M. le président. Monsieur Lambert, l'amendement n° 22 est-il maintenu ?

M. Alain Lambert. Non, je le retire, monsieur le président.

Toutefois, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, je tiens à apporter une précision. Mon amendement, qui est peut-être mal rédigé, ne visait nullement à permettre au Gouvernement de légiférer à la place du Parlement.

M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.

Articles additionnels après l'article 14
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Article 16

Article 15

Dans le premier alinéa de l'article 41 de la Constitution, après les mots : « le Gouvernement », sont insérés les mots : « ou le président de l'assemblée saisie ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 119, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. L’article 15 du projet de loi constitutionnelle modifie l’article 41 de la Constitution pour accorder au président de chaque assemblée la faculté de soulever l’irrecevabilité des amendements qui ressortiraient au domaine réglementaire.

Je le rappelle, en première lecture, le Sénat a adopté deux amendements identiques de suppression de cet article, le premier du rapporteur de la commission des lois, M. Hyest, et le second du groupe socialiste. À l’époque, M. le rapporteur nous expliquait qu’une telle disposition était inutile.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon lui, il appartenait au Gouvernement de défendre ses propres prérogatives, et non aux présidents des assemblées de le faire à sa place.

Comme M. le rapporteur nous l’avait également rappelé, l’article 41 de la Constitution n’a pas été souvent mis en œuvre par le Gouvernement pour déclarer qu’une disposition était de nature réglementaire. Il est même convenu qu’il pouvait parfois être utile d’outrepasser les dispositions strictes des articles 34 et 37 de la Constitution, qui, comme vous le savez, déterminent le domaine de la loi.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a rétabli l’article 15. D’ailleurs, M. le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a purement et simplement repris l’argumentation du Gouvernement, expliquant que le dispositif proposé ne pourrait s’appliquer que de manière facultative, contrairement à la recevabilité financière, qui présente un caractère absolu, et estimant infondées les craintes portant sur la limitation du droit d’amendement.

De mon point de vue, l’argumentation de la commission des lois de l’Assemblée nationale, contrairement à celle de la commission des lois du Sénat, apparaît bien faible. C’est pourquoi il n’y aurait, me semble-t-il, que des avantages à nous réunir tous autour de la position de notre rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest.

Mais, pour les raisons déjà évoquées, il n’en sera rien, une fois encore ! En effet, même si cette disposition est perçue comme mauvaise,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai pas dit qu’elle était mauvaise !

M. Jean-Pierre Sueur. … même si elle porte finalement atteinte au droit d’amendement,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. … même si elle donne un pouvoir inutile aux présidents des assemblées, même si la possibilité offerte au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à un amendement portant sur un sujet relevant du domaine réglementaire suffit amplement, cet amendement ne sera sans doute pas adopté. (Exclamations amusées.)

Vous l’avez bien compris, l’article 15 vise seulement à donner des arguments à ceux qui voudraient empêcher l’examen de certains amendements.

Franchement, il serait logique de la part du Sénat de se rassembler autour de la pensée de M. Jean-Jacques Hyest ! (Sourires.)

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L'article 41 de la Constitution est abrogé.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je crains que mon amendement ne connaisse le même sort que celui qu’a prédit M. Sueur pour son propre amendement et, disant cela, je pense faire plus preuve de réalisme que de pessimisme !

Comme vous le savez, l’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à une proposition ou à un amendement qui n’est pas du domaine de la loi ou qui est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38, relatif aux ordonnances.

Aux termes de l’article 15 du projet de révision constitutionnelle, cette faculté serait également offerte aux présidents des assemblées parlementaires.

En première lecture, le Sénat s’était opposé à une telle extension. Puis, l’Assemblée nationale a rétabli la rédaction initiale du projet de révision. À présent, vote conforme oblige, la majorité sénatoriale s’apprête à se contredire !

En protégeant les textes d’origine gouvernementale des empiétements du législateur dans le domaine réglementaire, l’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement de repousser des amendements ou propositions, alors que le droit d’amendement est précisément une prérogative essentielle pour les parlementaires. Par conséquent, l’article 41 de la Constitution et le droit d’amendement des membres du Parlement sont contradictoires.

On nous explique qu’étendre aux présidents des assemblées la possibilité d’opposer l’irrecevabilité serait une mesure d’égalité entre ces derniers et le Gouvernement.

Ce que nous constatons, c’est surtout qu’une telle extension contraindrait encore plus le droit d’amendement. Alors, de grâce, n’essayez pas encore une fois d’invoquer une revalorisation du rôle du Parlement et des parlementaires ! L’article 15 contribue, au contraire, à limiter leur action.

Il eût mieux valu inscrire dans la Constitution un droit absolu d’amendement pour chaque élu national. Mais l’objectif affiché du renforcement des pouvoirs du Parlement n’est qu’un prétexte à ce qui est en réalité une reprise en main.

La disposition contenue dans l’article 15 constituera une pression supplémentaire pour le président de l’Assemblée nationale, qui pourra lui aussi décider de l’irrecevabilité d’un amendement.

Mme le garde des sceaux a indiqué que l’article 41 était fondamental, tout en soulignant dans le même temps qu’il avait été peu utilisé. L’objectif non avoué serait-il alors de faire en sorte qu’il soit employé bien plus souvent ? Si c’est le cas, inutile de vous dire que cela nous inquiète encore plus !

Pour toutes ces raisons, nous sommes contre l’extension de la possibilité d’opposer l’irrecevabilité aux présidents des assemblées. Mais nous allons plus loin : nous sommes opposés à l’article 41 dans son intégralité.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !

Mme Éliane Assassi. Nous en demandons l’abrogation parce qu’il confère selon nous au Gouvernement un pouvoir de nature arbitraire. Il participe de ces dispositions qui consacrent la prééminence de l’exécutif sur le législatif, notamment en favorisant un déséquilibre au profit du domaine réglementaire et en mettant directement en cause le droit d’amendement qui appartient aux parlementaires.

Plutôt que d’étendre l’article 41 de la Constitution, revaloriser le rôle du Parlement supposerait plutôt d’abroger cette disposition. C’est ce que nous proposons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’aime beaucoup entendre M. Sueur prévoir ce que je vais dire !

M. Jean-Pierre Sueur. Je rends simplement hommage à ce que vous disiez auparavant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je maintiens ce que j’ai dit. Simplement, l’Assemblée nationale tient beaucoup à cet article 15.

M. Jean-Pierre Sueur. Donc, vous retirez vos propos d’hier !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si ! Vous votez contre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À mon sens, l’article 15 crée une simple faculté. Dès lors, je ne vais pas remettre en cause le choix de l’Assemblée nationale de réintroduire dans le projet de révision constitutionnelle un dispositif prévu par le Gouvernement. Cela fait partie des éléments du dialogue avec l’Assemblée nationale,…

M. Robert Bret. Non, avec l’UMP !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … c’est tout ! Ce n’est pas quelque chose de fondamental ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Josiane Mathon-Poinat. Quelle pirouette !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. D’autres acteurs institutionnels souhaitaient également ce dispositif, qui sera – je le crois – peu utilisé. D’ailleurs, l’article 41 est déjà peu employé ; M. le secrétaire d’État pourrait le confirmer. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, autant le supprimer !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je suis parlementaire depuis vingt-trois ans et je n’ai pratiquement jamais vu un gouvernement demander l’application de l’article 41.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pour ma part, je le déplore !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On peut, certes, parfois, le regretter.

Cette faculté est étendue aux présidents des assemblées : grand bien leur fasse ! Puisque je ne m’y oppose pas, je suis défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je répondrai brièvement, monsieur le président, parce que nous avons déjà eu ce débat.

En ce qui concerne l’amendement n° 119, je dirai que le Gouvernement est favorable au maintien d’une disposition qui permet aux présidents d’une assemblée de constater l’irrecevabilité d’un amendement de nature réglementaire, comme peut le faire aujourd’hui le Gouvernement. Ce contrôle de l’irrecevabilité, vous le savez bien, n’aura rien de systématique, contrairement à ce qui existe pour l’article 40.

Pour ce qui est de l’amendement n° 159, je rappelle que le Gouvernement est attaché à l’irrecevabilité de l’article 41, qui, même si elle est peu utilisée, a toute son utilité. Le présent projet de loi vise précisément à en faciliter l’usage, le cas échéant.

Le Gouvernement souhaite le maintien de l’article 41 parce que le respect du partage entre loi et règlement participe de l’intelligibilité de la loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. L’argumentation que vient de développer M. le rapporteur ne nous a malheureusement pas convaincus.

Il nous a expliqué qu’il maintenait ce qu’il avait dit en première lecture, mais qu’il était, hélas, contraint de nous demander de nous prononcer en sens inverse de la position qu’il avait défendue.

Cependant, il a ajouté un argument : comme cet article ne sert à rien et puisqu’on ne s’en servira pas, ce n’est pas grave de donner ce pouvoir supplémentaire au président du Sénat !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Non, il n’a pas dit cela !

M. Jean-Pierre Sueur. Il est tout de même difficile d’être convaincu par un tel argument !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 119.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 15.

(L'article 15 est adopté.)

Article 15
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Article 17

Article 16

L'article 42 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 42. - La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie.

« Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.

« La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission.

« L'alinéa précédent ne s'applique pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45. Il ne s'applique pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et aux projets relatifs aux états de crise. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 60, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer la disposition selon laquelle l’examen en séance publique porterait sur le texte issu des débats de la commission concernée.

Cette innovation nous est présentée comme un renforcement des pouvoirs du Parlement, comme une importante revalorisation de la fonction législative. Il nous est expliqué que la discussion du texte de la commission en séance publique nous permettrait de nous recentrer sur les questions de fond. Comme si, sur ce texte, mes chers collègues, nous débattions d’autre chose que de questions de fond !

Le débat en séance publique est un point d’appui pour que l’opposition puisse faire valoir ses analyses et ses propositions de fond, afin de mettre en évidence les différents choix et les différentes orientations. La séance est le lieu de la publicité des débats, de leur transparence, une transparence qui serait renforcée si l’égalité du temps de parole entre les groupes était de mise.

La séance publique est aussi le lieu où tous les parlementaires peuvent s’exprimer et croiser leurs points de vue. C’est d’autant plus utile que de nombreux textes de loi contiennent des dispositions qui intéressent plusieurs secteurs de la vie de notre pays.

De plus, dans cette assemblée, qui comporte de nombreux élus locaux, des maires notamment, beaucoup sont à même d’intervenir utilement sur des textes qui, s’ils ne concernent pas leur commission, les intéressent au regard de la gestion de leur collectivité.

L’article 16 aura surtout des conséquences sur les groupes les moins importants, qui ne disposent pas des moyens d’assurer une présence forte et régulière en commission.

Il faut aussi envisager cet article à la lumière des autres dispositions du projet de loi, notamment des droits de l’opposition.

Tout d’abord, avec ce projet de loi qui ne prévoit ni une modification des modes de scrutin dans le sens d’un renforcement de la proportionnelle ni aucune autre disposition permettant au Parlement d’être réellement représentatif du peuple, le fait majoritaire va en fait s’accentuer.

Aucune garantie ne nous est donnée que le débat en séance publique ne sera pas tronqué. Quelle assurance aurons-nous de pouvoir redéposer des amendements en séance publique ? Quel sera le rôle du Gouvernement à l’égard des commissions ?

L’article 15 renforce les conditions d’irrecevabilité des textes et l’article 18 multiplie les possibilités d’examen simplifié en commission.

Si l’idée est de lutter contre toute tentative d’obstruction de la part de l’opposition, le Gouvernement et la majorité ont mieux à faire : cesser de nous faire examiner autant de projets de lois en urgence – procédure assortie de fait d’une restriction du temps de parole en séance –, cesser de rejeter, trop souvent sans réel examen, les propositions de l’opposition ; bref, permettre un réel débat de fond et non pas imposer au Parlement un seul point de vue, comme la majorité s’apprête une nouvelle fois à le faire avec l’annonce avant tout débat d’une adoption conforme du présent projet de loi constitutionnelle.

Ainsi, loin de renforcer les pouvoirs du Parlement, l’article 16 les amoindrit, mais renforce, par contre, le fait majoritaire.

M. le président. L'amendement n° 120, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution.

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. L'article 16 du projet de loi constitutionnelle dispose que la discussion en séance publique des projets de loi se fera dorénavant sur le texte issu des travaux de la commission saisie au fond, à l'exception des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et des projets de révision constitutionnelle.

En première lecture, le rapporteur de la commission des lois a indiqué, de manière laconique, que ces dérogations étaient justifiées. Nous pensons au contraire que ces exceptions sont opposées à la logique affichée de la présente réforme constitutionnelle. Si l'on veut véritablement revaloriser le travail des commissions et concentrer le débat en séance publique sur les options de fond, rien ne justifie le sort particulier fait aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et aux projets de loi constitutionnelle. On devrait même considérer que la discussion sur la base des conclusions de la commission saisie au fond devrait précisément porter sur ces projets, car ils concernent les domaines essentiels de l'action gouvernementale.

C'est la raison pour laquelle nous déposons de nouveau cet amendement de suppression de la dérogation à la règle de l'examen en séance publique des textes élaborés par la commission.

En effet, il n’est pas logique que les projets de loi constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne puissent être examinés sur la base du texte adopté par la commission, alors même qu’il est de tradition de considérer le vote de la loi de finances comme l’acte essentiel du Parlement.

Pourquoi, alors que l’on veut revaloriser le Parlement à travers le travail de ses commissions, lui interdit-on de débattre sur les travaux de ces dernières pour des projets de loi très importants ?

M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, supprimer les mots :

aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. J’aimerais savoir pourquoi on fait un sort particulier, en matière de délais, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale, alors que j’ai cru entendre, dans les travaux de première lecture, que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale ne se voyaient conférer, dans la hiérarchie des normes, aucune « valeur ajoutée » particulière.

J’imagine qu’on m’éclairera sur ce mystère.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le fait que l’on vote désormais en première lecture sur le texte de la commission est un apport important de cette révision constitutionnelle. Cette proposition figurait d'ailleurs dans le rapport d’information de MM. Gélard et Peyronnet ; elle va effectivement beaucoup changer l’organisation de notre travail parlementaire.

La situation est tout de même extraordinaire : on octroie un droit nouveau au Parlement, et le groupe communiste n’en veut pas !

M. Philippe Marini. C’est vraiment surprenant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous en avons débattu en première lecture : la commission est favorable à cette mesure ; elle émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 60.

Quant au groupe socialiste, il se demande, tout comme Alain Lambert, pourquoi on exclut de cette possibilité les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Il convient de rappeler que, dans ce domaine, le Gouvernement a le monopole de l’initiative législative. Nous avons retenu les considérations du comité Balladur, qui avait conclu que, dans ce domaine crucial de l’action gouvernementale, celui-ci devait conserver l’initiative. Le budget peut certes être amendé, mais il reste dans le cadre proposé par le Gouvernement. C’est pourquoi nous n’avons pas étendu aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale le fait de discuter en séance le texte adopté par la commission.

Compte tenu de ces explications, la commission demande le retrait de l’amendement n° 23 et le rejet des amendements nos 60 et 120.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. J’avoue que j’ai un peu de mal à suivre la position défendue par les auteurs de l’amendement n° 60. Vous proposez de supprimer un élément majeur dans l’entreprise de renforcement du Parlement…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne sommes pas d’accord avec vous !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … en prévoyant que, réserve faite du PLF, du PLFSS et des projets de révision de la Constitution, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement mais le texte issu des travaux de la commission qui en a été saisie.

Je constate d’ailleurs une différence d’appréciation entre les différents groupes de l’opposition, puisque certains considèrent tout de même que c’est une avancée.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable sur cet amendement.

Quant à l’exception concernant les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, elle figurait déjà dans le rapport remis par le comité Balladur. Aux yeux du comité, la règle nouvelle ne s’appliquerait pas aux projets de loi de finances non plus qu’aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui sont au cœur des prérogatives du Gouvernement dans la conduite de l’action publique. Elle ne vaudrait pas non plus pour des projets de loi constitutionnelle.

Madame Printz, cette dernière exception se justifie par le fait qu’un projet de loi constitutionnelle est une initiative propre du Président de la République. Il a semblé justifié aux membres du comité Balladur ainsi qu’au Gouvernement qu’une telle proposition du chef de l’État vienne en discussion en séance sous la forme que le Président a souhaitée.

En ce qui concerne les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, monsieur Lambert, le Gouvernement estime que ces projets répondent à des règles très spécifiques au regard des procédures, des délais, de la présentation des amendements. Ces règles figurent dans la Constitution aux articles 47 et 47-1, mais aussi dans la fameuse LOLF, dont vous avez été l’initiateur, ainsi que dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Il a semblé au Gouvernement que ces dispositions organiques avaient leur cohérence et qu’il n’était pas nécessaire de revenir sur ces dispositifs, qui, de l’avis de tous, ont beaucoup apporté au débat budgétaire.

Il a surtout semblé au Gouvernement que ces deux projets très spécifiques correspondaient à des choix déterminants du Gouvernement, qu’ils devaient venir en tant que tels en séance publique et être soumis ainsi très solennellement aux parlementaires.

Sans doute, monsieur Lambert, avez-vous raison en indiquant que des efforts doivent être faits pour que les projets de loi de finances soient remis dans de meilleures conditions à l’automne. Je dois vous avouer que je bataille fermement pour obtenir des améliorations en ce domaine, mais vous savez mieux que moi combien la procédure d’élaboration du budget est lourde et complexe.

je serais heureux que, sous le bénéfice de ces commentaires, monsieur Lambert, vous puissiez retirer votre amendement.

Sur les deux autres amendements en discussion commune, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je me permets de relever la position du Gouvernement, qui demande à Alain Lambert de retirer son amendement, mais qui propose le rejet de notre amendement identique : c’est curieux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais vous ne demandiez pas d’explication !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous aimerions être traités de la même manière dès lors que notre amendement tend exactement aux mêmes fins.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la même motivation !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne sais pas si Alain Lambert retirera le sien, mais nous sommes tout à fait d’accord avec lui pour que les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale n’aient pas un sort particulier.

La proposition qui consiste à prendre pour base le texte de la commission nous paraît intéressante ; en revanche, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait des exceptions.

Nous sommes donc d’accord avec Alain Lambert et vous l’êtes sûrement aussi, mais vous ne cherchez qu’à voter ce texte conforme.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est conforme à ce nous avons voté en première lecture !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n’est pas une raison suffisante. Le rôle du Sénat n’est pas d’émettre un vote conforme à toute force, au contraire !

Nous ne cesserons de dénoncer cette caricature de démocratie.

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan, pour explication de vote.

M. Josselin de Rohan. Ce débat est intéressant, car l’article qui a été adopté par l’Assemblée nationale contient une novation profonde dans le droit parlementaire de la Ve République.

Désormais, il y aura, pour la première assemblée saisie, deux catégories de textes soumis à l’examen en séance publique : ceux qui seront issus du travail de commission, sur lesquels le Gouvernement aura le droit, si je puis dire, de présenter des amendements pour inviter éventuellement l’assemblée à corriger ce qu’il estime trop éloigné de son texte initial, et ceux qui, touchant aux finances publiques, à la sécurité sociale et aux questions constitutionnelles, seront présentés tels que le Gouvernement les aura conçus.

Il est important de souligner que cette dernière catégorie de textes regroupe en effet ceux qui sont essentiels à l’action gouvernementale, qui en sont le fondement, ce qui justifie qu’une telle procédure soit retenue. S’agissant des leviers de sa politique, il est normal que le Gouvernement préfère voir le débat s’engager à partir des dispositions qu’il présente.

Dans un cas, le Gouvernement montre qu’il est prêt à accepter certaines modifications au projet de loi ; dans l’autre, il se prémunit contre ce risque.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très mauvais exemple !

M. Josselin de Rohan. C’est ici qu’intervient l’article 49-3 de la Constitution : si la commission, pour une raison ou pour une autre, dénature profondément le projet de loi, au point que le Gouvernement ne reconnaît plus ses intentions primitives et y voit même un danger pour l’exécution de son programme, le Premier ministre sera conduit à poser la question de confiance.

M. Josselin de Rohan. Cependant, il ne pourra le faire qu’une fois par session. Cela signifie qu’un travail approfondi de recherche de synergie devra être mené entre le Gouvernement et sa majorité.

M. Robert Bret. C’est sans doute le dialogue évoqué par M. Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Josselin de Rohan. En vérité, monsieur le secrétaire d'État, nous allons entrer dans l’ère du pari, et c’est un pari pascalien, car vous prenez un risque, nous prenons tous un risque : il faudra assurer chaque jour une véritable symbiose entre le Gouvernement et sa majorité.