coup ».

L'acharnement dans la compression drastique des personnels, qui relève d'une logique gestionnaire excessive, est responsable du surmenage physique, mais aussi de souffrances psychiques engendrées par l'impossibilité de bien accomplir son métier.

Je prendrai un seul exemple, celui des maisons de retraite, où le ratio entre le personnel et les pensionnaires est de 4 pour 10 en France, contre 8 pour 10 en Allemagne. Nous avons pu en mesurer les conséquences, largement médiatisées, en 2003.

Au lieu de prendre des mesures drastiques pour améliorer la condition des salariés de ce pays, ce gouvernement a relevé le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures, ce qui revient à faire travailler 39 heures en moyenne par semaine. Relever ce contingent à 220 heures, c'est autoriser le travail à 40 heures hebdomadaires. Si l'on ajoute à cette augmentation du contingent la suppression d'un jour férié, les 80 heures de formation hors du temps de travail de la loi sur la formation professionnelle, on arrive à une durée hebdomadaire effective nettement supérieure à 35 heures.

De plus, le fait que le salarié puisse désormais affecter au compte épargne-temps des congés annuels est réellement inquiétant : ces jours sont faits, en principe, pour se reposer. Les supprimer laisse donc craindre des problèmes quant à l'hygiène et à la sécurité des salariés.

En somme, cette proposition de loi instaure un marchandage honteux, en exerçant une pression plus importante sur les salariés, les incitant à faire plus d'heures supplémentaires. Il s'agit d'un moyen pour faire travailler les personnes sans passer par l'inspection du travail, donc sans contrôle. En outre, cette mesure laisse à la porte les chômeurs ainsi que les personnes en situation précaire et les salariés travaillant à temps partiel, c'est-à-dire tous ceux qui bénéficient à l'heure actuelle d'un emploi atypique.

Pour l'instant, le contingent d'heures supplémentaires effectives est très inférieur à celui qui est autorisé. On estime ce contingent effectif entre 60 et 80 heures en moyenne. La loi Fillon du 17 janvier 2003 ouvrait la voie à un allongement négocié du temps de travail. Or seulement 22 des 274 branches employant plus de 5 000 salariés ont revu leur accord sur les 35 heures et seules 14 d'entres elles ont négocié un volume d'heures supplémentaires supérieur au contingent légal. Pourtant, alors que la marge d'heures supplémentaires non utilisées est énorme, le Gouvernement, depuis plusieurs mois, ne cesse de ressasser son nouveau slogan : « plus de libertés pour les travailleurs, notamment pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus ; plus de libertés pour les entreprises. »

Pour nous, permettre que les salariés puissent gagner plus impliquerait des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales - 19 milliards d'euros par an - qui compriment les salaires dans les zones à bas salaires en ouvrant droit aux abattements.

On pourrait aussi permettre aux salariés en contrats temporaires ou partiels et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. Mais ce n'est pas ce chemin que le Gouvernement prend, loin s'en faut ! Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer au plan Borloo.

En somme, ce gouvernement, qui se présente comme le grand promoteur du dialogue social, fer de lance de sa politique, a tout fait pour éviter le débat avec les représentants de salariés. Ceux-ci ont pourtant été nombreux à manifester voilà quelques semaines - 500 000 à 600 000  personnes étaient présentes - et gageons qu'ils se mobiliseront encore plus nombreux le 10 mars prochain.

C'est parce que tous les syndicats de salariés se sont montrés unanimement réticents à l'égard de ce texte que son renvoi en commission nous semble pertinent. Il est indispensable de les consulter, non seulement plus au fond, mais aussi sur la pertinence d'un allongement de la durée du temps de travail, sur la santé au travail, sur la situation des salaires et du pouvoir d'achat, sur une vraie politique publique de l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur. Les auteurs de cette motion proposent que la commission consulte à nouveau les partenaires sociaux.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Elle l'a déjà fait !

M. Louis Souvet, rapporteur. Je voudrais rappeler ici que la commission a déjà auditionné longuement les cinq grandes confédérations syndicales (Non ! sur les travées du groupe socialiste),...

M. Roland Muzeau. Il faudrait les consulter réellement !

M. Louis Souvet, rapporteur. ...ainsi que les trois organisations patronales que vous connaissez, le MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, et l'Union professionnelle artisanale, l'UPA. Les sénateurs du groupe CRC le savent bien, puisqu'ils ont, je dois le dire, participé activement à ces réunions, ce dont je les remercie.

La position des uns et des autres sur ce texte est bien connue de tous. Certains y sont favorables et d'autres, hostiles. Je ne vois vraiment pas ce que la reprise des travaux de notre commission apporterait au débat.

La commission des affaires sociales souhaite donc que la discussion en séance publique s'engage dès à présent. C'est la raison pour laquelle elle est défavorable (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) à l'adoption de cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Roland Muzeau. Pour la dernière fois !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais formuler trois observations.

Premièrement, M. Fischer a soutenu qu'il n'y avait pas eu d'évaluation sur cette question. En réalité, deux rapports d'évaluation ont été établis : d'abord, le Gouvernement a remis au Parlement un rapport à la fin de l'année 2002 ; ensuite, la mission d'information commune de l'Assemblée nationale a déposé ses conclusions au printemps 2004.

Deuxièmement, sans revenir sur la situation des différentes entreprises, je dirai que l'accord « Bosch » a été conclu en respectant les dispositions de la loi de 1998, chacun doit en convenir, quel que soit le jugement qu'il porte en la matière. Je précise que 98 % des salariés consultés ont accepté cet accord d'entreprise.

M. Roland Muzeau. Avaient-ils le choix ? C'est la question !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. En troisième lieu, je voudrais répondre à la remarque importante de M. Fischer concernant la santé au travail : nos services suivent, par le biais de ce que nous appelons l'« enquête Sumer », l'évolution des conditions de travail. Et nous avons effectivement constaté - je citais tout à l'heure les travaux de Philippe Askenazy - une dégradation des conditions de travail des salariés, qui s'est accélérée au moment de la mise en place des 35 heures.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est clair !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Cette réalité résulte également de l'apparition de formes nouvelles de production et d'organisation. Voilà pourquoi nous avons présenté le plan Santé au travail 2005-2009, qui vise à développer la nécessaire connaissance des dangers et des risques en milieu professionnel.

Nous avons également décidé, toujours dans le but d'améliorer la connaissance sur le sujet, de créer l'Agence santé travail environnement, de mettre en place des missions d'évaluation et de renforcer les études, qu'elles soient physiques, chimiques ou ergonomiques,

Il nous a semblé nécessaire d'établir un contrôle renforcé en mettant en place, sur trois années, une inspection généraliste et des cellules spécialisées.

J'ajoute que le Gouvernement veille particulièrement à ce que les observatoires régionaux de santé au travail examinent les situations qui résultent des nouveaux modes d'organisation du travail.

En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire des chiffres annoncés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES : 40 % des ouvrières et des employées auraient le sentiment d'un stress aggravé résultant, pour 28 % d'entre elles, de ces nouveaux modes d'organisation.

Dans la négociation actuelle sur la pénibilité, le phénomène de stress est en passe d'être reconnu par les différents acteurs ; cette réalité a même été reconnue à l'échelon européen. Tout à l'heure, vous évoquiez la mise en place, dans le traité constitutionnel, de cette Charte des droits sociaux, qui constitue un grand progrès social. Je vous renvoie au titre II ainsi qu'au titre III du traité constitutionnel, qui prévoit la consultation des partenaires sociaux. Car des progrès réels sont rendus possibles par ce texte pour la construction d'une Europe sociale sur laquelle, me semble-t-il, nous avons en commun un certain nombre de valeurs.

Alors, monsieur Fischer, je vous le redis, la proposition de loi ne prévoit pas la remise en cause de la durée légale du travail, dont je rappelle qu'il s'agit du seuil au-delà duquel commencent des heures qui sont rémunérées d'une autre manière, c'est-à-dire les heures supplémentaires.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement estime, après M. le rapporteur, que la motion tendant au renvoi en commission n'est pas fondée, d'autant moins que les membres de la Haute Assemblée disposent d'éléments d'évaluation leur permettant de se prononcer dans les heures qui viennent en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 7, tendant au renvoi à la commission.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 120
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Demande de réserve

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de réserve (interruption de la discussion)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales.

M. Robert Bret. Est-ce bien nécessaire ?

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, en application de l'article 44 du règlement du Sénat, la commission des affaires sociales demande la réserve de tous les amendements visant à insérer des articles additionnels avant et après les articles 1er, 2 et 3, jusqu' à la fin du texte.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Favorable.

Mme la présidente. La réserve est ordonnée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Demande de réserve (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale