M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je le maintiens !

M. Bernard Frimat. L’essentiel est atteint pour la majorité du Sénat : elle a sauvé son mode de représentation et ses pouvoirs de blocage.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Frimat. Certes, il vous demeure impossible, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, d’inscrire noir sur blanc dans la Constitution l’obligation que les assemblées parlementaires soient de droite, mais, par cette révision, vous tentez d’en créer les conditions.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est faux !

M. Bernard Frimat. Au Sénat, le statu quo suffit ; à l’Assemblée nationale, le suffrage universel direct rend l’exercice plus délicat.

Toutefois, en adoptant deux mesures constitutionnelles, la limitation du nombre de députés au niveau actuel et la création de sièges pour représenter les Français établis hors de France, et en y ajoutant - mesure non constitutionnelle - un nombre minimum de deux députés par département, vous cherchez à minorer la représentation des départements les plus urbains, souvent favorables aux formations de gauche.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comment cela ?

M. Bernard Frimat. Le talent incontesté de M. Marleix dans le découpage des circonscriptions fera le reste.

Une alternance quasi impossible au Sénat, une alternance de plus en plus difficile à l’Assemblée nationale, une révision constitutionnelle par la voie du Congrès interdite à la gauche par le maintien du droit de véto du Sénat : à qui ferez-vous croire que ce paysage institutionnel soit le décor d’une démocratie irréprochable ?

M. Daniel Reiner. Très bien !

M. Bernard Frimat. Celle-ci ne peut se limiter à quelques améliorations techniques des travaux parlementaires. Pour certaines d’entre elles, il n’est d’ailleurs nul besoin de réviser la Constitution. Le Gouvernement est seul maître de l’ordre du jour, il lui est donc loisible d’accorder aux parlementaires les délais d’examen nécessaires à des travaux de qualité.

Mme Catherine Tasca. Absolument !

M. Bernard Frimat. Le Gouvernement est également seul maître de la procédure d’urgence ; il n’a pas davantage besoin d’une révision constitutionnelle pour arrêter d’en faire un usage abusif.

M. Bernard Frimat. Le partage de l’ordre du jour et la limitation de l’urgence, même rebaptisée « procédure accélérée », sont des avancées plus apparentes que réelles, votre projet prévoyant les moyens nécessaires pour transférer du Parlement au Gouvernement tout le temps d’ordre du jour qu’il souhaite et pour maintenir autant qu’il le désire le recours à l’urgence.

Quant aux droits nouveaux pour l’opposition, qui devaient symboliser la revalorisation du Parlement, ils sont renvoyés ou plutôt relégués, sans aucune garantie, dans le règlement de chaque assemblée ; cela signifie qu’ils dépendront exclusivement du bon plaisir de la majorité. Nous savons au Sénat ce que cela nous réserve.

Même la journée dont l’ordre du jour devait être concédé à l’opposition n’a pas survécu dans son intégralité. C’était sans doute trop pour vous ! Le temps sera partagé avec les groupes minoritaires qui, certes, ne se revendiquent pas de la majorité, mais la soutiennent néanmoins la plupart du temps. La portion congrue que vous réserviez à l’opposition était encore trop importante. Vous l’avez diminuée et, si j’ai bien compris votre sens de l’humour, au nom de « l’amélioration du pluralisme ».

Pour couronner le tout, vous mettez en cause le droit d’amendement, dont les conditions d’exercice seront fixées par le règlement des assemblées. Quelles garanties pour l’opposition ? Aucune ! Rien, dans le projet de révision, ne peut assurer à un parlementaire qu’il conservera, en séance publique, cette liberté d’expression individuelle qui est la caractéristique fondamentale d’un régime démocratique. Là encore, un droit qui devrait être imprescriptible dépendra du bon plaisir de la majorité de chaque assemblée.

Si c’est avec ces différentes mesures que vous pensez entraîner notre adhésion, vous faites fausse route !

De plus, des mesures que vous présentez comme des avancées démocratiques ne sont souvent que des trompe-l’œil. Il en est ainsi du droit de véto négatif accordé pour les nominations relevant du chef de l’État. Réunir une majorité des trois cinquièmes pour s’opposer à une nomination, c’est une illusion, un droit formel sans réalité.

M. Bernard Frimat. Ce faux-semblant ne contribue pas à favoriser une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion ; il laisse au contraire de beaux jours au clientélisme politique.

Même s’ils ne sont plus en discussion, car votés conformes, deux autres articles confortent encore notre refus de votre révision : ils concernent respectivement les ministres et le Président de la République.

Il n’est pas normal que les membres du Gouvernement anciens parlementaires profitent d’une révision constitutionnelle pour s’accorder le privilège d’assurer leur retour dans leur assemblée d’origine. Il est encore plus difficile d’admettre la rétroactivité de cette mesure ; le minimum de décence aurait été de ne l’appliquer qu’aux futurs ministres, mais vous avez sans doute voulu donner corps au proverbe « charité bien ordonnée commence par soi-même ».

La recherche de nouveaux droits pour le Parlement emprunte pour vous curieusement la voie d’une extension des pouvoirs du Président. Cela semblait inutile au regard de l’« omniprésidence » actuelle, mais le Président de la République voulait tellement pouvoir s’adresser directement au Parlement. J’ai la conviction que cette obsession est la raison essentielle pour laquelle a été engagée la révision constitutionnelle. Cela fait beaucoup d’efforts, peut-être vains d’ailleurs, pour que ce que Robert Badinter qualifie de « monocratie » puisse s’exprimer dans le lieu le plus illustre de la monarchie.

Cette révision constitutionnelle aurait, enfin, pu être l’occasion de montrer le visage d’une France généreuse, accueillante, ouverte aux étrangers installés depuis plusieurs années dans notre pays.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà que ça recommence !

M. Bernard Frimat. Une nouvelle fois, alors que l’idée est maintenant acceptée par un nombre important de Français, vous avez refusé de leur accorder le droit de vote aux élections locales. Or vous savez que seule une révision constitutionnelle peut lever l’obstacle juridique qui l’interdit. Là encore, c’est une occasion gâchée.

Vous avez refusé le dialogue sur nos propositions essentielles. Il n’a pas été possible pour nous d’obtenir ne serait-ce que le début du commencement d’une réponse positive sur aucune d’entre elles. Vous avez délibérément choisi la voie de l’affrontement, recherché la victoire d’un camp sur un autre. Là où nous attendions des progrès pour la démocratie, nous trouvons des reculs et le développement de la monocratie.

En conséquence, tous les sénateurs socialistes rejetteront, lundi, votre projet de révision. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Francis Grignon. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Francis Grignon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de cette deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, j’ai souhaité intervenir uniquement pour dire mon attachement à la reconnaissance des langues régionales et pour expliquer brièvement qu’à côté des enjeux culturels il peut y avoir des enjeux économiques consécutifs à cette reconnaissance.

Étant Alsacien non pas de naissance, mais d’adoption depuis plus de quarante ans, …

M. Philippe Richert. Et comment !

M. Francis Grignon. … j’ai appris à parler cette langue. C’est au travers de son usage que j’ai pu appréhender l’histoire, la culture et la richesse de cette région dont je suis devenu sénateur par la suite. Je fais référence d’abord à l’histoire, parce qu’on ne peut comprendre la culture et la richesse de cette région que si l’on connaît bien son histoire.

L’alsacien est issu de langues anciennes : l’alémanique et le francique. Malheureusement, la pratique du dialecte diminue d’année en année. Actuellement, un adulte sur quatre parle encore le dialecte, mais les enfants le pratiquent de moins en moins, ce qui fait que, progressivement, l’alsacien devient la langue des anciens.

Nous faisons bien des efforts pour augmenter son usage dès le plus jeune âge, mais il nous fallait un texte fondateur pour aller plus loin.

C’est la raison pour laquelle je me réjouis de la disposition sur l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France introduite au titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales.

En effet, au-delà des ouvertures culturelles évidentes que ce texte permet, cela devrait, dans notre cas particulier, nous inciter à mettre définitivement en place les moyens permettant à nos jeunes d’être bilingues français-allemand dès l’école primaire. Je dis « français-allemand », car je suis bien évidemment persuadé que, dans notre cas, c’est au travers de l’allemand qu’il faut aborder la question pour avoir une chance de sauver notre dialecte.

D'ailleurs, à partir de diverses expériences en primaire, on a pu constater que nos jeunes sont devenus facilement trilingues au collège. Dans un monde en pleine globalisation des échanges et des cultures, il est certain que l’on sera plus performant en comprenant l’autre plutôt qu’en l’ignorant.

D’une façon plus générale, à partir des langues régionales, il faut habituer nos enfants à ces gymnastiques de l’esprit qui leur permettront, j’en suis persuadé, d’aborder plus vite d’autres langues.

Vous voyez donc, mes chers collègues, que l’on est bien loin de porter atteinte à la place que le français occupe dans la sphère publique depuis 1539 avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts, tout comme on est bien loin d’éclipser en région la langue de Molière, source inépuisable de créativité et de richesse culturelle.

Notre assemblée, qui représente les territoires, ne peut que se réjouir de l’adoption par l’Assemblée nationale de cet amendement.

Enfin, cette solution de compromis permet d’éviter, j’en conviens, que les langues régionales ne soient mentionnées dans notre Constitution avant le français, qui reste à sa juste place. Elle permet aussi que soient prises en compte notre richesse et notre diversité, que nous devons considérer comme des atouts et non comme des handicaps pour nos enfants : ils pourront ainsi mieux évoluer sur leur futur terrain de jeu économique et culturel, qui sera pour le moins européen, voire mondial ou planétaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur diverses travées de lUC-UDF.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le dire en allemand !

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici aujourd’hui parvenus à l’épilogue de la réforme des institutions de la Ve République. Il y a plusieurs mois, une telle perspective était séduisante. Les conclusions du comité Balladur pouvaient présager un débat serein, constructif, marqué par un réel souci de laisser plus de place au Parlement, et, ce faisant, à l’opposition.

La prise en compte de la population des collectivités territoriales dans l’élection des sénateurs, le non-cumul des fonctions de membre du Gouvernement et d’un mandat d’élu local, la publicité des débats des commissions, autant de propositions qui auraient pu concourir à l’objectif que nous nous étions fixé : donner plus de pouvoirs au Parlement, plus de droits aux citoyens et encadrer le pouvoir exécutif.

Par ailleurs, plusieurs propositions, comme le droit de vote des résidents étrangers, absente des conclusions du comité Balladur, méritaient également une discussion à la hauteur d’une révision constitutionnelle annoncée comme la plus importante depuis 1958.

Depuis, nous avons traversé une série de péripéties qui ont transformé cette révision en non-événement. Dans un esprit totalement contraire à l’objet de cette réforme, nous avons dû subir l’irrédentisme de la majorité sénatoriale, incapable de démontrer sur ce texte une once d’ouverture. Mes chers collègues, permettez-moi de vous le dire, le Sénat fut une caricature de lui-même !

Tous les citoyens que je rencontre depuis le début de l’examen de ce projet de loi sont déçus : déçus de l’inertie dont nous avons fait preuve, déçus du manque d’audace des parlementaires, notamment du Sénat, égal à lui-même, comme ils disent. Chambre conservatrice devant l’Éternel, la Haute Assemblée a marqué de son immobilisme la réforme engagée.

En lieu et place d’un débat serein, la majorité a réduit cette révision à une mascarade politique. Comment accepter que, dans un débat où doivent s’exprimer toutes les oppositions, où toutes les audaces peuvent trouver leur place, vous n’ayez eu de cesse de réduire l’effet utile de cette réforme en la transformant en exercice cosmétique ?

Dans cette réforme, tout ce qui faisait sens est aujourd’hui absent. Toutes les propositions que nous avons présentées ont été balayées d’un revers de main, comme si l’opposition devait se contenter d’observer la majorité négocier entre ses membres les points qui méritaient de survivre.

Comble de cette méthode, votre majorité se réunit avant la deuxième lecture, afin que l’Assemblée nationale et le Sénat se mettent d’accord sur un texte commun. Vous inventez une sorte de « CMP de la majorité parlementaire », débarrassée de l’opposition, vidant ainsi le débat de toute son utilité. Mes chers collègues, il me semblait que la notion de démocratie parlementaire signifiait que la loi était débattue et votée dans l’hémicycle du Parlement et non pas dans les bureaux de I’UMP ou de Matignon.

M. Patrice Gélard. Que faisons-nous en ce moment ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous voici donc muselés, sommés d’adopter ce texte conforme, sans pouvoir le modifier ni l’amender, sans pouvoir ni ajouter ni retrancher le moindre mot. En somme, le débat que nous allons avoir ces prochains jours ne sert à rien : les dés sont jetés depuis l’adoption du texte, modifié en deuxième lecture, par l’Assemblée nationale.

Nous voici transformés en chambre d’enregistrement : nous sommes les figurants d’une histoire que nous n’avons pas souhaité écrire et que, pourtant, nous devons aujourd’hui avaliser sans coup férir. Il me semblait que la souveraineté parlementaire permettait à l’opposition de participer au débat démocratique. Comment ne pas être scandalisé de savoir, avant même que le débat ait lieu, que cette histoire est déjà écrite ?

En première lecture, le Sénat a fait preuve d’une timidité qui ne l’honore pas. La suppression de toute référence aux langues régionales dans la Constitution en est un exemple : comme nous l’avions d’ailleurs proposé, lors de la première lecture, l’Assemblée nationale a décidé de les réintégrer dans un autre article que l’article 1er. Tant mieux !

Malheureusement, le droit de vote des étrangers, qui avait reçu dans cette assemblée aussi un écho assez favorable, notamment auprès d’éminents collègues de la majorité, a été repoussé à moins de vingt voix. Une nouvelle fois, nous avons raté l’occasion de donner un nouvel élan à notre démocratie !

Nous aurions souhaité aujourd’hui obtenir une seconde chance sur ce point, mais les choses sont ainsi faites : nous allons assister à un simulacre de débat, dont l’issue sera sans surprise.

Après avoir assumé en première lecture son rôle de chambre conservatrice, le Sénat se retrouve, en deuxième lecture, dans la situation de devoir adopter le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale sans pouvoir réagir sur de nombreux points, texte contraire aux positions adoptées ici même par la commission des lois.

À ce stade, une question me vient à l’esprit : pourquoi le Gouvernement ne demande-t-il pas l’application de l’article 44, alinéa 3, à savoir le vote bloqué ? Pourquoi ne pas utiliser cette procédure inique, mais prévue par la Constitution, au lieu de laisser croire que le texte qui sortira de cette chambre sera le fruit d’un débat honorable et d’un échange fructueux ? Quelle hypocrisie ! Autant assumer ce qui va advenir de ce texte au Sénat dans les deux jours que nous lui consacrerons et en tirer les conséquences sur le plan de la procédure parlementaire car, sans que cela soit dit, nous allons procéder à un vote bloqué ! Aucun amendement ne sera retenu. D’ailleurs, aucun amendement n’a été déposé par la commission des lois en deuxième lecture.

Pourquoi avoir autant peur d’une troisième lecture ? Pourquoi refuser toute possibilité d’évolution à ce texte ?

Madame la ministre, messieurs du Gouvernement, les Français doivent savoir pourquoi vous ne souhaitez pas que ce texte soit à nouveau amendé : le Congrès doit se réunir le 21 juillet, ainsi en a décidé le prince et, quel que soit le prix à payer, pas question de changer la date !

Sans recul ni temps pour la réflexion, nous ne pourrons pas donner à cette réforme l’envergure qu’elle mérite. Les Français devront se contenter de quelques mesures sans grande conséquence, sauf quelques avancées timides qui tiennent en cinq articles, tout au plus.

Pour le reste, il s’agit d’une réforme de convenance : le désir de briller de notre Président qui aime à faire dans l’affichage médiatique ; la soumission du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, complaisants avec un Sénat qui reste jaloux de ses privilèges et refuse de se réformer.

Comment appeler autrement une réforme qui permet aux ministres actuellement en place de retrouver leur siège de parlementaire, dans le mépris le plus total du principe de non-rétroactivité ? Vous avez supprimé l’affirmation de ce principe à l’article 11 du projet de loi mais, en vérité, la rétroactivité réapparaît dans l’article 34 – d’une manière organisée, il est vrai, mais elle est bien là –, en contradiction totale avec les grands principes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En première lecture à l’Assemblée nationale, le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur du texte, avait souhaité inscrire ce principe de non-rétroactivité dans la Constitution, en précisant que « sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi dispose pour l’avenir », conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Pouvez-vous me dire quel motif déterminant d’intérêt général justifie la possibilité pour les ministres actuels de retrouver leur siège ? II n’y en a pas ! Seul un intérêt personnel peut être avancé : créer aux ministres actuels un « parachute doré » au Sénat ou à l’Assemblée nationale.

N’oublions pas que la vocation des parlementaires est de servir la France et l’intérêt général, et non de se servir, en répondant aux intérêts particuliers de ministres soucieux de leur avenir politique. À elle seule, cette disposition est topique de la méthode du Gouvernement : laisser penser qu’il donne, alors qu’il ne fait que se servir !

Sur ce point précis, la commission des lois du Sénat avait adopté une position de sagesse, en refusant toute rétroactivité de l’article 10 du projet de loi. Après avoir déserté les travées de notre assemblée lors du vote de notre amendement demandant la non-rétroactivité, laissant notre rapporteur bien seul à défendre sa position, la commission se retrouve aujourd’hui contrainte de céder aux injonctions du Gouvernement et d’accepter cette règle. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres des raisons qui nous obligent à refuser ce texte.

En toute sincérité, je regrette de vous le dire, nous ne voyons aucune avancée notable qui pourrait justifier notre adhésion.

Aucun geste à l’égard des étrangers qui, autant que les citoyens communautaires, devraient se voir reconnaître le droit de voter aux élections municipales. Sachant que le Gouvernement ne cesse de proclamer qu’il mène une politique d’insertion des étrangers, ne serait-ce pas là le meilleur moyen de les accompagner dans l’intégration politique ?

Aucun geste à l’égard de l’opposition sénatoriale, condamnée à demeurer éternellement dans l’opposition, par le refus de toute modification des modes de scrutin pour l’élection des sénateurs, au mépris des nouvelles majorités politiques de nos régions et de nos départements.

Aucun geste non plus à l’égard des petits partis, en refusant l’injection d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Sur cette dernière question, les groupes minoritaires du centre tenaient entre leurs mains les clés de cette réforme. En effet, ils avaient les moyens d’imposer l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, car ils étaient en position de bloquer, le 21 juillet, cette réforme de nos institutions.

Mais au lieu de tenir tête à la majorité et d’imposer votre propre conception de la représentation pluraliste des opinions politiques, vous avez préféré abdiquer. Vous portez une responsabilité historique et les Français s’en souviendront !

Quant à nous, les sénateurs Verts, vous l’avez compris, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques jours, la fébrilité a saisi les principaux leaders de la majorité, lesquels reprennent tous en chœur le couplet du président de l’Assemblée nationale dans la presse de ce matin, affirmant que si le rejet du projet de loi constitutionnelle par le Congrès « ne serait pas bon pour l’exécutif », il serait « encore plus calamiteux pour l’opposition, qui irait totalement en sens contraire de ce que veut l’opinion ».

Au-delà des manœuvres politiciennes en cours pour essayer de débaucher tel ou tel parlementaire de l’opposition afin de sauver la révision constitutionnelle, ce qui serait réellement calamiteux pour nos institutions serait de laisser croire que, s’il entrait en vigueur, ce projet de loi marquerait un réel progrès démocratique.

Loin des débats juridiques qui nous agitent, les Français attendent d’abord de la réforme des institutions qu’elle interdise au chef de l’État d’abuser sans cesse du pouvoir, comme il l’a fait depuis son élection au profit de son clan. Or rien dans le texte actuel du projet de loi constitutionnelle ne permettrait d’encadrer la pratique du pouvoir présidentiel quand elle dérive vers la monocratie, comme c’est le cas aujourd’hui. Au contraire !

Nous n’avons pas ici de débat désincarné. Nous sommes en droit – c’est même un devoir –, pour clarifier l’enjeu, de nous poser des questions tout à fait pratiques et concrètes.

Le projet de loi voté, les pouvoirs seront-ils rééquilibrés ?

Empêchera-t-il alors le Président de la République, garant, en vertu de l’article 5 de la Constitution, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, un jour de décrédibiliser l’armée, un autre de dévaluer le droit de grève, un troisième d’annoncer le contrôle direct du pouvoir exécutif sur la télévision publique ? Non !

Incitera-t-il le chef de l’État à ne plus nier le rôle du Premier ministre dans la conduite du gouvernement de la nation et à ne plus réunir régulièrement un Gouvernement bis à l’Élysée ? Non !

On nous promet que le projet de révision donnera au Parlement une place qu’il n’a jamais eue sous la Ve République. Après l’adoption du texte en l’état, la Constitution interdira-t-elle au pouvoir exécutif d’abuser de la procédure d’urgence, rebaptisée « procédure accélérée », comme il l’a fait depuis juin 2007 ? Non !

On nous dit que la parole des citoyens sera plus directement prise en compte. La démocratie participative sera-t-elle installée ? Non !

Les millions d’étrangers extracommunautaires qui vivent régulièrement en France et payent des impôts pourront-ils enfin voter aux élections locales ? Non !

On nous jure, comme l’a fait Mme le garde des sceaux la semaine dernière à l’Assemblée nationale, que l’article 34 de la Constitution tel que complété par l’amendement que j’avais défendu au nom des socialistes – contre son avis, d’ailleurs – garantira pleinement « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Cette disposition suffira-t-elle, à elle seule, à dissuader un ministre d’État, ministre de l’intérieur, candidat à l’élection présidentielle, d’obtenir la révocation du directeur de la rédaction d’un des principaux newsmagazine du pays ou de donner son avis sur le recrutement d’un journaliste politique chargé de suivre son propre parti ? Non !

Permettra-t-elle d’interdire à des conglomérats industriels de détenir des intérêts dans les médias tout en étant par ailleurs clients ou fournisseurs de l’État, comme c’est le cas des groupes Dassault et Lagardère, marchands d’armes et propriétaires de titres de presse, ou de Bouygues, géant du BTP et principal actionnaire de la chaîne de télévision dominant le marché publicitaire français ? Non !

Interdira-t-elle à un grand groupe économique comme LVMH de contrôler directement le principal journal d’information économique ? Non !

Incitera-t-elle le chef de l’État à ne plus accepter de partir en vacances aux frais d’un riche homme d’affaires, en l’occurrence Vincent Bolloré, qui vient de prendre le contrôle de la totalité du capital de la société d’études d’opinion CSA, tout en étant propriétaire de la chaîne de télévision Direct 8 et de plusieurs « gratuits », et l’actionnaire principal de la Société française de production, la SFP, prestataire de France Télévisions ? Non !

M. Georges Gruillot. Ça vole bas !

M. David Assouline. Obligera-t-elle les parlementaires de l’UMP à veiller à ne pas devenir les simples relais des lobbies proches de l’Élysée à l’occasion des débats parlementaires, comme on l’a vu, lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie, avec l’amendement « Lefebvre » relevant à 8 % le seuil d’audience de 2,5 % permettant de détenir plus de 49 % du capital d’une chaîne de télévision hertzienne terrestre, ce qui permettra, par exemple, au groupe Bouygues de mettre la main sur le capital de Télévision Monte-Carlo, dont l’audience s’élève aujourd’hui à plus de 4 % ? Non !

Garantira-t-elle aux journalistes leur liberté d’enquêter et d’écrire quand un scandaleux amendement sénatorial à la loi de modernisation de l’économie remet en cause leurs droits d’auteurs et qu’un projet de loi en cours de discussion, défendu par Mme Dati, fait de même du principe, jusque-là absolu, du secret de leurs sources ? Non !

Empêchera-t-elle le Président de la République de confondre le service public de l’audiovisuel avec une télévision d’État dont il nommerait les dirigeants et de décider, seul, de remettre en cause le financement de France Télévisions pour assurer aux télévisions privées la captation de la totalité du marché publicitaire ? Non !

Obligera-t-elle le Conseil supérieur de l’audiovisuel à décompter du temps de parole du Gouvernement sur les antennes de radio et de télévision celui du Président de la République, devenu animateur de réunions de la majorité dont il est le véritable chef ? Non !

Autrement dit, mes chers collègues, ce projet de révision n’est qu’un faux-semblant : son entrée en vigueur ne fera qu’élargir le fossé entre les Français et leurs institutions, qu’alimenter la défiance de nos concitoyens envers les responsables politiques, puisque, sous couvert de modernisation des institutions, le texte va accroître la présidentialisation monocratique et l’emprise du fait majoritaire sur notre vie démocratique.

J’appelle donc solennellement le Sénat à revoir la copie qui nous revient de l’Assemblée nationale, notamment en inscrivant dans notre Constitution des dispositions rendant immédiatement opérants les principes de liberté, d’indépendance et de pluralisme des médias, comme nous le proposons avec les amendements que nous défendrons.

Pour terminer, je voudrais citer Victor Hugo à l'Assemblée nationale en 1848, intervenant précisément dans un débat sur la Constitution : « Messieurs, la liberté de la presse est la garantie de la liberté des assemblées.

« Les minorités trouvent dans la presse libre l’appui qui leur est souvent refusé dans les délibérations intérieures. Pour prouver ce que j’avance, les raisonnements abondent, les faits abondent également. […]

« Ne souffrez pas les empiétements du pouvoir ; ne laissez pas se faire autour de vous cette espèce de calme faux qui n’est pas le calme, que vous prenez pour l’ordre et qui n’est pas l’ordre ; faites attention à cette vérité que Cromwell n’ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi : le silence autour des assemblées, c’est bientôt le silence dans les assemblées. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)