compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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CANDIDATURES À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président de l'Assemblée nationale une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

Signé : Dominique de Villepin »

J'informe le Sénat que la commission des affaires économiques et du Plan m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.

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rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, mon rappel au règlement, qui se fonde sur l'article 36 de notre règlement, a trait aux récentes déclarations de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, ici présent, qui imputent l'échec scolaire à la méthode globale d'apprentissage de la lecture.

Cette méthode serait l'une des causes d'« une véritable épidémie de dyslexie ».

Au-delà du fait que, en grande partie, l'ensemble de la communauté éducative s'accorde à dire que cette méthode est rarement utilisée, vous outrepassez votre fonction, monsieur le ministre, en inscrivant dans le marbre de la loi une opinion qui vous est propre.

En effet, sur quelles études vous appuyez-vous ? Non pas sur l'avis des orthophonistes, comme vous le prétendez, puisque la Fédération nationale des orthophonistes - qui est, je vous le rappelle, le principal syndicat de cette profession - s'est inscrite en faux contre votre assertion.

Peut-être vous fondez-vous sur les travaux du Haut Conseil de l'éducation, qui est également chargé de formuler des propositions quant à la pédagogie. Je ne le pense pas, dans la mesure où cette institution, nouvellement créée - elle a été mise en place au début du mois de novembre -, travaille actuellement sur le contenu du socle commun voté au mois de mars dernier dans la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon ». En outre, elle doit déjà faire face à sa première démission.

Peut-être vous appuyez-vous sur les travaux et avis du Haut Conseil de l'évaluation de l'école. Là encore, je ne le pense pas, puisque, à ce jour, aucun des avis de ce Haut conseil ne traite de ce sujet.

Force est donc de constater, monsieur le ministre, que vos déclarations s'apparentent plus à des considérations politiciennes, voire démagogiques, qu'à une réelle volonté de diminuer le taux d'échec scolaire.

A vous croire, la méthode syllabique serait la « panacée » contre l'échec scolaire. C'est un discours totalement partiel et biaisé : non seulement il fait du cours préparatoire la classe « où tout se joue » - alors que, souvent, les prémices de l'échec apparaissent dès la grande section de maternelle -, mais surtout il occulte tous les facteurs qui sont en amont de l'échec scolaire, à savoir la situation sociale des élèves, le manque de moyens accru des écoles, la pénurie d'enseignants....

Monsieur le ministre, laissez aux spécialistes et aux enseignants le soin de faire leur travail. L'avenir de nos jeunes est un enjeu bien trop précieux, bien trop vital, pour que vous vous permettiez de dogmatiser vos opinions.

Dois-je vous rappeler que c'est à la loi d'imposer, non au gouvernement ? Une loi qui doit être issue d'une longue concertation avec les partenaires concernés, et suivie d'un profond et serein débat au Parlement, débat que votre gouvernement n'a eu de cesse de nous voler ; nous en avons la confirmation avec ce texte. Le passage en force est, malheureusement, devenu une pratique courante de votre gouvernement !

M. le président. Madame David, je vous donne acte de votre rappel au règlement.

Mme Hélène Luc. Regardez le nombre de sénateurs de la majorité qui sont présents dans l'hémicycle pour un projet de loi de cette importance ! Ce n'est pas sérieux !

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Dossier législatif : projet de loi de programme pour la recherche
Discussion générale (suite)

Loi de programme pour la recherche

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programme pour la recherche
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de programme pour la recherche (n°s 91, 121).

Mes chers collègues, avant d'ouvrir la discussion, je dois vous rappeler que le Conseil économique et social a demandé que, conformément aux dispositions de l'article 69 de la Constitution, M. François Ailleret, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social, puisse, pour ce texte, exposer l'avis du Conseil économique et social devant le Sénat.

Conformément à l'article 69 de la Constitution et à l'article 42 du règlement du Sénat, huissiers, veuillez faire entrer M. François Ailleret.

(M. le rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)

M. le président. Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 4, du règlement, le représentant du Conseil économique et social expose devant le Sénat l'avis du Conseil, avant la présentation du rapport de la commission saisie au fond.

Par ailleurs, le représentant du Conseil économique et social a accès à l'hémicycle pendant toute la durée de la discussion en séance publique. À la demande du président de la commission saisie au fond, la parole lui est accordée pour donner le point de vue du Conseil sur tel ou tel amendement ou sur tel ou tel point particulier de la discussion.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale sur la recherche, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur, avec François Goulard, de vous présenter aujourd'hui le projet de loi de programme pour la recherche. Ce texte, vous le savez, constitue le volet législatif du Pacte pour la recherche, que le Gouvernement propose à l'ensemble de la nation.

Ce Pacte est le fruit d'une longue et fructueuse concertation, que François Goulard et moi-même avons menée depuis six mois avec la communauté scientifique, mais aussi avec toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté que l'avenir de la recherche intéresse. Je pense aux conseils précieux et judicieux que le président Jacques Valade, notamment, a su nous donner dès notre arrivée au ministère et je veux lui en rendre hommage.

Depuis deux ans, la recherche est au coeur du débat public. Une crise de confiance a eu lieu, résultant d'un sentiment de négligence envers la recherche. Cette crise, le président et les rapporteurs de la commission spéciale sur la recherche l'ont parfaitement décrite dans leur rapport sur ce projet de loi. D'une certaine façon, elle a été salutaire. Elle a eu aussi l'immense mérite de lancer une réflexion de fond et de provoquer une prise de conscience collective.

Ainsi, nous avons pris conscience du rôle capital que joue la recherche pour l'avenir de la France : pour son avenir intellectuel, pour son avenir économique, pour son avenir industriel.

Les prestiges du « tout commerce », du « tout service », du « tout finances » se sont évanouis dans l'esprit public. Tout le monde se rend désormais compte que la science, la technologie et l'éducation sont les facteurs sine qua non d'une croissance durable et responsable.

La recherche est aussi une nécessité pour l'avenir de l'humanité sur notre planète. Les conclusions du sommet de Montréal sur le climat l'ont encore montré récemment, en appelant au développement de la recherche sur les énergies alternatives.

Les illusions anti-scientifiques se dissipent. Bien sûr, la société se méfie encore de la science. Pourtant, elle comprend de plus en plus que les réponses aux problèmes de l'humanité viendront de la science. Ce n'est pas par une fuite romantique, hors de la modernité, que nous surmonterons les problèmes du monde. C'est par plus, et par mieux, de science : plus de science fondamentale, plus de science appliquée, plus de sciences humaines.

Cette crise nous a aussi fait prendre clairement conscience, à nous décideurs politiques, des défis que la recherche française doit absolument relever pour demeurer dans la course mondiale et, si possible, être en tête. C'est pour cela que nous voulons apporter, avec le Pacte pour la recherche, des réponses durables.

Il s'agit, bien sûr, de programmer des moyens massifs à la hauteur de nos ambitions. Car la dépense pour la recherche n'est pas une dépense comme les autres : c'est un véritable investissement pour l'avenir.

Mais il s'agit aussi d'investir cet argent dans un système plus offensif, plus attractif, plus réactif, capable de faire atteindre à nos centres de recherche la masse critique nécessaire, permettant à nos chercheurs, qui sont parmi les meilleurs du monde, de déployer en France leurs talents et d'être reconnus sur la scène internationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la recherche comme pour le reste, il faut veiller à l'efficience de l'euro dépensé. Dans la situation financière où se trouve notre pays, nous devons dire une vérité d'évidence : investir dans des structures qui ne seraient pas pleinement efficaces serait tout simplement du gaspillage.

C'est pourquoi je refuse de séparer la considération des moyens et des emplois, que nous créons en grand nombre - 3 000 postes de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et d'ingénieurs de recherche en 2006 -, de celle des structures et des procédures d'évaluation. Tels sont les tenants de ce Pacte pour la recherche.

Une nation rassemblée autour de sa recherche, parce qu'elle a confiance en elle, confiance en sa capacité à répondre aux aspirations de la société, à relever les défis de la concurrence, à entraîner, par ses retombées, des créations d'emploi, confiance enfin en sa capacité à assurer le rayonnement de la France, c'est là tout l'esprit de ce Pacte !

Sur ce sujet, vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés très fermement : une mobilisation totale a été décidée, un calendrier a été fixé, et tenu, des moyens sans précédent depuis trente ans ont été programmés malgré la situation budgétaire que vous connaissez bien, des moyens au service d'une politique ambitieuse pour la recherche.

Cette politique ambitieuse pour la recherche s'inscrit dans une stratégie plus vaste en faveur de la compétitivité de notre recherche et de notre industrie, que le Président de la République a définie. La politique de recherche est en effet complétée par une nouvelle politique industrielle qui doit permettre à notre économie de corriger ses faiblesses structurelles, en développant davantage les activités de haute technologie.

D'importantes décisions ont été prises ces derniers mois par le Premier ministre. La France mobilise et concentre ses forces pour renouer avec le grand dessein dont elle n'a jamais perdu l'ambition.

Les pôles de compétitivité ont été constitués, l'Agence de l'innovation industrielle a été mise en place avec un seul objectif : construire de nouveaux avantages comparatifs et conquérir de nouveaux marchés. Nous devons absolument être plus offensifs et réaliser des percées sur des technologies innovantes.

Ne soyons pas « bons seconds », « bons quatrièmes » partout ! Soyons premiers, grâce à la recherche !

Ainsi, les politiques que le Gouvernement met en place donnent les moyens à la France et à notre science de changer de braquet afin d'affronter la compétition mondiale.

Nous retenons cinq objectifs pour donner un nouveau souffle à notre recherche, en corrigeant les principales faiblesses de notre système. François Goulard y reviendra dans son intervention ; je vous les présente donc très rapidement.

Premier objectif : renforcer nos capacités d'orientation stratégique et de définition des priorités.

Le « pilotage automatique » en matière de recherche n'est pas une bonne méthode ; dans le monde complexe où nous vivons, un arbitrage est nécessaire entre les aspirations des scientifiques, les intérêts économiques et les préoccupations des citoyens. Des choix sont nécessaires, des orientations doivent être prises et tenues sur le long terme. Ce sont des choix complexes, mais forts d'enjeux et de conséquences.

C'est pourquoi nous voulons mettre en place un Haut conseil de la science et de la technologie, qui sera chargé d'éclairer les décisions du pouvoir politique. Les débats au sein du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie auront également toute leur place dans le processus d'élaboration de la stratégie nationale.

Deuxième objectif : bâtir un système d'évaluation de la recherche unifié, cohérent et transparent. Car l'évaluation objective et systématique est la contrepartie nécessaire de la liberté de la recherche. Sans liberté, c'est le dirigisme, sans évaluation, c'est le laxisme.

C'est la nouvelle Agence d'évaluation de la recherche, l'AER, qui jouera ce rôle. Je sais que votre commission souhaite élargir son rôle.

Troisième objectif : rassembler les énergies et faciliter les coopérations entre les acteurs de la recherche. Vous le savez, notre recherche souffre d'un manque de visibilité internationale et d'un manque de synergie nationale. Les deux problèmes sont liés. Pour y remédier, ce projet de loi prévoit la création de nouvelles formes de coopérations entre acteurs, leur permettant de rassembler leurs énergies en vue d'accroître leur taille critique ; j'y reviendrai dans quelques instants.

Quatrième objectif : offrir des carrières scientifiques attractives et évolutives. Là aussi, le problème est connu. La recherche, c'est avant tout des femmes et des hommes de vocation. Il nous faut susciter ces vocations, les développer, les entretenir tout au long des carrières scientifiques. Cela passe par une attention particulière pour les jeunes, sur lesquels repose l'avenir de la recherche.

Nous devons permettre à nos jeunes scientifiques de réaliser leur projet chez nous, en France. Pour cela, nous devons leur offrir des carrières plus flexibles, moins cloisonnées. Dans le monde d'aujourd'hui, ces carrières sont internationales par essence. À nous de proposer un environnement de qualité pour leur travail et des conditions qui permettent à nos scientifiques de partager en France l'expérience acquise à l'étranger.

Cinquième objectif : tisser des liens plus étroits entre la recherche publique et la recherche privée. C'est impératif si nous voulons que nos découvertes scientifiques génèrent des richesses, donc de l'emploi sur notre territoire plutôt qu'ailleurs.

Au service de ces objectifs, nous avons prévu non seulement des outils, mais aussi, je vous le disais en commençant, des moyens sans précédent. Ce projet de loi de programme prévoit en effet un effort public considérable : 19,4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2004 en cumulant les efforts sur les années 2005 à 2010.

Avec cette progression, le budget total de la recherche sera de 24 milliards d'euros pour l'année 2010, soit 27,3 % de plus que le budget de l'année 2004.

Notre ambition est de redessiner le paysage de la recherche française et d'adapter ses structures aux réalités du monde d'aujourd'hui.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons fait des choix.

En premier lieu, nous avons fait le choix de la liberté et de l'esprit d'initiative pour dessiner le paysage de la recherche de demain.

Le rôle de l'État est d'impulser une évolution plutôt que d'imposer une révolution. C'est le choix de bâtir à partir de notre héritage scientifique qui remonte au Moyen Âge, plutôt que de faire table rase et de plaquer mécaniquement des modèles observés ici ou là.

C'est aussi le choix de la confiance faite aux acteurs pour porter cette évolution. Et cette confiance va en particulier aux universités, qui doivent reprendre le rôle qui est le leur dans notre recherche, c'est-à-dire former les jeunes et susciter des vocations.

En deuxième lieu, nous avons fait le choix de la lutte contre la précarité des jeunes chercheurs, qui sont le sel de la recherche de demain.

Des engagements ambitieux et courageux sont pris pour la première fois pour remédier à cette dérive sur le début des carrières scientifiques. Nous voulons permettre aux plus jeunes de mener leurs études doctorales, les aider à choisir leurs filières, à s'orienter à l'issue du doctorat, encourager les plus talentueux avec des bourses. Et surtout, nous souhaitons consolider les périodes post-doctorales, qui sont déterminantes pour l'ensemble de la carrière scientifique en facilitant l'insertion dans la vie active, qu'il s'agisse d'une carrière dans la recherche publique ou d'une carrière en entreprise. François Goulard s'intéresse particulièrement à ce sujet, qu'il développera avec brio tout à l'heure.

En troisième lieu, nous voulons développer notre capacité à construire une recherche européenne. La science d'aujourd'hui n'avance désormais plus que sous forme de coopérations. La meilleure preuve, c'est que les prix Nobel sont remis, depuis les années quatre-vingt, quasi exclusivement à des équipes de scientifiques, qu'il s'agisse de la physique, de l'économie ou de la médecine. Le récent prix Nobel de chimie attribué à Yves Chauvin ne fait pas exception, puisqu'il travaillait dans une équipe internationale.

Dans ce contexte, les acteurs européens de la recherche souffrent du même mal que nous : une taille insuffisante.

Le Pacte pour la recherche prépare nos structures à construire de meilleurs partenariats en France, au sein de l'Europe, mais aussi au-delà. Les nouvelles structures de gouvernance de la recherche, comme l'Agence d'évaluation de la recherche ou l'Agence nationale de la recherche, affichent délibérément l'ambition de devenir des acteurs influents dans la construction de l'Europe de la recherche.

Pour affronter la concurrence internationale, la solution est claire : c'est la synergie des forces. Sans cela, nous serions rapidement condamnés à l'invisibilité et à l'inefficacité !

Cette synergie, nous voulons la développer par deux moyens : les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, et les campus. J'en rappelle très rapidement la finalité.

Les PRES sont des rapprochements géographiques, qui remédieront au morcellement actuel de la recherche, souvent dans une même ville ou un même département. Nous voulons donc inciter les acteurs qui travaillent sur un même territoire à se regrouper pour renforcer l'efficacité de leurs actions et accroître leur reconnaissance internationale. Le président Jacques Valade, qui connaît bien la situation de Bordeaux, sait de quoi je parle. Dans ce cadre, nous devons donner leur chance à tous les établissements d'enseignement supérieur, y compris les plus modestes.

Les campus, de leur côté, sont des rapprochements thématiques. Il s'agit de « mettre en réseau » des centres de recherche parfois éloignés les uns des autres dans l'espace, mais très proches par la nature de leurs travaux. Aujourd'hui, l'espace de la recherche est immatériel ; nous ne devons pas être empêchés de former la masse critique nécessaire par un simple éloignement spatial entre des laboratoires.

Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de mutualiser des forces, de les unifier et non de déposséder qui que ce soit. Les réussites des PRES et des campus profiteront à tous les organismes et à tous les établissements qui y participeront, libres à eux de s'organiser comme bon leur semble. La loi n'impose rien, elle propose des outils.

L'effet attendu de l'accroissement de la taille critique, c'est simplement plus de concrétisations de nos découvertes, donc plus de brevets, plus de croissance et plus d'emplois !

En rapprochant nos capacités et en les concentrant sur de grands thèmes bien identifiés, nous aiderons aussi les jeunes étudiants à se repérer dans le paysage de la recherche, jusqu'ici trop confus.

Les thématiques des PRES et des campus permettront d'attirer des chercheurs, tout en leur laissant une grande latitude pour creuser dans le sens le plus prometteur. C'est, par exemple, l'un des objets des projets de coopération qui sont en train d'émerger à Lyon autour des universités, des écoles et des laboratoires de recherche, tant publics que privés, pour constituer un ensemble, notamment dans les domaines de la biologie et de la santé.

Cette clarification sera également utile aux entreprises, qui pourront s'approcher du monde de la recherche avec moins d'appréhension et saisir plus rapidement les opportunités de partenariats ou de développement industriel.

D'ores et déjà, ces deux outils suscitent l'enthousiasme. Des projets très sérieux sont en cours de finalisation dans toutes les grandes villes universitaires de notre pays. Je viens de faire allusion à Lyon, mais j'aurais pu également parler de Montpellier, de Bordeaux, de Strasbourg, de Grenoble ou de la Normandie, pour ne citer que quelques exemples qui me viennent en tête immédiatement. En région parisienne aussi, les projets fourmillent.

Partout, c'est le même engouement pour définir un projet scientifique cohérent et déterminer la meilleure organisation et le meilleur outil pour le mettre en oeuvre. Notre communauté scientifique a besoin de la « boîte à outils », pour reprendre votre expression, monsieur Valade, pour concrétiser ces projets et les mettre en oeuvre.

Les effets de ces rapprochements ne se feront pas attendre. Qu'on en juge !

Si tous les PRES annoncés aujourd'hui se mettent en place, par un simple effet mécanique, la France fera un bond dans le fameux « classement de Shanghai ». Sept de nos pôles y figureraient, contre trois universités aujourd'hui. Le meilleur serait vraisemblablement classé sixième ou septième mondial, au même rang qu'Oxford ou Princeton. Aujourd'hui, la première université française est quarante-sixième.

Or, remonter dans le classement, c'est redevenir capable d'attirer des talents étrangers, qu'il s'agisse de chercheurs, d'enseignants-chercheurs ou d'étudiants doctorants ou post-doctorants. C'est enclencher le cercle vertueux de la réputation et du dynamisme.

Le Pacte pour la recherche a des effets bien au-delà de la science et de l'économie. Nous attendons aussi de ce Pacte qu'il permette à la recherche de répondre aux préoccupations de notre époque et, surtout, qu'il prépare l'avenir de notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un très grand projet qui vous est soumis aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Monsieur le président, un accident extrêmement grave vient de se produire : un enseignant a été attaqué à coups de couteau par l'un de ses élèves. Je vous demande donc de bien vouloir faire preuve d'indulgence en me permettant de me rendre sur place. Je reviendrai dans les meilleurs délais.

M. le président. Je vous en prie, monsieur le ministre ! Je suis certain que les membres de notre Haute Assemblée comprendront et excuseront votre absence.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, à la suite de Gilles de Robien, je voudrais vous dire toute l'importance que nous attachons au Pacte pour la recherche et à ce projet de loi, qui en est la principale traduction.

Nous avons apprécié le travail très approfondi qui a été réalisé, durant plusieurs semaines, avec le président et les rapporteurs de la commission spéciale. Nous nous sommes très largement rejoints, car nous partageons une même philosophie et les mêmes ambitions.

La plupart des amendements qui ont été adoptés par la commission améliorent le texte ; nous aurons l'occasion d'y revenir.

L'examen de ce projet de loi par le Conseil économique et social a été l'occasion d'associer ce qu'il est convenu d'appeler les « forces économiques et sociales » à la préparation d'un texte d'importance nationale. Il était éminemment souhaitable que le Conseil économique et social apporte sa contribution ; elle a été extrêmement positive. En effet, vous avez su, monsieur le rapporteur du Conseil économique et social, rassembler des opinions émanant de personnalités d'origines très diverses, mais animées de la même ambition pour la recherche dans notre pays.

Gilles de Robien vient de le dire, la grande question qui nous occupe, c'est l'idée que nous nous faisons de la recherche au service de notre pays. On le sait, la recherche vise des objectifs divers ; elle a plusieurs finalités.

La première finalité de la recherche, c'est, de tout temps, l'accroissement des connaissances, les progrès de la science, la satisfaction de la curiosité de l'esprit humain, à l'oeuvre pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, sous tous ses aspects.

Cette ambition reste entièrement d'actualité. C'est ainsi que la recherche fondamentale est au coeur de notre projet. Elle fait l'objet d'une priorité absolue dans nos réflexions et, nous aurons l'occasion de le redire, il n'y a pas de recherche appliquée qui ne se nourrisse d'une recherche fondamentale puissante, active : l'exemple de tous les grands pays de recherche illustre ce fait. Or la France est, mesdames, messieurs les sénateurs, un pays où la recherche, notamment fondamentale, atteint traditionnellement un niveau d'excellence.

Comme je l'ai indiqué, la recherche a de nombreuses finalités, par exemple l'amélioration de la santé de nos compatriotes, une meilleure prise en compte des immenses problèmes liés à l'environnement. Elle est aussi un outil puissant en vue d'accroître la compétitivité de notre économie, ce qui requiert chaque jour des innovations technologiques, lesquelles ne peuvent apparaître sans une recherche forte.

Nous sommes un grand pays de recherche, reconnu comme tel dans le monde, avec des pôles d'excellence, dans lesquels s'illustrent nos scientifiques. La France, cela mérite d'être rappelé, est l'un des principaux pays d'Europe en matière de recherche. Statistiquement, elle se place au deuxième rang européen en termes de dépenses publiques de recherche et pour ce qui concerne l'accès aux financements européens liés aux projets relevant des programmes cadres de recherche et développement

Ce bilan s'accompagne de la constatation de certaines faiblesses.

Ainsi, nous avons besoin d'un nouveau souffle, d'un élan nouveau pour notre politique de recherche, et c'est cet effort qui trouve sa traduction dans le Pacte pour la recherche.

À cet égard, un travail considérable a été accompli depuis plusieurs mois. Il a associé l'ensemble de la communauté scientifique, le monde politique, les responsables au sein des gouvernements successifs. Chacun a apporté sa contribution. Aujourd'hui, c'est donc l'aboutissement de ces mois de réflexion, de concertation, de travail en commun que nous avons l'honneur de présenter à la Haute Assemblée.

Il s'agit d'abord, et c'est bien sûr un point essentiel, de fournir un effort financier. Les chiffres sont connus, les engagements ont été pris : trois augmentations consécutives des moyens financiers, à concurrence de 1 milliard d'euros par an, en 2005, en 2006 et en 2007, permettront d'accroître, sur ces trois années, de 6 milliards d'euros les ressources publiques consacrées à la recherche. C'est absolument considérable.

Pour illustrer ce fait, je voudrais rapprocher l'effort que nous consentons de celui qui est accompli dans un pays voisin qui est aussi un grand pays de recherche : l'Allemagne. Pendant que nous augmentons de 1 milliard d'euros tous les ans notre contribution publique à la recherche, ce grand pays qu'est l'Allemagne, lui aussi convaincu de la nécessité de donner des moyens nouveaux à la science, accroît les crédits publics alloués à la recherche de 600 millions d'euros par an. C'est dire si l'effort consenti par la France est tout à fait considérable ! En outre, cela a souvent été souligné, 3 000 emplois seront créés.

Cet effort ne se limite pas à sa dimension nationale. Nous sommes ainsi, lors de chaque conseil des ministres européens chargés de la recherche, les militants d'une accentuation de l'effort européen de recherche. Nous avons été les promoteurs de la mise en place du Conseil européen de la recherche, qui sera une nouvelle agence de moyens pour la recherche fondamentale. Nous plaidons pour une augmentation des moyens du septième programme cadre de recherche et développement, avec la mise en oeuvre de financements nouveaux provenant de la Banque européenne d'investissement.

Dans le domaine spatial, par exemple, nous avons accepté, alors que nous sommes les premiers contributeurs de l'Agence spatiale européenne, que les dépenses scientifiques augmentent de 2,5 % par an dans les prochaines années.

Bref, sur tous les plans, nous militons et nous agissons pour que la recherche scientifique dispose de moyens accrus.

Cet accroissement des moyens n'aurait pas de sens si nous n'avions, en même temps, le souci de l'efficacité de la recherche française. La plupart des dispositions présentées dans ce projet de loi tendent vers cet objectif.

Ce texte comporte tout d'abord l'affirmation que l'État doit définir des priorités. Sur ce point, soyons clairs : la science est faite par les femmes et les hommes de science ; il n'est pas question d'interférer dans la construction de la science, dans son élaboration. Il s'agit, pour les pouvoirs publics, dans le cadre des responsabilités qui sont les leurs, de définir les priorités, et c'est à cela que s'emploiera le Haut Conseil de la science et de la technologie, dont la commission spéciale du Sénat souhaite la création par voie législative.

Par ailleurs, nous avons mis en place, voilà quelques mois, une Agence nationale de la recherche. Il s'agit là d'un succès incontestable. Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les grands organismes de recherche, les universités, ont chacun leur projet pour la définition de leurs programmes scientifiques. Je tiens à dire devant vous que, en définitive, il appartient à l'État, c'est-à-dire au Gouvernement, avec l'approbation du Parlement et avec le concours d'une administration qui devra être renforcée, de définir les grandes priorités de recherche. Il revient à l'État, en concertation avec les grands organismes de recherche et les universités, de définir une politique de la recherche qui s'exprimera dans les politiques menées par ces derniers et par l'Agence nationale de la recherche. Nous mettre en situation d'affirmer une politique nationale de la recherche représente un objectif majeur.

Pour attribuer les moyens dans de bonnes conditions, nous devons absolument avoir une vision claire de la performance de nos organismes de recherche, de nos équipes, de nos laboratoires : c'est l'objet de la création d'une agence d'évaluation de la recherche qui deviendra sans doute, grâce à un amendement d'origine parlementaire, une agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

En effet, il apparaît de façon évidente que l'on ne peut consacrer des moyens supplémentaires, que l'on ne peut allouer des ressources d'une manière optimale sans disposer d'une vision d'ensemble de la qualité de nos équipes et des travaux conduits. La future agence d'évaluation de la recherche aura pour tâche d'unifier le système d'évaluation, de généraliser le principe de l'évaluation pour toutes les équipes financées par des ressources publiques. Cette agence travaillera en liaison étroite avec les instances d'évaluation qui existent au sein des différents organismes, mais elle donnera aux pouvoirs publics la vision d'ensemble indispensable pour une allocation optimale des moyens.

Je voudrais maintenant revenir sur l'effort de coopération qu'a évoqué voilà quelques instants Gilles de Robien. Nous avons besoin de rassembler les forces, de faire jouer les synergies, d'ouvrir une nouvelle dimension quand l'éclatement ou le cloisonnement empêchent une coopération utile. Tel est l'objet des formes nouvelles de coopération prévues par le texte, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les campus, que la commission spéciale souhaite rebaptiser, qui sont dotées d'outils juridiques commodes et de moyens alloués par l'État.

Ce texte prévoit aussi un effort significatif, que la commission spéciale propose de renforcer, de simplification administrative, tant il est vrai que, dans ce domaine comme dans d'autres, notre organisation publique ne se signale pas par sa simplicité, sa légèreté et son efficacité.

M. Pierre Laffitte. C'est vrai !

M. François Goulard, ministre délégué. Il faut absolument que nous puissions simplifier les procédures, notamment en matière de commandes publiques.

Cela étant, le plus important reste peut-être de faire en sorte que les carrières scientifiques, que les carrières de chercheur demeurent attrayantes pour les jeunes et synonymes de vocation et d'engagement. C'est tout le sens du dispositif que nous proposons de mettre en place au profit des chercheurs en général, et des jeunes chercheurs en particulier.

Il faut que les plus jeunes de nos chercheurs puissent bénéficier de rémunérations plus convenables qu'actuellement, et que les plus brillants d'entre eux soient distingués et disposent de moyens mesurés en conséquence. Il faut en outre que les chercheurs les plus actifs se voient allouer une disponibilité en temps : c'est l'objet de la mesure présentée de modulation des charges d'enseignement et de l'augmentation des effectifs de l'Institut universitaire de France.

Voilà des dispositions concrètes, des mesures positives qui montrent à quel point nous souhaitons que les vocations scientifiques soient nombreuses. Nous entendons que les chercheurs soient reconnus : c'est un volet essentiel du Pacte pour la recherche.

J'ajoute qu'une préoccupation s'exprime souvent à propos de l'emploi scientifique, de l'avenir. Les jeunes qui s'engagent dans des études scientifiques et qui ont une vocation de chercheur doivent savoir qu'il y aura des recrutements et quelle sera l'importance de ceux-ci. Dans cette perspective, il faut naturellement prendre en compte les créations d'emplois publics de chercheur, qui n'auront jamais été aussi nombreuses qu'au travers du Pacte pour la recherche.

Cet état de fait, conjugué aux nombreux départs à la retraite des prochaines années, ouvre des perspectives absolument extraordinaires, sans aucun précédent. Cependant, il est essentiel que les chiffres soient clairs, que les données soient accessibles. C'est la raison pour laquelle nous nous proposons de créer un observatoire de l'emploi scientifique qui puisse, discipline par discipline, grade par grade, tracer des perspectives et permettre une prévision qui, aujourd'hui, est encore insignifiante.

Le dernier et important volet du Pacte pour la recherche concerne l'articulation de la recherche avec l'économie.

On le sait, la France n'est pas, sur le plan international, le pays le plus mal placé du point de vue de la recherche publique. Toutefois, la recherche privée doit seconder cette dernière dans ses efforts. Or les comparaisons internationales montrent que nous sommes plutôt en retrait, à cet égard, par rapport aux autres grands pays de recherche.

C'est pourquoi, tout en reconnaissant que l'effort de recherche privé ne pourra s'accroître dans les prochaines années que sur l'initiative des entreprises, nous avons veillé, d'une part, à développer des dispositifs qui facilitent le transfert d'innovations, de découvertes du monde de la recherche vers celui de l'économie, d'autre part, à encourager l'effort de recherche privé, en particulier par des mesures fiscales : c'est la réforme du crédit d'impôt recherche qui a été adoptée dans le projet de loi de finances pour 2006.

C'est pour la même raison que nous encourageons l'essaimage, la création d'entreprises par des chercheurs, et que nous proposons la création, sur le modèle allemand de la société Fraunhofer, des instituts Carnot, qui permettront de distinguer et de soutenir les institutions de recherche orientées vers la collaboration avec les entreprises.

Il s'agit là d'un vaste programme, d'un pacte d'ensemble, d'une politique tout à fait résolue en faveur de la recherche, au service de notre pays, au service, en particulier, de son économie, et, par conséquent, de la création d'emplois. Je crois pouvoir dire que la présentation de ce projet de loi devant la Haute Assemblée marque non pas la fin d'une période de débats, parfois de contestations, mais, au contraire, un nouvel élan, l'amorce d'une grande politique, d'une grande ambition, dont je sais que, au-delà des appréciations que l'on peut porter sur tel ou tel volet du texte, elle est partagée par tous. C'est une ambition nationale pour la recherche et pour notre pays qui s'exprime, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le projet de loi que nous avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Ailleret, rapporteur du Conseil économique et social.

M. François Ailleret, rapporteur de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, le 5 octobre dernier, le Conseil économique et social a été saisi par le Gouvernement d'une demande d'avis sur le projet de loi de programme pour la recherche.

Le travail de préparation a été confié à la section des activités productives, de la recherche et de la technologie, qui m'a désigné comme rapporteur. La section a procédé à des auditions, et j'ai moi-même, en complément, rencontré une douzaine de personnalités.

De longues séances de travail en section ont eu lieu avant que soit présenté le projet d'avis, en séance plénière, le 15 novembre. Le vote est intervenu le 16 novembre, après expression de l'avis des groupes et la réponse du rapporteur. L'avis a été adopté : sur 184 votants, 74 % l'ont approuvé, 14 % s'y sont opposés et 12 % se sont abstenus.

J'exprimerai de façon synthétique les principaux éléments de cet avis.

Depuis quelques années, le thème de la recherche est très présent dans la société française et c'est évidemment satisfaisant.

Les débats, les études réalisées depuis 2004 se sont avérés utiles pour la prise de conscience des enjeux et la maturation des idées. Chacun a maintenant bien perçu que la problématique de la recherche en France va bien au-delà des seuls moyens budgétaires de la recherche publique ou du nombre et du statut juridique de ses collaborateurs.

Le projet gouvernemental vient en son temps alors que nombreux sont ceux qui ont pu réfléchir et s'exprimer sur ce sujet qui conditionne l'avenir de notre pays.

Les enjeux de la recherche en France sont considérables à bien des égards : ils s'étendent du court terme au très long terme ; ils vont de l'aspiration immémoriale de l'homme à repousser les limites de la connaissance jusqu'aux retombées les plus concrètes sur la création d'emplois, la santé publique, la compréhension des tensions de la société -  c'est dire toute la place qui doit revenir aux sciences humaines et sociales - ou encore le bien-être au quotidien, collectif ou individuel.

C'est bien entendu dans une perspective européenne et mondiale qu'il convient de se situer, ce qui, loin de l'exclure, renforce le besoin, à l'échelle nationale, d'une vision stratégique, d'une organisation, d'une programmation des moyens, d'une régulation de l'ensemble.

A l'appui de sa saisine, le Gouvernement a remis au Conseil économique et social trois documents de statuts différents : un exposé des motifs exprimant une vision stratégique, le projet de loi proprement dit, des fiches illustrant la stratégie et le projet de loi et présentant des mesures non législatives que le Gouvernement préconise ou envisage de prendre. C'est sur cet ensemble que porte le projet d'avis du CES.

Le sujet de la recherche n'est évidemment pas nouveau pour le Conseil économique et social. Plusieurs avis ont traité ce thème au cours des dernières années, en particulier celui qui a été voté en décembre 2003. Ces avis ont constitué un référentiel naturel et utile.

L'avis du CES examine chacun des « piliers » de l'exposé des motifs du projet de loi, puis les six objectifs, enfin les moyens programmés. Il présente ensuite des recommandations.

Tout au long de cette analyse, des avancées du projet gouvernemental ont pu être mises en évidence et, en complément, des critiques ont été formulées, des insuffisances soulignées et des voies d'amélioration proposées.

On doit juger positivement une série de dispositions élaborées par le Gouvernement, le plus souvent nouvelles, mais parfois aussi confirmant ou prolongeant des décisions récentes.

Ainsi, on peut citer : la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie, qui aidera à décrypter l'avenir et à dégager les priorités ; la mise en place de l'Agence d'évaluation de la recherche ; l'appui à la coopération, notamment par les pôles de recherche et d'enseignement supérieur ; le rôle essentiel de l'Agence nationale de la recherche pour le financement des projets ; les allègements très significatifs des contrôles et procédures qui responsabiliseront les gestionnaires de la recherche publique et leur donneront d'indispensables degrés de liberté ; les mesures si nécessaires pour rendre les carrières scientifiques plus attractives aux jeunes ; la reconnaissance du doctorat comme première étape professionnelle ; les bourses Descartes ; les décharges d'enseignement, en particulier pour les jeunes enseignants-chercheurs ; les aides diverses pour la recherche et l'innovation dans les PME ; les instituts Carnot ; enfin, les appuis pour accéder aux financements européens, ainsi que la volonté d'une coopération renforcée en Europe.

Ces avancées sont incontestables, mais elles ne constituent qu'un premier pas, certes très attendu, qui devra être suivi d'autres pas en avant, de la part non seulement du Gouvernement, mais aussi de toutes les composantes de la recherche en France.

C'est dans cette perspective d'une démarche à poursuivre que l'avis du CES avance un nombre important de propositions, dont certaines pourraient être retenues dès le débat parlementaire.

Je rappellerai simplement les principaux thèmes ou objectifs qui font l'objet de recommandations : assurer une composition équilibrée et l'indépendance du Haut conseil de la science et de la technologie et de l'Agence d'évaluation de la recherche ; préciser la mission et le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie ; contribuer à l'émergence d'une recherche européenne et orienter davantage les financements européens vers la recherche amont ; engager la préparation d'une loi d'orientation et de programmation sur l'enseignement supérieur ; revaloriser de façon significative et par étapes la rémunération des chercheurs, principalement les débuts de carrière ; établir un plan pluriannuel des embauches pour anticiper sur les discontinuités et éviter les distorsions de la pyramide des âges dans la recherche publique ; approfondir la notion de « campus de recherche » ; monter en régime rapidement pour les instituts Carnot ; accentuer l'aide aux PME, qui sont les principales entreprises créatrices d'emplois, pour qu'elles se développent davantage dans le domaine des technologies avancées ; atteindre l'objectif de Lisbonne de 3 % du PIB dévolus à la recherche dans les cinq à dix années à venir - pour cela, il faut accroître progressivement les financements publics et privés de la recherche - enfin, établir une programmation engageante des dispositions budgétaires à venir, a minima pour cinq ans.

À cet égard, ainsi que vous l'avez relevé, le tableau de financement présenté est très global et assez flou puisqu'il ne précise pas s'il s'agit d'euros courants ou d'euros constants.

Je voudrais, pour clore cette présentation d'avis du CES, mettre l'accent sur la dimension temporelle, qui est essentielle en la matière. Il faut à la fois voir loin et agir vite. Agir vite parce que du temps a été perdu, que l'écart se creuse avec certains pays, que de nouveaux acteurs apparaissent avec une formidable volonté de puissance : la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil et bien d'autres encore.

Il a été dit : « Dans le monde d'hier, les gros mangeaient les petits, dans le monde de demain, les rapides mangeront les lents ». Dès aujourd'hui, des pays rapides - petits ou gros - ont, grâce à leur recherche et à leur enseignement supérieur, mangé une partie du marché, de l'industrie ou des services des gros ; on peut citer la Finlande, avec le téléphone mobile, la Corée du Sud, avec l'imagerie, ou encore l'Inde, avec l'informatique.

Hier; la France était parmi les gros ; les petits étaient menacés. En matière de recherche, pour garder nos atouts, qui sont réels, et nos domaines d'excellence, pour entretenir le progrès économique et donc le progrès social, nous devons absolument nous attacher à ne plus être demain parmi les lents, comme nous le sommes trop souvent aujourd'hui. Pour la recherche, cela engage les acteurs de la vie politique, économique et sociale, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.

Aussi, dans la mise en oeuvre de la loi qui sera issue des travaux du Parlement, comme pour de nombreuses décisions que le Gouvernement entend prendre, il faudra rester simple et aller vite, sans escamoter cependant les concertations ou négociations indispensables avec les chercheurs, les entreprises, les partenaires sociaux, la société civile.

J'en arrive aux positions exprimées en séance plénière par les divers groupes du CES.

Des convergences fortes sont apparues, sans que l'on puisse évidemment parler d'unanimité, sur les avancées, considérées comme un pas qui apporte déjà des résultats concrets, mais qui doit être suivi d'autres pas.

Ainsi, il y a eu une bonne adhésion aux trois « piliers » de l'exposé des motifs du Gouvernement : un développement équilibré de l'ensemble de la recherche, fondé sur une stratégie globale et de long terme, ainsi qu'une forte coopération entre les acteurs de la recherche. Cette adhésion a également concerné la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie, le maintien du Conseil supérieur de la recherche et des technologies avec une mission redéfinie et élargie, la mise en place d'une Agence d'évaluation de la recherche, la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, l'amélioration de la situation des doctorants, l'accent porté sur l'aide aux PME et aux petites entreprises artisanales.

L'importance des mesures préconisées par le Gouvernement a donc été reconnue.

Une convergence s'est également manifestée sur des critiques, des insuffisances et des voies d'amélioration, en particulier sur les points suivants : le renforcement, de façon significative, des moyens financiers, afin de tendre vers l'objectif de Lisbonne, moyens qui devraient faire l'objet d'une programmation à cinq ans ; le nécessaire approfondissement d'un projet européen de la recherche où la recherche française doit tenir sa place, tout en étant confortée par la recherche des autres pays ; le renforcement d'une écoute de la société civile sur ses aspirations, du dialogue avec elle sur les priorités, le développement d'une culture mieux partagée de la recherche ; la revalorisation des carrières des chercheurs, après un premier pas encore insuffisant ; la création ou le renforcement de passerelles entre organismes publics de recherche, universités et secteur privé ; la nécessité d'une loi d'orientation et de programmation pour l'enseignement supérieur.

Sur chacune de ces rubriques, il existe bien sûr, selon les groupes, des différences d'appréciation, mais aussi, incontestablement, une attente partagée.

Enfin, des convergences sont apparues sur la vigilance nécessaire, afin que les mesures décidées ou envisagées apportent de véritables améliorations et évitent les effets contraires.

Ainsi, la création de nouvelles instances présente un risque de complexité excessive ; il faudra ensuite simplifier. Par ailleurs, l'introduction avec des moyens importants de financements par projets ne doit pas « déshabiller » les structures qui ont besoin de crédits récurrents à la hauteur pour mieux rémunérer leurs personnels et permettre un fonctionnement efficace.

En outre, il ne faut pas perdre de vue que la taille de notre pays et son appartenance à l'Union européenne doivent conduire à l'expression de priorités stables et à des choix clairs et parfois courageux. Le rôle du Haut conseil de la science et de la technologie est de les proposer.

Enfin, il conviendra de s'assurer d'une juste répartition des moyens entre la recherche amont, qui est fondamentale, et la recherche aval, et de s'attacher à une continuité et une coopération efficaces entre elles.

Cela étant, des oppositions ou des réserves se sont également exprimées sur ce projet d'avis et je vais rapidement les expliciter en vous rendant compte du résultat du vote intervenu au Conseil économique et social le 16 novembre.

Je le rappelle, sur 184 votants, 136 ont voté pour le projet d'avis, soit 73,9 % ; 26 ont voté contre, soit 14,1 % ; 22 se sont abstenus, soit 12 %.

Le groupe de la CGT-FO s'est abstenu, faisant valoir qu'il s'interrogeait sur la superposition de structures, que le projet de loi était insuffisant à bien des égards, qu'il ne comportait pas de plan pluriannuel de l'emploi, et que la montée en puissance de l'Agence nationale de la recherche était inquiétante.

Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. François Ailleret, rapporteur. Le groupe de la CGT a voté contre, considérant le projet gouvernemental et l'avis trop éloignés des attentes et des propositions de la communauté scientifique, au motif qu'aucune programmation des emplois n'était prévue et que les mesures salariales et de carrière étaient, à ses yeux, insuffisantes. En outre, il a critiqué le rôle de l'Agence nationale de la recherche et la précarité sous-jacente au projet.

Le groupe de l'Union nationale des syndicats autonomes, l'UNSA, a également voté contre, considérant que l'avis proposé par le Conseil économique et social ne se démarquait pas des orientations du projet gouvernemental, qu'il condamne à bien des égards.

Je vous livre enfin la liste des groupes dont tous les membres présents ont voté en faveur de l'avis du Conseil économique et social : l'artisanat, les associations, la CFDT, la CGC, la CFTC, la coopération, les entreprises privées, les entreprises publiques, la mutualité et l'UNAF. Quant au groupe de l'agriculture et au groupe des personnalités qualifiées, ils ont très majoritairement voté pour, avec quelques voix contre et quelques abstentions.

Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments essentiels de l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi de programme sur la recherche. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale sur la recherche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, les problèmes relatifs à la recherche ne mobilisent la classe politique, voire l'opinion publique, que dans des circonstances exceptionnelles. Cette remarque est d'ailleurs tout à fait généralisable à d'autres secteurs de la vie collective.

C'est ainsi que, pour la recherche, l'attribution ou la non-attribution d'un prix Nobel, la survenue d'une épidémie devant laquelle la société est désarmée et, par conséquent, particulièrement inquiète, le développement du sida, du cancer, entraînent une prise de conscience immédiate, tout en laissant citoyens et spécialistes dans le désarroi le plus total, puisque les solutions de ces problèmes complexes et douloureux ne peuvent être instantanées.

La réflexion doit donc être permanente, afin de mieux comprendre le monde qui nous entoure, d'approfondir nos connaissances, de les projeter sur l'évolution maîtrisée de nos sociétés, en assurant le progrès scientifique, technique et économique au profit de l'homme, en protégeant la planète, dans un environnement toujours plus fragile et maltraité.

Pasteur considérait que « le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Nous devons avoir cette recommandation toujours présente à l'esprit. Si l'objectif est bien défini, la mise en oeuvre doit en être rigoureuse. De plus, ce qui est vrai pour l'individu pris isolément est vrai pour une communauté ou un pays. Aucun pays moderne ne peut se passer d'une recherche active, inspirée, puissante, grâce aux hommes et aux moyens qui le permettent. Cela est une absolue nécessité pour la préparation de l'avenir tant d'un pays que des citoyens qui le composent.

Ce sont les pays qui ont le plus investi dans la recherche, et qui continuent à le faire, qui connaissent aujourd'hui les meilleurs taux de croissance et le recul le plus significatif du chômage.

Par ailleurs, la recherche est le support unique et singulier qui permet à la fois de repousser les limites de la connaissance, de développer l'intelligence et les capacités de création de chacun, grâce aux savoirs partagés, au profit de l'homme, mais également d'assurer les avances scientifiques et technologiques nécessaires pour assumer le progrès économique et social.

La France peut être fière, et doit être fière, des résultats obtenus dans de nombreux domaines, reconnus et appréciés au niveau mondial : avions, fusées, satellites, TGV, industrie nucléaire, progrès de la médecine sont autant de pôles d'excellence pour notre pays. Ils nous garantissent une indépendance nationale dans des secteurs vitaux tels que la défense ou l'énergie.

Mais cette vitalité ne doit pas masquer les insuffisances et les dysfonctionnements de nos structures et la mauvaise répartition des moyens investis.

La recherche est au coeur de la compétition mondiale : aujourd'hui, les pays émergents ne se contentent plus de fabriquer des produits conçus par d'autres ; ils innovent. Ainsi, la Chine a doublé son effort de recherche en cinq ans et compte déjà plus de chercheurs que l'Europe tout entière. L'Inde investit massivement dans l'économie de la connaissance. L'Europe a pris la mesure de cet impératif en se fixant pour objectif, en mars 2000 à Lisbonne, de devenir « l'économie de la connaissance la plus compétitive de la planète ». Cette affirmation générale doit se traduire dans chaque pays par les décisions appropriées.

La recherche est donc devenue un défi majeur pour notre pays, qui conditionne notre avenir, notre compétitivité et notre position sur la scène européenne et internationale.

Le sentiment d'abandon et de mauvais fonctionnement du système de recherche français a provoqué une très vive réaction de la communauté scientifique à partir de 2004.

Il est significatif de constater que la démarche s'est exprimée initialement par une grève administrative des responsables des équipes scientifiques, dont la passion, la compétence et l'activité ne se sont pas, cependant, démenties.

Il s'agissait donc non pas d'un mouvement seulement catégoriel ou corporatiste, mais d'un signal d'alarme destiné aux responsables publics et, au-delà, à la communauté nationale tout entière, qui soulignait l'état de la recherche française et son appauvrissement en termes de motivation et de soutien.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Cette mobilisation a suscité de nombreuses propositions, dont les états généraux de la recherche à Grenoble, en novembre 2004, ont établi la synthèse.

Mais toute crise est génératrice de progrès. La prise de conscience de la situation de la recherche est désormais collective : le chef de l'État lui-même s'est engagé auprès des chercheurs en annonçant une loi destinée à conforter la place de la recherche dans notre pays.

Après une large concertation, le Gouvernement a répondu à l'attente de la communauté scientifique en proposant ce nouveau Pacte pour la recherche, qui scelle la reconnaissance des chercheurs par la nation. La portée de cette affirmation est loin d'être négligeable : l'intérêt pour la recherche, en particulier chez les jeunes, est lié à cette réaffirmation de l'importance accordée à la recherche et de sa place dans la communauté française.

Depuis deux ans, M. le ministre a bien voulu le rappeler, le Sénat participe à la réflexion qu'a suscitée la mobilisation de la communauté scientifique sur la recherche. En 2004, les trois commissions compétentes - affaires culturelles, affaires économiques et finances -, ont créé un groupe de réflexion commun sur l'avenir de la recherche en France. Ce groupe a lancé un forum sur Internet - ce n'était pas très original, mais c'était important pour évaluer la sensibilité de l'ensemble du pays -, qui a recueilli beaucoup de messages, procédé à de nombreuses auditions et communiqué aux ministres compétents des propositions de réforme du système français de recherche.

Par ailleurs, le président du Sénat a organisé, cette année, l'opération « Tremplin recherche », afin de favoriser les échanges entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, grâce aux transferts de technologie de l'un vers l'autre.

Le président du Sénat a souhaité que le projet de loi de programme pour la recherche soit déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, et nous sommes reconnaissants au Gouvernement d'avoir accédé à cette demande.

Pour pouvoir étudier ce projet de loi avec le sérieux nécessaire, j'ai proposé à la conférence des présidents de constituer, dès la transmission de l'avant-projet de loi au Conseil économique et social, un groupe de travail intercommissions, ce qui nous a permis de débuter les auditions dès le mois de novembre dernier.

Nous avons entendu une soixantaine de personnes au cours d'une quarantaine d'auditions. De ce fait, monsieur le ministre, la commission spéciale est en mesure d'enrichir votre projet de dispositions complémentaires, que mes collègues rapporteurs et moi-même nous allons vous présenter.

Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui, à des titres divers, se sont associés aux réflexions et aux travaux que nous avons été amenés à conduire. Nous l'avons fait sans esprit partisan, essayant de comprendre les motivations de chacun, intégrant la volonté politique exprimée par le chef de l'État, par le Premier ministre et par les ministres concernés par le présent projet de loi. La traduction qui en a été faite à partir du Pacte pour la recherche a une double signification.

Il s'agit, d'abord, de la reconnaissance du caractère indispensable de la recherche pour le développement de notre pays. C'est là un engagement fondamental, à l'application duquel nous serons tout particulièrement attentifs.

Il s'agit, ensuite, de la nécessaire constatation par le pouvoir politique et au-delà, je l'espère, par la communauté nationale, de la valeur et de la capacité des chercheurs français, au travers des universités, des organismes de recherche, des écoles d'ingénieurs, de la recherche militaire : tous participent au rayonnement de la France, à l'établissement d'une Europe de la science et de la technologie puissante et compétitive.

Les résultats de ces efforts permettront l'évolution des connaissances et, par conséquent, l'amélioration incessante des savoirs et de leurs enseignements. Ils contribueront par ailleurs au développement de nos entreprises au bénéfice de la communauté nationale.

Je souhaite, monsieur le ministre, que l'évolution de notre système de recherche vers de nouvelles structures et les moyens envisagés par le Gouvernement entraîneront l'adhésion du plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Blin, rapporteur.

M. Maurice Blin, rapporteur de la commission spéciale sur la recherche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un projet capital, celui de la réforme de la recherche française, sur laquelle planent aujourd'hui bien des ombres et beaucoup d'inquiétude.

Après les interventions des deux ministres qui ont en charge la recherche, après l'avis circonstancié du Conseil économique et social, le propos qu'il me revient de tenir, en tant que représentant de la commission des finances au sein de la commission spéciale, sera bref.

Constatons d'abord que cette programmation à cinq ans ne tombe pas du ciel. Le budget de 2005 et celui de 2006 qui l'inaugurent ont, en effet, déjà été marqués par une progression sensible des crédits alloués à la recherche, soit 1 milliard d'euros par an, progression qui sera poursuivie au cours des années qui viennent.

De plus, le financement récurrent des organismes de recherche traditionnels n'a pas été oublié : les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la MIRES, qui, hors programme « Vie étudiante », recouvrent l'ancien BCRD, c'est-à-dire la recherche civile, conduite par près de sept ministères, mais aussi et surtout la recherche universitaire, qui représente près de la moitié du total, ont d'ores et déjà augmenté de 700 millions d'euros en deux ans.

Il convient toutefois de noter que la part de la recherche à finalité militaire, proche à bien des égards de la recherche civile, en particulier dans les technologies de pointe telles que l'informatique ou le secteur spatial, aurait dû être mieux dégagée. Nous nous emploierons, au cours des mois à venir, à mieux cerner cette recherche duale, qui est l'un des points forts de nombre de pays voisins, en particulier la Grande-Bretagne, les États-Unis et la Suède.

Par ailleurs, des pistes novatrices sont ouvertes.

D'une part, le financement par projets appelle la création de plusieurs agences, dont nous parlera tout à l'heure plus longuement notre collègue Henri Revol.

D'autre part, il convient de souligner une incitation fiscale importante. Le statut de jeune entreprise innovante, créé dans la loi de finances pour 2004, permet de bénéficier d'une exonération totale d'impôt sur les sociétés pendant trois ans, puis d'une exonération de 50 % les deux années suivantes, le tout accompagné d'une exonération de charges sociales. Ces mesures s'inspirent des régimes tout à fait favorables que d'autre pays - toujours les mêmes, d'ailleurs ! - assurent à la jeune et performante recherche de demain. Il faut y ajouter l'amélioration et la pérennisation du crédit d'impôt recherche, dont la régulière montée en puissance depuis quelques semestres signe le succès.

Toutes ces mesures, mes chers collègues, visent un but cohérent : sans abandonner le financement de la recherche fondamentale, car celle-ci nourrit une recherche appliquée qui est la clé de la compétitivité de l'économie de demain et donc de l'emploi, il s'agit d'encourager une meilleure synergie entre ces deux types de recherche. En effet, recherche publique et recherche privée, loin de s'opposer, doivent nécessairement se compléter et s'appuyer.

Or la France, qui est l'un des pays du monde dont la recherche publique est la mieux financée par rapport à son PIB - 1% du PIB en 2003, seul chiffre aujourd'hui accessible - se caractérise, hélas ! par une inquiétante faiblesse de sa recherche privée.

Cela tient à notre histoire, aux guerres que nous avons connues, à la part éminente de l'État dans la naissance de la recherche nucléaire... Mais le passé est derrière nous ; c'est l'avenir qui nous attend, et il a un tout autre visage !

Nous devons donc aujourd'hui favoriser tout ce qui peut rassurer, réconforter, stimuler les jeunes chercheurs. Il faut qu'ils puissent trouver, comme ailleurs, des postes dans les entreprises privées.

La réforme dont nous allons débattre vise ainsi à rééquilibrer un système où les organismes de recherche gagneraient à se concentrer sur la croissance des moyens alloués à chaque chercheur plutôt que sur la seule augmentation du nombre de chercheurs. C'est ainsi que pourra s'améliorer, de façon significative, l'attractivité des carrières.

La programmation qui nous est proposée porte la trace de ces orientations. Le financement de la MIRES, et donc de l'ensemble des organismes, progressera de 2,3 % par an, chiffre très supérieur à celui de la croissance probable de l'investissement public au cours des années à venir.

En outre, un effort sensible est accompli en direction du financement de la recherche par projets, effort dont peuvent d'ailleurs bénéficier les organismes publics de recherche en plus de leur financement budgétaire. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit au cours de l'année qui s'achève.

Leurs crédits passeront - hors Agence de l'innovation industrielle, qui, vous le savez, sera chargée de la dynamisation de la recherche dans les petites et moyennes entreprises - de 350 millions d'euros en 2005 à 1,5 milliard d'euros en 2010. Quant aux avantages fiscaux, leur montant devrait passer de 950 millions d'euros en 2005 à 1,7 milliard d'euros en 2010.

Il s'agit donc bien d'un rééquilibrage, qui n'abandonne pas l'essentiel, mais qui cherche à corriger, à compléter, à fortifier, à gommer les points faibles traditionnels de la recherche française, la rapprochant ainsi de celle de nos concurrents.

Pour autant, si l'essentiel des orientations de ce Pacte pour la recherche mérite, évidemment, l'approbation de la commission spéciale, la commission des finances a souhaité que soient levées certaines ambiguïtés du texte, en particulier celles qui sont relatives au tableau de financement annexé à ce texte. Quelques amendements vous seront donc proposés. Le principal d'entre eux vise à lever, au sein de l'article 1er, la conditionnalité de la poursuite de l'effort engagé après 2007.

Le principe d'annualité budgétaire et l'entrée en vigueur de la LOLF, qui donnent au Parlement une meilleure visibilité de l'utilisation des crédits engagés, rendent, de toute façon, cette conditionnalité inutile. Nous faisons confiance aux chercheurs et nous ne doutons pas que, si les crédits engagés s'avéraient être mal utilisés, le Parlement saurait en tirer les conséquences.

Pour des raisons de clarté, de vérité et de transparence, le tableau en annexe a donc été rectifié afin d'inclure la programmation pour les années 2008 et 2009.

Je conclurai mon intervention en formulant trois brèves observations de caractère plus général.

Premièrement, l'application de la LOLF sera, à coup sûr, plus délicate dans le domaine de la recherche qu'ailleurs, dans la mesure où la relation entre les moyens et les résultats y est, par nature, aléatoire. Faut-il pour autant baisser les bras ? Non, bien au contraire ! C'est la raison pour laquelle, comme dans les pays les plus performants, du plus grand au plus modeste d'entre eux, des États-unis à la Suède, voire à la Finlande, sauf à risquer le gaspillage, l'évaluation qualitative des résultats est nécessaire.

L'évaluation est essentielle pour essayer d'arracher la recherche à la critique dont elle a souvent fait l'objet : où ces travaux nous mènent-ils ? Quels en sont les résultats ? Nous veillerons à ce que, chaque année, un rapport précis soit établi sur l'efficacité de la recherche de demain.

Deuxièmement, face à un budget comme celui de notre pays, sur lequel pèsent des déficits constants et graves, le souci d'économie est primordial. La France d'aujourd'hui est donc condamnée à donner la priorité à une recherche active et performante, c'est-à-dire à l'avenir, à la jeunesse et à l'emploi, et ce alors même qu'il lui faudra assumer des charges de retraites ou de santé liées au vieillissement de la population.

Ne nous cachons pas la cruelle vérité : nous devons faire un choix entre hier et demain, entre le passé et un futur qui se dessinera sous un jour nouveau lors du siècle qui s'annonce.

Troisièmement, la recherche a un coût, et l'effort financier qui sous-tend le Pacte dont nous allons débattre en témoigne. Mais elle est aussi affaire de culture et de foi.

Le pouvoir politique peut orienter la recherche, il doit la financer, mais il ne peut pas se substituer aux chercheurs, auxquels incombe - c'est l'honneur de leur condition - une poursuite exigeante de l'efficacité et un sens aigu de la responsabilité.

Souvenons-nous en, mes chers collègues, cette alliance étroite entre le droit et le devoir est le privilège, l'exemplarité, mais aussi le sang de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Valade, rapporteur.

M. Jacques Valade, rapporteur de la commission spéciale sur la recherche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de vous présenter les articles dont je me suis plus spécifiquement occupé, je rappellerai, à mon tour, que ce projet de loi constitue la partie législative d'un pacte plus large pour la recherche.

La stratégie ainsi proposée et mise en oeuvre par le Gouvernement constitue une réponse offensive adaptée aux enjeux auxquels est confrontée la recherche française. Elle n'oublie aucun volet de la politique à mener, et elle nous convient.

La France réaffirme ainsi son ambition en matière de recherche. Il y va de la qualité de la formation de sa jeunesse grâce à son enseignement supérieur, à ses universités, à ses grandes écoles et à ses instituts.

Par ailleurs, l'État définit, dans le cadre d'un large partenariat avec la communauté scientifique, les objectifs essentiels sur lesquels l'effort national doit porter en priorité, sans pour autant négliger une quelconque discipline - des sciences dites « dures » aux sciences humaines et sociales  - ou tout projet innovant qui serait présenté, les fameux projets « blancs » que l'on évoque à propos de l'Agence nationale de la recherche.

Ce texte nous paraît équilibré en ce qu'il permet tout à la fois de conforter les projets ambitieux en matière de recherche fondamentale et d'encourager la valorisation de la recherche.

Il conviendra de veiller au maintien de cet équilibre, afin que soit préservé un haut niveau de recherche fondamentale dans notre pays. Faut-il rappeler que ce n'est pas en cherchant à améliorer la combustion des bougies que l'on a découvert l'électricité ?

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Jacques Valade, rapporteur. La création de nouvelles structures de coopération renforcée entre les acteurs de l'enseignement supérieur et ceux de la recherche permettra de libérer les énergies et d'encourager les synergies. Elle devrait permettre de donner un nouvel élan ainsi qu'une meilleure lisibilité européenne et internationale à notre dispositif.

Le texte qui nous est proposé donne aux acteurs, publics et privés, les moyens de sortir des cloisonnements que nous déplorons à l'heure actuelle, tout en préservant l'identité propre de chacun d'eux, et nous nous en réjouissons.

Ce projet de loi est donc le fruit d'un compromis satisfaisant, mais il laisse, monsieur le ministre, transparaître certaines insuffisances et des interrogations.

Un certain nombre d'entre nous regrettent, en particulier, que le projet de loi n'aborde pas la question de l'autonomie et de la gouvernance des universités. À cet égard, la commission spéciale vous proposera un amendement qui ne touche que marginalement à cette question, mais qui tend à éviter que la simple absence physique de membres d'un conseil d'administration - par exemple au sein de l'université - suffise à faire échouer des prises de décision pour modifier des statuts ou des structures internes. Nous pensons, naturellement, à la constitution des PRES. Il s'agit, en fait, d'assouplir la règle du quorum.

Au-delà, nous formons le voeu que les résultats de ces expérimentations entraînent une évolution des mentalités suffisante pour que l'on puisse envisager, dès que possible, après constatation, la nouvelle gouvernance dont les universités françaises ont tant besoin.

Par ailleurs, il conviendra de veiller à la bonne articulation entre les différentes structures, d'autant que la création de nouvelles structures ne s'accompagne pas de la suppression d'organismes existants, à l'exception du volet « évaluation ». Nous avons cependant quelques inquiétudes sur la manière de rendre cohérentes les évaluations, notamment en ce qui concerne l'université et les grands organismes de recherche.

Le Gouvernement a choisi d'accompagner et d'encourager l'évolution des structures, qui reposera sur les initiatives propres des acteurs et sur l'expérimentation. Les acteurs se verront proposer, en quelque sorte, une fantastique « boite à outils » et il leur appartiendra de s'en saisir. Cette « boîte à outils » n'est pas vide : elle est pleine à la fois de nouveaux systèmes et de quelques moyens, et il faudra que les acteurs de la recherche sachent s'en servir.

Par conséquent, si nous soutenons la démarche proposée, car elle peut constituer un réel levier pour l'évolution rapide de notre système de recherche vers davantage d'excellence collective, nous relevons toutefois que le succès de cette stratégie reposera beaucoup sur la mise en oeuvre des mesures présentées.

Le Gouvernement devra donc veiller, monsieur le ministre, notamment par le biais des décrets d'application, à la clarification des positionnements respectifs des structures sur le plan tant national que local. Il faudra trouver un mode d'emploi clair pour la mise en oeuvre de cette stratégie.

Par ailleurs, nous devons pousser plus avant nos réflexions et propositions sur les moyens de renforcer l'attractivité des carrières scientifiques. Si la sécurité de « l'emploi à vie » constitue l'un des éléments d'attractivité du statut du chercheur français, la rigidité de ce statut est, à l'inverse, pénalisante : elle ne permet pas toujours de proposer des rémunérations suffisamment intéressantes ni de récompenser l'excellence.

Le Gouvernement a engagé des mesures importantes en la matière, mais elles paraissent encore timides au regard des réformes menées par nos partenaires étrangers.

Il conviendrait, en outre, de poursuivre dans la voie de la revalorisation des allocations de recherche, notamment en indexant leur évolution sur celle du coût de la vie. Des amendements intéressants ont été déposés à cet égard.

Il nous faut également améliorer les conditions d'entrée des jeunes docteurs dans la vie professionnelle, y compris pour contribuer au développement de la recherche privée.

Il importe aussi de trouver les moyens de valoriser le titre de chercheur et d'inciter les entreprises à avoir davantage recours à leurs services, sans qu'il y ait pour autant une obligation d'engagement.

J'insisterai, enfin, sur la nécessaire gestion prévisionnelle des effectifs - je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette préoccupation - et sur la lisibilité des recrutements, qui font trop cruellement défaut à l'heure actuelle.

Cette gestion prévisionnelle est pourtant essentielle si l'on veut attirer les jeunes vers les carrières scientifiques et assurer la relève des nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs qui prendront leur retraite dans la décennie à venir.

Enfin, méfions-nous des visions trop « quantitatives » en matière de politique de recrutement. En effet, il est essentiel que chaque chercheur dispose des moyens et des conditions de travail nécessaires à la recherche. L'accroissement du nombre d'emplois ne doit pas prendre le pas sur cet impératif.

Mes chers collègues, pour ce qui concerne plus précisément les articles dont j'ai la charge au nom de la commission spéciale, je vais vous présenter brièvement les orientations qui inspirent les amendements que je vous proposerai.

La commission spéciale a jugé qu'il convenait de procéder à la création du Haut Conseil de la science et de la technologie par voie législative, et M. le ministre délégué a bien voulu nous donner par avance son accord. Cette nouvelle instance consultative placée auprès du Président de la République constitue la pierre angulaire de la réforme. Nous nous sommes donc attachés à définir ses missions principales et sa composition.

Par ailleurs, je vous proposerai de compléter les dispositions de l'article 2 du projet de loi concernant les nouvelles structures de coopération entre les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il s'agit, en particulier, de leur donner une dimension européenne, en précisant que les établissements ou organismes concernés peuvent être français ou européens.

En outre, plutôt que de parler de « campus de recherche », nous vous proposerons d'appeler « réseaux thématiques de recherche avancée » les fondations de coopération scientifique destinées à conduire un projet d'excellence scientifique dans un ou plusieurs domaines de recherche. En effet, la notion de « campus » est trop limitée à la désignation d'un lieu : elle évoque un ensemble de bâtiments et quelquefois de services. Or notre dispositif va bien au-delà.

La commission spéciale a également souhaité, sur l'initiative de Pierre Laffitte, que les fondations « abritées » puissent conserver ou acquérir la personnalité morale afin qu'il n'y ait pas de superposition. L'amendement que notre collègue présentera est tout à fait explicite en cette matière.

La commission spéciale s'est réjouie de la réforme de l'évaluation que prévoient les articles 4 et 5 du projet de loi. Cependant, elle vous proposera de compléter ce dispositif.

En premier lieu, votre commission estime nécessaire de rebaptiser l'Agence d'évaluation de la recherche pour en faire l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, ou AÉRES, afin de tenir compte de l'ensemble de ses missions. Ce changement de dénomination fait suite à une demande expresse des universitaires et répond aux nouvelles missions que l'Agence aura à assumer.

En deuxième lieu, votre commission désire que soient précisées les missions et les modalités de fonctionnement des trois sections de l'AÉRES, chargées respectivement de l'évaluation des établissements, des unités et des procédures d'évaluation des personnes.

Enfin, en troisième lieu, votre commission souhaite que soit clairement confiée à l'AÉRES l'évaluation de l'Agence nationale de la recherche. Le fonctionnement de l'ANR recèle trop d'enjeux pour qu'elle ne soit pas elle-même évaluée.

S'agissant de l'amélioration des conditions d'activité des chercheurs, il nous est apparu nécessaire de conforter la place des femmes dans le secteur de la recherche. Le Gouvernement a également présenté un amendement sur ce sujet, et nous sommes tout à fait intéressés par sa proposition.

Afin que des actions soient entreprises pour remédier à la sous-représentation des femmes, je vous proposerai donc d'insérer un article additionnel après l'article 21 en vue de confier au Gouvernement le soin de présenter chaque année au Parlement un bilan des mesures tendant à assurer l'égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de la recherche.

Enfin, je vous proposerai trois amendements au titre IV du projet de loi, qui est consacré au statut de l'Institut de France et aux Académies, afin que soient mieux respectés les principes d'indépendance et d'autonomie de gestion dont celles-ci ont toujours pu se prévaloir au cours de leur longue histoire.

Pour conclure mon propos, je vous confirme que votre commission spéciale a accueilli favorablement le texte qui lui est présenté. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il s'agit là d'une formidable « boîte à outils », qui devrait permettre à la recherche française de maintenir, voire d'améliorer son rang dans la compétition internationale.

À vous, monsieur le ministre délégué, et à tous les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur, publics et privés, de créer un nouvel élan et de redonner des perspectives à l'ensemble de la communauté scientifique, notamment aux jeunes chercheurs sur qui repose pour une bonne part l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri Revol, rapporteur.

M. Henri Revol, rapporteur de la commission spéciale sur la recherche. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur du Conseil économique et social, mes chers collègues, le projet de loi de programme pour la recherche qui nous est aujourd'hui soumis est crucial pour l'avenir de notre pays. Il l'est au moins autant que l'effort budgétaire sans précédent qui a été accompli depuis deux ans par le Gouvernement et sa majorité.

Mme Hélène Luc. Et vous êtes loin du compte !

M. Henri Revol, rapporteur. Si je vous dis cela, c'est en raison d'une conviction personnelle qui a été confortée par le travail réalisé au sein de la commission spéciale présidée par Jacques Valade ainsi que par les déplacements organisés sur le terrain, dès 2004, dans les laboratoires en prévision du projet de loi. En effet, près de vingt membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, députés et sénateurs, sont allés dans leur région respective rendre visite aux chercheurs occupés à leur paillasse.

M. Pierre Laffitte. Absolument !

M. Henri Revol, rapporteur. Cette conviction est la suivante : en matière de recherche, les moyens sont indispensables, mais ils ne sont pas suffisants !

On entend beaucoup parler du lien entre l'effort de recherche et le développement, entre la croissance et l'emploi. Mais les choses ne sont pas si simples. Il se peut très bien que nous inventions de nouveaux services et de nouveaux produits, mais que ceux-ci soient ensuite fabriqués ailleurs. Il arrive même que tel ou tel grand contrat prévoie explicitement des transferts de technologie en faveur du pays acheteur, ce qui réduit, à terme, notre avance en termes de matière grise.

Telles sont les réalités du monde d'aujourd'hui, qui nous rappellent que l'augmentation de l'effort de recherche et de développement n'est pas une panacée, mais que celui-ci doit s'accompagner d'une réflexion sur des objectifs et des orientations qui en feront un facteur de développement sur le plan tant économique que sociétal. À quoi sert-il en effet de faire le plein de carburant si l'on ne sait pas au préalable quelle route on devra prendre ?

De ce point de vue, le projet de loi de programme pour la recherche est un réel progrès, car il augmente la capacité d'orientation de la recherche française, aussi bien sur le plan national que sur le plan local.

Sur le plan national, il permettra de redonner aux pouvoirs publics la possibilité de faire des choix. En effet, ce texte conforte et complète la nouvelle gouvernance de la recherche française. C'est au Gouvernement éclairé par un Haut Conseil qu'il reviendra de déterminer des priorités et de les faire mettre en oeuvre par les universités et les organismes au travers de leurs contrats quadriennaux et par les agences de moyens, l'ANR et l'AII, dont ces priorités sont la raison d'être.

Cette capacité de pilotage renforcée est aussi un gage de meilleure insertion dans l'espace européen de la recherche, qui fonctionne lui aussi par projets, pour ce qui est tant de la politique communautaire elle-même que des politiques nationales menées par nos partenaires.

Mais je vous rassure, mes chers collègues, le Gouvernement ne nous propose bien évidemment pas un retour nostalgique aux grands projets gaulliens, auxquels nous devons d'ailleurs beaucoup. Il nous propose de retrouver le souffle de cette ambition en l'adaptant aux réalités d'aujourd'hui, notamment en doublant la capacité d'orientation sur le plan national d'une même capacité sur le plan local.

En effet, comme l'a brillamment rappelé le président de la commission spéciale, Jacques Valade, le texte prévoit que les forces puissent être regroupées sur le terrain à l'échelle d'un territoire, au travers des PRES, ou d'une thématique, au travers des « campus » ou plutôt des « réseaux ». Le projet de loi vise à permettre ces regroupements là où ils sont nécessaires, là où ils sont possibles et, surtout, là où les acteurs le souhaitent.

Car il s'agit d'un projet de loi de confiance à l'égard des femmes et des hommes qui font la recherche : doctorants, post-doctorants, chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens. Ces personnels, nous sommes plusieurs, sur toutes les travées de cet hémicycle, à bien les connaître. À ce propos, je pense au partenariat « un chercheur-un parlementaire », actuellement organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en étroite collaboration avec l'Académie des sciences.

Cela est vrai de l'ensemble du Pacte pour la recherche. C'est donc dans cet esprit que j'ai souhaité, en ma qualité de rapporteur, continuer à améliorer le projet de loi qui nous a été présenté.

Mon action a plus précisément porté sur l'article 6, relatif aux missions d'expertise, sur l'article 7, relatif au statut de l'ANR, sur les articles 9 et 10, relatifs à la valorisation, sur les articles 12, 13 et 14, relatifs aux jeunes entreprises innovantes, et sur l'article16, relatif aux marchés publics.

Conformément au principe de confiance, les amendements que j'ai proposés à la commission spéciale ont été essentiellement motivés par le souci de permettre à nos équipes de recherche de pleinement disposer d'un cadre favorable à leur liberté et à leur créativité, au service de la recherche et de l'innovation de notre pays.

Tel est le cas pour l'article 6 du projet de loi, consacré à l'expertise. Je vous proposerai de mieux reconnaître cette mission importante des personnels de la recherche, qui correspond à des attentes fortes de la société. Elle doit être pleinement valorisée et accomplie dans des conditions de sécurité juridique pour nos chercheurs, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.

J'ai souhaité que les articles 9 et 10, qui permettent à nos équipes de recherche de mieux profiter des possibilités qu'offre la valorisation partenariale, puissent également bénéficier aux nouvelles structures de coopération, je veux parler des PRES et des « campus », que votre commission spéciale propose de renommer « réseaux thématiques de recherche avancée ». Permettre un recours plus libre et mieux encadré à des structures externes de valorisation est un gage de meilleure efficacité du lien entre la recherche et l'innovation, comme en témoignent des réussites que nous connaissons tous.

Votre commission spéciale proposera également de permettre aux PRES et aux réseaux thématiques qui le souhaiteront de créer des structures internes de valorisation sous la forme de services d'activités industrielles et commerciales.

S'agissant du personnel, nous vous proposerons de permettre aux titulaires de doctorats de toutes les disciplines de bénéficier des mêmes possibilités de mobilité professionnelle que celles qui sont aujourd'hui réservées aux seuls docteurs en médecine et en pharmacie.

Dans un tout autre domaine, celui des marchés publics, j'ai constaté que les règles du code des marchés publics pouvaient parfois constituer une entrave à l'expression du talent de nos chercheurs lorsqu'il est question d'achats directement nécessaires à des expériences scientifiques et à des activités de recherche. L'article 16 du projet de loi représente déjà un progrès en ce qu'il exonère les établissements publics de recherche du code français des marchés publics pour leurs achats de fournitures et de services nécessaires à la recherche. Votre commission spéciale vous proposera de l'améliorer sur trois points : d'une part, en étendant aux achats de travaux cette dérogation, étant entendu que les établissements resteront soumis aux seuils européens, c'est-à-dire 5,2 millions d'euros hors taxe pour les appels d'offres de travaux ; d'autre part, en élargissant cette possibilité aux écoles d'ingénieurs ; enfin, en sécurisant cette liberté nouvelle en permettant à chaque établissement de fixer ses règles internes de répartition des compétences en matière de marchés publics.

Les autres amendements que nous vous proposerons seront essentiellement des ajustements d'ordre technique ou organisationnel.

Nous souhaitons notamment une meilleure représentation parlementaire au sein du conseil de surveillance de l'Agence de l'innovation industrielle : trois sénateurs et trois députés au lieu de deux actuellement. Il s'agit d'un point spécifique, dans la mesure où cette agence n'est pas évoquée par ailleurs dans le texte. Ce débat me semble bien cependant l'occasion d'en parler.

L'examen de ce projet de loi peut d'ailleurs, au même titre, être utile pour évoquer le grand projet ITER.

La commission spéciale vous proposera la transformation de l'association qu'est actuellement l'Académie des technologies en un établissement public administratif.

Conforter le cadre de travail des chercheurs, ingénieurs et techniciens pour leur permettre de donner le meilleur d'eux-mêmes, c'est-à-dire poursuivre dans le sens tracé par ce projet de loi, voilà, monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, quelle a été l'orientation de mon travail et des amendements que mes collègues et moi-même avons rapportés devant la commission spéciale et qui vous seront présentés dans la suite de nos débats.

La loi de programme pour la recherche est un texte qui fera date, il mérite tout notre soutien. Même si sa confection a pris du temps, il peut encore, sur des points précis, être amélioré. C'est l'objet des amendements que présente la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la recherche et l'enseignement supérieur constituent des enjeux de civilisation que l'on ne saurait traiter à la légère.

Alors que le monde évolue de plus en plus vite et dans une complexité grandissante, il faut plus que jamais chercher, s'interroger, comprendre, inventer.

Ces enjeux, parce qu'ils sont la condition même du futur de l'humanité, ne peuvent être pensés sur le court terme. Les économies réalisées aujourd'hui pénaliseront les générations à venir, confrontées à de nouveaux défis que la science, faute de moyens, n'aura pu appréhender.

Tenter d'imposer de manière exclusive une certaine conception de la recherche limiterait l'aptitude de la science à s'adapter à un avenir que personne n'est en mesure de prévoir.

Ce n'est pas sur le chemin attendu que le Gouvernement a décidé de s'engager.

Après deux ans de mobilisation sans faille, la communauté scientifique a pris connaissance du projet de loi de programme pour la recherche, rebaptisé « Pacte pour la recherche ». La déception des chercheurs et enseignants-chercheurs est immense : elle est à la hauteur des espoirs qu'ils avaient nourris.

M. Ivan Renar. Personne n'était pour le statu quo. Tous souhaitaient une profonde réforme du système national de recherche et d'enseignement supérieur, réforme pour la conception de laquelle ils avaient émis un grand nombre de propositions concrètes et réalistes.

Ils se voient aujourd'hui proposer un texte d'ampleur très restreinte, lourd de menaces pour l'avenir de la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué. Les rapporteurs ont dit le contraire !

M. Ivan Renar. Des assises de Grenoble, qui avaient pourtant permis de déboucher sur un large consensus, il ne reste que le vocabulaire.

À l'exact opposé du projet des chercheurs et enseignants-chercheurs, l'esprit inhérent à ce projet de loi érige l'innovation, la recherche à court terme, au rang de priorités de la nation.

La recherche fondamentale y est très clairement négligée. (M. le ministre délégué fait des signes de dénégation.) L'essentiel de l'effort financier apparaît tourné en direction du secteur privé ; la recherche publique, affaiblie par des restrictions budgétaires successives, très partiellement compensées par les budgets de rattrapage de ces dernières années, doit désormais répondre prioritairement aux besoins des entreprises et du marché.

Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de créer une séparation arbitraire entre recherche fondamentale et recherche appliquée ; les deux types de recherche sont indissociables et se nourrissent l'une de l'autre. Votre message a été entendu, monsieur Blin !

En outre, l'enseignement supérieur a été totalement écarté du projet de réforme de la recherche, alors même que ces deux activités, menées conjointement au sein de l'université, se nourrissent elles aussi l'une de l'autre et sont inséparables.

De tout temps, savoir, progrès et liberté, ont été liés. Avec cet humour distancié propre aux scientifiques, le professeur Axel Kahn nous dit : « La science est l'entreprise de l'esprit dont le but est d'accéder à la connaissance, en particulier celle des lois de la nature. Ses moyens sont la raison, le langage, l'observation et souvent la mesure.

« L'aptitude à la connaissance est universelle, c'est même l'une des caractéristiques anthropologiques de l'homme, qu'il est possible de définir comme un primate curieux, ayant les moyens de connaître, de comprendre et de léguer ce qu'il a appris à ses successeurs ». (M. le président de la commission s'amuse de la citation.) On pourrait poursuivre, dans le même genre d'idées, avec le « certificat d'études primates supérieurs », monsieur le président de la commission, et L'Odyssée de l'espèce ! (Sourires.)

Qu'en est-il alors de la continuité entre connaissance et recherche, monsieur le ministre délégué, dans le projet de loi que vous présentez ?

Votre projet révèle l'absence de confiance du Gouvernement en la communauté scientifique. Celle-ci n'a aucunement été entendue. Elle a été moins encore associée à l'élaboration du projet de loi.

Plus grave encore, le Gouvernement a clairement exprimé sa défiance à l'égard des chercheurs, en choisissant de soumettre leurs activités aux seules décisions de l'autorité politique, unique responsable du pilotage de la recherche.

Face aux nombreuses lacunes, au manque criant de volontarisme du projet de loi de programme pour la recherche, il nous faut tracer une autre feuille de route pour ce secteur essentiel au devenir de notre pays.

C'est en s'appuyant sur les chercheurs eux-mêmes, en prenant en compte les réflexions issues des assises de Grenoble, que l'on parviendra à donner ce nouvel élan.

La démocratie ne saurait s'accommoder de contingences relevant des principes d'efficacité, de compétitivité ou de rentabilité, devenus sacro-saints.

Aussi est-il indispensable que la communauté scientifique, la société civile et le Parlement soient associés à la définition des grands axes de recherche.

Cela implique qu'ils soient représentés dans les instances telles que l'Agence d'évaluation de la recherche ou le Haut Conseil de la science et de la technologie. Pour garantir la pertinence et l'objectivité de leurs décisions, ces instances doivent impérativement être indépendantes de l'autorité politique. Il est ainsi plus que souhaitable que leurs membres soient élus ou, à défaut, proposés par leurs pairs, et non nommés unilatéralement par l'État.

Il faudra par ailleurs veiller à ce que la parité entre femmes et hommes soit respectée dans ces instances de décision, comme à tous les niveaux du système de recherche. À ce sujet, je voudrais rappeler que la place réservée aux femmes est le meilleur indice du développement d'une société. Le silence de la loi sur ce sujet est assourdissant, monsieur le ministre délégué

M. François Goulard, ministre délégué. Il y a un amendement !

M. Ivan Renar. Par ailleurs, le Haut Conseil doit disposer du pouvoir d'autosaisine.

Dans un souci de transparence et de respect du droit d'information des citoyens, les conclusions de ses travaux doivent être rendues publiques.

La communauté scientifique devrait être représentée à tous les niveaux de décision, d'où notre proposition de création d'un conseil scientifique de l'Agence nationale de la recherche, dont les membres seraient issus de l'ensemble des disciplines.

Un tel conseil permettrait de légitimer l'existence même de cette agence, aujourd'hui perçue comme le pilier de la refonte de la recherche publique.

Il s'agit en outre de revoir le rôle accru de l'Agence dans la programmation scientifique. Si les agences sont en mesure de soutenir les projets liés à l'innovation, les organismes sont bien mieux adaptés pour la recherche, parce qu'ils offrent aux laboratoires la possibilité d'inscrire leurs travaux dans des perspectives à plus long terme, grâce aux contrats quadriennaux.

On notera à ce sujet qu'en 2005 les appels à projets de l'ANR n'ont que peu concerné les travaux de recherche fondamentale.

M. François Goulard, ministre délégué. Cinquante pour cent !

M. Ivan Renar. Il sera donc nécessaire d'opérer, dès 2007, un important rééquilibrage des moyens répartis entre l'ANR et les structures de recherche au profit de ces dernières.

Plus globalement, il est urgent de reconsidérer la question des moyens financiers consacrés à la recherche. La programmation proposée demeure floue et nettement insuffisante.

Compte tenu de l'inflation et de la croissance du PIB, le financement public de la recherche ne connaîtra aucune progression. Pour atteindre l'objectif de Lisbonne, il manquera au moins 10 milliards d'euros. Aussi le budget de la recherche publique doit-il être significativement augmenté dès 2007.

D'ici à 2010, il importe de doubler les moyens des établissements de recherche et des universités, d'où la nécessité d'inscrire dans le Pacte une programmation à hauteur des besoins, faisant apparaître chaque année le montant des crédits budgétaires et la réaffirmation du caractère prioritaire du financement de la recherche publique.

L'État peut en outre agir plus résolument en faveur de la relance de l'effort des entreprises dans la recherche appliquée et l'innovation, mais encore faut-il que les effets des mesures engagées en ce sens puissent être évalués.

Pour être clair, je dirai qu'il n'est de recherche privée valable qui ne soit nécessairement adossée à une grande recherche publique.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Ivan Renar. Remédier à l'insuffisance des moyens matériels et financiers des universités et des laboratoires permettrait en partie de renforcer la recherche, de la rendre plus attractive.

Parallèlement, il faut lancer de grandes mesures en faveur de l'emploi scientifique. En premier lieu, il apparaît indispensable d'inscrire dans le Pacte un plan pluriannuel de l'emploi statutaire, les CDD et autres emplois temporaires n'étant pas adaptés à la nécessaire continuité des travaux scientifiques.

Ces mesures pour l'emploi sont d'autant plus urgentes que, dans les dix prochaines années, la moitié des chercheurs partiront en retraite. La simple compensation de ces départs ne permettra pas d'atteindre l'objectif de Lisbonne. Pour y parvenir, 4 500 à 5 000 emplois devraient être créés chaque année, d'ici à 2016.

Dans un contexte de désaffection des filières scientifiques et de crise des vocations, l'État doit engager un effort sans précédent pour promouvoir les métiers de la recherche.

Un signal fort adressé à notre jeunesse consisterait à revaloriser le montant des allocations de recherche, en tenant compte de l'évolution de l'inflation.

Parallèlement, le nombre des allocataires doit être significativement augmenté car, à l'heure actuelle, moins d'un cinquième des thésards seulement bénéficient de ces allocations.

Pour en finir avec la précarité des doctorants et post-doctorants qui, faut-il le dire, forment l'avenir de notre recherche, il est grand temps de définir un statut social du jeune chercheur et d'en finir avec le système des libéralités.

Mme Hélène Luc. Tout à fait !

M. Ivan Renar. Plus attractive, notre recherche doit aussi gagner en lisibilité. Son organisation doit être revue en profondeur.

Tout d'abord, il faut particulièrement veiller à ce que les dispositifs nouvellement créés ne se concurrencent pas.

Ainsi les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, conçus à l'origine pour améliorer la coopération pluridisciplinaire entre universités, grandes écoles et organismes, seront-ils phagocytés par la création des campus de recherche thématiques, pôles d'excellence drainant l'essentiel des financements.

M. Jacques Valade, rapporteur. Cela n'a rien à voir !

M. Ivan Renar. Ces campus briseront les liens établis entre l'enseignement supérieur et la recherche et affaibliront considérablement les disciplines économiquement non rentables.

On peut par ailleurs légitimement craindre que les régions ne disposant pas de puissants pôles de recherche ne soient privées de telles structures.

Pour toutes ces raisons, les campus ont reçu un accueil mitigé de l'ensemble des chercheurs et des universitaires, mais aussi du Conseil économique et social.

Il me semble donc impératif d'abandonner ce dispositif pour ne garder que les PRES, qui répondent à un réel besoin de mise en relation des divers acteurs présents sur un même territoire et qui permettront de renforcer les liens entre enseignement supérieur et recherche.

En atteignant une masse critique suffisante, les universités et les laboratoires de recherche bénéficieraient d'une meilleure visibilité internationale et deviendraient par conséquent plus attractifs.

Sur le plan de l'évaluation, le projet de loi de programme contribue là encore à complexifier, voire à opacifier le système existant.

Le Gouvernement entend créer une Agence d'évaluation de la recherche, censée chapeauter tous les dispositifs d'évaluation, tant des personnels que des institutions : laboratoires, universités, organismes et programmes.

Le flou le plus complet règne toutefois sur la mise en oeuvre de cette agence. Va-t-elle s'appuyer, pour constituer les équipes d'évaluation, sur le Comité national de la recherche scientifique, sur l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, sur le Conseil national des universités, ou va-t-elle procéder par nomination autoritaire d'experts ?

Ce procédé serait en contradiction avec les critères d'une bonne évaluation collégiale, d'une évaluation par les pairs, réalisée au niveau national, qui joindrait à l'évaluation des individus l'évaluation des structures au sein desquelles ils travaillent.

Une telle évaluation serait réalisée par des experts représentatifs, ce qui suppose une part importante d'élus des scientifiques aux côtés des experts nommés par les directions. De même, une généralisation des comités de visite des laboratoires est souhaitable.

Je dirai un mot de l'organisation de la recherche au niveau européen. Ce sujet est totalement absent du Pacte, alors que la France devrait être l'un des moteurs de la construction d'un espace européen de la recherche.

En ce sens, la France pourrait promouvoir la création d'un conseil européen de la recherche, chargé de définir quelques grands programmes stratégiques transnationaux, tels que de très grands équipements développés à l'échelle du continent.

François Jacob distinguait de façon imagée la « science de jour » et la « science de nuit », les deux aspects fondamentaux et inséparables de la science.

Je me fais un plaisir de le citer : « La science de jour met en jeu des raisonnements qui s'articulent comme des engrenages, des résultats qui ont la force de la certitude. On en admire la majestueuse ordonnance comme celle d'un tableau de Vinci ou d'une fugue de Bach. On s'y promène comme dans un jardin à la française. Consciente de sa démarche, fière de son passé, sûre de son avenir, la science de jour avance dans la lumière et la gloire.

« La science de nuit, au contraire, erre à l'aveugle. Elle hésite, trébuche, recule, transpire, se réveille en sursaut. Doutant de tout, elle se cherche, s'interroge, se reprend sans cesse ».

Vouloir dissocier les deux aspects que je viens d'évoquer, en privilégiant la seule « science de jour », relèverait d'une méconnaissance absolue des caractéristiques de la recherche. En d'autres termes, l'innovation et la recherche appliquée ne peuvent se développer sans articulation avec une recherche fondamentale forte.

Monsieur le ministre délégué, la réforme que vous présentez n'est pas recevable : elle manque d'ambition et relève d'une conception utilitariste de la recherche nocive pour l'avenir de notre pays. Il est indispensable de la transformer en profondeur. J'espère donc qu'elle sera largement amendée. C'est le sens et l'esprit des amendements déposés par le groupe CRC.

S'agissant d'une question aussi essentielle, l'intérêt supérieur du pays doit primer sur les logiques partisanes. Les acteurs de la recherche et l'opinion publique attendent beaucoup des élus de la nation, qui décideront, en conscience, de l'avenir sur le long terme de la recherche dans notre pays.

Je conclurai, monsieur le président de la commission spéciale, en convoquant Montaigne à cette tribune : « Quand bien même nous pourrions être savants du savoir d'autrui, au moins sages ne pouvons être que de notre propre sagesse. »

J'en appelle donc, mes chers collègues, à votre sagesse, afin de modifier ce projet de loi dans le sens souhaité par la très grande majorité des acteurs de la recherche. Soyez des semeurs de désordre - au sens thermodynamique du terme ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, permettez-moi en préalable de dire combien mon groupe et moi-même regrettons que le Gouvernement ait décidé hier, et ce malgré les engagements pris, de déclarer l'urgence sur le projet de loi de programme pour la recherche, ce texte qui était tant attendu.

M. Serge Lagauche. Très bien !

M. Jean-Léonce Dupont. L'examen du présent projet de loi était déjà prévu dans un calendrier parlementaire particulièrement chargé, pour ne pas dire insensé. La commission spéciale a commencé les auditions avant même que le projet de loi ne soit déposé sur le bureau du Sénat. Comme si de telles conditions de travail ne suffisaient pas, le Gouvernement vient de déclarer l'urgence. À notre sens, la recherche mérite mieux.

M. Jean-Léonce Dupont. La recherche est une activité fondamentale pour la croissance et l'avenir de notre pays. Notre compétitivité en dépend. Mais avoir une recherche n'est pas suffisant ; encore faut-il qu'elle soit active !

Les pays membres de l'Union européenne ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, en approuvant les objectifs de Lisbonne en 2000, afin de faire de l'Europe « l'économie de la connaissance la plus compétitive » de la planète. Ils recommandaient notamment d'investir massivement dans le domaine de la recherche et du développement, terreau essentiel à la préparation d'un avenir prospère pour notre pays.

Ainsi que cela a déjà été évoqué, les pays en développement comme la Chine ou l'Inde ont d'ailleurs très rapidement compris une telle nécessité. Ils ne se contentent plus seulement d'être les usines avec les coûts de main-d'oeuvre les plus faibles de la planète, mais ils cultivent désormais des pôles d'excellence et de recherche, afin de favoriser l'innovation, seule à même de leur apporter des productions à très haute valeur ajoutée. C'est seulement grâce à une telle culture de l'excellence et du résultat que les choses avancent. L'économie de la connaissance est devenue une priorité majeure.

Encore une fois, ne nous y trompons pas : apporter des moyens en masse est un objectif nécessaire, mais certainement pas suffisant. C'est bien toute la structure de notre système de recherche qu'il nous faut revoir aujourd'hui, afin de la tourner vers l'action.

Au mois d'avril dernier, Janez Potocnik, commissaire européen à la recherche, affirmait très justement : « Si nous, Européens, sommes bons dans la recherche fondamentale, nous le sommes beaucoup moins lorsqu'il s'agit de traduire des innovations en productions industrielles ». Il résumait ainsi l'une des principales lacunes qui caractérisent malheureusement notre système de recherche. Je pense très sincèrement qu'il est temps de mettre enfin en oeuvre nos savoirs et de briser les tabous qui paralysent le système.

Certes, il faut reconnaître nos mérites - et même notre excellence - dans plusieurs domaines, comme l'aéronautique, l'aérospatiale, la recherche médicale, l'énergie atomique et nombre d'autres.

Néanmoins, de tels exemples ne doivent pas masquer l'obsolescence du système, ses lacunes, ses redondances, la multiplication des structures d'évaluation et des agences et, surtout, le manque d'efficacité de certains investissements. Tous ces facteurs ont, me semble-t-il, participé au mal-être des chercheurs qui ont défilé dans nos rues en 2004.

Vous le comprendrez, monsieur le ministre délégué, dans une telle situation, j'aurais aimé - peut-être avec trop d'idéalisme -que le Pacte de la nation pour sa recherche que vous nous proposez aujourd'hui signe le grand soir de la recherche.

Dans un contexte mondial de concurrence accrue, la plupart des pays ont conduit ces dernières années d'importantes réformes de l'organisation de leur recherche, notamment afin d'accroître l'autonomie de leurs établissements et de renforcer les moyens qui y sont consacrés.

Qu'il s'agisse des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, de la Chine, de l'Inde, de la Suède et de bien d'autres pays, tous ont érigé la recherche et le développement au rang de priorité politique de premier plan.

Alors, monsieur le ministre délégué, je souhaite que la France aille dans le même sens et se réforme, afin d'être compétitive, attractive et innovante. Notre système de recherche doit aujourd'hui évoluer ; autrement, il est condamné à mourir. Pour cela, outre un financement à la hauteur de nos ambitions, plusieurs orientations de fond me semblent primordiales.

La première de ces orientations, déjà évoquée par M. le président de la commission spéciale, est le renforcement de l'autonomie et de la gouvernance des universités.

En France, de tels sujets font couler beaucoup d'encre. Mais, malgré quelques mesures de simplification, ils restent globalement jusqu'à présent lettre morte. Or ils recouvrent plusieurs éléments majeurs pour la vie des universités.

S'agissant de l'autonomie des universités, il nous faut évoquer la globalisation du budget, qui devrait permettre à chaque établissement de mieux maîtriser ses moyens, la dévolution du patrimoine immobilier, ainsi que la gestion du personnel.

À cet égard, une plus grande décentralisation de la gestion des ressources humaines serait plus efficace. En effet, en raison de la lourdeur des processus actuels, le remplacement d'un enseignant-chercheur, brutalement et définitivement empêché d'occuper son poste, prend en moyenne une année !

S'agissant de la gouvernance et des moyens de son amélioration, plusieurs mesures sont évoquées depuis longtemps.

Encore récemment, dans son rapport public sur la gestion de la recherche dans les universités, la Cour des comptes a relevé les mêmes problèmes et a proposé que soient franchies « sans tarder des étapes préalables à l'octroi aux universités d'une autonomie de gestion accrue, condition nécessaire pour que les universités jouent le rôle qu'elles sont seules à pouvoir bien jouer pour le repérage, le soutien et la promotion des projets nouveaux. »

Cela implique un changement dans le mode de gouvernance des universités. C'est ainsi que la Cour propose notamment la mise en place d'une direction de la recherche, le resserrement des conseils, le recours accru à la majorité simple, la clarification du rôle des unités de formation et de recherche, les UFR, afin notamment de tenir compte de la mise en place du système « licence-master-doctorat », ou LMD, et l'affirmation de l'autorité du président.

De telles modifications devraient permettre aux universités de disposer d'outils plus adaptés et plus réactifs et de libérer les initiatives. Les lourdeurs juridiques et administratives entravent la prise des décisions. Un professeur d'université a ainsi estimé que les chercheurs perdaient un tiers de leur temps à discuter, du fait de la complexité du système !

Cette réforme ressemble beaucoup à l'Arlésienne ; on en parle, on en parle et on en parle encore, mais elle n'est jamais mise en oeuvre, car tout le monde sait qu'elle est difficile. Il faudra pourtant bien y venir un jour !

Comme je l'ai déjà indiqué lors de la présentation du programme « Formations supérieures et recherche universitaire » de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2006, je regrette que le présent projet de loi n'aborde pas de telles questions.

Je reviendrai tout à l'heure sur les nouvelles structures juridiques de coopération que prévoit le texte, comme les PRES, en espérant que leur mise en oeuvre permettra une évolution des mentalités suffisante pour que l'on puisse envisager dès que possible la réforme de l'autonomie et de la gouvernance dont les universités ont tant besoin.

La deuxième orientation est une modification profonde du statut des chercheurs, associée à une évaluation performante.

J'ai conscience d'aborder ici un sujet tabou dans notre pays : le sacro-saint statut de « chercheur à vie », exception française, qui voudrait que tous les chercheurs maintiennent l'excellence scientifique tout au long de leur carrière. Malheureusement, tel n'est pas le cas !

Certains, vraisemblablement pionniers au début de leur vie de chercheur et probablement toujours très bons scientifiques, se sont transformés en rentiers tranquilles, qui ne découvrent plus grand-chose. Alors que leurs talents seraient mieux mis à profit dans l'enseignement ou dans l'industrie, ils occupent des places de chercheurs, des places qui, par ailleurs, nous font parfois défaut.

À l'heure où le « marché mondial de l'emploi scientifique » est une réalité et où le problème de l'expatriation de certains de nos meilleurs cerveaux se pose, je crois que le statut de « chercheur à vie » est obsolète et ne stimule pas la recherche. Les chercheurs suédois l'ont bien compris et ont renoncé à leur statut de fonctionnaire : leurs salaires sont désormais variables et ils sont évalués sur des critères internationaux.

Mme Hélène Luc. C'est vrai, mais la Suède consacre à la recherche une part de son PIB bien plus importante !

M. Jean-Léonce Dupont. À ma connaissance, la France est le seul pays à maintenir un système de « chercheur à vie ». Il faudra bien un jour avoir le courage de remettre cette situation en cause.

De même, le système d'évaluation français est trop complexe. Certes, la recherche est évaluée, mais il y a des dizaines de structures d'évaluation qui suivent des procédures différentes, peu transparentes et non conformes aux standards internationaux. Comme le soulignait un ancien président de l'Académie des sciences devant la commission spéciale, l'évaluation est mal faite, « en particulier, parce que les influences syndicales, géographiques et amicales prédominent ».

En outre, les conséquences des évaluations doivent être réelles, en termes tant de moyens que de projets ou de personnels. Accorder plus de moyens à des projets et des équipes qui le méritent doit devenir la norme, ce qui implique que l'on puisse décider de l'inverse aussi, le cas échéant.

Aujourd'hui, le véritable défi à relever est celui de l'attractivité des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans notre pays. Il est urgent d'y répondre et de faire face à la faiblesse des rémunérations, à l'insuffisance de la mobilité et de la synergie entre la recherche, l'enseignement et l'industrie, à l'évolution des carrières, lente et limitée, à un système d'obligations de services d'enseignement trop rigide et à une récompense insuffisante des projets d'excellence. Le projet de loi prévoit quelques avancées en la matière. J'y reviendrai.

La troisième orientation est une flexibilité du financement, accompagnée d'une culture de la sélection, du résultat et de sa valorisation industrielle.

Une nouvelle fois, le cas de la Suède, qui, je le rappelle investissait 4,3 % de son PIB dans la recherche et le développement en 2002, est à cet égard très intéressant. J'ai effectué en juin dernier une mission d'étude dans ce pays.

Une des caractéristiques de la politique suédoise de recherche est que les moyens publics consacrés comportent une partie fixe de crédits alloués aux établissements d'enseignement supérieur et, surtout, une part variable de financements alloués sur la base de projets présentés en concurrence aux agences gouvernementales, qui décident de la pertinence des projets et de ceux retenus. En outre, 80 % des fonds distribués par une université à ses propres équipes le sont sur la base de projets.

Un tel dispositif s'accompagne de partenariats très forts entre les universités et les entreprises, qui valorisent concrètement les travaux. Je précise que, chez nous, la mobilité des chercheurs publics vers les entreprises privées est très réduite : moins de 1 chercheur sur 200 passe chaque année d'une structure publique à une entreprise privée !

Le cas de la Suède n'est pas isolé. Des politiques plus ou moins similaires ont été décidées chez nos autres partenaires ou concurrents. On le sait, la conjonction « financement flexible et diversifié, sélection par projets et non par organismes et utilisation des travaux de recherche par l'entreprise » caractérise les pays qui ont investi dans la recherche et connaissent les meilleurs taux de croissance. Pourquoi pas nous ?

La quatrième orientation est un financement plus fort de la recherche par le secteur privé.

En effet, la recherche-développement des entreprises privées représente 63 % de la recherche-développement totale aux États-Unis et 74,5 % au Japon. En 2003, en France, l'effort de recherche et développement du secteur privé se situait à un peu plus de la moitié des dépenses de recherche.

En la matière, le projet de loi avance un certain nombre de pistes.

Avant d'en venir aux dispositions du présent projet de loi, examinons la situation actuelle : où en est la recherche ?

Mes chers collègues, la recherche française est malade.

En effet, si la France bénéficie d'une réelle tradition d'excellence scientifique, comme en témoigne l'attribution cette année du prix Nobel de chimie à Yves Chauvin, force est de constater que notre recherche va mal. Depuis dix ou quinze ans, face à une concurrence internationale accrue, la France est moins compétitive, en nombre de publications dans les grandes revues scientifiques comme en nombre de dépôts de brevets. Par ailleurs, les jeunes se détournent des études scientifiques et les meilleurs éléments s'expatrient.

Pour couronner ce constat pessimiste, deux classements mondiaux ont fait parler d'eux ces derniers mois. Dans le classement de l'université de Shanghai, seuls quatre établissements français figurent parmi les cent premières universités mondiales, Paris-VI figurant au meilleur rang français, et en quarante-sixième position seulement ! Dans le rapport annuel de l'OCDE, la France n'est classée, en termes de recherche, que dix-neuvième sur vingt-six pays étudiés.

Certes, ces classements doivent être relativisés, monsieur le ministre délégué, car la manière dont les universités françaises sont présentées nous dessert, me semble-t-il. Notre positionnement international est un handicap, dont nous sommes seuls responsables. Ces classements traduisent toutefois une perception assez médiocre de la recherche de notre pays à l'échelon international. Pour quelles raisons ? Quelles sont les faiblesses du système de recherche français ?

Ces faiblesses résultent d'abord d'une histoire typiquement française : à chaque insuffisance du système, on a créé des institutions, qui, aujourd'hui, se superposent et se dispersent. Les universités devant relever le défi du nombre des élèves - accueillis sans aucune sélection -, elles ont laissé leur part dans la recherche se dégrader.

Ensuite, l'enracinement territorial de l'enseignement supérieur a conduit à un maillage fin du territoire. Mais ce maillage a une contrepartie : une dispersion du potentiel, qui handicape l'émergence de pôles d'excellence.

La diversification transparente des établissements n'est pas acceptée en France et il n'est pas dans notre culture d'accepter qu'il existe de très bons établissements et d'autres plus standard. Or, on ne peut pas avoir que des établissements de standing international.

Par ailleurs, les structures internes sont trop complexes, ce qui constitue une entrave à la décision. Réagir à une perturbation relève en effet de l'exploit !

Enfin, au nombre des faiblesses du système de recherche français il faut citer également la fragmentation et le cloisonnement entre les grandes écoles, les universités et les grands établissements tels que le CNRS, ainsi qu'une trop grande dépendance des universités à l'égard du pouvoir central.

Je ne reviendrai pas sur le mode d'évaluation, le statut des chercheurs, la question de l'autonomie et de la gouvernance des universités, sur les modes de financement et l'absence de culture du résultat. Je me suis déjà exprimé sur ces sujets, mais, à mes yeux, ils participent aux faiblesses de notre système de recherche.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis constitue donc une évolution, non une révolution, monsieur le ministre délégué.

C'est pour répondre à ces problèmes que vous nous proposez ce Pacte pour la recherche, qui matérialise à la fois un engagement en termes de moyens pour l'État, malgré - il faut le souligner - un contexte budgétaire difficile, mais également, en retour, celui de toute la communauté scientifique.

Le projet de loi prévoit une programmation des moyens d'ici à 2010, avec un certain flou pour la période comprise entre 2007 et 2010. Les amendements de la commission spéciale visent à pallier cette lacune. Ils tendent en effet à prévoir une évolution en euros courants des moyens financiers prévus. J'espère donc qu'ils seront adoptés.

J'insisterai maintenant sur trois avancées intéressantes du projet de loi.

En premier lieu, j'évoquerai l'émergence d'une logique de projets autour desquels les moyens pourront être regroupés. Je veux parler de la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur et des fondations de coopération scientifique tendant à renforcer la synergie entre les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Je forme le voeu que ces nouvelles structures, qui pourront se constituer sous des formes juridiques variées et associer à leurs projets des entreprises et des collectivités territoriales, donnent naissance à des projets d'envergure mondiale et à des partenariats renforcés entre les universités et les entreprises.

En deuxième lieu, le système d'évaluation devrait être amélioré grâce, d'une part, à la mise en place de l'Agence d'évaluation de la recherche, autorité indépendante chargée d'unifier les procédures d'évaluation, et grâce, d'autre part, à l'affirmation du principe selon lequel toute activité de recherche financée, en tout ou partie, sur fonds publics fera l'objet d'une évaluation systématique. La transparence du système devrait être assurée par la publication des procédures et du résultat de ces évaluations.

En troisième et dernier lieu, la valorisation des résultats de la recherche sera encouragée. À cet effet, des crédits d'impôts sur les sociétés seront accordés. Les établissements d'enseignement supérieur et de recherche auront la possibilité de créer des structures partenariales pour gérer leurs activités de valorisation de la recherche. De même, les conditions dans lesquelles les chercheurs peuvent créer ou participer à la création d'une entreprise de valorisation de leurs recherches seront assouplies.

J'espère que ces trois orientations - logique de projets, évaluation et valorisation des résultats - constitueront des moteurs pour notre recherche et seront, à l'avenir, les principes de base de l'ensemble de notre système.

Pour conclure, comme l'a dit Maurice Blin, il faut faire évoluer la culture française.

Au début de mon intervention, je vous ai fait part de ma vision de la recherche française et expliqué vers quoi, selon moi, cette recherche devait tendre : elle est en effet un défi majeur pour notre avenir et pour notre position sur la scène internationale.

La France connaît un déficit public record et devra faire face dans les années à venir à un « papy-boom », avec toutes les conséquences en termes de paiement des retraites et de dépenses de santé.

Mme Hélène Luc. Eh oui ! C'est pourquoi ce projet de loi manque d'ambition. Il faut aller jusqu'au bout !

M. Jean-Léonce Dupont. Si notre pays n'investit pas aujourd'hui dans la recherche et dans l'innovation, seules sources de croissance et d'emploi, il va dans le mur. Ce qui n'aura pas été fait dès aujourd'hui ne pourra pas être fait demain, car il sera alors trop tard.

Je l'ai dit, le projet de loi et, plus généralement, le Pacte de la nation avec sa recherche vont dans le bon sens. Ils constituent un premier pas, une première évolution, qu'il conviendra de poursuivre.

Par ailleurs, je rappelle aux chercheurs que le sort de la recherche dépend avant tout d'eux, et non du Gouvernement ou du Parlement.

M. François Goulard, ministre délégué. C'est vrai !

M. Jean-Léonce Dupont. Nous tentons d'améliorer le système et de lui accorder plus de moyens. C'est la responsabilité des politiques. Toutefois, les chercheurs seront toujours les premiers acteurs de la recherche. Il est également de leur responsabilité que la recherche française demeure de très grande qualité. Pour cela, ils doivent faire évoluer leur mentalité et leur culture. Il leur faut s'orienter vers la sélection sur projets, la culture du résultat et de l'évaluation, ainsi que vers la valorisation industrielle de la recherche. À défaut, nous serons à la traîne, puis dépassés par nos concurrents étrangers.

Monsieur le ministre délégué, dans le contexte actuel, avec vos qualités, votre patience et votre efficacité, vous avez fait la totalité du possible, mais la totalité du possible n'est, pour moi, que le début du souhaitable ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, permettez-moi, pour commencer, de remercier M. le président de la commission spéciale d'avoir organisé des auditions nombreuses, diverses et de qualité.

Toutefois, vous vous en doutez, le ton du reste de mon intervention sera différent !

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. C'est déjà ça de pris ! (Sourires.)

M. Daniel Raoul. Le monde de la recherche attendait depuis longtemps un projet de loi sur la recherche. La création du collectif « Sauvons la recherche » en mars 2003, qui a abouti au lancement des états généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur à Grenoble, à l'automne 2004, rendait compte du malaise grandissant des chercheurs et de l'urgence qu'il y avait à remédier à la situation.

Les états généraux de la recherche ont donné lieu à un véritable foisonnement d'idées et à un quasi-audit gratuit de l'état de la recherche en France. Un certain nombre de propositions concrètes ont été formulées dans ce cadre.

Il y avait matière à puiser dans cette masse de réflexions et de propositions pour préparer un projet de loi susceptible de tenir compte des problèmes de la recherche aujourd'hui, de répondre aux attentes des chercheurs et de faire face aux besoins de la recherche pour l'avenir.

Des propositions faites à Grenoble, je ne reviendrai que sur celles qui avaient fait l'objet d'un consensus.

Il avait ainsi été suggéré de créer un Haut Conseil de la science et de la technologie, placé auprès de l'autorité politique et destiné à permettre « une prise de décision éclairée et transparente sur la politique de la recherche ». Vous avez retenu cette proposition, monsieur le ministre délégué. Par ailleurs, la création d'un Comité d'évaluation des opérateurs de recherche - que vous baptisez d'un autre nom - et de pôles de recherche et d'enseignement supérieur avait également été demandée.

Il avait été également demandé que la politique nationale de recherche soit intégrée dans une perspective européenne, perspective qui est singulièrement absente du projet de loi ; que les missions de la recherche publique soient affirmées et complétées ; que les moyens financiers nécessaires à l'accomplissement de celles-ci soient assurés ; que la coordination entre, d'une part, les établissements d'enseignement supérieur et de recherche - universités, grandes écoles - et, d'autre part, entre ces établissements et les PRES notamment soit favorisée.

Enfin, les chercheurs avaient souhaité que leurs carrières soient rendues plus attractives, grâce à la mise en place d'un véritable plan pluriannuel d'emploi, de revalorisation des carrières et des statuts, offrant des perspectives aux jeunes docteurs, afin d'éviter que les post-docs en particulier ne fuient aux États-Unis, par exemple.

Or, force est de reconnaître que Grenoble la montagnarde a accouché d'une souris ! En effet, ce projet de loi est particulièrement décevant si on songe à toutes les réflexions qui ont été menées, aux multiples débats qui ont été organisés et au travail considérable qu'ont réalisé non seulement les chercheurs, mais également les associations, les élus, sans oublier l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, qu'a évoqué notre collègue Henri Revol.

En comparant l'exposé des motifs et le texte du projet de loi, je me suis donc interrogé sur une possible erreur de brochage de l'imprimeur ! (M. le président de la commission spéciale sourit.)

Force est de constater également que ce projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux : certains de nos concurrents comme les États-Unis ou l'Asie ont depuis bien longtemps misé sur la recherche pour préparer l'avenir.

En France, quelles que soient les sources que l'on retienne, on voit que la part des dépenses consacrées à la recherche et au développement atteint difficilement 2,16 %. Ce taux est en régression par rapport à 2003, où il était de 2,2 %. Les dépenses de recherche et de développement atteignent 2,6 % aux États-Unis et 3,15 % au Japon.

À l'échelon européen, les efforts sont également bien minces : les Vingt-Cinq n'ont consacré que 1,9 % du PIB européen à la recherche et au développement. Il est donc urgent de redynamiser l'Europe de la recherche en lançant un grand emprunt européen, par exemple.

M. Pierre Laffitte. Tout à fait !

M. Daniel Raoul. Cette idée avait d'ailleurs déjà été évoquée voilà quelque temps. Un tel emprunt permettrait également de travailler en commun sur un véritable programme européen de recherche et d'aller au-delà du septième programme-cadre de recherche et développement technologique, PCRDT, ou du PIC.

Si nous ne voulons pas sacrifier l'Union européenne, nous devons donner de réelles impulsions à l'Europe de la recherche, au risque, sinon, d'un éclatement. Le contexte actuel, notamment budgétaire, qui est difficile et morose, plaide pour un tel sursaut.

En tout cas, ce n'est pas avec un tel projet de loi que nous parviendrons à atteindre les objectifs fixés à Lisbonne et à porter à 3 % du PIB notre effort en faveur de la recherche en 2010.

Le montant de programmation budgétaire inscrit dans ce projet de loi nous semble en effet insuffisant : il permettra tout juste de stabiliser les dépenses à leur niveau actuel, si l'on tient compte du rythme annuel de l'inflation, estimé à environ 2 %. Pour respecter ses engagements communautaires, l'État devrait considérablement accroître son effort actuel en faveur de la recherche publique.

Quant aux entreprises, elles devraient augmenter de 70 % leurs dépenses consacrées à la recherche. La multiplication des crédits d'impôt, des incitations et des exonérations fiscales permettra-t-elle d'atteindre ce taux ? En effet, de telles incitations peuvent aussi constituer, on l'a vu dans d'autres occasions, de véritables niches fiscales...

M. François Goulard, ministre délégué. Non ! Pas des niches fiscales !

M. Daniel Raoul. ... et entraîner des effets d'aubaine, sans toutefois avoir un effet structurant sur les territoires, comme on nous l'a fait remarquer lors des auditions menées par la commission. Le CAC 40 ayant atteint des sommets, les financements privés ne devraient pourtant pas manquer ! C'est donc bien qu'il y a aujourd'hui un blocage de l'investissement dans la recherche, autrement dit de l'investissement à long terme.

Les dépenses des entreprises en matière de recherche ne représentent que 1,2 % du PIB.

Force est encore de reconnaître que le monde de la recherche est inquiet. Car, in fine, un tel projet de loi portant sur la recherche, de l'amont à l'aval, et donc aussi sur la recherche fondamentale, est révélateur de la capacité de notre société à se projeter dans le long terme, de son potentiel d'invention et d'innovation futur. Il peut aussi révéler l'incapacité à mesurer l'urgence à agir et à prendre les mesures qu'impose la hauteur des enjeux. En matière de recherche, de recherche fondamentale notamment, le retard pris ampute d'autant les perspectives de croissance à venir.

La recherche finalisée est un tripode s'appuyant, d'abord, sur la découverte, ensuite sur l'innovation et, enfin, sur la recherche et développement. Doit-on rappeler que les grands progrès sont issus de recherches pour le moins iconoclastes ? Le président Jacques Valade a évoqué la bougie et la lampe, je pourrais pour ma part citer Pasteur ou la diode d'Esaki.

Or, ce que l'on constate, c'est que ce projet de loi est une occasion manquée pour la recherche fondamentale ! On note aussi deux grandes absentes : tout d'abord, l'université, autrement dit, il nous manque un projet de loi concernant l'enseignement supérieur, et, par ailleurs, l'Europe.

L'urgence de la situation ne justifie pas la précipitation. Or c'est précisément l'impression qui domine, monsieur le ministre délégué. On donne ici l'impression qu'il faut au plus vite répondre à la demande sociale qui s'est exprimée lors des états généraux de la recherche, ainsi que dans de nombreux débats et écrits.

Au lieu de redonner de la cohérence à la recherche et de la réorganiser de manière cohérente, ce projet de loi ajoute à la complexité actuelle. Le président Jacques Valade a parlé de boîte à outils ; moi, j'ai l'impression que la boîte déborde !

Et ce n'est pas l'urgence déclarée hier sur ce texte qui modifiera notre impression. Nous espérions beaucoup de la navette, car elle nous aurait permis certaines améliorations. Ce qui est marquant, et il faudra précisément s'interroger sur ce point, c'est l'absence de réelle volonté de structurer la recherche, d'aboutir à une véritable gouvernance, comme si, au fond, ce n'était pas l'objet de ce projet de loi de rendre plus efficace la recherche en répondant à ce souci.

Ce projet de loi est tout à la fois opportuniste, par rapport à une demande sociale importante, et dangereux dans la mesure où il risque de se traduire par une rationalisation des crédits de la recherche, autrement dit une redistribution sélective des ressources existantes entre les différents organismes par le biais des agences de moyens, comme l'ANR. Les chercheurs et les enseignants-chercheurs risquent de perdre plus de temps encore dans le montage de projets pour des résultats encore plus hasardeux.

C'est aussi face à une telle crainte que s'inscrit la demande émanant du monde de la recherche d'une meilleure répartition entre les programmes blancs, c'est-à-dire ceux qui ne répondent pas à une commande préalable, et les projets finalisés, de recherche plus appliquée. Nous avons déposé un amendement allant dans ce sens.

Au surplus, on a le sentiment que le Gouvernement semble accorder bien peu d'importance à ce projet de loi, puisque non seulement il en relègue l'examen en toute fin d'année, mais en plus il le saucissonne complètement.

En effet, nous commençons l'examen de ce texte ce vendredi après-midi, jour déjà inhabituel pour siéger, surtout après les efforts consentis ces dernières semaines, de jour comme de nuit, pour la discussion du projet de loi de finances pour 2006. Nous reprendrons notre débat mardi prochain, dans l'après-midi, après l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2005, puis nous nous interromprons de nouveau pour la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2006. Nous reprendrons alors dans la nuit les débats que nous n'aurons pas pu poursuivre dans l'après-midi. Enfin, excepté la journée de mercredi, où, manifestement, nous ne devrions pas être interrompus, nous serons amenés à clore la discussion sur ce texte le jeudi 22 décembre, après la discussion des conclusions de différentes commissions mixtes paritaires, sur le projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports, sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, sur le projet de loi d'orientation agricole, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2005 !

Avouez, monsieur le ministre délégué, qu'un tel « saucissonnage », n'est pas acceptable et qu'il n'est pas digne des enjeux !

Mme Hélène Luc et M. Ivan Renar. Tout à fait !

M. Daniel Raoul. Cette méthode de travail témoigne de l'intérêt et du degré de priorité qu'accorde ce gouvernement à la recherche !

Échec de la gouvernance, manque de volontarisme politique : une logique de laisser-faire plutôt qu'une logique de réorganisation est à l'oeuvre.

Aujourd'hui, la recherche manque de structuration. Il existe une multitude de lieux où se fait la recherche : les établissements publics scientifiques et technologiques, ou EPST, - INRA, INSERM, CNRS, INRIA, INED, IRD, LCPC -, les établissements publics à caractère industriel et commercial - CEA, IFREMER, ADEME, CNES, CIRAD, BRGM  -, les universités et leurs laboratoires, les écoles d'ingénieurs. Je vous épargnerai les sigles (sourires), mais il existe également une multitude de lieux de décision, tels que les divers conseils scientifiques ou la Conférence des présidents d'université.

Pour prendre un seul exemple, pouvait-on imaginer, lors de sa création, que le Commissariat à l'énergie atomique deviendrait l'un des leaders dans le domaine des sciences du vivant ?

M. François Goulard, ministre délégué. Cela date de l'origine !

M. Daniel Raoul. On constate une absence de dialogue, de concertation entre ces différents organismes de recherche, si bien qu'il peut arriver, par exemple, que deux laboratoires travaillant sur les mêmes questions et distants de quelques centaines de mètres ne communiquent pas entre eux. J'ai moi-même vécu cette situation.

Cette absence de connexion et de complémentarité entre les différents établissements et organismes de recherche aboutit à un véritable gaspillage. Même si les « success stories » sont nombreuses - vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur Valade, l'espace, Airbus, l'énergie nucléaire, la médecine -, ce sont des arbres qui cachent la forêt.

Or, loin de favoriser la mise en cohérence et la clarification, loin d'améliorer la visibilité entre les différentes structures existantes - je ne prétends pas que la tâche soit aisée, pas plus que je ne mésestime la capacité à réagir de mes ex-collègues quand ils sont confrontés à la nouveauté -, le projet de loi ajoute encore à la complexité en créant de nouvelles instances dont le rôle manque de précision - la définition en est renvoyée à un décret, par exemple -, et l'articulation avec l'existant demeure très floue.

Ainsi, aux EPST, aux EPIC, aux universités, viennent s'ajouter les PRES, les « campus de recherche » ou, dans la nouvelle dénomination choisie par les rapporteurs de la commission spéciale « les réseaux thématiques de recherche avancée », qui me semblent mieux correspondre à l'esprit qui doit être développé, les fondations, les instituts Carnot, les pôles de compétitivité. Quand tout cela s'additionne sur le même territoire, je vous laisse imaginer le chemin que doit parcourir un chercheur pour valider son projet !

À cela s'ajoutent aussi les agences de moyens, l'AII et l'ANR, sans oublier Oséo-ANVAR.

Mais ce n'est pas tout.

À ce qui précède il faut en effet encore ajouter le nouveau Haut Conseil de la science et de la technologie, dont on voit d'ailleurs mal le positionnement par rapport au Conseil supérieur de la recherche et de la technologie et par rapport au conseil scientifique de l'ANR ;  et je n'aurais garde d'oublier la nouvelle structure d'évaluation, l'Agence d'évaluation de la recherche !

Pourtant, les exemples de gouvernance efficace ne manquent pas, tels que le NIH aux États-Unis ou le MRC en Angleterre, qui ont fait leurs preuves.

Si certaines nouvelles structures semblent répondre à des demandes formulées, par exemple, lors des états généraux de la recherche, à y regarder de près, on s'aperçoit qu'elles n'en portent que le nom sans en avoir ni la consistance ni l'objet.

Ces ajouts de nouvelles structures à l'actuel enchevêtrement de structures existantes est inquiétant. Il aboutit à un véritable empilement de structures, à une superposition qui brouille encore plus la lisibilité du système.

Selon certains chercheurs, « cette opacité supplémentaire sert à dissimuler un objectif inavoué : faire dépérir les structures actuelles ». J'imagine mal qu'un gouvernement puisse nourrir un tel espoir !

Toutefois, semble en être significatif, par exemple, l'absence de liens juridiques entre les PRES, les campus de recherche et les fondations, puisque le texte ne les précise pas. Cela conduit à une véritable insécurité du point de vue de l'équilibre à trouver entre ces différentes structures et de la place à réserver à la recherche publique.

La question qui se pose en effet est de savoir comment, en définitive, les crédits se répartiront, notamment entre recherche publique et recherche privée. Quelle sera la place de l'université et de l'enseignement supérieur dans ce cadre ? N'y a-t-il pas un risque de privatisation rampante de la recherche par le biais des fondations ?

Le risque d'un développement de la « culture de projets », qui conduirait au démembrement de la recherche fondamentale, n'est, en tout cas, pas à écarter. Sur cette question, les propos tenus, ici ou là, par divers membres du Gouvernement sont apparus contradictoires, ce qui met en évidence, s'il le fallait encore, l'absence de cohérence.

Cette cacophonie des visions, ce manque d'orientation claire, sont particulièrement déstabilisants pour le monde de la recherche.

Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, qui s'est exprimé, sur cette question comme sur d'autres, a souhaité que les organismes de recherche se concentrent surtout sur les fonctions de financement de projets de recherche, notamment publique.

Permettez-moi de citer ses propos : « Je plaide pour que nos grands organismes soient recentrés sur leurs missions d'agences de moyens, qui financent, évaluent mais ne gèrent pas ou peu, sans que cela les empêche de conserver leur réseau de laboratoires propres. Leur rôle principal consisterait à accorder des financements sur projets à des équipes de recherche, notamment universitaires. Il leur reviendrait d'appliquer, au besoin en faisant appel à des experts internationaux, des critères très exigeants de qualité scientifique. »

Quelle est la place réservée, dans cette optique, à la nouvelle ANR ? Elle est ressentie comme une concurrente par les autres organismes. Je considère que les responsables des EPST ont d'ailleurs été très en retrait par rapport aux sentiments profonds dont ils nous avaient fait part lors des auditions.

Quant aux PRES, pôles de compétitivité, campus de recherche et fondations, on a entendu toutes sortes de choses les plus contradictoires. C'est précisément le flou de ce projet de loi et la superposition de nouvelles structures qui permettent ces conflits d'interprétations.

En réalité, ainsi que l'ont souligné de nombreux chercheurs, si le Gouvernement affirme vouloir soutenir l'ensemble de la recherche, depuis ses aspects les plus fondamentaux jusqu'à l'innovation, la réalité est tout autre. Sa seule priorité, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre délégué, c'est l'innovation. Or il ne peut pas y avoir d'innovation sans découverte.

À travers les pôles de compétitivité, « c'est sur l'aide privée que se concentre la faible croissance prévue, alors que la part des moyens affectés à la recherche publique et aux universités, par rapport au PIB, baissera », et ce mécaniquement dans le cadre budgétaire que nous connaissons.

Au final, les chercheurs soulignent le risque -  et il existe - d'une aggravation des inégalités : pour reprendre une expression qui a fait florès, « il va pleuvoir là où l'herbe est déjà mouillée » !

Loin de conforter la recherche sur un territoire avec le rayonnement international que cela suppose, les pôles de compétitivité risquent d'aboutir à une spécialisation des territoires sans structuration des activités sur le long terme.

Mais je reviens à l'ANR. L'Agence nationale de la recherche semble participer à l'assèchement de la recherche fondamentale. Selon M. Fillon, l'ANR devait être considérée, sur le plan des financements, comme un complément. Loin de jouer ce rôle, elle contribue à répartir les crédits de manière sélective en fonction des projets et en raccourcissant ainsi progressivement l'horizon et les temps, nécessairement longs, de la recherche. Je sais que l'un des rapporteurs a évoqué la rapidité, mais la recherche fondamentale suppose le temps long.

L'ANR « instaure un financement sur projets au détriment de l'augmentation du financement récurrent des laboratoires demandés par les chercheurs ».

Avec un drainage important des financements au détriment des laboratoires des organismes de recherche, « c'est un pilotage très fort de la recherche par le Gouvernement qui est instauré ». Les acteurs du monde économique, en particulier les industriels, « sont fortement impliqués dans le fléchage des axes de recherche à privilégier et bénéficient largement de ces financements ». Ce sont donc les domaines rentables à court terme qui risquent d'être sélectionnés en priorité. On ne peut pas demander aux entreprises de faire de l'investissement à long terme sans espoir de retour, autrement dit d'être des philanthropes.

Cela va conduire à l'abandon de pans entiers de la recherche jugés non rentables aujourd'hui, alors qu'ils seront peut-être déterminants demain - j'évoquais la lampe, la diode d'Esaki et les bactéries de Pasteur tout à l'heure - pour aborder tel ou tel problème majeur concernant l'ensemble de notre société.

Il faut aussi souligner - c'est un éclairage complémentaire - que les échelles de temps entre les PRES, les campus de recherche et les pôles de compétitivité sont différentes et difficilement compatibles. On comprend ici toute la complexité de l'articulation entre la recherche fondamentale, la recherche finalisée et la recherche valorisable sur le court terme, visant les débouchés marchands immédiats.

La recherche a besoin de temps longs : elle doit s'inscrire dans la durée, ce qui suppose des engagements financiers souscrits eux aussi sur la durée et des statuts de chercheurs qui ne soient pas précaires.

De ce point de vue, la précarisation de la recherche, avec la multiplication des contrats à durée déterminée, est fortement handicapante pour les chercheurs : si on ne leur ouvre pas l'horizon dégagé qui leur est nécessaire, on verra les meilleurs s'orienter vers la recherche finalisée. J'ajoute que les faibles perspectives de carrières, les statuts précarisés et les salaires que l'on sait rendent bien réel le risque d'assister au départ à l'étranger de notre potentiel humain de chercheurs.

Renforcer l'attractivité de la carrière des chercheurs est une priorité si nous voulons fixer nos chercheurs, en particulier nos post-doctorants, sur notre territoire.

La question de l'accroissement de l'employabilité des jeunes chercheurs dans le privé se pose avec acuité. On ne dynamisera pas la recherche et on ne donnera pas de réelles perspectives à nos jeunes chercheurs si ces derniers ne trouvent pas à s'employer également dans le privé. C'est la condition sine qua non du développement de la recherche, en particulier dans le monde industriel. Or force est de constater que les entreprises privées ne recrutent pas assez de jeunes docteurs. Des Américains que nous avions rencontrés lors d'un déplacement organisé par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, avaient eu le cynisme  de nous dire : « Vous fournissez les meilleurs docteurs, nous avons les moyens de les acheter. » 

Il est également nécessaire de revaloriser les bourses de thèses ainsi que les salaires des chercheurs et enseignants-chercheurs. Je sais, monsieur le ministre délégué, que votre ministère a été échaudé par une précédente loi, mais reconnaissez que, au-delà des grandes déclarations contenues dans l'exposé de motifs, avec lesquelles on ne peut qu'être globalement d'accord, le présent projet de loi ne fait qu'accroître davantage encore la précarisation des statuts, puisque le recrutement de 3 000 jeunes chercheurs pourrait se faire sur la base de CDD.

Ce n'est guère de cette manière que l'on rendra la filière de la recherche attractive ! Comme le soulignait un chercheur, l'âge moyen d'un recrutement se situe aujourd'hui, après des périodes de bourse et de post-doc, aux environs de trente-trois ans, pour un salaire net de 1 600 euros. Quant à celui qui s'engage dans la recherche avec un bac + 5, il perçoit moins que le SMIC ! Et l'on s'étonne de la pénurie de chercheurs qui menacerait la France avec le départ en retraite des générations du « papy-boom » ?

On doit aussi se poser la question de l'attractivité des études scientifiques : la baisse de niveau dans les classes scientifiques avant le bac ne laisse pas d'inquiéter sur ce que sera dans quelques années le niveau des étudiants et des docteurs !

Les représentants de la communauté scientifique, que nous avons tous reçus, ont lancé un appel aux sénateurs et députés ; cette initiative rend compte en tout cas d'un véritable malaise et d'une grande déception face au contenu d'un projet de loi qui risque de condamner la recherche fondamentale.

M. de Robien avait utilisé trois mots clés lors de la présentation de ce projet de loi à notre commission spéciale : lisibilité, efficacité, confiance.

Lisibilité ? Vous m'accorderez, monsieur le ministre délégué, qu'en empilant les structures on augmente l'opacité.

Efficacité ? J'en doute ! Faute d'une volonté - je ne parle pas de courage, car je pèse mes mots -, de restructurer l'ensemble de la recherche, les chercheurs pourront dorénavant être « ballottés » entre des politiques aux visées différentes selon les structures auxquelles ils seront rattachés.

Confiance ? Je crains que rien dans ce projet de loi ne rassure les chercheurs non plus que les organismes de recherche, malgré ce qu'ils ont pu nous dire en commission spéciale. Pour connaître un peu le fonctionnement de certains de ces organismes, je sais que l'inquiétude que suscitent les règles de fonctionnement de l'ANR est assez forte, notamment dans ces trois importants établissements que sont le CNRS, l'INSERM et le CEA.

Une complémentarité aurait pourtant pu être instaurée entre l'ANR et les organismes de recherche, en particulier en prévoyant l'allocation de primes -  grants en anglais - à des projets sélectionnés par ces derniers ; cette avancée aurait pu rassurer.

J'espère encore, monsieur le ministre délégué, que nous pourrons améliorer ce projet de loi, même si, hélas, il ne doit faire l'objet que d'une seule lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons est très attendu.

En réponse au souhait du Président de la République de faire du développement scientifique de la France une priorité, le Gouvernement s'engage sur la voie d'une rénovation ambitieuse du système national de recherche et d'innovation, en étroite collaboration avec tous les acteurs qui y concourent.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre délégué, les faiblesses de notre système de recherche sont désormais bien connues et l'heure n'est plus à la discussion des résultats d'enquête. Qu'il s'agisse des publications, des brevets, des distinctions internationales, du rayonnement général de la science française, nos résultats sont insuffisants. Pourtant, la France bénéficie d'une longue tradition d'excellence scientifique et compte des scientifiques de grande valeur.

Ce paradoxe vient de notre incapacité à nous adapter. N'oublions pas que l'organisation actuelle de la recherche a été mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, le contexte est très différent. L'économie se mondialise, la concurrence ne cesse de s'intensifier, les secteurs scientifiques qui semblent les plus porteurs changent.

Il nous faut trouver un nouvel élan. Notre dynamisme économique en dépend, et donc nos emplois.

Je ne détaillerai pas l'ensemble du dispositif, il vient d'être décrit, mais je souhaiterais souligner plusieurs avancées, et tout d'abord celles qui concernent les moyens.

Cette réforme impose de dégager des moyens financiers importants.

Notre assemblée vient de voter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » dans le projet de loi de finances pour 2006 : pour la seconde année consécutive, comme il s'y était engagé, le Gouvernement accroît d'un milliard d'euros les crédits destinés au financement de la recherche, augmentant ainsi de 5 % sur une année l'effort public en la matière.

Dans un contexte de stabilisation des dépenses publiques, cet effort est significatif. Il vise à respecter l'objectif fixé à Lisbonne en mars 2000, qui prévoit de porter les dépenses de recherche de chaque État membre à 3 % du produit intérieur brut en 2010.

Il importe cependant de préciser que tous les acteurs doivent se sentir impliqués.

Les dépenses en recherche et développement provenant du secteur privé restent insuffisantes. Le retard ne sera comblé qu'à la condition que les industriels investissent eux-mêmes beaucoup plus.

Le Gouvernement est déjà intervenu pour inciter les entreprises à investir avec la création de pôles de compétitivité et le crédit d'impôt recherche. Dans le projet de loi, il ajoute une incitation fiscale au dispositif existant et encourage les relations contractuelles entre établissements publics et structures privées. Je me réjouis de ces encouragements à la recherche privée et je souhaite, monsieur le ministre délégué, que cette dynamique soit poursuivie.

S'agissant toujours des moyens alloués à la recherche, je tiens enfin à souligner que, contrairement à ce qui a pu être dit dans la presse, les grands organismes de recherche bénéficient de moyens accrus : ils perçoivent 164 millions d'euros de crédits supplémentaires. L'effort consacré à l'emploi scientifique au sein de ces organismes est important puisque 1 000 postes, sur les 3 000 prévus pour l'ensemble de la recherche, y sont créés.

Autre point que je souhaiterais évoquer, la définition des priorités pour notre nation. Il est prévu de créer un Haut Conseil de la science et de la technologie.

Organe consultatif composé de personnalités de très haut niveau, le Haut Conseil éclairera les décisions du Gouvernement. Il s'agira d'un instrument essentiel de pilotage de notre politique de recherche. Je m'associe au souhait du président de la commission spéciale, Jacques Valade, de procéder à la création du Haut Conseil par la voie législative, donc en l'intégrant dans ce projet de loi.

Face à l'importance des moyens de la recherche américaine, face aussi à la détermination manifestée par les nouveaux pays concurrents, la France doit mieux identifier ses domaines d'excellence afin d'orienter davantage de moyens vers eux.

Il est également nécessaire d'identifier les domaines qui joueront un grand rôle dans les années à venir afin de leur consacrer, à temps, le soutien nécessaire. En France, la capacité de définir des priorités, de développer des stratégies et d'obtenir des résultats semble s'être émoussée avec le temps.

J'ajouterai que la création du Haut Conseil sera un gage de transparence essentiel dans un contexte de méfiance de l'opinion publique à l'égard des progrès de la science.

On voit bien qu'il s'agit non pas d'une institution bureaucratique de plus, mais d'une institution qui répond à une nécessité, d'ailleurs reconnue par tous les pays.

Autre sujet : l'évaluation de la recherche, qui constitue un point faible. Elle est aujourd'hui disparate, hétérogène, tant de par ses acteurs que de par ses méthodes, chaque organisme ayant son propre système d'évaluation. L'affectation des crédits ne se fait pas de manière suffisamment transparente. L'évaluation a posteriori des projets est quasi inexistante.

En conséquence, l'évaluation de la recherche est insuffisamment reconnue et respectée en France.

La recherche française n'a pas cette culture de l'évaluation qui joue un rôle central pour les universités ou pour les instituts de recherche au Royaume-Uni, en Finlande, au Japon et en Suisse, pays où l'évaluation de la qualité des projets conditionne, en partie, l'affectation des crédits publics. Reposant sur des critères mesurables découlant des meilleurs standards internationaux, les systèmes de ces pays permettent de récompenser les chercheurs les plus performants et de favoriser l'émulation entre les centres de recherche.

Je me réjouis donc de la création de l'Agence d'évaluation de la recherche, car elle permettra une évaluation systématique ; une évaluation de qualité grâce à des pairs reconnus, notamment européens et internationaux ; une évaluation transparente s'appuyant sur des critères, des évaluateurs et des conclusions connus de tous, et, enfin, une évaluation suivie d'effets.

Au-delà de ces principes, je m'associe au souhait de notre commission de voir préciser les modalités de fonctionnement de l'Agence dans ses évaluations respectivement des établissements, des unités et des personnes.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre délégué, pour veiller à l'efficacité de cet organisme, qui doit devenir la clef de voûte de l'évaluation scientifique.

J'évoquerai maintenant ce qui me paraît être l'avancée déterminante que constituera le présent projet de loi pour notre système de recherche : le regroupement des acteurs de la recherche dans de nouvelles structures de coopération.

Les différents classements internationaux révèlent deux faiblesses : nos pôles universitaires sont trop petits pour être visibles et donc pour pouvoir attirer les meilleurs enseignants, chercheurs et étudiants ; nos acteurs sont trop dispersés sur les grandes thématiques de recherche, en particulier les thématiques d'avenir.

Partant de ce constat, le Gouvernement adopte deux démarches complémentaires.

Les PRES, c'est-à-dire les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, répondent à une logique de site. Les acteurs travaillant sur un même territoire pourront se regrouper pour renforcer l'efficacité de leurs actions et pour accroître leur reconnaissance internationale. Cela permettra aux universités, aux grandes écoles, aux centres de recherche publique et aux entreprises de travailler ensemble.

Les « réseaux thématiques de recherche avancée », si cette appellation est retenue, répondent, eux, à une logique thématique. Les acteurs se regrouperont pour étudier un projet scientifique précis, un grand thème de recherche ayant une importance pour notre pays à l'échelle internationale.

Des outils sont ainsi proposés pour favoriser des regroupements dont certains sont d'ailleurs déjà amorcés. En effet, la réforme s'appuie d'abord sur la force des initiatives locales. Je citerai l'exemple de Bordeaux, où quatre universités, un institut d'études politiques et quatre grandes écoles ont signé au printemps dernier une charte définissant une stratégie commune.

M. François Goulard, ministre délégué. Absolument !

M. Christian Demuynck. Ils souhaitent mutualiser un certain nombre de services, créer une maison des langues ou encore développer les échanges interdisciplinaires.

Le pacte pour la recherche leur fournira un certain nombre d'outils et de cadres souples. Parce qu'elle repose sur le volontariat, la démarche adoptée devrait rencontrer un plein succès.

C'est l'occasion de souligner une faiblesse profonde du système de recherche français : l'enseignement supérieur n'occupe pas la place qui devrait être la sienne.

Le modèle anglo-saxon a fait ses preuves : l'université y est l'unité de base et la référence.

En France, l'histoire de la recherche s'est construite différemment. Les grands organismes spécialisés tels le CNRS, l'INSERM ou l'INRA, ont assuré des activités de recherche tandis que les universités exerçaient essentiellement une mission d'enseignement. La massification de l'enseignement supérieur a encore joué au détriment des activités de recherche dans les universités.

J'espère que la dynamique engagée aujourd'hui permettra d'aboutir à davantage d'autonomie pour nos universités. Je vais, comme notre collègue Jean-Léonce Dupont, citer le rapport de la Cour des comptes, qui propose que soient « franchies  sans tarder des étapes préalables à l'octroi aux universités d'une autonomie de gestion accrue, condition nécessaire pour que les universités jouent le rôle qu'elles sont seules à pouvoir bien jouer pour le repérage, le soutien et la promotion des projets nouveaux ».

Sans doute ne peut-on pas aller trop vite. La création des PRES et des réseaux thématiques de recherche avancée me semble être un premier pas. Comme l'a relevé notre commission, les résultats de ces expérimentations pourront entraîner une évolution des mentalités suffisante pour que l'on puisse envisager, dès que possible, la nouvelle gouvernance dont les universités françaises ont tant besoin.

En conclusion, je noterai que ce projet de loi est une pièce d'un ensemble qui se construit par étapes. Je pense aux mesures déjà prises, nombreuses, et à d'autres, à venir, notamment pour renforcer l'attractivité de notre territoire, pour aider nos jeunes chercheurs. Dans cette réforme d'ampleur, la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire. La commission spéciale ayant procédé à de nombreuses auditions, nous pouvons dire combien cette volonté est présente.

Cette année, pour la première fois depuis dix-huit ans, le prix Nobel a été attribué à un Français, le chimiste Yves Chauvin. Cette marque de reconnaissance de la vitalité de la recherche française et de l'excellence de ses chercheurs est un signe qui vient à propos pour nous encourager à poursuivre nos efforts et notre réflexion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le ministre délégué, si, comme mon collègue Pierre Laffitte, je souscris à l'essentiel du texte que vous nous proposez, je regrette le silence du projet de loi sur la dimension internationale de la recherche et sur la solidarité avec les pays du Sud.

Le Haut Conseil de la coopération internationale, dans un avis du 16 décembre 2004, il y a donc exactement un an, attirait l'attention du Gouvernement sur la nécessité de renforcer la recherche pour le développement dans la réflexion menée sur l'avenir de la recherche en France.

Cet avis préconisait la création, au sein de l'Agence nationale de la recherche, de programmes transversaux en phase avec les objectifs du millénaire pour la réduction de la pauvreté de façon à permettre un partenariat avec les communautés scientifiques du Sud. Il était souhaité aussi, dans cet avis, la nomination de scientifiques étrangers du Sud dans le futur Haut Conseil de la science et de la technologie.

Le 18 mai 2005, c'est-à-dire il y a un peu plus de six mois, le CICID, Comité interministériel de la coopération internationale et du développement,  a préconisé que l'enseignement supérieur et la recherche pour le développement deviennent un nouveau chantier prioritaire de notre politique d'aide au développement, les ministères respectivement chargés de la recherche et de la coopération devant s'engager à une meilleure coordination et à un meilleur suivi de la politique française en matière de recherche pour le développement par un pilotage conjoint.

Des orientations stratégiques étaient esquissées pour les deux organismes dédiés à cette recherche : l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement, et le CIRAD, le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Et il est envisagé de prévoir, au sein de l'Agence nationale, un programme consacré aux maladies émergentes et des programmes dont les thématiques concerneraient spécifiquement les pays du Sud.

La recherche scientifique est un enjeu stratégique pour tous les pays, y compris pour les plus pauvres. Or les écarts Nord-Sud en matière de science s'accroissent plus vite que les écarts de revenus, et la domination scientifique du Nord s'accentue. Une coopération scientifique renforcée et spécifique entre pays riches et pays pauvres est donc nécessaire pour soutenir le développement durable de ces derniers.

Source d'innovations productives et de capacités à trouver des solutions spécifiques à leurs problèmes, la recherche scientifique leur permet en effet de mettre au point les méthodes et processus susceptibles de valoriser leur potentiel, et de surmonter leurs contraintes. La recherche scientifique est partout signe et acte de développement.

La recherche pour le développement est une recherche vitale pour les pays en développement et pour l'avenir du monde, pour des raisons tout à la fois éthiques, stratégiques, économiques et scientifiques.

Pour des raisons éthiques, d'abord. Plus d'un milliard d'individus vivent avec moins de un dollar par jour. Des changements profonds dans les politiques de ces pays sont nécessaires pour leur permettre de satisfaire les besoins les plus élémentaires : accès à l'alimentation, aux soins primaires, à l'eau potable ; on estime aujourd'hui que 8 millions de personnes meurent chaque année des suites de la consommation d'eau non potable. La recherche doit faire connaître les résultats de ses travaux pour favoriser les réorientations nécessaires. Cela relève de la solidarité Nord-Sud.

Pour des raisons stratégiques, ensuite. La réduction des inégalités Nord-Sud est une condition à l'apaisement des conflits qui traversent la planète et menacent d'engendrer des déséquilibres irréversibles.

Pour des raisons économiques, également. Des réorientations radicales devront être opérées si l'on veut arrêter de dilapider les ressources naturelles. Le développement a besoin de nouveaux modèles techniques et d'innovations, respectueux des caractéristiques du milieu, que la recherche peut contribuer à mettre au point.

Pour des raisons scientifiques, enfin. Les grandes questions de la planète, dans le domaine de l'environnement comme dans celui du développement économique, se posent dans le Nord comme dans le Sud.

La recherche pour le développement s'appuie sur deux organismes, l'IRD et le CIRAD, qui disposent d'un vaste réseau de centres localisés dans les pays du Sud, et totalisent à peu près 2 500 chercheurs expatriés. Elle s'appuie également sur la contribution d'autres organismes, comme l'Institut Pasteur, l'INSERM, le CNRS, l'INED, l'INRA, l'ANRS, et sur la recherche universitaire.

Cette recherche a permis, au cours des années, l'approfondissement des connaissances des milieux tropicaux, des économies et des sociétés des pays en développement et a permis de développer un réseau de relations et de partenariats entre les pays du Sud et de très nombreuses institutions de recherche et universités des pays du Nord.

La recherche pour le développement - 195 millions d'euros dans le budget pour 2006 - venant d'être réaffirmée comme une priorité de notre politique d'aide publique au développement, je pense qu'il est important que la dimension internationale soit rappelée dans le projet de loi qui nous est soumis.

C'est pourquoi nous avons déposé avec mon collègue Pierre Laffitte un amendement dans ce sens. Je souhaite, monsieur le ministre délégué, que vous donniez un avis favorable à cette proposition. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Vous indiquez, monsieur le ministre délégué, dans un article publié le 26 novembre dans Les Échos, que ce projet de loi de programme pour la recherche tend à « diffuser la culture de la recherche dans l'entreprise ». Je crains, pour ma part, qu'il ne s'agisse, en réalité, de diffuser une certaine culture d'entreprise dans la recherche.

En effet, ce projet de loi fait apparaître une nouvelle notion fondamentale, celle de compétitivité. Si vous n'osez pas aller jusqu'à parler de la rentabilité de la recherche ou de la mise en concurrence des acteurs de la recherche, vous posez quand même les prémices de l'assujettissement aux impératifs du marché d'un domaine supplémentaire.

L'orientation pour la recherche donnée par le Gouvernement est, en effet, celle de l'accroissement de l'aide à la recherche privée, au détriment de la recherche publique et de la recherche appliquée.

Ainsi, l'effort pour la recherche fondamentale, qui représentait 64% du budget en 2004, tombera à 37 % en 2010. L'effort pour le transfert et l'innovation passera, lui, de 32% en 2004 à 63% en 2010. En 2006, 75% des financements publics seront des aides à la recherche privée.

Alors qu'il aurait fallu, sur tous les fronts, public comme privé, permettre le développement de la recherche, vous faites, une nouvelle fois, le choix d'opposer l'intérêt général et les intérêts privés.

Que l'on se comprenne bien, ma critique ne porte pas sur l'importance de l'aide au secteur privé de la recherche, même si son organisation mérite discussion, mais il ne me semble pas pertinent de vouloir développer l'innovation industrielle en laissant dépérir les recherches fondamentales, sources de futures innovations.

En outre, l'engagement pris lors du sommet européen de Lisbonne de porter l'effort de recherche à 3% du PIB impose de prendre de nouvelles dispositions en faveur de la recherche industrielle : elle représente aujourd'hui 1,4 % du PIB et devrait atteindre 2 % en 2010.

Pour atteindre cet objectif, des efforts restent donc à faire.

Prenons quelques exemples : malgré 5,2 milliards de profits en 2004, et une rentabilité voisine de 18 %, Sanofi-Aventis a fermé le centre de recherche de Romainville, deuxième centre de recherche pharmaceutique français. Le groupe Total, avec 9 milliards de profits en 2004, et bien davantage en 2005, n'a pas réalisé l'intégralité de son budget de recherche cette même année.

Les entreprises publiques ou récemment privatisées ne sont pas en reste. Ainsi, l'effort de recherche de France Télécom, qui a baissé, ne représente plus que 1,9 % du chiffre d'affaires.

Concernant EDF, le ratio entre le budget consacré à la recherche et le chiffre d'affaires est passé de 1,7 en 1998 à 0,9 en 2003, ce qui se conjugue à une baisse des effectifs en recherche qui atteindra 27 % en 2007.

À GDF, les effectifs ont baissé de plus d'un tiers en à peine sept années. Comment ne pas mentionner, à cette occasion, l'abandon d'une véritable politique industrielle du pays, les processus de privatisation n'ayant été accompagnés d'aucune réflexion de la puissance publique sur le rôle de l'État dans la recherche industrielle ?

Il y a alors, effectivement, urgence à développer une véritable politique industrielle fondée sur la recherche, et de grands programmes d'innovation pour répondre aux enjeux environnementaux, énergétiques et sanitaires.

Pourtant, il n'est pas question de cela dans ce projet de loi. Pour connaître les actions gouvernementales en faveur de l'investissement privé dans la recherche et les efforts de financement public en faveur de l'innovation, il faut, en réalité, se référer à la loi de finances pour 2006.

En effet, si le budget est en augmentation de un milliard d'euros, ces crédits supplémentaires seront largement destinés aux financements de projets finalisés répondant aux objectifs de rentabilité à court terme, notamment par le biais des nouvelles agences de moyens.

Ainsi, l'Agence de l'innovation industrielle, ayant vocation à financer les grands programmes d'innovation industrielle, recevra un milliard d'euros, financé par les privatisations des entreprises publiques. Il s'agit, par ce procédé, de soutenir l'entrée d'entreprises françaises sur des marchés innovants pour lesquels une demande devrait émerger dans cinq à dix ans.

En fait, donc, on abonde des projets déjà financièrement rentables. Ne serait-il pas plus utile d'élargir les prérogatives de cette agence à de grands programmes nationaux dans des domaines où le marché n'est justement pas performant ?

De plus, quelle est la pérennité des financements puisqu'il s'agit de l'argent des privatisations ? L'Agence nationale de la recherche va également voir ses financements augmenter, qui passent de 350 millions d'euros à 800 millions d'euros, pour atteindre 1,3 milliard d'euros en 2010.

Cependant, son pilotage par l'aval industriel sur des projets flexibles est sous-tendu, ici aussi, par une conception utilitariste de la recherche, le financement de ces structures se faisant au détriment des agences nationales de recherche.

Le budget entérine également une politique d'incitation fiscale vers les acteurs privés pour qu'ils investissent dans la recherche. Ainsi, la dépense fiscale va passer en 2005 à 730 millions d'euros, contre 480 millions d'euros en 2004.

L'article 15 de la loi de finances pour 2006 renforce notamment le caractère incitatif du crédit d'impôt recherche en augmentant les taux de prise en compte des dépenses de recherche.

Le coût supplémentaire pour l'État de cette mesure a été évalué à 240 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 60 millions d'euros dus au relèvement du plafonnement. Au total, ce sont 300 millions d'euros d'exonérations uniquement grâce au crédit d'impôt recherche ! Autant d'exonérations sociales et fiscales qui ne sont assorties d'aucune responsabilité sociale pour les entreprises, autant d'exonérations qui ne sont aucunement liées à la création d'emploi.

C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de mesurer précisément le rapport impact-coût de ce dispositif incitatif, tant son utilisation pour des dépenses de recherche existantes peut constituer une aubaine sans effet incitateur sur la recherche des entreprises.

Il convient donc, d'une part, que ce rapport impact-coût fasse l'objet d'une évaluation dont les critères devront être rendus publics et, d'autre part, que, le cas échéant, soit envisagé son remplacement, notamment, grâce à la création d'un système de « crédit d'impôt flottant », afin d'inciter toutes les entreprises à investir dans la recherche. C'est le sens de l'un de nos amendements.

Des aides complémentaires à toutes les entreprises pourraient également être conditionnées par l'existence de collaborations avec le secteur public ou par l'embauche de docteurs ou de doctorants.

Les articles 9 et 10 du projet de loi, respectivement applicables aux organismes et aux universités, autorisent explicitement le recours aux structures de droit privé pour leurs activités de valorisation ainsi que la gestion des contrats de recherche. Ces articles entérinent une situation de fait.

Cependant, la valorisation des connaissances scientifiques dans les domaines sociaux et économiques est une mission qui doit reposer sur des partenariats équilibrés. Or il n'est nullement fait référence dans le présent texte à cette notion d'équilibre ni aux règles permettant de le garantir.

L'article 15 du projet de loi prévoit également d'exonérer d'impôt sur les sociétés l'ensemble des revenus de valorisations tirés des activités conduites dans le cadre des missions de service public des établissements de recherche, qu'ils soient publics ou privés.

Ce cadre fiscal favorable constitue, semble-t-il, une incitation supplémentaire à la recherche. Pourtant, ces procédés d'exonération ne peuvent se substituer à une politique volontariste, en favorisant, notamment, une meilleure coopération entre la recherche publique et la recherche industrielle, en dotant les chercheurs d'un véritable statut et en tendant à promouvoir une politique industrielle ambitieuse.

Concernant la création des PRES, et compte tenu du flou qui l'entoure, en particulier de par la superposition des campus, elle ne peut se comprendre qu'à l'aune des pôles de compétitivité.

En effet, ces derniers, pour lesquels une subvention de 1,5 milliard d'euros est inscrite au budget, permettent de regrouper sur un même territoire des entreprises, des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, publics ou privés, pour mettre en oeuvre des projets de développement économique pour l'innovation.

Selon les états généraux de la recherche, ces pôles de recherche et d'enseignement supérieur devaient jouer un rôle d'interface dans le but de créer des conditions plus favorables à la valorisation des découvertes, au transfert de technologies, ainsi qu'à la création et au soutien des entreprises innovantes, position que nous soutenons totalement.

C'est donc à contre-pied de cette volonté que le projet de loi qui nous est soumis permet une plus grande disparité entre les territoires et l'orientation de la recherche vers les demandes des marchés.

À la coopération, vous substituez la compétitivité des territoires et des entreprises.

En conclusion, il me semble important de définir des espaces où la connaissance doit être reconnue comme patrimoine mondial. Il nous faut, en effet, tendre au partage et à la diffusion des savoirs, et, pour ce faire, il convient d'établir une distinction nette entre les connaissances et leur valorisation.

Or on ne peut que constater, en particulier dans le domaine de la recherche médicale, les dérives auxquelles conduit le système actuel.

En effet, c'est la loi du marché qui sert de moteur à la recherche-développement pharmaceutique, le principal mécanisme de financement étant le brevetage et la protection des prix. Cette démarche ne permet pas de satisfaire l'ensemble des besoins sanitaires et de garantir l'accès de tous aux soins.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe CRC ne peuvent que déplorer le fait que ce projet de loi ne réponde pas aux enjeux fixés lors des états généraux de la recherche. Ils expriment, une nouvelle fois, le regret que les solutions avancées résident dans des exonérations fiscales et sociales accordées aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2004, lors de la présentation de ses voeux aux forces vives de la nation, M. le Président de la République annonçait un projet de loi de programmation et d'orientation pour la recherche avant la fin de l'année. Or, depuis, le calendrier n'a cessé de glisser, et l'ambition du texte de fondre comme neige au soleil. C'est ainsi que, presque deux ans plus tard, nous nous retrouvons face à une loi de programme pour la recherche qui n'a de programme, malheureusement, que le nom.

En premier lieu, la programmation financière n'est qu'un faux-semblant ; nous commençons à en avoir l'habitude. Elle se situe, en effet, dans la droite ligne de la loi de finances pour 2006, qui vient de donner lieu à un bidouillage persistant du Gouvernement à coup d'amendements de dernière minute, de demandes de seconde délibération, de sabrage des crédits et du travail du Parlement.

Cette fois, le Gouvernement a bricolé un tableau censé récapituler l'engagement financier de l'État en faveur de la recherche, en mélangeant des crédits ouverts par la loi de finances et des avantages fiscaux hypothétiques, puisque conditionnés par les dépenses de recherche et de développement des entreprises à travers le crédit d'impôt recherche.

Ce tableau vise, en outre, à mettre l'accent sur le désormais fameux faux milliard annuel supplémentaire, qui se décompose comme suit : un tiers pour la mission interministérielle pour la recherche et l'enseignement supérieur, la MIRES, un tiers pour l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et un dernier tiers pour les avantages fiscaux. Or, en fait, la MIRES ne bénéficiera au mieux que de 2,3 %, chiffre qui intègre la masse salariale et laissera donc peu de marge de manoeuvre aux laboratoires concernant leurs moyens de base.

J'ajoute que, d'ores et déjà, cette programmation, en partie rétroactive, n'a pas été respectée pour 2005 et 2006. De ce fait, et étant donné que le Gouvernement retranche le milliard d'euros de 2005 du décompte des 6 milliards d'euros supplémentaires attendus d'ici à 2010, il faudrait, pour espérer atteindre l'objectif fixé, que la seule loi de finances pour 2007 prévoie 5 milliards d'euros supplémentaires.

Enfin, pour couronner le tout, le projet de loi porte lui-même la remise en cause de la programmation qu'il prévoit, puisque la poursuite de celle-ci au-delà de 2007 est subordonnée à un rapport d'étape sur la mise en oeuvre de la loi.

Nous sommes ainsi en présence, d'une part, d'un engagement financier largement hypothéqué et, d'autre part, d'une loi de programme pour la recherche qui laisse totalement de côté la gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, alors même que le manque de perspective des carrières scientifiques pour les jeunes chercheurs a été à l'origine de la mobilisation initiée par le mouvement « Sauvons la recherche », et démultipliée par la politique budgétaire du Gouvernement pour 2004 qui, après une année 2003 sinistrée, a coupé les moyens de fonctionnement des organismes et transformé 550 emplois statutaires en contrats à durée déterminée.

À cet égard, je rappelle que l'Observatoire des sciences et des techniques avait évalué le renouvellement du potentiel humain de la recherche pour la période 2001-2010 à 29,6 %. Cette donnée avait conduit le gouvernement Jospin à mettre en place un plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique sur la période 2001-2010.

Ce plan avait été conçu en complémentarité avec la programmation triennale 2001-2003 pour l'enseignement supérieur, et poursuivait cinq objectifs : anticiper les départs à la retraite massifs des années 2005-2010 ; rajeunir l'appareil de recherche publique ; réorienter cet appareil en renforçant les champs disciplinaires prioritaires - sciences de la vie, sciences et technologies de l'information et de la communication, environnement ; renforcer la recherche publique ; enfin, favoriser la mobilité des personnels de recherche.

Aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'une démarche comparable. Cette urgente nécessité est d'ailleurs largement renforcée par les prévisions européennes selon lesquelles au moins 700 000 postes supplémentaires de chercheurs et d'ingénieurs seront indispensables d'ici à 2010.

Les états généraux de la recherche ont, quant à eux, estimé à 5 000 le nombre de créations de postes par an pendant cinq ans, dont environ la moitié au profit des universités.

Toutefois, vous vous refusez, monsieur le ministre, à conduire une politique de recrutement à long terme, afin d'éviter, semble-t-il, les à-coups qui pourraient provoquer à la fois certains déséquilibres dans la pyramide des âges et une baisse de la qualité de la recherche.

Le silence de ce projet de loi sur l'emploi scientifique est une erreur politique majeure pour l'avenir de notre système de recherche, pour sa vitalité et pour son attractivité. Si l'on veut aller vers l'excellence, il faut déjà se donner les moyens de disposer d'un vivier de qualité.

L'idée selon laquelle la réforme de la recherche ne pouvait se faire sans l'adaptation nécessaire de notre enseignement supérieur a fait rapidement l'objet d'un large consensus. Il faut dire que l'université, seule ou en coopération, représente 80 % de notre recherche, et les enseignants-chercheurs, les trois quarts des chercheurs.

Réformer la recherche sans l'enseignement supérieur qui lui est intimement lié constitue une autre aberration de votre politique.

L'avenir de la recherche française passe forcément par l'université. Or, en dehors des PRES, l'université n'est concernée qu'à la marge. Pire, au lieu de renforcer leur gouvernance, le projet de loi porte en germe le recul de celle-ci du fait même de l'absence de coordination entre les PRES et les ex-campus, alors que le continuum indispensable entre enseignement supérieur, recherche et innovation devrait pourtant être au fondement de ce projet de loi.

Si l'innovation est désormais le moteur de la croissance économique, il ne doit cependant pas y avoir opposition entre, d'une part, le soutien à la recherche de base et l'évolution des connaissances fondamentales et, d'autre part, l'aide à la valorisation de ces connaissances par le biais du développement technologique et de l'innovation.

Or vos choix budgétaires, couplés à la nouvelle architecture organisationnelle contenue dans ce texte, aboutissent précisément, monsieur le ministre, à cette opposition contre-productive entre recherche de base et innovation industrielle.

En disant cela, il ne s'agit pas de montrer du doigt la recherche appliquée - pour la simple raison que la recherche fondamentale et la recherche appliquée participent toutes deux au même continuum -, il s'agit de mettre l'accent sur une ligne directrice périlleuse pour l'avenir.

Parce que le Gouvernement appréhende la recherche uniquement du point de vue de son point d'arrivée, de son débouché économique, il fragilise les bases mêmes de son émergence.

La recherche nécessite l'équilibre. Les découvertes et les avancées technologiques à long terme sont par nature imprévisibles, non programmables. Nombre d'avancées technologiques se sont ainsi appuyées sur des découvertes dont l'objet initial n'était que le progrès des connaissances, voire un pur débat conceptuel, théorique, je pense notamment aux nanotechnologies.

Ne négligeons pas non plus l'aspect sociétal et culturel de la recherche, tant il est vrai que celle-ci conditionne non seulement le bon niveau technologique ou économique d'un pays mais également son rayonnement culturel. À cet égard, votre politique de la recherche laisse peu de place aux sciences humaines et sociales, qui engendrent de moindres débouchés économiques.

Si les sciences humaines et sociales ne dopent pas la croissance, elles participent cependant à donner du sens à notre société ; elles sont indispensables à une meilleure compréhension de notre monde contemporain et se situent au coeur de notre identité culturelle européenne.

Concernant l'organisation du système, vous avez fait le diagnostic, justifié, de la multiplicité des opérateurs de recherche, et du manque de lisibilité qui en résulte. Cependant, alors que votre objectif était la simplification, vous nous présentez aujourd'hui une véritable usine à gaz, un enchevêtrement de structures sans aucune coordination entre elles.

Dès lors, comment vont s'articuler les PRES, les ex-campus, les instituts Carnot, les pôles de compétitivité, les réseaux de recherche et d'innovation technologique ?

De quelle visibilité notre système de recherche peut-il bénéficier dans ces conditions à l'échelon européen, ce dernier étant totalement absent de votre vision de la recherche ?

L'un des enjeux pour nos laboratoires publics consiste à pouvoir bénéficier d'une mutualisation de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres de Bruxelles. Or ce sujet n'est pas abordé dans le présent texte et l'on peut se demander de quelle visibilité à long terme le chercheur pris dans un tel système peut disposer.

Par ailleurs, quelle disponibilité pourra-t-il conserver pour exercer sa mission essentielle, qui reste tout de même la recherche, accaparé qu'il sera par la course aux financements et la multiplication des réunions de structures ?

Au moment même où s'élabore le septième PCRD, programme cadre de recherche et développement, nous ne pouvons que déplorer que, tout comme à l'échelon national, le Gouvernement ne défende pas, au niveau européen, une vision à long terme de la recherche européenne.

La France s'honorerait pourtant, dans la crise actuelle, de faire preuve d'une ambition commune porteuse d'avenir, plutôt que de se borner à défendre les égoïsmes nationaux.

Alors que la stratégie de Lisbonne a été vidée de tout contenu, nous aurions, en effet, tout intérêt à promouvoir l'idée selon laquelle la recherche doit être la priorité budgétaire de l'Union européenne, afin qu'elle devienne, à terme, la première politique commune de l'Union.

Le récent accord du Conseil Compétitivité sur la création d'un Conseil européen de la recherche constitue, de ce point de vue, une bonne nouvelle, surtout dans le contexte actuel. Cette avancée doit être confortée. Nous devons extraire les dépenses de recherche et développement des critères du pacte de stabilité et de croissance, instaurer une agence de moyens européenne indépendante, et mettre en place un emprunt européen en faveur de la recherche.

Comme l'indique l'exposé des motifs de ce projet de loi, « le système français de recherche et d'innovation est arrivé à un tournant de son histoire ». Cependant, le Gouvernement, alors qu'il a été saisi d'une demande de réforme émanant du terrain et a bénéficié d'un audit gratuit débouchant sur un projet de propositions constructives de la part de la communauté scientifique dans son ensemble, ne s'est pas montré à la hauteur de ce rendez-vous et est, par conséquent, en train de manquer ce tournant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était temps qu'un projet de loi sur la recherche soit déposé.

En effet, compte tenu de la situation mondiale actuelle dans ce secteur, tant chez nos partenaires européens que dans les grands pays émergents qui sont en train de prendre un certain nombre de marchés, il était temps d'affirmer une volonté forte en matière de recherche et de tracer des orientations claires.

Je dois dire que j'approuve les principales dispositions de ce projet de loi, monsieur le ministre. Je considère, en outre, que l'excellent travail réalisé par le président de la commission spéciale sur la recherche, M. Jacques Valade, ainsi que par MM. les rapporteurs a permis d'améliorer le texte initial.

J'ajoute que, même si le Gouvernement, sur certains sujets, n'a pas cru bon d'aller aussi loin qu'on pouvait l'espérer - s'agissant d'un sujet tellement sensible et alors qu'il n'est pas possible dans notre pays de proposer des réformes de fond sans une très longue période de concertation préalable qui « use » plus d'une génération ! -, le projet de loi qui nous est soumis est tout de même fort intéressant.

Pour procéder à son évaluation, monsieur le ministre, je me poserai quatre questions.

La première porte sur le cloisonnement qui paralyse à l'heure actuelle l'effort de recherche en France. Ce texte aura-t-il pour effet d'y mettre fin, ou tout au moins de l'améliorer ?

M. François Goulard, ministre délégué. Parfaitement !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il devrait en être ainsi, en effet.

Cela étant dit, il est clair que nous sommes face à quatre compétitions tant idéologiques que techniques, je veux parler de la compétition entre la recherche privée et la recherche publique, de celle qui oppose les universités et les grandes écoles, de la compétition qui existe entre la recherche civile et la recherche militaire et, enfin et surtout, de ce vieux débat entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée.

Selon moi, le Gouvernement, grâce à ce projet de loi, a le mérite de dépasser ces quatre principaux clivages.

Autant il y a six ou huit mois j'aurais été un peu inquiet, monsieur le ministre, quant à l'ajout de structures nouvelles à celles qui existent, au lieu de modifier celles-ci, autant l'expérience à laquelle j'ai participé depuis six mois a levé certaines des craintes que je pouvais avoir, je veux parler de la création d'un pôle de compétitivité dénommé Médi-Tech Santé, auquel le Gouvernement a d'ailleurs accordé un label international.

En effet, à cette occasion, j'ai pu assister au travail mené en commun, dans le but d'essayer de mettre en oeuvre un programme global, par des présidents d'université, des directeurs de grands organismes de recherche, ainsi que par un certain nombre d'autres chercheurs venus d'un peu partout, et même par l'Assistance publique de Paris - et pourtant Dieu sait s'il faut se lever tôt pour la faire bouger !

Le moment est bien choisi pour présenter ce texte, me semble-t-il.

Je regrette néanmoins - tout le monde s'est exprimé en ce sens, monsieur le ministre - que le Gouvernement n'ait pas abordé le problème, certes difficile, de la gouvernance des universités, et qu'il ait préféré mettre en place un mécanisme de regroupement facultatif, lequel est comparable à celui qui existe pour encourager l'intercommunalité, sauf que lui ne disposera pas de l'atout fondamental de la dotation globale de fonctionnement spécialisée, et son succès sera donc plus aléatoire ! (Sourires.)

Pour répondre à la première question que j'ai posée, en matière d'évaluation, de fait, ce texte ne va pas supprimer les obstacles qui gênent notre recherche, mais les assainir, les aplanir, les modifier.

Ma deuxième question porte sur la formation et le statut des chercheurs. Ce texte les améliorera-t-il ? Mettrons-nous en place des carrières équilibrées ?

Il est clair que le problème le plus important que vous devrez régler est l'expatriation de la plupart de nos bons chercheurs, surtout vers les États-unis, mais aussi vers la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, qui se les approprient. À l'évidence, il faut prendre des mesures pour faire cesser ce phénomène. Les jeunes doivent être sensibilisés plus tôt que ne le prévoit le projet de loi.

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Dès l'école maternelle ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. À l'heure actuelle, l'effort mené dans les lycées pour orienter les jeunes vers des activités de recherche n'est pas suffisant.

Il n'existe pas assez, me semble-t-il, de classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques ou aux écoles d'ingénieurs. Nous avons trop encouragé les jeunes à se diriger vers les écoles commerciales, littéraires, ou vers la psychologie pure. Dieu sait, d'ailleurs, qu'il y a des psychologues dans ma ville de Boulogne-Billancourt, puisque j'en compte au moins 4500 !

Les futurs enseignants-chercheurs doivent être formés dès le baccalauréat, et au cours des années qui le suivent. Cela manque dans votre projet, et je le regrette.

Par ailleurs, se pose le fameux problème de l'emploi à vie des chercheurs.

M. Ivan Renar. Ils sont pires que les sénateurs ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. La France est le seul pays européen, et même le seul pays développé, à y être confronté. Les chercheurs font carrière au CNRS, à l'INSERM, au CEA, etc. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'engager des réformes fondamentales - et vous n'en proposez pas -, mais il faut mettre en place, me semble-t-il, un système plus souple, qui permette de dissocier les activités de recherche et d'enseignement. Vous devrez intervenir dans l'organisation de l'université afin de moduler ces activités, pour que des gens de moins de trente ans qui voudraient faire de la recherche ne soient pas obligés d'enseigner de longues heures chaque semaine, et pour que d'autres, au contraire, à partir de quarante ans, puissent enseigner davantage.

Un premier effort doit donc être accompli en direction des jeunes, à partir du baccalauréat. Un deuxième aurait pour objet de moduler plus facilement les différentes activités des enseignants-chercheurs. Un troisième effort doit permettre de mieux appliquer le texte que nous avons voté voilà quelques années, qui autorise les chercheurs membres du CNRS, notamment, à participer à la création d'entreprises exploitant les brevets qu'ils ont déposés et valorisant leur recherche.

Ce texte n'est pas suffisamment appliqué, me semble-t-il. Nous devons nous polariser sur son application, afin de faciliter le passage de la recherche à la création d'entreprise, dans le cadre des pôles de compétitivité ou des PRES, notamment en ce qui concerne les start up.

Il faut unifier tous les dispositifs existant, - votre texte en institue certains -, afin que la carrière d'enseignant-chercheur devienne triple et mêle les activités de l'enseignant, du chercheur et développeur. Ainsi ma deuxième interrogation trouvera-t-elle une réponse positive.

Ma troisième question porte sur les moyens engagés, et, sur ce point, M. Blin m'a ouvert les yeux. Seront-ils suffisants ? Notre pays est endetté - il en a beaucoup été question cette semaine. Notre marge d'élasticité budgétaire est presque nulle, compte tenu des critères que nous sommes contraints de respecter. Par conséquent, l'effort accompli depuis deux ans par le Gouvernement est sérieux, à condition que les différentes structures ne fassent pas double emploi et que tout l'argent engagé soit dirigé vers la recherche.

À cet égard, je regrette - le président Valade n'en sera pas étonné - que la recherche militaire ne soit pas mieux intégrée à ce projet de loi. Je déplore, notamment, que les 19,4 milliards d'euros, sur lesquels porte l'amendement de M. Blin, ne comprennent qu'une toute petite partie de la recherche militaire, en l'occurrence la recherche duale, à hauteur, me semble-t-il, de 200 millions d'euros ou 250 millions d'euros alors que la recherche militaire représente 1,5 milliard d'euros.

Il faut donc accomplir un effort plus important. Comme le note avec satisfaction le rapport de la commission spéciale  - j'ignore qui est l'auteur de ce passage -, le CEA, dans le cadre de travaux très ciblés sur le nucléaire, apporte la preuve que les recherches fondamentale et appliquée peuvent être associées. C'est ce modèle, me semble-t-il, qu'il faut tenter de développer, afin de dépasser les vieux clivages et de faire apparaître les éléments constitutifs de l'innovation.

Les moyens seront-ils suffisants ? Je m'interroge. Tout d'abord, je constate que la panoplie fiscale est plus vaste que ses résultats ne sont probants.

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous, les parlementaires, ne devrions-nous pas examiner de plus près ce que certains à Bercy appellent les dépenses fiscales, mais que je qualifie, moi, d'avantages fiscaux, c'est-à-dire les exonérations, dégrèvements, abattements, réductions, etc. ?

À l'heure actuelle, me semble-t-il, les entreprises privées se heurtent à deux difficultés. Tout d'abord, elles doivent fournir à Bercy une paperasserie considérable pour bénéficier des crédits d'impôts et des avantages proposés, ce qui rebute beaucoup de petites entreprises. Ensuite, la législation évolue chaque année, et nul n'est jamais à l'abri d'un amendement à une loi de finances rectificative quelconque, qui viendrait supprimer une disposition ou créer un nouveau régime. Notre législation fiscale est si instable que, finalement, personne n'en profite.

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Absolument ! Cette instabilité est dangereuse.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur Blin, vous affirmez que la masse des crédits sera de 19,4 milliards d'euros, y compris les dépenses fiscales. C'est exact pour ce qui concerne les crédits budgétaires, mais un énorme effort d'explicitation et de stabilisation des mesures adoptées devra être entrepris pour que les dépenses fiscales soient équivalentes aux dépenses budgétaires.

Enfin, ma quatrième question porte sur la place de la France en Europe. Retrouvera-t-elle son rang grâce à ce texte ? Quand nous comparons la situation de notre pays avec celle des grands États européens, tels la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, les pays nordiques, et notamment la Suède, où des efforts considérables ont été accomplis, tant en matière d'assainissement budgétaire que de soutien à la recherche - car les deux sont liés, ne l'oublions pas -, il me semble que la France a reculé par rapport aux objectifs de Lisbonne.

M. Ivan Renar. Nous ne sommes donc pas les seuls à l'affirmer !

M. Jean-Pierre Fourcade. Pour retrouver notre place en Europe, trois actions doivent être engagées, me semble-t-il, qui n'apparaissent pas assez nettement dans le projet de loi.

Tout d'abord, le haut conseil de la science et de la technologie, dont le président Valade propose de fixer la composition, doit définir résolument un certain nombre de priorités, car tous les domaines ne sont pas primordiaux et tout ne peut être réalisé en même temps. Nous disposons d'atouts considérables en matière de la santé et d'environnement, me semble-t-il, et il faut développer au maximum ces deux domaines.

En effet, à l'échelon européen, nous sommes bien placés en matière de recherche sur le cancer, le SIDA ou d'autres maladies, mais aussi sur l'environnement, et sur tout ce qui excède cette notion et qui touche au développement durable, à la haute qualité architecturale, à l'urbanisme moderne, à la mixité sociale, etc. Il existe un champ qui intègre toutes ces formes de recherche, et nous avons là, me semble-t-il, des initiatives à prendre : nous devons proposer à nos partenaires européens de développer la recherche sur certains thèmes, tels que la santé ou le développement durable, sur lesquels nous disposons d'atouts et pouvons présenter des projets importants.

De même, en matière de technologie militaire. Grâce à l'agence européenne de l'armement et à l'accord conclu avec la Grande-Bretagne, nous pouvons, ici aussi, développer certains projets à l'échelle européenne.

Mais, de grâce, et c'est le deuxième conseil que je me permets de vous donner, vu mon expérience, ne passons pas notre temps à nous battre sur des problèmes institutionnels, pour savoir quels organismes décideront, financeront, évalueront, contrôleront ! Les réunions interministérielles sont parsemées de difficultés de cette sorte !

Nous devons exprimer fermement notre volonté de développer, à l'échelle européenne, certaines technologies militaires pour lesquelles nous disposons d'avantages comparatifs, et je songe non pas aux avions mais à d'autres équipements militaires, tels que fusées, missiles, etc.

De même, en matière de santé et d'environnement, nous pouvons lancer des initiatives, à partir de PRES que nous allons constituer. Par exemple, un PRES extrêmement important doit se développer dans le sud de l'Île-de-France, qui associera l'école Polytechnique, l'Institut national de la recherche agronomique ou INRA, quatre ou cinq universités et d'autres structures importantes. Nous pouvons proposer certains projets, me semble-t-il, et votre texte le permet.

Au total, monsieur le président, mes chers collègues, si je reprends mes quatre questions, il apparaît que ce texte aura pour effet d'atténuer le cloisonnement, qui est le mal français par excellence, d'améliorer en partie la formation et le statut des chercheurs, bien que vous demeuriez timide sur ce sujet, et de rendre efficaces les moyens engagés, pour peu qu'ils s'accompagnent d'une réorganisation des structures et de la mise en place de certaines formules innovantes. Grâce à ces trois éléments, nous pouvons retrouver notre place en Europe, et c'est pourquoi je voterai volontiers le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. L'action en faveur de l'innovation et la recherche est reconnue comme une priorité, enfin ! C'est une satisfaction pour moi qui, depuis plus de vingt ans, le réclame chaque année, en vain - vox clamans in deserto -, malgré l'appui de personnalités exceptionnelles, telles que - je citerai uniquement ceux qui sont morts -, Maurice Schumann, Hubert Curien, et bien d'autres.

Nous disposons enfin, désormais, d'un pacte pour la recherche. Il a été précédé par le succès inespéré des pôles de compétitivité, inspirés, - le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin l'avait d'ailleurs rappelé lors de leur lancement - par Sophia Antipolis ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP - M. Daniel Raoul applaudit également.)

Des milliers d'entreprises et d'équipes de recherche, des centaines de collectivités locales se sont réunies, dans toutes nos provinces. Elles travaillent ensemble et en sont heureuses, car elles ne l'avaient jamais fait auparavant - dans beaucoup de cas, bien entendu.

Dans certaines villes, d'ailleurs réputées, comme Grenoble, Lyon, Bordeaux, Toulouse, cette coopération est ancienne et effective. Désormais, dans de nombreuses zones, il en est de même. Partout, les entreprises, grandes et petites, et le monde de la recherche publique s'unissent. C'est véritablement un signe fort.

Le texte du projet de loi que nous examinons va dans le même sens. Il est conforté par le projet de loi de finances pour 2006. En introduisant davantage de souplesse, il contribue en outre à libérer les énergies.

Le projet de loi augmente les moyens de la recherche simultanément dans les universités, les grandes écoles, les établissements. En même temps, il s'appuie sur des agences, qui développeront des projets de recherche, dits projets « blancs ». Ceux-ci seront non pas décidés d'en haut, mais émaneront de la base ; ils seront bottom up, comme on dit en franglais.

Ainsi, l'Agence de l'innovation industrielle développera certains de ces projets, qui fleuriront à partir des pôles de compétitivité. Il y a là une dynamique nouvelle, enracinée dans nos territoires, que nous devons constater et dont, à mon avis, nous devons nous réjouir : désormais, dans le domaine de l'innovation, la France bouge.

J'en ai moi-même parlé récemment dans différents pays européens. Il y a, partout, un intérêt considérable pour ce nouveau « mouvement », pour ce nouveau dispositif.

Monsieur le ministre, le système des fondations, que vous avez déjà largement inauguré et que vous amplifiez dans ce projet de loi, est fondamental, car il permet de nous libérer de tous les carcans administratifs. Bien entendu, comme pour toute autre structure du même type, un contrôle a posteriori est prévu : en l'occurrence, le ministère de l'intérieur effectue un contrôle, auquel s'ajoutent un contrôle financier très précis et un contrôle par les autres ministères compétents. Loin d'accorder n'importe quelle libéralité, le système permet donc de sortir, enfin, de certains carcans, conformément aux souhaits unanimement exprimés. Tout cela n'a pas de traduction chiffrée, mais la créativité correspondante existe bel et bien, et je fais confiance à l'ensemble des acteurs de la recherche pour qu'ils utilisent eux-mêmes massivement les instruments qui leur paraîtront importants.

Le projet de loi est donc très positif, même s'il est, bien sûr, incomplet.

Ainsi, le problème de la gouvernance des universités n'y est pas évoqué.

M. Daniel Raoul. Dommage !

M. Pierre Laffitte. De plus, il n'y est pas beaucoup question de la recherche militaire, et très peu de la recherche militaire duale.

M. Pierre Laffitte. Nous le savons, avec les moyens actuels, nous sommes très loin des objectifs fixés à Lisbonne.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permettrai de revenir un peu plus longuement sur ces trois points.

Premier point : il me semble que la communauté des universitaires et des chercheurs souhaiterait vous entendre clairement affirmer, monsieur le ministre, votre volonté délibérée d'étudier, avec les acteurs concernés, ce problème de gouvernance au cours de l'année à venir.

Les structures de gouvernement dans les universités en Europe sont très différentes. Nous allons pouvoir, notamment par le biais des PRES et des fondations, travailler en coopération avec les universités étrangères, mais pas uniquement avec celles qui sont situées dans les zones transfrontalières. En effet, partout en Europe, et, d'ailleurs, partout dans le monde, les scientifiques se connaissent. Une telle coopération va elle-même susciter de nouvelles envies en la matière, pour développer encore plus cette coopération et disposer de structures quelque peu comparables.

Ce problème est d'autant plus important que les représentants de la Conférence des présidents d'université, la CPU, nous ont très clairement demandé de pouvoir déroger, dans certains cas et à titre expérimental, à la loi de 1985. Lorsqu'ils sont venus rencontrer les membres de la commission spéciale, ils ont bien précisé que leur démarche était faite, non pas à titre personnel, mais bien au nom de la CPU. À cette fin, je présenterai un sous-amendement, afin d'autoriser, sous des conditions assez restrictives - peut-être trop ! -, une université appartenant à un réseau de coopération thématique avec des universités étrangères de procéder à une telle expérimentation. Nous aurons donc l'occasion de revenir sur ce sujet.

Le deuxième point concerne la recherche militaire. Pour ma part, je souhaite que le Gouvernement, notamment Mme le ministre de la défense, s'engage, avec ses collègues européens, pour développer la recherche militaire en Europe. Dans ce domaine, il convient de travailler principalement avec les Britanniques, les Allemands, les Suédois, les Italiens et les Espagnols, qui sont les plus impliqués.

Il faut parvenir à mettre en place une « DARPA » européenne, à l'image de l'agence américaine Defense Advanced Research Project Agency. Ce ne serait d'ailleurs pas insurmontable, car les coopérations en la matière peuvent se faire à deux, à trois ou à cinq. J'ai eu l'occasion d'évoquer ce projet lors d'un colloque organisé à Malmö, en Suède : a priori, les Suédois, mais aussi les Anglais, étaient très intéressés. Il me semble donc tout à fait possible d'aller de l'avant sur ce point.

Une telle structure, entre autres avantages, permettrait d'améliorer les relations des industries européennes avec l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. Je pense, en particulier, aux industries de l'aéronautique, du logiciel et de l'électronique, notamment de la microélectronique. Les Américains se servent avec profit des aides de la recherche militaire duale. Nous pourrions donc faire de même en Europe, pour obtenir une aide indirecte en faveur de certains secteurs industriels, qui s'avèrent cruciaux et stratégiques pour l'avenir, non seulement sur les plans militaire et sécuritaire, mais aussi sur les plans purement industriel et économique, au regard, en particulier, de la création d'emplois correspondante attendue.

Enfin, j'évoquerai brièvement, car le temps m'est compté, le troisième point, qui porte sur le volume financier nécessaire à prévoir.

Chaque année, les Américains dépensent 50 milliards de dollars de plus que l'Europe pour la recherche et le développement. En cinq ans, depuis le lancement de la stratégie de Lisbonne, ils ont donc dépensé 250 milliards de dollars de plus. Ne nous étonnons donc pas que les centres de recherche américains soient plus attractifs aux yeux des meilleurs chercheurs du monde entier, notamment européens et français ! Ce n'est d'ailleurs pas la perspective de meilleurs salaires qui les attire, car, tout compte fait, avec des charges supérieures, en l'absence de sécurité sociale et de soutien financier pour l'éducation des enfants, la situation n'est pas toujours très supérieure. En réalité, les chercheurs sont séduits par les moyens mis à leur disposition, dans le cadre d'équipes de recherche qui sont très souvent constituées presque uniquement d'étrangers.

Pourquoi ne pourrions-nous pas faire la même chose en Europe, d'autant que certains outils financiers existent déjà ? Les responsables de la Banque européenne d'investissement, qui ont été consultés sur la possibilité d'obtenir un emprunt de 150 milliards d'euros, ont répondu : « Nous savons faire, c'est notre métier ! Mais, bien entendu, les différents États devront nous apporter leur soutien, sans quoi nous n'aurions pas le même crédit et nous ne pourrions pas obtenir les mêmes conditions pour emprunter sur le marché mondial. »

Monsieur le ministre, dans ce domaine, les ministres européens chargés de la recherche doivent aller dans le même sens que les présidents français et allemand, qui se sont entendus sur ce point. Nous avons d'ailleurs déjà reçu l'accord des Polonais et des Danois : un tel objectif n'est donc pas inconcevable. S'il y a une volonté française, nous pourrions obtenir ce grand emprunt européen. L'euro en souffrirait-il ? Assez peu. Après tout, chaque année, pour soutenir le dollar, les Américains drainent vers eux 600 milliards de dollars sur le marché mondial, par le biais du déficit commercial.

Cet emprunt servirait à renforcer toutes les structures déjà existantes. Ainsi, les initiatives EUREKA pourraient être « boostées » et développées. La Banque européenne d'investissement elle-même et le Fonds européen d'investissement auraient les moyens d'augmenter la capacité de financement initial de toutes les entreprises innovantes en cours de création. Ils seraient également en mesure de faciliter le développement des milliers de projets qui sont actuellement soutenus par la France et par certains pays d'Europe. Enfin, le Conseil européen de la science disposerait, avec de tels moyens, des outils pour développer les infrastructures de recherche : il s'agit, par exemple, du futur accélérateur proche du CERN, le Centre européen de la recherche nucléaire, qui pourrait être réalisé plus rapidement, ou de structures analogues à l'ILL, l'Institut Laue-Langevin, ou à l'Institut Max-Planck. Par conséquent, il existe véritablement quantité de possibilités d'action.

Cela permettrait aussi de financer plus largement les programmes de mobilité de la Commission européenne, qui sont essentiels pour les nouveaux entrants, car ces programmes permettraient de fédérer beaucoup plus la communauté scientifique, technique et industrielle européenne. Ceux-ci doivent pouvoir concerner les chercheurs, les ingénieurs, les techniciens et les agents correspondants non seulement des centres de recherche, mais aussi des start up ou des centres de recherche privés des grandes entreprises.

En définitive, les structures existent, de même que les méthodes de coopération. Le financement des pôles d'excellence est désormais acquis. En France, la mobilisation en faveur des pôles de compétitivité a permis de concrétiser des centaines de projets d'études, associant opérateurs publics et privés, français et étrangers, agences nationales, structures européennes et collectivités locales. Tout cet ensemble reçoit en France un soutien accru du budget de l'État, mais celui-ci ne saurait tout faire.

La France doit donc poursuivre ses efforts auprès de ses vingt-quatre partenaires, pour parvenir à une mobilisation permettant d'enclencher fortement les appuis pour apporter un financement massif au niveau d'une agence européenne.

Le Pacte est beaucoup plus large que la loi. En particulier, les instituts Carnot, dont on parle peu, correspondent à des mesures qui seront d'ordre réglementaire. Ces « Fraunhofer » à la française nous interpellent, et nous aimerions d'ailleurs participer à la réflexion, monsieur le ministre. De même, il nous faut prendre en compte l'importance des questions de protection des innovations, qui a été en particulier posée avec la ratification par la France des accords de Londres.

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Oui !

M. Pierre Laffitte. Il s'agit d'ailleurs d'un des problèmes abordés dans le cadre du groupe d'études de la commission des affaires culturelles « Innovation et entreprise », que je préside. À cet égard, nous allons recevoir les responsables du Bureau européen des brevets et de l'INPI, l'Institut national de la propriété industrielle.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l'ensemble, nous voyons, enfin, les choses bouger. Il faut surtout veiller maintenant à ce que cette mobilisation très générale en faveur de l'innovation ne soit pas freinée par des complexités bureaucratiques, que nos administrations savent si bien distiller et développer ! Comme nous le savons, le diable est toujours dans les détails : dans ce type de complications, le diable se loge parfois dans certains services, situés quelque part sur les bords de la Seine, mais je ne dirai pas où ! (Sourires.)

Les ministres concernés doivent donc s'engager, pour éviter toute difficulté éventuelle et tout retard de mise en oeuvre qui sont autant de situations gênantes. Sinon, l'enthousiasme risquerait de retomber.

Nous espérons un appui délibéré et ciblé vers les centres et les équipes d'excellence et une nouvelle dynamique créatrice d'emplois et de richesse, ce qui permettra de soutenir la croissance en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Ivan Renar applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programme pour la recherche est très attendu et s'inscrit dans un contexte particulier.

Je le rappelle, le gouvernement Raffarin a tout de même réduit brutalement les budgets « de la pensée » : la culture, la recherche et la vie associative en ont fait les frais. En 2004, la coupe est pleine, les laboratoires sont exsangues et le mouvement « Sauvons la recherche » réunit, dans une pétition et dans la plus vaste grève administrative connue, ingénieurs et chercheurs de toutes renommées et de tous horizons.

Ensemble, en ateliers, dans toutes les régions, ils confrontent leurs problèmes, valident leurs suggestions et coproduisent des pistes. Bien que soumis à des situations différentes et à des intérêts non convergents, c'est ensemble qu'ils produiront un diagnostic commun et des propositions claires et neuves qui seront proclamées lors des états généraux de Grenoble.

Un an plus tard, monsieur le ministre, après de nombreuses tergiversations, vous reprenez, mot pour mot, une part significative de leurs arguments dans l'exposé des motifs du présent projet de loi.

Malgré tout, soit vous leur donnez un autre contenu : c'est le cas pour le Haut Conseil.

Soit vous empilez des structures concurrentielles mal définies, qui vont brouiller le paysage : c'est le cas des campus, qui ne pourront pas être sans impact sur les PRES si leur vocation de synergie thématique, indépendante d'un territoire et de niveau international n'est pas affirmée.

Soit, enfin, vous orientez délibérément l'argent public de la recherche vers la recherche privée, sans aucune exigence ni transparence.

Vous reprenez l'écume des choses, mais sans relier les mots clés aux concepts qui les avaient fait naître, de telle sorte que les aménagements sont de niveaux très différents, inspirés tantôt par les demandes des chercheurs, tantôt par une logique strictement libérale.

À l'opposé de l'exposé des motifs, le texte de loi est ramassé : au passage, il n'y a plus de « pacte », il n'y a même plus l'engagement durable de la « programmation ». Le plan pluriannuel pour l'emploi a disparu. Il est pourtant indispensable pour ceux qui s'engagent dans des études qui durent plus d'une décennie. Le texte, allégé des devoirs de l'État, n'en est pas moins source de complexité.

Aux questions simples - Qui oriente ? Quelle structuration ? Qui paye ? -, le Gouvernement répond par un millefeuille de nouveaux dispositifs, aux frontières du public et du privé, aux limites du fait du Prince et de la délibération. Évitant le débat sur la synergie de l'existant et sur les liens étroits entre recherche et enseignement, le Gouvernement se sert de l'orientation des moyens, pour affaiblir les organismes et la recherche universitaire, tout en modifiant la structure de l'emploi, désormais de plus en plus tributaire du projet.

Si tel n'est pas votre objectif, monsieur le ministre, il faut garantir le budget des organismes,...

M. François Goulard, ministre délégué. C'est ce que nous faisons !

Mme Marie-Christine Blandin. ...le remplacement des départs et trouver des revalorisations plus importantes pour les chercheurs.

Et si la perspective de chercheurs à vie, « fonctionnarisés », comme disent vos amis, ne vous paraît pas rentable, un travail apaisé avec les chercheurs aurait permis, me semble-t-il, de construire d'autres perspectives, comme l'implication de certains dans l'enseignement ou dans le partage de la culture scientifique, implication que votre gouvernement n'a jamais tant négligée. (M. le ministre délégué est dubitatif.)

Regardons l'âge des « nobélisés » et de ceux qui sont internationalement reconnus, observons leurs laboratoires d'origine : ils ne sont ni issus du crédit d'impôt, ni d'un CDD sur projet. La découverte, c'est comme le bon pain ou le bon vin, il faut le temps de la maturation, un environnement protégé, un tour de main acquis aux côtés des autres, et la divine surprise d'un cru exceptionnel.

Le projet de loi ne dit pas un mot de l'environnement dans lequel il s'appliquera. Le noyau central du savoir, l'université, n'y est pas reconnu comme le pivot possible d'une requalification du système de recherche.

Ce texte est muet sur les collectivités, pourtant de plus en plus impliquées.

Une fois de plus, le nombrilisme franco-français tourne le dos à l'Europe et ne prend même pas la peine d'ébaucher une articulation avec ce qui se passe au-delà de nos frontières.

Le rédacteur a-t-il pris la peine de changer son angle de vue et d'évaluer le système proposé à partir de l'unité de base de la recherche, c'est-à-dire le laboratoire ?

C'est peu probable car il aurait mesuré à quel point la complexité accrue allait être cause d'inquiétudes quant à la stratégie à adopter, et de perte de temps lorsqu'il s'agira de solliciter la multitude de bailleurs de fonds potentiels, de leur rendre des comptes, voire de passer des heures en réunions, pour peu que l'on soit quelqu'un qui ait pris des responsabilités.

Car il n'est désormais pas impossible d'être dans un laboratoire mixte d'un organisme et d'une université, celle-ci étant inscrite dans un PRES, mais dont la discipline est requise pour un campus thématique, et dont le territoire fait l'objet d'un pôle de compétitivité ou d'un pôle d'excellence.

Au passage, il sera bon d'être attentif aux statuts des structures dans lesquelles se font les échanges, car ce qui est public dans une université ne l'est pas automatiquement dans une fondation, et ce qui vous appartient dans un organisme appartiendra peut-être à un grand groupe dans un pôle de compétitivité. Tout cela mérite que des éclaircissements soient apportés.

S'il lui reste un peu de temps, le responsable du laboratoire se gardera bien d'oublier d'aller plaider sa cause auprès de la région, de l'Europe. Bien sûr, pour peu que ses recherches s'inscrivent dans les orientations souhaitées, il ira déposer un dossier auprès de l'ANR, qui dispose d'un tiers du budget.

Quant au règlement budgétaire, conforme à la LOLF, quel sort fera-t-il à la recherche de longue haleine au travers des critères annuels de réussite ?

Parlons maintenant des orientations. Les chercheurs savent que la découverte ne se décrète pas et ils auraient aimé qu'on leur fasse davantage confiance.

Dans un monde idéal où la recherche serait une grande priorité européenne et nationale et où les financements publics permettraient que les orientations se fassent en toute indépendance, pour le savoir et pour l'intérêt général, et non pour les brevets et les bénéfices à court terme, fussent-ils peu porteurs de bien-être humain, il est certain que cette confiance serait féconde. Nous aurions déjà en main les vaccins contre les maladies tropicales, les remèdes aux maladies orphelines, un photovoltaïque opérationnel...

M. François Goulard, ministre délégué. Cela ne se décrète pas !

Mme Marie-Christine Blandin. ...et la conduction de l'énergie avec un minimum de perte.

J'ai déposé plusieurs amendements relatifs à la reconnaissance de la place de la société dans la recherche.

Dans cette enceinte, la place de la société fait souvent sourire ; on s'occupe d'elle, mais on l'associe peu. Pourtant, académies et pouvoirs publics devraient prendre en compte avec plus de modestie leurs choix et avec plus de considération les savoirs produits par les associations, dont les moyens sont souvent dérisoires. Vous citerai-je les protocoles d'essais thérapeutiques élaborés par le travail commun des associations de malades du sida et des chercheurs, la qualité du logiciel libre, non confisqué, faisant face à un outil quasi monopolistique, commercial coûteux, chargé d'imperfections et de virus, la remise en culture d'espèces reléguées dans des conservatoires génétiques privatisés et congelées ? Tout cela pose la question des talents non labellisés.

À l'inverse, les erreurs de l'Académie de médecine déclarant « que l'amiante ne présente pas de danger » ou l'archaïsme de l'Académie des sciences rendant un avis « hostile au principe de précaution » sont des arrogances coupables, qui justifient peut-être que ces instances souhaitent « être placées sous la protection exclusive du Président de la République ».

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Les académiciens vont être contents !

Mme Marie-Christine Blandin. Plus près de nous, le rapport de l'Académie des technologies sur les nanotechnologies, qui ne dit rien des risques et des enjeux éthiques, est bien faible comparé à celui de la Royal Society ou aux exigences du Congrès américain dans le 21e century nanotechnology research and development act.

Ne noircissons pas le tableau, il y a heureusement des intelligences partout. Mais après le drame de l'amiante ou l'irruption d'un germe insoupçonné comme le prion, il faut être modeste et prudent. Même les fondements de notre raisonnement, fondés sur la causalité, et son lien intime avec le temps sont bousculés.

Une récente observation nous révèle qu'un photon, en traversant un verre ou en s'y réfléchissant, suit une trajectoire dépendante de la trajectoire que l'on imposera au photon suivant par polarisation. Je dis bien « imposera ». Étant donné l'état de nos connaissances, c'est difficilement concevable, mais c'est ainsi, et la mécanique quantique nous en donnera les clefs.

Chacun doit donc accepter le regard de l'autre, ne pas se crisper dans des certitudes d'un autre temps, et entendre les précautions formulées !

En attendant, juste après la recherche fondamentale, c'est l'opportunité de valoriser très vite qui domine, même si cela ne répond pas aux besoins et aux attentes de la société. La recherche finalisée doit mieux trouver sa place dans les orientations des organismes comme dans les financements de I'ANR. Et parce que « finalisée » ne veut pas dire immédiatement valorisable et télécommandée, nous demandons l'accroissement de la part des projets blancs.

Mais pourquoi pas un État stratège ? Cette idée a été largement reprise à Grenoble. L'expression alors évoquée de « haut conseil » correspondait non pas à des nominations au plus haut niveau de l'État, mais à un collège d'intelligences croisées, comportant une part significative de personnalités élues. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Nous n'avons pas besoin d'un cercle restreint de courtisans issus des rangs de ceux qui nous insultaient hier quand nous dénoncions l'amiante et les effets des faibles doses !

Nous avons besoin de prospective et d'humanisme, à part égale entre sciences humaines et sciences de la matière et du vivant, respectant la place d'une représentation non élitiste et non partisane des attentes de la société.

Une société qui, certes, souhaite que l'on soigne le cancer, mais qui aimerait encore mieux en connaître les causes pour les éradiquer.

Une société qui ne se résume pas à un flot de consommateurs, mais qui attend des pouvoirs publics que tout soit fait pour qu'il reste un monde à vivre sans conflits pour l'énergie et sans déchets contaminés.

Une société en droit d'exiger des pouvoirs publics que la déplétion pétrolière soit anticipée, par exemple, ou que les richesses de la biodiversité soient élucidées, avant que les aménageurs ne l'aient mise en coupe réglée.

Or, en fait d'État stratège, on assiste de la part du Gouvernement à une proposition de renoncement avec le crédit d'impôt.

En la matière, point d'orientation, point de priorité, point de contrôle ! Un grand groupe cherche-t-il à mettre au point des balles qui optimisent la déchirure de la chair par une rotation hélicoïdale à la pénétration : crédit d'impôt ! Une multinationale se pique-t-elle de permettre une surconsommation de « mal-bouffe » sans impact sur l'obésité : crédit d'impôt ! Une PME réussit-elle à déposer un brevet de conservation de l'élasticité pour le chewing-gum en tube : crédit d'impôt !

C'est donc un tiers du budget public de la recherche, celui qui est consacré aux avantages fiscaux, qui tournera le dos aux éventuelles priorités et qui ne se laissera éclairer que par le marché, fût-il contraire au développement durable.

Car la compétitivité des innovations aujourd'hui et ici n'est pas automatiquement gage de progrès humain demain ou ailleurs.

Vous conviendrez alors qu'il est inconvenant que l'ANR ajoute au budget des entreprises plus d'un sixième du budget de la recherche, sans aucun regard de l'agence de l'évaluation.

Il est un domaine de la recherche sur lequel le projet de loi est plus que discret : celui de l'expertise. Les agences, les instituts de veille sanitaire ne sont même pas cités. Pourtant, leur création fut un grand pas pour la connaissance et pour la santé publique. Il ne se passe pas un mois sans que nous en mesurions l'utilité.

Ce sont des espaces de recherche à part entière et ceux qui y travaillent rassemblent des compétences égales à celles de nombreux laboratoires. Ces agences auraient dû trouver place dans le texte et bénéficier d'un renforcement de leurs moyens dans le budget. Il y va de leur efficacité et de leur indépendance.

À l'article 6 du projet de loi, est ajouté pertinemment dans les missions de la recherche « le développement d'une capacité d'expertise ».

Il est nécessaire de clarifier les termes, et de bien mentionner qu'il s'agit d'expertise publique au service de la décision publique. Cela ne saurait se résumer aux commandes de l'industrie s'apparentant à de la consultance.

Ajouter cette mission d'expertise, très attendue, très sollicitée par la société, nécessite que le projet de loi définisse rapidement un cadre pour ce type de mission, notamment des principes déontologiques et des principes méthodologiques. Il y a quelques semaines, notre collègue Claude Saunier a organisé une audition publique sur le thème de l'expertise. Les organismes souhaitent que soient clarifiées les responsabilités. Il faut protéger les donneurs d'alerte, comme en Grande-Bretagne. Nous avons besoin d'une haute autorité de l'expertise qui garantisse indépendance et qualité des procédures, qui clarifie les rôles de chacun et la nature des éventuels partenariats internationaux. Notre collègue a déposé une proposition de loi en ce sens.

En conclusion, je souhaite vous exprimer notre déception face à un texte qui cumule de nombreux rendez-vous ratés.

Celui de la démocratie, puisque l'on restructure administrativement sans associer suffisamment la communauté scientifique et puisque la société reste tenue à l'écart des orientations de la recherche, du partage et de la production du savoir.

Celui de la jeunesse, puisque l'université n'est pas « revisitée » grâce à un travail approfondi sur les liens étroits entre l'activité de recherche et la pédagogie, qui doit y être associée dans un rapport gagnant-gagnant et puisque les étudiants qui s'y destinent le feront toujours à l'aveugle et dans la précarité.

Celui de l'avenir, puisque, sur le fond, vous facilitez plus une compétitivité traditionnelle à courte vue qu'un développement durable guidé par une recherche finalisée et puisque, sur la forme, vous ne profitez pas de ce rendez-vous pour faciliter les coopérations entre disciplines, pour procéder à une étude de nos organismes et du CNRS afin de simplifier notre système de recherche, par l'identification de synergies nouvelles.

Le plus inacceptable, c'est que vous utilisez discrètement le ressort budgétaire pour mener à bien une réforme très libérale, sans la soumettre publiquement au débat. Avec le crédit d'impôt et une part significative des moyens de l'agence, plus de la moitié de l'argent public de la recherche s'en va à l'entreprise, sans contrôle, tandis que la recherche publique se verra contrainte à recourir de plus en plus à des emplois non durables, sur projets.

Un regard sur nos réussites d'hier vous aurait montré que c'est du foisonnement que naît l'excellence que vous appelez de vos voeux.

Une politique sportive pour tous élève le niveau physique d'une population et donne l'opportunité de grandes championnes. On ne décrète pas une médaille d'or. On veille à la présence de gymnases et d'animateurs dans tous les quartiers, pour que se révèlent des talents.

La biodiversité est la garantie dans la nature de voir émerger les organismes les mieux adaptés, les plus beaux, les plus malins. On ne cultive pas une forêt pour produire des orchidées. On veille à ce que 10 000 espèces participent à un écosystème où elles peuvent s'épanouir.

Une politique de recherche attractive et diversifiée, pluridisciplinaire et coopérative ferait assurément naître des talents remarquables. Ce n'est pas en s'arc-boutant sur les brevets et la privatisation, ce n'est pas en mettant la valorisation comme préalable que l'on garantit la réussite, l'emploi et le vrai progrès humain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Goulard, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer de répondre rapidement à vos très nombreuses interventions, riches et nourries pour la plupart.

Monsieur Valade, nous avons tous deux la volonté de mettre au premier plan l'impératif de la recherche et de faire en sorte que tous les Français le partagent. Telle est probablement l'idée la plus importante qui soit.

Monsieur Blin, les liens du présent texte avec le projet de loi de finances sont évidents, et vous les avez soulignés.

Je reviendrai sans doute sur la nécessité d'un financement permanent. Il faut, à l'évidence, trouver un équilibre entre le financement des projets et le financement permanent des organismes. C'est une idée que nous mettons en oeuvre, comme en témoigne le budget pour 2006.

La progression des dotations des organismes de recherche, qui va au-delà de l'inflation, montre nettement que nous voulons assurer le financement des organismes de recherche. Les financements permanents donnent de la sécurité et permettent d'ouvrir des perspectives sur le long terme. L'appel à projets et l'octroi de crédits supplémentaires, c'est une stimulation, une émulation entre équipes, et c'est aussi extrêmement souhaitable. J'y reviendrai.

Les dispositifs fiscaux, le crédit d'impôt recherche, le statut de la jeune entreprise innovante, ce sont des innovations et des succès. J'y reviendrai également.

Vous avez raison : demain, il faudra sans doute que nous ayons à l'esprit la nécessité d'augmenter les dotations par tête. La croissance numérique de l'effectif des chercheurs n'est pas un objectif absolu. Il faut aussi considérer les moyens.

M. Valade s'est exprimé sur l'autonomie des universités. Je me permettrai d'y revenir à propos d'autres interventions, peut-être plus radicales sur ce point.

La gestion prévisionnelle des effectifs est un sujet majeur. Nous devons, dans toute la mesure possible, éclairer l'avenir à court et à moyen terme, car c'est un outil de gestion essentiel et dans l'intérêt de ceux qui envisagent de se consacrer à la recherche.

Selon certains orateurs, une programmation annuelle des emplois peut éclairer les jeunes chercheurs espérant l'ouverture de places à tel ou tel concours. Nous ne parlons pas de la même chose ! Des effectifs globaux de créations d'emplois ne permettent pas de savoir si, dans telle discipline, pour tel grade, les recrutements, en 2007 ou en 2008, répondront aux attentes de telle ou telle catégorie. C'est à un exercice beaucoup plus fin qu'il faut se livrer. D'ailleurs, dans la future direction générale de la recherche et de l'innovation, est prévue une mission particulière pour aller dans le sens d'une gestion des ressources humaines dans le domaine de la recherche.

J'aurai l'occasion, lors de l'examen des articles, de m'exprimer sur la terminologie des campus et la future agence d'évaluation de la recherche.

M. Revol, qui a rappelé les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, a évoqué la question extrêmement importante des transferts de technologie. Les réalités du monde de la recherche et du monde de l'économie d'aujourd'hui ne permettent effectivement pas de tout réduire à des schémas très simples : il peut y avoir une recherche de qualité sur notre territoire dont les applications se feront dans d'autres pays.

Cependant, l'existence d'un appareil de recherche de qualité et d'une bonne valorisation de la recherche dans notre pays est un atout pour nos entreprises et pour la localisation des emplois sur notre territoire.

Ce qui n'est pas vrai à l'échelle individuelle l'est statistiquement et collectivement. Notre intérêt économique est incontestablement de valoriser la recherche. Tous les exemples montrent que c'est un moyen de localiser sur notre territoire des activités, en particulier des activités à forte valeur ajoutée.

Je reviendrai ultérieurement sur la mission d'expertise, car certains orateurs se sont mépris sur ce sujet.

Dans les missions des organismes de recherche, la loi reconnaît - et c'est important - la mission d'expertise, qui est une réalité aujourd'hui et qui sera de plus en plus présente dans l'activité de ces organismes.

Monsieur Renar, je ne suis pas sûr que nous ayons lu le même projet de loi.

Il est très clair - et l'argument est revenu à plusieurs reprises - que rien dans le présent texte, dans le dispositif proposé, dans le Pacte, dans ce qui a été fait jusqu'à présent ou annoncé pour l'avenir, ne peut être interprété comme une volonté du Gouvernement de sacrifier la recherche fondamentale à la recherche finalisée. Nous le répétons et nos actes, qu'il s'agisse des dotations budgétaires ou des décisions, le prouvent.

Je citerai un seul chiffre, fort éclairant : la moitié des dotations de l'Agence nationale de la recherche - vous l'avez présentée comme étant un outil tirant la recherche vers les entreprises au détriment de la recherche fondamentale - sont consacrées à des projets de recherche fondamentale.

C'est dire s'il y a bien un équilibre dans nos financements. Lorsque nous augmentons les dotations du CNRS, ce n'est pas principalement pour qu'elles soient consacrées à la recherche appliquée. Quant à l'agence de la recherche scientifique européenne, l'ERC, dont nous avons obtenu la création auprès du Conseil européen, sa finalité est exclusivement la recherche fondamentale.

Recherche fondamentale et recherche appliquée sont intégrées, imbriquées et, donc, inséparables.

S'agissant des libéralités, nous avons la ferme volonté d'y mettre fin, et nous avons les dotations budgétaires pour le faire. Toutefois, cela suppose une collaboration de tous les organismes de recherche concernés. Certains sont publics, et la fin de ce système absolument non protecteur pour les chercheurs, notamment les jeunes chercheurs, sera aisément obtenue. D'autres organismes sont privés, et nous les avons appelés à supprimer ces statuts qui n'en sont pas, qui donnent lieu à une rétribution mais pas à la reconnaissance du statut de salarié.

Je voudrais évoquer un point qui me paraît important et qui a été repris par un certain nombre d'entre vous, et, d'ailleurs, le Conseil économique et social s'était prononcé en ce sens, il s'agit de la création d'un conseil scientifique au sein de l'Agence nationale de la recherche. Ce serait une grave erreur. Je m'explique en quelques mots.

La politique de recherche doit être cohérente. Une vue d'ensemble est nécessaire. Je l'ai dit à propos de la future agence d'évaluation de la recherche : avoir une vue d'ensemble de la qualité, de la performance des équipes des organismes de recherche est essentiel pour guider, orienter, privilégier ceux qui obtiennent des résultats. Cela vaut autant pour la recherche fondamentale que pour la recherche finalisée.

Doter l'Agence nationale de la recherche d'un conseil scientifique impliquerait qu'elle définisse une politique scientifique qui lui soit propre. Tel n'est pas notre souhait, car rien ne garantirait que cette politique scientifique soit en cohérence avec la politique scientifique mise en oeuvre par l'ensemble de la recherche française.

Cette cohérence ne peut être trouvée qu'au niveau de l'État. Dans le cadre de son rôle stratégique, il lui revient de définir de grandes orientations, avec l'aide du Haut Conseil et d'une administration renforcée. Nous avons besoin - M. Valade partagera certainement ce point de vue - d'une administration de la recherche de qualité, qui permette d'éclairer et de préparer les choix du Gouvernement, sous le contrôle du Parlement.

Cette politique sera arrêtée grâce au Haut Conseil, au moyen d'un dialogue permanent avec les organismes de recherche et les universités.

L'ANR est une agence de gestion de procédures, au sein de laquelle les comités scientifiques interviennent pour écrire et juger les appels à projets, et non pas pour définir des orientations qui relèvent de l'État. Il est important que nous soyons bien clairs sur ce point. Cette question touche à l'architecture d'ensemble que nous voulons mettre en place.

L'intervention de M. Jean-Léonce Dupont appelle, elle aussi, un certain nombre de commentaires.

Selon lui, nous ne faisons pas un « grand soir » de la recherche. Nous estimons que, s'agissant de ce grand et complexe secteur d'activité de notre pays, où travaillent des dizaines de milliers de personnes et qui regroupe de grands organismes et des universités, le bouleversement n'est pas la bonne méthode.

Nous avons affaire à des femmes et à des hommes de science, des responsables de tous ordres qui ont besoin de stabilité. Mais des réformes sont nécessaires. Il faut les mener sans bouleverser un paysage qui a ses caractéristiques propres, lesquelles nous distinguent à certains égards d'autres pays, mais qui n'a pas que des inconvénients, à condition que, dans tous les domaines et à tous les échelons, se manifestent une plus grande volonté d'efficacité, un désir accru de performances au service de la science et des retombées qu'elle peut avoir.

Mon point de vue personnel est que nous n'avons pas avantage, dans notre pays, à engager de grands débats qui, très vite, prennent un tour idéologique et qui, bien souvent, retardent l'adoption des réformes.

Si nous agissons avec résolution et pragmatisme, si nous sommes animés par des ambitions bien définies et si nous respectons ce qui existe, nous pouvons faire du bon travail, progresser, accroître nos performances sans courir le risque de nous heurter à ces blocages auxquels la société française est, hélas ! trop habituée, quand la réforme se veut audace et qu'elle n'est, souvent, que maladresse.

En ce qui concerne l'université, sans doute la loi de 1984 n'est-elle pas parfaite. Ce n'est d'ailleurs pas la majorité du Sénat qui l'a portée. La réforme de cette loi a été envisagée, sans être jamais menée à bien, y compris quand étaient en fonctions des ministres dont vous êtes proche, monsieur le sénateur.

Quels que soient les défauts de cette loi, malgré une certaine lourdeur dans les conseils d'administration des universités, des procédures qui ne sont pas toujours simples, des blocages qui peuvent exister, nous voyons bien que l'université française, même si nos compatriotes, contrairement à tous les spécialistes, n'en sont pas toujours parfaitement conscients, a su beaucoup évoluer, se transformer.

Certes, nous ne sommes pas encore au bout du chemin, mais l'université française a fait de considérables progrès, de manière assez silencieuse, dans le calme, mais avec des résultats probants.

Elle souffre encore, bien entendu, de lacunes et de dysfonctionnements majeurs. Le principal d'entre eux, qui est insupportable, c'est l'échec trop massif en premier cycle.

Malgré tout, cette révolution tranquille de la professionnalisation de nos universités a bien eu lieu. Qui aurait dit, il y a vingt ans, au moment de l'adoption de cette loi, que nos universités seraient capables d'offrir des formations directement en adéquation avec les besoins des entreprises ?

Or, beaucoup de nos licences et masters professionnels sont des formations appréciées des entreprises et qui débouchent directement et très massivement sur des emplois.

La qualité des études doctorales est généralement, dans notre pays, d'un niveau très élevé, et certains de nos brillants chercheurs vont travailler à l'étranger, dans des pays où l'état de la recherche est très avancé, en raison même de la qualité de leur formation.

Ne cédons donc pas à cette tendance, si française, qui consiste à considérer que nous sommes, du fait de la singularité de nos organisations, systématiquement moins performants que les autres. De la même façon, il est tout aussi absurde de penser que la singularité constitue toujours un avantage par rapport au reste du monde.

En l'état actuel des choses, notre évolution doit se faire dans la sérénité, mais également avec détermination, et en nous appuyant sur nos atouts.

Vous avez évoqué le rapport de la Cour des comptes. J'observe que le dispositif d'ensemble présenté par le Gouvernement s'inspire très largement de ce rapport ou, en tout cas, rejoint l'opinion des magistrats de la rue Cambon. En effet, de nombreuses mesures prônées par la Cour figurent dans le projet de loi.

Par ailleurs, la simplification est un immense chantier.

Vous avez critiqué, et vous n'êtes pas le seul, le statut de chercheur à vie. J'ai pour ma part discuté à de nombreuses reprises avec nos meilleurs chercheurs, des savants remarquables qui ont reçu des distinctions internationales, et dont certains sont peut-être de futurs prix Nobel, et mon opinion concernant le statut de chercheur a évolué.

Je suis désormais convaincu que le statut public en vigueur dans notre pays présente des avantages et permet aujourd'hui, même si cela peut paraître paradoxal, d'attirer en France d'excellents chercheurs, qui apprécient la stabilité qu'offre ce statut, même si les rémunérations sont moins intéressantes.

Tout système présente des avantages et des inconvénients. Je ne crois pas qu'en matière de recherche l'instabilité chronique puisse constituer un objectif, et ce n'est d'ailleurs pas ce que vous avez dit, monsieur le sénateur.

Je rappelle également que notre système de recherche n'est pas figé, mais qu'il est susceptible d'évoluer : ainsi, nous fermons, chaque année, 10 % de nos laboratoires.

On a beaucoup parlé du classement de Shanghai. Il est évident que notre organisation ne favorise pas le classement favorable de notre pays. En effet, le fait qu'une partie de nos activités de recherche soit située en dehors de l'université nous désavantage par rapport à d'autres pays.

Par ailleurs, le classement de Shanghai est un instrument de mesure qui obéit au modèle anglo-saxon : il est donc normal qu'il favorise ce modèle. Mais nous pouvons faire de grands progrès en prenant des mesures très simples, ne serait-ce qu'en systématisant les références des publications.

Monsieur Daniel Raoul, vous avez évoqué ironiquement les souris de laboratoire. Mais vous savez, comme moi, que ces aimables animaux contribuent à la recherche d'une façon absolument irremplaçable.

Vous avez également parlé, ainsi que plusieurs de vos collègues, d'un emprunt européen.

Au moment où la France suggère à l'Europe d'emprunter des fonds à la Banque européenne d'investissement afin de financer le septième PCRD, il est vrai que nous rejoignons, comme M. Laffitte nous y a invités, ceux qui pensent que l'on peut recourir à l'emprunt pour financer la recherche. En effet, la recherche étant un investissement, il est logique qu'elle puisse être financée, tout au moins partiellement, par le recours à l'emprunt.

La progression des dépenses en matière de recherche privée correspond au fameux objectif de Lisbonne, qui fixe à 3 % du PIB les crédits consacrés à la recherche. Cet objectif impressionnant a d'ailleurs été atteint, voire dépassé, dans un certain nombre de pays.

Aux États-Unis, les dépenses de recherche privée ont progressé de 150 % en dix ans. Et on peut constater, à travers les défis relevés dans différents secteurs industriels, que des efforts considérables ont été consentis, dans le monde entier, par les entreprises en matière de recherche privée.

J'ai déjà eu l'occasion de dire que l'objectif de Lisbonne ne constituait pas une prévision. En effet, une prévision se réalise de façon assez probable, sans que soit donnée d'impulsion particulière et sans que l'on intervienne sur le cours des événements. Cet objectif de 3 % représente au contraire une ambition, ce qui suppose un certain volontarisme.

En l'occurrence, de la part de l'État, le volontarisme est au rendez-vous. Nous sommes convaincus que les entreprises françaises et européennes comprendront, à leur tour, qu'elles ne pourront pas réussir dans la compétition internationale sans accomplir un grand effort en matière de recherche. Elles sont d'ailleurs en train de le constater, car elles sont tout autant informées que nous sur ces enjeux, n'en déplaise à Mme Blandin.

En effet, plusieurs signes montrent que les entreprises françaises sont engagées, chacune à leur façon selon les secteurs, dans une stratégie d'accroissement de leurs dépenses de recherche.

Vous avez parlé de l'effet d'aubaine que représente le crédit d'impôt recherche ou le statut de jeune entreprise innovante. Or il faut regarder la réalité en face : l'assiette du crédit d'impôt recherche est constituée, à 90 %, par l'augmentation des dépenses de recherche. Où voyez-vous un effet d'aubaine ?

Lorsqu'une entreprise accroît ses dépenses de recherche, il est normal que la collectivité contribue à cet effort par un allégement de l'impôt, mais c'est bien cette entreprise qui, au départ, a pris une décision positive.

Je reviendrai ultérieurement sur la montée en puissance de ce dispositif. Mais je tiens à dire, d'ores et déjà, qu'il s'agit d'un levier permettant aux entreprises de faire des efforts en matière de recherche. Tous ceux qui croient à la compétitivité fondée sur l'innovation se réjouissent des résultats obtenus.

Vous avez dit que l'université était absente de notre projet de loi. Or toutes les mesures prévues dans ce texte ont trait à l'université. Les créations d'emplois sont majoritairement dans les universités. L'évaluation concerne l'université. S'agissant des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, tous les projets actuellement présentés sont essentiellement universitaires. Je pourrais multiplier les exemples.

Une autre critique a été formulée contre ce texte : l'absence de l'Europe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai été, comme vous, parlementaire, et je connais les textes législatifs. Notre législation concerne avant tout notre territoire national, la France, mais cela ne veut pas dire pour autant que nous oubliions l'Europe ou le reste du monde.

Ce projet de loi est totalement cohérent par rapport à l'organisation de la recherche sur le plan européen. Nous irons même plus loin en ce sens, grâce aux amendements de la commission tendant à préciser un certain nombre de dispositions.

Ainsi, la mise en place d'une agence de projets et la systématisation de l'évaluation, entre autres mesures, contribuent à mettre notre pays aux normes de la recherche européenne et internationale. En favorisant le développement de ces nouveaux atouts et en augmentant l'efficacité de notre recherche, nous ne faisons que nous adapter au standard des pays les plus développés en matière de recherche. La dimension européenne n'est donc absolument pas oubliée, bien au contraire.

Par ailleurs, vous dénoncez le cloisonnement, au moment même où nous décloisonnons !

Il est vrai que la liste des organes créés est assez longue, mais ceux-ci répondent tous à un objectif. Jean-Pierre Fourcade l'a d'ailleurs reconnu, lorsqu'il a dit que les pôles de compétitivité, ces nouveaux objets de notre paysage institutionnel, les PRES et les autres organes répondaient à un réel besoin.

Nous avons innové non pas pour le simple plaisir d'innover, mais parce que nous avions besoin de leviers, d'outils nouveaux et d'une organisation nouvelle. Il s'agit non pas d'une révolution, mais d'une évolution, fondée sur le constat des besoins actuels de la recherche française.

Vous célébrez le modèle anglais tout en critiquant l'ANR. Je suis surpris, car on peut trouver des points communs entre les deux systèmes. Certes, nous sommes sans doute moins libéraux que les Anglais, dont vous semblez apprécier la politique de recherche.

J'ajoute, s'agissant de l'ANR, qu'une partie du financement de chaque projet reviendra à l'organisme de recherche pour son fonctionnement permanent, de sorte que les équipes qui ont emporté un projet contribuent au financement global de l'organisme pour lequel elles travaillent. Cette disposition, qui nous paraît légitime, est une nouveauté, que nous introduisons en 2006. Je rappelle que l'ANR n'existe que depuis 2005. Il est donc normal que nous précisions son fonctionnement.

Le thème de la précarité a également été repris par plusieurs d'entre vous. Or cette critique n'est pas fondée puisque nous créons 3 000 emplois, dont 90 % sont des emplois publics à durée indéterminée.

Ceux qui, sur ces travées, nous reprochent de ne pas avoir prévu de programmation de l'emploi scientifique se réfèrent sans doute à la superbe programmation mise en place par le gouvernement Jospin, dont l'ambition extraordinaire - j'allais dire « planétaire » ! - consistait à créer, en dix ans, 800 emplois de chercheurs dans notre pays !

M. Daniel Raoul. Bien joué !

M. François Goulard, ministre délégué. Par ailleurs, il n'est pas exact que les allocations de recherche soient inférieures au SMIC. Celles-ci ont en effet crû de 15 % depuis 2002, alors qu'auparavant elles étaient non seulement inférieures au SMIC mais également bloquées. Nous les augmenterons de 8 % tous les 1er janvier : ce sera le cas le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2007. Cet effort n'avait pas été fait précédemment.

Monsieur Demuynck, je suis tout à fait d'accord avec votre analyse concernant la faiblesse de la recherche française. Mais je remarque que, dans notre pays, lorsqu'on se livre à une autocritique, cela signifie que nous sommes sur le chemin de la réforme. En réalité, la volonté de réformer est toujours présente au moment où nous faisons de tels constats, parfois très négatifs.

Aujourd'hui, ce constat a été fait, mais la voie du redressement est également largement ouverte ; elle l'était d'ailleurs avant même la présentation de ce projet de loi.

Vous avez souligné aussi l'existence de vrais encouragements donnés à la recherche privée et de moyens accrus consacrés aux organismes de recherche, et vous avez eu raison.

Je souscris totalement à la présentation que vous avez faite de l'évaluation de la recherche qui, si elle existe, est imparfaite et hétérogène. Nous devons donc construire des méthodes et mettre en place une articulation relativement délicate entre les dispositifs existants, notamment au sein du CNRS et de l'INSERM, et la nouvelle agence.

Nous n'avons pas l'intention de faire du passé table rase. Nous voulons au contraire nous appuyer sur ce qui existe, afin de donner une unité et une universalité à l'évaluation, absolument indispensable - personne aujourd'hui ne peut le contester ! -, de la recherche.

M. Valade n'était pas présent dans l'hémicycle quand vous avez pris, monsieur le sénateur, l'exemple du PRES de Bordeaux, qui est aujourd'hui l'un des projets les plus avancés.

M. Jacques Valade, rapporteur. C'est vrai !

M. François Goulard, ministre délégué. S'agissant du rôle des universités, nous préparons la globalisation des crédits de recherche, ce qui rejoint notre volonté de leur donner des compétences, une autonomie et des responsabilités nouvelles.

N'oublions pas non plus que la nouvelle loi organique relative aux lois de finances confère aux gestionnaires de ces établissements d'enseignement et de recherche des facultés nouvelles.

Monsieur Pelletier, il est évident que la recherche orientée vers le développement n'est pas étrangère à nos préoccupations. Mais nous avons choisi de ne pas aborder dans ce texte les différentes thématiques sous-jacentes, c'est-à-dire de ne pas spécifier les grands blocs disciplinaires et ce qui relève respectivement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. De la même façon, nous n'avons pas jugé bon de spécifier ce qui avait trait à la recherche pour le développement.

Vous l'avez dit, nous avons en France de grands établissements, comme le SIRAD, l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD, et nous développons aussi des programmes d'aide aux pays les plus pauvres de la planète.

Par ailleurs, vous avez évoqué les financements destinés aux maladies émergentes : 10 millions d'euros seront consacrés, en 2006, aux appels à projets de l'ANR.

Je voudrais également vous dire que tous nos grands organismes de recherche travaillent pour le développement. Quand l'IFREMER se préoccupe des questions climatiques à travers les mesures qui sont faites dans les océans, cela concerne autant, sinon plus, les pays en développement que les pays développés. Au CNRS, certaines recherches concernent le développement. En agronomie tropicale, malgré une certaine dispersion des forces, nous possédons également des centres d'excellence que d'autres pays développés n'ont pas.

Les plus grands programmes conduits à l'échelon européen, comme GMES, le programme qui vise à fédérer les activités européennes d'observation de la terre, ou les recherches sur l'environnement planétaire, ont un intérêt pour tous les pays, notamment pour les plus pauvres.

J'ai entendu votre message, et nous partageons vos préoccupations, monsieur Pelletier, vous qui connaissez mieux que personne les problèmes de développement.

Permettez-moi de vous dire, monsieur Billout, avec tout le respect que je vous dois, que les chiffres que vous avez cités sont parfaitement fantaisistes.

En ce qui concerne l'Agence de la recherche, j'ai déjà dit que la moitié des crédits étaient consacrés à la recherche fondamentale. Cependant, comme vous présentez l'Agence comme un organisme destiné à orienter des crédits publics vers le privé, je rappelle que 80 % des dotations de l'ANR vont au secteur public. C'est dire si l'ANR finance très majoritairement les organismes publics de recherche !

Vous avez évoqué les inconvénients d'une recherche médicale qui s'exerce dans des entreprises privées. Or les laboratoires pharmaceutiques sont, parmi toutes les entreprises, celles qui consacrent la part la plus importante de leur chiffre d'affaires à la recherche. Ainsi, un groupe français que vous avez cité consacre 15 % de son chiffre d'affaires à la recherche.

Naturellement, la recherche privée ne se suffit pas à elle-même, la recherche publique est nécessaire. Dans le domaine médical par exemple, certaines maladies rares, souvent extrêmement graves, ne concernent que quelques milliers ou quelques dizaines de milliers de personnes et ne justifieraient pas un investissement privé. La puissance publique prend le relais depuis un certain nombre d'années, et, tous crédits confondus, nous consacrons aujourd'hui 60 millions d'euros à ces maladies, alors que nous sommes partis de fort bas.

Les avantages fiscaux ne sont pas hypothétiques, monsieur Lagauche. Les chiffres que nous indiquons sont bien réels et ils seront très probablement dépassés.

En ce qui concerne le crédit d'impôt recherche, la dépense fiscale, c'est-à-dire l'avantage fiscal, s'est accrue de 240 millions d'euros et nous avons été relativement prudents en prévoyant une augmentation de 130 millions d'euros en 2006. Il ne s'agit pas de chiffres hypothétiques, mais de la réalité.

Vous dites, monsieur Lagauche, que la programmation n'est pas respectée en 2005 et en 2006. Pouvez-vous me citer une loi de programmation qui ait été respectée avant même qu'elle ne soit adoptée autre que celle concernant la recherche ? En 2005 et en 2006, le Gouvernement a fait très exactement ce à quoi il s'était engagé...

M. Jacques Valade, président de la commission spéciale. Par anticipation.

M. François Goulard, ministre délégué. ...par anticipation avant même le vote de la loi.

Nous sommes habitués aux lois de programmation dans un certain nombre de domaines, notamment dans le domaine militaire, l'actuel faisant exception, qui étaient très loin des engagements pris sur un plan pluriannuel. En l'occurrence, votre critique n'est donc pas fondée.

Vous évoquez les recrutements à long terme, j'ai cité ceux qui avaient été « brillamment » faits avant 2002.

Contrairement à ce que vous dites, les sciences humaines et sociales ne sont pas du tout négligées. En effet, les crédits qui leur étaient consacrés dans le fonds de la science, le FNS, étaient de l'ordre de 10 millions d'euros. Dans les différents projets de l'Agence nationale de la recherche relatifs aux sciences humaines et sociales, ces crédits atteignent 25 millions d'euros. C'est une augmentation considérable dans ces domaines où la dépense de recherche est plus faible pour une équipe déterminée que dans d'autres disciplines. Nous ne négligeons donc pas l'importance des sciences humaines et sociales, bien au contraire, que la finalité de la recherche fondamentale soit sociale ou économique. De grandes entreprises françaises, réunies au sein de l'Association nationale pour la valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences de l'homme et de la société auprès des entreprises, l'ANVIE, s'intéressent à l'application des recherches en sciences humaines et sociales pour les entreprises, ce qui me semble être une démarche positive.

Monsieur Fourcade, vous avez très clairement rassemblé votre pensée et vos questions en quatre rubriques.

Vous nous avez dit que le décloisonnement était à l'oeuvre dans nos projets, ce qui est exact. Le pôle de compétitivité MédiTech Santé en est l'illustration concrète de ce que nous faisons et de l'importance économique de ce type de dispositif.

Vous avez fait, s'agissant de votre deuxième question, un commentaire plus mitigé sur le statut des chercheurs, j'ai dit ce que j'en pensais. L'expatriation n'est pas systématique, certains chercheurs de très haut niveau, qui sont sollicités par de grandes universités américaines préfèrent rester en France, alors que d'autres reviennent même dans notre pays. Comme l'a dit l'un d'entre vous, ce qui compte, ce sont moins le statut personnel et la rémunération que les moyens de la recherche. Les chercheurs, notamment les meilleurs d'entre eux, sont passionnés par leurs activités de recherche, c'est leur vie, et si nous savons leur assurer les moyens de leur recherche ils resteront ou ils reviendront en France. Aujourd'hui, l'expatriation concerne quelques cas individuels, qui concernent parfois de brillants chercheurs, mais nous assistons à un grand nombre de retours et, de ce point de vue, le bilan est beaucoup plus favorable qu'il y a quelques années. Néanmoins, nous devons inciter, comme vous l'avez suggéré monsieur Fourcade, au développement des vocations scientifiques, y compris dans les grandes écoles, en souhaitant que parmi ces étudiants, qui sont souvent très brillants, certains se dirigent vers la recherche. Ils ne le font plus aujourd'hui et c'est dommage. Les meilleurs de ces étudiants devraient être incités à consacrer au moins une partie de leur début de carrière à la recherche.

Il est bien sûr indispensable de développer la création d'entreprise par les chercheurs. À cet égard, certaines dispositions de ce projet de loi sont assez efficaces. Par ailleurs, on commence à prendre conscience dans les organismes de recherche et dans les universités que la création d'entreprise est un prolongement naturel de l'activité de recherche. Les chercheurs qui créent une entreprise nous disent que c'est positif non seulement en termes d'emplois et de développement économique, mais également pour leur recherche, car la recherche fondamentale a besoin des questions que pose une recherche appliquée. C'est aussi positif pour leur enseignement, car grâce à leur expérience dans ces entreprises innovantes, ils enrichissent les connaissances qu'ils transmettent à leurs étudiants.

S'agissant des moyens, vous avez raison.

Sur la recherche duale, nous exploitons sans doute encore trop peu cette possibilité, qui est mieux utilisée dans d'autres pays, et nous pensons sans doute aux mêmes pays.

J'ai cité les chiffres sur le crédit d'impôt recherche, sur le résultat des avantages fiscaux, c'est en fait une impulsion forte qui est aujourd'hui donnée à la recherche privée.

À votre question « allons-nous retrouver notre place ? », je réponds : oui, bien sûr. Vous l'avez très justement souligné, la Suède a su à la fois assainir ses finances publiques et augmenter ses budgets de recherche. C'est la preuve que nous avons raison de chercher à atteindre ces deux objectifs. Je suis totalement d'accord avec vous pour dire qu'il faut sortir des querelles institutionnelles et avoir des approches pragmatiques.

M. Pierre Laffitte a évoqué des sujets que nous connaissons. Les pôles de compétitivité sont une politique essentielle, directement liée à ce que nous faisons. Cette dynamique nouvelle, qui trouve son origine dans les initiatives de terrains, est une petite révolution à elle seule. En effet, qu'on encourage des initiatives, qu'on lance des appels à projets, comme les pôles de compétitivités, comme les PRES, comme les campus, c'est une révolution culturelle dans l'administration française et dans l'administration de la recherche.

Les fondations de recherche sont une politique intelligente, qui a pu être conduite grâce à des financements en 2004 et en 2005.

Je suis favorable à des PRES européens - vous avez déposé des amendements sur ce point -, à la mobilité des chercheurs, aux initiatives bilatérales et multilatérales ; nous en prenons beaucoup, notamment avec l'Allemagne.

J'ai parlé du financement par la recherche duale. J'ai également évoqué les questions de l'attractivité pour les chercheurs, qui sont évidemment à la base de tout.

Madame Blandin, il est faux de dire que les campus vont détourner les PRES. À cet égard, il y a eu, volontairement ou non, beaucoup d'incompréhension.

Le sujet de fond, ce sont les PRES, qui sont demandés par le monde de la recherche et de l'enseignement universitaire. Cette demande est parfaitement légitime et nous y répondons par des outils adaptés : l'établissement public de coopération scientifique et la fondation de coopération scientifique. Selon les situations, nous aurons besoin des deux outils juridiques. Telle est en tout cas l'opinion des acteurs de la recherche.

Il s'agit d'un outil d'application générale, qui sera dans certains cas surtout utilisé à des fins d'enseignement supérieur. Les PRES universitaires, qui sont en projet, en constituent un parfait exemple. Certains PRES seront beaucoup plus dirigés vers la recherche et prendront probablement plus volontiers le statut de fondation, qui correspondra mieux à la nécessité d'associer des organismes de statut différent.

En ce qui concerne notre volonté de développer la coopération scientifique, le Gouvernement a voulu distinguer des projets qui se signalent par leur importance. C'est pour cela que nous parlons non pas de sites mais de réseaux. En effet, il faudra rassembler des forces de recherche à l'échelle du pays, sur des thèmes qui ont une valeur stratégique, et il n'y en a pas 40, 50 ou 80. Seront en effet concernés probablement moins d'une dizaine de grands sujets, comme les neurosciences, les recherches dans le domaine aéronautique et spatial, ainsi que les recherches sur la fusion nucléaire, qui nécessitent des moyens particuliers pour figurer dans la compétition internationale, où nous avons la possibilité d'être au premier rang.

Il s'agit de cela, et de cela seulement. Les campus ne sont pas une arme anti-PRES. C'est à partir des PRES et de cette volonté de coopération que, sur quelques cas particuliers d'une importance considérable, et avec des moyens qui seront à la hauteur des enjeux, que se développeront les campus, ou les réseaux thématiques de recherche avancée, les RTRA, chers au président Valade et à la commission spéciale.

En ce qui concerne le plan pluriannuel pour l'emploi, nous en avons déjà parlé.

Par ailleurs, vous évoquez un affaiblissement des organismes de recherche universitaires, alors qu'une augmentation de leurs crédits est prévue : c'est un curieux paradoxe !

Le projet de loi n'est pas muet sur les collectivités territoriales, puisqu'il les vise explicitement, notamment à propos des PRES. Quant à l'articulation avec l'Europe, j'ai déjà traité ce sujet.

S'agissant de la complexité administrative, nous apportons, à travers ce texte, un certain nombre de solutions. À cet égard, les appels à projets « à double détente » de l'Agence nationale de la recherche, qui permettent de sélectionner les projets ayant une chance d'aboutir sans obliger à constituer des dossiers complets, représentent une démarche intelligente pour réduire le temps de travail administratif des chercheurs.

Cela étant, la complexité est inscrite dans les choses, dans les réalités. À mon avis, ceux qui veulent éviter la complexité feraient mieux de s'intéresser à autre chose qu'à la recherche, car la recherche, c'est compliqué ! D'ailleurs, l'articulation entre l'enseignement supérieur et la recherche, celle entre l'économie et la recherche sont aussi des sujets complexes. À une réalité compliquée, on ne peut répondre par quelques outils très simples. Il existe donc, en effet, une complexité, mais elle est en accord avec les réalités et elle sera efficace, même si elle demande des efforts.

En outre, l'Agence nationale de la recherche ne dispose pas d'un tiers du budget de la recherche, contrairement à ce que vous avez affirmé, puisque ses crédits s'élèveront, à terme, à un peu plus d'un milliard d'euros, alors que le budget de la MIRES atteint, pour la partie « recherche », une dizaine de milliards d'euros.

En tout état de cause, je n'ai pas très bien compris, madame Blandin, quelle était la logique de votre démarche, au-delà des thèmes abordés.

Concernant, par exemple, la recherche sur le cancer, vous avez affirmé que des changements dans l'environnement pourraient permettre de réduire l'incidence de cette maladie. À cet égard, je voudrais vous rappeler des chiffres qui sont extrêmement frappants : en matière de réduction de la mortalité par cancer, on estime que, aujourd'hui, les progrès espérés pourront être obtenus pour un quart en agissant, effectivement, sur l'environnement, sur la nutrition, sur des facteurs externes, pour un autre quart grâce à un dépistage plus précoce, qui permet de mieux soigner les malades, et pour moitié grâce à la recherche.

Par conséquent, il faut se garder de tout obscurantisme : c'est la science qui permet des progrès dans tous les domaines, qu'il s'agisse des modes de vie, de la technologie, de la productivité, de la santé, de la connaissance de l'environnement ou du règlement des problèmes environnementaux.

Je voudrais vous dire aussi que nous ne partageons pas votre conception selon laquelle une recherche décidée par l'entreprise serait une mauvaise recherche. Que serait une recherche privée totalement pilotée par l'État ? Je n'ose pas l'imaginer...

Enfin, en ce qui concerne l'expertise, vous vous méprenez complètement : le projet de loi reconnaît une fonction d'expertise, qui est une réalité pour les organismes de recherche.

Tels sont les quelques éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs. Je me réjouis que la suite de la discussion nous permette d'approfondir encore nos échanges sur ces grands et beaux sujets ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de programme pour la recherche
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