compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires chinois

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de la Conférence consultative politique du peuple chinois, conduite par l'un de ses vice-présidents, M. Zhang Siqing.

Cette visite souligne la remarquable qualité des relations entre nos deux pays, illustrée récemment par le succès des années croisées, de la Chine en France, puis de la France en Chine, auxquelles le Sénat avait été très largement associé.

Je forme des voeux pour que cette visite contribue encore un peu plus au renforcement des liens d'amitié qui unissent nos deux pays depuis si longtemps.

Notre éminent collègue M. Ambroise Dupont accompagne la délégation de nos amis chinois, que nous sommes très heureux d'accueillir. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Exception d'irrecevabilité

Immigration et intégration

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration (nos 362, 371).

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 107, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration (n° 362, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, tandis que, sur les ondes, M. le ministre de l'intérieur faisait part de sa mansuétude à l'égard des écoliers étrangers vivant dans notre pays, des policiers français sont venus arrêter, à l'école maternelle Julien Pesche du Mans, deux petits garçons kurdes âgés respectivement de trois ans et de six ans et demi, afin qu'ils rejoignent leur mère, déboutée du droit d'asile. Je viens d'apprendre qu'ils ont été expulsés de notre territoire manu militari.

Est-ce ainsi que vivent les petits garçons scolarisés, dans notre beau pays ?

Les raisons de fond de notre opposition au projet de loi qui nous est actuellement soumis ont été exposées hier par ma collègue Éliane Assassi. En défendant cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nous voulons faire appel à la responsabilité des parlementaires à l'égard de nos concitoyens et au regard des principes fondamentaux qui fondent la République. Il est en effet de notre devoir de nous interroger sur la légitimité de ce que nous faisons.

Ce projet de loi a suscité l'opposition de plus de 450 associations et organisations démocratiques, ainsi que des évêques et des organisations chrétiennes.

Des citoyens et plusieurs organisations ont saisi symboliquement le Conseil Constitutionnel - ils n'en n'ont en effet pas la possibilité effective - du caractère attentatoire de ce texte aux libertés et aux droits fondamentaux garantis par la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur et vous-même, monsieur le ministre délégué, leur opposez, sondages à l'appui, la compréhension d'une majorité de la population.

Méfiez-vous des apparences ! Vous avez utilisé les mêmes arguments pour défendre le contrat première embauche, le CPE, en opposant les étudiants bien nés aux jeunes défavorisés. Pourtant, vous avez dû vous défaire du CPE ...

Mais surtout, vos motivations sont trompeuses et, par là même, trompent nos concitoyens. Vous entendez encore une fois dévoyer le mécontentement, né de votre politique libérale débridée, par la division du peuple et tout le cortège des peurs et des slogans qui stigmatisent les étrangers, les jeunes, les pauvres et bien d'autres encore.

L'hebdomadaire people bien connu, dont la devise est « le poids des mots, le choc des photos », a fait des émules : le ministre de l'intérieur, au premier chef, avec ses formules à l'emporte-pièce -  « La France, tu l'aimes ou tu la quittes », le « nettoyage de la racaille au Kärcher » -, mais aussi une bonne partie des médias audiovisuels qui, pour des raisons d'audimat sans doute, alimentent ce propos. Ainsi, lors des événements de novembre dernier, ces médias ont diffusé en boucle des images de violence et des propos martiaux, donnant à croire que notre pays était mis à feu et à sang par des jeunes de banlieues, dont nul n'ignore qu'ils sont, bien entendu, plus ou moins immigrés !

Des personnes sérieuses ont expliqué que ces graves émeutes trouvaient leurs causes profondes dans la fracture sociale et territoriale de notre pays, les discriminations et les injustices, entre autres.

Selon des études, également sérieuses, si, sur une longue période, la xénophobie et le racisme reculent, en revanche, la perception des phénomènes migratoires en tant que dangers fait remonter les stéréotypes, comme celui des immigrés responsables du chômage, de l'insécurité, etc.

C'est exactement ce qui se passe. Et vous entretenez ce climat à des fins électorales. Vous jouez avec le feu, et vous le savez !

Le législateur, même s'il partage votre point de vue, doit s'interroger sur l'utilité des textes qu'il élabore et respecter les principes fondamentaux qui régissent notre « vivre ensemble », les libertés et les droits à valeur constitutionnelle, valables pour tous sur notre territoire. Quand certains législateurs s'en sont éloignés, ils avaient déjà renié la République.

L'utilité de ce texte, mesdames, messieurs de la majorité, est difficilement recevable de votre propre point de vue ! Nombre d'entre vous n'ont à la bouche que les mots « évaluation de la loi votée » et « étude d'impact de la loi future ».

Le Gouvernement justifie ce texte, le deuxième en deux ans sur ce sujet, de la façon suivante : « L'immigration demeure aujourd'hui sans rapport avec les capacités d'accueil de la France et ses besoins économiques. »

Mais pour qui et pourquoi ?

Le nombre d'étrangers vivant sur notre territoire est relativement stable. Vous vous félicitez vous-mêmes de la stabilisation des flux migratoires réguliers. Les étrangers en situation irrégulière dans notre pays sont de 200 000 à 400 000. Beaucoup - la plupart d'entre eux - travaillent. Et s'ils sont en situation irrégulière, c'est à cause des lois Pasqua-Sarkozy et de la large impunité dont bénéficient les patrons qui préfèrent employer des étrangers précaires, moins chers, à des détenteurs de titres de séjour en bonne et due forme.

Mais la directive Bolkestein qui, pensez-vous, est sur le point d'être appliquée en France permettra d'embaucher des ressortissants européens dont le coût sera encore moindre, alors même que l'égalité des salaires pour les étrangers en situation régulière est normalement la règle dans notre République.

Les familles : des immigrés « subis », pour employer votre langage ? En réalité, 25 000 personnes par an sont admises à séjourner sur notre territoire au titre du regroupement familial. Ce chiffre, stable depuis sept ou huit ans, est bien loin de celui des années soixante-dix, et pour cause ! De plus, contrairement à certains fantasmes, il ne s'agit pas de familles nombreuses puisque ces foyers comprennent en moyenne 1,64 personne.

Les abus ? Là encore, vous êtes en pleine contradiction puisque, pour montrer votre efficacité, vous vous prévalez des bons résultats des lois déjà votées et de leur application zélée par voie de circulaires, notamment celle de février 2006.

Quant à l'admission automatique au séjour après dix ans de présence en France, que vous qualifiez de prime à la clandestinité, elle concerne environ 4 000 personnes.

Les mariages de complaisance ? Mais combien y en a-t-il par an, exactement ? Nul n'est capable de le dire !

Encore une fois, le Gouvernement nous demande de légiférer sans évaluation contradictoire de la législation existante, sans étude d'impact d'une future loi, sur le plan tant, comme l'a dit ma collègue Éliane Assassi, de la « fabrication » de clandestins, de la précarisation des familles, que des échanges avec les pays d'émigration et de l'image de notre pays auprès de ceux qui veulent ou pourraient y faire des études.

Politiquement, cette nouvelle loi n'est pas recevable. Elle ne l'est pas plus au regard des principes de notre République.

La notion de quotas faisait grincer des dents, y compris dans la majorité. Elle est en outre, dans les pays qui la pratiquent, totalement inopérante s'agissant de la maîtrise de l'immigration irrégulière.

Qu'à cela ne tienne ! On parle d'immigration « choisie », soit pour répondre à des besoins conjoncturels dans des délais courts, soit pour attirer des personnes très qualifiées sur des périodes un peu plus longues. Dans les deux cas, on pourra se débarrasser très facilement de ces immigrés.

Les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants des ouvriers immigrés polonais, italiens, portugais, espagnols, algériens, tunisiens, sénégalais, maliens, devraient avoir honte d'un tel projet de loi : leurs ascendants venus en France pour travailler à la mine, dans le bâtiment, sur les chaînes de construction automobile, dans l'armée pour servir la France, auraient-ils obtenu une carte portant la mention « compétences et talents » ? Ils n'auraient même pas pu travailler en France !

Non, les migrants ne sont pas une marchandise, une variable d'ajustement ; ce sont des hommes et des femmes qui ont des droits fondamentaux, des hommes et des femmes originaires de pays pauvres à l'égard desquels les pays occidentaux, et notamment le nôtre, vieux pays colonisateur, ont des dettes, dans un monde où l'écart se creuse entre les riches et les pauvres et où la mise en oeuvre d'une véritable solidarité internationale est impérative.

Il est inconvenant, et donc irrecevable, qu'il n'y ait dans ce texte rien de significatif sur le sujet du développement de ces pays, sauf à demander aux immigrés d'y participer eux-mêmes.

J'ajoute, comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, laquelle n'a d'ailleurs pas été consultée, que la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille « permettrait de formaliser le cadre nécessaire à cette coopération Nord-Sud ». Mais la France n'a toujours pas ratifié cette convention !

La vieille Europe, forteresse assiégée qui ne verrait des pays pauvres que son intérêt égoïste, n'a pas d'avenir.

Notre pays tire d'ailleurs les pires conclusions du Livre vert européen de 2005, en réduisant les migrants à leur seule force de travail.

Du point de vue du respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle, plusieurs points du texte sont irrecevables.

Le titre II, en durcissant le droit au regroupement familial et en organisant un véritable parcours du combattant, met en cause le droit à mener une vie familiale normale et réunit tous les éléments d'une précarisation des familles étrangères, fait évidemment déjà dénoncé hier par plusieurs orateurs mais sur lequel il convient d'insister.

La loi du 26 novembre 2003 avait déjà restreint ce droit, en supprimant l'accès direct à la carte de résident et en décidant de nouveaux critères d'appréciation des ressources.

Ici, le délai de dépôt d'une demande de regroupement familial est étendu à dix-huit mois. C'est d'autant plus injustifié que l'instruction des demandes est très longue, comme sont injustifiées l'exclusion du calcul des ressources du demandeur de toujours plus de prestations familiales ou encore la modulation par décret du niveau des ressources selon la composition de la famille.

Enfin, une nouvelle restriction est apportée par la condition d'intégration. Le regroupement familial peut être refusé si « le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française ». Cette condition et son imprécision donnent au préfet un pouvoir d'appréciation arbitraire. Cela a été dit, et je le répète !

Quand le Conseil Constitutionnel a été saisi de la deuxième loi Pasqua sur l'immigration, en 1993, il a réaffirmé l'obligation pour le législateur de respecter les droits fondamentaux des étrangers.

Je cite un extrait de sa décision : « Considérant toutefois que si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s'ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ; qu'en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu'ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu'ils doivent bénéficier de l'exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés. »

Les dispositions du projet de loi contreviennent au dixième alinéa du préambule de la constitution de 1946, qui prévoit que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

En effet, le Conseil constitutionnel considère « qu'il résulte de cette disposition que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ; que ce droit comporte en particulier la faculté pour ces étrangers de faire venir auprès d'eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs sous réserve de restrictions tenant à la sauvegarde de l'ordre public et à la protection de la santé publique lesquelles revêtent le caractère d'objectifs de valeur constitutionnelle ; qu'il incombe au législateur tout en assurant la conciliation de telles exigences, de respecter ce droit ».

Le droit à mener une vie familiale normale a aussi été reconnu par le Conseil d'État, dans son arrêt « Gisti » du 8 décembre 1978 : est « principe général du droit » le droit, pour les étrangers, comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale.

Le projet de loi remet également en cause le droit au mariage, lui-même composante du droit à mener une vie familiale normale.

Les conditions draconiennes exigées des futurs conjoints de Français font peser la suspicion sur les mariages mixtes. Mais n'est-ce pas dans cet esprit que le Gouvernement a présenté devant l'Assemblée nationale un projet de loi relatif à la validité des mariages ?

Pour obtenir un titre de séjour provisoire d'un an, les étrangers conjoints de Français devront retourner dans leur pays d'origine pour s'y faire délivrer un visa long séjour. Inutile de dire que beaucoup d'entre eux y resteront bloqués, dépendants de la décision des consulats. Vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le ministre, car cela a été dit et redit. En effet, à part le récépissé indiquant la date du dépôt de la demande, le texte ne prévoit aucune disposition en cas de non-respect de cette règle formelle.

De toute façon, le conjoint de Français pourra toujours se voir refuser le visa long séjour en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. On sait que d'ores et déjà les consulats n'hésitent pas à invoquer la fraude. En l'absence de tout recours, on voit bien ce que cela peut signifier !

Le parcours du conjoint étranger restera semé d'embûches, et la vie de couple entre un étranger et un Français difficile à mener. Ainsi, même les Français conjoints ou futurs conjoints seront pénalisés.

Enfin, s'agissant des couples mixtes, le droit à la délivrance d'une carte de résident est également remis en cause.

Actuellement, l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile donne au conjoint étranger accès de plein droit à la carte de résident, sous réserve d'un séjour régulier et d'un mariage d'au moins deux ans. Il lui faudra désormais trois ans de mariage.

Il est d'autres dispositions qui rendent toujours plus suspects les mariages mixtes, comme le retrait de la carte de résident en cas de rupture dans les quatre ans de la célébration du mariage.

La rupture de la vie commune deviendrait-elle obligatoirement une présomption de fraude ? Ainsi, les étrangers, pour espérer obtenir et conserver leur titre de séjour, devront être bien intégrés, fidèles à leur conjoint, bien vus par le maire et leur patron, avoir un bon salaire, un grand logement dans un bon quartier : c'est fantastique !

Mmes Éliane Assassi et Josiane Mathon-Poinat. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce texte ne respecte ni la Constitution ni la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 8 reconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale et l'article 12 le droit au mariage.

Je n'oublie pas les enfants, qui peuvent se voir privés de leur mère ou de leur père et se retrouver dans des situations dramatiques, alors que l'intérêt supérieur de l'enfant est reconnu par la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par notre pays.

Le projet de loi porte aussi de nouvelles atteintes au droit d'asile. Comme l'a dit ma collègue Éliane Assassi, le Gouvernement se livre une nouvelle fois à l'amalgame entre l'immigration et le droit d'asile, droit inaliénable.

Je rappelle que le quatrième alinéa du préambule de la constitution de 1946 reconnaît à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté [le] droit d'asile sur les territoires de la République ».

Le projet de loi bafoue un peu plus ce droit, en maintenant la liste française des pays d'origine sûrs et en restreignant l'allocation temporaire d'attente pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire. Avec de telles dispositions, comment les cinéastes américains victimes du maccarthysme auraient-ils pu obtenir l'asile en France et, grâce à cet asile, faire bénéficier le monde entier de leurs talents ?

Il suffit d'évoquer les engagements internationaux de notre pays pour se convaincre de l'irrecevabilité de ce projet de loi. Les textes que j'ai cités forment le noyau dur de la protection des droits fondamentaux. Avec ce projet de loi, la France ne s'honore pas, car elle ne respecte pas ces textes.

La Constitution ne permet pas à mon groupe de saisir le Conseil constitutionnel pour qu'il confirme son avis de 1993. J'appelle donc mes collègues qui sont opposés au projet de loi à s'associer aux sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pour le saisir.

Je terminerai en rappelant qu'à l'appel de trois de leurs syndicats les magistrats administratifs sont, fait assez rare, en grève aujourd'hui pour protester contre la nouvelle remise en cause du fonctionnement collégial des tribunaux administratifs issue du futur dispositif de traitement du contentieux du séjour et de l'éloignement des étrangers. Allez-vous les entendre ? Il semble que non, puisque, apparemment, vous n'entendez personne...

Pour ces raisons au moins, nous devrions, mes chers collègues, déclarer ensemble qu'en l'état le projet de loi est irrecevable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, contre la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Maintenant, la leçon du professeur !

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'abord, je n'ai pas trouvé la moindre indication d'articles de la Constitution auxquels le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration serait contraire. En d'autres termes, ce projet de loi est conforme à la Constitution.

M. Patrice Gélard. Et tant que le Conseil constitutionnel ne l'aura pas fait, c'est le législateur - nous, mes chers collègues - qui statue sur sa constitutionnalité.

MM. Paul Blanc et Jean-Patrick Courtois. Très bien !

M. Patrice Gélard. Ensuite, le rapport sénatorial sur l'immigration n'a apparemment pas été lu, et c'est bien dommage !

M. Alain Gournac. Il faut en donner un exemplaire à Mme Borvo Cohen-Seat !

M. Patrice Gélard. Le rapport Othily-Courtois met en effet le doigt sur les problèmes gravissimes que soulève la non-réglementation de l'immigration. Or, voter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, c'est justement ne rien faire...

M. Patrice Gélard. ... et laisser les choses aller au fil de l'eau, estimer que tout va bien (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.),...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, tout ne va pas bien ! Votre politique ne nous va pas du tout !

M. Patrice Gélard. ... qu'il est normal que tout immigrant dans n'importe quelle situation ait tous les droits et que nous ne puissions pas nous défendre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Pour ma part, je crois que le critère essentiel est le respect de l'État : l'État a le droit de choisir qui entre sur son territoire et qui n'y entre pas. Notre pays n'est pas là pour accueillir, comme le disait si bien Michel Rocard, toute la misère du monde ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Paul Blanc. Voilà !

M. Patrice Gélard. En revanche, et il convient de le souligner, c'est en ne faisant rien que l'on porte atteinte à des droits fondamentaux. En effet, est-ce respecter leurs droits fondamentaux que d'admettre sur notre territoire des gens qui n'ont pas de logement, pas d'emploi, aucune garantie, aucune sécurité ? Et l'on couvrirait cette véritable atteinte à leurs droits fondamentaux au nom d'on ne sait quels principes qui, en tout cas, ne sont pas ceux de la République ?

Les principes de la République veulent que les gens que l'on accepte sur notre territoire soient accueillis comme des citoyens français et non pas comme des citoyens de troisième ou de quatrième zone.

Au fond, ce que nous proposent les auteurs de la motion, c'est la politique de l'autruche,...

M. Patrice Gélard. ...politique qui consiste à ne rien faire et à laisser les choses en l'état, alors que nos voisins allemands, espagnols, italiens commencent à prendre conscience du problème et ont justement décidé de réagir face à une situation intolérable. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Restez sur le terrain du droit, monsieur Gélard !

M. Patrice Gélard. Enfin, vous n'avez pas écouté ce qu'a dit hier M. le ministre sur la nécessité de nouer avec les pays d'origine des relations particulières de façon à créer des emplois, à encourager les retours, à favoriser l'investissement.

M. Robert Bret. Hypocrisie !

M. Patrice Gélard. C'est cela la bonne voie,...

M. Robert Bret. Tartufferie !

M. Patrice Gélard. ...et non pas celle que vous indiquez : ne rien faire et attendre le déluge ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous vous doutez bien que, sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, la commission des lois à émis un avis défavorable, estimant que le projet de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui ne méconnaît en aucun cas le droit à mener une vie familiale normale, la liberté du mariage ou encore l'intérêt supérieur de l'enfant.

Pour que les choses soient parfaitement claires, convient-il de rappeler, une fois de plus, devant la Haute Assemblée la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en la matière ?

Le Conseil constitutionnel estime qu'aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers de droit de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur notre territoire. Il appartient évidemment à l'État de décider et d'organiser leur venue, et tel est bien l'objet du présent projet de loi.

Il appartient évidemment aussi à l'État de respecter les droits des uns et des autres. Or à aucun moment - et l'on discute depuis longtemps déjà de ce projet de loi - n'ont été relevées des difficultés constitutionnelles de la nature de celles qu'a citées notre collègue.

J'ajoute, madame Borvo Cohen-Seat, que la commission a déposé plusieurs amendements, auxquels d'ailleurs le Gouvernement, nous a-t-il été dit hier, est favorable, amendements qui, à l'inverse de ce que vous affirmez, vont permettre des avancées, notamment en ce qui concerne le droit des mineurs ou le droit d'asile lui-même. Ainsi, les rapports de force me paraissent respecter sans aucune difficulté le droit constitutionnel.

À titre tout à fait accessoire enfin, je rappellerai que j'ai aussi quelque peu contribué au rapport sur l'immigration clandestine... (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a essayé de semer le trouble quant à ce sujet important.

M. Dominique Braye. Essayé seulement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Au moment où M. le ministre d'État propose à la Haute Assemblée une politique ferme, juste et équilibrée en matière d'immigration et d'intégration,...

Mme Éliane Assassi. On en a la preuve avec les enfants expulsés ce matin !

Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas l'air très sûr de vous !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... et alors qu'il a très clairement annoncé que, pour tout enfant scolarisé, au cas par cas et au regard de la situation de la famille dont il est issu, la demande d'asile pourra être examinée,....

Mme Hélène Luc. Au cas par cas !

Mme Éliane Assassi. Comme ce matin !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... et que nous n'expulserons pas dans n'importe quelles conditions des écoles de France des enfants de familles étrangères, je ne peux pas accepter...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut l'accepter pourtant !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... que Mme Borvo Cohen-Seat sème ainsi le trouble quant aux conditions dans lesquelles une famille d'étrangers installée dans la Sarthe a été envoyée vers la Norvège.

Selon la convention de Dublin, chaque fois qu'une famille demande l'asile à un pays membre de l'Union européenne, c'est ce dernier qui doit traiter la demande, et c'est vers lui que la famille doit être orientée.

En la circonstance, que s'est-il passé ? (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Deux policiers sont venus chercher des gamins !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Hier, dans la Sarthe, une famille a été éloignée vers la Norvège parce qu'elle avait déposé une demande d'asile dans ce pays européen démocratique. (Exclamations sur les travées de l'UMP. - (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je connais la convention de Dublin !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il n'y a donc rien de scandaleux à ce qu'une demande déposée dans un pays européen soit examinée...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne trouvez pas scandaleux que des policiers viennent chercher des enfants à la maternelle ? Vous pouvez dire ce que vous voulez : c'est scandaleux !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Mais, madame Borvo Cohen-Seat, écoutez, à moins que vous ne respectiez pas la convention de Dublin ! Mais cela ne m'étonnerait pas que le groupe communiste insiste pour que nous ne respections pas la convention de Dublin ! L'État français, quant à lui, se doit de respecter cette convention. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Nous y voilà !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'État français, avez-vous dit ? C'était une autre période !

M. Charles Gautier. Ne réveillez pas les fantômes !

M. Bernard Frimat. La République française !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il n'y a donc rien de scandaleux, disais-je (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame), à ce qu'une demande d'asile déposée dans un pays européen soit examinée dans ce pays européen, et non en France. Et M. le ministre d'État n'a pas l'intention de proposer de dénoncer aujourd'hui nos engagements européens ; il entend tout simplement l'intention de les respecter.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Sa responsabilité, c'est de mettre de l'ordre, et il prend garde à ne pas encourager des filières d'immigration illégale.

Il serait irresponsable que la France soit le seul pays au monde où la scolarisation d'un enfant, sans autre critère, donnerait automatiquement aux parents un droit de séjour. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) De même, il serait irresponsable qu'elle soit le seul pays européen à ne pas appliquer la convention de Dublin. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Or, en l'occurrence, c'est bien ce que Mme Borvo Cohen-Seat nous propose ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une caricature ! Des policiers qui arrêtent les enfants à la maternelle ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Hélène Luc. Et ce, le jour même où Nicolas Sarkozy nous annonce que les enfants scolarisés ne risqueront pas d'être expulsés !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Pour ce qui est du fond, encore une fois, vous avez cru devoir donner au Gouvernement une leçon de libertés publiques, ce qui est d'ailleurs assez piquant venant du groupe communiste ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. -Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas de leçon à donner au parti communiste !

Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas le droit de dire cela !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez cru devoir citer quelques grandes décisions, celle du Conseil constitutionnel d'août 1993 relative au droit d'asile, ou celle du Conseil d'État de 1978 sur l'affaire Gisti. Mais il ne suffit pas d'ânonner quelques lignes, comme un étudiant en première année de droit, pour affirmer qu'un projet de loi est anticonstitutionnel.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ânonnez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N'ânonnez pas vos notes, monsieur le ministre !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Cela vous dérange peut-être, mais l'assemblée générale du Conseil d'État a approuvé le projet de loi présenté par le Gouvernement. N'est-ce pas une garantie de respect des libertés publiques ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je ne peux donc qu'inviter la Haute Assemblée à rejeter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. -Protestations sur les travées du CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est indigne ! Je demande une suspension de séance !

M. le président. Madame la présidente, en la circonstance, compte tenu de votre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, la parole peut, conformément au règlement, être accordée pour une durée n'excédant pas cinq minutes à un orateur de chaque groupe.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je demande une suspension de séance.

M. le président. Ne me demandez pas une suspension de séance ! Nous sommes en plein débat ! Si vous voulez vous exprimer, madame la présidente, vous avez parfaitement le droit d'utiliser les cinq minutes que le règlement vous offre pour faire votre explication de vote.

Je vous donne donc la parole pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je demande une suspension de séance ! (Non ! sur les travées de l'UMP)

Je trouve inacceptable qu'un ministre de la République - qui, d'ailleurs, parlait de l'État français, alors que nous sommes en République - se permette de dire que le parti communiste n'a pas de leçon de démocratie à donner ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Patrick Courtois. C'est pourtant vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais sur quelle base ? Quand des policiers viennent arrêter des enfants à l'école maternelle, cela rappelle d'autres périodes, et je ne vous permets donc pas de dire cela !

Je demande par conséquent une suspension de séance !

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, vous devriez profiter du temps de parole dont vous pouvez disposer pour développer votre propos.

M. Charles Gautier. Elle fait ce qu'elle veut !

M. Alain Gournac. Elle n'a rien à dire !

M. le président. La suspension de séance n'est pas de droit. Par conséquent, je ne vous l'accorde pas. Mais il vous reste un peu de temps de parole, si vous le souhaitez, pour expliquer votre vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ne souhaitant pas poursuivre son propos, la parole est donc à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, je me réjouis du caractère particulièrement calme dans lequel commencent nos débats, qui sont partis pour durer un certain temps. Or nous avons un début de séance dont les propos consistent, pour l'essentiel, à échanger des invectives. Je pense que nous pourrions, dans cette Haute Assemblée, aspirer à un autre type de dialogue. Sauf si, chers collègues de la majorité, votre inquiétude quant à l'issue du vote est telle que vous soyez perturbés au point de ne même pouvoir nous entendre. (Non ! sur les travées de l'UMP.) Quoi qu'il en soit, je pense que plus vous vous agiterez, plus votre supplice sera long. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jean-Patrick Courtois. Nous gagnons notre paradis !

M. Bernard Frimat. Je dois tout d'abord, s'agissant de l'intervention de notre collègue Patrice Gélard, rendre à Buffet ce qui est à Buffet et ce qui n'est pas à Courtois !

M. Jean-Patrick Courtois. Je n'ai rien demandé !

M. Bernard Frimat. J'ai lu le rapport. J'ai même participé à la commission d'enquête, fort intéressante dans son contenu, mais dont nous n'avons pas voté les conclusions. Nous aurons l'occasion de vérifier au cours de ce débat les raisons que nous avions de ne pas les adopter.

Mon cher collègue, il est du droit de Mme Borvo Cohen-Seat d'invoquer, au nom de son groupe, l'exception d'irrecevabilité. C'est un droit qu'elle a, comme il est de votre droit d'être en désaccord avec elle. Mais ne peut-on pas aborder ces problèmes ?

Le juge constitutionnel, qui n'est pas le Sénat - peut-être est-ce regrettable à certains moments, si l'on estime que la qualité des avis que nous rendrions serait meilleure que ceux du Conseil constitutionnel, mais c'est un autre débat -, le juge constitutionnel, disais-je donc, s'il est saisi, tranchera.

Notre souci de démocratie nous fait croire encore aujourd'hui que le juge constitutionnel a comme fonction de dire le droit. Par conséquent, nous sommes interpellés sur la conformité de ce texte à un certain nombre de conventions internationales. Oserai-je vous rappeler, monsieur le doyen, qu'il n'est pas du rôle du Conseil d'État de juger de la conformité à des conventions internationales ?

M. Patrice Gélard. Non ! C'est faux !

M. Bernard Frimat. Il nous semble, en tout état de cause, que le problème mérite d'être posé. Et il nous faut essayer, sur ce texte - et nous nous y emploierons tout au long du débat -, de faire toute la lumière et de vous faire préciser vos intentions.

Monsieur le ministre, nous aurons l'occasion d'échanger souvent sur un ton qui, je l'espère, permettra de se dire les choses fermement et de manière équilibrée - ce sont en effet des termes que vous affectionnez.

Nous ne pensons pas, pour notre part, que le texte est équilibré. Nous pensons qu'il est injuste. C'est notre droit. Nous ne pensons pas que ce texte grandit la République. Nous pensons, nous, et c'est notre droit de parlementaires, qu'il est contraire aux valeurs de la République. Nous le disons, nous le proclamerons, nous le répéterons. Je ne sais pas si nous irons jusqu'à vous convaincre, mais notre détermination sera en tout cas constante.

Pour ma part, je ne tranche pas. J'éprouve suffisamment d'inquiétudes à la lecture de ce texte. Que la convention de Dublin existe, nous vous en donnons acte. Mais l'image d'enfants que l'on va chercher dans une classe d'école maternelle, même s'il y a la convention de Dublin, hérisse un certain nombre de Français.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Bernard Frimat. Et ce, de plus en plus, parce que nos concitoyens ne se reconnaissent pas dans cette situation. Nous le disons, et nous souhaitons que cesse la chasse à l'enfant, comme nous vous le répéterons tout au long de ce débat.

Vous comprendrez donc bien que, dans ces conditions, faute d'avoir les capacités juridiques et constitutionnelles de mon collègue Patrice Gélard et faisant toute confiance au juge constitutionnel, nous souhaitions que ce dernier soit amené à trancher notre différend en votant cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Par la suite, nous présenterons un recours devant le Conseil constitutionnel pour permettre à ce dernier de dire le droit, puisque telle est sa fonction.

Mes chers collègues, je vous remercie de ne pas m'avoir interrompu, et je vous engage à faire de même souvent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire un tout petit cours de droit constitutionnel.

M. Robert Bret. À qui ? Au ministre ?

M. Patrice Gélard. Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence constante, rappelle qu'il est le juge de la Constitution et non pas le juge des traités internationaux.

En revanche, le Conseil d'État, comme la Cour de cassation, applique le principe selon lequel les traités internationaux ont une valeur supérieure à la loi.

M. Patrice Gélard. En d'autres termes, le Conseil d'État, en donnant son avis sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, a examiné la conformité de ce texte avec les traités internationaux auxquels notre pays est partie.

Dès lors, se fondant sur cette analyse du Conseil d'État, on ne peut pas soulever l'exception d'irrecevabilité du fait des traités internationaux. Et, ainsi que M. le ministre l'a rappelé tout à l'heure, le Conseil d'État a donné un avis de conformité aux traités internationaux, comme d'ailleurs, accessoirement, à la Constitution.

Par conséquent, dans ce domaine, il n'y a pas d'injustice. Vous estimez que ce texte ne vous plaît pas, même si, en l'occurrence, vous ne proposez rien d'autre. C'est votre droit le plus absolu, et je ne le dénie pas.

Il reste un problème que l'on doit résoudre. Le Conseil d'État estime que nous sommes en règle avec les traités internationaux et avec la Constitution. Le Conseil constitutionnel se prononcera à son tour sur la conformité à la Constitution.

Ayant toute confiance à cet égard, je ne vois pas pourquoi le Sénat voterait cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parce que c'est le seul moyen de vérifier !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'aucuns ont évoqué le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et les traités internationaux. Pour ma part, je voudrais plutôt parler d'humanisme.

M. Charles Revet. C'est plus facile...

M. François Fortassin. Notre pays s'honore d'avoir, pendant de très nombreuses années, assez bien réalisé l'intégration.

M. Josselin de Rohan. Des ours ? (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. François Fortassin. Vous pouvez plaisanter et ricaner si vous le souhaitez. De toute façon, sur ce plan, vous n'arriverez pas à m'émouvoir !

M. Robert Bret. Nos collègues se piquent d'humanisme !

M. François Fortassin. Monsieur le ministre, vous nous présentez un projet de loi, et, pour ma part, je sais gré au Gouvernement d'avoir essayé d'aborder ce problème. Mais ne parlez pas d'un texte équilibré, car ce projet porte en lui-même les germes d'un certain nombre de divisions dans le pays.

À l'évidence, l'immigration choisie ne peut aboutir qu'au pillage des élites des pays pauvres, ce qui est contraire à la tradition de notre pays.

En outre, puisqu'il est demandé à ceux qui viendraient sur notre territoire de parler la langue française, je vous rappellerai qu'un certain nombre d'entre nous ne seraient pas ici s'il avait été demandé à leurs ancêtres de manier le français de façon très correcte avant de s'installer sur le sol de ce pays.

M. Jean-Patrick Courtois. On parle d'aujourd'hui, pas de ce qui s'est passé il y a trois siècles !

M. Josselin de Rohan. C'est n'importe quoi !

M. Jean-Patrick Courtois. Cela n'a rien à voir !

M. François Fortassin. Enfin, certaines questions me paraissent devoir être posées ; je pense, notamment, à la manière de réussir une bonne intégration. Dans l'exemple que j'ai cité tout à l'heure, l'intégration reposait sur l'école laïque et sur ses grands principes.

M. François Fortassin. Aujourd'hui, de beaux esprits ont cru devoir inventer autre chose. Or, dès l'instant où l'on ouvre la porte au communautarisme,...

M. David Assouline. C'est Sarkozy !

M. François Fortassin. ... il est évident que l'on ne peut aboutir qu'à des positions frontales.

M. le ministre de l'intérieur n'est pas présent en cet instant,...

Mme Hélène Luc. Il a autre chose à faire !

M. François Fortassin. ...mais je ne doute pas, monsieur le ministre délégué, que vous lui transmettrez ce message, à savoir que la meilleure intégration se fait non par le biais de textes mais au travers de l'école laïque.

Nous aurions donc certainement pu parvenir à un bon résultat, comme ont su le faire nos prédécesseurs, et ce quelles que soient nos sensibilités politiques. Cela, je crois, méritait d'être dit ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. -Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 107, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 195 :

Nombre de votants 321
Nombre de suffrages exprimés 321
Majorité absolue des suffrages exprimés 161
Pour l'adoption 127
Contre 194

Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je voudrais simplement vous faire observer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, au moment même où Mme Borvo Cohen-Seat interpellait le Gouvernement sur ce sujet particulier, le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, M. Nicolas Sarkozy, répondait, à l'Assemblée nationale, à une question portant précisément sur les conditions dans lesquelles la famille en cause a, dans le cadre de la convention de Dublin, été orientée vers la Norvège.(Très bien ! sur les travées de l'UMP.-Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Robert Bret. Ne pourrait-on avoir affaire au ministre lui-même plutôt qu'à son porteur de serviette ?

M. Jean-Pierre Sueur. C'est clair, dans vingt minutes, le ministre d'État sera là !

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par M. Frimat, Mme Alquier, MM. Badinter, Bel et Bockel, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mmes Khiari et Le Texier, MM. Mahéas, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration (n° 362, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire - et, en l'occurrence, à l'immigration ! -, mes chers collègues, qu'une nouvelle loi sur l'immigration ne soit pas nécessaire, même le Conseil d'État qui, par définition, n'est pas composé d'irresponsables et peut encore moins être taxé de gauchiste, le pense.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat. En effet, dans son dernier rapport sur « l'instabilité juridique et normative », plaie de notre République régulièrement et unanimement dénoncée sur ces travées, nous pouvons lire ceci : « On a pu aller jusqu'à dire, avec une pointe d'excès et une part de vérité, par référence à la télévision, que tout sujet d'un "Vingt heures"est virtuellement une loi. ».

Or, au nombre des incontournables du « Vingt heures », figurent certains sujets sécuritaires, d'où une dizaine de lois en cinq ans et la confusion entretenue entre étrangers et délinquants.

Le Conseil d'État poursuit : « La maîtrise des flux migratoires se voit implicitement associée à l'objectif sécuritaire. Ainsi chaque gouvernement se croit-il tenu de modifier l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux droits d'entrée et de séjour des étrangers en France. C'est ce dont attestent pas moins de soixante-dix réformes subies par ce texte depuis 1945. Les actuels débats sur l'introduction de quotas, sur la limitation du regroupement familial et sur la réforme des mariages mixtes confirment cette instabilité : la soixante et onzième modification vient d'être annoncée. Elle s'inscrira alors dans le nouveau code. ».

Nous sommes précisément ici pour en débattre !

Un peu gêné d'avoir à rapporter devant l'Assemblée nationale la soixante et onzième modification du même texte, M. Thierry Mariani - si j'ai bien compris l'intervention qu'a faite hier M. Sarkozy - préfère ne remonter qu'à 1974. Le projet de loi y gagne ainsi trente-sept places et l'apparence de la nouveauté !

C'est là non pas, assure M. Mariani, la « trente- quatrième modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 » depuis 1974, mais « au contraire, la première étape de la définition d'une véritable politique migratoire depuis cette date ». Pas moins ! D'ailleurs, le ministre de l'intérieur n'a pas dit autre chose, hier.

C'est évidemment faux. À l'emballage près, sur lequel je reviendrai, le présent projet de loi ressemble à ses grands frères.

Comme la plupart d'entre eux, il traite de l'immigration quasi exclusivement sous l'angle administratif et policier, limitant de ce fait considérablement sa portée ; le reste relève apparemment d'autres ministères, notamment de celui de l'économie et des finances.

L'ensemble des problèmes que nous rencontrons - je pense que vous serez d'accord avec moi, monsieur le ministre délégué - vient du fait que notre système économique est en panne de croissance. Or, si nous parvenions à remédier à cette situation, les difficultés seraient bien évidemment moindres.

Comme d'habitude, et comme les autres avant lui, ce projet de loi fait l'impasse sur les moyens financiers et humains dont dépend son efficacité : moyens des centres consulaires, déjà engloutis sous les visas biométriques, moyens des préfectures, moyens de faire des « contrats d'accueil et d'intégration » autre chose qu'une formalité bureaucratique supplémentaire.

Comme le précise le Conseil d'État, dans le rapport susmentionné, « légiférer [est] la réforme la plus rapide et d'apparence la moins coûteuse. Dans un contexte de marges budgétaires limitées et de fortes résistances structurelles, l'action législative apparaît aussi comme un moyen d'éviter une dépense budgétaire ». La routine, donc !

Pour l'essentiel, en effet, les dispositions du présent projet de loi se limitent, de manière répétitive, à allonger des délais et à alourdir les conditions d'obtention des titres de séjour, à faciliter leur remise en cause une fois qu'ils ont été obtenus et, enfin, à rendre plus difficiles et plus aléatoires les recours devant la justice.

C'est ainsi que le développement des procédures de reconduite à la frontière ou d'expulsion expéditive - pouvant aller jusqu'à l'interdiction de contester la destination de renvoi, voire au recours à des entreprises privées pour procéder à ces expulsions -, la substitution progressive du magistrat unique à la collégialité, l'extension régulière du champ de la justice d'abattage, ou encore l'appel de plus en plus fréquent à des juges d'occasion ou « honoraires » sont autant de tendances lourdes observées ces dernières années.

Dans ce projet de loi, même le nouveau a un air de déjà- vu !

En effet, les « contrats d'accueil et d'intégration » existent déjà, de même que l'équivalent de la carte « compétences et talents ». Introduit par voie d'amendement au Sénat, l'article 20 de la loi du 26 novembre 2003 permet en effet la délivrance, au bout d'un an, d'une carte de séjour « VIP », selon l'expression employée par M. Thierry Mariani lui-même dans un rapport remis à l'Assemblée nationale en 2004.

D'une durée pouvant aller jusqu'à quatre ans, cette carte de séjour concerne en particulier les scientifiques, les universitaires, les chercheurs, ou encore les cadres des grandes entreprises.

Quant à l'emballage rhétorique du projet de loi, c'est son archaïsme qui lui donne son petit air de nouveauté !

L'idée de sélectionner la population immigrée, d'abord dans un but protectionniste, remonte, en effet, à la loi du 10 août 1932, laquelle autorise tout gouvernement à fixer la proportion maximale de travailleurs étrangers dans les entreprises ; la loi du 2 mai 1938 a ensuite étendu ce dispositif à l'artisanat.

De cette façon, l'on passera rapidement de l'objectif de protection à celui de sélection des populations en fonction du bénéfice que le pays d'accueil en attend. Ce qui tient lieu de science ne parle pas encore la langue managériale des « compétences », mais s'exprime dans le jargon des « races » et des « ethnies », ce qui revient au même tant il est vrai que « races » et « ethnies » ne valent que par les compétences et les talents supposés de leurs membres.

Dès 1938, Philippe Serre, sous-secrétaire d'État chargé des services de l'immigration et des étrangers, tente, selon sa propre expression, de « séparer le bon grain de l'ivraie », l'immigration utile de celle qu'il juge néfaste.

À ses côtés, Georges Mauco théorise, pour sa part, une hiérarchisation des ethnies ; en 1942, évoquant cette expérience, il écrit ceci : « la notion de qualité en matière d'immigration était déjà apparue comme une nécessité aux autorités françaises, mais les tendances politiques égalitaires des gouvernements leur interdirent d'agir en conséquence et d'assurer la protection ethnique du pays ».

À la Libération, le débat reprend sur ces bases, pour aboutir aux fameuses ordonnances de 1945.

« En fin de compte, affirme Patrick Weil, le choix définitif du Gouvernement se fera entre un projet proche du modèle américain d'avant-guerre de sélection ethnique par quotas, défendu notamment par Georges Mauco, et la création d'un modèle spécifiquement national, fidèle aux valeurs républicaines d'égalité, défendu notamment par les ministres responsables du dossier, Alexandre Parodi et Adrien Tixier...

« Ce que l'on n'appelle pas encore "l'intégration" de l'étranger est organisé par un mélange équilibré de droits et de contraintes spécifiques, plus que par une sélection ethnique qui implique un contrôle policier et vétilleux. »

Ainsi, la théorie de « l'immigration choisie » est aussi ancienne que les adversaires du modèle républicain d'intégration. À mon sens, il faudrait y regarder à deux fois avant de toucher à ce modèle, dont les ordonnances de 1945 constituent le centre de gravité, d'autant que son concurrent est loin de faire des miracles, comme les vagues de régularisations qu'il entraîne nécessairement le prouvent. Hier, notre collègue Jacques Peyrat nous a rapporté une anecdote relative à la politique du Canada qui montre que, là où l'immigration choisie est pratiquée, les résultats obtenus ne sont pas nécessairement très satisfaisants.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de mon intervention, permettez-moi d'évoquer une scène que j'ai vécue au tribunal de grande instance de Paris, l'hiver dernier.

Ce jour-là, dans le flot des prévenus habituels, un ne l'est pas : un jeune Mongol d'une vingtaine d'années, ne parlant évidemment pas un mot de français. Il comparaît pour séjour irrégulier en France. Avant de passer aux affaires suivantes, le président du tribunal, aussi étonné que moi, lui demande : « Mais enfin, pourquoi êtes-vous ici ? Vous n'y connaissez personne, vous n'avez ni ressources ni domicile, vous dormez en plein hiver dans des voitures, quand ce n'est pas dehors. Ce n'est tout de même pas une vie ! » Réponse de l'intéressé : « c'est de toute façon mieux que là d'où je viens ! » (Mme Lucette Michaux-Chevry s'exclame.)

Tout est dit. Dans un monde ouvert à tous les trafics et chaque jour plus inégalitaire et déséquilibré, l'immigration zéro est une illusion, chacun s'accorde sur ce point.

Toutefois, ne jouons pas sur les mots ! Cette immigration, nous ne la choisissons pas : les différences de potentiel de développement entre les pays du monde nous l'imposent avec la rigueur des lois physiques. Toute loi nouvelle qui refuserait cette évidence serait, au mieux, inutile.

Naturellement, la décision d'arrêter l'immigration en 1974 était un leurre. Elle est d'ailleurs restée sans effet pratique. La rhétorique marketing de l'immigration choisie, qui continue à laisser croire qu'il est possible d'arrêter le flux des populations indésirables simplement en renforçant les dispositifs administratifs et policiers constitue également un leurre.

La diminution du nombre des résidents réguliers sera obtenue au prix de l'augmentation de celui des clandestins, comme le montre ce qui s'est passé à Sangatte, où les résultats réellement obtenus sont très éloignés de ceux qui étaient évoqués hier par M. Sarkozy.

La fermeture du centre d'hébergement de Sangatte a certes fait disparaître ses pensionnaires, mais l'équivalent du tiers sinon de la moitié d'entre eux - des hommes, des femmes et de plus en plus d'enfants - erre désormais dans la ville, dans des conditions effroyables, en attentant l'occasion d'un départ. Comme mon jeune Mongol, ils ne renonceront pas. Certains partiront, mais d'autres les remplaceront.

Patrick Weil fait remarquer que l'option n'est pas entre 25 000 régularisations individuelles par an, comme aujourd'hui, et zéro régularisation, mais entre 25 000 régularisations individuelles annuelles et 500 000 ou 800 000 dans quelques années, comme l'Espagne et l'Italie viennent de le faire.

J'ai lu que, avec la loi que le Sénat des États-Unis vient d'adopter, de onze à douze millions de clandestins seront régularisables. Telle est la réalité.

Que cela plaise ou non, ceux dont nous recherchons les compétences et les talents - les informaticiens capables de « hacker » les ordinateurs du Luxembourg (Mme Bariza Khiari applaudit), les sportifs amnistiables, les médecins sous-payés, les scientifiques et les chercheurs pour laboratoires sans moyens, les prêtres de paroisses rurales et, d'une façon générale, tous ceux qui rempliront les tâches dont personne ne veut -, nous ne les choisirons ; à l'inverse, ce seront eux qui nous choisiront !

Le faible succès de la carte « VIP », que j'ai évoquée au début de mon intervention, en est la preuve.

Qui peut raisonnablement penser que la perspective d'une simple carte de séjour de trois ans, même étendue à leurs proches - c'est tout de même la moindre des choses ! -, rendra plus attrayante pour les ressortissants des autres pays une France qui se ferme, soupçonneuse envers les étrangers dont elle rogne les droits tous les deux ou trois ans ?

Ce n'est pas l'une des moindres contradictions de ce texte que de prétendre attirer plus d'étrangers en particulier tout en rendant plus difficile la vie des étrangers en général !

Les compétences et les talents vont là où ils sont bien accueillis, où ils peuvent se loger, disposer des moyens d'effectuer leurs études ou leurs recherches, travailler dans de bonnes conditions en étant rémunérés en conséquence et, d'une manière générale, là où on ne les prend pas pour des délinquants potentiels !

Lorsque nous voyons la misère de nos universités et de nos laboratoires, les difficultés de nos hôpitaux et les conditions de travail proposées aux médecins étrangers, nous comprenons que les ressortissants des autres pays hésitent, préférant des climats plus froids mais plus accueillants à celui de la « douce France » !

Pour les attirer tout en leur permettant de conserver des liens réguliers avec leurs pays d'origine, une carte de trois ans ne suffit pas. Un visa permanent garantissant leur libre circulation constituerait un bien meilleur stimulant du codéveloppement, qui est le seul traitement de fond pour les déséquilibres dont se nourrissent les flux migratoires, comme chacun en convient ici.

Si rien n'est gagné d'avance, ce visa serait autrement plus efficace que l'obligation purement théorique faite à certains titulaires de la carte « compétences et talents » d'apporter - je cite le texte modifié par l'Assemblée nationale - « [leur] concours, pendant la durée de validité de la carte, à une action de coopération ou d'investissement économique définie par la France avec le pays dont [ils ont] la nationalité ».

Bricolage routinier de dispositifs administratifs, judiciaires et policiers anciens, rehaussé d'une rhétorique qui n'est nouvelle que pour ceux qui ont oublié leur histoire de France, dispositif qui réduira l'immigration légale visible au prix d'une augmentation de l'immigration illégale, bien plus délétère, projet de loi dépourvu de moyens nouveaux et d'étude préalable sérieuse des résultats des textes qui l'ont précédé et des politiques étrangères dont il est censé s'inspirer, ce soixante et onzième rafistolage de l'ordonnance de novembre 1945 ne permettra pas d'atteindre l'objectif affiché, à savoir la séparation du bon grain de l'ivraie des flux migratoires.

Monsieur Gélard, le problème est non pas de choisir entre faire et ne pas faire, mais d'agir efficacement en respectant ce que nous sommes. Il y a pire que ne rien faire : c'est faire semblant de faire !

M. le ministre de l'intérieur entend gonfler les voiles du vaisseau France en interdisant au vent de circuler !

Mes chers collègues, vous comprendrez que je vous propose de surseoir à l'examen d'un projet de loi aussi ambitieux que son auteur, mais contradictoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, contre la motion.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en dépit du caractère très modéré de ses propos et des anecdotes qu'il a citées, M. Collombat ne m'a pas convaincu. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Le contraire eût été étonnant !

M. Jean-Pierre Fourcade. En effet, la lecture du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, qui évoque non seulement la situation de la métropole mais aussi celle des départements et des territoires d'outre-mer, montre que nous devons légiférer. Vouloir opposer la question préalable à ce projet de loi révèle, à mon avis, un manque de maturité politique. (M. René-Pierre Signé s'exclame.) Cela signifie, monsieur Collombat, que vous ne savez pas ce qui se passe sur le terrain !

Permettez-moi de prendre l'exemple de la commune que j'ai l'honneur d'administrer, Boulogne-Billancourt. Sur son territoire se trouvent cinq foyers de travailleurs migrants, installés par des associations voilà quelques années. Tous les matins, de jeunes Africains sympathiques viennent travailler en toute illégalité. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S'ils viennent travailler, c'est donc qu'ils sont employés par quelqu'un !

M. Jean-Pierre Fourcade. Or les directeurs de ces foyers, lorsque je les interroge, ne savent jamais quel est le nombre de leurs pensionnaires, et cela, j'y insiste, à cent personnes près ! Ces gens, qui sont courageux, trouvent en général du travail assez rapidement, au noir bien sûr, dans les caves des restaurants ou ailleurs. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parlez-en aux employeurs !

M. Jean-Pierre Fourcade. Dès qu'ils ont trouvé quelque emploi, ils font venir leur famille. Le fichier des demandeurs de logements sociaux de ma commune recense ainsi actuellement de 1 000 à 1 500 personnes dans cette situation.

Par conséquent, après l'excellent rapport réalisé par MM. François-Noël Buffet et Georges Othily, nous ne pouvons affirmer qu'il ne faut pas délibérer !

Si je suis hostile à cette motion tendant à opposer la question préalable, c'est donc d'abord parce que nous ne pouvons passer sous silence le constat objectif dressé par la commission d'enquête du Sénat.

En outre, ce projet de loi contient trois éléments importants, qui, monsieur Collombat, ne constituent pas la répétition de ce qui s'est passé en 1932, en 1938 ou en 1945, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous oubliez 1942 !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais qui redéfinissent notre politique d'immigration et les rapports de notre société avec l'Europe, les pays francophones et le reste du monde.

En premier lieu, ce texte établit beaucoup plus nettement que les ordonnances maintes fois retouchées de 1945 le lien entre l'immigration et l'intégration.

Mes chers collègues, comme certains d'entre vous sans doute, j'ai organisé dans la mairie de la commune dont je suis l'élu une cérémonie d'accueil des nouveaux naturalisés, ceux qui viennent d'acquérir la nationalité française. Il y avait là des Colombiens, des Maghrébins, des Équatoriens, des Mexicains, entre autres. En effet, même si personne n'en parle, la naturalisation constitue un moyen extrêmement efficace pour intégrer dans notre société des gens qui sont souvent entrés en France par des voies diverses.

Dans l'excellent rapport rédigé par M. François-Noël Buffet figure d'ailleurs le nombre des naturalisations prononcées depuis quelques années. Il apparaît ainsi qu'environ 150 000 étrangers, venus travailler ou résider dans notre pays pour des raisons très différentes, sont naturalisés chaque année et acquièrent ainsi la nationalité française.

Il convient de ne pas négliger ce phénomène important, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... qui permet à notre pays de jouir d'une audience internationale et d'accueillir un certain nombre d'étrangers.

Grâce au contrat d'accueil et d'intégration et aux divers mécanismes envisagés, ce texte établit donc une liaison plus étroite entre l'immigration et l'intégration établie, ce qui constitue un premier élément positif.

En deuxième lieu, ce projet de loi renforce le rôle des maires, ce qui me semble très important, car ceux-ci sont les seuls à savoir ce qui se passe concrètement sur le terrain.

Nous ne voyons pas les problèmes de l'immigration de la même façon depuis l'hémicycle du Sénat, aussi sérieux et digne soit-il, que depuis les mairies ! La délivrance des certificats d'hébergement en fournit un exemple concret. Depuis que cette mission a été déléguée aux maires, ces derniers sont contraints d'y regarder de plus près.

Pour ma part, j'ai souhaité m'en occuper personnellement, afin d'observer se qui passait réellement. J'ai été contraint d'étudier les mécanismes par lesquels certains étrangers entrent en France avec un visa touristique, en principe, et oublient souvent de repartir. J'ai constaté que, sur les quelque 1 100 demandes de certificats d'hébergement que j'ai reçues dans ma commune l'année dernière, j'en ai refusé 174, au motif que les personnes concernées n'avaient ni logement adéquat ni ressources suffisantes. En outre, certaines d'entre elles émanaient de récidivistes recevant tous les mois des étrangers qui, ainsi, s'établissaient en France.

En déléguant aux maires la délivrance des certificats d'hébergement, nous avons permis une meilleure régulation et un plus fort contrôle de ce régime. Or ce projet de loi comprend certaines dispositions qui permettront aux maires de mieux savoir ce qui se passe concrètement sur leur territoire.

En troisième lieu, la référence au codéveloppement en matière d'immigration me semble essentielle. Elle adresse un message très positif à nos collègues africains, maghrébins et à tous ceux qui se référent à la francophonie. Je compte donc sur les amendements déposés par mon ami Jacques Pelletier pour renforcer cet aspect du projet de loi.

En effet, je ne crois pas que nous pourrons régler les problèmes de l'immigration en nous référant à 1932 ou à 1936, ou en accueillant tout le monde sous le prétexte de principes humanitaires qui, certes, sont parfaitement fondés, mais ont néanmoins des conséquences souvent désastreuses sur le terrain. C'est plutôt le codéveloppement qui, à mon avis, nous permettra de surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. C'est la troisième raison pour laquelle je suis hostile à l'adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Tout d'abord, la motion qui nous est présentée est fondée sur le non-respect de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Pour répondre sur ce point, au nom de la commission des lois, il me suffit de répéter les propos tenus tout à l'heure par M. Patrice Gélard : le Conseil d'État a déjà vérifié que ce projet de loi était conforme aux conventions qui lient la France aux autres pays.

De ce point de vue, le problème est donc déjà réglé, et la commission émet, bien sûr, un avis défavorable sur la motion.

Par ailleurs, je formulerai quelques observations sur le fond des actions et mesures envisagées dans ce texte.

Mes chers collègues, qui peut, aujourd'hui, contester la situation de nos territoires et départements d'outre-mer et les conditions de vie absolument effroyables des Mahorais, des Guyanais, des Guadeloupéens et de nos compatriotes de Saint-Martin ?

Évidemment, vu d'ici, tout cela paraît lointain ; mais rappelez-vous les propos tenus hier par nos collègues élus de ces territoires. Je peux moi-même en témoigner, les membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine qui se sont rendus sur place ne voudraient pas connaître, dans leurs communes de métropole, la situation que nos compatriotes d'outre-mer vivent actuellement.

Un seul chiffre suffit à replacer les choses dans leur contexte et à souligner la nécessité d'agir : si nous devions appliquer au territoire métropolitain le pourcentage observé outre-mer, nous aurions 18 millions de personnes en situation irrégulière !

En ce qui concerne l'éloignement et la réforme du contentieux de la reconduite à la frontière, notamment les évolutions prévues sur le plan des procédures administratives, je vous renvoie simplement à l'audition du président du tribunal administratif de Paris, qui a souligné la nécessité de légiférer en ce sens. Ces procédures sont non seulement nécessaires mais, de surcroît, elles respectent totalement les droits des demandeurs en matière de recours, s'agissant notamment du délai fixé en la matière, qui nous semble suffisant.

Quant à l'immigration du travail, dont nous avons déjà beaucoup parlé, le texte traduit une profonde évolution de l'attitude de la France, ce qui était également souhaité.

Enfin, pour les autres droits, liés notamment au regroupement familial et au mariage, le texte permet d'apporter une réponse au phénomène le plus important aujourd'hui, à savoir celui de la fraude documentaire et du contournement des procédures. De deux choses l'une : soit nous ne voulons rien faire, et nous ferons alors face à des difficultés énormes ; soit nous énonçons des principes clairs et compréhensibles pour tout le monde, et nous nous donnons les moyens de les faire respecter. Au demeurant, ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons mettre fin à l'une des sources importantes de l'immigration irrégulière, ce qui est souhaitable pour tous et pour toutes, y compris et surtout pour les immigrés en situation régulière.

Telles sont les raisons pour lesquelles, je le répète, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Collombat, je tiens d'abord à vous remercier, car vous avez exprimé avec beaucoup de modération la position de votre groupe politique au travers de cette motion tendant à opposer la question préalable, qui doit, à l'évidence, bien être distinguée de celle qui tendait à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Tout à l'heure, nous avons entendu Mme Borvo Cohen-Seat défendre avec détermination, voire avec excès, la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, alors même que le Conseil d'État, dans son avis, n'a fait aucune réserve à cet égard.

Or le fait d'opposer la question préalable est avant tout un acte politique. Le groupe socialiste rejette le fondement même du texte proposé par le Gouvernement. Il exprime donc sa position, que nous pouvons comprendre, et je l'ai entendue.

Monsieur le sénateur, malgré nos positions diamétralement opposées, je veux vous dire, au nom de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, que nous souhaitons donner le temps nécessaire pour avoir un débat parlementaire le plus large et le plus riche possible. Nous serons attentifs à l'avis exprimé sur toutes les travées et à chaque amendement qui nous permettra de progresser, dans une direction ou dans une autre.

Monsieur Collombat, vous avez laissé entendre que nous légiférons parce que, dans le même temps, dans le cadre de la législation actuelle, nous n'engageons pas les moyens matériels et nous ne prévoyons pas l'organisation nécessaire pour pouvoir gérer les problèmes des flux migratoires.

C'est tout le contraire, monsieur le sénateur ! Dans le budget de 2006, 38 millions d'euros ont ainsi été engagés dans ce domaine, pour réussir la réorganisation administrative souhaitée. Les moyens mis à disposition portent notamment sur le nombre de places en centre de rétention administrative, lequel augmente significativement : il devrait passer de moins de 1 000, en 2002, à 1 800, à la fin du mois, puis à 2 540 en juin 2007 et à près de 2 880 en juin 2008.

Parallèlement, le Gouvernement a engagé un grand programme de modernisation et de réhabilitation de l'ensemble des centres de rétention existants, et il est en train de lancer la construction de cinq nouveaux centres.

D'une manière générale, nous veillons à donner une certaine cohérence à l'organisation de la politique de l'immigration. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir fait référence au rôle qui est le mien, au côté du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parlez au nom du Gouvernement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez souligné que le ministre délégué à l'aménagement du territoire pourrait aussi, en l'occurrence, être celui de l'immigration. Le ministre d'État l'a rappelé ici même hier, c'est la première fois dans notre pays qu'au nom de l'ensemble du Gouvernement un ministre se trouve chargé de la coordination totale des politiques d'immigration. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)

À cette fin, nous agissons dans deux directions. D'une part, nous nous donnons des outils juridiques nouveaux. D'autre part, nous modernisons l'administration, en organisant le rapprochement des fonctionnaires des consulats et des préfectures.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ânonnez !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Voilà un an qu'a été créé auprès du ministre d'État le comité interministériel de contrôle de l'immigration, dont le poste de secrétaire général, est assuré par M. Patrick Stefanini.

De plus, en juillet 2005, le ministre d'État a présidé pour la première fois à Marseille une réunion commune à l'ensemble des préfets et des consuls généraux de notre pays. C'était effectivement une grande première !

Comme vous pouvez le constater, monsieur Collombat, nous faisons de la politique d'immigration un modèle pour la réforme de l'État.

M. René-Pierre Signé. Communication de propagande !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Notre objectif est de construire un réseau unique d'agents de l'immigration en décloisonnant les différentes administrations. Ce travail quotidien est aujourd'hui piloté par le ministre d'État.

M. René-Pierre Signé. Vous ne parlez que de lui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Je suis partout ! »

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez exprimé votre propre position au travers de cette motion tendant à opposer la question préalable, et, pour ma part, je réaffirmerai celle du Gouvernement : la France a besoin de se doter d'une politique d'immigration choisie, et non plus subie.

M. René-Pierre Signé. Il a bien appris sa leçon !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est cette politique qui doit nous permette d'assurer à toutes celles et à tous ceux que nous voulons accueillir chez nous la dignité et le respect nécessaires.

Pour le dire tout simplement, la France n'est pas un vaste supermarché : ceux qui passent par le rayon « avantages » doivent accepter de passer également par le rayon « devoirs » ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Adrien Giraud applaudit également.)

M. René-Pierre Signé. C'est la voix de son maître !

M. Bernard Frimat. Vision de marchand, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est irrecevable, parce qu'il est indigne. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Qui peut croire, en effet, qu'il s'agit de régler un problème majeur pour la société française, qui peut croire que la situation est tellement explosive qu'elle impose l'urgence ?

Mme Catherine Procaccia et M. Christian Cambon. C'est pourtant vrai !

M. David Assouline. Déjà, en 2003, un projet de loi déclaré d'urgence a été adopté sur le même sujet. Il nous a été précisé hier que le dernier décret d'application de ce texte serait publié dans les toutes prochaines semaines. Par conséquent, sans même attendre ce décret, le Gouvernement nous soumet un nouveau texte de loi !

M. Robert Bret. Il n'y a même pas eu d'évaluation !

M. David Assouline. Au fond, tout le monde en connaît la raison : nous sommes à la veille d'une échéance électorale importante ! (Murmures sur les travées de l'UMP.) Le Gouvernement, de manière indigne, entend une nouvelle fois agiter l'épouvantail de l'immigration, pour faire peur à nos concitoyens et pour faire ressurgir les plus mauvais réflexes. Quand tout va mal pour le Gouvernement, quand les difficultés s'accumulent chaque jour, quand les Français lui expriment, comme lors de la crise du CPE, des exigences sur le plan social, voilà qu'il ressert cette soupe !

Si, à une certaine époque, les problèmes d'immigration provoquaient, il est vrai, un désarroi réel chez les Français, on ne peut tout de même pas prétendre que ce sujet a été ces derniers mois au centre de leurs préoccupations !

Monsieur le ministre, il est indigne de jouer avec la vie d'êtres humains, en chair et en os, qui vivent des situations déjà très difficiles. Vous prônez l'immigration choisie. Sachez que l'immigration n'est jamais vraiment choisie par celui qui vient sur notre territoire !

Mme Catherine Procaccia. Par celui qui reçoit non plus !

M. David Assouline. Depuis un siècle et demi, il s'agit le plus souvent d'une immigration de travail. La personne quitte son village natal et son foyer familial, abandonne ses repères et ses habitudes culturelles, laisse de côté un pays et un climat pour partir refaire sa vie très loin.

À mes yeux, les véritables héros du vingtième siècle, ce sont tous ces immigrés qui, après un long parcours, sont venus en Europe, en France en particulier, où ils ont beaucoup apporté. Je le répète, il est véritablement indigne de vouloir une nouvelle fois jouer l'électoralisme aux dépens de toutes ces tranches de vie humaine ! C'est cette attitude qui rend votre texte irrecevable.

De plus, contrairement à ce que vous prétendez, aucune des mesures que vous proposez ne permettra de régler les problèmes actuels. En effet, le problème de l'immigration en France, c'est d'abord le problème de l'intégration. À cet égard, il est faux d'affirmer que les immigrés qui s'installent dans notre pays ne veulent pas s'intégrer. Bien au contraire, il s'agit de leur rêve le plus profond, pour eux et leurs enfants. Tous veulent réussir et ont bien conscience que l'intégration est la condition de la réussite dans un nouveau pays.

En réalité, c'est la République qui n'a pas su régler le problème de l'intégration. Ce n'est pourtant pas faute d'en parler, notamment dans cet hémicycle, de souligner les ratés de l'intégration et d'avancer diverses raisons, notamment sociales. D'ailleurs, M. Fourcade s'est félicité de ce que soit enfin affirmé le lien entre immigration et intégration.

Monsieur le ministre, quels moyens l'État a-t-il prévus en faveur des programmes d'alphabétisation ? Avez-vous réellement agi pour que les mères immigrées soient capables de suivre la scolarité de leurs enfants, pour qu'elles puissent rencontrer elles-mêmes les professeurs et ne plus être contraintes d'envoyer à leur place le grand frère ou la grande soeur ? Qu'avez-vous fait pour que le « paquet » soit mis en termes de moyens ?

En définitive, lorsqu'il s'agit de maîtrise des flux migratoires, pourquoi agir avec autant de fermeté, de hargne et d'agitation à l'encontre des pauvres gens, mais jamais à l'encontre de ceux qui profitent de cette misère, de ces marchands de sommeil, de ces filières de passeurs ? Dans un État comme la France, pourquoi ne renforçons-nous pas notre arsenal législatif, pourquoi n'utilisons-nous jamais les moyens à notre disposition, notamment en termes de forces de police, pour nous attaquer à ces réseaux et les démanteler ? Pourquoi ne voyons-nous jamais défiler sur nos écrans de télévision, lors du journal de vingt heures, tous ceux que vous devriez menotter pour avoir embauché, dans des conditions indignes, nombre de travailleurs clandestins ? En réalité, vous savez qui sont ces employeurs, et vous préférez ne pas les menacer, car ils sont très hauts placés ! Nul ne l'ignore, dans tous les grands chantiers, en France, y compris celui du Stade de France, ceux-là mêmes font appel à des travailleurs sans papiers.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, ne venez pas nous dire que ce projet de loi a été déposé pour régler le problème de l'immigration. C'est un texte de circonstance, pour préparer les prochaines élections. C'est un texte indigne, parce qu'il joue sur la misère des gens ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe votera cette motion tendant à opposer la question préalable.

Monsieur le ministre, vous avez fait référence au ton que j'avais utilisé. Je suis très flattée que vous me présentiez comme un adversaire absolument irréductible de votre texte, parce que c'est vrai ! Un certain nombre de choses sont d'ailleurs sans doute irréductibles entre nous.

M. Robert Bret. Y compris ses origines politiques !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sûrement !

Je voudrais néanmoins souligner quelques points.

D'abord, alors que nous sommes dans un débat parlementaire, le professeur Gélard, sachant par avance ce que dira le Conseil constitutionnel, nous a expliqué que la saisine de ce dernier était inutile.

Monsieur le professeur, vous voudrez bien m'excuser, mais la saisine du Conseil constitutionnel est un droit reconnu, dans certaines conditions, aux parlementaires. La décision ensuite rendue n'est pas toujours à notre goût, car le Conseil constitutionnel, tel qu'il est actuellement, n'est pas pleinement satisfaisant.

M. Charles Gautier. Il n'a pas la bonne couleur politique ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je parle non pas de sa couleur politique, mais de sa composition et de sa saisine !

Quoi qu'il en soit, le juge constitutionnel se prononce, comme ce fut le cas, par exemple, en 1993.

Ensuite, M. Fourcade a expliqué à mon collègue M Collombat qu'il ne connaissait rien au terrain et qu'il ignorait tout des immigrés et des sans-papiers.

Mme Catherine Procaccia. Il n'a jamais dit cela !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aussi, vous m'excuserez de dire que nous ne sommes pas là pour recevoir des leçons de la majorité (Protestations sur les travées de l'UMP), même si elle est la majorité.

Vous me permettrez donc de faire une petite remarque : même si la majorité est la majorité, nous ne sommes pas là pour recevoir des leçons sur ce que nous avons à faire en tant que parlementaires !

Pour ce qui me concerne, je parlerai de ce que je connais le mieux, c'est-à-dire de mon département.

Monsieur Fourcade, bien que vous ayez prétendu que nous ne connaissions rien au terrain, je suis d'accord pour reconnaître avec vous que les jeunes Africains travaillent. La plupart des immigrés en situation irrégulière dans mon département -  Paris - travaillent.

Ils sont en effet embauchés par des employeurs qui les sous-payent, et ils ont donc évidemment beaucoup de mal à se loger, etc.

Pourquoi des gens travaillant en France se trouvent-ils en situation irrégulière ? C'est une question qui mériterait d'être posée dans un débat sur l'immigration ! Je considère qu'il n'y a pas de tabou sur le sujet et qu'il faut parler des choses telles qu'elles sont, en évitant les fantasmes sur les hordes migratoires qui envahissent la France...

À ce propos, je vous rappelle que les immigrés de Sangatte veulent gagner la Grande-Bretagne : une fois là-bas, ils cherchent à travailler à tout prix, comme l'ont fait de tout temps tous les migrants - c'est là une constante -, même si, en l'absence de salaire minimum, ils sont très mal payés.

Hier, M. le ministre de l'intérieur, après nous avoir fait part de sa mansuétude à l'égard des élèves, a voulu nous faire pleurer sur les immigrés morts dans des taudis parisiens.

Il y a effectivement de quoi pleurer ! Je n'ai pas rencontré M. Sarkozy, mais j'ai personnellement pleuré tant ce qui s'était passé dans ces logements insalubres éveillait la tristesse et le désespoir.

Je peux dire, pour avoir une bonne connaissance de la situation, à la différence de certains ministres qui la maîtrisent parfois mal, que les logements d'urgence ainsi que, jusqu'à une période récente, les foyers de travailleurs migrants relèvent de la compétence de l'État qui a laissé pourrir tant les premiers que les seconds, malgré un plan élaboré voilà près de dix ans.

S'agissant des familles du boulevard Vincent Auriol, dans le XIIIème arrondissement dont je suis l'élue, c'est la Ville de Paris qui a relogé dix-huit des trente-neuf familles, alors que cette mesure relevait de la compétence de l'État.

Je tenais donc à rétablir la vérité : face aux mensonges, aux fantasmes, aux fausses déclarations et aux donneurs de leçons, vous me pardonnerez ce petit rappel d'une réalité que je connais « sur le terrain », comme vous dites ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.

M. Adrien Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis hier, je vous écoute avec beaucoup d'attention.

Mayotte est à 12 000 kilomètres de Paris. Une commission du Sénat s'est rendue dans notre île pour prendre le pouls de la population, et observer les problèmes liés à l'immigration. J'ai ainsi pu rencontrer là-bas M. Mélenchon, et je regrette que Mme Assassi, qui était membre de la commission, n'ait pu faire le voyage ; j'avais en effet tout préparé pour qu'elle puisse observer la façon dont vivent les Mahorais...

Mme Éliane Assassi. On ne peut malheureusement pas tout faire !

M. Adrien Giraud. Mes chers collègues, je suis un peu surpris et scandalisé du spectacle que donne aujourd'hui la Haute Assemblée.

En effet, la population attend de vous autre chose que des chamailleries, des disputes de chiffonniers, sur le problème de l'immigration, que je vis au jour le jour et qui est important pour la France.

La ville dont M. Jean-Claude Gaudin est maire compte une population mahoraise significative ; si tel est le cas, c'est non parce que les Mahorais se trouvent mal à Mayotte, mais parce que les lois sociales de la République n'y sont pas encore applicables, de sorte qu'ils doivent venir chercher à Marseille un certain bien-être.

Je comprends que des immigrés fuient les Comores pour se rendre à Mayotte. Mais, à l'heure du choix, Mayotte s'est prononcé en faveur de la France, souhaitant devenir un département français, alors que les autres territoires ont préféré l'indépendance.

Aujourd'hui, nous refusons que nous soit imposée une immigration clandestine de Comoriens qui fuient la misère.

Il faut, mes chers collègues, avoir le courage de le dire : si la France, à travers le ministère de la coopération, a peut-être la possibilité d'aider les Comores, Mayotte, collectivité de 374 kilomètres carrés, ne peut aujourd'hui supporter toute la misère de l'Océan indien ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Articles additionnels avant le titre Ier (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Frimat, Mme Alquier, MM. Badinter,  Bel et  Bockel, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 76, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a  lieu de renvoyer à la commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, le projet de loi (n°362, 2005-2006), adopté par l'Assemblée Nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration.

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Sueur, auteur de la motion.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Adrien Giraud a raison : sur ce sujet important et difficile, il faut éviter les caricatures et les propos simplistes.

Je voudrais revenir sur la rhétorique que nous avons entendue à plusieurs reprises, ici même, en particulier hier, et dire qu'il faut éviter, autant que faire se peut, de déployer sur ce sujet ce que j'appellerai de « fausses évidences ».

La première fausse évidence a été le fait de M. le ministre d'État qui, après nous avoir dit qu'il y avait, d'un côté, les partisans de l'immigration zéro, de l'autre, les partisans de l'immigration illimitée, a ajouté : « et nous... ».

Si l'on pose la question dans ces termes, on sombre dans un « simplisme » total !

En ce qui nous concerne, nous sommes contre l'immigration zéro - elle est impossible -, et contre l'immigration illimitée ; nous sommes favorables à des règles justes et conformes aux traditions d'accueil de la République française.

À partir de là, le débat peut s'engager ; mais si l'on présente deux caricatures au début de son propos pour mieux s'en distinguer à la fin, comme l'a fait M. le ministre d'État, le débat part très mal !

M. Jean-Pierre Sueur. La deuxième fausse évidence a consisté à nous dire que l'immigration choisie était compatible avec le codéveloppement et avec le développement des pays d'Afrique.

Il y a plus de médecins Béninois en France qu'au Bénin : cela a été dit, et tout le monde le sait !

M. Jean-Pierre Sueur. Je connais au moins une maternité d'un département de ce pays que l'on a réussi à sauver en faisant appel à deux médecins anesthésistes africains.

L'immigration choisie consiste inéluctablement, ou alors les mots n'ont pas de sens, à attirer les élites.

Pour autant, comme l'on veut le codéveloppement et le développement, on ne va pas attirer les médecins béninois. Par conséquent, la République française va choisir des élites, mais pas celles qui sont nécessaires aux pays d'Afrique et que ces derniers doivent garder. On va donc choisir les élites dont nous avons besoin, sans porter atteinte à celles qui sont nécessaires aux pays africains.

Peut-être ai-je mal compris, mais vous pourrez, monsieur le ministre, vous expliquer...

On mélange là une sorte de paternalisme, en prétendant faire le bien d'autrui, et l'intérêt prétendu de notre société.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Attention aux faux syllogismes !

M. Jean-Pierre Sueur. Comment cela peut-il se concilier ?

J'ai été très intéressé par ce qu'a dit, le 2 mai dernier, à l'Assemblée nationale, M. Blisko. Ce dernier a en effet cité certaines professions ouvertes aux ressortissants des nouveaux pays de l'Est qui peuvent désormais - et c'est heureux - entrer sans restriction dans notre pays, professions parmi lesquelles figurent les ingénieurs atomistes, les médecins de haut niveau et les laveurs de carreaux.

Nous avons besoin non seulement des élites, mais aussi d'autres métiers.

Je suppose donc naturellement que, dans la logique qui est la vôtre, monsieur le ministre, vous allez décerner un titre « compétences et talents » aux laveurs de carreaux, compte tenu du grand nombre de tours de bureaux s'élevant dans notre pays.

M. Yves Pozzo di Borgo. Il n'y a pas de sot métier !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais comment cela fonctionne-t-il et êtes-vous sûr que cela fonctionne ? Est-il une société au monde où les choses fonctionnent de la sorte ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr que non !

M. Jean-Pierre Sueur. Prenons l'exemple des médecins étrangers en France. Certains d'entre eux, qui exercent leurs fonctions dans les hôpitaux, ont les mêmes diplômes que les médecins français, voire des diplômes français. Mais ils bénéficient d'un sous-statut et n'ont pas le droit d'exercer en dehors de l'hôpital. Comme ils n'auront pas obtenu la carte « compétences et talents » avant la promulgation de la loi, qu'adviendra-t-il d'eux ? Comment gérera-t-on cette situation ?

Si l'on étudie dans le détail le problème de l'immigration choisie, on se rend compte que, comme en matière de quotas,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la même chose !

M. Jean-Pierre Sueur. ... cela renvoie à de très grandes difficultés. Concrètement, les problèmes actuels ne peuvent pas être résolus par ce biais.

Une autre considération nous est présentée comme une évidence. Désormais seraient sélectionnés les bons étudiants et les bons chercheurs, ceux dont on a besoin.

Mais quelle est la réalité actuelle ? Nombre d'étudiants étrangers, quel que soit leur pays d'origine, rencontrent de grandes difficultés pour entrer en France et pour faire leurs études dans notre pays. Je suis président du groupe d'amitié France-Tunisie. Lors de mes déplacements en Tunisie ou de mes rencontres avec l'ambassadeur de Tunisie en France, mes différents interlocuteurs me réclament des visas. En effet, les jeunes de ce pays qui veulent poursuivre leurs études à l'étranger se rendent plutôt au Canada qu'en France, car il leur est beaucoup plus facile d'y obtenir un visa.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes d'accord !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. La loi va résoudre ce problème !

M. Jean-Pierre Sueur. Aujourd'hui, de nombreux étudiants étrangers n'obtiennent pas de visa, sont confrontés à de multiples difficultés, telles l'attente interminable, les mesures administratives, l'impossibilité de trouver un logement. Cette situation est préjudiciable à notre pays, à son rayonnement. Telle est la première remarque que je voulais formuler au sujet de la sélection desdits étudiants.

Par ailleurs - c'est ma deuxième remarque -, quels sont les bons étudiants ? Qui va décider de quels étudiants la France a besoin ?

Je suppose que l'on souhaite que ces étudiants rentrent dans leur pays. On va donc se mettre à la place du pays et donner la définition du bon étudiant. Est-ce quelqu'un qui prépare un diplôme d'ingénieur, un mastère, un DUT, un BTS ? Qui va en décider ? N'est-ce pas l'honneur de la France d'accueillir des étudiants de tous niveaux, quelles que soient les études qu'ils poursuivent ?

Je veux maintenant formuler une dernière remarque sur ce sujet. Mes chers collègues, vous savez bien que la France rencontre aujourd'hui de grandes difficultés pour faire venir des chercheurs étrangers sur son sol, pour accueillir des universitaires étrangers. Des chercheurs qui préparent un doctorat, des post-doctorants qui sont attirés par différents pays ne trouvent pas de poste d'accueil en France.

De surcroît, notre pays a du mal à garder un certain nombre de ses chercheurs. Je connais tel ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé, docteur, auteur de nombreuses publications qui va se rendre dans une université américaine parce qu'il ne trouve pas de poste dans notre pays.

M. Jean-Pierre Sueur. N'aurait-il pas fallu rechercher la solution à ce problème dans la loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France qui, malheureusement, n'offre pas un nombre de postes suffisant, ou dans le budget de l'enseignement supérieur qui, malheureusement, ne propose pas non plus suffisamment de postes d'accueil ?

Nous sommes pour une université et une recherche françaises rayonnantes et accueillantes. Cela signifie que nous sommes honorés qu'un certain nombre de chercheurs et d'universitaires choisissent notre pays. Mais encore faut-il qu'ils puissent le faire.

Parmi les fausses évidences, une quatrième doit être citée. On nous dit qu'il y a l'immigration subie et l'immigration choisie. Alors, choisissons l'immigration choisie et ne subissons pas l'immigration subie. Cette affirmation a l'air simple. Mais, monsieur le ministre, il n'est pas acceptable de faire figurer dans l'immigration choisie le travail, et dans l'immigration subie, la famille. Il est contraire à notre droit et à nos valeurs de considérer que le droit de vivre en famille ne doit pas être garanti à tout un chacun. Que l'on fixe des règles, c'est indispensable, mais dans une certaine limite,...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Dans quelle mesure ?

M. Jean-Pierre Sueur. ... afin de se conformer à des nécessités.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Aux règles de la France !

M. Jean-Pierre Sueur. Est-ce que beaucoup d'entre nous accepteraient de connaître le sort que nous allons réserver à des hommes et à des femmes en matière de vie conjugale et familiale ?

Dans le même ordre d'idée, seriez-vous prêt, monsieur le ministre, à signer des accords de réciprocité en matière linguistique, en particulier ? Nous serons bien évidemment disposés à imposer aux ingénieurs français qui iront travailler en Chine, en Inde, d'apprendre la langue du pays d'accueil...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est ce qu'ils font la plupart du temps !

M. Jean-Pierre Sueur. Bien entendu, vous nous le confirmerez, monsieur le ministre.

M. Jean-Pierre Sueur. J'aborderai maintenant une cinquième fausse évidence. On nous dit que l'on va mettre fin aux situations inextricables, à commencer par celle des enfants.

Lorsque M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a annoncé, hier, que des mesures seraient prises au sujet des enfants scolarisés passibles d'expulsion, j'ai estimé son intervention positive.

Mais j'ai lu dans la presse, hier et ce matin encore, que, selon le cabinet de M. le ministre d'Etat, ces mesures concerneraient 750 ou 820 enfants. J'espère, monsieur le ministre, que vous allez nous apporter quelques précisions sur ce point, car je me suis vraiment demandé comment ledit cabinet pouvait citer de tels chiffres.

Si M. le ministre d'État nous a annoncé une démarche consistant à faire examiner par les préfets le cas de tous les enfants menacés d'expulsion qui sont nés en France et qui n'ont plus d'attache avec leur pays d'origine, en fonction des valeurs de la République française, c'est fort bien. Mais comment peut-on alors indiquer par avance que les mesures envisagées concerneront 750 enfants, selon tel quotidien, et 820 enfants, selon tel autre, eu égard aux renseignements fournis par le cabinet de M. Sarkozy ? Selon moi, les collaborateurs de M. le ministre d'État devraient plutôt annoncer le lancement d'une démarche, assortie de principes, qui sera menée à son terme. À l'issue de cette démarche sera établi le nombre de personnes qui seront effectivement concernées. Il est insensé d'avancer un quelconque chiffre avant.

Pour ce qui est des situations inextricables, depuis que ce gouvernement est en place et que M. Sarkozy est ministre de l'intérieur, les reconduites à la frontière sont fréquemment évoquées. Mais ces dernières, si l'on excepte l'outre-mer, concernent de 10 % à 15 % du nombre de personnes présumées en situation irrégulière. Ce fait prouve que, même avec les méthodes de ce gouvernement, même avec les déclarations de ses membres, le problème reste entier.

En réalité, monsieur le ministre, lorsque nous recevons ces personnes dans nos départements, nous nous apercevons, tout d'abord, qu'un grand nombre d'entre elles n'ont pas bénéficié du droit d'asile et n'ont pas de titre de séjour, ensuite, qu'elles ne seront pas reconduites à la frontière pour un certain nombre de raisons et, enfin, qu'elles vivent dans des hôtels payés par la Croix-Rouge ou par la préfecture - à ce propos, on m'a indiqué que, dans les mois à venir, les moyens pour faire face à ces dépenses seront peut-être diminués - et ne peuvent ni travailler ni payer un loyer.

Je parle très fréquemment de ces situations absurdes avec le préfet de mon département, comme beaucoup d'entre nous, je le pense. Ainsi, on sait bien que la personne étrangère qui se trouve sur le sol français avec ses deux enfants va rester dans notre pays. Pourquoi ne peut-elle pas travailler et payer son loyer, alors qu'elle a une promesse d'embauche ?

J'ai le sentiment que, au-delà des formules, la mesure que vous nous proposez ne résoudra pas les situations inextricables.

Considérons une autre fausse évidence. On nous dit que le dispositif proposé va permettre de mieux gérer le droit d'asile. Mes chers collègues, la France comptait 400 000 réfugiés politiques en 1946 et 180 000 en 1986. Aujourd'hui, ils sont au nombre de 130 000. Par conséquent, nous sommes loin du fantasme de la forteresse assiégée, de l'envahissement.

La situation des demandeurs d'asile est difficile. Elle a été rendue telle par la loi de 2003. Je suis d'ailleurs intervenu, notamment avec MM. Mermaz et Badinter, lors de sa discussion.

Mes chers collègues, je veux vous dire une nouvelle fois que la notion d'asile interne n'a pas de sens. Rejeter une demande d'asile au motif que l'étranger résidant dans un pays qui connaît des problèmes peut vivre normalement sur une partie du territoire de ce pays, sans savoir d'ailleurs comment il peut rejoindre cette portion de territoire, n'est pas conforme à la convention de Genève.

De la même manière, la liste des pays d'origine sûrs n'est pas conforme à l'esprit de ladite convention selon lequel le droit d'asile est un droit personnel, qui dépend non d'une liste de pays mais d'une situation personnelle. Nombre de personnes que nous rencontrons ont vécu des situations très difficiles. L'OFPRA leur reproche parfois de ne pas pouvoir en apporter la preuve. Mais quand on fuit un pays, il est rare que l'on emporte toute la documentation justifiant cette fuite avec soi !

La situation reste difficile. Nous ne pensons pas que la loi de 2003 ait permis de régler cette question.

Je veux maintenant aborder un dernier point. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permettrait de simplifier le droit. Monsieur le ministre, Bernard Frimat et moi-même avons rencontré tout à l'heure devant le Sénat les magistrats des tribunaux administratifs, qui sont en grève aujourd'hui. (Exclamations.) Ils nous ont dit qu'il était essentiel que les questions relatives au droit au séjour soient prises de manière collégiale.

Hier, nous avons pris connaissance des conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau. Un mot est revenu sans cesse : « collégialité ».Il faut que les décisions soient collégiales !

Monsieur le ministre, si vous préparez un décret qui supprimerait, en matière du droit à un titre de séjour, la collégialité, je crains que le sinistre de la justice judiciaire ne soit suivi d'un sinistre de la justice administrative. Nous croyons que, si l'on supprime la collégialité là où elle est nécessaire, on ne traite pas la question dans de bonnes conditions. Encore une fois, c'est une fausse évidence.

Au cours de mon intervention, j'ai traité sept points. Méfions-nous des simplismes, des caricatures, des fausses évidences, de la manière dont nous légiférons sur ce sujet. Ce qui est en jeu, c'est une certaine idée de notre pays et de ses valeurs. C'est pourquoi les membres du groupe socialiste vous demandent de prendre le temps de la réflexion et d'adopter la motion tendant au renvoi à la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, contre la motion.

M. Hugues Portelli. Monsieur Sueur, je voudrais vous répondre sur la question des étudiants étrangers venant poursuivre leurs études dans notre pays, cas que je connais quelque peu.

Concrètement, un étudiant étranger voulant venir faire des études en France peut y parvenir de trois façons.

La première d'entre elles est la plus simple. L'étudiant en question doit demander un dossier à l'université française dans laquelle il souhaite s'inscrire. Cette dernière va examiner la requête et décider si elle accepte ou non la candidature déposée.

En ma qualité d'universitaire, j'examine chaque année de très nombreux dossiers d'étudiants, et, dans le cadre collégial d'une commission, je décide de retenir ou non leur candidature.

Muni de l'accord que lui a donné l'université, l'étudiant va solliciter l'autorisation de venir sur le territoire français. Dans ce cas de figure, il obtient sans problème un visa.

Il est une deuxième façon, pour un étudiant étranger, de venir faire des études en France. Un certain nombre d'universités françaises - je ne les citerai pas - ont installé des « comptoirs » universitaires dans différents pays du sud de la Méditerranée qui délivrent, par exemple, des capacités. Un étudiant, une fois qu'il a obtenu ce diplôme remis par l'université de telle ville, peut demander l'autorisation de s'inscrire en DEUG et de poursuivre son cursus dans la même université, mais cette fois sur le territoire français.

Dans ce cas, l'étudiant qui a commencé ses études en s'inscrivant dans un cursus universitaire dans son pays et qui les poursuit en France, au sein de l'université française, obtient lui aussi un visa.

Reste une troisième façon, qui consiste à entrer en France avec un permis de séjour provisoire pour passer des vacances, par exemple, puis à essayer de se faire inscrire dans une université sans avoir accompli aucune des deux démarches que je viens d'indiquer. Les chances d'aboutir sont alors bien évidemment faibles. Il est en effet impératif de respecter les procédures classiques d'inscription applicables à toute personne sur le sol français, ce qui se révèle extrêmement difficile pour quelqu'un qui ne peut justifier d'une résidence habituelle en France.

Ainsi donc, le problème des étudiants étrangers tient non pas au visa, mais à l'inscription. Il ne faut pas mélanger les deux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La présente motion de renvoi à la commission était à l'origine justifiée par la concomitance du rapport sur l'immigration clandestine et le projet de loi lui-même, ou encore l'insuffisante discussion ayant précédé le dépôt de ce dernier. Pourtant, l'un comme l'autre ont pu être élaborés sans aucun problème.

Ce texte sur l'immigration et l'intégration est déjà sur les rails depuis plusieurs mois et a fait l'objet de nombreux débats, notamment à l'Assemblée nationale.

La commission d'enquête, quant à elle, a procédé à un grand nombre d'investigations et d'auditions. Le rapport a été remis le 13 avril dernier.

Les rédacteurs du projet de loi ont-ils tenu compte des recommandations contenues dans ce rapport ? Oui, notamment sur des points très particuliers, tels que la réforme des tribunaux administratifs, le droit au séjour des mineurs isolés relevant de l'aide sociale à l'enfance ou encore le travail saisonnier.

Sera-t-il à nouveau tenu compte dans ce projet de loi de certaines recommandations ? Je gage que la réponse sera « oui », et qu'elles continueront de nourrir ce texte.

La commission est donc défavorable à cette motion.

Par ailleurs, je rappelle que, lors des auditions auxquelles j'ai procédé à propos de ce texte, je n'ai été accompagné que par un nombre souvent assez réduit de nos collègues. Je sais bien que tous doivent assumer un emploi du temps chargé ; mais la porte était ouverte et chacun pouvait se joindre à moi pour entendre les personnes aimablement convoquées pour venir donner leur opinion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Sueur, je ne vais pas répondre à chacun des points que vous avez abordés - je vous remercie d'ailleurs d'avoir soulevé ces questions de fond -, puisque le texte apporte déjà toutes les réponses. Nous aurons l'occasion de les examiner lors de la discussion des articles.

Vous vous êtes interrogé sur le chiffre de quelque 800 enfants qui aurait été annoncé par le ministère de l'intérieur. Je tiens à vous préciser qu'il s'agit en fait de 720 familles ; ces dernières, grâce à la circulaire de 2005, n'ont pas été expulsées alors qu'elles devaient l'être. Nous avons ainsi pu les recenser. Nous sommes donc en mesure de les identifier.

Vous avez prétendu que la politique menée par le Gouvernement en la matière était inefficace puisque, d'année en année, le nombre d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière stagnait.

Je m'inscris en faux contre cette affirmation : en effet, le nombre de personnes expulsées est passé de 8 000, en 2002, à 20 000, en 2005, et nous avons l'ambition de le porter à 25 000 d'ici à la fin de l'année 2006.

M. Jean-Pierre Sueur. Sans les DOM-TOM ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous nous dotons pour cela de moyens très efficaces, validés voilà quelques jours par l'ensemble des membres de l'Union européenne inscrits dans le périmètre de Schengen : les visas biométriques et la mutualisation de l'ensemble de nos consulats.

Comment un étranger se retrouve en situation irrégulière dans notre pays ? Il se rend dans un consulat, bénéficie de l'attribution d'un visa touristique de trois mois, entre en France avec ledit visa et ses papiers d'identité parfaitement en règle ; mais, une fois la frontière franchie, il perd son visa, ses papiers d'identité et la mémoire : il ne se rappelle plus ni son pays d'origine, ni les noms de son père et de sa mère, ni même sa propre identité ! Et il reste définitivement, de manière irrégulière ou clandestine, sur notre sol.

Je veux bien que vous reprochiez à la France de se doter de cette politique, mais elle le fait en accord avec l'ensemble de ses partenaires de l'espace Schengen, y compris les dix nouveaux pays entrants qui ont adhéré eux aussi à Schengen.

Nous mutualisons nos consulats à l'étranger. Près d'une dizaine d'entre eux expérimentent déjà les visas biométriques, et la totalité d'entre eux les utiliseront d'ici à la mi-2007 ; les informations du passeport biométrique, qui relève l'empreinte digitale et l'iris de l'oeil - chaque individu a un iris de l'oeil qui lui est propre -, seront centralisées sur un fichier informatisé. Si un étranger, une fois en France ou, plus largement, dans le périmètre Schengen, perd son visa, ses papiers et la mémoire, on se référera immédiatement au fichier informatique centralisé pour lui rendre cette dernière en quelques minutes ! Ainsi, les États membres de l'espace Schengen pourront organiser des vols groupés, raccompagner ces étrangers chez eux et mener, s'agissant de l'expulsion des clandestins, une politique beaucoup plus efficace.

Je rappelle les chiffres qu'a cités M. le rapporteur voilà un instant : 8 000 expulsions en 2002, 20 000 en 2005, et, nous l'espérons, 25 000 en 2006. Tels sont les résultats que nous enregistrons concernant celles et ceux qui ne se conforment pas aux règles et aux lois de la République.

Trop longtemps, il a été de tradition, dans notre pays, d'estimer que l'étranger qui avait des papiers et était en règle devait être considéré de la même manière que celui qui était chez nous de manière clandestine et sans papiers. Pour qu'il y ait une justice, il faut que chacun soit traité sur un pied d'égalité.

Enfin, j'évoquerai la carte « compétences et talents ». Il s'agit là d'un vrai problème, monsieur Sueur. D'ailleurs, nous allons, au terme de cette discussion sur la motion de renvoi à la commission, entamer l'examen d'un certain nombre d'amendements tendant à insérer des articles additionnels avant le titre Ier, amendements qui ont pour objet de renforcer la dimension de codéveloppement proposée dans ce texte sur l'immigration et l'intégration. Je tiens à vous indiquer que c'est dans le cadre d'un accord entre la France et les pays d'origine que cette carte sera délivrée.

Que l'on ne nous dise pas que l'objet de ce projet de loi est d'organiser le pillage des cerveaux dans un certain nombre de pays ! Bien au contraire ! La France et le Sénégal, par exemple, définiront ensemble les conditions dans lesquelles les jeunes talents sénégalais pourront séjourner en France grâce à cette carte.

S'agissant des étudiants, je remercie M. Portelli des précisions qu'il a apportées. Nous avons d'ores et déjà donné des instructions à nos consuls pour qu'ils choisissent, dans les pays d'origine, dans le cadre d'un dialogue avec les autorités locales, les étudiants qui pourraient venir en France, si ces derniers répondent à certains critères, tels le profil académique, l'inscription dans une université, les compétences linguistiques, notamment.

Vous ne pouvez pas, dans le même temps, monsieur Sueur, déplorer cette dernière exigence et le fait que nombre de ces étudiants s'orientent toujours vers les universités canadiennes, américaines, australiennes, pour ne citer que celles-là.

La France a aussi vocation à les accueillir. Elle le désire. Finalement, sur ce point, nous nous rejoignons, et je souhaite que vous participiez pleinement à ce débat pour l'enrichir. Nos conceptions ne sont pas si éloignées l'une de l'autre quand il s'agit d'évoquer ce que de jeunes talents étrangers peuvent apporter à notre pays et, aussi, en retour, au leur. Telle est, en tout cas, notre ambition.

Vous avez qualifié toutes ces situations d'« inextricables ». Oui, monsieur Sueur, elles l'étaient sans doute pour les gouvernements que vous avez soutenus (Protestations sur les travées du groupe socialiste), mais nous, nous considérons qu'aucune situation, dans notre pays, n'est « inextricable »,...

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... et c'est bien parce que nous avons voulu mettre cela en application que nous avons décidé de proposer au Parlement un certain nombre de dispositions législatives grâce auxquelles, désormais, il n'y aura plus de « situations inextricables » en matière d'immigration dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Depuis cinq ans, les situations sont de plus en plus inextricables !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 76, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Articles additionnels avant le titre Ier (interruption de la discussion)

Articles additionnels avant le titre Ier

M. le président. L'amendement n° 98 rectifié ter, présenté par MM. Pelletier,  Mercier,  Barbier,  A. Boyer,  Delfau,  Laffitte,  Marsin,  de Montesquiou,  Mouly,  Othily,  Seillier et  Thiollière, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Les politiques françaises de maîtrise de l'immigration et de lutte contre l'immigration clandestine reposent en premier lieu sur l'aide publique au développement et les différentes formes de coopération instituées entre la France et les pays d'émigration.

La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Cet amendement vise à inscrire dans la loi que l'efficacité des politiques de maîtrise de l'immigration repose en premier lieu sur l'aide que peuvent apporter les pays du Nord, notamment la France, aux pays en voie de développement.

En effet, on constate que la population immigrée provient dans son immense majorité des pays en voie de développement et qu'elle a donc pour origine essentiellement les difficultés économiques de ces pays, et, dans une moindre mesure, leurs situations politiques.

Une politique moderne de l'immigration se doit d'envisager la question de l'immigration dans sa globalité et, ainsi, de s'attaquer à l'origine du problème en permettant que les candidats à l'immigration ne soient contraints de quitter leurs pays pour fuir la misère économique ou des persécutions politiques.

La meilleure politique de maîtrise de l'immigration doit consister dans la réduction du flux. Or, le renforcement de l'arsenal répressif ne peut suffire pour dissuader des personnes dans des situations de très grandes difficultés d'émigrer, même clandestinement, vers les pays les plus développés comme la France.

J'ai rencontré M. Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, la semaine dernière. Il m'affirmait que l'Europe aurait beau s'entourer de murailles immenses, les gens passeraient quand même, fût-ce au péril de leur vie, tant ils sont en difficulté.

Selon moi, la meilleure façon de limiter à terme l'immigration est d'augmenter, d'une façon sensible, l'aide publique au développement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur le fond, nous pouvons partager beaucoup de choses, mais, en l'occurrence, j'invite M. Pelletier à retirer cet amendement, d'une part, parce que les dispositions de celui-ci ont un caractère déclaratif et non pas normatif, et, d'autre part, parce que l'amendement n° 510 rectifié septies vise à réaliser le souhait d'une majorité d'entre nous de mettre en place un dispositif en faveur du codéveloppement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. M. Pelletier rappelle dans son amendement une exigence qui doit guider notre action : « Les politiques françaises de maîtrise de l'immigration et de lutte contre l'immigration clandestine reposent en premier lieu sur l'aide publique au développement et les différentes formes de coopération instituées entre la France et les pays d'émigration. » Nous en sommes d'accord, et je veux le réaffirmer.

Cette affirmation, cependant, comme le rappelait M. le rapporteur, est dépourvue de portée normative. C'est pourquoi il me paraît préférable de ne pas l'inscrire comme telle dans la loi.

Je vous demande donc, monsieur Pelletier, de bien vouloir retirer cet amendement au bénéfice de votre amendement n° 510 rectifié septies, qui, au contraire, concrétise notre ambition en faveur du codéveloppement.

M. le président. Avant de demander à M. Pelletier si l'amendement est maintenu, je vais donner la parole à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote, car j'ai observé que notre collègue brûlait de prendre la parole ! (Sourires.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je n'apprécie pas, pour une fois, vos observations !

Il est dommage que nous n'ayons pas voté tout à l'heure le renvoi à la commission : au moment même où M. Pelletier se levait pour exposer son amendement nous était distribuée la version rectifiée septies de l'amendement n° 510 ! Il est tout de même assez difficile de vérifier quelles sont les modifications entre le texte d'origine et cette dernière version !

Cela étant, je m'étonne quelque peu de cet amendement lui-même, qui rejoint les propos qu'a tenus le ministre de l'intérieur, lors de son passage fugace dans notre hémicycle, propos selon lesquels il faudrait exonérer d'impôt les sommes que les travailleurs étrangers résidant en France renverraient dans leur pays. La plupart d'entre eux ne gagnent pas des sommes telles qu'ils puissent payer des impôts ! J'ignore s'il est question de l'impôt de solidarité sur la fortune...

Actuellement, les travailleurs envoient de l'argent à leur famille en se privant terriblement alors qu'ils gagnent très peu, et cela doit être pris en considération dans l'ensemble du projet de loi.

Voilà ce que je voulais dire à propos de cet amendement, avant qu'il soit retiré. Il est tout de même vraiment dommage de l'avoir rectifié sept fois !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas celui-là qui est en discussion, c'est l'amendement n° 98 rectifié ter !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas celui-là ? Cela tombe très bien ! C'est bien l'illustration qu'il vaudrait mieux en rediscuter en commission plutôt que de faire du travail de commission en séance ! Je parlais pour ma part de l'amendement n° 510 rectifié septies.

M. le président. Monsieur Pelletier, l'amendement n° 98 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, cet amendement était évidemment un amendement d'appel.

M. Jacques Pelletier. Nous souhaitons que le ministère de l'intérieur, par la voix de son ministre d'État et de son ministre délégué ici présent, puisse nous aider auprès du Gouvernement, spécialement auprès du ministre des affaires étrangères et auprès du ministre des finances, pour que l'aide au développement soit augmentée d'une façon sensible dans les prochaines années.

Le ministère de l'intérieur étant d'accord pour ce faire, je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 98 rectifié ter est retiré.

L'amendement n° 270, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

I. - La France participe à l'aide au développement des pays du Sud à hauteur de 1 % de son produit intérieur brut.

II. - Les pertes de recettes pour l'État résultant du I ci-dessus sont compensées par le relèvement à due concurrence du taux de l'impôt sur les sociétés fixé par l'article 219 du code général des impôts.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. La lecture du projet de loi dont nous entamons la discussion est édifiante : rien sur le développement, rien pour tenter de réduire la fracture Nord-Sud, qui, chacun le sait, est la source essentielle des migrations internationales.

Le rapport qui nous est présenté confirme ce fait : c'est le silence total sur cette question, pourtant fondamentale.

Monsieur le ministre, nous constatons que deux logiques coexistent : celle des grandes déclarations et celle des faits, celle de la réalité de votre action.

Prenons la « Charte des valeurs » de l'UMP qui figure actuellement sur son site Internet : « Notre rôle est d'oeuvrer à la réduction des déséquilibres par un véritable partenariat au service du développement, dans les collectivités d'outre-mer [...] comme dans les pays les plus pauvres. » On a envie de se pincer !

Or le projet de loi que vous nous présentez prône le pillage des ressources humaines sans accorder un sou de plus aux pays d'origine.

Depuis quatre ans, les gouvernements successifs affichent dans leurs discours une vision timidement solidaire alors que, dans la pratique, ils défendent le libéralisme le plus sauvage, dont pâtissent évidemment en premier lieu les pays pauvres.

Ce projet de loi est aux antipodes d'une conception du monde fondée sur le partage et la solidarité : il consolide encore et toujours l'exploitation des plus faibles par les pays les plus riches.

Monsieur le ministre, comment ne pas citer un extrait de l'interview accordée par M. Jacques Chirac, Président de la République, le 23 mai 2006 - tout récemment, donc - à TV Globo, télévision brésilienne :

« Qu'il s'agisse notamment de l'Afrique ou d'ailleurs, les gens qui partent de chez eux ne partent pas par désir, ils partent par nécessité. » C'est une vérité !

Je poursuis : « Ils partent parce qu'ils ne peuvent pas vivre comme il faut chez eux, eux et leurs familles. C'est cela qui crée ce mouvement et c'est la raison pour laquelle on ne pourra pas s'y opposer si l'on ne change pas les conditions de vie, au départ. » Le Président, mes chers collègues, n'a pas dit : « à l'arrivée », il a bien dit : « au départ » !

« Il n'y a pas d'autre solution à ces problèmes d'immigration que de créer les conditions du développement dans ces pays : développement des infrastructures, de l'éducation, de la santé, de l'agriculture [...]. Or, aujourd'hui, les efforts qui sont faits par la communauté internationale pour le développement [...] sont tout à fait insuffisants. Ils représentent environ un tiers de ce qui serait absolument nécessaire selon les experts de l'ONU. Il faudrait donc tripler au minimum cette aide. [...]

« Il faut créer les conditions nécessaires au développement, c'est une exigence humaine, morale et une exigence politique. Toutes les protections céderont sous la pression extérieure, il n'y a pas d'autre solution. »

Le Président de la République, s'exprimant ainsi au Brésil, pensait certainement à la Guyane et à son environnement géographique, où les tribus amérindiennes, depuis des siècles, ignorant les frontières des États, utilisent les cours d'eau de l'Amazonie pour circuler librement.

Il expose ainsi en quelques mots la vanité du projet de loi présenté par son propre gouvernement en matière de régulation des migrations. Il met en lumière la motivation de ce texte : offrir au patronat une main-d'oeuvre bon marché et corvéable à merci. Nous le savions, M. Chirac n'en est pas à une contradiction près. Il n'est pas prophète non plus dans le Gouvernement.

Monsieur le ministre, ce projet de loi ne tend aucunement à s'attaquer aux causes réelles de l'immigration : la pauvreté des pays d'origine. Il ne constitue qu'un ensemble de mesures coercitives et hypocrites et vise seulement à encadrer une politique qui marque une rupture, non pas tant par la vision utilisatrice de l'immigration de main-d'oeuvre qu'il traduit que par la possibilité que se donne le Gouvernement de définir chaque année des objectifs quantitatifs indiquant à titre prévisionnel le nombre de visas et de titres de séjour qui seront délivrés aux fins d'emploi, d'études, et pour motifs familiaux. C'est un véritable pillage des cerveaux des pays du Sud !

Mais, monsieur le ministre, il ne faut pas croire qu'il suffit d'ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : la France a encore besoin d'attirer plus que de sélectionner.

Mes chers collègues, le Sénat s'honorerait aussi de rappeler que la clef de l'avenir, la clef du bien-être futur de l'humanité, c'est le partage des richesses, c'est l'aide au développement.

Aussi notre amendement tend-il à doubler le pourcentage du PIB de notre pays consacré à l'aide au développement, de façon, monsieur le ministre, à mettre les discours du Président de la République en conformité avec la réalité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L'intention de fixer à 1 % du PIB l'aide au développement des pays du Sud est louable. Pour autant, une telle mesure ne relève pas de la compétence de la commission des lois ; elle trouverait plutôt sa place en loi de finances.

L'avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas de la compétence du Gouvernement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Bret, nous sommes bien évidemment très favorables au renforcement de notre aide au codéveloppement.

Cependant, l'amendement n° 270 a pour objet l'engagement de la France à porter son aide publique au développement à 1 % du produit intérieur brut. Bien sûr, nous devons tous espérer atteindre ce niveau ! Malheureusement, si le Sénat retenait cet amendement, l'article inséré dans le projet de loi serait purement déclaratoire. Or je préfère les actes aux déclarations.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je rappelle, puisque vous y avez fait référence à plusieurs reprises, que, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons rattrapé le retard d'aide publique au développement que le gouvernement de Lionel Jospin avait pris. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Sous les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, et sous l'autorité du Président de la République - les chiffres sont ce qu'ils sont : ils sont imparables -, l'aide publique au développement a évolué de la manière suivante : en 2001, nous étions à son plancher avec 0,32 % du produit intérieur brut ; nous sommes remontés à 0,47 % en 2005, c'est-à-dire 8,2 milliards d'euros ; en 2007, nous atteindrons 0,50 %. S'il y a eu un effort et une montée en puissance en matière d'aide au codéveloppement, c'est bien sous l'impulsion du Président de la République auquel vous avez fait référence, monsieur Bret, et non pas sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec lequel nous étions tombés au plus bas, à 0,32 %.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas de cela qu'il était question ! C'est de la polémique stérile !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. L'amendement n° 510 rectifié septies de M. Pelletier devrait permettre de renforcer encore la politique de la France en matière d'aide au codéveloppement. Si vous adhérez à cette démarche, je ne puis que vous conseiller, monsieur Bret, de retirer votre amendement. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est toujours le même Président de la République qui est en fonctions, je suis désolée de vous le rappeler !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 270.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 271, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

I. - La France annule la dette contractée à son égard par les pays du Sud.

II. - Les pertes de recettes pour l'État résultant du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par le relèvement du tarif du droit de timbre fixé par l'article 978 du code général des impôts.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. L'annulation de la dette économique des pays pauvres à l'égard des pays riches constitue un objectif urgent. Nous considérons cette annulation totale et immédiate comme un préalable à toute politique de développement. Comment, en effet, envisager un décollage économique sans trouver un moyen de sortir du cercle vicieux de l'endettement ?

Que d'hypocrisie sur cette question de l'annulation ! Comment ne pas rappeler qu'en juin 2005, voilà un an tout juste, les ministres des finances du G8 avaient annoncé l'effacement immédiat de la dette des pays pauvres pour un montant de 40 milliards de dollars ? Cette décision concernait dix-huit pays très endettés, et les ministres des finances avaient ajouté que, dans les deux ans à venir, vingt autres pays pourraient bénéficier de la même mesure. Un an après, cette promesse est bien entendu restée lettre morte. Elle est déjà oubliée, monsieur le ministre !

Cela n'empêche pas les dirigeants occidentaux, et le Président de la République, au cours de sa visite en Amérique latine, en a été le meilleur exemple, de promettre la main sur le coeur l'engagement prochain des pays riches.

De telles tartufferies pourraient prêter à sourire si l'on oubliait la terrible réalité qu'elles recouvrent : sur le seul continent africain, plus de 300 millions d'êtres humains vivent avec moins de 1 dollar par jour ; 240 millions souffrent de carences alimentaires ; près de 200 millions, de malnutrition.

Faut-il rappeler, monsieur le ministre, que les émigrés venant des régions pauvres transfèrent vers leur famille restée au pays des sommes dont le total est supérieur à l'aide au développement attribuée par les États comme la France ? L'Office des migrations internationales, l'OMI, évalue ces sommes à plus de 200 milliards de dollars par an. En 2005, l'aide publique a à peine dépassé 100 milliards de dollars, qui plus est inégalement répartis.

Comment, monsieur le ministre, engager un débat sur l'immigration sans évoquer l'essentiel, sans s'attaquer aux causes du désespoir de ces millions d'hommes et de femmes qui quittent tout pour survivre, pour faire vivre leurs enfants ?

L'annulation de la dette serait un premier pas important et marquerait fortement une orientation solidaire et non plus de domination ou d'asservissement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L'intention qui sous-tend cet amendement, il faut le reconnaître, est tout à fait généreuse et louable. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d'émettre un avis favorable puisque nous n'avons pas compétence en la matière.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Bret, il n'est pas très sérieux de vouloir préciser dans la loi que la France annule la dette contractée par les pays du Sud.

Je vous renvoie ici aux actes du Gouvernement. Depuis 1996, que ce soit sous le gouvernement de Lionel Jospin ou sous les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Président de la République est toujours le même !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...la France a joué un rôle leader pour l'annulation de la dette des quarante-deux pays pauvres les plus endettés, au sein de ce que l'on appelle l'initiative PPTE, l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Nous avons déjà annulé 100 % de la dette bilatérale de quinze pays africains et, depuis le sommet du G8 de Gleneagles en 2005, nous sommes engagés en faveur de l'annulation de la dette multilatérale des quarante-deux pays les plus endettés.

Au total, ces initiatives représenteront pour la France un effort de 12 milliards d'euros. Il doit appartenir à chaque gouvernement de pouvoir, au cas par cas, prendre des décisions d'annulation ; une telle disposition ne relève pas de la loi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 271.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 272, présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le III est ainsi rédigé :

« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,1 % à compter de la promulgation de la loi n°        du          relative à l'immigration et à l'intégration. »

2° Le IV est supprimé.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le ministre, nous mesurons bien que la disposition que nous avons proposée ne relève pas de la loi, mais comment légiférer sur l'immigration sans poser la question de fond, compte tenu de l'hypocrisie qui règne autour de l'aide au développement, autour de l'annulation de la dette des pays pauvres ? Si l'on n'aborde pas ces questions dans les rapports Nord-Sud, on ne peut pas envisager une immigration maîtrisée. Ce sont les situations dramatiques qu'ils connaissent dans leurs pays qui poussent les intéressés et leur famille à quitter leur pays d'origine.

Vouloir légiférer sur l'immigration sans aborder cette question, c'est encore une fois faire preuve d'hypocrisie ; cela procède plus de l'affichage de caractère politique et électoral que de la volonté de s'attaquer réellement aux problèmes de fond.

J'en viens à l'amendement n° 272.

Une taxe sur les transactions financières de type taxe Tobin a été mise en place dans le cadre de la loi de finances pour 2002. Nous proposons de la mettre concrètement en oeuvre en fixant un taux à la hauteur des enjeux. 

Monsieur le ministre, dois-je rappeler les propos tenus par le Président de la République à Johannesburg en 2004, qu'il confirma l'année suivante au forum des multinationales et des puissants de ce monde, à Dallas ? « Il ne serait pas anormal qu'une partie, modeste - mais les chiffres sont considérables -de ces richesses soit ponctionnée pour permettre d'améliorer la solidarité internationale et le développement durable ». Il évoquait « la nécessité d'une forme de taxation ».

Par notre amendement, nous proposons de dégager les moyens financiers nécessaires pour soutenir l'action internationale de la France en matière d'aide publique au développement.

M. Marini, rapporteur général du budget, avait déclaré en 2004 que cette taxe était « contre nature ». Selon lui, « elle est complètement opposée à l'esprit et au fonctionnement mêmes des marchés ».

La franchise de M. Marini a au moins l'avantage, au-delà de l'affichage indécent d'un certain mépris à l'égard de la misère du monde, de mettre en évidence la contradiction du Président de la République : on ne joue pas avec les mots. Les règles de l'argent sont impitoyables. Elles broient les hommes et les peuples.

Monsieur le ministre, votre projet de loi ne comporte pas de contradiction, il est tout simplement libéral, comme M. Marini. Il ne prend même pas la précaution d'évoquer de façon charitable l'aide aux pays pauvres. En fait, votre rupture, c'est l'adhésion à l'extrémisme libéral.

Quant à nous, avec beaucoup, nous pensons qu'un autre monde est possible, que les hommes et les femmes ne sont pas du bétail corvéable à merci. C'est l'objet de notre amendement, qui vise à financer nos objectifs de solidarité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Une telle disposition ne relève pas de notre compétence, elle relève d'un décret. Par ailleurs, sa mise en application exigerait un accord entre l'ensemble des États membres.

Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Bret, vos intentions sont louables et elles sont partagées pour partie par le Gouvernement.

Je vous ferai remarquer qu'en matière de codéveloppement, jamais un Gouvernement n'est allé aussi loin que ce que nous proposons. Chacun pourra mesurer tout à l'heure, lors de l'examen de l'amendement n° 510 rectifié septies, présenté par M. Pelletier, qui vise à instaurer un compte épargne codéveloppement, qu'il s'agit d'une initiative sans précédent.

Par conséquent, les amendements que vous nous avez présentés mériteraient d'être retirés pour que la Haute Assemblée se prononce à l'unanimité en faveur de la démarche initiée par M. Pelletier.

Au demeurant, monsieur Bret, à propos de votre amendement n° 272, que je vous demande de retirer - je sais que je ne serai pas entendu, mais peu importe - je souhaite souligner vos contradictions.

Vous proposez une taxe sur les transactions financières en devises, ce qui s'apparente à la fameuse taxe Tobin.

Je rappelle que vos amis participaient au gouvernement qui a fait inscrire dans la loi de finances pour 2002 la création de cette taxe, qui était subordonnée à l'entrée en vigueur d'une taxe similaire par l'ensemble des pays de l'Union européenne. Monsieur Mélenchon, c'est le texte tel qu'il a été voté dans la loi de finances pour 2002, vous en conviendrez. (M. Jean-Luc Mélenchon fait un signe d'assentiment.)

Monsieur Bret, votre amendement franco-français n'aurait strictement aucun sens à l'heure de la mondialisation des échanges.

Vous parlez d'« extrémisme libéral », mais c'est vous qui favoriseriez par cette disposition l'extrémisme libéral car elle provoquerait une fuite massive des capitaux au détriment de l'économie française.

M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, pour explication de vote.

Mme Lucette Michaux-Chevry. On ne peut pas parler d'hypocrisie en ce qui concerne les interventions de la France.

En effet, sous l'impulsion de M. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, la France a obtenu que les pays d'Afrique, notamment, bénéficient d'une dotation particulière dans le cadre des aides européennes allouées aux pays les moins avancés, les PMA.

Par ailleurs, pour les cultures tropicales comme les bananes, la production de sucre de canne, les aides compensatoires accordées aux pays du Sud sont plus favorables que celles qui sont accordées aux départements et territoires d'outre-mer.

Enfin, je rappellerai que, sur l'intervention de M. Raffarin, Haïti a bénéficié des aides du fonds européen de développement, le FED, alors que ce pays était en état de déstabilisation et que la France a apporté un complément de crédits prélevés sur le fonds européen de développement régional, le FEDER, et destinés aux départements d'outre-mer, pour compléter le FED alloué aux pays de la Caraïbe.

Par conséquent, il ne s'agit pas de mesurettes de 1 %. La France intervient de façon régulière en faveur des productions tropicales. Notre pays est le seul à faire face à la puissance des entreprises américaines qui déstabilisent l'économie des pays du Sud et de la Caraïbe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 272.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 273, présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement transmettra au Parlement, avant le 31 décembre 2006, un rapport relatif au co-développement et à l'aide publique en faveur des pays en développement.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Je l'ai déjà souligné voilà un instant, on ne peut discuter d'une politique de l'immigration sans aborder la question essentielle du codéveloppement et de l'aide au développement.

Pour permettre l'existence de ce droit fondamental pour tout être humain de vivre dans son pays, en famille, de voir ses enfants grandir, il faut modifier en profondeur les rapports économiques mondiaux.

Cet effort historique pour le développement doit s'appuyer sur une coopération monétaire nouvelle, avec un fonds monétaire international émancipé de la domination du dollar.

Aussi, nous sommes favorables à l'instauration d'une monnaie commune mondiale de coopération visant à faire reculer le rôle hégémonique de la devise américaine.

Dans ce cadre monétaire et financier nouveau, l'annulation de la dette du tiers-monde ouvrirait la voie à de nouveaux crédits à long terme et à taux d'intérêt très bas, avec l'intervention d'une banque mondiale et d'un FMI radicalement réformés.

Des institutions aussi capitales que l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, l'Organisation internationale du travail, l'OIT, doivent être repensées, réformées dans cet objectif.

Dès à présent, il est possible de renforcer considérablement l'aide au développement et de dynamiser les politiques de codéveloppement. Ces mots ne doivent pas rester lettre morte.

Monsieur le ministre, les appels au développement ne doivent pas demeurer des propos de campagne ou des éléments de discours prononcés aux quatre coins du monde et jamais mis en application chez nous.

Quand atteindrons-nous le taux de 1 % de notre PIB affecté à l'aide au développement ? Cela ne serait-il pas un minimum au regard des propositions du Président de la République, qui évoquait l'idée de tripler l'aide des pays riches aux pays pauvres ?

Ni le Gouvernement par son projet de loi ni le rapporteur de la majorité de la commission des lois n'ont jugé utile de faire le lien entre politique d'immigration et aide au développement.

Cela prouve bien le manque d'ambition de ce texte tourné exclusivement vers la satisfaction des demandes patronales et la volonté de flatter, par intérêt électoral, les sentiments les plus xénophobes.

Pourtant, M. Buffet lui-même, dans le rapport de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, avait formulé dix recommandations fondées sur l'aide au développement et le codéveloppement : pour exemple, je citerai la recommandation n° 14 visant à intensifier « l'aide publique au développement au profit des États voisins des départements et des collectivités d'outre-mer. »

Certaines propositions seraient-elles bonnes pour des rapports d'information et moins bonnes au moment d'être intégrées dans la loi, monsieur le rapporteur ?

Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous mettons nos paroles en pratique : nous proposons que, chaque année, un rapport soit débattu au Parlement sur cette question de l'aide au développement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je tiens à rappeler que la commission présentera un certain nombre de dispositions concernant le codéveloppement, qui viendront s'adjoindre aux dispositions relatives à la carte de séjour « compétences et talents », notamment au renouvellement de cette carte pour les ressortissants des pays situés en zone prioritaire.

À ces dispositions, il faut ajouter l'amendement n° 510 rectifié septies, que nous allons examiner dans quelques instants.

Monsieur Bret, la rédaction d'un nouveau rapport semble inutile, puisque le rapport qui est fait devant le Parlement chaque année donne les éléments d'informations nécessaires.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le Gouvernement émet le même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 273.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 510 rectifié septies, présenté par MM. Pelletier et  Portelli, Mme Dini, MM. Alfonsi,  Barbier,  Baylet,  A. Boyer,  Collin,  Delfau,  Fortassin,  Laffitte,  Marsin,  de Montesquiou,  Mouly,  Othily,  Seillier,  Thiollière,  Béteille,  Haenel et  Vendasi, est ainsi libellé :

Avant le titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

I. Après l'article L. 221-32 du code monétaire et financier, il est inséré une nouvelle section ainsi rédigée :

« Section 7 : compte épargne co?développement

« Art. L. 221-33. ? 1. Un compte épargne co?développement peut être proposé par tout établissement de crédit et par tout établissement autorisé à recevoir des dépôts, qui s'engage par convention avec l'État à respecter les règles fixées pour le fonctionnement de l'épargne co?développement.

« 2. Le compte épargne co?développement est destiné à recevoir l'épargne d'étrangers ayant la nationalité d'un pays en voie de développement, figurant sur une liste de pays fixée par arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, du ministre de l'intérieur, du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget, et titulaires d'une carte de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle, aux fins de financer des opérations dans leur pays d'origine telles que prévues au 3.

« 3. Les investissements autorisés à partir des comptes épargne co?développement sont ceux qui concourent au développement économique des pays bénéficiaires, notamment :

« a) la création, la reprise ou la prise de participation dans les entreprises locales,

« b) l'abondement de fonds destinés à des activités de micro finance,

« c) l'acquisition d'immobilier d'entreprise, d'immobilier commercial ou de logements locatifs,

« d) le rachat de fonds de commerce,

« e) le versement à des fonds d'investissement dédiés au développement ou des sociétés financières spécialisées dans le financement à long terme, opérant dans les pays visés au 2.

« 4. Les opérations relatives aux comptes épargne co?développement sont soumises au contrôle sur pièces et sur place de l'inspection générale des finances.

« 5. Un comité examine périodiquement la cohérence des projets financés au travers du compte épargne co?développement avec les différentes actions de financement du développement et formule des recommandations aux ministres concernés. Ce comité est institué par arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, du ministre de l'intérieur, du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget.

« 6. Un décret fixe les modalités d'application du présent article, notamment les obligations des titulaires d'un compte épargne co?développement et des établissements distributeurs. »

II. Il est inséré, dans le code général des impôts, un article 163 quinvicies ainsi rédigé :

« Art. 163 quinvicies ? 1. Les sommes versées annuellement sur un compte épargne co?développement tel que défini à l'article L. 221-33 du code monétaire et financier peuvent ouvrir droit, sur option de son titulaire, à une déduction du revenu net global de son foyer, dans la limite annuelle de 25 % de celui?ci et de 20 000 € par personne.

« 2. Le retrait de tout ou partie des sommes versées sur un compte épargne co?développement et ayant donné lieu à déduction du revenu net global est subordonné au fait qu'elles ont pour objet de servir effectivement un investissement défini au 3 de l'article L. 221-33 du code monétaire et financier.

« 3. En cas de non respect de l'objet des comptes épargne co?développement tel que défini au 3. de l'article L. 221-33, le retrait de tout ou partie des sommes versées sur un compte épargne co?développement et ayant donné lieu à déduction du revenu net global est conditionné au paiement préalable d'un prélèvement sur ces sommes retirées au taux défini au 3° du III bis de l'article 125 A.

« Ce prélèvement est établi, liquidé et recouvré sous les mêmes garanties et sanctions que celui mentionné à l'article 125 A.

« 4. Un décret fixe les modalités d'application du présent article. »

La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Ce projet de loi sur l'immigration est l'occasion de rappeler que la France entend lier ses politiques en matière de maîtrise de l'immigration à sa politique d'aide au développement.

En effet, les politiques françaises de maîtrise de l'immigration et de lutte contre l'immigration clandestine n'ont de sens que si, en premier lieu, elles s'appuient sur l'aide publique au développement et les différentes formes de coopération instituées entre la France et les pays d'émigration. C'est pourquoi ce projet de loi peut être l'occasion d'élaborer des dispositifs innovants en matière d'aide au développement en faveur des pays du Sud.

Certains étrangers en activité en France disposent d'une capacité d'épargne non négligeable, évaluée à plusieurs milliards d'euros.

Une partie de cet argent est envoyée directement dans les pays en développement pour faire vivre les familles des immigrés, mais il en reste une part importante. Dans ces conditions, il apparaît judicieux de soutenir fiscalement l'effort d'épargne des ressortissants étrangers travaillant en France, à la condition qu'il donne lieu à des investissements dans leur pays d'origine.

Par investissement dans leur pays d'origine, il faut entendre la participation financière à des projets de développement économique, comme la création ou la reprise d'une entreprise locale, l'abondement d'un fonds de micro-crédit, l'investissement dans de l'immobilier d'entreprise, dans de l'immobilier commercial ou dans de l'immobilier locatif, l'acquisition de fonds de commerce et l'investissement dans des fonds d'investissement dédiés au développement ou des sociétés financières spécialisées dans le financement à long terme.

Le dispositif proposé par cet amendement s'articule autour d'un compte épargne codéveloppement dont les versements seraient exonérés d'impôt sous plusieurs conditions strictes.

Un étranger actif en France pourrait placer sur un compte épargne codéveloppement bloqué des sommes qui seraient alors déduites de son revenu imposable, jusqu'à concurrence de 25 % de ses revenus professionnels et dans une limite de 20 000 euros par personne.

Cette conception du codéveloppement me paraît porteuse d'espoirs et elle permettra, j'en suis persuadé, un développement plus important des pays que nous souhaitons aider.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut prendre l'argent là où il est !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est très favorable à cet amendement.

La mise en place de ce dispositif permettra aux immigrants qui travaillent en France d'aider leur pays d'origine de façon concrète et très précise. C'est une façon de nous assurer que nous participons au codéveloppement, auquel nous sommes tous favorables, car nous savons qu'il constitue un outil de nature à permettre aux pays en développement de retenir leurs nationaux et à apaiser les relations avec les pays d'accueil.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le Gouvernement, en particulier Nicolas Sarkozy, est très attaché au codéveloppement, qui constitue un des dispositifs majeurs du présent projet de loi.

Le Gouvernement est donc très favorable au dispositif novateur que vous nous proposez, monsieur Pelletier. Avec vos collègues des groupes UMP, dont M. Portelli, et UC-UDF, notamment Mme Dini, mais aussi avec l'ensemble du groupe du RDSE, en particulier le président du parti radical, M. Baylet, dont chacun connaît les compétences en matière d'affaires étrangères, vous nous proposez d'apporter une réponse à un enjeu considérable. Il s'agit en effet, avec le compte épargne codéveloppement, de créer un levier de mobilisation de l'épargne des migrants résidant en France en faveur de l'investissement dans leur pays d'origine.

Chaque année, je tiens à le rappeler, les immigrés qui résident dans notre pays transfèrent vers leur pays d'origine des fonds très importants que l'on évalue entre 2 milliards et 8 milliards d'euros. Plus précisément, en 2004, ces transferts auraient atteint 2,540 milliards d'euros selon l'évaluation de la Banque de France et 7,850 milliards d'euros selon l'estimation faite par un groupe d'étude animé par M. Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, à qui Nicolas Sarkozy a confié le soin de travailler sur ces questions.

Ces chiffres, considérables, sont à comparer au montant de l'aide publique au développement : 8,2 milliards d'euros en 2005, soit, je le rappelle, 0,47 % du produit intérieur brut.

Nous devons donc aider les migrants à orienter leur épargne vers des projets réellement utiles au développement de leur pays.

Aujourd'hui, il faut savoir que 80 % des fonds transférés par les immigrés sont utilisés à des fins de consommation courante. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Écoutez bien, mesdames, messieurs de l'opposition, car cela va vous intéresser ! Nous pouvons, par un mécanisme d'incitation fiscale tel que celui qui est prévu dans le compte épargne codéveloppement orienter une partie de ces fonds vers l'investissement économique.

Ce nouveau mécanisme permettra aux travailleurs étrangers, originaires de pays en voie de développement et résidant en France, de placer leur épargne sur un compte bloqué. Les sommes épargnées seront déduites du revenu imposable à concurrence de 25 % des revenus, dans une limite de 20 000 euros par personne.

Mme Éliane Assassi. Le plus souvent, il s'agit de personnes non imposables !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Les sommes ne pourront être débloquées que si l'épargnant justifie d'un investissement dans les pays en voie de développement, c'est-à-dire une prise de participation dans des entreprises locales, le rachat de fonds de commerce, le versement à des fonds d'investissement dédiés au développement.

Mme Annie David. Et pendant ce temps, leurs familles mourront de faim !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le ministre d'État s'est rendu en Afrique de l'Ouest. Il a reçu à Paris des ambassadeurs africains pour discuter de notre politique d'immigration, en toute franchise et en toute amitié. Nous sommes convaincus que le compte épargne codéveloppement répond à une attente très forte des pays d'origine.

Mme Éliane Assassi. Et du Gouvernement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, le compte épargne codéveloppement, et cet amendement en particulier, est pour le Parlement l'heure de vérité.

Mme Éliane Assassi. N'en rajoutez pas !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Hier, lors de la discussion générale, tous les orateurs, vous y compris, madame Assassi, se sont exprimés en faveur du codéveloppement. C'est un point qui peut nous rassembler. Tous les intervenants ont évoqué cette question en allant dans la même direction. Vous avez à présent, mesdames, messieurs les sénateurs, l'opportunité, en vous rassemblant derrière les auteurs de cet amendement, de vous inscrire dans la démarche que vous avez défendue hier, à la tribune du Sénat. J'espère que chacun aura à coeur de mettre son vote en conformité avec les intentions qu'il a affichées.

M. Pierre-Yves Collombat. N'en faites pas trop !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. J'ajoute que le dispositif proposé par M. Pelletier est très proche, dans son principe, du livret d'épargne développement que visait à créer une proposition de loi présentée à l'Assemblée nationale par Jean-Pierre Brard, membre du groupe communiste, et Jacques Godfrain, ancien ministre de la coopération.

Mme Éliane Assassi. Nul n'est parfait ! Ce n'est pas un argument !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je crois sincèrement que toutes les conditions sont réunies pour que chacun, en son âme et conscience, apporte son soutien à l'amendement n° 510 rectifié septies.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, il ne faudrait pas transformer une initiative utile en une opération politique.

M. Gérard Delfau. Comme Jean-Michel Baylet, président du parti radical de gauche, dont vous avez mentionné le nom, monsieur le ministre, j'ai, sur le présent projet de loi, un avis d'ensemble très négatif : ce texte n'est pas opportun, il complique la situation, il aggrave les désaccords entre les Français. Bref, je considère que nous aurions dû traiter ces sujets autrement et à un autre moment.

Néanmoins, ce texte existe. Et, comme je suis un parlementaire responsable, lorsqu'on me présente une initiative utile qui répond à un principe que nul ne conteste, je me dis qu'il faut la saisir et tout faire pour qu'elle aboutisse.

C'est d'autant plus vrai, en l'occurrence, que l'initiative vient de Jacques Pelletier, ancien ministre de la coopération, dont chacun connaît l'action en faveur du développement et du maintien de bonnes relations entre la France et l'Afrique, et qu'autour de son nom se rassemblent des signatures émanant de très nombreuses travées de cet hémicycle.

Certes, le dispositif qui nous est proposé ne réglera pas au fond le problème de la misère que connaissent les pays en développement, mais il peut leur donner une chance supplémentaire et il montre que la France s'efforce de trouver des moyens nouveaux pour sortir du face à face actuel et pour résorber des inégalités qui aujourd'hui s'accroissent.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, à condition qu'il soit bien clair que le vote que j'émettrai  - et je m'exprime au nom de mes collègues radicaux de gauche - ne vaut en rien approbation du présent projet de loi, je soutiendrai cette initiative. Nous souhaitons qu'elle aboutisse et que le Gouvernement puisse très rapidement la mettre en oeuvre. Mais encore faudra-t-il que Bercy prenne les décrets nécessaires !

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire, nous examinons, nous aussi, les textes en conscience. Mais une loi est un tout.

Nous voici donc devant cet amendement, qui en est à sa version septies. Bien que nous n'ayons pu suivre ses évolutions, lesquelles ne nous ont pas été explicitées, nous comprenons toutefois qu'il a fait l'objet d'une discussion attentive ainsi que des allers et retours nécessaires pour recevoir le feu vert du Gouvernement.

Mais quel est l'objet du présent projet de loi ? S'agit-il d'un texte sur le codéveloppement ou encore d'un texte qui nous conduit à chercher ensemble comment aider l'Afrique, qui est très liée à notre histoire, à se développer ? Non ! Nous sommes saisis d'un projet de loi répressif - nous aurons l'occasion de le démontrer - qui déstabilise l'immigration régulière et qui entame les droits des étrangers sur des sujets importants. Il ne reçoit donc pas notre accord.

La démarche de M. Pelletier est respectable, et je la salue comme telle. Mais peut-on croire vraiment détenir là les clés de la mise en oeuvre du codéveloppement ? Peut-on croire ce dispositif marqué au coin de la générosité lorsqu'il est spécifié que le contrôle sera fait sur pièces et sur place par l'Inspection générale des finances, dont tout le monde connaît les sentiments humains ?

En fait, dans ce projet de loi détestable, vous avez essayé de faire, ici ou là, quelques gestes, quelques signes. Dans une démarche brutale, vous avez voulu allumer une lueur d'humanité. Nous saluons cette initiative, mais nous ne nous y associerons pas. Bien sûr, il ne s'agit pas pour nous de nous opposer au codéveloppement, que nous mettons en oeuvre dans les collectivités locales dont nous avons la responsabilité. Tout autant que d'autres formations politiques, nous sommes attachés à un véritable dialogue Nord-Sud, mais nous sommes opposés à votre manière de procéder.

S'il existe des flux financiers entre la France et les pays d'Afrique, leur finalité est liée à la volonté des étrangers de venir chez nous. En effet, le travailleur immigré vivant en France renvoie à sa famille d'importantes sommes d'argent pour permettre à celle-ci de subsister.

Mais quelle étude d'impact nous présentez-vous, mes chers collègues, à l'appui de cet amendement ? Quels montants sont en jeu ? Quelles sont les familles étrangères à qui leur revenu imposable permet de réaliser une telle épargne ? Quelle est la liste des pays concernés ? Quel est le caractère démocratique des pays que nous allons soutenir ? Quelles entreprises bénéficieront du dispositif ?

Je ne mets pas un seul instant en doute les bonnes intentions ni la générosité des auteurs de cet amendement, qui revêt un caractère sympathique. Chaque fois qu'il s'agira de restaurer des droits, nous serons prêts à suivre - nous en aurons d'ailleurs peu l'occasion ! -, mais, en l'occurrence, il s'agit d'une opération de façade, à laquelle nous refuserons de prêter la main.

Bien sûr, nous ne voterons pas contre l'amendement n° 510 rectifié septies, mais nous nous abstiendrons, pour bien montrer que le codéveloppement est, à nos yeux, trop important pour servir de prétexte pour humaniser médiocrement un projet de loi détestable.

M. Charles Gautier. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.

Mme Muguette Dini. Dans la discussion générale, nous avons affirmé notre conviction qu'une politique de l'immigration ne peut être dissociée d'une politique volontariste et efficace en matière de codéveloppement.

L'amendement n° 510 rectifié septies, que j'ai cosigné, correspond bien à l'idée que je me fais du codéveloppement : il doit être proche du terrain, même si, comme vous l'avez indiqué, mon cher collègue, une telle démarche ne peut être suffisante.

Cet amendement a notamment une portée incitative. En effet, chaque immigré installé sur notre territoire pourra aider directement ses proches. Le plus souvent, son épargne sera destinée à aider, par le biais des institutions, des membres de sa famille qui pourront ainsi créer des micro-entreprises.

Ces aides peuvent avoir un effet boule de neige. Quand les membres les plus proches d'une famille auront retrouvé une autonomie financière grâce à une activité commerciale, artisanale ou agricole, cette épargne pourra contribuer à la création d'activités pour des personnes moins proches. Un tel dispositif permet de progresser lentement mais sûrement.

Dans cet objectif, les titulaires d'un compte épargne codéveloppement devront pouvoir identifier les destinataires de leur épargne. Ce sera donc pour chacun une manière très concrète et tangible de participer au codéveloppement de son pays d'origine.

Dans les pays en voie de développement plus qu'ailleurs, nous pouvons faire confiance aux solidarités familiales pour qu'un tel compte épargne codéveloppement soit efficace et porte ses fruits, même si, j'en conviens, cette démarche est loin d'être suffisante. Néanmoins, cette façon de s'adresser aux immigrés pour qu'ils puissent aider leur pays me paraît essentielle.

Personnellement, je connais très bien une Béninoise qui aide directement des membres de sa famille à créer des micro-entreprises. La difficulté, c'est que les besoins immédiats pour survivre sont tels que, bien souvent, l'argent reçu est immédiatement dépensé. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

Ainsi, le dispositif proposé me semble de nature à aider sur place les personnes à créer une entreprise plutôt qu'à dépenser immédiatement. Certes, ce n'est pas facile, mais le procédé me paraît efficace.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On reconnaît bien, à la lecture de l'amendement n° 510 rectifié septies, l'esprit pragmatique et généreux de M. Jacques Pelletier, ancien ministre de la coopération et du développement.

M. Charles Revet. Il faut donc le soutenir !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais il paraît très difficile d'insérer un bon dispositif dans un projet de loi ciblé, à l'évidence, contre les Africains, visant à empêcher ces derniers, qu'ils soient travailleurs ou étudiants, de venir en France.

Monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, je n'ai pas aimé le ton réprobateur et méprisant que vous avez utilisé pour dire que 80 % des sommes envoyées par les étrangers vivant en France servent à des dépenses de consommation. Évidemment, il faut bien manger tous les jours ! Il faut payer l'électricité, qui est très chère dans ces pays ! Et l'eau...

Par ailleurs, de nombreux migrants - vous en connaissez, monsieur Pelletier -, ont eux-mêmes créé des ONG, des organisations non gouvernementales, dont l'action est ciblée vers leur région d'origine. Ils sont tout de même assez grands pour savoir ce qu'ils ont à faire ! Le paternalisme commence à être dépassé !

M. Charles Revet. Ce n'est pas du paternalisme !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le ton employé par M. le ministre donnait à l'amendement de M. Pelletier un caractère paternaliste inacceptable. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Francis Giraud. C'est nul !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'espérais une suspension de séance car il me semblait intéressant d'attendre une nouvelle mouture de l'amendement pour essayer de porter un jugement... On nous a dit que tout cela était très compliqué.

J'ai beaucoup de sympathie pour Jacques Pelletier, notamment en sa qualité de ministre d'un gouvernement de gauche (Sourires), mais je me méfie beaucoup de l'unanimité qui se dégage en la matière.

Pour ma part, je me demande si ce compte épargne codéveloppement sera ouvert à l'immigration subie ou à l'immigration choisie. Est-ce qu'on attend des étudiants qu'ils investissent dans leur pays ? S'agit-il, plus vraisemblablement, de ceux qui seront titulaires d'une carte « compétences et talents » ? Certains d'entre eux ne gagneront-ils pas des sommes suffisamment importantes pour qu'on ne leur accorde pas, en plus, des cadeaux fiscaux ?

Par ailleurs, pourquoi l'État ne donnerait-il pas l'exemple en mettant la main à la poche et en participant lui-même, en partie au moins, à ce codéveloppement ?

On nous annonce un décret. Quand sera-t-il pris, monsieur le ministre ? Il serait tout de même intéressant de le savoir ! En effet, voter un texte pour qu'il ne soit pas appliqué ne sert à rien !

M. Bernard Frimat. Ce ne serait pas le premier !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce serait, comme d'habitude, de la poudre aux yeux.

L'amendement n° 510 rectifié septies prévoit que « les opérations relatives aux comptes épargne codéveloppement sont soumises au contrôle sur pièces et sur place de l'inspection générale des finances ». Je serais bien curieux de savoir comment se dérouleront les contrôles sur pièces dans ces pays qui nous sont étrangers !

Enfin, aux termes de l'amendement, « un comité examine périodiquement la cohérence des projets [...] Le comité est institué par arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères [...] » Cela ne fera jamais qu'un comité de plus ! Il y en a déjà beaucoup dans ce texte.

Dans ces conditions, à titre personnel, j'aurais préféré voter contre cet amendement. Or mon groupe a décidé de s'abstenir. Comme je suis discipliné, je suivrai cette consigne, ce qui me donnera l'occasion de me rapprocher de mon ami Gérard Delfau, qui nous a dit qu'il voterait cet amendement par sens des responsabilités. En ce qui me concerne, c'est justement parce que je me sens tout aussi responsable que lui que j'avais vraiment envie de voter contre.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.

M. Robert Bret. Je ne doute pas un seul instant que cet amendement parte d'une bonne intention. Mais Bernard Frimat a raison, il n'est pas question aujourd'hui de mettre en oeuvre une politique de codéveloppement. Vous l'avez d'ailleurs dit, monsieur le ministre. De ce point de vue, les choses sont claires.

De toute façon, avant d'aborder un tel sujet, il serait peut-être bon de demander l'avis des intéressés eux-mêmes ; je pense à un certain nombre d'associations qui peuvent les représenter.

Nous savons qu'avec leur envoi chaque mois les étrangers font vivre leur famille qui est restée dans le pays d'origine. Ils financent également de nombreuses infrastructures. J'ai pu visiter la région d'Oussouye, au sud du Sénégal. J'y ai constaté combien cet argent était utilisé efficacement, non seulement pour aider les familles, mais aussi pour équiper la région en matériels ou en infrastructures.

Mais j'ai également en tête, monsieur le ministre, le désir de plusieurs gouvernements de pays de l'Afrique subsaharienne de maîtriser ce flux financier important, non pas forcément pour le consacrer au codéveloppement, mais pour le détourner.

Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que nous ayons le droit de mettre la main sur cette épargne, réalisée après tant de sacrifices. En tout cas, une telle proposition ne peut certainement pas dégager le Parlement et le Gouvernement de leurs responsabilités en matière d'aide au développement et d'annulation de la dette.

Pour ma part, en prenant toutes mes responsabilités, je ne voterai pas cet amendement, quelles que soient les bonnes intentions de ses auteurs.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. J'estime également que l'amendement de M. Pelletier et de ses collègues est sincère et qu'il procède de bonnes intentions. Cela dit, on ne peut pas régler la misère par la misère.

Certes, j'ai longuement évoqué hier, dans la discussion générale, le codéveloppement. Aussi, je ne répéterai pas ce que j'ai dit, d'autant que M. Robert Bret vient d'en faire état.

Je dirai simplement que les rapports Nord-Sud et le codéveloppement sont de la responsabilité des États et non pas des travailleurs immigrés, qui, chacun le sait, ne paient pas l'impôt de solidarité sur la fortune, puisqu'ils sont, le plus souvent, payés au SMIC. Sans insister davantage, je citerai l'exemple des médecins béninois en France, dont les salaires sont inférieurs de 40 % à ceux de leurs homologues français.

Par ailleurs, je ne suis pas sûre qu'un travailleur étranger accepterait, sans qu'on lui ait demandé préalablement son avis, de souscrire à ce dispositif, dès lors que son pays ne serait pas une démocratie.

Enfin, la proposition qui nous est faite entérine la carte de séjour « compétences et talents », à laquelle le groupe communiste républicain et citoyen est bien évidemment opposé ; mais c'est un sujet sur lequel nous aurons l'occasion de revenir.

Pardonnez-moi, monsieur Pelletier, mais, pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition, que nous jugeons quelque peu discriminante.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Je ferai deux remarques.

Premièrement, il appartient au Parlement de voter la loi. On n'arrête pas de dire ici que nous votons les textes tout ficelés du Gouvernement, sur lesquels nous n'avons pas notre mot à dire, mais, lorsque nous avons le culot de modifier ce projet sur un point essentiel, on nous rétorque que nous sommes des otages ou des naïfs.

Non ! Nous avons tout simplement fait notre travail de parlementaires qui légifèrent et qui modifient des textes sur lesquels ils estiment avoir leur mot à dire.

En l'occurrence, nous avons mis au point non pas un dispositif à caractère naïf ou généreux, mais le troisième pilier, le codéveloppement, d'un texte qui repose sur deux autres piliers, l'intégration et l'immigration.

M. Pierre-Yves Collombat. C'est une béquille !

M. Hugues Portelli. Cet amendement n'est nullement isolé dans un océan de dispositions répressives ; il se cumule avec d'autres que le Sénat examinera tout au long des différentes journées que nous consacrerons à l'étude de ce texte.

Deuxièmement, nous savons parfaitement que l'épargne des immigrés ne prendra pas que cette forme-là. Ainsi, ma commune fait partie d'un réseau de huit villes de l'Union européenne avec lesquelles elle est jumelée. Chaque année, nous investissons dans les pays africains. Bien entendu, les immigrés qui vivent dans nos communes paient l'impôt. À ce titre, ils participent déjà à l'action que nous menons.

Le dispositif que nous examinons n'est ni original ni génial. Ce n'est qu'un dispositif parmi d'autres, que nous vous proposons de façon très simple, très humble. Si certains ne veulent pas le voter, tant mieux ; cela permettra de bien discerner qui est à l'origine de cet amendement ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Bel argument !

M. Hugues Portelli. Enfin, troisièmement, si M. le président m'y autorise, je profiterai de cette explication de vote pour répondre à Mme Monique Cerisier-ben Guiga que, contrairement à ce qu'elle a dit tout à l'heure, nos positions ne sont pas ciblées « contre » les Africains, comme nous serions contre les Chinois ou je ne sais qui.

Moi, je ne connais pas « les Africains ». Je connais des Béninois, des Maliens, des Congolais, des Zaïrois, des Sénégalais... Face au problème de l'immigration, vous savez très bien que les différents États ont des comportements différents et qu'au sein de chaque État le comportement des habitants n'est pas le même non plus !

Je connais, par exemple, des Maliens qui n'ont pas du tout envie de mettre les pieds en France et qui participent au développement du Mali au Mali. Je connais d'autres Maliens qui viennent chez nous ; c'est leur droit. Certains se comportent d'une certaine façon, d'autres, d'une autre.

Par conséquent, on ne peut pas dire, pratiquant l'amalgame, qu'il y aurait « des Africains » et que nous aurions, nous, une attitude proafricaine ou antiafricaine. C'est contraire à la réalité et c'est même faire insulte auxdits Africains ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, pour explication de vote.

M. Henri de Raincourt. Je n'avais pas particulièrement l'intention de m'exprimer en cet instant. Mais, ayant entendu de nombreux arguments hostiles à l'excellent amendement présenté par M. Jacques Pelletier et un certain nombre de nos collègues, je voudrais solennellement affirmer que le groupe UMP partage complètement la motivation qui sous-tend cet amendement et y apporte un soutien unanime et déterminé.

Nous savons, bien évidemment, que cette disposition ne va pas régler l'ensemble de la problématique du développement ou du codéveloppement. Mais elle va vraiment dans le bon sens. En effet, à l'inverse d'un certain nombre des remarques qui ont été formulées par nos collègues et des caricatures qui en ont été faites, nous pensons, nous, que ce projet de loi, qui repose sur une politique d'immigration choisie et d'intégration réussie, est équilibré et qu'il doit comporter des dispositions favorisant toute politique de développement ou de codéveloppement.

Il est vrai, comme l'a dit Mme Assassi, que la politique de développement relève de la compétence de l'État ; mais pas seulement, chère collègue ! Je rappelle qu'un certain nombre d'entre nous y contribuent également. Je pense en particulier à Jacques Oudin, qui avait déposé une proposition de loi, qui n'était pas inutile, sur la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, ainsi qu'à Jacques Pelletier, qui connaît très bien toutes ces questions et qui avait fait voter une proposition de loi sur l'humanitaire, de façon à permettre aux collectivités territoriales de participer, d'une manière concrète, active et dynamique, à la réalisation de projets de développement en Afrique, pratique qui est aujourd'hui très répandu dans notre pays.

Je crois très sincèrement que cet amendement, assez novateur par sa portée, participe de cette volonté et je me réjouis que le Sénat s'apprête à le voter.

Nos collègues du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen ont avancé des arguments, un peu laborieusement peut-être, (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) pour tenter de justifier le fait qu'ils ne veulent pas voter cet amendement.

M. Bernard Frimat. Mais non !

M. Henri de Raincourt. Très sincèrement, je partage le sentiment M. Hugues Portelli : le fait qu'ils ne votent pas cette disposition avec nous est un encouragement qui nous fait bien plaisir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Éliane Assassi. Tant mieux, vous en avez besoin !

M. Didier Boulaud. C'est pour vous être agréable !

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier, pour explication de vote.

M. Jacques Pelletier. Bien qu'ils n'aient pas l'intention de voter contre, je regrette qu'un certain nombre de nos collègues ne veuillent pas s'associer à cet amendement.

On a beaucoup parlé de la liste des pays qui seraient justiciables de ce dispositif. Peut-être faudrait-il y faire figurer les pays ACP, car, bien entendu, les pays d'Afrique ne devraient pas être seuls concernés ; pourraient l'être également des pays d'autres continents, d'Asie ou d'Amérique latine,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jacques Pelletier. ...même s'il est vrai que c'est l'Afrique qui compte le plus de pays en développement. Ce dispositif n'est nullement exclusif.

Au Haut conseil de la coopération internationale, où sont représentées les associations de migrants, nous réfléchissons depuis un certain temps à ce problème. Nous pensons que l'épargne importante qui se dégage n'est pas toujours utilisée comme elle pourrait l'être. Aussi, je suis heureux que ce projet de loi ait au moins le mérite de nous donner l'opportunité d'insérer cet amendement, qui, je crois, sera utile.

J'ai entendu émettre des doutes sur la possibilité de contrôler les opérations. Mais nos ambassadeurs qui, sur place, sont entourés de représentants des finances et de l'Agence française de développement, sont, je crois, très bien placés pour savoir ce qui se passe sur le terrain. Un tel contrôle ne devrait donc pas poser trop de difficultés.

Bien évidemment, la totalité de l'épargne des étrangers en activité en France ne sera pas dirigée vers ce fonds de développement. Une grande partie contribuera à la consommation dans le pays d'origine et permettra d'aider les familles des immigrés. Mais même si 10 % seulement des sommes que M. le ministre a évoquées tout à l'heure étaient investis, ce qui ferait déjà un montant très important, cela permettrait de relancer la mécanique économique dans un certain nombre de pays.

Quant au décret qui devra fixer les modalités d'application, il n'est certes pas facile à rédiger, mais, monsieur le ministre, nous vous pousserons à le prendre le plus rapidement possible afin que cet amendement prenne toute son efficacité.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je ferai une première observation à l'intention de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.

Si cet amendement porte le numéro 510 rectifié septies, c'est parce qu'il a été examiné par la commission des lois...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, sept fois !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

...et qu'un certain nombre de corrections ont été apportées à la demande de ladite commission, aux travaux de laquelle vous avez participé de A jusqu'à Z. Vous êtes donc parfaitement informé, monsieur Dreyfus-Schmidt, des conditions dans lesquelles nous avons souhaité que l'amendement soit rectifié sur un certain nombre de points. Quelques petits aménagements d'ordre rédactionnel pourraient d'ailleurs encore être apportés.

Cela dit, certaines des critiques qui ont été émises me paraissent étranges.

S'agissant du contrôle, vous savez bien que, dans notre pays, lorsqu'il y a exonération fiscale, il y a contrôle de l'inspection générale des finances. C'est comme cela !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sur pièces et sur place ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est la formule habituelle ! Elle figure dans tous les textes concernant les exonérations fiscales et je n'y vois pas malice ! L'inspection générale des finances contrôlera la gestion des fonds communs de placement dans les établissements de crédits et non les projets de développement sur place ! Quand on veut faire l'âne...

Franchement, si des critiques sont justifiées, il en est d'autres qui ne le sont vraiment pas !

Monsieur le ministre, personnellement, j'étais favorable à un compte ouvert à tous. Il est vrai qu'un résident français peut très bien investir dans des fonds communs de placement à destination des pays en développement et qu'il bénéficie déjà d'un certain nombre d'exonérations fiscales, pour un PEA par exemple.

En revanche, ce qui me trouble depuis hier, c'est d'entendre que les échanges et les migrations se cantonnent au dialogue - ou à l'absence de dialogue ! - entre l'Afrique subsaharienne et la France. On oublie que de grands pays ont, certes, des poches de pauvreté, mais possèdent d'excellentes universités - je pense à l'Inde ou à d'autres -, d'où sortent ceux qui sont susceptibles de bénéficier de la carte de séjour « compétences et talents ».

Pourquoi n'attirerions-nous pas en France les spécialistes en informatique par exemple, spécialistes qui se rendent d'ailleurs aux États-unis ou au Canada, plutôt que de délocaliser nos activités dans leurs pays ? Je ne comprends pas comment on peut ainsi réduire un dispositif qui permettrait d'ouvrir des possibilités nouvelles !

On a dit que les étrangers compétents résidant sur notre sol pourraient apporter une contribution économique à leur pays. Je préférerais qu'ils y retournent après avoir été étudiants chez nous, mais on ne peut pas les obliger !

Tout cela forme un ensemble et je me réjouis, monsieur le ministre, que le Gouvernement accepte cet amendement. C'est le signe qu'il contribue à l'équilibre du projet.

Il ne suffit pas de dire : le codéveloppement, le codéveloppement ! A ce sujet, monsieur le ministre, outre la proposition de loi de Jacques Oudin qui a été adoptée et mise en oeuvre, j'évoquerai la proposition de loi relative au renforcement de la coopération décentralisée en matière de solidarité internationale émanant de notre excellent collègue Michel Thiollière, qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat. Nous souhaiterions bien que l'Assemblée nationale s'en saisisse.

En effet, la coopération décentralisée est limitée et un certain nombre de collectivités sont condamnées par des tribunaux administratifs, faute de base législative. Par conséquent, il serait heureux que cette proposition de loi, votée par le Sénat, soit adoptée définitivement par le Parlement le plus rapidement possible.

M. le ministre d'État, qui s'est rendu dans un certain nombre de pays d'Afrique, a expliqué que l'immigration régulée permettrait à tous ceux qui viendraient dans notre pays d'être mieux accueillis, qu'ils soient étudiants ou qu'ils travaillent. Il faut en effet mieux les accueillir.

Ainsi, ils pourront contribuer tout autant à la richesse de notre pays qu'à celle de leur pays d'origine. Franchement, je souhaite faire une lecture positive de cet amendement, car nous adressons en la matière un signe fort à un certain nombre de ressortissants de ces pays. Ne parlons pas, comme je l'ai entendu tout à l'heure, de pacte colonial ; ne méprisons pas ces pays. Je suis persuadé que l'on peut contribuer à leur développement en régulant l'immigration et en encourageant leurs ressortissants à participer à leur propre développement par le biais du codéveloppement. Plutôt que de nous disputer et d'énoncer des contrevérités, c'est ce que nous avons de mieux à faire !

Par votre intermédiaire, monsieur le ministre, je tiens à féliciter M. le ministre d'État d'avoir tenu un discours empreint de vérité et de clarté en Afrique, un discours qui se traduit aujourd'hui en actes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Tout d'abord, je me réjouis du débat de grande qualité qui se tient en ce moment même dans cette enceinte, même si certains membres de la Haute Assemblée ont employé, à un moment ou à un autre, un ton polémique ou ironique. Sur le fond, chacun a mené, depuis hier, une réflexion d'excellent niveau et a apporté sa contribution au traitement de la question du codéveloppement ; je tiens à vous en remercier, mesdames, messieurs les sénateurs.

Bien évidemment, vous me blessez, madame Cerisier-ben Guiga, lorsque vous dites que je parle sur un ton méprisant de l'argent que les immigrés envoient à leur famille pour leur consommation quotidienne, même si je ne vous en tiendrai pas rigueur. Il n'y a aucun mépris de ma part : cet amendement laisse d'ailleurs aux intéressés la possibilité d'ouvrir ou non ce compte épargne et de bénéficier de l'avantage fiscal qui y est lié s'ils contribuent au codéveloppement de leur pays. En aucun cas, il ne s'agit de priver ces personnes d'exercer leur libre arbitre ; elles pourront utiliser le fruit de leurs revenus comme elles l'entendent. Je vous en conjure, n'utilisez pas le terme « mépris » car, en la circonstance, il ne convient vraiment pas.

Ce débat, plus qu'un autre, doit témoigner de l'humanité de notre pays en replaçant l'homme au coeur de nos préoccupations.

De même, monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, vous me demandez sur un ton quelque peu polémique si ce dispositif s'adresse à l'immigration choisie ou à l'immigration subie. Voyons, dépassons la polémique, car nous sommes au coeur du débat ! Comme vient de le souligner M. Hyest, les détenteurs de la carte de séjour « compétences et talents » pourront plus encore que d'autres faire profiter leur pays d'origine du dispositif qui va être voté.

Monsieur Frimat, je vous remercie d'avoir exposé avec beaucoup de modération et dans un esprit très constructif la position de votre groupe. Et même si je suis pratiquement convaincu que vous vous y tiendrez, je veux encore espérer, dans mes rêves les plus fous, pouvoir vous convaincre.

En fait, ce qui se passe aujourd'hui dans cette enceinte n'arrive pas par hasard. L'amendement de Jacques Pelletier n'est pas fortuit. Il est le fruit du long travail que celui-ci a mené depuis de nombreuses semaines, voire de nombreux mois, avec ses collègues cosignataires, ce dont je tiens à les remercier.

Lors de l'ouverture de la discussion de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy a d'emblée annoncé que le débat ne faisait que commencer et que les membres de la Haute Assemblée devraient jouer les arbitres et trancher définitivement cette question. C'est dire toute la confiance que M. le ministre d'État a placée en vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Toutefois, je le reconnais, nous ne disposions pas alors de tous les éléments d'évaluation nécessaires. Nicolas Sarkozy avait donc souligné qu'il avait besoin du laps de temps séparant les lectures des deux chambres pour apporter à la représentation nationale toutes les précisions que vous venez de me demander, monsieur Frimat.

Un débat a été engagé à partir de la proposition de Jean-Pierre Brard, au nom du groupe des députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, lequel avait parfaitement compris que ce délai était nécessaire, et de Jacques Godfrain au nom du groupe de l'UMP.

Une mission a donc été confiée à Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d'épargne et, parallèlement, le ministre d'État a pu rencontrer les ambassadeurs des pays africains à Paris et se rendre dans un certain nombre de pays africains tels que le Mali ou le Bénin, afin de discuter avec leurs chefs d'État pour mieux comprendre le mécanisme des échanges. Forts de ces analyses et ne voulant pas mettre les services de Bercy devant le fait accompli, nous avons demandé à ces derniers de procéder à une évaluation, afin de pouvoir vous apporter des éléments précis en la matière. L'amendement de Jacques Pelletier ne sera donc pas adopté par la Haute Assemblée sans que nous ayons reçu au préalable des assurances fortes de Bercy.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez exigé que les décrets d'application soient pris le plus rapidement possible. Je puis vous dire que des évaluations précises, que je vous livrerai dans quelques instants, vous apporteront la garantie que les décrets d'application suivront le vote de ce dispositif. Monsieur Dreyfus-Schmidt, le seul risque que les décrets ne soient pas publiés serait que cet amendement ne soit pas adopté...

Ce nouveau produit financier permettra aux travailleurs étrangers originaires de pays en voie de développement résidant en France de placer leur épargne sur un compte bloqué. Je le répète, il ne s'agit en aucun cas d'une obligation. Madame Cerisier-ben Guiga, les personnes souhaitant tout simplement adresser le fruit de leurs revenus à leur famille pour leur consommation quotidienne pourront parfaitement continuer de le faire. Les sommes épargnées seront déduites du revenu imposable à concurrence de 25 % des revenus, dans une limite de 20 000 euros par personne. Les sommes ne pourront être débloquées que si l'épargnant justifie d'un investissement dans les pays en voie de développement, à savoir notamment une prise de participation dans des entreprises locales, le rachat de fonds de commerce ou le versement à des fonds d'investissement dédiés au développement.

Monsieur Frimat, comme je l'ai indiqué, ce nouveau dispositif a été évalué par les services de Bercy. Je demande à chacune et à chacun d'entre vous d'être particulièrement attentif aux chiffres que je vais donner, car vous devrez mesurer tout à l'heure, lors du vote, à quel point l'adoption de cet amendement va engager notre pays dans la mise en place d'un dispositif jamais égalé par le passé. J'y insiste, car il s'agit d'une grande première. Ne pensez pas qu'en essayant de vous convaincre, monsieur Frimat, je tente aussi, par la même occasion, d'obtenir une caution sur l'ensemble du texte. J'ai bien compris que, sur le projet de loi, il y a un désaccord politique entre votre groupe politique, le groupe CRC et le Gouvernement.

M. Gérard Delfau. Et les radicaux de gauche !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je cherche tout simplement à attirer votre attention sur le fait que ce dispositif, s'il est adopté - et je n'en doute pas un instant - engagera, pour la première fois, notre pays dans une politique déterminée, efficace et concrète de codéveloppement.

Ce dispositif représente, pour la France, un effort budgétaire annuel de 125 millions d'euros, qui suscitera dans les pays d'origine des investissements estimés à 900 millions d'euros. Aujourd'hui, le Gouvernement est prêt à consentir cet effort. Je veux vraiment que chacun d'entre vous mesure les conséquences de son vote. Ceux qui refuseront de voter en faveur du compte épargne codéveloppement refuseront donc ces 125 millions d'euros en faveur des Maliens, des Béninois, des Sénégalais et des Algériens qui vivent en France et veulent consacrer leur épargne à des projets d'investissements dans leur pays d'origine.

Pour conclure, je dirai, une fois encore, que j'ai tenu à ce que nous prenions tout notre temps pour débattre de cette question, car chacun doit prendre en la matière ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 510 rectifié septies.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 196 :

Nombre de votants 321
Nombre de suffrages exprimés 202
Majorité absolue des suffrages exprimés 102
Pour l'adoption 202

Le Sénat a adopté.

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant le titre Ier.

L'amendement n° 269, présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement présentera, avant le 31 décembre 2006, un plan de régularisation des sans-papiers présents sur le territoire français qui justifient d'attaches familiales en France ou détenir une promesse d'embauche ou être inscrits dans un établissement scolaire ou universitaire.

Les conditions d'application de cet article sont définies par un décret en Conseil d'État.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Cet amendement tombe à point nommé, puisqu'il nous permet d'aborder le thème de la régularisation des sans-papiers, au lendemain de l'annonce du ministre de l'intérieur au sujet des huit cents familles d'enfants sans papiers.

Ce qui pourrait apparaître comme la prise en considération de situations humainement difficiles n'est en fait qu'un effet d'annonce, comme le furent d'ailleurs ses déclarations sur la double peine juste avant le débat sur la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

En effet, il est prévu que sera régularisée la situation des enfants nés ou arrivés dès leur plus jeune âge en France, n'ayant plus d'attaches avec leur pays d'origine, ayant toujours été scolarisés en France et ne parlant que le Français.

Ces conditions sont pour le moins difficiles à remplir. Comment exiger d'enfants qu'ils n'aient plus de lien avec leur pays d'origine s'ils y ont encore de la famille et comment exiger qu'ils n'en parlent plus la langue ? Ne peuvent-ils pas parler le français et une autre langue, monsieur le ministre ? Comment soumettre une régularisation à des critères aussi absurdes ?

Notre proposition va bien au-delà de ce que propose M. le ministre, puisque nous envisageons un éventail plus large de critères permettant de régulariser les sans-papiers.

En effet, dans la majorité des cas, ces étrangers justifient d'un certain degré d'intégration dans notre société, soit parce qu'ils y ont fondé une famille, soit parce qu'ils y travaillent ou y font leurs études.

Chacune de ces raisons justifie qu'ils obtiennent un titre de séjour. Mais depuis 2003, depuis le durcissement des conditions de séjour des étrangers en France, et surtout depuis les consignes données par le ministre de l'intérieur dans sa circulaire de février dernier, il est impossible pour les sans-papiers d'essayer de faire régulariser leur situation. Se rendre dans une préfecture revient aujourd'hui à se jeter dans la gueule du loup. En outre, les files d'attente sont très longues. À la préfecture de Marseille, par exemple, ces personnes commencent à faire la queue dès quatre heures ou cinq heures du matin.

Dans ces conditions, les sans-papiers se retrouvent condamnés éternellement à la clandestinité, avec tous les dangers qui découlent de cette situation, alors qu'ils sont dans la plupart des cas entrés régulièrement sur notre territoire.

Le problème est que cette clandestinité profite en premier lieu aux employeurs, qui n'hésitent pas à exploiter des sans-papiers en toute connaissance de cause, dans des conditions évidemment déplorables, conditions bien connues des services de l'État.

C'est pourquoi nous pensons que non seulement les enfants étrangers scolarisés et leurs parents doivent être régularisés, mais également les étrangers qui détiennent une promesse d'embauche ou disposent d'attaches familiales en France.

Comme le ministre de l'intérieur semble être prêt à faire un geste en faveur des sans-papiers, et sachant que la France n'est en aucun cas un pays d'immigration massive - elle est même devenue l'État européen dont la croissance démographique dépend le moins de l'arrivée d'étrangers -, nous ne perdons pas espoir, chers collègues, que vous adoptiez notre amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les interlocuteurs que nous avons interrogés sur cette question de la régularisation des sans-papiers, lors des nombreuses auditions que nous avons conduites dans le cadre de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, nous ont répondu que cette mesure créerait évidemment un appel d'air considérable. Ils nous ont confirmé ce dont nous étions déjà convaincus.

Nous en avons conclu dans le rapport qu'il ne fallait pas procéder à des régularisations massives, mais qu'il fallait continuer de travailler au cas par cas. Le présent texte s'inscrit dans cette logique. Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il est prévu dans cet amendement que le Gouvernement présente avant le 31 décembre 2006 un plan de régularisation des sans-papiers.

Je tiens à réaffirmer très solennellement la ligne équilibrée que suit le Gouvernement sur cette question.

Il est exclu, monsieur Bret, de présenter un plan de régularisation des sans-papiers, comme vous en rêvez. Nous refusons avec la plus grande fermeté les opérations de régularisation globale des étrangers sans papiers. Je rappelle que vous avez régularisé quatre-vingt mille sans-papiers en 1997, provoquant un véritable appel d'air : vous avez réussi à faire quadrupler les demandes d'asile en cinq ans ; elles sont passées de vingt mille en 1997 à quatre-vingt-deux mille en 2002. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Refusant les régularisations globales, le Gouvernement est tout aussi hostile aux régularisations automatiques. Nous voulons sortir des logiques d'automaticité, qui constituent, elles aussi, un évident facteur d'appel d'air et un encouragement à la clandestinité. C'est pourquoi le projet de loi vise à abroger le système des régularisations automatiques après dix ans de séjour illégal.

Cependant, nous sommes convaincus que la prise en compte de certaines situations en fonction de critères humanitaires est absolument nécessaire. C'est pourquoi, à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, le texte consacre la possibilité pour le préfet de délivrer une carte de séjour à titre exceptionnel : c'est l'objet de l'article 24 bis, dont nous reparlerons. De même, c'est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy a rendu publiques hier les instructions qu'il a données aux préfets pour répondre à la délicate question des familles d'étrangers en situation irrégulière dont les enfants sont scolarisés.

D'un côté, nous devons nous garder d'encourager les filières d'immigration illégale ; il serait irresponsable d'être le seul pays au monde où la scolarisation d'un enfant, sans autre critère, donnerait automatiquement aux parents un droit de séjour. Mais, d'un autre côté, le devoir d'humanité nous impose de prendre en compte des situations qui ne permettent pas d'envisager un retour forcé vers le pays d'origine.

L'automne dernier, le ministre d'État a demandé aux préfets de ne pas éloigner durant l'année scolaire les étrangers ayant un enfant scolarisé. Alors que les vacances scolaires approchent, il leur a donné deux séries d'instructions : d'une part, il leur a demandé de proposer systématiquement à ces familles, au cours du mois de juin, une aide au retour volontaire ; d'autre part, il leur a demandé d'envisager l'admission exceptionnelle au séjour de certaines de ces familles, au regard de critères d'ordre humanitaire. Lorsqu'un enfant étranger est né en France ou qu'il y est arrivé en très bas âge, qu'il est scolarisé en France, qu'il ne parle pas la langue de son pays d'origine, qu'il n'a aucun lien avec ce pays, il serait très cruel de l'y reconduire de force. L'admission exceptionnelle au séjour doit alors être envisagée. Une circulaire expresse sera adressée en ce sens dès cette semaine.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. On ne peut pas accepter les arguments de M. le ministre. Il suffit de lire la presse pour constater que l'appel d'air dont il parle ne s'est pas fait sentir. Selon un démographe connu, Hervé Le Bras, l'immigration n'a pas changé depuis plus de trente ans. Aujourd'hui, malgré les différentes régularisations qui ont eu lieu, la part des immigrés dans la population totale n'a jamais dépassé 5 %, voire 6 %.

Concernant la régularisation des sans-papiers au bout de dix ans de présence sur le territoire, vous savez que, compte tenu de la difficulté d'apporter les preuves nécessaires, elle n'est nullement automatique. La régularisation au fil de l'eau, comme l'on dit, a toujours existé et devra toujours exister. À défaut, les risques d'explosion seraient trop grands. Cette régularisation après dix ans passés en France n'est pas une prime ; c'est simplement la reconnaissance de l'intégration de ces populations, de leur volonté de travailler et de vivre dans la dignité.

En outre, chaque préfecture examine au cas par cas les situations qui lui sont soumises. C'est ainsi aujourd'hui ; on n'invente rien. Malheureusement, ces examens sont source d'arbitraire. Dans certaines préfectures, l'administration oppose un refus ; dans d'autres préfectures - et je peux l'attester, ayant eu à m'occuper de certains dossiers -, bien que les critères soient identiques, elle accepte de régulariser. C'est la preuve que la loi s'applique différemment selon les interprétations qu'en fait chaque préfecture. L'étranger est soumis à un arbitraire total, au pouvoir discrétionnaire de l'administration. Ce n'est pas acceptable dans un État de droit.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Mon propos sera bref car nous aurons l'occasion de revenir de manière plus détaillée sur la régularisation au bout de dix ans, qui fera l'objet de plusieurs amendements. Je me contenterai de formuler un sentiment d'ensemble.

Votre argumentation, monsieur le ministre, consiste à nous opposer systématiquement les régularisations « massives » qu'ont opérées les gouvernements de gauche. C'est notre honneur de les revendiquer, même s'il vous est loisible d'avoir un avis différent.

Un grand quotidien du soir a consacré dans son édition datée d'hier une page spéciale à l'immigration. Tous les chiffres y figurent.

En 1981, sur cent cinquante mille dossiers déposés, cent vingt mille ont été régularisés. Dans la période plus récente - je confirme votre chiffre -, quatre-vingt mille sur cent cinquante mille l'ont été. Ainsi, au cours des vingt-cinq dernières années, deux cent mille dossiers ont été « massivement » régularisés. Comparez ces chiffres à ceux de l'Italie, où votre ami M. Berlusconi en a régularisé huit cent mille d'un seul coup, et à ceux de l'Espagne, où MM. Aznar et Zapatero - selon le ministre de l'intérieur lui-même - en ont régularisé, eux aussi, plusieurs centaines de milliers.

Alors, ne nous jetez pas constamment à la figure ces régularisations massives ! Réfléchissez et posez-vous simplement la question. Les spécialistes de l'immigration qui ont analysé la situation affirment qu'il n'y a pas d'autres choix : faute de ces procédures régulières, nous devrons, tôt ou tard, procéder à des régularisations massives qui seront d'une autre dimension que celles que la gauche a la fierté de revendiquer.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 269.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 274, présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le Titre Ier, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.

Monsieur Bret, vous pourriez peut-être rappeler qu'il y a 693 enfants primo-arrivants dans les écoles publiques de Marseille, dont les parents sont, pour la plupart, sans papiers et n'ont pu nous fournir aucune adresse. Puisque nous acceptons ces enfants à l'école, ils vont demander leur régularisation. C'est un acte de générosité qu'accomplit ainsi la ville, d'autant qu'aucun d'entre eux ne paie la cantine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Vous avez la parole, mon cher collègue.

M. Robert Bret. Je confirme vos propos, monsieur le maire, et j'espère que cet exemple sera suivi !

Cet amendement a pour objet de reprendre la proposition de loi que nous avons présentée devant le Sénat en janvier dernier et qui n'a malheureusement pas recueilli l'approbation de la majorité et du Gouvernement. Il s'agit d'accorder aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.

Nous comprenons d'autant moins le rejet de notre proposition par le Gouvernement que le ministre de l'intérieur s'était prononcé en faveur du droit de vote des étrangers. Comment expliquer, monsieur le ministre, ce revirement d'attitude ?

Nous donnons aujourd'hui l'occasion au Gouvernement de revoir sa copie en la matière. C'est en quelque sorte une session de rattrapage.

En effet, il est question d'intégration des étrangers depuis le début de ce débat : mais quelle meilleure façon de s'intégrer que de pouvoir voter et s'investir dans la vie citoyenne de son pays ?

Accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales serait d'ailleurs une bien meilleure preuve de la volonté du Gouvernement d'intégrer les étrangers installés durablement sur notre territoire que de leur faire signer un contrat d'accueil et d'intégration !

Ainsi, nous souhaitons envoyer ce signe fort aux étrangers qui s'investissent depuis de nombreuses années dans la vie de leur commune et qui, du simple fait qu'ils sont étrangers non communautaires, ne peuvent pas participer à l'élection de leur équipe municipale.

Notre amendement tend donc à mettre un terme à cette discrimination entre étrangers communautaires et étrangers non communautaires, afin que chacun puisse contribuer de manière citoyenne à la vie de sa commune.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce débat a souvent eu lieu dans cet hémicycle. Faut-il rappeler que, pour faire droit à cette demande, il faudrait modifier la Constitution ? Puisque cet amendement est irrecevable, la commission y est défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Comme l'indique M. le rapporteur, cette mesure d'ordre constitutionnel n'a pas sa place dans ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je soutiendrai cet amendement parce que la mesure qu'il contient permettrait enfin de régler une double inégalité.

Une première inégalité existe entre les étrangers européens et les étrangers non européens qui résident tous en France. Au nom des critères de résidence, ils devraient bénéficier des mêmes droits.

La seconde inégalité découle du calcul qui permet de déterminer le nombre d'élus dans une ville, puisqu'il prend en compte la totalité de la population, y compris les étrangers. Il serait normal que ces derniers puissent également choisir leurs représentants.

Par ailleurs, puisque nous examinons un projet de loi concernant l'intégration, il serait peut-être intéressant de montrer, en adoptant la mesure qui nous est proposée, que l'exercice des droits politiques constitue l'un des moyens de cette intégration.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 274.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M Adrien Gouteyron.)