M. Bernard Frimat. Absolument !

M. Pierre Mauroy. Dans cette volonté affichée du Gouvernement de renforcer les droits du Parlement et de l’opposition, la question de la démocratisation du Sénat est centrale. Elle l’est pour moi, elle l’est pour les socialistes. Je me suis déjà exprimé sur cette question ici même voilà deux semaines, lors de la discussion de la proposition de loi socialiste relative aux conditions de l’élection des sénateurs, texte dont vous avez refusé de débattre sur le fond et que vous avez rejeté.

Mais comment peut-on sérieusement vouloir renforcer le Parlement et s’opposer à ce que l’une des deux chambres qui le composent soit dans l’impossibilité de connaître jamais l’alternance ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une affirmation gratuite !

M. Pierre Mauroy. C’est une question qui paraît de bon sens ; pourtant, vous répondez toujours de la même manière !

Il ne peut pas exister deux types de sénateurs : les uns comblés – je me tourne vers la majorité ; les autres condamnés à perpétuité à rester dans l’opposition ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Patrice Gélard. C’est n’importe quoi !

M. le président. Allons, mes chers collègues !

M. Pierre Mauroy. Le rejet de notre proposition de loi nous a fait douter de la sincérité du Gouvernement et de sa majorité de vouloir réellement faire progresser notre démocratie !

Mais le coup de grâce semble avoir été donné par les sénateurs de droite qui, la semaine dernière en commission des lois, ont poussé la provocation jusqu’à prétendre sceller dans le marbre constitutionnel, contre tout usage, un mode d’élection des sénateurs empêchant à tout jamais l’alternance dans notre assemblée ! C’est un véritable déni de démocratie sur lequel M. Frimat s’est parfaitement exprimé. J’espère que l’examen en deuxième lecture permettra de revenir sur ce point, car cela est totalement inacceptable !

J’observe d’ailleurs que, plus vous perdez de représentativité auprès des collectivités territoriales, plus vous exprimez une volonté de garder un Sénat captif.

M. David Assouline. En captivité, madame la garde des sceaux !

M. Pierre Mauroy. On y est : c’est ce qui se passe actuellement !

M. Pierre Mauroy. Sur ce sujet, devenez moins intransigeants, car plus vous le serez et plus nous serons combatifs ! C’est un combat que nous essayerons de gagner et qu’un jour nous gagnerons. Il s’agit en effet d’un pied de nez à la démocratie, à notre Constitution et, finalement, à la République !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Pierre Mauroy. Il est absolument indispensable de régler ce problème.

Dès lors, les sénateurs socialistes ne peuvent, en première lecture, qu’émettre un vote négatif sur ce projet de loi, qui risque fort d’être celui d’une occasion manquée et qui présage bien mal de son propre avenir !

Si, comme nous, vous souhaitez une Constitution modernisée qui soit digne de la République, à vous d’accepter une réforme démocratique du Sénat ! La suite des événements en dépend. Mais si vous ne le voulez pas, le débat sera porté devant le peuple, j’en suis persuadé, et j’espère bien que nous gagnerons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme institutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui est importante. Elle l’est parce qu’un tiers des dispositions de notre Constitution sont modifiées. Elle l’est aussi car elle concerne au premier chef une institution de la République qui nous tient tous particulièrement à cœur : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, selon le terme consacré, ses pouvoirs sont très sensiblement renforcés dans le projet qui nous est soumis.

Les principaux éléments de cette revalorisation – le partage de l’ordre du jour, les droits reconnus à l’opposition, l’examen en séance du texte de la commission, ce qui, n’en doutons pas, changera considérablement les conditions de l’élaboration de la loi, l’avis sur les nominations les plus importantes, etc. – nous ont été clairement exposés par le rapporteur et président de notre commission des lois, dont je tiens à saluer ici l’écoute et la très grande qualité du travail accompli.

Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement me paraissent répondre à une double exigence et me semblent nous lancer un double défi.

Je commencerai par la double exigence.

La réforme présentée répond d’abord à une exigence d’équilibre des institutions.

Cela a été souligné à plusieurs reprises, les institutions de la Ve République constituent l’un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il les voulait solides. Depuis 1789, seules les institutions de la IIIe République auront duré plus longtemps ; le président Hyest l’a rappelé. Le général de Gaulle a voulu que les institutions garantissent la stabilité gouvernementale. La France n’est plus le pays qui avait le privilège peu glorieux de changer de Premier ministre tous les six ou huit mois sous la pression des assemblées.

On a trop tendance à oublier cette exigence d’équilibre à laquelle répondent ces institutions. Le président Henri de Raincourt rappelait le discours prononcé à Bayeux par le général de Gaulle : « Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés ».

Aujourd’hui, cette exigence d’équilibre, qui répond aussi à des préoccupations exprimées par des forces qui ne soutiennent pas le Gouvernement, a besoin d’être revisitée. Depuis 1958, l’élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire et, dernièrement, le quinquennat, puis l’inversion de la succession des élections législatives et présidentielles ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument d’accentuation de la bipolarisation de notre vie politique.

Sous les IIIe et IVe Républiques, la faiblesse de l’exécutif et la toute-puissance parlementaire annihilaient l’efficacité gouvernementale. Il y avait là une source d’altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation.

Mais la donne a changé depuis ! Le fait majoritaire, c’est-à-dire la constitution de majorités stables à l’Assemblée nationale, est une constante depuis 1962. C’est lui, le fait majoritaire, qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C’est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.

Or, avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après l’élection du Président, les cas de cohabitation paraissent désormais voués à devenir la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse d’ailleurs à une évolution des fonctions de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place à l’origine pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d’exercice.

Voilà pourquoi il me semble que la puissance de l’exécutif justifie désormais l’attribution aux assemblées d’instruments nouveaux leur permettant d’exercer pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis répond également à une exigence de meilleure participation de l’opposition à la vie parlementaire.

Les articles1er, 22 et 24 du projet de loi constitutionnelle introduisent une novation dans notre Constitution : ils reconnaissent et organisent des droits particuliers pour l’opposition, intégrant dans notre droit ce que le Parlement anglais pratique depuis des siècles. Selon moi, une telle reconnaissance est légitime et inséparable de la revalorisation du rôle du Parlement.

Le rôle confié à l’opposition pourrait aussi favoriser un affermissement de l’autonomie du Parlement. Ne s’agit-il pas d’introduire un facteur qui permettra d’atténuer naturellement le poids du dialogue parfois trop singulier, voire à sens unique, qui se noue entre majorité parlementaire et Gouvernement, et ce quelles que soient les majorités ?

La voie ainsi tracée dans la Constitution peut et doit être approfondie par notre règlement et notre pratique. En définitive, qu’est-ce que le respect de l’autre, sa reconnaissance, l’acceptation d’un regard différent sur les réalités politiques et sociales ? Ce ne sont pas seulement des valeurs constitutionnelles ; ce sont également et surtout des valeurs républicaines, inséparables d’une conception dynamique du parlementarisme. À nous aussi d’imaginer la manière de mieux les inscrire dans la vie de nos assemblées, sans bien sûr entraver la logique démocratique qui légitime la décision des majorités élues.

C’est pourquoi je suis convaincu que la réforme de notre règlement, qui va inéluctablement suivre la révision constitutionnelle en cours, sera un moment particulier et fort de la vie de notre assemblée. Ce sera un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.

Paradoxalement, cette réforme favorable au Parlement lui lance un double défi.

Ce défi s’adresse tout d’abord à l’opposition parlementaire. M. Pierre Mauroy vient de l’évoquer, nos collègues du groupe socialiste se trouvent aujourd’hui confrontés, par le biais de cette réforme, à un choix.

M. Gérard Larcher. Ils appartiennent à une famille de pensée qui, depuis plus de quarante ans, réclame, comme d’autres sensibilités qui s’expriment aujourd’hui au sein de la majorité, une revalorisation du rôle du Parlement. Cette revendication n’est pas seulement intellectuelle. Elle s’appuie sur la fidélité à une expression démocratique que la tradition politique dont ils sont les héritiers a su illustrer sous les Républiques précédentes.

En 1967, André Chandernagor, qui fut par la suite ministre du gouvernement de Pierre Mauroy, a écrit un essai qui a nourri les réflexions de générations de juristes et forgé l’opinion de nombreux constitutionnalistes. Son titre Un Parlement, pour quoi faire ? est à lui seul un programme. Cet ouvrage n’a pas tellement vieilli, même si ses références marquées au Plan sont maintenant datées.

Ce qui me frappe, mes chers collègues, c’est que l’essentiel de ce que préconise André Chandernagor se trouve satisfait par le projet de loi constitutionnelle que nous examinons.

M. Jean-Louis Carrère. C’était il y a quarante ans !

M. Gérard Larcher. Il réclamait des « droits nouveaux pour le Parlement » ; il est proposé de les instituer. Il revendiquait « des droits à la minorité » ; la Constitution réaménagée qui nous est présentée instaure un statut de l’opposition.

L’une des idées défendues était d’augmenter de « deux à trois » le nombre de commissions permanentes. C’est justement le chiffre deux qui figure dans le projet de loi, alors même que le rapport de la commission Balladur retenait celui de quatre. Que dire de plus ?

Le Président de la République ayant confirmé la tenue du Congrès, l’opinion sera juge de la cohérence de chacun, à Versailles, au travers de son vote ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Il n’y aura pas de Congrès ! Vous le savez bien !

M. Gérard Larcher. Pour ma part, je voterai la réforme qui nous est présentée telle qu’amendée par la commission des lois, parce qu’elle nous donne les moyens d’une réelle modernisation de notre vie publique.

Parallèlement, l’évolution qui nous est proposée constitue aussi, me semble-t-il, un défi pour le Sénat.

Les neuf dixièmes des dispositions du projet de loi constitutionnelle concernant les assemblées confèrent au Sénat des pouvoirs égaux à ceux de l’Assemblée nationale, ce qui est cohérent ! Dès lors que, avec le quinquennat, la logique d’un gouvernement de législature repose sur le Président de la République et sa majorité au Palais-Bourbon, il me semble avisé d’assurer l’équilibre des nouvelles relations de pouvoir en confortant le rôle du Sénat.

Une telle situation conduit à un renforcement objectif de la place de notre assemblée au sein des institutions. En effet, il nous faut bien avoir conscience de cette nouvelle donnée : en fait et en droit, le Sénat devient le lieu central de l’altérité institutionnelle.

Le Sénat n’est-il pas le seul des quatre pôles du pouvoir d’État ne découlant pas des résultats du suffrage uninominal à deux tours, qui préside aux élections présidentielle et législatives et, par là même, à la désignation du Premier ministre ? Représentant les collectivités territoriales, le Sénat ne tire-t-il pas sa légitimité d’une autre source que la stricte loi du nombre, en combinant représentation des populations, des territoires et des Français de l’étranger ?

M. Gérard Larcher. Ne pouvant être dissous, le Sénat n’assure-t-il pas la continuité indispensable à la stabilité de la République, dès lors que les deux autres pouvoirs élus nationalement voient leur mandat s’achever dans le même temps ? Le mandat de sénateur, dont la durée est de six ans, n’est-il pas désormais le seul mandat national qui n’obéisse pas au rythme du quinquennat ?

Sans toutes ces différences, n’y aurait-il pas monovalence à la tête de notre République ?

Si j’osais une image,…

Mme Bariza Khiari. Osez, monsieur Larcher !

M. Gérard Larcher.… je dirais que le Sénat se révèle désormais celle de nos institutions qui, par la spécificité de son recrutement, de ses fonctions et de la durée du mandat, assure une vision binoculaire à l’action des pouvoirs publics. (Bravo ! sur les travées de lUMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je vous rappelle, mes chers collègues, que la vision binoculaire est celle qui permet de percevoir les reliefs !

Avec la Constitution révisée qui nous est proposée, cette fonction d’altérité sera, plus que ce ne fut le cas hier, impulsée par le droit. L’altérité affermie du Sénat augmentera le poids de ses responsabilités ; il ne s’y dérobera pas. C’est cela qui constitue, sans nul doute, un défi d’avenir pour notre assemblée et pour ses membres.

Je suis, pour ma part, confiant et persuadé que notre assemblée sera à la hauteur des enjeux.

Avec votre autorisation, monsieur le président, je me permettrai d’ajouter quelques remarques complémentaires pour préciser ma pensée, avec le plus grand respect, après l’intervention de M. Pierre Mauroy.

Le Sénat a déjà amplement démontré qu’il ne craignait pas la réforme, puisqu’il s’est déjà réformé. Un rendez-vous est d’ailleurs fixé en 2014.

M. Jean-Pierre Bel. Pourquoi pas maintenant ?

M. Gérard Larcher. Je ne pense pas que l’alternance soit impossible dans notre assemblée. Une telle possibilité sera d’ailleurs offerte dans ce cadre.

Quoi qu’il en soit, n’utilisons pas un débat constitutionnel qui revalorise le Parlement et refonde fondamentalement l’équilibre des pouvoirs pour évoquer des sujets qui ne relèvent pas de la Constitution. Si ces questions, comme toutes les questions, sont légitimes, elles ne doivent pas peser sur le choix qui interviendra à Versailles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

6

Transmission d’un projet de loi et proposition de création d’une commission spéciale

M. le président. M. le président du Sénat a reçu, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie. Ce projet de loi sera imprimé sous le numéro 398 et distribué.

Je vous rappelle que nous avons constitué, au mois de février dernier, un groupe de travail intercommissions préfigurant une commission spéciale sur ce projet de loi.

M. le président du Sénat a reçu mandat de la conférence des présidents pour proposer au Sénat le moment venu, en application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la création de cette commission spéciale.

Nous pourrions donc inscrire â notre ordre du jour de demain après-midi, mercredi 18 juin, l’examen de la proposition du président du Sénat tendant à la création de la commission spéciale et la nomination des membres de cette commission.

Il n’y a pas d’opposition ?….

Il en est ainsi décidé.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Motion d'ordre

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, les diverses réformes constitutionnelles, ainsi que la pratique, n’ont fait qu’accentuer la dérive présidentialiste de notre régime.

Peu à peu, les pouvoirs de l’exécutif se sont renforcés, aidés en cela par le fait majoritaire, l’inversion du calendrier électoral et l’introduction du quinquennat présidentiel.

Le parlementarisme rationalisé aura fait son temps. Il est devenu un présidentialisme irrationnel : le pouvoir du Parlement s’est progressivement affaibli et, avec lui, sa représentativité des citoyens. D’où l’enjeu de cette réforme : mieux encadrer le pouvoir exécutif et revaloriser les pouvoirs du Parlement, en d’autres termes, rééquilibrer les pouvoirs.

Lors de son discours à Épinal, le 12 juillet dernier, le Président de la République a ouvert, de manière généreuse, le débat de la réforme des institutions. Le souci de modernisation y côtoyait celui du rééquilibrage des institutions : c’était un projet ambitieux et honorable. Le Président de la République s’exprimait alors en ces termes : « Je souhaite que l’on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre République et à notre démocratie de progresser ».

Il nous semblait alors que toutes les questions allaient être débattues, même les plus audacieuses.

Depuis lors, le principe de réalité a prévalu sur le discours. Beaucoup de bruit pour rien, finalement !

Entre les soixante-dix-sept propositions du comité Balladur et le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté aujourd’hui, un fossé inexplicable apparaît. Déjà initialement incomplètes, nombre de ces propositions ont été écartées dans l’avant-projet de loi, pour se trouver littéralement bannies du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, cette réforme ressemble à une peau de chagrin : sa substance rétrécit au fur et à mesure que le temps passe, et je crains qu’elle ne se voie administrer le coup de grâce lors de son examen par le Sénat.

Que de décalage entre la volonté exprimée voilà un an et la réalité du projet que vous nous proposez ! Notre déception est à la hauteur des espoirs que nous avions placés dans cette réforme. Il faut être sincère : du programme ambitieux, il ne reste plus que des avancées timides, pour la plupart insignifiantes, parfois impraticables et, souvent, cosmétiques ou apparentées à de simples affichages médiatiques. Les questions essentielles ont été écartées : la modernisation annoncée ne sera qu’un toilettage, un léger lifting, sans grande incidence sur la répartition des pouvoirs.

Plusieurs collègues s’étant déjà s’exprimé sur ce projet de loi constitutionnelle dans son ensemble, j’ai choisi d’intervenir sur les trois points qui me semblent fondamentaux.

Je commencerai par le premier champ de cette réforme : les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement.

Le projet de loi tente l’impossible : rééquilibrer sans toucher aux équilibres ! En conséquence, ce souci contradictoire débouche sur des consensus mous, sans effet véritable sur la réalité de la pratique du pouvoir ni sur le partage des pouvoirs exécutif et législatif.

Vous le savez autant que moi, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, ce qui relève de la loi relève de votre majorité et procède donc de votre bonne volonté ! Une telle équation ne nous permet pas d’envisager avec sérénité l’issue de ce débat. L’opposition restera impuissante à peser dans le débat démocratique, à l’image du sort qui lui est réservé par ce projet de loi constitutionnelle.

Quel est l’intérêt de renforcer les pouvoirs du Parlement si ce dernier est « pieds et poings liés » à l’exécutif ?

Quel est l’intérêt de donner plus de pouvoirs aux parlementaires, si les droits de l’opposition sont soumis à des lois dont on sait que l’issue est à la discrétion de la majorité ?

Où est le réel contre-pouvoir à l’exécutif, appelé de ses vœux par le Président de la République dans son intervention du 12 juillet dernier ?

Où sont, en fin de compte, les nouveaux pouvoirs du Parlement, gage de ce rééquilibrage ?

On lui accorde, ici et là, quelques facultés d’émettre un avis, tout en lui rappelant que ce dernier n’a aucune valeur contraignante.

On lui permet de contrôler une prérogative de l’exécutif qui n’a été utilisée qu’une fois dans l’histoire de la Ve République : l’exercice des pouvoirs exceptionnels du Président de la République.

On lui concède des droits théoriques, qu’il ne sera peut-être jamais amené à exercer en raison du corsetage lié au fait majoritaire.

On le tient informé des interventions à l’étranger et on lui permet d’en voter la prolongation. Soit, mais qu’en est-il de l’opportunité de contrôler le maintien des soldats ?

J’espère obtenir des réponses étayées sur ces points.

J’en viens au deuxième champ de cette réforme : l’encadrement du pouvoir exécutif.

On ne peut parler de réelles avancées sur ce terrain, sauf à considérer qu’entériner une pratique représente, en soi, une avancée décisive.

La possibilité donnée au Président de la République de s’adresser directement au Parlement réuni en Congrès constitue-t-elle l’une de ces avancées ?

Comment parler de limitation du pouvoir exécutif, quand la limitation la plus symbolique, c’est-à-dire la séparation physique, symbole de la séparation théorique des pouvoirs, est balayée d’un revers de main ?

La présente réforme ne doit pas être l’occasion pour le Président de la République de se réconcilier avec les parlementaires de sa majorité ! Nous ne construisons pas un pacte de non-agression entre les membres de la majorité au Parlement et ceux au Gouvernement.

Nous construisons, aujourd’hui, un pacte pour l’avenir démocratique de notre pays. Ce pacte passe par des concessions, de la part tant de la majorité que du Gouvernement. C’est à ce seul prix que la réforme aboutira, sans être vidée de son effet utile.

Sous le prétexte de ne pas toucher aux grands équilibres de la Ve République, nous ne devons pas nous limiter à réformer pour réformer, pour le symbole du geste, sans apporter aucune réponse qui soit à la hauteur de la crise démocratique actuelle, à la crise de confiance politique constatée chez nos concitoyens. Nous ne devons pas laisser le principe de la réforme l’emporter sur son contenu. Il nous faut passer de l’incantation à l’action, mes chers collègues !

Alors que la nécessité d’une modernisation des institutions est proclamée avec force et vigueur, pourquoi nous proposer un semblant de réformes ? Pourquoi se contenter d’actualiser la dérive de notre régime vers le présidentialisme, alors même qu’il s’agit précisément de la contenir ?

Cette réforme porte en elle-même toutes les contradictions de l’action du Gouvernement : l’empressement, les vœux pieux, la longue réflexion, pour finalement n’être que de la poudre aux yeux…

« J’ai une conviction : il ne faut jamais fuir le débat ; il ne faut jamais en avoir peur ! ». Mes chers collègues, j’espère que vous ferez vôtres ces propos tenus par le Président de la République lors de son discours d’Épinal.

J’aborderai à présent le troisième champ de cette réforme : les droits des citoyens.

Chaque groupe politique, chaque sensibilité représentée dans cet hémicycle a ses propres doléances.

En cet instant, permettez-moi de vous livrer ce qui constitue à nos yeux l’objectif principal de cette réforme : une meilleure prise en compte des aspirations des citoyens et de leur représentativité, au sein d’assemblées rajeunies, féminisées et métissées, qui soient à l’image de notre société et où chacun pourra se reconnaître !

Je prends bonne note de la création d’une exception d’inconstitutionnalité, ainsi que d’un Défenseur des droits. Mais qu’en est-il d’une meilleure représentation de tous les courants politiques dans les assemblées par le biais de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela ne relève pas de la Constitution !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Qu’en est-il du renouvellement de la classe politique par la voie de la limitation du cumul des mandats, y compris dans le temps ?

Qu’en est-il de la possibilité des citoyens de se saisir directement d’un projet touchant leur quotidien ou leur lieu de vie, grâce à un véritable référendum local d’initiative citoyenne ?

Sur ce volet de la réforme, notre principale revendication vise la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales, afin de rendre justice à ces citoyens qui contribuent à la richesse et à la vitalité de notre pays depuis des années. La réponse qui sera donnée à cette revendication conditionnera le vote des parlementaires Verts sur cette réforme.

Certains d’entre vous objecteront que ce n’est pas le moment. Mais j’ai l’impression que ce n’est jamais le moment ! Nous avons trop attendu, je dirais même que nos parents ont trop attendu, que la société française dans son ensemble a trop attendu pour connaître ce nouvel élan démocratique, que nos voisins européens, eux, connaissent. Nous devons saisir l’occasion qui nous est offerte avec ce projet de loi constitutionnelle pour vaincre les peurs et donner à ces résidents permanents le droit fondamental de participer à la conduite de leur destin citoyen. Témoignons leur le respect, ainsi que le devoir de mémoire et de justice qu’ils méritent, au-delà des clivages et des appareils, au-delà des intérêts partisans et des luttes intestines.

Pour conclure, je me permettrai de vous dire en toute franchise : les libertés publiques reculent, la colère gronde, le discrédit plane ; j’en veux pour seule preuve les taux d’abstention aux élections…

L’histoire nous montre que, lorsque le peuple ne croit plus en ses dirigeants, la démocratie laisse place à l’autoritarisme et à la dictature.

Si nous voulons reconquérir la confiance de nos concitoyens, nous devons avoir le courage de mener de véritables réformes, nécessaires à la démocratisation de nos institutions, notamment du Sénat, dernier bastion du conservatisme. Il s’agit d’un enjeu démocratique pour l’avenir de notre société ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)