M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 203, présenté par M. Hyest, ainsi qu'au sous-amendement n° 207 rectifié de M. Fauchon.

Il souhaite le retrait du sous-amendement nos 205 rectifié, satisfaits par le sous-amendement n° 207 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 207 rectifié. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n'est pas nous qui avons demandé une longue interruption de séance !

M. Charles Revet. Heureusement !

M. Pierre-Yves Collombat. Sur le plan de la technique parlementaire, je tiens vraiment à féliciter nos collègues, car le texte qu'ils nous proposent n'a finalement plus grand-chose à voir avec sa version initiale ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Charles Revet. Ce que vous dites est scandaleux ! Pourquoi faudrait-il s'aligner ?

M. Pierre-Yves Collombat. Sur le plan pratique, la disposition en question est parfaitement inapplicable : voilà une espèce d'usine à gaz que personne ne pourra utiliser ! Son seul avantage est de permettre au Gouvernement de sauver la face. Mais nous n'aurons peut-être pas complètement perdu notre temps, puisqu'un certain nombre de nos collègues de l'UMP auront fait tout ce qu'ils pouvaient pour limiter la casse !

Cependant, la matière qui nous préoccupe ce soir ne concerne pas simplement des problèmes pratiques. Il ne s'agit pas seulement d'éviter à une famille de sombrer dans le désespoir parce qu'un défaut de filiation aurait été révélé.

Le problème qui nous est posé est d'ordre symbolique : qu'est-ce qui, dans notre société, et ce depuis très longtemps, fonde la filiation ? C'est le fait d'attribuer à l'enfant une place non seulement dans une famille, mais aussi dans la société. Il s'agit d'interposer une institution entre l'enfant et ses géniteurs. Cette place est symbolique, ce qui est tout à fait fondamental. C'est le contraire de ce que le philosophe Pierre Legendre appelle « la conception bouchère de la filiation ».

M. Charles Revet. C'est élégant !

M. Pierre-Yves Collombat. Oui, c'est très intéressant, bien qu'un peu compliqué ; vous devriez lire ses ouvrages, mon cher collègue !

Il s'agit de ne pas réduire, ce que l'on tend d'ailleurs à faire de plus en plus - mais peut-être notre civilisation est-elle en train de « foutre le camp » ? -, la filiation à la biologie.

Tout à l'heure, M. Jean-Jacques Hyest l'a évoqué, la modification du code civil a permis de franchir une première étape. Nous en franchissons maintenant une seconde.

M. Jean-Jacques Hyest. Non, c'est la même !

M. Pierre-Yves Collombat. Jusqu'à quand ? Jusqu'au moment où l'on réalisera qu'il est trop tard ? J'ai une pensée particulière pour ceux qui, aujourd'hui, de bonne foi, pensent faire oeuvre utile et qui s'apercevront plus tard que tel n'est pas le cas. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. J'ai bien écouté l'argumentation de mes collègues Michel Mercier, président de mon groupe, et Pierre Fauchon, selon laquelle on s'intéresserait uniquement au cadre fixé par la loi relative à la bioéthique et certains articles du code civil.

Je suis d'accord avec eux pour dire que les étrangers doivent être soumis à la même loi que les Français. C'est la raison pour laquelle je voterai contre le sous-amendement n° 207 rectifié. En effet, je ne vois pas en quoi les dispositions qu'il prévoit sont nécessaires, puisqu'elles existent déjà dans la loi française. En outre, le fait d'inscrire de telles mesures dans un projet de loi relatif à l'immigration constituerait un mauvais signe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur le président, cela fait maintenant plus de deux heures que vous présidez ce débat, au cours duquel chacun a pu intervenir. Je pense qu'il est temps de revenir non seulement sur un certain nombre de principes essentiels, mais aussi et surtout sur les objectifs qui sont les nôtres.

Je souhaite simplement souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il ne doit pas y avoir d'ambiguïté entre les nouvelles dispositions prévues par le sous-amendement n° 207 rectifié et ce qui vient d'être présenté par Hyest. Il me semble également utile de vous rappeler un certain nombre de vérités.

Tout d'abord, personne ne propose je ne sais quel fichage génétique. (Marques d'incrédulité sur les travées socialistes et du groupe CRC.) Ensuite, madame Gourault, personne ne propose de porter atteinte aux lois de bioéthique.

Mme Jacqueline Gourault. Je n'ai pas dit cela !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ne nous fâchons pas ! (Sourires.)

M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, personne ne propose de contraindre des étrangers à se soumettre, contre leur volonté, à un test ADN.

Il s'agit simplement de répondre à une réalité simple : chaque année, des demandeurs de bonne foi ne peuvent obtenir de visa pour notre pays parce qu'ils ne parviennent pas à prouver concrètement leurs liens de filiation, faute de disposer d'un état civil fiable.

Je l'ai dit tout à l'heure, ne faisant ainsi que reprendre ce qu'a écrit M. Gouteyron : dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, 30 % à 80 % des actes d'état civil sont frauduleux.

Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés - j'insiste sur ce point, car peut-être tout le monde n'y a-t-il par prêté attention - a relevé que, dans ce cas, les « tests ADN sont de plus en plus utilisés comme moyen d'établir les liens de parenté dans le cadre du regroupement familial ». Ce n'est pas nous qui le disons !

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviens pas sur le fait que douze pays européens, dont certains sont dirigés par des gouvernements socialistes ou socio-démocrates, pratiquent ou s'apprêtent à pratiquer ces tests. La réalité est simple, et je ne comprends pas pourquoi elle vous gêne : il s'agit tout simplement de donner un droit nouveau aux étrangers de bonne foi, dans un cadre offrant toutes les garanties de respect des principes de notre droit, tels qu'ils sont définis dans le code civil.

Je partage vos préoccupations, et j'estime que ces garanties doivent effectivement être précisées et hiérarchisées. Très rapidement, j'en citerai six.

La première des garanties est le volontariat : c'est sur l'initiative de l'étranger qui demande un visa que le test ADN sera effectué. Le sous-amendement n° 207 rectifié de M. Pierre Fauchon répond sur ce point à toutes les interrogations.

La deuxième garantie est la limitation au lien de maternité : seule la filiation avec la mère pourra être prouvée par le test ADN.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est encore plus scandaleux !

M. Brice Hortefeux, ministre. Cette très sage limitation évitera, je l'ai très souvent entendu rappeler, de créer des situations tragiques ! Je pense notamment aux cas de viol. La paternité continuera donc à être prouvée selon les règles de l'état civil.

La troisième garantie est la gratuité, qui est prévue dans le sous-amendement n° 204 du Gouvernement. Le remboursement du test ADN par l'État est nécessaire, afin de ne pas pénaliser ceux qui seraient incapables de le financer.

La quatrième garantie est la décision d'un juge civil. Les tests ADN effectués par des étrangers dans le cadre d'une demande de visa doivent, en effet, être encadrés par des règles identiques dans leurs principes à celles des tests ADN actuellement proposés aux Français dans le cadre du code civil. Sur ce point, il n'existe aucune discrimination entre Français et étrangers, ce qui signifie que le cadre posé par les lois de bioéthique est totalement respecté.

Par ailleurs, monsieur de Richemont, je ne vois pas d'obstacle à ce que la loi mentionne le tribunal de grande instance de Nantes, et non pas uniquement son président.

La cinquième garantie, proposée par M. Fauchon, est le recours à la notion bien connue, dans notre droit civil, de possession d'état. Cette notion était d'ailleurs présente dans le sous-amendement n° 205 rectifié, présenté par Mme Boumediene-Thiery, mais à titre exclusif, ce qui explique la position adoptée par le Gouvernement.

Enfin, nous souhaitons que ce dispositif - je le rappelle, car c'est une précaution utile - ait un caractère expérimental. Il n'est pas question de le figer pour des décennies. Il est donc proposé que, dix-huit mois après la publication du texte, un bilan du dispositif soit dressé par la commission d'évaluation. Ce bilan ne sera donc pas renvoyé aux calendes grecques, puisqu'il s'inscrit dans un cadre bien précis.

Volontariat, limitation à la maternité, gratuité, décision du juge, recours à la notion de possession d'état, expérimentation , voilà autant d'avancées qui, en fait, mettent en place un droit nouveau qui sera utile aux demandeurs de visa de bonne foi, tout en respectant les principes de notre droit et, au-delà, les principes éthiques qui nous guident. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 207 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, le sous-amendement n° 205 rectifié n'a plus d'objet.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 204.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote sur l'amendement n° 203.

M. Jacques Mahéas. Permettez, mes chers collègues, qu'un élu de la Seine-Saint-Denis, où je vis depuis toujours, puisse s'exprimer.

M. Jean-Jacques Hyest. Un élu de la nation !

M. Jacques Mahéas. En effet, comme M. le ministre l'a dit lors de la dernière réunion de la commission, trois régions posent problème en France pour le regroupement familial. Il ne les a pas citées, mais la Seine-Saint-Denis est manifestement concernée, compte tenu d'un certain nombre de possibilités d'accueil des étrangers : bien que cet accueil ne soit pas glorieux, les étrangers ne sont pas rejetés !

Même si nous adoptons l'amendement n° 203, qui modifie bien évidemment considérablement le texte adopté par la droite à l'Assemblée nationale, et bien que vous vous en défendiez, mes chers collègues, ce texte sera manifestement vécu comme une tyrannie génétique (Protestations sur les travées de l'UMP) et une humiliation par ceux auxquels il sera appliqué. Il sera bien évidemment considéré comme une épreuve insurmontable par la plupart des familles qui demandent le regroupement familial.

Permettez-moi de vous dire que ce qui peut apparaître comme une fraude au regroupement familial, dans mon département, me semble être extrêmement marginal. Vous nous l'avez dit, 8 700 cas en tout ont été recensés ! Ce n'est pas beaucoup ! Notre pays a-t-il besoin de tant d'heures de discussion pour essayer de sauver les apparences d'une majorité divisée ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Oh !

M. Jacques Mahéas. Bien sûr que non !

De surcroît, vous nous affirmez qu'il faut être loyal et appliquer les mêmes dispositions aux Français qu'aux étrangers.

Étant maire depuis longtemps, j'ai eu de nombreuses occasions de célébrer des remariages de couples français et j'ai pu constater l'extrême facilité avec laquelle le nouveau conjoint adopte des enfants dont il n'est pas le père génétique.

Vous nous proposez maintenant le recours aux tests ADN uniquement pour la mère. Permettez-moi de souligner que, si cette disposition était retenue, nous serions confrontés à un vide juridique.

Par exemple, M. X, dont les enfants se trouvent en Afrique subsaharienne, souhaite effectuer un regroupement familial. Je prends le cas simple d'une famille monogame, en plus...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En plus !

M. Jacques Mahéas. Eh oui, je ne complique pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dit-il !

M. Jacques Mahéas. Cette personne effectue les démarches nécessaires, mais la mère de ses enfants décède. Devenu veuf, que peut-il faire ? Quelle possibilité lui donnons-nous ? C'est un cas douloureux, vous le comprenez bien ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. Et le temps de parole ?

M. Jacques Mahéas. Ces enfants n'auront plus de famille du tout ! Vous ne pouvez pas évacuer ces questions d'un revers de main ! D'autant que de tels cas seront peut-être plus nombreux que les demandes de test ADN !

M. Jean-Pierre Raffarin. On verra bien !

M. Jacques Mahéas. On en a connus ! Vous allez donc laisser ces enfants sans famille !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non ! Il y a l'adoption !

M. Jacques Mahéas. Dites-moi alors où figure, dans le texte qui nous est soumis, cette possibilité de regroupement familial ? (M. le secrétaire d'État proteste.)

Présentez donc un sous-amendement ! Agissez pour remédier au moins à ce vide juridique !

J'ajoute que la génétique ne fonde pas un lien familial.

M. Jean-Pierre Raffarin. On est d'accord là-dessus !

M. Jacques Mahéas. Dans ce cas, trouvez la solution ! Trouvons-la, par exemple, pour ce veuf ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Cela vous paraît très facile, parce que vous n'avez jamais eu à connaître de tels cas ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Moi qui suis un élu de terrain,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous aussi !

M. Charles Revet. Nous le sommes aussi : il n'y a pas que la Seine-Saint-Denis en France !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cela, c'est vrai !

Mme Catherine Procaccia. On est au cinéma !

M. Jacques Mahéas. ...je sais qu'ils existent ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

À part des bruissements et des exclamations, je n'entends aucun d'entre vous répondre correctement à ma question !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mais si !

M. Jacques Mahéas. Peut-être M. le ministre le fera-t-il ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Non !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. À question idiote, pas de réponse !

M. Jacques Mahéas. Peut-être sa réponse satisfera-t-elle tout le monde ?

Quoi qu'il en soit, je considère que les gens de gauche et les républicains ne peuvent voter ce texte peu glorieux pour le pays des droits de l'homme ! Je vous le dis : « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. J'ai écouté tous les orateurs avec intérêt et, au terme de ce débat, vous comprendrez, bien sûr, que mon vote sera négatif.

M. Charles Revet. On s'en doutait un peu !

M. Bernard Frimat. Vous voulez intervenir, mon cher collègue ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Si, intervenez donc !

M. Bernard Frimat. Nous sommes en présence d'un texte et d'un contexte.

M. Jean-Claude Carle. Sans parler des prétextes !

M. Bernard Frimat. Nous ne pouvons voter cet amendement ce soir sans avoir conscience de l'accueil qui peut lui être réservé par nos amis, par vos amis africains.

Avec les moyens de communication modernes dont nous disposons, vous avez eu connaissance, comme moi, de dépêches faisant état des déclarations du président de l'Union africaine, M. Alpha Oumar Konaré, et du président du Sénégal, M. Abdulaye Wade.

Le premier indique : « Ces tests ADN sont inconcevables. En toute chose, il y a une limite, sinon c'est le désordre, l'inacceptable. »

Le président Wade, quant à lui, sans doute plus proche de vous que de nous, déclare, en substance, qu'il vaut mieux que les Français disent : « Vous ne rentrez pas chez nous ; nous sommes souverains » et qu'on n'en parle plus ! Il ajoute « Maintenant, c'est l'ADN, mais à quel test va-t-on encore nous soumettre, pour savoir si les chromosomes de nos arrière-grands-pères comportaient je ne sais quoi ? »

En vous relatant ces propos, je ne prétends pas vous convaincre, car vous avez fait votre choix. Je ne vous fais pas de procès d'intention ! Nous intervenons en conscience. Mais ne feignons pas de croire que ce qui sera décidé n'aura pas de conséquences.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez été le premier orateur à vous exprimer sur l'amendement du président de la commission, Jean-Jacques Hyest, puisque vous l'avez commenté à la tribune avant même qu'il ait été présenté au Sénat. Vous en avez apprécié tous les détails, exerçant une sorte une paternité adoptive, ce qui ne nous choque pas, puisque nous ne sommes pas pour une filiation biologique ! (Sourires.)

Vous êtes comblé par cet amendement que vous avez appelé de vos voeux, alors que vous aviez accepté celui de M. Mariani, à l'Assemblée nationale.

Le but réel de ce projet de loi étant de faire obstacle au regroupement familial - celui des étrangers à l'article 1er, celui des étrangers mariés à des Français à l'article 2 -, vous avez réussi à ajouter l'article 5 bis, destiné non pas à faciliter la vie familiale des étrangers qui sont en situation régulière dans notre pays, mais à agiter le spectre de l'immigration clandestine, votre fonds de commerce. C'est un point de vue que nous ne pouvons partager avec vous !

Voilà pourquoi cet amendement, bien que meilleur que celui qui a été adopté à l'Assemblée nationale, reste détestable, comme l'ensemble du projet de loi, et contraire à nos convictions. Nous ne le voterons donc pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Frimat, je retiens de vos propos le qualificatif de « meilleur » concernant l'amendement du président Jean-Jacques Hyest.

Pour la clarté des débats, permettez-moi de préciser que, s'agissant des dépêches que vous avez évoquées, le commentaire du président du Sénégal, M. Wade, s'appliquait à l'amendement qui a été voté à l'Assemblée nationale. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

L'ambassadeur du Sénégal ayant eu connaissance, par mon intermédiaire - je l'ai appelé -, de la proposition du président de la commission des lois, il m'a indiqué que, dès lors que les citoyens français et les étrangers faisaient l'objet d'un traitement similaire, la rédaction proposée ne soulevait pas d'objection de sa part. Je regrette que vous n'ayez pas vu la deuxième dépêche qui est tombée sur ce sujet. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. Je n'aurais certainement pas voté l'amendement Mariani, inique et insupportable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes nombreux dans ce cas-là !

M. Alain Milon. En revanche, celui qui est proposé par le président Hyest me semble acceptable.

Toutefois, je reste inquiet quant au sort de cette disposition lors de la commission mixte paritaire. Monsieur le ministre, vous engagez-vous à y défendre la position du Sénat ?

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Je ne pensais plus intervenir après les propos tenus, avec éloquence, par Jacques Mahéas et Bernard Frimat, qui ont fait entendre les sentiments de ceux auxquels va s'appliquer la disposition, car c'était là l'essentiel.

Il fallait, en effet, que nous mesurions ce que ressentiront nos amis africains en France, demandeurs de regroupement familial, et il était important de rappeler les propos de chefs d'État africains.

Ne nous leurrons pas, cette disposition ne sera pas perçue comme une faveur ou une preuve d'amitié à l'égard des populations africaines !

Je ne serais pas revenu sur ce point, si M. le ministre n'avait pas précisé que, après la réaction du président Wade -que, par parenthèse, je connais fort bien, puisque c'est un camarade d'agrégation ! -, l'amendement présenté par la commission visant à mettre sur le même plan Français et étrangers avait satisfait nos amis sénégalais.

Or, je me dois de rappeler que Français et étrangers ne sont pas mis sur le même plan ! Le droit français exclut le recours à l'ADN en matière d'établissement de filiation, sauf dans le cas où il s'inscrit dans un domaine très précis que nous connaissons tous, à savoir la contestation ou la recherche de paternité, dans le cadre d'un conflit familial.

En l'occurrence, vous introduisez le test ADN à des fins de police de l'immigration, de police des étrangers, ce qui n'est plus la même chose !

M. Robert Badinter. Il s'agit non pas d'un conflit familial entre Mme X et M. Y à propos de l'enfant, mais de la nécessité de prouver que vous êtes bien le fils ou la fille de votre mère et de votre père.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Robert Badinter. Vous faites de la discrimination. La réaction des étrangers sera de dire : « On utilise à notre égard ce que l'on ne peut utiliser contre les Français. »

Ce que nous faisons là est une erreur !

M. le ministre a expliqué à quel point le texte que M. Hyest a présenté est préférable au texte initial. Je m'étonne qu'il ait fallu attendre l'arrivée du projet de loi au Sénat pour se rendre compte de ces évidences, et je me réjouis que la Haute Assemblée les ai découvertes !

Cependant, il demeure que notre nation, notre pays, notre État, nous-mêmes, ne tirerons aucun bénéfice de ce texte par rapport au regroupement familial et à son retentissement en Afrique et dans d'autres pays. Le résultat sera totalement négatif ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je veux retenir un point positif dans notre débat.

Entre l'amendement Mariani, qui a été défendu à l'Assemblée nationale, approuvé par le ministre et voté, et les arguments qui ont été développés au Sénat en faveur de votre amendement, monsieur Hyest, - notamment le fait que la disposition Mariani était contraire à l'éthique, qu'elle devait être encadrée juridiquement et banalisée pour établir une règle d'égalité entre les Français et les étrangers -, je me dis qu'il est heureux que des députés de l'opposition se soient battus au palais Bourbon, que le débat soit arrivé dans la société et qu'il ait été relayé par le Sénat.

Il ne faudrait pas que, en fin de compte, M. le ministre nous fasse passer pour de mauvais coucheurs et qu'il prétende avoir toujours défendu l'idée selon laquelle ces tests génétiques devaient être gratuits et ordonnés par la justice au terme d'une procédure contradictoire.

Ensuite, monsieur Hyest, dès lors que les tests génétiques sont encadrés de la sorte, pourquoi ne pas simplement inscrire dans la loi que ce sont les règles du code civil français en matière de recherches en filiation qui s'appliqueront aux enfants mineurs dans le cadre du regroupement familial ? Si tel était le cas, il ne serait plus fait référence aux tests ADN, référence qui a provoqué tant de remous dans l'opinion.

Si j'en crois les propos que vous avez tenus, monsieur le ministre, cette mention se suffirait à elle-même. On réparerait ainsi les dégâts qui ont été commis dans nos banlieues et à l'étranger, et on sortirait par le haut de ce débat, de surcroît par un vote unanime. Or, plutôt que d'adopter cette attitude, vous donnez l'impression de ne chercher qu'à sauver la face. La référence aux tests génétiques, qui a suscité tant d'émotion, ne disparaît pas du projet, même si sont modifiées les conditions dans lesquelles il peut y être recouru.

En réalité, vous persistez dans votre démarche. Voulons-nous continuer à adresser ce signe négatif et restrictif, ce signe que la France se « bunckerise » par tous les moyens, y compris les tests ADN, ou voulons-nous au contraire, unanimement, lever un malentendu et toute mauvaise interprétation ? C'est cette question que nous trancherons tout à l'heure par notre vote.

Pour votre part, vous persistez dans ce premier choix. Pour notre part, comme l'a expliqué Bernard Frimat, nous ne pouvons nous prêter à cette opération. En dépit de vos manoeuvres de diversion, vous verrez que l'émotion restera intacte.

Plusieurs voix sur les travées de l'UMP. On verra !

M. Henri de Raincourt. Quel donneur de leçons !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Contrairement à ce que vos propos donneraient à penser, en fait, vous avez très bien compris, mon cher collègue, l'objet de mon amendement.

M. Jacques Mahéas. Il a pour but de sauver l'UMP !

M. Jean-Jacques Hyest. Occupez-vous donc du parti socialiste ! Il y a beaucoup plus de travail ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Assouline, j'ai dit qu'il fallait adapter le code civil, et ce pour deux raisons.

D'une part, le deuxième alinéa de son article 16-11 dispose que l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par un juge, et non sur la base du seul volontariat.

M. David Assouline. En cas de conflit !

M. Jean-Jacques Hyest. Quant à nous, nous souhaitons nous en tenir à cette seule base du volontariat. On n' »exige » pas un test génétique !

D'autre part, dans le cas d'espèce qui nous intéresse, les tests seraient ordonnés par le tribunal de grande instance de Nantes.

Il nous paraissait très important de rappeler, comme l'a fait Pierre Fauchon, que le test génétique, quand bien même il serait volontaire, devient inutile dès lors que peut être prouvée la possession d'état.

M. David Assouline. C'est ce que dit le code civil !

M. Jean-Jacques Hyest. Bien entendu, mais il faut qu'un faisceau de preuves attestent cette possession d'état. Si cela est impossible, la loi autorise alors de recourir aux tests génétiques.

Mon amendement est très différent de celui de M. Mariani. Les membres de la commission des lois savent tous que je ne l'aurais jamais voté, d'une part, parce qu'il était largement contestable au plan juridique, d'autre part, parce qu'il n'était pas pertinent, enfin, parce qu'il pouvait laisser accroire qu'il avait pour objet d'empêcher le regroupement familial.

M. Jacques Mahéas. C'est bien ce que je disais !

M. Jean-Jacques Hyest. Je dis bien qu'il pouvait laisser accroire. Je n'ai jamais fait de procès d'intention !

Parce qu'il nous semblait maladroit, nous avons simplement tenté de lui redonner un sens et de le rendre pertinent. J'en suis plutôt fier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Le fond de l'amendement de M. Mariani, en dépit des quelques conditions que le Gouvernement a mises à son adoption et malgré les nombreux amendements qui ont été déposés au Sénat, demeure difficilement inacceptable pour nous.

Ses défenseurs présentent le recours aux tests ADN comme une liberté qui serait offerte aux étrangers désireux d'aller plus vite, comme un outil supplémentaire, moderne et simple d'utilisation, de surcroît utilisé par de nombre de nos voisins.

Mais ce n'est parce que certains pays y ont recours que nous devons faire de même.

Ce n'est pas parce qu'elle est simple et moderne que nous devons adopter cette mesure, quand bien même elle ne viserait plus que les seules mères, et non plus les pères pour éviter les tragédies que nous avons évoquées.

Enfin, ce n'est pas parce que c'est une faculté qui sera expérimentée pendant deux ans que nous devons nous abstenir d'en examiner les incidences.

De fait, on ne sait plus très bien maintenant, compte tenu de tous les amendements qui ont été déposés tendant à le complexifier, si le dispositif tel qu'il sera voté par la Haute Assemblée ce soir répondra encore à l'objectif qui était initialement visé.

Surtout, il faut en revenir à l'essentiel, c'est-à-dire aux principes. À mon sens, cet amendement ne change rien au fond de l'affaire : les tests ADN, s'ils sont maintenus, modifieront profondément la conception que nous nous faisons de la famille.

À l'instar de M. Portelli, de M. Mercier ou de M. Badinter, au-delà de nos divergences d'appréciation, au-delà, éventuellement, de nos différences partisanes, nous avons tous réaffirmé notre attachement à une conception plus large, plus humaine et plus respectueuse des liens affectifs qui se tissent entre les êtres.

En droit français, la filiation n'est pas biologique ; elle est fondée sur la reconnaissance. Or cette mesure, même encadrée juridiquement, remet en cause notre conception de la famille et crée une discrimination entre les familles françaises et les familles étrangères.

La brèche ainsi ouverte par voie d'amendement dans un projet de loi sur l'immigration, sans que notamment le Comité consultatif national d'éthique ait été consulté, est contraire à la lettre et à l'esprit de notre droit.

Aussi, au nom d'une certaine idée que je me fais non seulement de la République, mais aussi de l'enfant, qui pour moi ne saurait se résumer à un génome, je suis, à l'image de nombre de mes collègues, hostile à cette mesure dans son principe. Par conséquent, nous nous abstiendrons sur cet amendement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. M. Gérard Delfau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, alors même que le projet de loi initial ne contenait aucune disposition relative aux tests génétiques, vous vous êtes empressé de soutenir l'amendement de M. Mariani. Vous vous justifiez maintenant en prétendant que ce test génétique n'aurait pour seul objet que de permettre à des personnes qui ne pourraient le faire par la production de documents d'état civil de prouver le lien de filiation qui les unit aux enfants qu'elles veulent faire venir en France.

On a peine à le croire. Il est difficile d'imaginer que tel était l'objectif de M. Mariani. Si l'on s'en tient au fond de ce projet de loi et au contexte dans lequel il est examiné, il est légitime de penser qu'il s'agit encore une fois de restreindre le regroupement familial et de limiter la venue d'enfants étrangers sur le territoire français.

C'est étonnant dans la mesure où le regroupement familial ne concerne chaque année qu'entre 6 000 et 8 000 enfants, chiffre assez dérisoire - je ne parle pas de ceux qui n'ont pas de papiers d'état civil en règle.

La commission des lois du Sénat s'est opposée au principe même qui voulait qu'un texte relatif à l'immigration, à l'intégration et à l'asile fasse référence à la génétique, prenant ainsi le contre-pied de l'amendement Mariani, soutenu par vous-même, monsieur le ministre.

Or, en dépit de toutes les fioritures qui l'enrobent, tout le monde aura évidemment compris que l'amendement de M. Hyest n'a d'autre objet que de permettre à vous-même, monsieur le ministre, au Président de la République, qui l'a approuvé, et, enfin, aux députés de la majorité, qui l'ont voté, de ne pas se déjuger.

Certes, l'amendement que propose Jean-Jacques Hyest modifie substantiellement les termes de l'amendement Mariani,...

M. Jean-Jacques Hyest. C'est exact !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...mais il ne change absolument rien à son principe.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À considérer non seulement le contexte dans lequel ce projet de loi est examiné, mais encore l'ensemble des dispositions qu'il contient- l'amendement Mariani ayant focalisé l'attention, elles sont hélas ! passées quelque peu inaperçues, ce qui était peut-être le but recherché -, il est à craindre que la génétique, compte tenu de l'utilisation qui en sera probablement faite, ne soit surdéterminante pour restreindre le droit des enfants à entrer sur le territoire national.

Prouver sa filiation par la génétique évoque pour certains dans ce pays - peut-être pas pour tout le monde - des souvenirs très douloureux et très pénibles. Dans le doute, abstiens-toi ! Pour cette raison, ainsi qu'en avait décidé majoritairement la commission des lois, il faut absolument refuser d'introduire toute référence à la génétique dans ce projet de loi.

Aussi, nous voterons évidemment contre l'amendement Hyest. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.

M. Louis Mermaz. « Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire. » Cette sentence valant aussi pour l'éloquence, je serai bref. (Sourires.)

On parle beaucoup des droits du Parlement. Ce soir, chacun est face à sa conscience, chacun est libre de son vote.

Les droits du Parlement consistent parfois à savoir dire non au Gouvernement. Or, de tout temps, quelles que soient les majorités en place, les gouvernements ont généralement presque toujours obtenu d'elles ce qu'ils voulaient. Je parle en historien d'une période récente. Pour notre part, nous n'étions pas forcément meilleurs que vous lorsque nous détenions la majorité !

Au fond, il y a fort longtemps que nous sommes dans un régime de type plus ou moins consulaire. Se dirige-t-on aujourd'hui carrément vers un pouvoir à caractère personnel ? On verra si ce risque est avéré.

Quant à moi, je considère que l'amendement Mariani, dont presque personne n'a voulu ici, a été « habillé » par MM. Hyest, Fauchon et bien d'autres !

M. Jean-Jacques Hyest. Je ne vous permets pas !