M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier l’ensemble des orateurs. La majorité d’entre eux a manifesté la volonté d’être au rendez-vous de cette réforme, qui peut modifier en profondeur le fonctionnement de notre démocratie.

Beaucoup de choses ont été dites, et je tiens, avant tout, à saluer le travail effectué par la commission des lois, notamment par son président, M. Jean-Jacques Hyest.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce travail prolonge l’examen attentif auquel s’est livrée l’Assemblée nationale, qui a apporté des améliorations substantielles au texte du Gouvernement.

Je vois dans la qualité des travaux parlementaires, dans la richesse des débats qui sont les vôtres, une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la question constitutionnelle est posée depuis très longtemps, quasiment depuis les origines de notre Ve République puisque, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, la réforme la plus importante de la Constitution, l’élection du Président de la République au suffrage universel, est intervenue seulement quatre ans après l’adoption de notre loi fondamentale.

Je voudrais, après nombre d’entre vous, notamment M. de Rohan, saluer la lucidité et même la prescience du général de Gaulle, car il a su concevoir une Constitution qui s’est révélée à la fois durable et forte.

Chacun a sa sensibilité propre. MM. Baylet et Fauchon ont défendu avec conviction leur préférence pour un régime présidentiel. Je comprends leur logique, mais notre intention est claire depuis l’origine : évoluer dans le sens de la revalorisation du Parlement, qui est également une condition du changement plus profond que vous préconisez, mais sans remettre en cause les fondements de nos institutions.

Le Gouvernement est prêt à entendre tous les arguments et à évoluer sur certaines dispositions. Cependant, j’invite chacun au bon sens et à la responsabilité : aller beaucoup plus loin, ce serait ruiner l’équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l’ambition.

Madame Borvo Cohen-Seat, il faut en avoir conscience, bien souvent, la surenchère est synonyme d’immobilisme. C’est une posture facile et confortable.

Permettez-moi, monsieur Bel, de vous retourner votre invitation à faire preuve d’audace !

Je constate que, sur plusieurs points du projet, nous approchons d’un compromis, même si des ajustements, des précisions sont toujours possibles ou nécessaires.

Cela est vrai des pouvoirs nouveaux conférés au Parlement. Il faut « sortir du carcan du parlementarisme rationalisé », a souligné M. Mercier. Le partage de l’ordre du jour, l’examen du texte de la commission en séance publique, innovation chère au doyen Gélard, l’accroissement des délais d’examen des textes sont autant de mesures qui modifieront en profondeur nos méthodes de travail ; du reste, le président About ne s’y est pas trompé. Le renforcement de la mission d’évaluation et de contrôle, souligné par le président de Raincourt, correspond également à une modernisation nécessaire du rôle du Parlement.

Ces réformes imposeront au Gouvernement d’associer le Parlement à ses projets encore plus en amont. Notre volonté réformatrice en sortira confortée.

Un Parlement aux pouvoirs renforcés est le gage d’un État qui rend des comptes et, donc, d’un État plus efficace, mieux géré, et d’une démocratie irréprochable.

Nous approchons également d’un compromis concernant l’encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République, lequel sera assorti d’un contrôle parlementaire, au travers d’un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes. Les modalités selon lesquelles cet avis sera rendu méritent sans doute d’être précisées ultérieurement, comme l’a souligné à juste titre le président Hyest.

L’encadrement des opérations extérieures est un autre élément majeur de la revalorisation du Parlement. L’examen attentif auquel s’est livrée la commission des affaires étrangères nous permettra d’ailleurs d’apporter des précisions utiles sur la façon dont s’exercera ce contrôle et, notamment, sur la manière dont les délais seront calculés. M. de Rohan a bien souligné les enjeux de cette mesure : il s’agit de concilier l’information indispensable du Parlement et la sécurité de nos forces armées.

Un consensus se dessine par ailleurs autour de plusieurs dispositions du projet renforçant les pouvoirs des citoyens, comme l’a rappelé M. Alfonsi. Je tiens d’ailleurs à remercier le président Hyest de sa contribution sur ces aspects du projet de loi constitutionnelle. Je pense plus particulièrement aux précisions apportées concernant le périmètre d’intervention et les pouvoirs du Défenseur des droits des citoyens, qui constitue l’une des innovations majeures de ce texte.

Je pense également à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Sur ce dernier point, le Gouvernement sera ouvert aux préoccupations que vous avez exprimées quant à la composition des formations siégeant en formation disciplinaire. Il conviendra aussi de veiller, comme nous y invite le président Haenel, à la légitimité de cet organisme aux yeux de nos concitoyens.

Enfin, Mme la présidente Gisèle Gautier a eu raison de relever le progrès que constitue la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière professionnelle, même si nous avions souhaité que celle-ci soit plutôt inscrite dans le préambule.

Bien entendu, certains points suscitent encore des interrogations ou des inquiétudes.

Je comprends, tout d’abord, les interrogations exprimées avec beaucoup de conviction par le président de Rohan sur l’encadrement de l’article 49, alinéa 3. En en restreignant l’usage à un texte par session, les projets de loi relatifs aux finances publiques n’étant de toute façon pas concernés, nous avons recherché un équilibre. Je crois profondément que cet outil, s’il doit naturellement être préservé, ne peut devenir sans risque un instrument banalisé de gestion de l’agenda parlementaire : un gouvernement qui ne pourrait mettre en œuvre son programme législatif qu’au prix d’une contrainte permanente serait, dans la réalité, profondément affaibli. Un outil de dissuasion doit s’accommoder d’un usage parcimonieux.

MM. Frimat, Badinter et Mauroy me permettront de ne pas partager leur analyse : non, cette réforme ne renforce pas les pouvoirs du Président de la République. Vous contestez, messieurs, la faculté ouverte à ce dernier de s’exprimer devant le Parlement. Mais comment justifier la pratique désuète qu’a évoquée le président de Raincourt ? Le choix du Congrès permettra d’abandonner une formule inadaptée à notre temps, tout en marquant le caractère solennel et exceptionnel de cette intervention.

Je voudrais également apaiser la crainte qu’a pu susciter notre volonté de conférer des droits supplémentaires à l’opposition. Je suis persuadée qu’il s’agit d’un élément déterminant du rééquilibrage de nos institutions ; M. Badinter l’a d’ailleurs rappelé à juste titre. Il s’agit non pas de conforter un bipartisme imaginaire, mais d’aboutir à un meilleur partage des pouvoirs et prérogatives aujourd’hui concentrés entre les mains du parti majoritaire.

Notre projet s’efforce de lever les obstacles constitutionnels qui s’opposent actuellement à ce que des droits particuliers soient conférés à chacun des groupes parlementaires. Nous sommes également sensibles au souhait du président Mercier de voir figurer le terme de « pluralisme » dans le texte constitutionnel. (Murmures sur plusieurs travées de lUMP.) Nous nous efforcerons de répondre à cette préoccupation légitime, en ménageant nos équilibres institutionnels.

S’agissant de la question de l’élargissement de l’Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends le souci, qui s’est largement exprimé dans votre assemblée, d’éviter la stigmatisation d’un pays, quel qu’il soit. Le Gouvernement sera donc ouvert à votre proposition sur ce point. Je vous demande néanmoins de comprendre aussi, de votre côté, la volonté de certains députés de veiller à ce que les élargissements à venir ne puissent intervenir contre la volonté populaire. De ce point de vue, il me semble d’ailleurs que la possibilité de référendum d’initiative populaire, introduite à l’Assemblée nationale, peut constituer une réponse. Je suis persuadée qu’il sera possible de trouver, selon ces lignes, une solution qui convienne aux deux assemblées.

Nombre d’entre vous, à commencer par l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, n’ont pas manqué de relever combien cette réforme représentait un défi pour le Sénat. Vous avez très justement insisté sur votre spécificité institutionnelle. Je crois que personne ici n’entend la remettre en cause, ni dans la constitution du Sénat ni dans son apport particulier au travail législatif.

À ce titre, je voudrais naturellement évoquer la question du collège électoral, même s’il ne revient pas au législateur constituant de choisir un mode de scrutin. Je souhaite rappeler deux évidences.

La première, c’est que le Sénat doit conserver un collège électoral spécifique, différent dans sa nature de celui de l’Assemblée nationale ; sinon, le bicamérisme n’aurait plus de sens.

Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La seconde, c’est que le mode électoral du Sénat n’est pas figé ; celui-ci s’est d’ailleurs récemment réformé de manière assez profonde, au travers, notamment, de la réduction de la durée du mandat sénatorial.

M. Gérard Larcher. Absolument !

M. Jacques Gautier. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Sénat continuera à évoluer, mais il le fera dans le respect de sa spécificité, qui est de représenter les territoires, comme l’a rappelé M. Puech. Voilà la ligne qui nous est tracée : je fais confiance aux parlementaires pour trouver une solution qui la préserve.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un point sur lequel l’ensemble des orateurs se sont retrouvés.

Ce qui est en jeu, c’est l’essentiel : c’est la loi fondamentale ; ce sont les modalités de fonctionnement de nos institutions et, au-delà, la manière dont les citoyens sont associés à l’exercice du pouvoir.

Le texte qui vous est proposé est un texte d’équilibre.

À ceux qui craignent d’abandonner un régime qui a apporté, en cinquante ans, la preuve de son efficacité, je souhaite dire que nous ne changeons pas de République. Nous modernisons simplement nos institutions, à la fois pour tirer les conséquences des évolutions récentes, notamment l’institution du quinquennat, et pour donner au Parlement le rôle qu’il a dans toutes les grandes démocraties.

À ceux qui considèrent, au contraire, que notre projet ne va pas assez loin, je dis : songez qu’une révision constitutionnelle repose nécessairement sur un consensus. Exiger d’aller à un point où vous savez que la majorité ne peut pas vous suivre, c’est la certitude de n’obtenir aucun changement, de ne bénéficier d’aucun des progrès permis par ce texte et qui, souvent, constituent des évolutions que vous appelez de vos vœux depuis très longtemps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous incarnez, dans une certaine mesure, la permanence et la stabilité de nos institutions, j’en appelle à votre responsabilité : ne laissez pas passer cette chance, cette chance de revaloriser le Parlement, cette chance de donner à notre démocratie un souffle de renouveau. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. Jacques Gautier. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Motion d’ordre

La parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Exception d'irrecevabilité

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, au cours de la discussion des articles, à l’article 11 du projet, qui porte sur l'article 34 de la Constitution, nous aurons à examiner quarante-trois amendements en discussion commune – le seul énoncé de ce nombre donne la mesure du caractère irréaliste d’une telle manière de débattre –, du simple fait du dépôt, par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, d’un amendement tendant à réécrire entièrement l’article 11, l’amendement n° 187 rectifié.

Dans la mesure où les quarante-deux autres amendements touchent à des sujets très divers, je souhaite que l’amendement n° 187 rectifié fasse l’objet d’un examen séparé, de manière que nous puissions étudier successivement les différents thèmes abordés. Je pense qu’il s’agit de la meilleure formule pour assurer la clarté de nos débats.

M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, nous avons régulièrement recours à cette manière d’organiser nos débats, et ce, me semble-t-il, à la satisfaction de l'ensemble des intervenants. Je pense que personne n’y verra d’objection.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en ainsi décidé.

Exception d’irrecevabilité

Motion d'ordre
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions, voulue par le Président de la République dès son arrivée à l’Élysée, nous a été présentée comme un rééquilibrage entre « un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement profondément renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens ».

En réalité, nous voici devant une proposition qui concentre encore plus le pouvoir exécutif entre les mains du Président de la République, qui réduit au strict minimum de nouveaux droits pour les citoyens, avec un Parlement qui ne serait plus que l’ombre de lui-même.

Cette réforme n’est pas bonne, car elle ne reflète pas les attentes et les besoins du peuple de France en matière de démocratie.

Nombreux sont celles et ceux qui, depuis longtemps, se penchent sur nos institutions. Cela fait ainsi plusieurs années que notre groupe porte une nouvelle vision de nos institutions et de notre République. Nous défendons l’idée d’une République démocratique, où le Parlement retrouverait sa légitimité et disposerait de pouvoirs renforcés ; une République sociale, où les salariés pourraient faire respecter leurs droits et leurs intérêts dans les entreprises ; une République participative, où les citoyens auraient des pouvoirs réels d’intervention directe.

Année après année, élection après élection, que constatons-nous, si ce n’est l’éloignement progressif du peuple par rapport a ses représentants et à ses dirigeants ?

Cette réforme répond-elle à ce constat, pourtant partagé à droite comme à gauche, au lendemain de scrutins électoraux ? Non : la réforme proposée n’est au service que d’un seul homme, le Président de la République ! Elle est l’alibi pour une seule chose, le discours devant le Parlement !

Or la satisfaction des désirs du Président pose un certain nombre de problèmes au regard du respect des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.

Mes chers collègues, au-delà de l’apparente incohérence à défendre une exception d’irrecevabilité sur un projet de loi constitutionnelle, il existe plusieurs raisons de rejeter ce texte.

Le premier motif d’inconstitutionnalité repose sur le fait qu’il ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs, principe essentiel de l’organisation des démocraties modernes, qui occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes, au titre de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Plusieurs auteurs de la doctrine considèrent en effet que le principe de la séparation des pouvoirs est une exigence de nature supra-constitutionnelle. Sous la IIIe République déjà, Maurice Hauriou, dans son Précis de droit constitutionnel, concluait au caractère impératif pour le constituant de l’article 2 de la loi du 14 août 1884, relatif à la forme républicaine du gouvernement, tout en évoquant, en outre, une « légitimité constitutionnelle placée au dessus de la Constitution écrite ».

D’autres voient dans le principe de la séparation des pouvoirs l’une des composantes de la forme républicaine du gouvernement, à côté des principes comme le suffrage universel ou le régime représentatif. Or la forme républicaine du gouvernement, énoncée au cinquième alinéa de l’article 89 de la Constitution, ne pouvant faire l’objet d’une révision, constitue de facto une limite d’ordre matériel opposable au pouvoir constituant.

Enfin, certains ont 1a tentation de se dégager de tout rattachement à la forme républicaine du gouvernement et de donner une sorte de prééminence à la Déclaration de 1789. Je crois savoir qu’en 1989, lors du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre collègue Robert Badinter s’était demandé s’il n’y avait pas « des libertés intangibles que le constituant même ne pourrait supprimer ». C’est pourquoi je crois pouvoir affirmer que cette motion d’irrecevabilité est parfaitement justifiée.

Après m’être expliquée sur la forme, j’en viens au fond.

Cette réforme accroît les déséquilibres déjà existants dans nos institutions entre le pouvoir exécutif, en particulier le Président de la République, et le Parlement.

Les parlementaires communistes n’ont eu de cesse, depuis les débuts de la Ve République, d’en dénoncer le caractère présidentialiste, caractère qui s’est petit à petit aggravé, notamment depuis 1962 avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Le quinquennat et, plus encore, l’inversion du calendrier électoral ont accentué la présidentialisation du régime, apparentant notre démocratie à une sorte de monarchie élective où la séparation des pouvoirs s’estompe au profit de l’exécutif.

Ainsi, aujourd’hui, le Parlement est réduit au rôle de chambre d’enregistrement, sommé d’entériner des projets de loi émanant parfois directement du Président de la République, à l’instar de la loi sur les peines planchers. Nous sommes loin de l’idée que l’on pourrait se faire d’un Parlement représentant du peuple et non du chef d’un parti, et soucieux d’élaborer la loi dans l’intérêt général.

Mais, au-delà, c’est toute la vie politique qui est menacée, au nom du bipartisme.

Nos institutions ne sont plus en phase aujourd’hui avec les attentes de nos concitoyens, qui demandent plus de justice sociale, de redistribution des richesses et des pouvoirs : pouvoir de co-élaboration des décisions qui les concernent, grâce notamment au développement de la démocratie participative ; pouvoir de contrôle de l’action des parlementaires, par la possibilité de saisir directement un Conseil constitutionnel modernisé.

Au lieu de cela, le projet de réforme prévoit de limiter l’action du Parlement en assurant une domination du Président de la République. Ce dernier conserve non seulement tous ses pouvoirs, d’arbitrage, de dissolution, et de superviseur du travail parlementaire, via le Gouvernement, mais, de surcroît, s’en voit octroyer de nouveaux, et notamment un à sa demande expresse : la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.

Même si les députés ont supprimé la possibilité pour le Président de venir devant « l’une ou l’autre des deux assemblées », le pouvoir présidentiel en sort considérablement renforcé. En effet, sa déclaration pourra donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fera l’objet d’aucun vote.

Par ailleurs, et cela démultiplie la force symbolique de cette disposition, le Président pourra s’exprimer autant de fois qu’il le souhaitera devant le Parlement, puisque le projet de loi ne prévoit aucune limitation à ce pouvoir. Les parlementaires se retrouvent ainsi soumis au bon vouloir du Prince.

Il est donc étrange d’affirmer vouloir renforcer les droits du Parlement en commençant par permettre au Président de la République de venir s’exprimer devant celui-ci, puis de prévoir un débat facultatif – « la déclaration du Président peut donner lieu à un débat » –, à l’issue duquel il n’y aura aucun vote, et donc aucune contrepartie à l’immixtion présidentielle dans les travaux législatifs.

Le Parlement n’aura aucun pouvoir supplémentaire face au Président.

Ainsi, le Président de la République, qui ne voit pas remis en cause son droit de dissolution de l’Assemblée nationale, conforte sa prééminence institutionnelle, tandis que son irresponsabilité politique est symboliquement réaffirmée. Cette nouvelle possibilité accroît donc la confusion des pouvoirs exécutif et législatif.

La possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement a une grande portée symbolique : le Président participe ainsi, physiquement, à la fonction législative. Jusqu’à présent, nul n’ignorait que, hors période de cohabitation, c’était lui qui déterminait l’organisation des travaux du Parlement. Mais c’était justement le principe de la séparation des pouvoirs qui interdisait sa présence dans l’hémicycle.

L’exemple du droit de message du Président des États-Unis est, en l’espèce, très intéressant, car si l’on comprend bien qu’il a inspiré le Président de la République lui-même, les membres du comité Balladur et, enfin, les rédacteurs de ce projet de loi, il est finalement bien éloigné de la nouvelle prérogative présidentielle prévue par l’article 7.

Lors de son audition par la commission des lois, Mme Elisabeth Zoller, professeur à l’Université de Paris II, directrice du centre de droit américain, a très bien expliqué comment le système américain parvenait à maintenir un certain équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le message du Président se décompose en deux clauses, l’une portant sur l’état de l’Union et l’autre sur les recommandations. C’est évidemment cette deuxième qui nous intéresse plus particulièrement ici.

À l’instar de ce qui se passe en France, c’est le pouvoir exécutif qui rédige les projets loi. Mais Mme Zoller utilise les termes de « législateur en chef» pour parler du Président américain, en précisant toutefois que, « s’il participait de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en était totalement maître lors de leur examen », ce qui n’est même pas le cas en France.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien d’admirer les institutions américaines ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Par ailleurs, elle considère que la modification du droit de message opérée par le projet entraînerait un profond changement institutionnel, qu’elle a qualifié de changement de régime, par l’érection du Président français en législateur en chef et chef de parti, et la disparition, de ce fait, de sa fonction d’arbitrage. Elle constate que le système américain avait pu échapper à ce dilemme grâce, notamment, à l’absence de fonction d’arbitrage du Président et de droit de dissolution du Congrès.

Sa conclusion est sans appel : « La modification de l’institution présidentielle ainsi proposée par le projet de révision, sans diminuer ses pouvoirs actuels d’arbitrage et de direction du travail du Parlement, par gouvernement et Premier ministre interposés, basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire. »

Ce système qui, je le rappelle, se caractérise par une très forte concentration des pouvoirs au profit d’un seul homme, qui n’en est pas moins politiquement irresponsable, peut conduire à toutes les dérives autocratiques. En France, il a conduit à l’avènement de l’Empire. C’est certainement pour cette raison qu’Elisabeth Zoller a appelé à la mise en place, si le droit de message de l’article 7 était adopté, « des poids et contrepoids du système américain ».

Ce n’est pas exactement ce qu’a prévu le projet de loi, bien au contraire ! Le Président peut déjà s’exprimer comme il l’entend dans les médias –  ne l’a-t-il fait récemment sur une chaîne de radio, qui n’était même pas une radio du service public ? – sans que son temps de parole soit décompté. Il convoque les parlementaires – certes, seuls ceux de la majorité ! – à l’Élysée et n’hésite pas à les sermonner lorsqu’ils n’ont pas obtempéré aux ordres présidentiels.

Qu’a-t-il besoin de venir s’exprimer devant le Parlement, si ce n’est pour conforter sa prééminence institutionnelle ?

Le problème est qu’il est pour nous impensable de sacrifier le principe de séparation des pouvoirs sur l’autel des désirs du Président de la République.

Deuxième motif d’irrecevabilité de ce projet de loi : la remise en cause du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, opérée par les députés à l’article 11 du projet de loi. En effet, s’il est prévu d’inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité de la loi, il est également inscrit que ce principe peut souffrir des exceptions, en cas de « motif déterminant d’intérêt général ».

Cette exception, ouvrant la voie à toutes les interprétations, me semble directement inspirée des récents problèmes rencontrés par le Gouvernement en matière de rétroactivité de la loi relative la rétention de sûreté. Il n’est, en effet, pas simple de vouloir contourner un principe constitutionnel, énoncé à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Lors de nos débats, madame la garde des sceaux, nous avons eu droit à des démonstrations hasardeuses dans le but de faire adopter la rétroactivité de cette loi, quitte à prendre quelques libertés avec notre droit. Il aura fallu une mise au point du président de notre commission des lois pour vous rappeler que la rétroactivité s’applique non pas à la condamnation – comme vous nous l’avez pourtant dit –, mais aux faits incriminés.

Cependant, le Président de la République ne reculant devant rien, il n’a pas hésité à demander au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de trouver les moyens de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui, entre-temps, avait considéré que « la rétention de sûreté [...] ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Or M. Lamanda, dans son rapport intitulé « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux », qu’il vient de remettre au Président, ne vous offre toujours pas la possibilité d’appliquer la loi de façon rétroactive. L’occasion était donc toute trouvée pour qu’un amendement soit opportunément déposé lors de cette révision constitutionnelle afin de permettre qu’un « motif déterminant d’intérêt général », comme la lutte contre la récidive, par exemple, justifie qu’une loi soit rétroactive.

Si nous adoptions définitivement une telle disposition, notre Constitution abriterait finalement une disposition permettant l’adoption de lois contraires à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Enfin, dernier motif d’irrecevabilité, l’article 35 du projet de loi devait prévoir la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007.

Ce traité, aujourd’hui soumis aux États membres de l’Union, devait n’entrer en vigueur que lorsque ceux-ci l’auraient tous ratifié. Le « non » irlandais, dont je me félicite, mais que certains méprisent déjà comme ils ont méprisé le « non » du peuple français en 2005, devrait profondément remettre en cause non seulement le processus de ratification, mais également l’adoption de l’article 35 du projet, désormais dépourvu de fondement.

Toujours est-il que le projet de révision de la Constitution suspend le contenu de la Constitution révisée à la ratification du traité de Lisbonne par les autres États européens. Cette conditionnalité, qui renvoie à l’expression de la volonté d’autres États, est incompatible avec les fonctions des lois constitutionnelles régies par l’article 89 de la Constitution. En effet, le pouvoir constituant dérivé ne saurait subordonner le contenu des dispositions de la Constitution à la décision d’États étrangers.

Une telle technique revient à déléguer la fonction constitutionnelle dérivée – ou, en tout cas, à associer des États étrangers à son exercice –, ce qui est absolument incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution. Une telle délégation ne pourrait résulter, au mieux, que de la volonté du pouvoir constituant originaire.

Quant au pouvoir constituant dérivé exprimé par la voie des lois constitutionnelles de l’article 89 de la Constitution, il peut, certes, autoriser la ratification d’un traité contraire à la Constitution, mais il ne saurait subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité et, par là, à une décision d’autorités étrangères qui seraient ainsi associées à l’exercice du pouvoir constituant dérivé.

Une telle altération de la technique de révision constitutionnelle aboutit à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant. Elle constituerait un précédent extrêmement dangereux si le « non » irlandais ne remettait pas de facto en cause l’article 35.

La motion de renvoi en commission que mon collègue et ami Robert Bret défendra tout à l’heure sera l’occasion de revenir sur la question du traité de Lisbonne.

En tout état de cause, cette réforme constitutionnelle ne vise nullement à renforcer la démocratie, à rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants, mais bel et bien à assouvir les désirs de prééminence institutionnelle d’un seul homme, au détriment des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.

Elle ne porte pas d’ambition moderne et progressiste, mais tend à faire survivre les archaïsmes de l’oligarchie conservatrice.

Mes chers collègues, nous vous proposons donc d’adopter cette motion tendant à déclarer irrecevable ce projet de loi de révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)