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DÉPÔT DE RAPPORTS DU GOUVERNEMENT

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport étudiant la possibilité de créer un programme qui regroupe les crédits de la gendarmerie du transport aérien au sein de la mission budgétaire Transports, en application de l'article 158 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Conformément à la loi de finances pour 2006, il sera transmis à la commission des finances. Il sera disponible au bureau de la distribution.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, conformément à l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

Ce rapport donnera lieu à une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, le lundi 6 novembre, à quinze heures.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT EN APPLICATION D'UNE loi

M. le président. J'ai reçu M. Jean-Marie Rolland, président du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, le Fonds CMU, le rapport annuel d'activité pour 2005 du Fonds, conformément à l'article R. 862-8 du code de la sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

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DÉPÔT DE RAPPORTS SUR LA MISE EN APPLICATION DE LOIS

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :

- loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;

- loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 ;

- loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;

- loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ;

- loi n° 2005-706 du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et assistants familiaux ;

- loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption ;

- loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;

- loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Le premier sera transmis à la commission des lois et les suivants à la commission des affaires sociales. Ces documents seront disponibles au bureau de la distribution.

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souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'albanie

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans la tribune officielle, d'une délégation de députés de l'Assemblée de la République d'Albanie, en visite dans notre pays. (M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Cette délégation, composée de façon pluraliste et conduite par M. Fatos Beja, vice-président de l'Assemblée, a rencontré le groupe France-Albanie, que préside notre collègue Bernard Fournier.

La discussion a notamment porté sur le rapprochement européen de l'Albanie, pays francophile et francophone.

Je forme des voeux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue. (Applaudissements.)

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Dossier législatif : proposition de loi instituant la fiducie
Discussion générale (suite)

Fiducie

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Ordre du jour réservé

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi instituant la fiducie
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi de M. Philippe Marini instituant la fiducie (n°11 ; n°178, 2004-2005).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée au commerce extérieur, mes chers collègues, c'est pour moi un grand honneur d'être le rapporteur, au nom de la commission des lois, de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini instituant une fiducie.

Le droit romain connaissait trois types de fiducie : la fideicommis, la fiducia cum amico et la fiducia cum creditore, c'est-à-dire la fiducie-gestion ou la fiducie-sûreté.

La fiducie permet, dans une relation triangulaire, qu'une personne - le constituant - transfère tout ou partie de son patrimoine à une autre personne - le fiduciaire -, dans l'intérêt d'une troisième - le bénéficiaire.

La notion de fiducie se rapproche de la notion de trust, bien connue dans les pays anglo-saxons, qui permet de faire gérer par un tiers une partie d'un patrimoine en faveur d'un bénéficiaire.

Le transfert de propriété que permet la fiducie est limité dans son usage et dans le temps. Il s'agit d'opérer un transfert dans un patrimoine distinct, appelé « patrimoine fiduciaire » ou « patrimoine d'affectation ».

Le droit français a toujours été attaché au principe d'unicité et d'indivisibilité du patrimoine. C'est pourquoi la fiducie y est demeurée inconnue et n'a jamais été intégrée dans le code civil.

Les notions de trust et de fiducie sont présentes dans presque tous les pays anglo-saxons et elles ont même attiré des pays de tradition civiliste comme le Luxembourg ou le Québec, qui ont tous deux introduit la fiducie dans leur droit.

La fiducie a une très mauvaise image en France. Il semble en effet que l'opacité sulfureuse du trust anglo-saxon ait nui à l'acceptation de son principe dans notre pays : c'est la raison pour laquelle, depuis maintenant quinze ans, tous les projets et propositions de loi qui visaient à créer une fiducie en France ont avorté.

Je rends donc hommage à Philippe Marini, qui a déposé une proposition de loi visant à créer une fiducie à la française, ainsi qu'aux services des ministères de la justice et du commerce extérieur, puisque le Gouvernement a constitué un groupe de travail conjoint dont les travaux ont permis d'élaborer un avant-projet. En qualité de rapporteur de la commission des lois, j'ai bien entendu travaillé aussi bien sur la proposition de loi de M. Marini que sur l'avant-projet du Gouvernement.

Si la proposition de loi de M. Marini vise bien à créer une fiducie, celle-ci prohibe toute libéralité, exige, par conséquent, une contrepartie, prévoit la neutralité et la transparence fiscales, afin de répondre aux préoccupations légitimes du Gouvernement. Les règles de transfert de propriété sont donc encadrées pour permettre une transparence absolument totale.

Notre collègue prévoit d'ailleurs que toute personne, physique ou morale, peut être le constituant ou le fiduciaire puisqu'il n'introduit aucune limitation relative à la qualité des personnes susceptibles d'être l'un et l'autre.

Comme je le rappelais tout à l'heure, c'est donc sur les bases de cette proposition de loi et de l'avant-projet du Gouvernement que la commission des lois a été appelée à rédiger un nouveau texte. Elle s'est attachée à ne pas « trahir » l'esprit des propositions initiales, afin de faire de la fiducie un instrument juridique souple et attractif par rapport au droit anglo-saxon. Je suis sûr, madame la ministre, que vous souscrivez à cet objectif. Car, malheureusement, toutes les personnes que nous avons entendues, qu'il s'agisse d'hommes d'affaires, d'avocats, de banquiers ou d'assureurs, nous ont indiqué que, compte tenu de l'absence de ce dispositif en droit français, il fallait aller à l'étranger pour pouvoir créer une fiducie.

Nous avons donc voulu un texte souple et attractif, limitant les règles impératives, afin de favoriser la liberté contractuelle.

Monsieur le garde des sceaux, vous craignez que, par le biais de la fiducie, les règles relatives aux successions ou aux libéralités ne puissent être contournées. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu la prohibition de la fiducie-libéralité. La notion de contrepartie est donc requise pour que ce risque soit écarté et que la fiducie s'insère en toute légitimité dans notre dispositif légal et réglementaire.

Le texte proposé ne distingue pas la fiducie-gestion de la fiducie-sécurité, mais il est bien évident que le contrat de fiducie pourra servir soit à la gestion soit à la constitution de sûretés.

Madame la ministre, nous avons également insisté sur le principe de neutralité fiscale et de transparence. En effet, c'est le constituant qui reste redevable de l'impôt sur le revenu et, le cas échéant, de l'impôt de solidarité sur la fortune. Par conséquent, tout risque d'évasion fiscale se trouve absolument écarté par ce principe de transparence fiscale que nous avons voulu affirmer et que nous retrouvons, cher Philippe Marini, dans vos propres propositions.

Nous appliquons le système fiscal de la société de personnes : il n'y aura donc pas de droit d'apport s'agissant du transfert au fiduciaire, ce qui permet une grande souplesse.

En définitive, qui pourra être constituant ? C'est l'une des vraies questions posées, car la proposition de loi n'apporte aucune précision sur ce point. Pour notre part, je le répète, nous avons considéré que toute personne physique ou morale pourrait être constituant.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez peur...

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce n'est pas mon genre ! (Sourires.)

M. Henri de Richemont, rapporteur. ... que ce texte ne permette de contourner la loi portant réforme des successions et des libéralités, dont nous avons débattu ici au mois de mai dernier.

Vous nous direz sûrement tout à l'heure que, avec le mandat à titre posthume et les libéralités graduelles et résiduelles, point n'est besoin de prévoir que le constituant puisse être une personne physique.

Or, selon la commission des lois, une personne physique peut également avoir besoin de constituer une fiducie-sûreté ou même une fiducie-gestion. Il n'y a aucune raison d'écarter la possibilité pour une personne physique d'être constituant.

En effet, tout risque de violation de la loi portant réforme des successions et des libéralités est écarté à partir du moment où la prohibition des libéralités est maintenue.

Quant au risque d'évasion fiscale, madame la ministre, il est absolument écarté aussi puisqu'une transparence totale est assurée.

Telle est la position de la commission.

M. Robert Badinter. Très bien !

M. Henri de Richemont, rapporteur. M. Marini n'apportait, dans sa proposition de loi, aucune précision sur l'identité du fiduciaire. J'ai alors proposé que tout membre d'une profession réglementée puisse assurer cette fonction.

Nous avons notamment engagé un débat avec les représentants de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et de la Conférence nationale des barreaux, sur le point de savoir s'il fallait permettre aux avocats d'être fiduciaires. En effet, le règlement intérieur du barreau de Paris et de la CNB prévoit une telle possibilité. Or les avocats nous ont indiqué que, en l'état actuel de leurs réflexions, il leur était impossible de renoncer à leurs règles déontologiques sur le secret professionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En raison du blanchiment !

M. Henri de Richemont, rapporteur. À partir du moment où nous proposions que tout le monde puisse être fiduciaire, il nous paraissait difficile de prévoir une réglementation différente pour les seuls avocats. Ces derniers ayant considéré qu'il n'était pas encore temps, pour eux, d'être soumis aux mêmes règles que les autres fiduciaires, nous avons renoncé à introduire cette disposition, que j'appelais pourtant de mes voeux.

Nous avons donc repris - un peu à regret, je dois le dire - l'avant-projet du Gouvernement, lequel prévoit que seules des entités financières, des établissements de crédit ou des entreprises d'assurance peuvent être fiduciaires. Cette précision vous rassurera, madame la ministre, puisque ces entités sont soumises à la tutelle de votre ministère et contrôlées par vos services.

Par ailleurs, nous avons prévu la possibilité de nommer un « protecteur ». Cette appellation a déplu à M. Badinter, qui a déposé un amendement visant à introduire un terme plus juridique.

En ce qui concerne le patrimoine fiduciaire, il est bien évident que toute créance née de la gestion ou de l'administration du contrat de fiducie ne peut s'appliquer que sur le patrimoine fiduciaire. Toutefois, il est possible que celui-ci soit insuffisant pour répondre aux créances éventuelles nées de la gestion.

C'est la raison pour laquelle il a été prévu un patrimoine subsidiaire. Dans la logique de transparence que nous préconisons, nous proposons que ce patrimoine subsidiaire soit le patrimoine du constituant, ce qui, madame la ministre, permet de donner toute assurance à vos services en cas de dette fiscale. Vous aviez en effet exprimé l'inquiétude que l'administration fiscale, en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, ne puisse pas se retourner contre quelqu'un d'autre. Le patrimoine subsidiaire sera donc le patrimoine du constituant, ou celui du fiduciaire s'ils en sont convenus tous les deux. Il est bien évident que les créanciers pourront se retourner contre le patrimoine du constituant, sauf accord entre le constituant et le fiduciaire pour qu'il en aille autrement.

Nous avons en outre prévu un régime de sanctions efficace pour prévenir toute libéralité, avec un droit de mutation à titre gratuit, au cas où l'on viendrait à utiliser le contrat de fiducie pour tourner la réglementation, ainsi que des possibilités de contrôle et de communication pour rassurer vos services, madame la ministre.

De plus, pour lutter contre le blanchiment, nous avons donné la possibilité à TRACFIN, la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins, d'intervenir, même en l'absence de communication.

Monsieur le garde des sceaux, vous craignez un contournement des droits sur les successions. Madame la ministre, vous soulevez le risque d'évasion fiscale. En définitive, les multiples garde-fous, sanctions et règlements que nous vous proposons dans ce texte sont de nature à apaiser vos inquiétudes respectives.

Enfin, nous avons introduit une innovation par rapport à la proposition de notre collègue Philippe Marini, en consacrant le recours à un « agent des sûretés ». Selon les avocats du comité Paris-Europlace que nous avons auditionnés, un problème en cas de pluralité de créanciers et de syndication bancaire se pose, et il convient de donner la possibilité à un tiers, à un agent des sûretés, de constituer, gérer et réaliser les sûretés pour le compte de l'ensemble des créanciers.

Monsieur le garde des sceaux, j'aurai besoin tout à l'heure d'éclaircissements, car il est bien évident que ce dispositif ne peut avoir d'intérêt que si l'agent des sûretés est dispensé d'inscrire ces sûretés pour le compte de tous les différents créanciers. Si vous nous dites que, malgré cela, il faut continuer à inscrire les sûretés pour le compte de tous les créanciers, l'agent des sûretés ne sert à rien. Or notre intention n'est pas de légiférer pour rien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela ne viendrait à l'idée de personne !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Je vous demande donc de nous apporter des précisions sur ce point.

Tels sont les principaux éléments de ce texte dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur.

Cela étant dit, j'exprimerai une inquiétude.

Hier, dans la presse, j'ai lu que le Sénat s'intéressait certes à la fiducie, mais que le texte en discussion suivrait un chemin cahoteux et qu'il ne serait finalement même pas examiné par l'Assemblée nationale.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ah bon ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Qui a dit cela ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est pas moi !

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Ni moi !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, nous voulons être rassurés sur ce point, car nous avons beaucoup travaillé tous ensemble sur ce texte important.

Il me paraît fondamental que la fiducie puisse être intégrée dans le droit français pour répondre à l'attente des professionnels et faire en sorte que la France soit un pays attractif, afin que les professionnels n'aillent pas chercher à l'étranger les instruments juridiques dont ils ne disposent pas chez nous.

Je vous demande donc de nous donner des assurances sur le sort de ce texte, que le Sénat va, comme souvent, adopter dans un esprit consensuel, tout en reprenant bien entendu l'essentiel de nos propositions.

Il s'agit de rendre la fiducie intéressante et d'éviter que ce mécanisme ne puisse être vidé de sa substance. Nous espérons que cette notion fondamentale sera rapidement intégrée dans notre droit positif, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Ce serait une très bonne chose pour tout le monde et surtout une très bonne chose pour la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicentenaire du code civil a été l'occasion d'engager une profonde rénovation de notre législation.

Ainsi, la loi du 26 mai 2004 a réformé le droit du divorce et l'ordonnance du 4 juillet 2005 celui de la filiation. Plus récemment, j'ai engagé la réforme du droit civil dans ses aspects patrimoniaux, afin de le rendre à la fois plus efficace et plus attractif.

Le droit des successions a ainsi fait l'objet d'une importante réforme par la loi du 23 juin 2006, à laquelle M. Henri de Richemont, aujourd'hui rapporteur du texte sur la fiducie, a largement, activement et précieusement participé, ce dont je le remercie à nouveau.

En effet, cette loi a adapté notre droit aux évolutions de la société en donnant plus de liberté à nos concitoyens pour organiser leur succession. Elle a ainsi permis de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral en rendant possible la désignation d'un mandataire pour gérer ou administrer les biens, cette désignation pouvant être opérée à l'avance, du vivant du détenteur du patrimoine.

Ce dispositif permet, par exemple, au responsable d'une unité économique de désigner de son vivant une personne de confiance chargée d'administrer l'entreprise, le temps que ses enfants soient capables de la reprendre.

Il permet également de confier la gestion d'un bien - un immeuble, un compte-titres, etc. - à un tiers, chargé d'en verser les revenus nécessaires au maintien du niveau de vie de l'héritier souffrant d'un handicap.

Au total, cette réforme a permis de moderniser notre droit des successions, qui était devenu, au fil des ans, obsolète.

Dans le même temps, j'ai également mené à bien la modernisation du droit des sûretés. En effet, le droit commun des sûretés était, dans une très large mesure, issu du code civil de 1804.

L'ordonnance du 23 mars 2006 offre de nouveaux outils modernes et efficaces aux acteurs économiques pour garantir leurs créances. Monsieur le rapporteur, cela répond au souci que vous avez tout à l'heure exprimé concernant la fiducie, si celle-ci était étendue aux personnes physiques.

Pour mémoire, je rappelle que, désormais, un gage sans dépossession peut être consenti à un créancier et permet au débiteur de conserver l'usage de la chose qu'il affecte en garantie de son obligation.

Par ailleurs, l'assiette du gage a été élargie puisque celui-ci peut désormais porter sur des choses fongibles et des choses futures.

Les modes de réalisation de cette sûreté ont également été facilités par la reconnaissance de la validité du pacte commissoire, qui permet aux parties de convenir que le bien affecté en garantie demeurera la propriété du créancier en cas de défaillance du débiteur, sans l'intervention du juge.

Enfin, de nouveaux instruments ont été intégrés dans le code civil, notamment en matière de sûretés immobilières, avec la création de l'hypothèque rechargeable et du prêt viager hypothécaire.

Ainsi, en peu de temps, plusieurs réformes fondamentales ont été conduites par la Chancellerie. Elles traduisent la volonté du Gouvernement de moderniser notre droit dans l'intérêt des citoyens et des acteurs économiques.

La proposition de loi instituant la fiducie qui vous est soumise aujourd'hui, grâce à l'initiative heureuse de M. Philippe Marini, que je tiens à remercier, et au travail remarquable de votre rapporteur, M. Henri de Richemont, s'inscrit dans la même dynamique. Elle participe de cette démarche de modernisation de notre droit, qui nous est chère, et répond à l'objectif de renforcement de l'attractivité de notre territoire, que nous partageons avec Mme Christine Lagarde.

En effet, le droit français ne connaît pas - toujours pas, serais-je tenté de dire - d'institution inspirée du trust anglo-saxon, qui permet à une personne de transférer des biens à une autre, le trustee, laquelle aura pour mission de gérer ces biens dans l'intérêt des bénéficiaires. Or le trust, utilisé depuis le Moyen-Âge en Angleterre, connaît aujourd'hui un essor remarquable, non seulement dans des pays qui relèvent de la sphère anglo-américaine, tels que les États-unis, le Canada, l'Australie -, mais aussi dans des pays de tradition romano-germanique, tels que l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg ou, plus récemment encore, en Italie, auxquels j'ajouterai la Province du Québec.

Face à ce mouvement inéluctable, la France ne doit pas demeurer en retrait. L'ouverture des frontières et l'internationalisation des échanges rendent indispensable la création d'un outil comparable, afin de permettre aux investisseurs familiers du trust anglo-saxon de se sentir en confiance avec le droit français, souvent trop mal connu de nos partenaires internationaux.

Par ailleurs, les entreprises françaises ont, paradoxalement, souvent recours à des trusts étrangers, faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne ; la place de Londres en sait quelque chose ! Cette situation est regrettable puisqu'elle entraîne une délocalisation des opérations financières hors de nos frontières. Mais elle n'est toutefois pas inéluctable !

S'agissant de l'institution d'une fiducie « à la française », une précision me paraît d'abord devoir être apportée : il ne s'agit pas de remédier à la carence du droit français en important « tel quel » le trust anglo-saxon. Une telle option n'est ni envisageable ni souhaitable, tant le trust est marqué par l'empreinte de la common law, système fort éloigné de notre droit, ce dernier puisant ses racines dans le droit romain.

En conséquence, si l'instrument proposé doit présenter des similitudes avec le trust anglo-saxon, j'attache une particulière importance à ce que le texte qui sera définitivement adopté crée une institution réellement française, respectant notre tradition juridique propre.

La proposition de loi qui vous est soumise s'inscrit dans cet esprit. Le texte fait en effet référence non pas au trust, mais à la fiducie, une institution qui trouve ses racines dans le droit romain.

La fiducie y existait, à ma connaissance, monsieur le rapporteur, non pas sous trois, mais sous deux formes : la première consistait à transférer en pleine propriété à un tiers de confiance des biens que celui-ci devait gérer ; dans la seconde, le débiteur transférait en garantie à son créancier la propriété d'un bien qui lui était restituée après apurement de sa dette.

Je ne peux donc que me réjouir de la renaissance d'une institution directement issue du droit romain.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'en viens maintenant au contenu de la proposition de loi.

La fiducie se présente comme une opération par laquelle une personne - le constituant - transfère des biens ou des droits à une autre personne - le fiduciaire - avec pour mission de les gérer dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.

Cette proposition permet donc à une personne de transférer, par contrat, la propriété de tout type de biens ou de droits à un fiduciaire et d'en fixer la destination dans la plus grande liberté contractuelle possible.

En précisant que la fiducie trouve sa source principalement dans le contrat, la proposition de loi la soumet au droit général des obligations, nouvelle preuve de son enracinement dans notre tradition juridique.

À cet égard, il est envisagé d'insérer les dispositions civiles de la fiducie dans le livre III du code civil, entre les dispositions consacrées au mandat et celles qui sont relatives à la transaction.

Le principe de liberté contractuelle, indispensable pour assurer la souplesse de cet instrument, sera donc au coeur de ce nouveau contrat. Ainsi, les parties auront toute latitude pour organiser comme elles le veulent leur relation fiduciaire : fixer les obligations de chacun, prévoir les modalités de fin de la fiducie, désigner expressément le bénéficiaire ou seulement permettre sa détermination.

La fiducie s'inscrit donc parfaitement dans notre droit des contrats.

Elle n'en est pas moins porteuse d'innovations, la plus remarquable étant sans nul doute la consécration de la notion de patrimoine d'affectation.

En effet, les biens remis en fiducie formeront un patrimoine autonome, qui ne sera plus celui du constituant, mais qui ne s'intégrera pas non plus à celui du fiduciaire. Dès lors, les procédures collectives qui pourraient être ouvertes au bénéfice du constituant ou du fiduciaire n'affecteront pas les biens remis en fiducie. Il s'agit là d'une innovation majeure dans notre droit, qui était marqué, depuis le XIXe siècle, par le principe de l'unité du patrimoine.

La proposition de loi offre ainsi une nouvelle institution juridique moderne, d'une grande souplesse et qui pourra trouver des utilisations très variées.

Par exemple, la fiducie pourra servir comme sûreté pour garantir l'exécution d'une obligation, avec toute l'efficacité que confère la propriété. C'est la « fiducie-sûreté » qui est ici consacrée.

Elle pourra également être utilisée pour confier la gestion de biens ou de certaines activités d'une entreprise à un tiers de confiance. C'est la « fiducie-gestion ».

Mais ce ne sont pas là les seuls motifs de satisfaction que j'ai à exprimer : la proposition de loi comprend en outre plusieurs mesures garantissant une utilisation raisonnable et contrôlée de ce nouvel instrument.

Tel est le cas du régime fiscal appliqué à la fiducie. Afin d'empêcher la constitution d'une fiducie par une personne aux seules fins d'échapper à ses obligations fiscales, un régime de neutralité a été mis en place. Ainsi, pour les impôts directs, les résultats de la fiducie seront imposés sur le patrimoine du constituant pendant la durée du contrat de fiducie et tant que les biens n'auront pas été transmis à un bénéficiaire. Seuls les impôts liés à l'activité du fiduciaire seront payés par celui-ci, telles la TVA, la taxe professionnelle ou la taxe foncière. Mais je laisse à Christine Lagarde le soin de développer ce point particulier.

Tel est le cas également de la limitation de l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés, tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Un tel dispositif est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent. La proposition de loi rejoint donc la préoccupation du Gouvernement de cantonner l'usage de cet instrument aux professions qui ont une compétence particulière en matière de gestion de patrimoine.

Tel est encore le cas des mesures destinées à assurer la publicité des fiducies, mais aussi de la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des autorités de contrôle, fiscales et judiciaires. Ces dispositions reçoivent l'entière approbation du Gouvernement. Elles sont de nature à assurer la plus grande transparence à ce nouveau mécanisme et permettent ainsi d'éviter que la fiducie ne devienne le vecteur d'activités frauduleuses.

Tel est, enfin, le cas de l'exclusion de la fiducie-transmission appelée aussi « fiducie-libéralité ». Cette interdiction est nécessaire, mais peut-être pas suffisante, comme nous le verrons dans un instant, pour éviter la remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions, notamment les atteintes au principe de la réserve héréditaire, que la récente réforme des successions a certes assoupli, mais maintenu.

Si, sur tous les points que j'ai précédemment évoqués, le Gouvernement approuve la proposition de loi qui vous est présentée, il est une question qui a suscité débat, celle du constituant personne physique : le Gouvernement souhaite cantonner la fiducie aux personnes morales, alors que votre rapporteur envisage de l'étendre aux personnes physiques.

Toutefois, sur cette question également, je me réjouis que nous soyons en mesure - c'est du moins ce que je crois ! - de trouver un accord. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, d'avoir examiné avec bienveillance, ce matin, les amendements déposés en ce sens par le Gouvernement ; j'espère qu'ils seront adoptés par le Sénat.

Permettez-moi simplement de rappeler les raisons pour lesquelles le Gouvernement est opposé à l'extension de la qualité de constituant aux personnes physiques.

Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait de réels besoins en ce sens pour les personnes physiques. Je considère au contraire qu'une telle extension risquerait de compromettre l'efficacité des apports issus de la réforme du droit des sûretés. Elle pourrait par ailleurs encourager les situations de fraude au droit des successions et au régime de protection des majeurs incapables.

Je l'ai dit, l'ordonnance du 23 mars 2006 a réformé en profondeur le droit des sûretés en offrant aux personnes physiques une palette rénovée et diversifiée d'instruments pour garantir le recouvrement des créances et faciliter leur accès au crédit. Cette réforme a été accompagnée de mesures particulières prises en faveur des personnes physiques les plus vulnérables, afin d'assurer un équilibre entre les intérêts en présence. C'est ainsi que le pacte commissoire a été écarté en matière de crédit à la consommation et que la garantie autonome a été fortement cantonnée en matière de bail d'habitation.

Admettre l'extension de la fiducie au profit des personnes physiques aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre apporté par cette réforme. La cohérence de notre droit pourrait s'en trouver affectée.

Par ailleurs, je crains que la prohibition de la fiducie-libéralité, sur laquelle nous sommes pleinement d'accord, ne soit contournée par l'extension de la fiducie aux personnes physiques et qu'elle n'ouvre ainsi la voie à une remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions.

À cet égard, je me permets de vous rappeler que l'un des obstacles majeurs auxquels s'est heurtée jusqu'à présent l'introduction de la fiducie en droit français résidait dans la crainte que celle-ci ne serve de mécanisme de fraude à maintes dispositions d'ordre public. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce dispositif n'a pas été adopté plus tôt par le Parlement français. Si nous voulons aller jusqu'au bout, allons-y lentement, mais sûrement !

Le cantonnement de la possibilité de constituer une fiducie aux seules personnes morales permet, en revanche, de lever ces réticences.

Enfin, le droit français connaît un régime spécifique de protection des majeurs incapables, qui exige l'intervention du juge afin de leur assurer une meilleure protection.

La gestion des biens des incapables par le biais d'une fiducie serait plus opaque et rendrait plus complexe, voire impossible, le contrôle des comptes par le juge des tutelles.

En résumé, pour les trois ordres de raisons que je viens d'invoquer, l'extension de la fiducie aux personnes physiques paraît inopportune et sa limitation aux seules personnes morales ne nuira nullement à son attractivité.

Même limitée aux constituants personnes morales, la fiducie représentera déjà une réelle avancée pour les opérations commerciales ou de financement international, principaux domaines dans lesquels le besoin de fiducie se fait sentir.

Permettez-moi de conclure mon propos en tirant les leçons du passé.

Vous n'ignorez pas le sort qui fut réservé aux précédents textes sur la fiducie, qui étaient parfois très ambitieux, trop sans doute puisqu'ils ont tous échoué ! Je forme avec vous le voeu qu'il n'en sera pas de même pour cette proposition de loi et j'entends bien qu'elle aille à son terme, monsieur le rapporteur ! La malédiction qui a jusqu'à présent marqué toute tentative d'introduction de la fiducie en droit français doit être conjurée...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jetez du sel ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. ...par notre volonté commune de prouver la capacité de notre droit à évoluer, à s'adapter aux exigences d'une société moderne tout en respectant ses traditions juridiques.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est en ce sens qu'a oeuvré votre commission des lois sous l'égide de son rapporteur, M. Henri de Richemont, que je remercie une nouvelle fois de son pragmatisme et de son efficacité, ainsi que M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je souhaite affirmer ma satisfaction et mon émotion, en tant que ministre en charge de l'attractivité de notre territoire, de voir cette proposition de loi instituant la fiducie venir en discussion devant la Haute Assemblée. Croyez-le bien, monsieur le rapporteur, je désire ardemment que nous puissions enfin voir aboutir une innovation juridique dont j'entends parler, ne serait-ce qu'à titre professionnel, depuis plus de vingt ans.

Je ne reviendrai pas sur la portée du texte s'agissant de nos concepts de droit civil ; M. le garde des sceaux a rappelé avec talent combien ce texte était profondément novateur. Pour ma part, je soulignerai à quel point la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, grâce aux efforts conjugués de son auteur, M. Marini, et de son rapporteur, M. de Richemont, viendra combler un manque important dans la panoplie de nos outils économiques. J'insisterai sur les éléments d'attractivité et sur les garde-fous auxquels le Gouvernement est attaché dans son approche de la fiducie.

En évitant les écueils qui, par le passé, se sont trouvés sur sa route, la proposition de loi fait de la fiducie un outil économique essentiel, qui manque aujourd'hui à notre droit des affaires.

L'amélioration de la compétitivité de notre droit concourt, à mon sens, à l'amélioration de notre compétitivité économique et à l'attractivité du territoire français. À ce titre, deux approches complémentaires s'imposent : la première consiste à créer des outils souples, standards, qui prennent en compte les besoins actuels et futurs ; la seconde tend à moderniser notre droit chaque fois que celui-ci se révèle inadapté.

L'accompagnement de l'innovation financière et le renforcement de la compétitivité de notre droit des affaires, renforcement engagé par la réforme du droit du crédit, témoignent de la nécessité de ces démarches, et l'introduction en droit français de la fiducie participe de ce mouvement.

L'objet de cette proposition de loi est de proposer un outil souple, à même de répondre aux situations très variées que rencontrent les professionnels.

Certes, notre droit actuel comporte déjà des mécanismes d'inspiration fiduciaire, mais leur utilisation reste très limitée. Je pense à certains instruments financiers, plus spécifiquement les mécanismes de titrisation, le plan d'épargne retraite populaire, le PERP, ou l'assurance vie. En revanche, notre droit ne compte pas de texte général sur la fiducie, mettant en place un outil standard souple, qui s'adapterait aux besoins actuels et futurs des professionnels.

Introduire en droit français le concept de fiducie est un objectif ancien. Les pouvoirs publics ont depuis longtemps pris conscience qu'il manquait en France un outil financier comparable au trust anglo-saxon. Il n'est que de considérer les différents projets et propositions qui ont été élaborés au fil des vingt ou vingt-cinq dernières années sur ce sujet, et qui encombrent certainement les tiroirs de votre bureau, monsieur le garde des sceaux !

C'est vrai, la fiducie semble frappée d'une espèce de malédiction : toutes les tentatives pour l'introduire en droit français ont jusqu'à présent échoué. Est-ce faute de volonté politique ? Vous pouvez être assuré, monsieur le rapporteur, que ni M. le garde des sceaux ni moi-même n'en manquons ! Sans doute est-ce dû à une excessive ambition à l'égard d'un concept dont la simple introduction dans notre droit constitue une évolution juridique majeure.

M. Philippe Marini. C'est vrai !

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. En consacrant la notion de patrimoine d'affectation, véritable patrimoine autonome, la fiducie fait en effet évoluer le principe de l'unité du patrimoine. Parce qu'elle touche à des règles fondamentales de notre droit, certains ont pu avancer que celui-ci ne pouvait accueillir cette institution issue des pays de common law, ce qui a entraîné le rejet des textes antérieurement présentés.

Mais la fiducie n'est pas le trust, et M. le rapporteur comme M. le garde des sceaux viennent de nous rappeler que cette institution était issue du droit romain. Elle a, du reste, été accueillie par de nombreux États dont le droit ne s'inspire pas du système anglo-saxon de common law : le Québec, la Louisiane, la Suisse, le Luxembourg... Que je sache, le droit des obligations suisse n'a pas été bouleversé par l'existence de la fiducie en droit suisse !

L'introduction de la fiducie dans notre droit est désormais devenue une nécessité, car l'absence de texte général a créé un vide juridique, qui a plongé la France dans un isolement pénalisant. Faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne, les entreprises françaises sont souvent dans l'obligation d'avoir recours à des montages étrangers, fondés majoritairement sur des trusts.

Or une telle situation est nocive à bien des égards.

Premièrement, elle contribue à légitimer un discours, que d'aucuns se prêtent à véhiculer, sur l'inadaptation du droit français à la vie économique moderne. Je n'ai pas besoin ici d'insister sur le caractère partiel et partial de telles analyses, qui ignorent délibérément les atouts du droit français, sa sécurité juridique et son cadre institutionnel.

Il n'en reste pas moins vrai que, dans un contexte de compétition économique mondiale, toute occasion de moderniser notre droit doit être saisie pour offrir les meilleures chances à nos entreprises et améliorer encore notre attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers, surtout lorsqu'il s'agit de comparer les vertus de notre système aux leurs, à l'aune de divers sondages, critères et appréciations relatifs aux atouts du territoire français.

Deuxièmement, l'obligation de délocaliser les montages fiduciaires à l'étranger constitue un handicap pour les cabinets de services juridiques et financiers installés en France. Cette situation nuit évidemment à leur développement, diminue leur influence et se traduit inéluctablement, même si c'est dans une mesure toute relative, par moins d'emplois et de richesses en France.

Troisièmement, si les grandes entreprises ont facilement recours à des mécanismes étrangers et peuvent faire appel aux services de correspondants situés dans les pays étrangers considérés, il n'en est pas de même pour les petites et moyennes entreprises, qui se trouvent souvent, faute de moyens, privées d'un instrument pourtant indispensable à leur croissance.

Il est donc devenu impérieux de parvenir, enfin, à introduire cette fiducie tant attendue dans notre droit. M. Philippe Marini, par ailleurs rapporteur général de votre commission des finances, s'est saisi de cette question ; je l'en remercie vivement.

Les expériences passées auraient pu décourager bien des bonnes volontés. Beaucoup de mauvaises fées ou de mauvais génies s'étaient penchés sur le berceau de la fiducie depuis des années. Nous ne comptons plus les projets qui avaient échoué contre des obstacles divers : le principe de l'unicité du patrimoine, l'obligation de préserver les droits des créanciers, la nécessité d'éviter l'évasion fiscale, l'image sulfureuse de certaines institutions trustales au regard du blanchiment de l'argent sale.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Les enseignements de ces échecs me semblent avoir été tirés, aussi bien par l'auteur de la proposition de loi que par le rapporteur, avec lequel nous avons eu des échanges, je dois le dire, extrêmement approfondis et fructueux. Monsieur le rapporteur, je tiens à souligner votre implication, votre esprit de compromis et votre souci de l'efficacité.

C'est grâce à vos efforts conjugués, monsieur le rapporteur, monsieur Marini, que quelque bon génie semble s'être penché sur ce texte pour doter la fiducie de nombreux éléments très attractifs.

Ainsi, cette proposition de loi offre une grande souplesse : elle n'est pas cantonnée à une finalité déterminée. Sous la seule réserve de l'interdiction de son utilisation à des fins de transmission à titre gratuit, il appartiendra aux parties au contrat d'en déterminer, sans autre exclusive, l'usage qu'elles souhaitent lui donner. C'est donc le principe de la liberté contractuelle, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché, qui prévaut dans ce texte.

On sait que la question fiscale est essentielle pour ce type de dispositifs : elle peut être une source aussi bien d'échec que de dérives. À cet égard, le parti que vous avez pris me semble sage : la fiducie, telle que vous l'avez conçue, n'est ni un trust ni un instrument de fiscalité ; elle est bien un outil juridique.

Dans ces conditions, l'ensemble des règles fiscales applicables résulte du choix d'un régime fiscal lui-même attractif - celui des sociétés de personnes -, avec l'application favorable du principe de neutralité fiscale, que ce soit en matière d'imposition des bénéfices, des plus-values, de droits d'enregistrement ou de TVA.

S'agissant de l'impôt sur les bénéfices, ce régime fiscal très favorable cumule une absence d'imposition au moment du transfert des actifs dans le patrimoine fiduciaire ou en cas de retour des biens transférés. Le fiduciaire détermine la quote-part de résultat qui est taxée chaque année chez le constituant. En particulier, s'il s'agit d'un déficit, celui-ci s'imputera sur le résultat propre du constituant.

En matière de droits d'enregistrement, les actes relatifs au contrat de fiducie sont soumis à un simple droit fixe ou à la taxe de publicité foncière à taux réduit lorsque le contrat porte sur des immeubles ou sur des droits réels immobiliers. Le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant ne donnerait pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière.

Dans le cadre de sa gestion courante, l'activité exercée en fiducie est soumise à une fiscalité de droit commun, s'agissant par exemple des droits de mutation à titre onéreux, de la TVA, comme de la taxe professionnelle.

Vous avez également su conjurer les mauvaises fées en proposant la création d'une fiducie irréprochable sur plusieurs aspects, conformément à la position très ferme que la France a maintes fois exprimée dans les diverses enceintes internationales traitant de ces sujets.

Ainsi, la protection des droits des créanciers est assurée. En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, sauf s'ils déclinent expressément cette possibilité, les créanciers disposeront d'un patrimoine subsidiaire, celui du constituant ou celui du fiduciaire suivant les dispositions du contrat de fiducie.

Par ailleurs, la création d'un protecteur, la compétence et la surface financière exigée du fiduciaire en font un outil sûr et fiable pour les constituants qui y auront recours. En effet, la proposition de loi limite l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Ce point est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux nécessaires à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent.

Enfin, la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des instances de lutte contre le blanchiment est aussi de nature à répondre à cette problématique.

Un point a néanmoins suscité des discussions particulièrement nourries entre nous : celui de la possibilité laissée à des personnes physiques de constituer des fiducies.

Vous savez que le Gouvernement a déposé des amendements en vue de réserver la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, amendements auxquels, je l'espère, la commission des lois sera favorable.

Je tiens à insister auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les enjeux liés à cette question délicate, mais essentielle, si nous souhaitons voir aboutir ce projet.

Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement a souhaité réserver ce nouvel instrument aux seuls constituants personnes morales, raisons qui viennent de vous être exposées par M. le garde des sceaux. Je souhaite simplement insister à nouveau sur le fait que l'une des clés du succès de ce texte réside dans le fait que, contrairement à ceux qui l'ont précédé, il se fixe un objectif clair : instaurer un outil souple et évolutif à l'usage des professionnels, notamment les petites et moyennes entreprises, pour les besoins de leur activité économique. Il s'agit non pas de mettre en place un instrument étriqué, mais de répondre de manière pragmatique aux besoins des acteurs concernés, qui ont été entendus.

Autant le besoin des entreprises à l'égard de la fiducie est clairement démontré par la pratique, autant celui des personnes physiques ne l'est pas. Il n'a notamment pas été mis en évidence par les praticiens concernés au cours des travaux du groupe de travail co-animé par le ministère des finances et la Chancellerie.

Je note par ailleurs que, sur un plan pratique, les personnes morales sont accoutumées à assumer des obligations déclaratives précises. Il est relativement aisé d'assurer, à leur égard, le principe de neutralité fiscale. En revanche, le suivi d'un patrimoine d'affectation chez des personnes physiques entraînerait des obligations déclaratives lourdes pour ces dernières et le risque d'utilisation de la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit serait sans doute démultiplié.

Dans ces conditions, et compte tenu non seulement de l'avis émis par les praticiens, mais aussi de l'absence de manifestation de besoin évident lors des consultations précédemment évoquées, on ne voit pas bien quel serait l'usage d'un nouvel instrument de gestion patrimoniale à destination des personnes physiques, instrument dont vous reconnaîtrez avec moi qu'il ne serait probablement pas à la disposition du Français moyen ou du patrimoine moyen.

À tort ou à raison, la question de la fiscalité des personnes physiques viendra vraisemblablement s'inscrire dans ce débat, au risque, hélas, de brouiller le message et l'objet de l'instrument que nous essayons de mettre en place.

L'extension de la fiducie à l'égard des personnes physiques, sans nécessité démontrée, soulèverait ainsi des difficultés et des risques de dérives que l'interdiction de la fiducie-libéralité ne suffit pas à elle seule à éviter. Ce choix modifierait très substantiellement le cadre et l'ampleur de cette réforme, au risque, sans doute, de la faire échouer une fois de plus, comme l'a souligné M. le garde des sceaux, au bénéfice d'un débat probablement beaucoup plus idéologique et également infructueux.

Eu égard à l'innovation historique que constitue l'introduction de la fiducie dans notre droit, il nous semble prudent, à ce stade, de nous en tenir aux mesures qui, nous le savons, correspondent à une demande identifiée de nos opérateurs économiques et dont les conséquences sont parfaitement maîtrisables.

Tel est l'objet des amendements que le Gouvernement a déposés sur ce texte et qui recueilleront, je l'espère, votre assentiment, monsieur Marini, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur.

Comme je l'ai indiqué, la fiducie n'est pas un trust. Elle est un instrument non pas fiscal mais juridique. Elle est un outil souple et efficace, concourant largement à l'amélioration de l'attractivité du droit français et de notre économie.

Grâce à l'initiative que vous avez prise, monsieur Marini, grâce aux travaux de la commission des lois, de son président et de son rapporteur, le Sénat est amené aujourd'hui à examiner un texte instituant un instrument nouveau, souple et évolutif, capable de répondre aux attentes des professionnels.

Cette proposition de loi démontre la capacité de notre pays à s'inspirer, sans les copier, des exemples étrangers, à moderniser son cadre juridique sans le bouleverser, à s'adapter à la mondialisation sans pour autant renoncer à son identité, en se réappropriant, tout simplement, la fiducie.

Sous la réserve exprimée concernant les personnes physiques et correspondant aux amendements déposés par le Gouvernement, celui-ci apportera tout son soutien à ce texte, qui constituera sans nul doute une étape essentielle dans la modernisation de notre droit économique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Badinter

M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens d'emblée à souligner tout l'intérêt que m'inspirent la fiducie et le trust. J'ai toujours considéré que notre pays était en retard dans ce domaine et j'estime que les innovations qui nous sont proposées aujourd'hui sont insuffisantes. Je pense que ces mesures arrivent beaucoup trop tard et que la raison de ce retard tient non à une sorte d'échec intellectuel, mais à une certaine timidité, voire à un certain conservatisme.

Je rappelle que la première proposition élaborée sur le sujet remonte à 1989, que la deuxième, beaucoup plus articulée, date de 1992 et la troisième, de 1994. Entre 1989 et 1994, différents gouvernements se sont succédé, mais, toujours, la même résistance s'est manifestée.

Aujourd'hui, j'ai entendu le Gouvernement, dans une admirable envolée d'autosatisfaction, chanter ses propres louanges, ce qui, en effet, est la meilleure façon d'être assuré d'en recevoir, surtout dans une enceinte parlementaire. Qu'il me soit tout de même permis de signaler -  ce n'est un secret pour personne dans le monde juridique - qu'un groupe de travail composé d'éminents spécialistes, notamment de M. Witz, était à l'oeuvre à la Chancellerie. Ses travaux auraient pu déboucher sur un avant-projet de loi qui aurait été examiné par le Conseil d'État. Une telle procédure aurait présenté bien des avantages : elle aurait permis, en particulier, de disposer d'observations utiles sur les problèmes de droit et de fiscalité qui peuvent se poser. Nous en aurions ensuite débattu. Mais tel ne fut pas le cas.

Cela étant, monsieur le garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire, en souriant, qu'il est minuit moins cinq, moins cinq mois, s'entend, et qu'à examiner le programme des travaux parlementaires d'ici aux prochaines échéances électorales, je ne vois pas très bien à quel moment vous auriez pu loger l'examen d'un tel texte...

En fait, c'est uniquement à l'initiative et à l'ardeur de notre collègue M. Marini que nous devons aujourd'hui de voir le Gouvernement applaudir, ou plutôt s'applaudir.

Je tiens aussi à signaler le travail tout à fait sérieux accompli avec grande compétence par notre rapporteur, M. de Richemont. Il a eu à coeur d'améliorer autant que possible la proposition de loi qui nous est soumise. De ce fait, nos vues se sont rapprochées.

Nous nous trouvons donc en présence d'une proposition intéressante de la commission, proposition que nous soutiendrons, mais à la condition qu'elle soit strictement respectée dans son esprit.

J'ai dit que les mesures qui nous étaient aujourd'hui proposées étaient tardives. Ce retard serait, selon certains, dû à des raisons d'ordre politique. À titre personnel, je ne partage pas ce point de vue.

Un mouvement européen favorable à la généralisation de la fiducie, ou plus exactement du trust, existe bel et bien, et depuis quelque temps déjà. Ainsi, une résolution du Parlement européen en date du 15 février 2001 a prévu l'harmonisation des droits européens, notamment pour ce qui concerne le trust. De même, le 6 juin 2002, au moment où commençait l'actuelle législature, a été adoptée une directive concernant les contrats de garantie financière, qui constituent en fait le point essentiel de nos travaux d'aujourd'hui, mais le Gouvernement n'a fait aucune diligence pour introduire ce texte dans le droit français.

On ne peut donc pas dire qu'il se soit précipité vers les horizons fiduciaires avec l'enthousiasme que vous mettez aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, à en décrire la splendeur !

Mieux vaut tard que jamais, dit-on ! Cependant, si nous suivons les propositions du Gouvernement, je crains fort que l'instrument dont la création est ici envisagée, et qui est selon moi tout à fait nécessaire dans le droit français, ne comble pas nos espérances.

Le trust ou la fiducie, sans entrer dans le détail du jus communis ni remonter jusqu'à la fiducie romaine, ont partout une double finalité.

Relevons, tout d'abord, une finalité d'ordre financier, qui a toujours été prise en compte. Il s'agit, notamment, de garantir des ouvertures de crédit au profit d'agents économiques. Ces mécanismes offrent aux établissements financiers une incomparable sûreté, au sens générique du terme, dans la mesure où un propriétaire se trouve évidemment dans la meilleure situation possible de sûreté.

La seconde finalité, très importante, est d'ordre familial ou même, tout simplement, humain. On n'est pas toujours disposé, par exemple, à recourir au droit des tutelles afin de prendre en considération la situation particulière de tel ou tel enfant, plus ou moins favorisé par la nature, que l'on veut pouvoir aider. Traditionnellement, dans les États inspirés par le droit anglo-saxon, mais aussi dans la quasi-totalité des États de l'Europe continentale, c'est également à cela que sert la fiducie ou le trust.

Or cette seconde finalité a été perdue de vue par le Gouvernement. De ce fait, il nous présente, sans justification convaincante, une version purement financière de la fiducie, qui permettra uniquement à des personnes morales, établissements de crédits et sociétés commerciales, d'être parties au dispositif. Bref, c'est une sûreté qui bénéficiera strictement au marché du crédit.

Or cela ne paraît nullement correspondre à la nécessaire modernisation dont je suis comme vous, monsieur le garde des sceaux, partisan, alors même que, à mes yeux, la fiducie n'est en aucune façon un monstre juridique par rapport à notre droit.

Vous dites que l'on crée la notion de patrimoine d'affectation. Or il s'agit simplement de prendre à l'intérieur d'un patrimoine des éléments déterminés pour les affecter à un usage particulier. Cela s'est toujours fait !

Quant à la finalité humaine de la fiducie, dont le caractère est si précieux, elle est escamotée plus pour des raisons qui tiennent à la défiance que pour des raisons véritablement juridiques : il y a une sorte d'obsession selon laquelle la fiducie servirait à la fraude, et c'est cela qui paralyse littéralement le progrès du droit. La fiducie est considérée comme l'instrument permettant je ne sais quel détournement de patrimoine ou escamotage, notamment en matière d'impôt sur la fortune. Il est certain que l'on ne peut pas avancer à partir d'un tel postulat !

Au demeurant, force est de constater que les professionnels de la fraude trouvent dans la situation qui prévaut actuellement à cet égard en Europe toutes les ressources nécessaires pour se livrer à ce genre d'escamotages. Nous en connaissons tous des exemples.

J'en reviens à la fiducie, telle que vous la concevez. Prenons les trois acteurs de cette convention. Tout d'abord, vous prétendez limiter les constituants aux personnes morales. Je ne peux pas comprendre pourquoi on interdirait aux personnes physiques de constituer, à l'intérieur de leur patrimoine, ce patrimoine d'affectation !

En effet, il n'y a pas de problème d'incapacité ici. Prenons l'exemple d'un patrimoine immobilier d'importance : pourquoi ne pas placer dans une fiducie des éléments de ce patrimoine ? Pourquoi excluez-vous du dispositif les personnes physiques ? Quelle fraude redoutez-vous ? Pourquoi consentir à une telle paralysie ?

Je n'ai pas besoin de dire, pour en revenir aux considérations que j'évoquais tout à l'heure, qui relèvent d'ailleurs de l'entretien plus que de la libéralité, qu'il est possible de prendre une partie d'un patrimoine d'actions pour l'affecter à l'entretien particulier de tel ou tel membre de la famille, moins avantagé que les autres à tous égards par la nature.

En ce qui concerne le constituant, comme M. Marini, comme la commission des lois, nous pensons qu'il ne faut pas avoir cette timidité, ce soupçon permanent. Il faut affirmer clairement que le constituant est une personne physique ou une personne morale ; n'excluons personne.

S'agissant du fiduciaire, nous rencontrons une difficulté. Au départ, on pourrait se demander, au vu des exemples étrangers, pourquoi exclure les personnes physiques compétentes et exerçant des professions qui garantissent leur rigueur et leur compétence. Mais si, comme la commission le souhaite, nous allons dans cette direction, nous nous heurtons à la frilosité des avocats, à ma surprise, je dois le dire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils ne veulent pas l'accepter !

M. Robert Badinter. Monsieur le garde des sceaux, une aimable pression aurait pu éventuellement les amener à reconsidérer une position qui ne me semble pas aller dans le sens de leur intérêt. Nous aurions sans doute pu trouver des voies d'accommodement. Mais s'ils ne veulent pas, on ne peut à l'évidence les contraindre.

Concernant les sociétés de professionnels, en particulier les notaires, pourquoi réduire ainsi le champ de compétence, pour, finalement, ne garder que des établissements financiers dont on connaît la liste ? Cela engendrera inévitablement une restriction du recours à la fiducie.

Certes, un pas en avant est fait, mais, selon moi, il n'est pas suffisant. Je regrette d'intervenir en premier. J'aurais souhaité que s'exprime en cet instant le véritable père de cette innovation, M. Marini. Au cours de nos débats, nous tenterons d'améliorer - je ne parle pas de quelques rectifications ou modifications de forme - ou de conserver l'équilibre atteint par la commission des lois. J'anticipe là ce que sera la position du Gouvernement ; nous verrons ce que décidera le Sénat.

Pour ma part, je salue cette innovation. Encore faut-il ne pas l'affliger d'une excessive timidité. Nous savons tous - même si nous ne nous en rendons pas assez compte - qu'aujourd'hui il existe en France un véritable marché du droit et que, si certaines places sont attractives, d'autres le sont moins. Il faut y penser, car, du point de vue économique, l'importance de ce marché du droit est considérable.

M. Philippe Marini. Absolument !

M. Robert Badinter. Récemment, aux Etats-Unis, j'ai pu mesurer ce que représente, en termes de prélèvement sur le PNB, le montant du marché du droit : il y a de quoi être stupéfié !

Négliger l'attractivité de ce que j'appellerai la place juridique de Paris est une erreur, même si cette tendance est en quelque sorte enracinée dans nos traditions. Il faut avoir le courage de le dire : la mondialisation existe, à nous de la maîtriser, d'en tirer les profits et faisons en sorte, ce qui est essentiel, que les avantages qui en sont tirés soient répartis conformément à la justice sociale. La répartition constitue, selon nous, la clef de voûte.

Enfin, je dirai à M. Marini que si ce qu'il nous a présenté était plus attractif que ce qui sera retenu, je le regretterais. Je souhaite, pour ma part, que le Sénat conserve à sa proposition les belles couleurs que la commission a su lui donner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, mes chers collègues, ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont eu l'occasion de rappeler que la fiducie, connue du droit romain, a été introduite depuis longtemps dans le droit de plusieurs pays de tradition civiliste. Ils ont également rappelé que toutes les tentatives d'introduction de cette institution en droit français, depuis 1992, surtout, mais même depuis 1989, ont échoué, au motif principal qu'elle remettait en cause le principe de l'unicité du patrimoine.

Cependant, force est de constater que cette situation ne préjuge en rien de l'utilité et de la nécessité de ce dispositif, notamment en matière d'efficacité économique et de gestion du patrimoine. L'absence de la fiducie, il faut en être conscient, constitue aujourd'hui un handicap en termes d'attractivité pour notre pays.

Comme M. Henri de Richemont l'a souligné dans son rapport très complet mais aussi très subtil - car la tâche n'était pas facile -, si la fiducie était réellement introduite en droit français, elle constituerait une innovation juridique considérable permettant de faciliter la constitution de sûretés et la gestion de biens pour le compte d'autrui.

Certes, des dispositifs tendent déjà à initier un semblant de fiducie. Je pense notamment à la titrisation, au prêt sur titres, au réméré, et aux cessions de créances, que l'on appelle « cessions-Dailly ». Cependant, ces dispositifs restent cantonnés à des domaines particuliers du droit.

En outre, la fiducie permettrait utilement de concurrencer le trust anglo-saxon, auquel un certain nombre de nos entreprises, cherchant à assurer des opérations de financement complexes, ont recours, puisque notre droit national n'offre pas ce genre d'instrument et que nos frontières, en matière juridique et financière, sont totalement perméables.

L'utilité d'un tel dispositif n'est donc pas discutable et nous saluons de façon unanime - du moins, je l'espère - l'initiative de M. Philippe Marini, dont la perspicacité, les qualités de rédacteur mais aussi de négociateur avec un certain nombre d'administrations nous permettent de discuter du sujet ce soir.

Pour ma part, je voudrais insister sur deux conditions qui me semblent impératives pour rendre le dispositif de la fiducie réellement opérant et pour lui donner un véritable intérêt sur le plan économique et sur le plan juridique.

Ces deux conditions sont reprises dans le texte adopté par la commission et ne devraient pas être remises en question. En premier lieu, le texte qui nous est présenté prévoit un cadre juridique unitaire pour la fiducie, en n'opérant pas de distinction entre la fonction de gestion et la fonction de sûreté que pourraient assigner les parties au contrat de fiducie. En second lieu, le texte ouvre ce mécanisme juridique tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, quel que soit, d'ailleurs, le mode d'imposition de ces dernières.

Ces deux caractères nous apparaissent comme étant d'autant moins discutables que de très nombreuses garanties ont été prévues ou ajoutées par la commission des lois.

Je tiens notamment à rappeler que toute utilisation de la fiducie à des fins de libéralités est interdite dans cette proposition de loi et que le constituant reste le seul redevable des droits d'enregistrement, des taxes de publicité foncière ainsi que des impôts directs, nonobstant le transfert intervenu, permettant ainsi d'assurer la totale neutralité fiscale du dispositif.

Nous avons eu le souci, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, d'assurer un maximum de sécurité au dispositif. Ainsi, le texte prévoit que la qualité de fiduciaire est réservée à des personnes soumises à de strictes règles de contrôle et de transparence et offrant des garanties de solvabilité. Il prévoit également que le constituant a la possibilité de nommer celui que l'on a appelé sans doute un peu rapidement un « protecteur » de la fiducie - je sais que M. Badinter proposera une autre dénomination -, du moins une tierce personne chargée de s'assurer de la préservation de ses intérêts. Le texte prévoit, enfin, l'instauration de mécanismes de contrôle et de sanction efficaces contre les utilisations de la fiducie à des fins illicites, puisque telle est toujours la crainte sous-jacente dès lors qu'il est question de fiducie.

Compte tenu de toutes ces garanties, et sans préjuger de ce que sera la réforme des tutelles - que nous attendons - en ce qui concerne la gestion des biens des personnes vulnérables, restreindre la qualité de constituant aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés serait extrêmement réducteur et diminuerait nettement la portée et l'utilité de ce texte novateur. Or ce texte milite pour une plus grande efficacité économique, objectif auquel le Gouvernement ne peut que souscrire.

En effet, si le texte qui nous est soumis était modifié dans le sens annoncé par le Gouvernement, il exclurait la qualité de constituant pour les personnes physiques mais aussi pour les sociétés civiles non soumises à l'impôt sur les sociétés.

De la même façon, nous ne pouvons pas abandonner l'utilisation de la fiducie à des fins de gestion, encore une fois pour des raisons de liberté contractuelle et, surtout, d'efficacité économique, alors que toutes les garanties nécessaires pour lutter contre l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux ont été prises.

Il ne faut pas, aujourd'hui, se tromper d'objectif. La présente réforme du droit français ne vise pas à créer un gadget pour faire plaisir à quelques financiers de haut vol ou juristes internationaux. Elle tend à nous procurer des atouts et de nouvelles possibilités juridiques afin que nous fassions jeu égal avec la concurrence internationale.

L'attractivité de notre territoire dépend non seulement de la législation fiscale et du coût du travail, mais aussi des possibilités et des garanties offertes par notre système juridique - M. Badinter et Mme le ministre ont parlé du « marché du droit » : il est réel et se diffuse de plus en plus - en termes de création d'entreprise, de gestion et d'investissements internationaux.

Vous l'aurez compris, restreindre la fiducie aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, dans un contexte européen, suscitera une grande déception pour la majorité d'entre nous.

Il est vrai que, pour être acceptée, une réforme d'envergure ne peut se faire que par étapes.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Bravo !

M. François Zocchetto. S'il est un dispositif qui doit reposer sur la confiance, c'est bien la fiducie.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Bravo !

M. François Zocchetto. Par ailleurs, nous sommes lucides, nous connaissons les contraintes du calendrier parlementaire, liées aux caractéristiques de notre Constitution. Nous imaginons donc très bien ce qui pourrait arriver si l'examen de ce texte prenait un peu de retard - je ne vais pas reprendre le terme de « malédiction » ! - ou si tout n'était pas fait par les uns et par les autres pour qu'il soit poursuivi dans les semaines à venir.

Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, nous serons donc évidemment très attentifs à ce que nous vous confirmiez l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il convient à tout le moins que nous contribuions ce soir à faire franchir une première étape au dispositif de la fiducie, de façon que de nouvelles étapes puissent être franchies le plus rapidement possible, au bénéfice des investissements et de l'emploi sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat a pour rôle de contribuer à l'élaboration de la loi et, par là même, à la modernisation de notre système juridique et à l'attractivité juridique de notre territoire.

Nous nous sommes efforcés d'agir en ce sens à différentes reprises. Ainsi, la récente transposition de la société européenne en droit français provient d'une initiative parlementaire du Sénat, menée conjointement par la commission des lois et par la commission des finances.

En ce qui concerne la fiducie, nous espérons également aboutir, dans les prochains mois, au moins à l'acclimatation de ce concept en droit français. À cet égard, j'insisterai d'abord sur l'historique récent, en déroulant la liste des tentatives sur ce sujet.

Le premier avant-projet de loi date de 1989 : il a été soumis à consultation, sans accéder au stade de projet de loi.

Le projet de loi du 20 février 1992 se voulait plus ambitieux et exhaustif : il consacrait plus explicitement la fiducie-sûreté et complétait opportunément l'avant-projet précédent. C'est en raison d'un désaccord sur les dispositions fiscales, interne aux administrations, que ce texte est resté en sommeil.

Un dernier avant-projet de loi a été présenté au début de 1995, mais son examen s'est arrêté au stade du Conseil d'État.

Depuis lors, plus aucune initiative n'a émergé des cercles gouvernementaux, quelle qu'ait été la majorité politique aux affaires. Au demeurant, mes chers collègues, les propos que nous avons entendus depuis le début de ce débat montrent qu'il n'y a pas d'idéologie dans cette affaire. Aussi bien nos collègues Robert Badinter et François Zocchetto que Mme le ministre et M. le garde des sceaux ont insisté sur ce point : il s'agit bien de technique juridique, d'un concept juridique et, au-delà, d'un moyen pour renforcer l'attractivité de notre système juridique.

Pour ma part, j'ai considéré, au second semestre 2004, voyant le temps passer, qu'il fallait faire quelque chose. J'ai donc pris l'initiative, de manière informelle, de convier à une série de réunions des universitaires, des directeurs juridiques, des avocats, des représentants d'organisations d'entreprises, afin de reprendre ce sujet et d'écouter les remarques des uns et des autres en vue de la rédaction d'une proposition de loi.

Entre-temps, il faut le dire, la fiducie s'est, de manière « innommée », introduite chaque jour un peu plus dans notre système juridique, au travers de plusieurs instruments : le gage de compte d'instruments financiers, la réserve de propriété, la convention de portage, certains modes de cession de créances comme les cessions qui portent le nom de notre ancien et remarquable collègue Etienne Dailly, ainsi que les fonds communs de créances. Tout cela est proche du concept de fiducie, mais résulte de législations ou de réglementations parcellaires et spécifiques.

De la même manière, d'ailleurs, il est bon d'indiquer que notre pays a signé le 26 novembre 1991 la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, il faudra bien un jour ratifier cette convention, mais c'est, bien sûr, un autre sujet !

Monsieur Clément, votre prédécesseur, M. Dominique Perben, a bien voulu, après le dépôt de ma proposition de loi en février 2005, réunir au printemps de la même année un groupe de travail auquel j'ai été associé et qui m'a auditionné. Il a rassemblé des personnes de grand talent et de grande compétence et il a entendu les différents points de vue. Il a représenté, pour la première fois, une approche à caractère interministériel. Si je ne me trompe, les résultats de ce groupe ont été extrêmement proches des principales options figurant dans ma proposition de loi.

À ce stade, je voudrais remercier le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, qui a accepté d'inscrire ce thème à l'ordre du jour du séminaire gouvernemental sur la compétitivité de mai 2006. Depuis lors, nous avons pu faire cheminer le projet.

Comme il se doit, la commission des lois a reçu pleine compétence pour expertiser cette innovation. Je suis heureux de saluer ses efforts et de remercier tout particulièrement son président, Jean-Jacques Hyest, ainsi que son rapporteur, notre excellent collègue Henri de Richemont.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Très bien !

M. Philippe Marini. La lecture du rapport écrit le prouve, l'analyse a en effet été menée en profondeur et en peu de temps : le nombre d'auditions a été considérable et la nécessaire pluralité des approches a été respectée. Ainsi, le travail de synthèse qui nous est soumis nous permet, enfin, d'introduire dans notre droit la fiducie « à la française ».

J'insisterai donc, d'abord, sur les principes que j'ai retrouvés dans les conclusions de la commission des lois et qui sont identiques à ceux que j'avais moi-même proposés, puis sur les novations qui ont été opportunément introduites par cette commission. J'en viendrai, ensuite, au point en débat, c'est-à-dire à l'extension à donner à ce nouveau régime juridique, avant de conclure sur quelques indications concrètes relatives aux utilisations que nous pourrons faire, je l'espère, de ce concept de fiducie à la française.

En ce qui concerne les principes communs, je les citerai en quelques mots : prohibition de la fiducie à des fins de transmission d'un patrimoine à titre gratuit ; ouverture de la qualité de constituant aux personnes physiques comme aux personnes morales ; neutralité fiscale par l'imposition du constituant, la fiducie étant une institution totalement transparente sur le plan fiscal.

Ainsi, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, le constituant demeure fiscalement titulaire des droits mis en fiducie et est donc, à ce titre, redevable de l'impôt. Cela permet d'évacuer tout débat et tout soupçon sur le risque d'évasion fiscale en la matière.

Par ailleurs, certaines novations ont été, à mon sens, très opportunément introduites par la commission des lois et, en particulier, par son rapporteur.

Il s'agit, en premier lieu, d'un régime « unitaire » pour la fiducie, qui n'opère pas de distinction entre la fonction de sûreté et la fonction de gestion.

Il s'agit, en deuxième lieu, du recours aux principes du droit commun, pour ménager un espace aussi vaste que possible à la liberté contractuelle et pour limiter autant que faire se peut les dispositions impératives.

Il s'agit, en troisième lieu, de la limitation du droit de poursuite des créanciers au seul patrimoine fiduciaire.

Il s'agit, en quatrième lieu, de l'introduction de différents points techniques de nature à accroître les garanties : la consécration du recours en droit français à un « agent des sûretés », particulièrement utile pour les crédits syndiqués qui sont aujourd'hui placés en règle générale sous le régime britannique, ou l'instauration de la faculté pour le constituant de nommer, quelle que soit sa dénomination définitive, un « protecteur » de la fiducie chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts et, surtout, de la conformité aux objectifs et aux finalités qu'il souhaite.

S'agissant, mes chers collègues, du point qui fait encore débat, la commission des lois, notamment son rapporteur, propose un arbitrage qui me semble équilibré.

D'un côté, elle accepte de limiter la qualité de fiduciaire aux seuls organismes financiers réglementés et soumis à un régime strict de lutte contre le blanchiment des capitaux, c'est-à-dire les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Contrairement à ce qui est indiqué dans ma proposition de loi, la commission a estimé qu'à l'heure actuelle des éléments importants font défaut pour que la qualité de fiduciaire soit ouverte à toute personne physique ou morale et qu'il est nécessaire de limiter cette qualité à des personnes soumises à des règles de contrôle et de transparence strictes et présentant des garanties réelles en termes de solvabilité.

Toutefois, la commission des lois souhaite qu'une réflexion soit engagée, si j'ai bien compris, dans un avenir proche, afin d'aboutir à une extension rapide aux professions juridiques réglementées, pour autant que ces dernières soient associées à ce mouvement. À l'instar de M. Badinter, j'espère que la réflexion sera mise à profit pour qu'une telle ouverture soit obtenue aussi rapidement que possible, car celle-ci serait véritablement conforme aux intérêts bien compris des professions en question.

Dans le cadre de cet équilibre, la commission des lois préconise l'ouverture de ce nouveau mécanisme juridique qu'est l'institution fiduciaire tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Comme cela a été souligné, il est vrai que la fiducie doit d'abord constituer dans les relations d'affaires commerciales et financières internationales un outil utile pour permettre de réaliser des opérations qui ne peuvent se faire actuellement que par le biais du trust anglo-saxon.

Parmi bien d'autres exemples, je prendrai celui du groupe Alstom, qui est certainement significatif, voire emblématique : dans le cadre de sa récente restructuration, ce groupe a été conduit à créer un trust anglo-saxon, alors même que l'État venait d'entrer dans son capital.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument ! Il y a aussi Peugeot !

M. Philippe Marini. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, sur le fond des choses, je partage le sentiment qui a été largement exprimé tant par la commission des lois que par MM. Badinter et Zocchetto. Pour autant, pacta sunt servanda : il vaut mieux privilégier un mouvement qui soit sérieusement entamé, qui a des conséquences concrètes, comme je vais m'efforcer de le montrer en conclusion, plutôt que de voter pour un objet juridique plus proche de l'idéal, mais dont la concrétisation risquerait fort de se heurter...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. À des réactions hostiles !

M. Philippe Marini. ...à des inconvénients, des incompréhensions et des aléas qui seraient susceptibles de compromettre son chemin.

J'accepte donc, par avance, de me rallier aux amendements du Gouvernement portant sur le champ du constituant, tout en souhaitant que le débat ne soit pas clos pour autant et qu'il soit possible, au vu de l'expérience, de revenir sur cet aspect important.

Il faut rappeler que les enjeux en la matière sont réels, en termes de compétitivité de nos centres de décision.

Vous savez, mes chers collègues, que le Sénat a souhaité créer une mission d'information, commune à trois commissions, sur la notion de centre de décision économique. En effet, un très grand nombre de conséquences, pour l'ensemble des professions de services, mais aussi pour l'emploi et l'investissement, sont liées à la capacité de maintenir, de retenir, de développer et de multiplier sur notre territoire des centres de décision économique.

Aujourd'hui, bien des opérations financières d'envergure échappent au droit français alors même qu'elles concernent des sociétés ou des groupes de sociétés qui peuvent être qualifiés, sans abus de langage, de français, ou dont les sièges sont situés en France.

En l'absence de mécanismes fiduciaires à large champ d'application en droit français, bien des sociétés cherchent dans les panoplies de droits étrangers ce dont elles ne disposent pas dans notre propre droit, ce qui se traduit par des transferts de fonds de la France vers l'étranger, mouvements eux-mêmes générateurs d'activités économiques et financières hors de notre pays.

Je citerai six exemples concrets d'utilisation possible de la fiducie, telle qu'elle serait définie si nous adoptions les amendements du Gouvernement.

Il s'agit, premièrement, de la création de structures permettant de garantir des engagements futurs, tels que des engagements de retraite ou des engagements financiers liés à la dépollution de sites industriels ; des montants considérables de capitaux sont en jeu.

Le deuxième exemple concerne la mise en place d'opérations d'épargne salariale. Certains droits étrangers ne connaissent pas nos systèmes de fonds communs de placement d'entreprises : la fiducie peut constituer un instrument permettant d'assurer de telles opérations dans le cadre d'un actionnariat direct.

Troisième exemple : la création d'une structure ad hoc de gestion de participations au sein d'un groupe de sociétés rendrait inutile la création d'une société holding possédant son propre actionnariat. Grâce à cette fiducie de type contractuel, on pourrait donc aboutir au même résultat qu'avec la holding, tout en évitant les lourdeurs administratives qui y sont afférentes.

Le quatrième exemple concerne la création d'une structure de gestion dans le cadre d'un rapprochement d'entreprises. Si une opération de concentration se produit, mais est conditionnée par la décision d'une autorité publique, l'autorité communautaire de la concurrence, par exemple, la société acquise pourra être gérée temporairement dans le cadre d'une fiducie, afin que cette gestion s'effectue indépendamment du nouvel actionnaire.

Le cinquième exemple est la création d'une structure de defeasance : un ensemble de dettes et d'actifs sont transférés à un fiduciaire chargé du service de la dette.

Quant au sixième exemple, qui est largement appliqué, nous l'avons tous à l'esprit, il concerne la capacité de créer une structure permettant d'isoler un ensemble d'actifs à titre de sûreté.

Cette liste d'exemples vous montre que, dans le domaine du droit économique, financier et commercial, la fiducie a un large rôle à jouer.

En conclusion, je forme le voeu que nous parvenions à concrétiser rapidement cette avancée. En effet, si nous avions pris cette mesure il y a quinze ans, la compétitivité de notre droit et la localisation des centres de décision sur notre territoire seraient certainement plus proches de nos ambitions. Il n'y a donc pas de temps à perdre.

Je vous demande donc, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, de nous donner toutes les assurances nécessaires de la volonté du Gouvernement - dès lors que, dans un souci de réalisme, nous partagerions en tout point son approche - d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, afin qu'il soit intégré le plus vite possible dans notre droit positif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. François Zocchetto applaudit également.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. La réponse est oui !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Marini, d'inspiration gouvernementale...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !

Mme Josiane Mathon-Poinat. ...et concoctée de nouveau par M. le rapporteur, a pour objet d'introduire la fiducie dans le droit français et de permettre ainsi le transfert de biens ou de droits du patrimoine d'une personne, le constituant, vers celui d'une autre personne, le fiduciaire, pour le bénéfice d'une troisième, le bénéficiaire.

La fiducie trouve son origine lointaine dans une institution juridique du droit romain. Elle avait alors une triple fonction : la gestion d'un patrimoine pour pallier l'inexistence en droit romain de certains contrats, tels que les contrats de dépôt ou de prêt d'usage ; la transmission d'un patrimoine pour léguer un patrimoine à une personne déterminée, à charge de le remettre à un tiers, mécanisme utilisé pour éviter certains obstacles juridiques à la gratification directe d'un héritier ou légataire ; la garantie d'une créance pour transférer à un créancier la propriété d'un bien qu'il s'engageait à restituer lorsque le débiteur avait acquitté la dette, que l'on peut définir en quelque sorte comme la naissance du gage ou de l'hypothèque.

La fiducie connut encore un certain succès au Moyen Âge, à l'époque des Croisades. Elle permettait aux seigneurs de transmettre la propriété de leur domaine à un tiers, à charge pour celui-ci de le lui restituer à son retour, ou de le remettre à ses héritiers s'il venait à périr en Terre sainte.

La fiducie s'est maintenue quelque temps dans notre ancien droit, sous la forme d'affidiation en matière de libéralités à cause de mort, comme un engagement pris par un héritier ou un légataire de gérer le bien du défunt, puis de le restituer à un tiers. Mais elle a ensuite été totalement ignorée de notre code civil.

La fiducie a en revanche connu un succès considérable dans les droits anglo-saxons, sous la forme de trust.

Le trust est l'acte par lequel une personne transfère des biens à une autre personne, afin que cette dernière les administre ou en dispose d'une manière déterminée en faveur d'un ou plusieurs tiers. Il aboutit à séparer la gestion et le contrôle de biens de la jouissance des profits que ceux-ci procurent. Ce système est largement utilisé dans l'ensemble des pays de common law.

Le droit français, sans pour autant l'institutionnaliser, utilise cependant ce système sous de multiples formes, telles que les fonds communs de placement, ou fiducie-gestion, les fondations, ou fiducie-libéralité, et la cession de créances professionnelles à titre de garantie, couramment appelée « cession-Dailly », ou fiducie-sûreté.

À trois reprises - en 1989, 1992 et 1994 -, le législateur français a tenté d'introduire la fiducie dans le code civil. L'échec de ces réformes peut aisément s'expliquer par la crainte que la fiducie ne soit utilisée comme un instrument de dissimulation fiscale ou comme un outil qui faciliterait le blanchiment d'argent.

Le risque en matière de blanchiment de capitaux existe en effet bel et bien. Il a d'ailleurs été relevé lors de la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002.

Il était ainsi souligné dans la déclaration finale de cette conférence : « Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d'ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels l'opacité de certaines entités juridiques - fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite ».

A priori, la proposition de loi prend en compte les préconisations de cette conférence pour éviter tout risque en matière de blanchiment. Les dispositions du code monétaire et financier ainsi que celles du code pénal relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux seront automatiquement applicables. Quant à l'établissement de crédit ouvrant un compte au nom du fiduciaire, il devra s'assurer de l'identité réelle des bénéficiaires et de la licéité de certaines sommes.

Mais si le fiduciaire est lui-même un établissement de crédit, le contrôle sera-t-il vraiment efficient et objectif ?

La fiducie apparaît malheureusement comme un cadre propice à d'éventuels abus en matière de dissimulation fiscale et de blanchiment, rendus notamment possibles aussi longtemps que le secret bancaire ne sera pas levé.

La situation serait la même si la fiducie était étendue aux personnes physiques, comme le souhaite la commission : la tentation serait grande pour les détenteurs de gros patrimoines d'utiliser la fiducie comme un montage financier fiscalement lucratif.

Notre crainte est confirmée par les dispositions du texte selon lesquelles seuls pourront être fiduciaires les établissements de crédit, les sociétés d'assurances ou les entreprises d'investissements.

Plus généralement, que permettra l'introduction dans notre droit de la fiducie ?

Les petites entreprises, qui connaissent des difficultés, seront tentées de confier une partie de leur patrimoine à des organismes financiers, voire incitées à le faire. Le risque est donc réel qu'elles se trouvent littéralement dépouillées de leurs actifs au profit de grands groupes.

Par ailleurs, nous sommes plus que réservés à l'idée que la fiducie puisse être détournée à des fins de tutelle auprès de personnes vulnérables. Bien que non prévue par la proposition de loi d'origine, cette forme plus ou moins parallèle de tutelle était déjà envisagée par M. Philippe Marini dans son exposé des motifs.

La commission des lois a décidé d'étendre explicitement la fiducie aux personnes physiques. Elle estime en effet qu'il n'y a pas lieu d'exclure d'office du dispositif les personnes physiques qui pourraient utiliser ce mécanisme afin de constituer des sûretés ou de gérer leur patrimoine.

Nous sommes, sur ce point, doublement embarrassés.

D'une part, cette proposition de loi, si elle était adoptée dans les termes souhaités par la commission, entraînerait la création d'un substitut de tutelle qui serait exercée par des organismes financiers en dehors de tout contrôle du juge.

Nous ne pouvons bien évidemment souscrire à un tel dispositif. Selon nous, les établissements de crédit ou les sociétés d'assurances ne sont pas les personnes morales les plus compétentes pour apporter un soutien à des personnes vulnérables, qui éprouvent justement de grandes difficultés à gérer leurs biens et leurs relations avec leur établissement bancaire. Un tel mécanisme nous semble donc dangereux pour ces personnes en difficulté et il est pour le moins inadapté.

D'autre part, nous attendons du Gouvernement qu'il nous présente prochainement une réforme du régime des tutelles. Cette réforme est d'ailleurs très attendue tant par les familles et les associations que par le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui demande un examen imminent de ce texte. Quant au Conseil économique et social, il souhaite voir aboutir rapidement cette réforme.

Tous, qu'ils soient concernés de près ou de loin par cette réforme, demandent le renforcement des droits de la personne placée sous tutelle et des contrôles sur ses biens, bref, qu'elle soit replacée au centre du système de protection.

Certes, il n'est pas prévu que la fiducie s'applique aux personnes pouvant relever de la tutelle ou de la curatelle. Néanmoins, le texte risque de déséquilibrer le rapport de force qui existe entre le fiduciaire et la personne physique, au détriment de cette dernière. L'esprit de la présente proposition de loi est fort éloigné de celui qui doit animer la nécessaire réforme du régime des tutelles.

Le dispositif proposé ne présente pas les garanties suffisantes qui permettraient d'affirmer que la personne concernée est protégée contre d'éventuels abus de gestion de la part du fiduciaire. En tout état de cause, ces personnes n'ont pas, par définition, les moyens d'exercer un contrôle sur la gestion de leurs biens, et ce texte ne les protège pas suffisamment.

Notre position est claire : les ambiguïtés du régime de la fiducie tel qu'il nous est présenté nous conduisent logiquement à voter contre cette proposition de loi, largement modifiée par la commission. En effet, ni le texte initial de M. Marini ni celui de M. le rapporteur, même modifié par les amendements du Gouvernement, ne nous satisfont. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Au terme de ce débat très riche, qui concerne un sujet difficile mais porteur d'avenir, je souhaite faire quelques observations.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez longuement évoqué l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oui !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous souhaitons bien entendu que cette ordonnance puisse être ratifiée dans les meilleurs délais, car nous sommes extrêmement attentifs aux innovations qu'elle contient, notamment le crédit garanti par une hypothèque rechargeable.

La commission des lois de l'Assemblée nationale avait souhaité que le cautionnement ne soit pas intégré. Sans doute faudra-t-il se pencher aussi sur ce problème.

La mention des sûretés à l'article 16 ne saurait valoir ratification implicite.

Monsieur Badinter, j'ai trouvé votre intervention excellente, sauf sur un point. Quand vous déplorez que tel texte n'ait pas été examiné par le Conseil d'État, que faites-vous de l'initiative parlementaire ? Faut-il vous rappeler que le législateur a aussi la capacité de faire des propositions ? Je partage au moins un souvenir avec Philippe Marini, celui d'avoir vu le Parlement à l'origine de la société européenne, elle aussi source d'attractivité du droit français. Il fallait quand même le faire, et cela a été fait grâce à l'initiative parlementaire. On pourrait donner d'autres exemples. De ce point de vue, le Parlement, le Sénat en particulier, est dans son rôle.

Notre commission souhaitait étendre largement la fiducie aux personnes physiques. Les plus ardents partisans de la fiducie étaient hostiles au mandat posthume, ce qui me paraît intellectuellement contestable puisque les deux dispositifs vont un peu dans le même sens. Et, même si comparaison n'est pas raison, je pense qu'il doit y avoir un certain parallélisme.

Quoi qu'il en soit, il est évident que certains obstacles fiscaux, certains sujets tabous doivent être levés. Le débat ne serait pas tout à fait le même aujourd'hui si certaines craintes étaient dissipées. Voulez-vous que je vous le dise clairement, s'il n'y avait pas un impôt qui paraît de plus en plus contestable,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ah !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ...nous ne nous poserions pas les mêmes questions sur le risque de détournement !

Les exemples donnés par M. le rapporteur, d'ailleurs repris par M. Marini, le prouvent : même limitée aux personnes morales, la fiducie présente un intérêt non négligeable pour les sociétés, pour les sûretés, certes, mais aussi pour la gestion.

Il est évident, monsieur le garde des sceaux, que nous poursuivrons la réflexion en ce qui concerne l'extension du dispositif aux personnes physiques. La prochaine réforme des tutelles nous en donnera peut-être l'occasion.

Dans ce domaine, les expériences n'ont pas manqué. Monsieur le garde des sceaux, vous vous souvenez des obstacles que nous avions rencontrés en 1992 - vous étiez alors membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale - et qui ne nous ont pas permis d'aboutir. Aujourd'hui, nous avons une chance de faire progresser les choses en adaptant cette notion de fiducie dans le droit français. Ne serait-ce que pour cela, notre travail ne sera pas inutile, à condition, monsieur le garde des sceaux, que le texte soit définitivement adopté avant la fin de la législature. (M. Philippe Marini applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je remercie l'ensemble des intervenants et souligne au passage à Mme Mathon-Poinat qu'il s'agit bien d'une proposition de loi, et non d'un projet de loi déguisé que nous aurions voulu soustraire de la voie traditionnelle du Conseil d'État. Toute la difficulté de l'exercice tient au fait qu'un ministère bien connu de nous a toujours considéré que ce type de concept juridique qu'est la fiducie comporte des risques de non neutralité fiscale. C'est ce qui explique le retard formidable pris avant d'adopter ce moyen, pourtant indispensable pour un grand pays.

Comme M. Marini l'a fait observer, cet outil juridique est d'ailleurs tellement utile que, récemment, une grande affaire française est allée faire son montage à Londres au vu et au su de tous. Et tout le monde a trouvé cela très bien ! Sauf que si nous ne sommes pas capables de répondre aux besoins de nos grandes entreprises, qu'on le dise, et elles seront de moins en moins nombreuses à avoir leur siège social à Paris ! Nous savons d'ailleurs combien d'entreprises inscrites au CAC 40 nous menacent de quitter le territoire national si nous ne mettons pas à leur disposition, outre les outils juridiques, les outils fiscaux adéquats - que je laisse à Christine Lagarde le soin de présenter. Et tout le monde sait que nous en sommes fort loin !

Cette fois-ci, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tenons le bon bout.

D'abord, je crois comprendre qu'un accord se dessine pour limiter la fiducie aux personnes morales, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique sur le thème de l'évasion fiscale ou du détournement de l'impôt de solidarité sur la fortune.

M. Henri de Richemont, rapporteur. Il n'y a pas de risque !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pour les personnes physiques, on verra plus tard. Laissons à d'autres époques le soin de faire évoluer les choses !

Ensuite, il est clair que l'application du principe de la neutralité fiscale, évidemment fondamentale aux yeux de Bercy, veut qu'il revienne au constituant, et non au fiduciaire, de payer l'impôt.

Voilà les deux points fondamentaux qui nous permettent selon moi de prospérer.

Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en donne l'assurance : si ce texte est voté dans l'esprit que vous avez les uns et les autres décrit, il devrait être très vite inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et, ainsi, s'intégrer dans notre droit. Ce serait un grand progrès.

Alors, de grâce, que l'obsession fiscale ne vienne pas mettre de bâtons dans les roues de ce débat ! Il n'y a pas, madame Mathon-Poinat, la moindre envie de détourner quoi que ce soit. Les nouveaux moyens prévus dans la loi portant réforme des successions et des libéralités et dans l'ordonnance sur les sûretés viennent répondre aux objections de ceux qui souhaitent l'extension de la fiducie aux personnes physiques. Ainsi, tout est réuni pour faire évoluer le droit français. J'en remercie par avance le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE Ier

DISPOSITIONS GÉNÉRALES