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Modification de l'ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, demande que le Sénat siège le mardi 15 novembre au matin pour la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Acte est donné de cette communication.

Cette lettre fait suite au souhait exprimé lors de notre dernière conférence des présidents par M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, d'utiliser pour le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale cette matinée laissée libre par le report à mercredi des questions orales.

En conséquence, le Sénat commencera sa séance du mardi 15 novembre à dix heures et la poursuivra à seize heures et le soir pour la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

7

COMMission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation agricole.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président de l'Assemblée nationale une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

Signé : Dominique de Villepin »

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l'article 12 du règlement.

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Dossier législatif : proposition de loi complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
Discussion générale (suite)

Emploi de la langue française

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (nos 27 [2005-2006] et 59 [2004-2005].)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y onze ans déjà - le 4 août 1994 exactement -, était promulguée la loi relative à la langue française, plus connue sous le nom de « loi Toubon », du nom de son promoteur, alors ministre de la culture et de la francophonie.

J'ai eu l'honneur de rapporter ce projet de loi devant notre Haute Assemblée, au nom, déjà, de la commission des affaires culturelles. Le Gouvernement avait choisi de le présenter d'abord devant le Sénat, et nous en étions évidemment honorés.

Il s'agissait de rendre efficace un dispositif de protection de l'usage du français en France destiné à succéder à la loi dite « Bas-Lauriol », votée jadis à la quasi-unanimité par le Parlement mais dont l'application était très limitée et qui était donc devenue obsolète.

Je m'attendais de nouveau à un moment d'unanimité autour de la cause de notre langue commune. Il n'en fut rien : M. Toubon et sa loi furent brocardés, suspectés de vouloir se livrer, peut-être avec autoritarisme, à une Saint-Barthélemy des termes étrangers entrés dans notre langue.

Il est utile d'affirmer de nouveau ici avec force que le problème de la langue française n'est pas essentiellement de retrouver sa pureté, mais de veiller à ce que des domaines entiers de l'activité humaine ne cessent pas, même en France, d'être exprimés en français.

Si le français chez nous cesse d'être communément utilisé par le monde scientifique, par la communauté financière, s'il n'est pas présent dans les nouvelles technologies, croit-on vraiment qu'il conservera longtemps son statut de langue à rayonnement international ? Croit-on vraiment qu'il continuera à être appris, aimé dans le monde entier ?

A travers le statut de notre langue, ce qui est en cause c'est l'image que nous nous faisons de notre culture, de notre capacité à dialoguer avec les autres, à inventer, à faire vivre des concepts qui traduisent notre perception des valeurs.

Nous éprouvons des difficultés à percevoir ce lien entre l'importance attachée à la place du français en France et son maintien ou son déclin à l'étranger, alors qu'il est évident.

Une telle loi dérange, car elle n'a d'efficacité que si elle est effectivement appliquée. Et nous sommes pris ici entre deux exigences contradictoires : nous sommes attachés, bien évidemment - et très profondément -, à la liberté d'expression, celle qui permet à chacun de s'exprimer dans sa langue avec les mots de son choix, mais nous sentons aussi la nécessité de sanctionner l'abandon de l'usage de notre langue quand, en se généralisant, ce délaissement porte atteinte au statut, voire à l'existence de la langue.

Parce qu'ils étaient minoritaires ou très menacés dans leurs Etats respectifs, les Flamands, les Catalans, les Québécois, à l'encontre respectivement du français, de l'espagnol et de l'anglais, ont adopté - et imposé - des politiques linguistiques très strictes... mais qui se sont révélées efficaces. Nous ne sommes pas - ou pas encore ? - dans leur situation, mais nous devons veiller à l'application de la loi sur la langue.

Constatons d'abord avec satisfaction qu'après l'avoir brocardée nos compatriotes sont sur le point d'accepter la loi Toubon : les associations de consommateurs ont maintenant pleinement conscience de la nécessité de garantir aux acheteurs une bonne information en français, qu'il s'agisse de l'étiquetage ou du mode d'emploi des produits. Un sondage réalisé par la SOFRES en 2000 montrait que 93 % des personnes interrogées jugeaient utiles, voire très utiles, les dispositions de la loi Toubon relatives à l'obligation d'assurer l'information du consommateur en français. C'est un fait que nous devons conserver à l'esprit, à l'heure où la Commission européenne exerce des pressions pour amener notre pays à atténuer cette règle et à admettre que les consommateurs pourraient tout aussi bien être informés par des pictogrammes !

Le rapporteur que je suis ne saurait accepter une telle régression, et il invite le Gouvernement à ne pas céder aux pressions excessives exercées sur ce sujet par la Commission.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Quant au monde du travail, au départ peu mobilisé pour la défense du français, il découvre le caractère discriminant que peut représenter pour les salariés l'usage de plus en plus fréquent de l'anglais dans l'entreprise et ses représentants n'hésitent plus à se prévaloir des dispositions de la loi garantissant l'usage du français sur les lieux de travail.

Ces évolutions méritent d'être saluées. Elles montrent que les dix années qui se sont écoulées depuis l'adoption de la loi Toubon ont contribué à ancrer ce texte dans l'opinion et dans notre jurisprudence.

Fallait-il donc en rester là ? Notre collègue Philippe Marini n'en a pas jugé ainsi. Il a déposé une proposition de loi relative à l'emploi de la langue française qui a pour objet d'apporter d'utiles compléments au dispositif de la loi Toubon.

Cette proposition vient à son heure. Elle est utile, parce que depuis dix ans le monde a évidemment beaucoup évolué et qu'il faut, par exemple, étendre le domaine de la loi aux nouvelles technologies de l'information, encore balbutiantes en 1994. Par ailleurs, l'expérience déjà longue des difficultés d'application de la loi nous fait souhaiter corriger ses faiblesses, pour renforcer son efficacité.

Ces dispositions privilégient un certain nombre de secteurs sensibles, comme ceux de l'Internet et de la communication électronique, de l'apparence de nos rues à travers la multiplication des enseignes, ou du monde de l'entreprise en général. Elles abordent aussi le problème global du contrôle de l'application effective de la loi.

Ce choix me paraît tout à fait pertinent, et si les dispositions que la commission des affaires culturelles vous propose d'adopter sont souvent formulées dans des termes un peu différents de ceux de la proposition de loi initiale, je crois que nous partageons avec M. Marini une même vision des buts à atteindre.

M. Philippe Marini. Tout à fait !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Notre premier objectif est de garantir que les prescriptions linguistiques posées par l'article 2 de la loi Toubon relative à la protection du consommateur s'appliquent bien au monde du numérique et du commerce électronique, dont le développement est spectaculaire.

Faut-il compléter la loi pour préciser que les prescriptions de l'article 2 sont applicables aux messages informatiques dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère ?

La commission ne l'a pas jugé nécessaire, car les termes actuels de la loi sont suffisamment généraux pour couvrir aussi le monde du numérique, comme le confirme d'ailleurs la circulaire d'application de 1996. Le problème nous semble résider davantage dans l'application de la loi que dans sa lettre, sous réserve d'une actualisation ponctuelle, qui fait l'objet de l'article 1er.

Celui-ci confirme que les obligations de la loi Toubon relatives à la publicité s'appliquent bien à toute forme de publicité par voie électronique, de façon à lever l'ambiguïté qui pourrait résulter de l'entrée en vigueur de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Dorénavant, en effet, celle-ci réserve la qualification de communication audiovisuelle aux seuls services de radio et de télévision et érige en notion distincte la communication publique par voie électronique. L'article 1er de la présente proposition de loi a donc pour objet de compléter les mots « publicité parlée, écrite et audiovisuelle » par les mots « ou par voie électronique ».

Le premier alinéa de l'article 2 a pour objet de compléter l'article 3 de la loi Toubon qui, dans sa rédaction actuelle, impose le français dans la formulation des inscriptions sur la voie publique, mais en dispense, par omission en quelque sorte, les enseignes. Cette exception, dictée par le respect de la liberté du commerce, a pu contribuer à alimenter un certain laxisme dans l'application de la loi. D'où l'éviction du français, et parfois même de l'alphabet latin, de la façade de certaines de nos rues.

Soucieux de préserver le droit du commerçant de choisir librement la dénomination sous laquelle il exerce son activité, la commission a retenu un dispositif souple imposant la traduction ou, à défaut, l'explicitation des termes étrangers utilisés dans la formulation d'une enseigne, cette notion d'explicitation étant, je le reconnais, nouvelle.

Encore cette obligation ne s'imposera-t-elle que lorsque les termes de l'inscription seront susceptibles de contribuer à l'information du consommateur, afin de proportionner la contrainte à l'objectif d'information.

Le second alinéa de l'article 2 confirme que l'obligation d'employer le français pour l'information des voyageurs s'impose dans les transports internationaux, dès lors qu'ils ont pour provenance ou destination le territoire national.

Certes, cette obligation résultait déjà implicitement de la rédaction actuelle de l'article 3 de la loi Toubon, qui vise tout « moyen de transport en commun ». Mais les tentations récurrentes de certaines compagnies aériennes de s'affranchir de cette prescription justifient qu'elle soit réaffirmée dans la loi de façon à la fois solennelle et explicite.

Les articles 3 et 4 ont pour objet d'imposer aux dénominations sociales des sociétés inscrites au registre du commerce les mêmes obligations de traduction ou d'explicitation que celles qui sont envisagées pour les enseignes, afin de ne pas laisser le français disparaître complètement du nom que les entreprises se choisissent.

Pour améliorer le respect effectif des dispositions de la loi Toubon, la commission vous suggère, avec l'article 5 de la proposition de loi, d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile et déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.

Sur ce point, la commission s'est écartée du dispositif élaboré par l'auteur de la proposition de loi, qui préconisait d'autoriser, sous certaines conditions, les agents assermentés des associations de défense de la langue française et des consommateurs à constater les infractions commises en violation de plusieurs dispositions de la loi Toubon. Votre rapporteur avait examiné avec sympathie cette disposition, mais la commission n'a pas voulu s'engager dans cette voie, considérant que ces pouvoirs de police devaient rester l'apanage des agents publics.

L'article 6 apporte une retouche à l'article L. 122-39-I du code du travail, tel qu'il résulte de l'article 9 de la loi de 1994. Cette disposition rend obligatoire l'emploi du français dans la rédaction de « tout document comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail ». Elle tempère cette règle par deux exceptions portant respectivement sur les documents destinés à des étrangers et sur les documents reçus de l'étranger.

Cette seconde exception paraît aujourd'hui trop largement définie : qu'ils proviennent ou non de l'étranger, les documents rédigés en langue étrangère sont également susceptibles d'être une source d'incompréhension et de gêne pour les salariés français ; en outre, la mondialisation, la multiplication des groupes internationaux et le développement des communications électroniques contribuent à une augmentation sensible du nombre des documents reçus de l'étranger.

Pour éviter que l'exception prévue par la loi de 1994 n'ouvre une brèche trop importante dans un dispositif qui répond, entre autres, à des préoccupations de sécurité dans le travail, nous proposons de la restreindre aux documents provenant de l'étranger et destinés à des salariés qui soient véritablement à même de les comprendre, dans la mesure où leur emploi nécessite une parfaite connaissance de la langue concernée.

L'article 7 a pour objet d'inciter les entreprises à réfléchir à leur politique linguistique et d'ériger les pratiques linguistiques en élément du dialogue social à l'occasion de la présentation devant le comité d'entreprise d'un rapport sur l'utilisation de la langue française.

Nous proposons de ne rendre ce rapport obligatoire que dans les entreprises et les groupes de plus de cinq cents salariés, qui disposent des structures adéquates et qui ne rencontreront donc pas de problèmes pour ce faire. Dans les autres sociétés, la présentation d'un tel rapport serait facultative et répondrait à une demande expresse du comité d'entreprise ou des délégués du personnel.

L'article 8 vise à imposer une rédaction en français des convocations et des procès-verbaux des comités d'entreprises, de façon, bien sûr, à garantir la bonne information des salariés.

Enfin, avec l'article 9, nous proposons de compléter l'article 22 de la loi Toubon pour prévoir que le rapport annuel au Parlement sur la langue française peut donner lieu à un débat parlementaire, les différentes administrations concernées par ses dispositions étant tenues de contribuer à sa réalisation.

Au moment de conclure cette intervention liminaire, je voudrais dire avec force combien le débat de ce jour me paraît « politique », au meilleur sens du terme.

En veillant au respect de notre langue chez nous, nous proclamons aussi notre respect de toutes les langues, qui sont l'expression de la diversité humaine. Si nous voulons faire respecter l'usage du français, nous devons, en contrepartie, respecter toutes les autres langues. C'est pourquoi nous nous sommes tous mobilisés pour soutenir l'adoption à l'UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle. Car nous savons bien qu'il n'y a pas de diversité culturelle si la diversité linguistique est remise en cause.

Les vingt-cinq pays de l'Union européenne ont approuvé cette convention à l'UNESCO. Puisse l'Union européenne s'en souvenir quand elle habille un respect de façade de l'égalité des langues européennes derrière un recours de moins en moins dissimulé à l'anglais comme langue de communication usuelle.

Cette préoccupation qui est la nôtre a aussi une dimension politique parce qu'elle tend à répondre à ce que l'historien Pierre Nora a qualifié de « non-dit national » au lendemain du rejet, le 29 mai, du projet de Constitution européenne.

Je partage son analyse et je voudrais, ici, en citer quelques passages.

Interrogé sur une possible crispation nationale, M. Nora répond : « Les Français ne veulent plus mourir pour la patrie, mais la France est devenue une notion patrimoniale. La nation à laquelle les Français sont attachés, au XXIe siècle, s'enracine dans des formes culturelles. Pensez au succès [...] que connaissent [...] les Journées du patrimoine ! Mais dans "patrimoine" il y a "patrie", et c'est l'épaisseur de cette nouvelle relation à l'identité nationale qui n'a été ni enregistrée ni prise en compte par les gouvernants. » Et il ajoute : « La langue [...] est certainement un élément fondamental de l'expression nationale. »

Aujourd'hui, en adoptant la proposition de loi présentée par M. Marini et amendée par notre commission, nous démontrerons notre volonté de donner à notre langue toute sa place au coeur de notre identité et de lui garder aussi ce rôle irremplaçable d'instrument de notre présence et de notre dialogue avec le monde. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le contexte des violences qui ont déchiré notre tissu social urbain ces douze derniers jours, cette proposition de loi porte sur un sujet que j'estime majeur pour nos valeurs et pour notre pays : il s'agit de notre langue, ce bien commun grâce auquel nous pouvons débattre, dialoguer, argumenter, nous comprendre, le cas échéant nous opposer en toute liberté, en recourant à ce « merveilleux outil » célébré par Léopold Sédar Senghor.

Oui, ce sont des liens profonds qui unissent la langue, la République et la démocratie. Ils sont inscrits dans notre droit, dans notre Constitution. Vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, depuis la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, l'article 2 de la Constitution dispose : « La langue de la République est le français. »

Notre langue nous aide à construire la cohésion sociale de notre nation. C'est par la langue que se forment les citoyens de toutes origines, qu'ils acquièrent une histoire et une culture, qu'ils éprouvent le sentiment de la communauté à laquelle ils appartiennent, qu'ils forment leurs projets, qu'ils bâtissent l'avenir, qu'ils expriment leur volonté de vivre ensemble.

La langue est également le premier instrument d'insertion sociale et professionnelle. C'est pourquoi la politique de la langue française a toute sa place dans la politique culturelle de la France.

Notre langue porte assurément l'héritage d'une longue histoire et je tiens à cet égard à vous rendre hommage, monsieur le rapporteur, pour la qualité et la précision du brillant panorama que vous brossez dans votre rapport : sans remonter jusqu'aux serments de Strasbourg qui scellent, en 842, non plus en latin mais dans chacune de leurs langues respectives, l'alliance entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, vous faites oeuvre remarquable d'historien autant que de législateur.

En France, la langue est affaire d'Etat, parce qu'elle symbolise et cimente son unité. Elle est affaire de droit : il y a un droit de la langue, qui est aussi un droit à la langue, c'est-à-dire le droit, pour tout citoyen, de recevoir une information et de s'exprimer dans sa langue. Elle est affaire de loi parce que la France a choisi d'affirmer ce droit dans un cadre législatif et réglementaire cohérent, dont vous retracez l'histoire et l'architecture et dont la pierre angulaire est la loi du 4 août 1994, dite « loi Toubon ».

Cette loi ne correspond en aucune manière à un réflexe de défense identitaire. Ce n'est pas une machine de guerre contre les autres langues parlées sur notre territoire, notamment contre l'anglais, dont elle autorise l'emploi mais à la condition que celui-ci s'accompagne d'une formulation en langue française. Encore moins vise-t-elle à instaurer je ne sais quelle « police de la langue », comme ses détracteurs, en la caricaturant, l'ont à tort prétendu.

Dès lors que « la langue de la République est le français », tout citoyen a un droit imprescriptible à faire usage de la langue française dans toutes les circonstances de la vie sociale. Il revient aux pouvoirs publics de créer les conditions d'exercice de ce droit, au bénéfice de la communauté nationale dans son ensemble.

Certes, notre langue elle-même ne cesse d'évoluer : c'est d'ailleurs une bonne chose, car cela signifie que nous n'avons pas pris de retard. Une telle évolution est nécessaire pour décrire et interpréter notre monde, pour répondre aux demandes de nos concitoyens, pour s'adapter à notre vie, aux évolutions technologiques liées à la société de l'information, aux évolutions sociales liées au développement des échanges et des flux migratoires dans le cadre de la mondialisation.

La diversité linguistique contribue assurément au rayonnement de la diversité culturelle, que la communauté internationale vient de faire entrer dans le droit international, en adoptant, le 20 octobre dernier, la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison d'établir un certain parallèle ou une certaine symétrie entre cette mobilisation de la communauté internationale en faveur de la diversité culturelle et la nécessité d'y faire écho au sein de l'Union européenne. Pour parvenir à ce beau résultat, les vingt-cinq Etats membres ont marqué, sans faille, leur unité au cours de toute la négociation. Cela crée évidemment une dynamique logique nouvelle au sein de l'Union européenne : ce que nous avons obtenu de la part de la communauté internationale doit évidemment s'appliquer avant tout au sein même de l'Union.

Un monde monolingue serait un monde irrémédiablement appauvri, sans racines et sans avenir.

Mon prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avait fort justement ressenti le besoin d'évaluer la loi Toubon, dix ans après son adoption. Aussi avait-il confié à M. Hubert Astier, inspecteur général de l'administration des affaires culturelles, le soin de dresser le bilan de l'application de ce texte et de formuler des propositions visant à l'améliorer.

L'une des toutes premières décisions que j'ai prises en arrivant au ministère fut de confirmer cette mission, dont les conclusions me furent remises au début de cette année. Elles ont contribué à orienter la communication sur la politique de la langue française que je fis le 17 mars dernier en conseil des ministres. Je m'étais alors assigné trois objectifs : sensibiliser le corps social aux enjeux de la langue française ; garantir le droit de nos concitoyens à faire usage du français, langue de la République, sur le territoire national ; mettre la politique de la langue française au service de la cohésion sociale.

Monsieur Marini, en déposant cette proposition de loi, vous vous inscrivez dans cette perspective : vous souhaitez compléter la loi Toubon dans certains domaines où elle n'a pas produit tous ses effets.

Je tiens à saluer votre initiative, d'autant que vous avez la sagesse de ne pas bousculer l'équilibre de la loi Toubon, tout en lui apportant quelques ajustements. Vous la renforcez en tirant d'utiles enseignements du rapport sur l'emploi de langue française que le Premier ministre, au nom du Gouvernement, remet chaque année aux assemblées.

L'apparente diversité des dispositions contenues dans votre proposition de loi, qui touchent à la fois la communication électronique, le paysage de nos villes, les transports, la vie de l'entreprise, la consommation, fait apparaître un fil conducteur : le souci de garantir à nos compatriotes ce droit au français, que j'évoquais à l'instant, et d'en améliorer le contrôle et l'application.

L'article 1er clarifie notre droit. En précisant que la publicité par voie électronique n'échappe pas aux prescriptions de l'article 2 de la loi Toubon, vous prenez en compte les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, laquelle distingue la communication audiovisuelle et la communication au public par voie électronique. Cette précision utile, à droit constant, n'élargit donc pas le champ d'application de la loi, qu'elle maintient en l'état.

Je sais que le paysage de nos villes est un sujet auquel les élus que nous sommes sont particulièrement sensibles. En prévoyant que les enseignes puissent, dans certains cas, être accompagnées d'une traduction ou d'une explicitation en français, vous contribuez, monsieur Marini, à la lutte pour la cohésion sociale, voire à la lutte contre la constitution de véritables « ghettos linguistiques » au coeur même de nos cités.

Les transports constituent un autre sujet sensible pour nos compatriotes. Il me paraît en effet essentiel de prévoir qu'une information en langue française soit fournie dans les moyens de transports internationaux en provenance ou à destination de notre pays, conformément d'ailleurs aux conventions internationales sur le transport aérien. Cela permet tout simplement d'entretenir aussi le goût pour notre langue.

Pour les dénominations sociales des entreprises, la rédaction prudente de votre proposition de loi permet de lutter contre certains usages qui desservent notre langue et ne contribuent pas à assurer l'information du public, tout en respectant le libre établissement et la libre circulation des prestataires de services.

Le droit à la langue s'étend également au monde du travail. Il est important que certains documents clefs pour l'information des salariés et des actionnaires, tels que l'ordre du jour et les procès-verbaux des délibérations des comités d'entreprise, puissent être disponibles dans une langue compréhensible par tous.

Par ailleurs, il est fait obligation aux chefs d'entreprise de soumettre pour avis aux comités d'entreprise un rapport sur l'utilisation de la langue française. Cela les incite à considérer la politique linguistique comme faisant partie de la bonne marche de leur entreprise et du dialogue social. Dans sa sagesse, la commission a limité cette obligation aux seules entreprises de plus de cinq cents salariés.

Enfin, la proposition soumise à votre Haute Assemblée, dans la rédaction adoptée par la commission, a également l'ambition de renforcer les conditions d'application de la loi Toubon, et ce de deux manières. D'une part, il est prévu d'élargir à des associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile, c'est-à-dire d'ester en justice. D'autre part, il est prévu de renforcer la capacité du Gouvernement à informer le Parlement sur l'application de la loi.

Je ne peux évidemment qu'être favorable à ces mesures, d'autant que c'est à mon ministère, comme vous le savez, qu'il revient d'établir, au nom du Premier ministre, le rapport annuel sur l'emploi de la langue française.

C'est donc avec confiance que j'aborde cette discussion, persuadé que cette proposition de loi, en l'état, répond à l'attente de nos concitoyens, qui sont très attachés à la loi Toubon - vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur -, parce qu'ils y voient l'une des plus sûres garanties apportées à la diversité culturelle et à la démocratie.

Vous rappelez aussi fort opportunément, dans votre rapport, les observations qu'a pu formuler la Commission européenne sur la loi précitée et tout particulièrement sur son article 2 concernant l'information des consommateurs.

Consciente de la nécessité de satisfaire aux principes qui régissent le droit communautaire, la France, dans un dialogue constructif avec la Commission, a trouvé un point d'équilibre dans la publication d'une instruction de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes permettant à ses services de contrôler l'application de la loi, en parfaite conformité avec la jurisprudence communautaire.

Cet équilibre, dont je comprends qu'il ne satisfasse pas pleinement la commission - qui le juge « cependant acceptable à titre transitoire » dans son rapport écrit -, nous permet de concilier le respect de nos engagements européens, notamment la libre circulation des biens et des services, avec la protection et l'information des consommateurs -, qui sont, en France comme ailleurs, de plus en plus exigeants - et l'emploi de la langue française sur le territoire français, qui est au coeur même de la loi du 4 août 1994.

Je relève que vous êtes attaché au caractère intangible de ce principe posé par la loi, en particulier dans son article 2.

La réflexion me paraît donc devoir être poursuivie, d'autant que, vous le savez, le Conseil d'Etat est saisi par les associations de défense de la langue française de l'instruction du 26 avril 2005. Il me semble donc utile d'attendre la décision de notre plus haute juridiction administrative pour évaluer précisément notre situation juridique au regard de la conciliation de la loi française, de la nécessaire protection des consommateurs et de nos engagements européens.

Dans un espace européen caractérisé par le plurilinguisme, Umberto Eco n'a t-il pas écrit que la traduction est la langue commune de l'Europe ? Comment mieux encourager nos concitoyens à s'ouvrir aux autres langues européennes que de leur permettre de se sentir en confiance dans leur propre langue ? C'est d'ailleurs l'exigence même des Européens convaincus que nous sommes : si nous voulons que nos concitoyens à aucun moment ne décrochent dans cette aventure politique exceptionnelle, il faut tout simplement qu'ils aient le sentiment que leur identité proche est protégée par l'Union européenne au lieu d'être mise à mal par la mondialisation ou par une excessive marchandisation de la vie politique, économique, sociale ou culturelle.

A cet égard, je suis heureux de saluer dans cet hémicycle, dominé par les figures de nos plus grands législateurs, la belle initiative prise par le secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie française, M. Maurice Druon, visant à créer un comité pour la langue du droit européen, afin de conforter le droit romano-germanique en Europe. J'ai accepté avec enthousiasme de siéger à ce comité !

La France n'est pas isolée dans la démarche qui vous est proposée. L'initiative sénatoriale, à laquelle je suis favorable, au nom du Gouvernement - sous le bénéfice des observations que je viens de vous exposer -, tend à renforcer la place de notre pays parmi ceux qui se donnent les moyens de défendre, de promouvoir leur langue et leur culture, et qui sont de plus en plus nombreux.

Sur notre modèle, nombre de pays en Europe se dotent de législations garantissant l'emploi de leur langue nationale. Ces pays sont très attentifs aux évolutions que nous apporterons au dispositif français, comme le seront les soixante-trois Etats de l'Organisation internationale de la francophonie.

En nous engageant dans la voie d'une consolidation de notre politique de la langue, comme vous nous y incitez, nous adressons à ces pays un message de confiance en l'avenir du français et en sa capacité à décrire les visages changeants du monde.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à quatre mois du lancement du festival francophone en France, qui permettra à nos compatriotes de découvrir les mille facettes de la création dans les pays qui partagent notre langue, votre vote sera aussi un message de solidarité et de confiance en l'avenir de la France. (Applaudissements.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;

Groupe socialiste, 14 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française concrétise l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, en vertu duquel « la langue de la République est le français ».

Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. La langue française est un élément essentiel de notre patrimoine national. L'Etat a la charge de la défendre C'est aussi un vecteur essentiel d'intégration.

Cependant, la question doit se poser de savoir comment défendre ce patrimoine linguistique sans sombrer dans un conservatisme inadapté et passablement ridicule. Il faut certes défendre le français, mais pas le figer. De tout temps, notre langue s'est construite d'apports.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Anne-Marie Payet. A l'heure de la mondialisation, cette évolution ne peut que s'accentuer.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Anne-Marie Payet. C'est à l'aune de cet impératif qu'il nous appartient de juger les dispositions de la loi Toubon.

Cette loi a adopté une position très libérale en autorisant la présentation conjointe de traductions, à la condition que la présentation en français soit aussi intelligible que celle qui est effectuée en langue étrangère.

Parallèlement à cette disposition, de nombreuses situations ont été prévues dans lesquelles les exigences linguistiques cèdent le pas devant d'autres intérêts généraux tels que, par exemple, la liberté d'expression et de communication.

Par ailleurs, le législateur de 1994 s'est intéressé à tous les aspects de la vie française, tant culturels qu'économiques et sociaux.

Si ces dispositions nous semblent équilibrées, il n'en est pas de même des articles de la présente proposition de loi.

Avec les meilleures intentions du monde, M. Marini nous suggère d'instituer une obligation d'usage du français pour tous les messages informatiques, dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère. Doit-on vraiment légiférer sur cette question ?

Le législateur doit-il intervenir pour que le moindre message d'erreur soit libellé dans la langue de Molière ? A notre avis, la question se pose.

Une autre des propositions de notre collègue réside dans l'obligation de traduire toutes les enseignes et devantures de locaux commerciaux avec des caractères de taille équivalente à ceux qui sont employés pour la version étrangère. Une telle mesure s'impose-t-elle ? Relève-t-elle de la loi ? Veut-on dénaturer Chinatown ? Nous nous interrogeons toujours.

Au-delà de la question de savoir si de telles mesures relèvent bien de la compétence législative, une autre interrogation, bien plus grave, se profile. L'objet de la présente proposition de loi est la défense de notre langue. Mais, en déposant ce texte, défend-on la langue de la manière la plus adéquate ? Est-ce, par exemple, en obligeant les chefs d'entreprise à présenter un rapport annuel au comité d'entreprise sur l'usage du français dans la structure que l'on défendra au mieux notre patrimoine linguistique ?

La valorisation de la langue française passe, à notre avis, par l'élaboration d'un projet de société bien plus large que par une courte énumération de « mesurettes cosmétiques ».

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! Bravo !

Mme Anne-Marie Payet. Pour faire aimer le français, il faut faire aimer la France.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Anne-Marie Payet. Et, pour faire aimer la France, il faut que cette dernière offre à chacun des possibilités d'intégration et d'épanouissement.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut dire cela à M. Sarkozy !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Oh ! cela suffit !

M. Philippe Marini. Oui, je vous en prie ! C'est vraiment incroyable !

Mme Anne-Marie Payet. Défendre le français, c'est non pas changer les devantures des vitrines du quartier chinois, mais faire aimer toutes les formes d'expression écrites ou orales sur l'ensemble du territoire national et à l'étranger.

J'insiste d'autant plus sur ce point que je viens d'apprendre que trois jeunes élèves de mon département ont été primés au concours national de poésie organisé par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Et c'est la jeune Emilie Souprayen-Coutaye, âgée de onze ans, qui a obtenu le premier prix.

M. Jacques Legendre, rapporteur. Très bien !

Mme Anne-Marie Payet. Défendre le français, c'est aussi mettre l'accent sur la francophonie. Défendre le français, c'est aussi faire comprendre qu'une bonne maîtrise de la langue est un atout majeur pour trouver sa place dans la société. Par les temps qui courent, c'est une réflexion qui ne nous semble pas vaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 4 août 1994, dont une révision nous est proposée par notre collègue M. Marini, ne saurait faire l'objet d'un long débat entre nous. Si notre langue est attaquée ou maltraitée, notre devoir est de la défendre et, au-delà, de la promouvoir.

Je voudrais rappeler en cet instant que cette loi est le fruit d'un cheminement politique qui va au-delà des alternances : un projet de loi avait été préparé en 1992 par notre collègue Mme Tasca, alors ministre délégué à la francophonie et, en 1994, M. Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, a inscrit son action dans cette continuité.

L'innovation principale de la loi de 1994 résidait dans la création de sanctions pénales.

Même si l'on peut toujours s'interroger sur l'influence de mesures de coercition sur l'évolution d'une langue, on peut néanmoins dresser un bilan de la loi aujourd'hui. Il est sans doute suffisant en matière de protection des consommateurs; mais il l'est moins dans le domaine du travail et de l'emploi, et des insuffisances demeurent concernant les colloques scientifiques et les relations internationales.

Rappelons que cette loi comporte principalement des dispositions rendant obligatoire l'usage de la langue française, notamment dans les relations de commerce et de services, dans les services publics, dans l'enseignement, dans les relations relevant du droit du travail, lors des manifestations, etc. Ces dispositions concernent tant l'écrit que l'oral. La proposition de M. Marini durcit ce dispositif pour ce qui a trait aux relations commerciales et de services.

Il semble aujourd'hui nécessaire de mettre en oeuvre un suivi plus rigoureux de l'application de ladite loi dans les entreprises et dans l'administration des affaires sociales et du travail. Par exemple, si l'organisation de colloques en langue anglaise peut paraître compréhensible dans le milieu de la recherche médicale ou de la recherche fondée sur les sciences exactes, la France est en droit de faire reconnaître une réelle spécificité dans le domaine des sciences sociales. Dès lors, pourquoi ne pas utiliser le français lors de colloques portant sur ce sujet ? L'intérêt des analyses en sciences sociales s'accommode fort bien de la langue nationale, puis de la traduction pour exprimer l'originalité de la contribution.

La loi Toubon a sans doute permis certains progrès et a favorisé la diffusion de la langue et le rayonnement de la culture française.

Les entreprises en ont été les vecteurs, et cela doit continuer. Il en est ainsi notamment de l'industrie française du luxe, ou d'une entreprise comme Air France, qui, à bord de ses avions, propose des films en français et des sous-titres français pour les films étrangers. Mais encore faudrait-il qu'Air France et toutes les compagnies aériennes touchant notre sol n'omettent pas de faire leurs annonces en français !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Tout à fait !

M. Yannick Bodin. Je voudrais maintenant exprimer un regret.

La loi Toubon, même si elle a su montrer certains mérites, n'est que l'un des éléments de la politique publique de défense et de promotion de la langue française. Surveiller et sanctionner l'emploi de la langue est sans doute utile, mais le projet est court si nous en restons là !

Cette loi ne saurait trouver sa juste mesure qu'avec une politique volontariste de généralisation de la pratique du français sur notre territoire, d'une pratique de qualité et pour tous. Une telle politique devrait également favoriser la diffusion culturelle à l'étranger. La meilleure manière de défendre la langue est de la pratiquer, de l'enseigner, en France d'abord puis à l'étranger. Il faut donc aller plus loin !

En cet instant, nous défendons notre langue. Mais nous devrions passer d'une attitude défensive à une attitude offensive, et commencer par promouvoir la langue chez nous, dans nos quartiers, auprès de nos jeunes, en particulier auprès de ceux qui se sentent exclus de la République.

L'intégration passe par la langue, et d'abord avec l'éducation nationale, mais aussi par les associations de quartiers.

Il existe, dans notre système éducatif, des moyens qui permettent la maîtrise de la langue française, parlée, lue et écrite, facteur essentiel d'intégration sociale, d'insertion professionnelle et d'épanouissement personnel. Cependant, ces moyens sont insuffisants. Regardez le résultat aujourd'hui !

Par exemple, concernant l'accueil et la mise à niveau des enfants de migrants, les prestations de formation varient beaucoup selon les départements et sont inférieures aux besoins réels des populations.

M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est vrai !

M. Yannick Bodin. Le rapport 2005 sur l'emploi de la langue française nous révèle que les départements qui ont expérimenté les mesures systématiques d'accueil et de formation - entre 180 heures et 600 heures - utilisent les crédits dévolus à la mission générale d'insertion. Je cite ce rapport : « Or ces crédits sont de plus en plus difficiles à mobiliser compte tenu des problèmes budgétaires de cette mission ».

Un effort particulier doit être engagé en faveur des jeunes, et ce dans le cadre scolaire. Or, et je l'avais déjà dit à cette tribune voilà quelques mois, la loi Fillon n'a rien fait pour améliorer les conditions d'enseignement dans les ZEP, les zones d'éducation prioritaires. Rien de nouveau n'a été proposé pour aider ces jeunes dont les besoins augmentent.

Le programme personnalisé de réussite scolaire ne peut suffire à ces jeunes pour s'intégrer si les moyens financiers et humains ne suivent pas. Or le budget 2006 ne fait que confirmer les craintes que j'émettais au printemps dernier : les zones d'éducation prioritaires ne sont plus prioritaires !

Certes, le Premier ministre vient de nous informer de mesures nouvelles. Alors, attendons les actes.

La plupart de ces jeunes se sentent exclus. Or le premier facteur d'intégration dans notre société est la langue nationale. Comment ne pas se sentir citoyen de seconde zone quand on pratique mal la langue de notre pays ? L'illettrisme est une dimension réelle de l'exclusion. Nous avons un devoir de promotion de la langue française, en donnant les moyens de son apprentissage correct là où elle est mise à l'épreuve, à commencer par nos quartiers, nos collectivités.

Dans le projet de loi de finances pour 2006, huit cents postes d'enseignants mis à disposition des associations sont supprimés, alors que la subvention du ministère de l'éducation nationale avait diminué en 2005.

Par ailleurs, la suppression des emplois-jeunes met en grave difficulté les associations éducatives complémentaires de l'enseignement public, et l'école publique elle-même.

Ces associations sont des relais efficaces auprès des adultes qui ont besoin de cours d'alphabétisation. Leur travail est important pour l'apprentissage du français, notamment pour les femmes immigrées. Or, non seulement les subventions sont en baisse, mais certaines associations qui consacraient l'essentiel de leur activité à l'apprentissage de la langue française ont été contraintes de fermer leurs portes. Et pourtant, ne s'agit-il pas, là aussi, de la défense de l'emploi de la langue française ?

Nous connaissons les drames, que l'actualité nous révèle chaque jour, dans nos villes et nos banlieues. Nous cherchons des solutions.

Une première mesure en faveur de l'intégration s'impose : répandre la pratique de la langue française à tous les niveaux. Là aussi, le Premier ministre a annoncé le rétablissement des subventions malencontreusement supprimées. C'est tant mieux, mais, là encore, nous attendons les actes.

Promouvoir la langue française sur le sol national est essentiel, mais cette action doit être prolongée à l'échelon international. Ne soyons pas sur la défensive face aux autres langues alors que nous avons un magnifique moyen pour être plus offensif : le monde francophone.

La francophonie - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - est une des pièces essentielles du rouage institutionnel pour la défense de notre langue.

Or, si on nous appelle aujourd'hui à nous prononcer sur une loi défendant l'emploi de la langue française, il nous faudra demain voter le budget 2006 pour la francophonie alors que les crédits sont en diminution.

M. Yannick Bodin. Où est ici la cohérence du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y en a pas !

M. Yannick Bodin. Les crédits des deux programmes intitulés « Rayonnement culturel et scientifique » et « Français à l'étranger et étrangers en France » passent de 346 millions d'euros attribués l'année dernière à 335 millions d'euros prévus pour 2006. Et l'on prétend défendre la langue française ? L'animation du réseau francophone va, à elle seule, perdre plus de 30 millions d'euros et le service public d'enseignement à l'étranger devra se contenter d'un budget amputé de 12 millions d'euros.

Et pourtant, la France doit être à l'avant-garde si elle veut que l'emploi de la langue française soit assuré et défendu dans les pays francophones.

Pour conclure, les modifications de la loi qui nous sont proposées aujourd'hui entrent dans une logique de défense de la langue française : le groupe socialiste les soutiendra.

Néanmoins, je voudrais insister sur le fait que cette loi ne peut être qu'un des instruments d'une politique volontariste de diffusion de la langue française, sur le sol français d'abord, à l'étranger ensuite, et donc par des moyens suffisants donnés à l'enseignement et aux associations d'éducation populaire, aux structures de promotion de la langue comme les alliances françaises et les centres culturels, ainsi que par une implication auprès de nos partenaires francophones.

L'objet même de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui devrait nous conduire à faire en sorte que la France reste à l'avant-garde de la défense de la langue française et de la promotion de son usage dans la francophonie et partout dans le monde.

La langue française se défend, certes, mais elle se vit au quotidien avant tout. A nous de l'accompagner dans sa pratique et son rayonnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini. Tout d'abord, monsieur le ministre, je voudrais vous remercier de votre écoute, du temps que vous avez bien voulu consacrer à ce sujet, de votre présence aujourd'hui et de votre soutien à cette démarche.

Je voudrais ensuite particulièrement remercier le rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jacques Legendre, par ailleurs secrétaire général de l'assemblée parlementaire de la francophonie, qui, depuis très longtemps, s'efforce de conjuguer tous les moyens nécessaires, avec les convictions que nous lui connaissons, pour que le français conserve et développe toute sa place dans le monde.

La présente proposition de loi est très modeste ; il s'agit d'adapter sur quelques points, plus de dix ans après son vote, la loi Toubon, en respectant l'ordre public international - c'est-à-dire le droit communautaire -, par exemple dans le domaine des marques et de la propriété industrielle.

La voie est parfois étroite, mais nous nous sommes efforcés, et la commission des affaires culturelles a très précisément ajusté le dispositif, de bien raisonner en termes d'explicitation pour les consommateurs francophones, afin que les dispositions ici préconisées ne contreviennent pas au droit communautaire.

La commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, a fait un travail tout à fait remarquable. Grâce à ce travail d'audition, de concertation, vous avez abouti à un texte dans lequel l'auteur de la proposition de loi se retrouve tout à fait.

Vous y avez même ajouté quelques initiatives, notamment en matière de transport aérien, et je ne puis qu'y être sensible.

Je voudrais souligner à mon tour, après l'orateur du groupe socialiste, que cette démarche ne saurait être perçue comme défensive ou purement défensive.

Certes, la langue est le creuset de notre citoyenneté - le ministre l'a rappelé - et nous pouvons le réaliser encore davantage aujourd'hui. Si la république a un sens, si elle refuse les communautarismes, si elle propose des valeurs universelles, c'est bien à partir de notre langue : le français.

Au demeurant, monsieur le ministre, je voudrais rappeler que l'idée de ces quelques dispositions m'est venue de la pratique de trois fonctions que j'exerce.

D'abord, la fonction de maire, qui est à la base de tout, car elle nous met en contact avec les réalités les plus diverses de la société.

Quand un maire voit se multiplier des enseignes qui ne sont plus francophones, quand il les voit se répandre sur les façades des immeubles, sur les devantures, et quand il voit cette situation évoluer d'année en année, il se pose bien sûr des questions. Quand il entend les plus jeunes s'exprimer, quand il constate combien ils sont conditionnés « culturellement parlant » par une mondialisation largement anglo-saxonne, là aussi le maire se pose des questions. Quelle sera notre société ? Quelle sera la réalité de cette diversité culturelle dans le monde de demain ou d'après-demain ?

Nous devons non pas gérer « à la petite semaine » mais essayer de nous interroger sur ce que sera l'environnement de nos enfants, de nos petits-enfants, dans vingt ans, trente ans, cinquante ans ou cent ans.

Mes chers collègues, nous devons être capables de léguer notre langue, si cela est possible, encore plus belle, encore plus forte que lorsqu'elle nous a été remise.

Président du groupe interparlementaire France-Québec, je ne pouvais, là aussi, qu'être très sensible à cette priorité de la langue française, facteur d'identité et de citoyenneté.

Quel plus bel exemple en effet, monsieur le ministre, sur une échelle multiséculaire, que celui de cette société québécoise qui sait être fidèle à ses origines et à ses traditions tout en étant extrêmement ouverte au monde d'aujourd'hui ? Il n'est nulle société plus ouverte économiquement, socialement, j'allais dire « sociétalement », que cette société québécoise. Nous le savons par tous les développements qu'elle a connus dans les domaines des arts et des prestations culturelles. Combien d'artistes francophones nous viennent du Québec, qui a su un jour se réveiller, s'ouvrir dans une révolution tranquille, et qui a su se doter d'une charte de la langue française !

En vérité, l'idée de ces quelques dispositions m'est venue il n'y a pas si longtemps, à la table du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin qui recevait le Premier ministre québécois Jean Charret dans le cadre des réunions annuelles entre les premiers ministres québécois et français. Nous en sommes venus, dans le cours de la conversation, à parler de ces rues de certains quartiers de Paris où il est possible de parcourir plusieurs centaines de mètres sans voir aux devantures des magasins ou sur les enseignes un mot de français, ni même parfois un mot articulé en caractère latin.

N'en déplaise à Mme Payet, le génie de notre pays et de sa capitale réside dans le fait que les français francophones puissent comprendre ce qui est écrit sur les murs et aux devantures des magasins ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Cela paraît relever du bon sens.

Sans excès, et avec la volonté de demeurer les plus ouverts possibles vis-à-vis du monde d'aujourd'hui, nous devons prendre quelques dispositions pour ajuster, pour actualiser, un peu plus de dix ans après son adoption, la loi Toubon.

Il est vrai que nos enfants et nos petits-enfants seront de plus en plus façonnés par les instruments informatiques et électroniques. Il est vrai que la toile mondiale, par beaucoup des expressions qui lui sont propres, véhicule l'anglais. Celui-ci peut traduire une volonté d'ouverture, de confrontation d'idées dans le monde entier, et a sa raison d'être, comme d'autres langues. Cependant, si l'anglais est imposé par une simple force mécanique à des usagers francophones, il y a lieu de s'interroger, et c'est ce que nous avons fait, en accord avec la commission des affaires culturelles.

Enfin, ayant le plaisir d'accompagner M. Jacques Legendre aux réunions de l'assemblée parlementaire de la francophonie, je suis souvent frappé par les exigences qu'expriment nos collègues francophones des pays d'Afrique, voire d'Asie.

Des Vietnamiens, des Maliens ou des Libanais nous demandent d'être plus exigeants, de nous montrer de meilleurs défenseurs de notre langue, qui - ils tiennent à le préciser - est aussi la leur dans le monde d'aujourd'hui.

Bien entendu, et je suis mille fois d'accord avec vous, monsieur Bodin, soyons offensifs ! Je prendrai quelques exemples.

Nous devons soutenir le réseau des centres culturels et des alliances françaises dans le monde, qui est tout à fait remarquable et peut nous inspirer de la fierté.

Je relaterai encore une anecdote avant de quitter cette tribune.

Il n'y a pas longtemps, en mission avec le bureau de la commission des finances du Sénat, M. du Luart et moi-même avons eu le plaisir, à Shanghai, de nous rendre tous les deux à l'Alliance française. (M. Roland du Luart opine.) Nous avons éprouvé une très grande fierté à voir combien était grand, dans ce monde nouveau, très largement anglophone, l'appétit pour le français d'une minorité agissante de jeunes, d'une belle minorité.

M. Roland du Luart. Tout à fait !

M. Philippe Marini. Nous avons vu l'ampleur des sacrifices que de jeunes Chinois et, surtout, de jeunes Chinoises consentent pour apprendre le français. Lorsque nous leur avons demandé pourquoi elles apprenaient le français, certaines d'entre elles nous ont répondu que c'était aussi parce que, si l'anglais va de soi dans le monde d'aujourd'hui, il faut faire plus pour être performant dans cette Chine qui ne cesse de se développer : le français, c'est l'exigence, la difficulté, la littérature, l'une d'entre elles nous ayant même dit : « C'est la langue de l'amour ! ». (Applaudissements.)

Soyons offensifs, soutenons sans complexe nos réseaux francophones à l'étranger.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, cette semaine ont été annoncées des dispositions pour créer - enfin ! - une chaîne d'information internationale à la française. Certes, elle n'a pas vocation à ne s'exprimer qu'en Français...

M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est normal !

M. Philippe Marini. ...si elle veut être efficace et pertinente sur tous les continents. Cependant, elle véhiculera des façons de penser, des concepts, des idées à la française nous représentant toutes et tous, malgré nos diversités, ou, peut-être, grâce à nos diversités.

M. Yannick Bodin. Avec TF1, il y a tout de même des risques !

M. Philippe Marini. Il n'est pas absurde que, la même semaine, au Sénat, grâce à ces quelques modestes dispositions, nous réaffirmions l'utilité de défendre nos valeurs, notre culture, notre langue.

La défense de la langue française doit nous fédérer, nous unir, et permettre à nos concitoyens de s'exprimer et de participer. De ce point de vue, le rôle des associations - vous en évoquiez certaines, monsieur Bodin - doit être valorisé et les Français résidant en France, à commencer par les Français intégrés et assimilés venus d'autres cultures, doivent se considérer comme comptables et responsables de cette langue qui est notre patrimoine commun.

Je terminerai mon intervention en évoquant le concours d'orthographe organisé par la ville de Compiègne, que j'ai l'honneur d'administrer. Chaque année, ce concours, qui comporte trois niveaux, distingue des jeunes issus de l'immigration et, qui plus est, de milieux extrêmement modestes : ils savent que le fait de manier correctement la langue française leur donne le maximum de chances pour s'intégrer et bien faire leur chemin dans la vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de l'intérêt et de l'attention portés à la langue française.

J'ai aussi trouvé beaucoup de pertinence à certains des nouveaux articles proposés, je pense en particulier aux mesures relatives aux messages informatiques sur Internet, qui est un puissant instrument de diffusion de l'anglais à travers la planète.

Dans le même temps, je dois vous avouer ma perplexité, car j'ai l'impression que plus on légifère sur la langue française, plus son emploi régresse.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument ! Là est le problème !

M. Ivan Renar. La loi Toubon, votée il y a onze ans, n'a pas permis d'endiguer la lente mais régulière érosion du français dans le monde. Pour autant, je ne veux pas dire que la loi est inutile, mais comment peut-elle être respectée quand l'Etat français lui-même est le premier à manquer à ses obligations et devoirs en la matière, comme le rappelle de façon pertinente M. le rapporteur dans son rapport écrit ? D'autant que les nouvelles propositions me paraissent bien défensives et ne tendent qu'à corriger des usages de plus en plus ancrés dans la vie ?

M. Jean-Pierre Sueur. Effectivement !

M. Ivan Renar. Plutôt que de s'attaquer aux causes, on se limite aux effets. Malgré la progression de l'anglais dans le langage courant et dans le monde entier, j'estime que le français a vocation à demeurer une grande langue internationale, mais, hélas ! elle souffre d'une insuffisance de moyens budgétaires et humains pourtant indispensables à son rayonnement mondial et à son développement.

Cela étant, je suis convaincu que la meilleure façon de promouvoir la langue française consiste aussi à sortir de la logique de la citadelle assiégée et du débat franco-français.

C'est sur la scène mondiale et par la promotion de la diversité culturelle et de la pluralité linguistique que nous atteindrons l'objectif de renforcer la langue de Molière.

Le combat en faveur de la langue française passe par la défense de la cause du plurilinguisme.

M. Jacques Legendre, rapporteur. C'est vrai !

M. Ivan Renar. La diversité linguistique est un véritable patrimoine commun de l'humanité, aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l'ordre du vivant. Sa protection est un impératif éthique, notamment face à l'hégémonie de l'anglo-américain et à la menace d'uniformisation que celle-ci constitue. Langues de tous les pays, unissez-vous ! Pas contre l'anglo-américain, qui est une langue comme une autre, mais qui doit pas être au-dessus des autres.

Si l'anglo-américain s'affirme comme étant la langue internationale et confirme toujours plus sa prégnance, c'est aussi parce qu'il est la langue d'un système socio-économique et culturel dominant et arrogant.

C'est donc aussi sur le terrain de la pensée, de l'esprit, des idées, de la création artistique, des modes de vie, des représentations du monde que se mène ce combat.

Pour des centaines de millions d'hommes et de femmes, le français dans le monde est la langue des droits de l'homme, de la liberté et de la citoyenneté.

A cet égard, il est particulièrement révélateur de constater que les Américains se sont farouchement mobilisés, quasiment seuls, face à l'ensemble des nations, pour tenter de faire capoter la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.

Les quotas mis en place pour la chanson française sur nos ondes sont des dispositions tangibles. Si nous voulons que la langue nationale soit le lieu le plus évident de la communauté nationale, du corps social, de l'égalité des chances, et donc de l'intégration comme du rayonnement de notre culture et de nos savoir-faire, le politique se doit de programmer les moyens de son enseignement et de sa diffusion nationale et internationale.

Le cinéma français, la littérature, la presse, la musique, l'enseignement supérieur, les domaines scientifiques, les radios et les chaînes de télévision doivent être les conservatoires et les laboratoires intelligents de notre langue et de son développement « naturel et adapté », d'autant que si les langues vivent, s'enrichissent, évoluent, il n'y a aucune fatalité à leur déclin.

Promouvoir l'usage du français suppose avant tout des mesures incitatives et le renforcement en moyens budgétaires des leviers sur lesquels il repose.

Je pense, en particulier, à l'école et à la télévision, qui devraient être les deux véhicules fondamentaux de promotion du français, en France comme à l'étranger. Je dis « devraient » parce que le chantier est encore devant nous.

A propos de la loi Toubon, que nous actualisons partiellement en quelque sorte,  Alain Rey déclarait déjà : « Quand la loi s'adresse à des adultes en matière de langue, elle met la charrue devant les boeufs. Tout ce qu'on peut faire pour modifier la perception de la langue dans une société, c'est par l'école, et uniquement l'école. » Voici ce que pouvait dire André Malraux : « Les enfants, là est la clé du trésor. »

Que dire de notre éducation nationale, qui privilégie l'apprentissage de l'anglais au détriment de toutes les autres langues, d'ailleurs toutes en net recul, pour ne pas dire en voie de disparition, dans les cours ? Comment s'étonner que les Italiens, les Portugais, les Russes, les Allemands, boudent l'apprentissage du français, quand nous ignorons nous-mêmes délibérément leur langue, et je ne parle pas de l'arabe ou du chinois ?

Pour ma part, je reste attaché aux propositions du groupe de travail sénatorial sur l'enseignement des langues vivantes étrangères dont le rapport - vous vous en souvenez, monsieur Legendre, puisque vous en étiez l'auteur ! - préconisait de placer l'anglais en deuxième langue, parce que de toute façon, nous n'échapperons pas à l'anglais.

M. Jacques Legendre, rapporteur. Tout à fait !

M. Ivan Renar. Par ailleurs, n'est-il pas paradoxal de constater la diminution, depuis plusieurs années, des heures d'enseignement du français dans les établissements du second degré ? Comment s'étonner du fossé qui se creuse entre les élèves qui s'approprient Le Cid ou Notre-Dame de Paris, et les autres, qui n'accèdent pas à ces textes, perçus comme une langue étrangère ! Nous n'avons pas le droit de les déshériter de ce patrimoine, qui appartient à tous.

Picasso le répétait à l'envi : « L'art, c'est comme le chinois, ça s'apprend ! »

Dans ce contexte, comment ne pas déplorer la réduction des moyens dévolus à la place de l'art à l'école, alors qu'ils étaient déjà bien dérisoires ?

« Ouvrons des lieux de culture, nous délivrerons des ghettos ! » La tragédie des violences urbaines d'aujourd'hui apporte une lumière crue à ce que disait Victor Hugo il y a plus d'un siècle.

Plutôt que d'instaurer une police de la langue, inspirons-nous de l'action exemplaire de certains créateurs !

Ainsi, le cinéaste Abdellatif Kechiche, dans son film l'Esquive, nous fait découvrir les lettres de noblesse dont chaque jeune est porteur. Les professionnels du cinéma ont attribué cette année le César du meilleur film à ce réalisateur car son oeuvre témoigne, par le verbe insolent de Marivaux, que le langage est bien un pouvoir dès lors qu'il est maîtrisé.

L'homme est langage et il ne naît véritablement au monde qu'avec la capacité de s'exprimer.

Oui, plus que jamais - et l'actualité nous le rappelle cruellement ! - nous avons besoin des artistes et des arts à l'école.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Ivan Renar. Renforcer le rayonnement du français, c'est aussi renforcer les moyens de France Télévisions, de Radio France, de l'AFP, de RFI, de TV5.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Ivan Renar. Les médias écrits et parlés sont déterminants dans la diffusion de notre langue, des oeuvres de nos créateurs, mais aussi essentiels pour une autre lecture du monde.

De même, cessons de démanteler les centres et instituts culturels à l'étranger, d'autant que l'attrait pour la langue française, loin d'être moribond, ne fait que croître, non seulement dans les pays francophones - bien évidemment, monsieur Marini ! - mais aussi dans des pays comme l'Inde, la Chine ou la Slovaquie !

Affaiblir l'apprentissage du français, en particulier en Europe, revient à renoncer, à terme, à ce qu'il demeure la langue officielle des instances européennes. C'est donc renoncer à l'influence de notre pays non seulement en Europe, mais aussi à l'échelle de la planète.

En conclusion, je reprendrai un extrait d'un texte de Jean-Luc Lagarce dans lequel ce qu'il énonce à propos de l'art a, selon moi, partie liée avec les enjeux de notre débat sur l'emploi du français, et je le fais en pensant à mon ami M. Jack Ralite, qui nous en avait donné lecture lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles :

« Une société, une cité, une civilisation qui renonce à l'art, qui s'en éloigne, au nom de la lâcheté, la fainéantise inavouée, le recul sur soi, qui s'endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l'autosatisfaction béate, des valeurs qu'elle croit s'être forgées et dont elle se contenta d'hériter, cette société-là renonce au risque, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même. »

Je crois que nous pourrions appliquer à la langue française ce que dit Jean-Luc Lagarce de la création artistique.

L'analyse de M. Jacques Legendre, rapporteur permanent et vigilant de la législation sur l'emploi de la langue française, a contribué à éclairer la proposition de loi de M. Marini, mais aussi à la faire amender dans le bon sens par la commission des affaires culturelles.

C'est pourquoi, malgré mes craintes quant au caractère uniquement incantatoire de cette proposition de loi, nous voterons pour.

Toutefois, afin que ce texte ne reste pas un voeu pieux, nous veillerons à ce que les dispositions du budget 2006 et des budgets suivants prévoient les moyens de sa mise en application.

Monsieur le ministre, la preuve du pudding, ou plutôt « poudingue », c'est qu'on le mange ! (Sourires.)

Il faut donner les moyens matériels et humains à tous ceux qui oeuvrent pour la promotion de la langue française, non pas pour adopter une position de repli quasi identitaire, mais afin de rappeler en permanence, face aux communautaristes et aux intégristes de toutes sortes, que nous faisons partie d'une même communauté qui s'appelle l'humanité.

La France, si elle a encore à apprendre du monde, a encore à lui apporter. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le président, mesdames, messiers les sénateurs, je ferai quelques brèves remarques.

Je dirai tout d'abord à Mme Anne-Marie Payet qu'il est légitime et nécessaire de faire en sorte que les nouvelles technologies ne perturbent pas un certain nombre de principes essentiels, et notamment le recours à la langue française. Mais pour cela, nous devons réagir, comme nous le faisons au sein de la commission générale de terminologie et de néologie, afin que tous les nouveaux termes nécessaires aux échanges sous toutes leurs formes soient labellisés et créés en français le plus rapidement possible. C'est une course contre la montre, qui, lorsqu'on la gagne permet de rendre compatibles l'usage de la langue française et les nouvelles technologies. Ne pas nous préoccuper des systèmes d'information et des nouvelles technologies, ce serait tourner le dos à de nombreuses difficultés.

Avant que j'exprime une quelconque autosatisfaction, de l'eau aura coulé sous les ponts. Toutefois, compte tenu de certains propos que j'ai entendus dans cette conjoncture, j'exprimerai le voeu que chacun partage la fierté de l'ensemble des Françaises et des Français à la suite de l'adoption, par la quasi-intégralité de la communauté internationale, de la convention sur la diversité culturelle.

M. Jacques Legendre, rapporteur. Très juste !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Si nous avons perdu des combats, nous en avons gagné d'autres ! En l'occurrence, seuls deux Etats ont voté contre cette convention. Certes, nous pouvons toujours considérer que nous sommes les plus nuls de la planète. Mais, à certains moments, il faut reconnaître nos réussites sans arrogance mais dans une logique de respect de la diversité.

Par ailleurs, j'aimerais vous faire part d'une expérience personnelle, que j'ai vécue hier après-midi.

J'avais lu dans un journal qu'une expérience particulièrement intéressante était menée par l'éducation nationale dans un collège de Villiers-Le-Bel, dans le Val-d'Oise, tout proche de Paris : des élèves y ont écrit de petits livres relatant l'histoire de leur ville pendant les deux premières guerres mondiales et la guerre d'Algérie.

J'ai donc invité ces jeunes au ministère, hier après-midi, pour une discussion sans tambour ni trompette à laquelle n'avait été convié aucun journaliste, et sans que j'aie fixé de règle ou opéré de sélection préalable.

Aucun, parmi ces jeunes, n'avait les yeux bleus ou les cheveux blonds. Mais ils étaient tous merveilleusement bien intégrés et heureux.

Je citerai deux de leurs témoignages, et tout d'abord celui d'un garçon, qui vit en France depuis quatre ans. Il s'exprime dans un français absolument parfait et a envie de devenir acteur. Je ne sais pas ce que l'avenir lui réservera, mais je sais simplement qu'il est un représentant heureux, détendu et impertinent de cette jeunesse de France, que l'éducation nationale sait accompagner, former et éduquer.

Une jeune fille, ensuite, également auteur d'un de ces livres et aujourd'hui lycéenne, m'a expliqué quant à elle qu'elle était bien dans sa peau et que, si les évènements actuels devaient perdurer, elle prendrait la tête d'une manifestation afin de montrer que la jeunesse n'est pas faite sur un seul modèle.

Je cite ces exemples afin que, tout en ayant parfaitement conscience des difficultés les plus extrêmes qui se présentent à nous, nous sachions aussi donner un coup de chapeau à ce qui fonctionne.

Je ne me permettrai pas de vous donner des conseils, mesdames, messieurs les sénateurs, mais voilà ce que je fais lorsque je me déplace à l'étranger : au moment de préparer mes déplacements, je demande à chaque fois à l'ambassadeur de France du pays que je visite de prévoir un temps de dialogue avec des professeurs de français,...

M. Jacques Legendre, rapporteur. Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. ...simplement pour les saluer, les écouter et savoir ce dont ils ont besoin. Ainsi, comme le disait Yannick Bodin, nous pouvons éviter d'avoir une vision restrictive et étroite des réalités.

Cette largeur de vue est présente dans le rapport et la proposition de loi de Philippe Marini, qui s'est concentré sur un certain nombre de points opérationnels précis.

Il est évident que la politique de la langue française concerne aussi notre rayonnement culturel, celui des centres culturels et de ce réseau que nous nous efforçons en permanence de développer. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu vendredi dernier à la Nouvelle-Orléans. En effet, s'il y a un lieu, aux Etats-Unis et dans le monde, qui symbolise la culture, la présence françaises et la francophonie, c'est bien cette ville.

M. Yannick Bodin. Ce qu'il en reste, malheureusement !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Justement, monsieur Bodin, nous avons fait des propositions très précises et concrètes afin que le rayonnement artistique et culturel de la Nouvelle-Orléans ne s'éteigne pas.

Il est évident que nous devons relever des défis redoutables. Et il nous faut mener ces projets à bien, pour ne jamais avoir le sentiment de devenir des « ultra-minoritaires ». Car lorsqu'un pays ou un peuple, quel qu'il soit, se laisse gagner par cette conviction, alors la logique de l'intégrisme, de la protection excessive et des dérapages peut l'emporter.

Nous devons donc assumer une politique rayonnante de la langue en tant que valeur, non pas d'arrogance, mais d'échange, de rayonnement et de force.

Vous m'avez entendu parler maintes fois des statistiques établies par l'UNESCO sur la concentration excessive d'un certain nombre de grandes activités culturelles et artistiques dans le monde. Pour autant, il ne s'agit pas de priver de droit de cité certaines de ces activités, mais d'assurer un meilleur équilibre entre les différentes formes d'expression.

Ces propositions y concourent et j'espère, comme M. Ivan Renar, et je le remercie d'avance de son vote positif, qu'il s'agira non pas d'incantations, mais de mesures précises s'insérant dans le dispositif global, que nous nous efforçons de promouvoir.

Cela signifie aussi que nous devons soutenir la présence artistique française à l'étranger, comme nous le faisons dans de nombreux pays.

Ainsi, lorsque l'on regarde les statistiques concernant la présence du cinéma français en Italie, par exemple, on s'aperçoit que celui-ci représente moins de 3 % de l'ensemble des films projetés, alors même que des liens si forts unissent nos deux pays !

Nous devons donc réagir et, à ce moment-là, le vote positif de M. Ivan Renar ne préludera pas à une incantation, mais à la mobilisation nécessaire de chacun d'entre nous. Il s'agit d'un enjeu national essentiel ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Ivan Renar applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.