M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. David Assouline. Peut-on considérer comme anecdotique, dans notre République, que le chef de l’État affirme, devant des journalistes, rêver d’ « en finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l’action gouvernementale » ?

Notre démocratie peut-elle encore accepter le fait du prince, qui met en danger la pérennité de la télévision publique pour permettre un accroissement des recettes publicitaires des chaînes privées, qui tend à autoriser les télévisions privées, sous leur pression, à diffuser une deuxième coupure publicitaire pendant les films, ou bien encore qui remet en cause le seuil anti-concentration dans l’actionnariat des chaînes numériques terrestres ?

Notre démocratie peut-elle fermer les yeux sur les amitiés « utiles » qu’entretient le chef de l’État avec les patrons de groupes détenant entreprises de presse et chaînes de radio et de télévision lorsque, plus grave encore, ces mêmes groupes tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques ?

Ainsi Arnaud Lagardère possède-t-il Europe 1, Paris Match, Le Journal du dimanche, tout en demeurant un actionnaire « stratégique » d’EADS au côté de l’État.

Le groupe Dassault, pour sa part, ne fabrique pas que le Rafale : il édite aussi Le Figaro et Le Journal des finances.

Quant à Martin Bouygues, actionnaire principal du groupe TF1, il est toujours à la tête du puissant groupe de BTP qui porte son nom, ce qui le conduit à être partie à de nombreux marchés publics.

Enfin, Vincent Bolloré a récemment diversifié ses activités dans les médias, avec Direct 8, Direct Soir, Matin Plus, mais aussi avec la Société française de production, achetée à l’État, il y a quelques années, à des conditions particulièrement avantageuses et qui consacre une partie significative de son activité à des commandes du groupe France Télévisions.

Pour terminer le tour d’horizon de ces « liaisons dangereuses », je citerai encore le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, qui est désormais propriétaire des Échos, au terme d’une longue bataille avec la rédaction du quotidien économique et avec l’appui direct du Président de la République.

Cette concentration de nombre de titres de la presse d’information ainsi que d’importantes chaînes de radio et de télévision entre les mains de puissants groupes industriels et de services – dont les patrons sont quasiment tous des « proches » du Président de la République et qui, pour la plupart, tirent une bonne part de leurs recettes des commandes publiques – est à la fois préoccupante et unique au monde.

Dans ce contexte, l’inquiétude de nombre de rédactions, aux Échos, à Europe 1, au Figaro ou à TF1, est proportionnelle à la gravité des pressions exercées sur elles, souvent en relation directe avec le pouvoir d’État, par les propriétaires de leur titre ou de leur station. Et je passe sur le récent remaniement intervenu à la tête de l’information et du journal télévisé du principal média audiovisuel de notre pays, ainsi que sur les interrogations qu’il soulève ...

M. Philippe Marini. On est loin de la Constitution !

M. Christian Cointat. Qu’est-ce que cela vient faire dans ce débat ?

M. David Assouline. Ces faits sont connus de tous : ils sont symptomatiques de pratiques fondamentalement antidémocratiques, mettant en cause l’indépendance et le pluralisme des médias.

Faut-il rappeler que le pluralisme est reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle, sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Louis Carrère. Continue, tu les énerves !

M. David Assouline. On ne peut donc que s’étonner du silence assourdissant du projet de loi constitutionnelle sur ce sujet, et ce d’autant plus que le comité Balladur avait jugé nécessaire, dans sa proposition n° 77, de prévoir dans la Constitution une disposition créant un organisme chargé de veiller à la protection du pluralisme.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Et la proposition n° 78 ? (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. Cette protection est d’autant plus urgente que l’expression politique sur les antennes de radio et de télévision est, depuis l’élection présidentielle, littéralement envahie par la parole du chef de l’État, et ce en dehors de tout contrôle.

Là encore, le comité Balladur avait conclu que l’état actuel du droit, qui résulte d’une recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel, n’était plus satisfaisant et exigeait une inflexion de l’application de la règle dite des trois tiers ou, à défaut, une modification de la loi du 30 septembre 1986. Pourtant, la majorité ne semble prête ni à l’une ni à l’autre. C’est pourquoi nous proposerons des amendements tendant à faire de la prise en compte du temps d’expression présidentielle sur les antennes de radio et de télévision une obligation constitutionnelle. (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement sourit.)

Dans le même temps, nous espérons convaincre la majorité sénatoriale – sur la sagesse de laquelle nous comptons, tout en regrettant son inamovibilité – de la nécessité de graver dans le marbre de notre loi fondamentale le principe d’indépendance des médias, qui doit être garanti par l’interdiction faite aux groupes dont une part substantielle du chiffre d’affaires est assurée par des commandes publiques de participer au capital d’entreprises audiovisuelles ou de presse.

Mes chers collègues, les rédactions et les journalistes de France attendent de la représentation nationale la protection constitutionnelle à laquelle ils ont droit dans une République démocratique. Ne les abandonnons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aurais pu vous dire : l’Assemblée nationale s’étant prononcée, pour sa part, sur ce texte, la courtoisie parlementaire et républicaine veut que nous ne touchions pas à la rédaction issue de ses travaux. Pourtant, en tant que défenseur du projet d’institution de députés des Français de l’étranger et ayant soutenu les propositions du Président de la République en ce domaine, je me devais de prendre la parole pour évoquer ce sujet, d’autant que l’un de mes collègues l’a fait déjà fait avant moi ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est du marquage à la culotte ! (Nouveaux sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Robert del Picchia. Je dois prendre mes responsabilités, m’expliquer devant vous, mes chers collègues, et tenter de répondre aux questions que vous êtes en droit de vous poser.

Je siège au Sénat depuis 1998 et il me semble que, pour les Français de l’étranger, cette intervention est l’une des plus importantes de mon mandat.

« Les Français établis hors de France sont représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat » : le sixième alinéa de l’article 9 du projet de loi constitutionnelle résume, en quatre mots, soixante-deux ans d’attente ! Rendez-vous compte, mes chers collègues, de ce que cela signifie : des députés élus par les Français de l’étranger ! Un relais, dans l’autre chambre du Parlement, pour faire entendre une voix qui doit parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres ! Un Parlement plus représentatif, plus proche des préoccupations de ceux qui sont loin !

Je sais les réticences, voire le désaccord de certains d’entre vous : le deuxième « bonus constitutionnel » du Sénat, maison des Français de l’étranger, disparaîtrait avec ce texte. Pourtant, j’espère pouvoir vous convaincre de la nécessité d’une avancée réclamée par tous nos compatriotes, ou presque, et par leurs représentants à l’Assemblée des Français de l’étranger, cette assemblée d’élus locaux au suffrage universel direct qui représente 2,2 millions de Français expatriés et qui a adopté ce projet à l’unanimité, moins neuf abstentions.

Mais permettez-moi de passer en revue les principales objections que j’ai pu entendre depuis quelques mois, et de tenter d’y répondre.

Une première interrogation revient souvent : pourquoi les Français de l’étranger devraient-ils élire des députés ?

La véritable question est en fait celle-ci : pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ? Les Français de l’étranger sont les seuls citoyens à élire des représentants dans une seule chambre du Parlement. Pourquoi ce déni de représentation ?

Lorsque la proposition de représenter les Français établis hors de France s’impose, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en reconnaissance de leur rôle dans la Résistance, elle se heurte à l’impossibilité matérielle d’organiser des élections en territoire étranger. Les relations internationales sont en effet délicates au sortir du conflit mondial, notamment avec l’Est et les anciennes colonies.

Il faut bien comprendre que seules ces considérations matérielles empêchent la création de députés, aussi bien en 1946 qu’en 1958. Le scrutin au suffrage universel indirect s’impose alors comme la seule solution. Et c’est donc au Sénat, alors Conseil de la République, que les Français établis hors de France obtiennent huit représentants.

Mais le suffrage universel direct existe depuis 1976 pour nos compatriotes vivant à l’étranger. En effet, à cette date, la loi organique a autorisé l’organisation de l’élection du Président de la République et des scrutins référendaires dans les centres de vote ouverts à l’étranger. Les Français établis hors de France ont également pu voter dans les consulats pour élire les députés français au Parlement européen en 1979.

La dernière grande étape d’expansion du suffrage aura été la loi de 1982, qui institue l’élection des membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger, le CSFE – devenu depuis l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE –, au suffrage universel direct. La conséquence immédiate de ce nouveau mode de scrutin est que le CSFE devient, en 1983, le collège électoral à part entière des douze sénateurs des Français établis hors de France.

Aujourd’hui, les Français de l’étranger votent dans les 580 centres de vote ouverts à l’étranger. L’impossibilité matérielle d’organiser des scrutins au suffrage universel direct en territoire étranger a disparu.

L’obstacle étant levé, il nous faut franchir la dernière étape.

Accorder une représentation à l’Assemblée nationale aux Français établis hors de France, c’est énoncer une double affirmation : celle de l’appartenance des Français de l’étranger à la communauté nationale et celle du besoin que nous avons d’une présence française à l’étranger forte, mobile et attachée à son pays d’origine.

Deuxième objection fréquemment formulée : les Français établis hors de France sont déjà très bien représentés.

M. Christian Cointat. C’est vrai ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. C’est effectivement vrai, et la « représentation unijambiste » des Français établis hors de France, dont l’un de mes collègues parlait tout à l’heure, a permis d’avancer, souvent lentement, mais d’avancer quand même.

Est-ce à dire qu’il faut refuser la seconde jambe si l’on nous propose une greffe ? (Nouveaux sourires.)

Mes chers collègues, étant élus de territoires où les échelons électifs se superposent, vous n’imaginez pas combien il est difficile de n’être représenté que dans une seule assemblée. Être absent d’une chambre, c’est être souvent méconnu, parfois réduit à l’état de caricature, c’est entendre, impuissant et frustré, les approximations et contrevérités proférées par des orateurs insouciants à des tribunes auxquelles on n’a pas accès.

Bref, les Français établis hors de France ne veulent pas, si j’ose dire, rester bancals.

J’aborde à présent un troisième point : l’Assemblée des Français de l’étranger va disparaître.

L’actuel article 39 de la Constitution dispose, dans sa dernière phrase, que « les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat ».

L’Assemblée nationale a considéré que cette partie de l’article 39 devait, en tant que « dommage collatéral » de la création des députés représentant les Français de l’étranger, être supprimée. On peut y voir un risque de disparition de la fameuse « instance représentative », à savoir l’Assemblée des Français de l’étranger.

Ce serait peut-être aller un peu vite ! Voté en 2003, soit cinquante-cinq ans après la création du CSFE, l’alinéa constitutionnel qui avait été proposé par notre collègue Christian Cointat institue seulement une prévalence du Sénat pour les Français de l’étranger.

La prévalence du Sénat a été la consécration de son propre rôle de « maison des Français de l’étranger », pas de celui de l’Assemblée des Français de l’étranger. En aucun cas, celle-ci n’a attendu cette priorité de la Haute Assemblée pour exister. L’Assemblée des Français de l’étranger n’était pas inscrite dans la Constitution et ne le sera pas plus demain. Soit !

Dès lors, pour apaiser les inquiétudes, il suffirait d’ajouter, à l’article 34, par exemple, un alinéa aux termes duquel il serait indiqué que la représentation élective des Français de l’étranger est assurée au sein des assemblées parlementaires et de l’Assemblée des Français de l’étranger. C’est vraisemblablement ce que nous allons faire, si M. le rapporteur le veut bien et si mes collègues adoptent ces propositions.

Mes chers collègues, la défense du Sénat et de ses prérogatives préoccupe nombre d’entre vous. Pourtant, il ne tient qu’à nous, sénateurs des Français de l’étranger, de garder l’avantage.

La prévalence du Sénat ne concernait que les projets de loi, que nous pourrons toujours modifier. À nous l’initiative des propositions ! Chacun sait que, de toute façon, la grande majorité des propositions de loi adoptées en la matière sont d’origine sénatoriale, et c’est tout à notre honneur.

Notre prévalence sera, à l’avenir, le fait de notre expertise, héritée de notre histoire, et d’une intimité avec les problématiques propres à nos compatriotes résidant à l’étranger, non d’une ligne dans la Constitution.

On ne nous enlève rien, finalement, on ne fait qu’ajouter ailleurs.

Aurions-nous si peur de la concurrence ? Je ne le pense pas, non plus que mes collègues représentant les Français établis hors de France.

On nous dit aussi que le nombre de sénateurs représentant les Français établis hors de France va être réduit.

Je rappelle les propos du Président de la République, qui a été très clair sur ce sujet : il y aura des députés et toujours des sénateurs. De six, ces derniers sont passés à douze en 1983, pour compenser, certes, l’absence de représentation à l’Assemblée nationale. Toutefois, depuis 1983, le nombre de Français résidant à l’étranger a plus que doublé, pour devenir le septième « département » en ordre d’importance électorale. Le nombre de douze sénateurs semble donc tout à fait approprié.

Enfin, on objecte que les circonscriptions seront trop grandes et que cela coûtera trop cher de permettre à certains députés des Français de l’étranger d’aller voir leurs électeurs ; l’argument a souvent été avancé à l’Assemblée nationale. Je réponds que mes onze collègues et moi-même sommes élus dans le cadre d’une circonscription qui s’étend au monde entier. Celle des députés sera beaucoup plus petite.

Au demeurant, à notre époque, un élu ne se rend plus sous les préaux des écoles : nous dialoguons avec les Français de l’étranger sur Internet, et cela fonctionne beaucoup mieux ! Les députés feront comme nous !

Nos collègues députés s’interrogent : combien seront-ils à être élus ? On le sait : douze. Comment seront-ils élus ? C’est là une question que nous nous poserons plus tard. Pour l’instant, l’objectif est que le présent projet soit adopté. Nous étudierons plus tard les modalités du découpage et du vote. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Rien n’est décidé à cet égard. Il reviendra à chacun de voter pour ce texte s’il lui convient ou de voter contre s’il ne lui convient pas !

Nous avons aujourd’hui l’occasion de remédier au caractère bancal de la représentation des Français de l’étranger, c'est-à-dire de leur donner l’opportunité d’être pleinement Français, et pas seulement des Français à l’étranger. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Je pensais vous poser la question suivante, madame la garde des sceaux : quel pays a révisé vingt-trois fois le texte fondateur de sa République en cinquante ans ? Mais la réponse a été donnée au moins dix fois depuis l’ouverture de ce débat, soulignant un fait qui n’est pas anodin.

Dès lors, on est fondé à s’interroger : notre Constitution est-elle si peu adaptée à l’évolution de notre société qu’il faille en réécrire régulièrement des passages significatifs ?

Au travers des trente-cinq articles de ce projet de loi constitutionnelle, il nous est proposé de retoucher un nombre équivalent d’articles de notre Constitution. Ce n’est pas un simple ajustement, c’est une véritable réorientation, positive, de l’équilibre du texte sur trois points majeurs : l’exécutif, le législatif, le droit des citoyens.

Nous irons donc à Versailles le 21 juillet, afin que vous posiez votre sceau sur une nouvelle écriture d’une Constitution qui devrait probablement, si le rythme observé jusqu’à présent est respecté, être revue et corrigée dans moins de deux ans... Je ne le souhaite pas, et je sais que vous ne le souhaitez pas non plus.

Puis-je me permettre de proposer que nous glissions dans notre Constitution un article précisant que l’on ne peut la modifier au maximum qu’une seule fois par quinquennat ? (Sourires.) Cela doit être envisageable puisque nous allons décider de mettre des limites à l’utilisation de l’article 49-3.

L’une des volontés affichées par le Président de la République lors de sa campagne était d’avoir la possibilité de s’exprimer devant chacune des assemblées parlementaires. Ce droit me paraît légitime et conforme aux usages internationaux. Selon un sondage fait en novembre, à l’issue des travaux du comité Balladur, 81 % des Français sont favorables à ce droit d’expression. Les modifications proposées à cet égard par l’Assemblée nationale me paraissent justifiées.

Le Président de la République avait pris un autre engagement fort : renforcer le pouvoir législatif.

Certaines propositions sont fort positives : plus de liberté dans la maîtrise de l’ordre du jour, plus de possibilités de contrôle et d’évaluation, une information plus transparente sur les grands sujets de politique de défense ; bref, une véritable revalorisation des fonctions.

Enfin, un troisième grand axe concerne les droits nouveaux donnés aux citoyens.

Dans le pays des droits de l’homme, il serait mal venu d’être critique sur ce point, même s’il y a eu une tendance, à l’Assemblée nationale, à traiter des problèmes spécifiques par le biais d’un texte général. Je pense au référendum sur le projet d’adhésion à l’Union européenne. Il nous faut revenir sur ce seuil de 5 % de la population européenne introduit, de manière particulièrement inopportune, comme l’a démontré Josselin de Rohan, par l’Assemblée nationale.

Au-delà de ces trois grandes orientations, je m’interroge sur l’introduction dans la Constitution de certaines précisions quant à l’organisation des travaux du Parlement.

Cette organisation ne relève-t-elle pas en grande partie du règlement de nos assemblées ? Les gouvernements n’ont-ils pas, de tout temps, fait preuve d’un certain manque de coopération, pour la fixation, par exemple, de l’ordre du jour ?

J’ai la très nette impression qu’il nous faut passer par une contrainte constitutionnelle pour compenser un certain manque de courage politique. (Marques d’approbation sur les travées de lUMP.)

À ce jour, nous ne nous sommes octroyé que des « niches ». Pour en sortir, il nous faut aller à Versailles. Qu’est-ce qui nous empêchait de trouver un accord pour donner plus d’espace à la maîtrise de l’ordre du jour ?

Je constate qu’il est finalement plus aisé de modifier la Constitution que le règlement des assemblées ! (Même mouvement sur les mêmes travées.)

Quelques points précis méritent d’être soulignés.

L’Assemblée nationale a fixé un nombre de députés : 577. Elle a défini le nombre des membres du comité économique et social et de l’environnement. Il me paraît que nous nous devons de fixer le nombre des sénateurs.

Le référendum sur le projet d’adhésion à l’Union européenne ne doit pas être lié à un pourcentage de population.

L’ajout précisant que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population » ne présente aucun intérêt, sauf à ce qu’il ne cache une volonté de changer la représentation du Sénat. Dans ce cas, je compte sur vous pour nous éclairer.

Il y a quatre ans, le Sénat a su se réformer. Il n’a pas besoin de pressions pour cela.

Dans l’article 11 du projet de loi, qui vise à modifier l’article 34 de la Constitution, apparaît une notion nouvelle : la loi qui « favorise », en l’occurrence « l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales ». Or, aux termes des deux premiers alinéas de cet article 34, la loi « fixe », et, aux termes des quatre suivants, « détermine ». Nous sommes là dans l’action et non dans l’incantation. En ajoutant donc que la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales », l’Assemblée nationale a modifié l’esprit, très précis, de cet article

Si cette notion nouvelle est jugée majeure, encore faudrait-il la placer au mieux au niveau d’une intention dans le préambule. Pour ma part, je suis très réservé.

L’imprécision de cet ajout est telle que toutes les interprétations seront possibles.

De même, fallait-il inscrire dans l’article 1er  de la Constitution que « les langues régionales appartiennent à son patrimoine. » ? J’y suis opposé. De plus, cet ajout est placé avant l’affirmation selon laquelle la langue de la République est le français.

À juste titre, nous regrettons de ne pas pouvoir avoir communication d’évaluations préalables relatives aux projets de loi qui nous sont présentés.

Pour la Constitution, il en est de même : sur les deux sujets précités, nous allons avoir une profusion de demandes qui ouvriront un boulevard à l’interprétation par le Conseil constitutionnel.

Je suis également surpris de constater que ne soit pas reconnu dans la Constitution le statut de l’élu en ce qu’il concourt au fonctionnement de notre pays.

M. Éric Doligé. L’amendement de Jean Puech est à ce titre fort intéressant.

Comme vous le voyez, madame la garde des sceaux, je m’interroge sur quelques points, mais je suis certain que vous saurez répondre à mes interrogations, afin que je puisse ainsi émettre un vote éclairé et positif. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me réjouis que le projet de loi constitutionnelle aujourd’hui soumis au Sénat nous offre l’occasion de mieux garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de responsabilité, conformément au souhait exprimé à plusieurs reprises par le Président de la République.

En effet, l’Assemblée nationale, en adoptant un amendement présenté par Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a introduit dans ce texte la disposition suivante : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette modification de la Constitution est aujourd’hui indispensable pour permettre au législateur d’adopter des dispositions en faveur d’une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les diverses fonctions de responsabilité.

À l’heure actuelle, en France, les femmes ne sont que très faiblement représentées dans les instances de décision des entreprises, du secteur public, des organisations syndicales et des associations.

Je ne citerai que quelques chiffres, qui parlent d’eux-mêmes : 7 % de femmes dans les conseils d’administration et conseils de surveillance des grandes entreprises cotées en bourse, 11 % de femmes au sein des équipes dirigeantes des grandes entreprises publiques, 16 % de femmes occupant des emplois de direction dans la fonction publique de l’État, 24 % de femmes dans les conseils de prud’hommes, 35 % de femmes élues au sein des comités d’entreprise – alors que, souvent, le personnel est très majoritairement féminin dans le tertiaire et, notamment, dans les services –, 31 % de femmes parmi les présidents d’association, alors qu’elles s’investissent énormément dans la vie associative.

Face à cette situation, le Parlement avait adopté, lors de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité salariale, en 2005-2006, des dispositions imposant le respect de proportions minimales de représentants de chaque sexe dans diverses instances : au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public, au sein des comités d’entreprise parmi les délégués du personnel, dans les listes de candidats aux conseils de prud’hommes et aux organismes paritaires de la fonction publique. Par exemple, pour les conseils d’administration, il était prévu de parvenir, dans un délai de cinq ans, à un minimum de 20 % de femmes.

Cependant, le Conseil constitutionnel, se fondant sur le respect du principe d’égalité de tous devant la loi, avait alors censuré d’office ces dispositions, alors qu’elles n’avaient d’ailleurs pas été contestées par les parlementaires qui l’avaient saisi. Conformément à sa jurisprudence antérieure, il a en effet considéré que la disposition relative à la parité introduite dans la Constitution en 1999 ne s’appliquait qu’aux élections à des mandats et fonctions politiques. Inutile de vous rappeler, mes chères collègues, à quel point nous avions, à l’époque, été déçues !

La révision constitutionnelle de 1999 a rendu possible l’adoption des lois de 2001 et 2007 relatives à la parité en politique, qui ont permis – il faut bien l’avouer – de réelles avancées pour les femmes au sein des assemblées élues et de leurs exécutifs, même s’il reste encore beaucoup à faire, notamment s’agissant de l’intercommunalité.

Le moment est donc maintenant venu de compléter la révision constitutionnelle de 1999, en élargissant la portée de la disposition favorisant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques et fonctions électives.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je me félicite du dépôt par la commission des lois d’un amendement, sur l’initiative, notamment, de M. Hyest, que je salue, tendant à inscrire à l’article 1er de la Constitution, parmi les grands principes de notre République, un principe général d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités, tant politiques que professionnelles ou sociales. Pour ma part, je ne partage pas les propos tenus par mon prédécesseur à cette tribune, M. Doligé : je préfère cent fois qu’un tel principe soit inscrit dans le marbre de la Constitution plutôt que dans son préambule.

Le Sénat s’honorerait bien sûr de voter cet amendement qui permettra, s’il est adopté, de franchir une nouvelle étape en faveur d’une égalité qui deviendra réalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)