M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Les arguments des différents orateurs comme les votes ont révélé la complexité de cette affaire de fusion des professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle.

Au risque de me répéter, je pense que c’est un mauvais coup porté aux PME, qui ont un besoin essentiel de la profession de conseil en brevets.

Réfléchissez un instant, mes chers collègues, à la formation qui sera exigée de ces professionnels. Après quatre ou cinq ans d’études supérieures d’ingénieur, ils devront suivre pendant deux ans, à Strasbourg, les enseignements du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle, puis encore se spécialiser en droit pendant trois ou quatre ans : soit une dizaine d’années d’études au total. Mieux vaut devenir chirurgien orthopédique ou radiologue ! La longueur excessive des études risque de décourager les jeunes Français de s’engager dans cette carrière.

La mécanique mise en route va, de fait, aboutir à la disparition de la partie « ingénieur » de cette profession, qui deviendra exclusivement juridique. Je pense qu’une telle évolution sera néfaste pour l’innovation et la recherche françaises, et qu’elle nous fera perdre des positions par rapport aux autres pays européens, à l’heure où la France a tant besoin d’en gagner.

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Je tiens d’abord à remercier le rapporteur et le président de la commission des lois d’avoir enrichi ma proposition de loi et d’avoir, pour l’essentiel, validé ma démarche. Je remercie également, bien sûr, le Sénat de les avoir suivis.

Cette proposition de loi porte sur l’exécution des décisions de justice et sur les conditions d’exercice des professions réglementées.

La bonne exécution des jugements fait partie intégrante du droit à un procès équitable tel qu’il est garanti par la Cour européenne des droits de l’homme. En renforçant les procédures d’exécution des jugements rendus, nous améliorons l’exercice de ce droit.

Dans le domaine des conditions d’exercice des professions réglementées, vous avez, mes chers collègues, approuvé l’essentiel de mes propositions. Je regrette néanmoins que l’article 2 ait été supprimé. Je pense qu’il s’agit d’une méprise, car cet article de clarification, dont la rédaction avait été fortement améliorée par la commission, n’avait rien de révolutionnaire et se contentait de préciser que les constats d’huissier font foi jusqu’à preuve du contraire. J’espère donc que nous aurons l’occasion d’y revenir dans la suite du processus parlementaire.

Pour le reste, je pense que nous faisons œuvre utile et je veux, une fois encore, dire ma gratitude à la commission des lois, à son président et à son rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Compte tenu de l’évolution qu’a connue ce texte au cours des débats, la majorité du groupe du RDSE ne le votera pas.

S’il présente des aspects positifs, notamment en matière d’organisation des professions, nous considérons qu’il favorise une déjudiciarisation à laquelle nous sommes, par principe, très opposés.

Sur la fusion entre les conseils en propriété industrielle et les avocats, nous n’avons pas, en l’état, de position tranchée, mais, étant donné les problèmes qui restent à élucider, nous aurions préféré que le débat se poursuive.

En ce qui concerne la procédure participative, nous avons émis un certain nombre de réserves et les réponses que nous avons obtenues ne me paraissent pas satisfaisantes, notamment pour les petits litiges.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions modifiées de la commission des lois sur la proposition de loi n° 31, relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 116 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 186
Contre 153

Le Sénat a adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées
 

7

Nomination de membres d'une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean-Paul Emorine, Dominique Braye, Philippe Dallier, Mme Brigitte Bout, MM. Daniel Dubois, Daniel Raoul, Thierry Repentin.

Suppléants : MM. Gérard Cornu, Philippe Darniche, François Fortassin, Pierre Hérisson, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Mme Odette Terrade.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l'accès des travailleurs étrangers à l'exercice de certaines professions libérales ou privées
Discussion générale (suite)

Suppression des conditions de nationalité pour certaines professions

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l'accès des travailleurs étrangers à l'exercice de certaines professions libérales ou privées
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par Mme Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (nos 176, 197).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la proposition de loi.

Mme Bariza Khiari, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui traite d’une problématique souvent méconnue mais qui n’a rien d’anecdotique. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la loi du 30 janvier 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE. À l’époque, cette loi avait bénéficié de l’unanimité dans les rangs sénatoriaux, ce qui prouve l’importance de ces questions et le consensus qu’elles suscitent.

De fait, on a généralement connaissance des restrictions à l’emploi fondées sur des questions de validité du diplôme présenté, mais on ignore fréquemment qu’il en existe d’autres, liées à la seule nationalité de l’intéressé, dans la mesure où il doit être Français pour pouvoir prétendre travailler.

On peut comprendre les premières restrictions : elles visent à protéger les citoyens en ouvrant certaines professions aux seules personnes qui ont suivi une formation conforme à celle que suivent nos propres étudiants se destinant à l’exercice des métiers considérés. La deuxième catégorie de restrictions laisse en revanche plus circonspect, tant leur justification paraît davantage sujette à caution.

Certes, il semble légitime de réserver aux nationaux les emplois touchant à la sécurité du pays ou à l’exercice des prérogatives de la puissance régalienne. Mais, dans la pratique, bien d’autres professions sont concernées par ce principe qui, en l’occurrence, paraît peu compréhensible.

Ce texte vise donc à mettre un terme à une situation ubuesque dans laquelle les conditions de nationalité ne sont pas l’apanage des professions publiques ou en lien avec l’exercice de la puissance publique, mais concernent des secteurs variés qui n’appellent nullement une telle restriction.

Il ne s’agit donc en aucun cas de porter atteinte à la condition de diplôme, mais de limiter celle de nationalité aux cas où elle semble appropriée. En d’autres termes, il s’agit de légiférer dans un souci de meilleure intégration des populations étrangères qualifiées vivant sur notre territoire.

On ne saurait en effet nier le caractère daté de cette législation restrictive, qui rappelle des heures malheureuses de xénophobie et d’intolérance, et à laquelle la République se doit donc de mettre un terme. Les fondements de ces restrictions sont historiquement connotés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. La plupart des textes régissant ces limitations furent en effet adoptés dans la période de l’entre-deux guerres, lorsque montaient les tensions entre différents pays. Aujourd’hui, plus rien ne sous-tend désormais ces lois désuètes qui font honte à nos principes républicains.

Plusieurs principes fondent en effet cette proposition de loi. Elle s’inscrit, tout d’abord, dans la continuité de la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité. Elle vise, ensuite, à restaurer la valeur du diplôme, fondement même de notre régime méritocratique. Elle s’attache, enfin, à simplifier le droit en réduisant les procédures administratives, de manière à faciliter les relations entre l’administration et les usagers, objectif à valeur constitutionnelle.

Je reviens sur chacun de ces points.

La République ne récuse pas la différence. Bien au contraire, dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte sacré s’il en est, est affirmé le droit de chacun de penser comme il l’entend et de sortir du lot. Au fondement de nos institutions se trouve l’idée que, si chacun est différent, nous partageons tous un fond commun qui soutient le vivre-ensemble sur lequel notre régime s’appuie et qu’il tente de préserver chaque jour à travers le pacte républicain. La lutte contre les discriminations se situe dans cette perspective ; elle en constitue même la clé de voûte.

De fait, toute discrimination, parce qu’elle fait primer la différence, mine le vivre-ensemble en renvoyant chacun à sa particularité. Quand on incite à opérer une distinction entre nationaux et étrangers, on renvoie ces derniers à leur condition première, faisant par là même obstacle à leur intégration dans la société. Ils ont ainsi l’impression que la France ne veut pas d’eux, qu’elle cherche à leur fermer de multiples portes et de rendre plus difficile leur existence sur le territoire.

Alors que les étrangers sont, de manière générale, déjà en partie marginalisés du fait de l’absence de connaissances, d’amis, de famille et de réseau sur notre territoire, ils voient leur situation s’aggraver par une relégation supplémentaire du fait de la loi. Nous savons tous que la République vit à l’ombre de ses réseaux. Doit-on pénaliser davantage ceux qui n’en disposent pas ? Quand la société devrait faciliter leur intégration, elle semble au contraire multiplier les freins à cette dernière.

Si la loi invite à opérer une distinction entre discriminations et restrictions du fait de la nationalité, constatons que, dans la réalité, les secondes ne sont pas sans effet sur les premières, qu’elles tendent à les légitimer par effet de système. De fait, les restrictions légales influent sur les discriminations, paraissant les encourager.

Ainsi, les dispositions que nous tenons, par la présente proposition de loi, à abroger ont un double effet négatif : elles minent le lien social qui devrait être créé entre les populations étrangères et la communauté française tout en incitant indirectement à la perpétuation de discriminations illégales.

Par leur suppression, nous rappellerons l’exigence républicaine de lutte contre les discriminations, de promotion de la diversité, qui fait la richesse de notre territoire, de notre culture et de notre société. Il s’agit d’un engagement solennel pour mettre au premier plan les valeurs essentielles qui fondent notre pays.

Le texte que nous vous proposons aujourd’hui tend à défendre aussi la valeur du diplôme.

Notre République s’est bâtie, depuis sa création, sur l’idée de méritocratie. Tout homme doit pouvoir, par son mérite personnel, s’élever au-dessus de la condition de ses parents et atteindre un statut social enviable. S’il apprend, s’il travaille avec ardeur, nos universités lui délivrent un diplôme, synonyme de prestige social, pourvu d’une valeur intrinsèque et respecté en tant que tel. Non seulement les universités, mais aussi les grandes écoles reposent sur cette notion même de méritocratie, de valeur du titre délivré.

Or l’existence de restrictions liées à la nationalité du détenteur du diplôme met gravement à mal la valeur de ce titre, qui semble perdre son caractère absolu et incontestable au profit d’une nature subjective.

Notre système repose sur le fait que le diplôme confère une qualité à celui qui le détient et qu’il suffit en lui-même pour établir l’aptitude de son titulaire à occuper une fonction. Comment justifier, dès lors, qu’un même diplôme n’octroie pas les mêmes droits suivant que l’on est français ou non ? Cela reviendrait à dire que la valeur du diplôme varie avec la qualité juridique de son détenteur. Il s’agit là d’un grave contresens sur nos principes.

Certes, des procédures dérogatoires existent pour permettre aux personnes étrangères titulaires d’un diplôme français d’exercer dans notre pays. Toutefois, il s’agit d’une décision discrétionnaire du ministre concerné. Or, à bien y réfléchir, cette procédure lourde et longue est loin de constituer une solution de repli, tant elle prend un caractère humiliant pour celui qui s’y engage. Alors que le diplôme devrait en lui-même garantir la qualité professionnelle de la personne qui le détient, celle-ci voit la possibilité d’exercer l’emploi auquel elle se prépare soumise à la décision d’une personne tierce n’ayant aucun lien avec le monde universitaire.

Il s’agit là d’une nouvelle entorse au statut du diplôme, qui est d’autant moins acceptable qu’elle contient une part d’arbitraire en raison de son caractère discrétionnaire. J’ajoute que la plupart des décisions ministérielles sont positives ; aussi cette procédure fastidieuse revient-elle de plus en plus fréquemment à perpétuer un droit superfétatoire.

Je vous propose donc de mettre un terme à cette dérogation en replaçant le diplôme au cœur du processus d’exercice d’un emploi, place qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Bariza Khiari. Plus encore, la réglementation européenne invite désormais à reconnaître comme ayant une valeur équivalente à celle des diplômes nationaux les diplômes des ressortissants communautaires délivrés par les universités de leur pays d’origine et à leur assurer la liberté d’exercice de la fonction à laquelle leur diplôme ouvre droit.

Le principe de cette directive est louable. Cependant, force est de constater qu’elle accentue encore les désavantages dont souffrent les ressortissants des pays tiers. En effet, avec ce système, il devient plus aisé à un membre d’un État de l’Union européenne titulaire d’un diplôme de son pays d’exercer qu’à un étranger vivant sur notre territoire et titulaire d’un diplôme français. Cela n’est plus acceptable.

Au-delà des deux fondements de notre régime que sont la lutte contre les discriminations et le caractère absolu du diplôme, cette proposition de loi s’appuie sur un troisième élément non moins essentiel : la nécessité de simplifier notre droit et de limiter la pesanteur administrative.

Nombre de rapports ont d’ores et déjà souligné la croissance extravagante du droit dans notre pays, qui tend à perdre de sa nécessité et de sa force à mesure qu’il touche de manière plus fréquente à des sujets variés. Beaucoup fustigent un droit bavard, qui s’immisce là où cela est le moins nécessaire, qui devient instable parce que sans cesse modifié.

La présente proposition de loi tend, à sa modeste échelle, à simplifier le droit en supprimant, autant que faire se peut, la procédure dérogatoire. Elle répond en cela à un objectif à valeur constitutionnelle : celui d’une meilleure lisibilité de la loi pour les citoyens et d’une meilleure relation entre l’administration et les usagers.

Je tiens à remercier Charles Gautier, rapporteur de la commission des lois, de son excellent rapport et des améliorations dont, à la suite des auditions qu’il a conduites, il a enrichi la rédaction initiale de ma proposition de loi.

Je proposerai malgré tout quelques amendements qui, tout en respectant la philosophie du texte adopté en commission, tendent à en simplifier le contenu et à exclure de son champ d’application certaines professions au statut particulier, comme les pharmaciens. En effet, nous avons considéré que les extracommunautaires bénéficiaient déjà de certains droits leur permettant d’exercer cette profession, par ailleurs soumise à un numerus clausus très restrictif s’agissant des ouvertures d’officines.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter cette proposition de loi et les amendements d’amélioration que je vous proposerai. Par un tel vote, le Sénat permettra à notre législation d’accomplir une avancée non seulement symbolique mais encore tout à fait concrète dans la lutte contre les discriminations, en même temps qu’il rétablira le diplôme dans son essence, celle d’un document ouvrant des droits à une personne qu’on a jugée digne, sans considération aucune de son ethnie, de sa religion, de ses convictions politiques, de sa nationalité, d’exercer une fonction donnée.

La République s’honorera ainsi d’avoir, quoique tardivement, retrouvé les valeurs qui étaient les siennes et qui n’auraient jamais dû cesser d’être siennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG, du RDSE et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Gautier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois a donc été saisie de cette proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par notre collègue Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Il existe de nombreuses professions dont l’accès est difficile ou impossible aux étrangers. Citant plusieurs études, l’exposé des motifs de la proposition de loi indique qu’« au total, près de sept millions d’emplois [...] seraient interdits partiellement ou totalement aux étrangers, soit 30 % de l’ensemble des emplois ».

Qu’en est-il de la législation en la matière ?

Deux niveaux de restriction peuvent être distingués : la condition de diplôme et la condition de nationalité.

La condition de nationalité est celle dont l’effet est le plus direct sur l’accès à certaines professions. Le plus souvent, les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen n’y sont pas soumis.

La condition de nationalité est également assouplie pour certaines professions par la condition de réciprocité.

S’agissant de la condition de diplôme et de formation, en vertu de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, la plupart des diplômes délivrés par les États de l’Union européenne pour l’exercice de professions comparables permettent également de satisfaire à la condition de diplôme en France.

Les emplois fermés aux étrangers se dénombrent avant tout dans le secteur public. Les emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques – d’État, hospitalière et territoriale – sont interdits aux étrangers non communautaires et représentent près de 5,2  millions d’emplois.

Il existe une cinquantaine de professions du secteur privé faisant l’objet de restrictions explicites liées à la nationalité. Or certaines de ces restrictions ont une pertinence réellement discutable.

Comme le disait à l’instant Mme Khiari, l’histoire de l’instauration des conditions de nationalité montre que celles-ci sont apparues pour l’essentiel à partir de la fin du XIXe siècle, et particulièrement au cours de l’entre-deux-guerres, dans un contexte de crise économique et de tensions internationales. Maintenues après la Libération, la plupart de ces conditions de nationalité demeurent très connotées et datées.

Dans les faits, les règles sont souvent contournées. Ainsi, des étrangers non communautaires exercent également au sein des fonctions publiques, par exemple des professeurs ou des médecins. S’agissant des professions libérales, leurs statuts contiennent le plus souvent des procédures permettant, au cas par cas, d’admettre des étrangers non communautaires au sein de l’ordre concerné.

De plus, en vertu d’une obligation communautaire, la libre circulation des travailleurs a conduit la fonction publique française à réduire la portée de la condition de nationalité prévue à l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Ce mouvement d’ouverture aux ressortissants communautaires a également été accompli pour la plupart des professions réglementées. Même certaines professions comportant l’exercice de prérogatives de puissance publique ne sont plus réservées à des ressortissants français. L’influence du droit communautaire s’étend d’ailleurs aux ressortissants extracommunautaires.

Cette proposition de loi répond à deux objectifs : lutter contre les discriminations et aller vers une simplification administrative.

La suppression de la condition de nationalité représenterait une contribution importante à la lutte contre les discriminations. Il est vrai que, si le taux de chômage plus élevé des étrangers est souvent utilisé pour illustrer les faiblesses de l’intégration, la fermeture de millions d’emplois à ces derniers n’est pas de nature à changer la situation. Elle en est même certainement une des causes.

On peut ajouter l’argument de simplification administrative.

Sans prétendre à l’exhaustivité, la présente proposition de loi répond à ces observations en supprimant la condition de nationalité pour l’exercice de certaines professions réglementées.

Après avoir entendu des représentants de l’ensemble des professions concernées par la proposition de loi, je me suis attaché à vérifier, profession par profession, si des motivations légitimes pouvaient justifier le maintien d’une condition de nationalité.

Tout en étant consciente de l’affaiblissement des raisons expliquant l’instauration de conditions de nationalité dans de nombreux métiers au cours du siècle passé, la commission a souhaité examiner isolément la situation de chacune des dix professions visées par la proposition de loi. Des représentants de chaque profession concernée ont été entendus. Seul le conseil national de l’Ordre des pharmaciens n’a pu se rendre à l’invitation de la commission. Néanmoins, celui-ci lui a transmis une contribution écrite.

Sans entrer dans le détail de chaque profession, je dois dire que la commission a estimé de manière générale qu’il convenait d’appliquer le principe selon lequel, à diplôme égal, un étranger non communautaire doit pouvoir exercer lesdites professions dans les mêmes conditions que les ressortissants français ou communautaires.

Parmi les principales réserves, l’absence de condition de réciprocité a été plusieurs fois évoquée. Si cet argument ne peut être négligé, il n’apparaît pas déterminant.

En premier lieu, comme le relève le rapport du groupe d’étude et de lutte contre les discriminations de mars 2000, « l’application du principe de l’égalité de traitement entre les ressortissants de différents pays peut s’exonérer des relations ou des accords d’État à État ». Au demeurant, il est très probable que des professions qui ne sont pas réglementées en France le sont dans certains États tiers. Cela n’implique pas que ces professions soient fermées aux ressortissants de ces pays en France.

En deuxième lieu, il ne semble pas que toutes les professions concernées par la proposition de loi se soient réellement engagées dans une démarche active visant à conclure des accords de réciprocité. L’argument selon lequel la condition de réciprocité est une monnaie d’échange pour contraindre les États tiers à s’ouvrir aux professionnels français ne va d’ailleurs pas de soi. Au contraire, en abandonnant la réciprocité, on prive les États tiers d’un prétexte pour refuser l’ouverture aux professionnels français.

En troisième lieu, la proposition de loi et les modifications adoptées par notre commission ne visent que la condition de nationalité, les conditions de diplôme restant inchangées. Ainsi, il semble difficile de refuser l’égalité de traitement à un étranger titulaire d’un diplôme français pour la seule raison que son État d’origine refuse de reconnaître le diplôme français.

En réalité, la condition de réciprocité ne se justifie que dans le cas de professions soumises à une concurrence internationale intense. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a supprimé l’article 3, relatif aux avocats.

Une autre réserve a porté sur les professions soumises à un numerus clausus, professions médicales et vétérinaires en particulier.

Les ressortissants non communautaires titulaires d’un diplôme étranger permettant d’exercer en France n’étant pas soumis aux contraintes du numerus clausus, il pourrait en résulter une forme de discrimination à rebours au préjudice des étudiants français.

Si cette observation n’est pas sans fondement, elle ne doit pas non plus être exagérée et justifier une fermeture de l’accès à ces professions aux ressortissants non communautaires.

Tout d’abord, force est de constater que le numerus clausus est d’ores et déjà largement battu en brèche, d’une part, par des Français qui effectuent leurs études dans d’autres pays de l’Union européenne et, d’autre part, par des ressortissants communautaires qui peuvent s’établir en France librement dès lors qu’ils possèdent un diplôme les autorisant à exercer dans leur pays.

En outre, il faut le rappeler afin de lever toute ambiguïté, l’ouverture de ces professions réglementées aux ressortissants non communautaires ne signifie pas que tout étranger titulaire du diplôme exigé aurait un droit à exercer en France. La législation sur l’entrée, le séjour et le travail des étrangers en France s’applique indépendamment des règles particulières à telle ou telle profession.

En conséquence, sous réserve de plusieurs coordinations, la commission a adopté les articles 1er, 2, 4, 5 et 6 de la proposition de loi, devenus respectivement les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du texte qui est maintenant soumis au Sénat.

Elle a, en revanche, supprimé l’article 3 pour les raisons décrites précédemment, ainsi que l’article 7, relatif aux conférenciers nationaux et guides interprètes, cet article étant privé d’objet.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de loi dans la rédaction qu’elle a élaborée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui une proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité concernant l’accès à l’exercice de certaines professions libérales.

Comme l’indique le rapport de M. Charles Gautier, les auteurs de cette proposition de loi ont le grand mérite de provoquer une réflexion générale sur la pertinence du maintien dans notre droit positif de règles qui imposent d’être ressortissant communautaire pour accéder à certaines professions libérales.

Le débat qu’introduit cette très intéressante proposition de loi est donc légitime.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, pour les professions concernées, le droit actuel repose sur une double condition, de qualification et de nationalité.

Permettez-moi en premier lieu de revenir sur le droit actuellement applicable aux professions libérales concernées par cette proposition de loi.

De manière générale, l’exercice de ces professions libérales est soumis à deux conditions, auxquelles on peut ajouter, s’agissant des professions libérales ordinales, l’inscription à un ordre professionnel. Ces deux conditions concernent la nationalité, d’une part, la qualification, c’est-à-dire les diplômes et la formation, d’autre part.

L’exercice de ces professions est tout d’abord soumis à la détention d’un titre ou diplôme approprié.

À la suite, notamment, de l’adoption de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, la plupart des diplômes délivrés par les États de l’Union européenne pour l’exercice de professions comparables permettent de satisfaire à la condition de diplôme en France.

À l’extérieur de l’Union européenne, l’exigence d’un diplôme français ou communautaire peut, dans certains cas, être atténuée par des procédures de vérification des connaissances acquises. Le passage devant une commission ad hoc chargée d’examiner chaque demande individuelle est alors la procédure habituelle.

Le critère de nationalité ne s’applique pas aux ressortissants de l’Union européenne, conformément au droit communautaire, et ne contraint donc pas l’accès aux professions concernées.

La présente proposition de loi maintient les conditions d’accès aux professions concernées tenant à la qualification, mais vise à supprimer la condition de nationalité.

Elle concerne huit professions, cinq relevant du secteur médical ou paramédical – médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens et vétérinaires –, les trois autres étant les géomètres-experts, les architectes et les experts-comptables.

De toute évidence, la proposition de loi soulève la question de notre politique d’immigration professionnelle.

Pour être comprise et acceptée par nos concitoyens, et aussi être conforme à l’intérêt général, la politique d’immigration de la nation doit être équilibrée. C’est tout le sens de la notion d’« immigration choisie » que le Gouvernement met en œuvre, sous l’impulsion du Président de la République.

Au regard de la situation de l’emploi, cette politique doit tenir compte de l’intérêt de la France, certes, mais aussi de celui des pays d’origine. Cette politique doit être en rapport étroit avec les besoins et les capacités d’accueil de notre pays. C’est la condition d’une bonne intégration et d’une bonne insertion dans l’emploi.

Ces conditions doivent être respectées, faute de quoi nous serions exposés à différents risques. Nous pourrions par exemple gêner le développement des pays d’origine en favorisant ce que l’on appelle la « fuite des cerveaux » ou déclencher des flux d’immigrants trop importants au regard de nos capacités d’accueil et d’intégration, y compris sur le marché de l’emploi.

Ces conditions étant respectées, il va de soi que le Gouvernement est sensible, comme les auteurs de la proposition de loi, à la nécessité de promouvoir dans toute la mesure du possible l’intégration des immigrés par le travail, lequel constitue, nous le savons, le vecteur le plus puissant d’insertion dans la société.

C’est pour cette raison que nous cherchons à favoriser l’immigration professionnelle et que nous développons l’intégration par l’emploi. Le taux de chômage des étrangers non communautaires est, nous le savons, trois fois supérieur à celui des Français. Il atteignait 24% en moyenne en 2008.

Face à une telle situation, il paraît légitime de s’interroger sur la suppression des conditions de nationalité qui subsistent encore dans certains domaines de notre droit et restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales, en particulier lorsque les travailleurs concernés ont fait leurs études en France, comme Mme Khiari l’a souligné à juste titre.

Toutefois, cette proposition de loi aurait dû s’accompagner d’études d’impact plus détaillées, permettant d’en mieux mesurer la portée. De fait, le Gouvernement comprend et partage l’intention générale des auteurs de cette proposition de loi. Il n’oppose donc pas d’objections de principe, mais il soulève des interrogations pratiques sur les modalités de mise en œuvre de ce texte au regard des conditions nécessaires à la réussite d’une politique d’immigration équilibrée.

Tout d’abord, il serait préférable de procéder à une évaluation prospective préalable de nos besoins dans les différents secteurs d’activité concernés. Le Conseil d’analyse stratégique anime ainsi un groupe, Prospective des métiers et des qualifications à l’horizon 2020, lancé le 16 janvier 2009 sur l’initiative de M. Éric Besson, alors en charge de la prospective, et qui serait sans aucun doute en mesure d’apporter une analyse approfondie sur cette question. Une telle évaluation est bien entendu particulièrement nécessaire pour !es professions soumises à un numerus clausus, les professions médicales et vétérinaires notamment.

J’ai bien conscience, avec un tel discours, de brider l’enthousiasme libéral des auteurs de cette proposition de loi, mais je me dois d’attirer l’attention du Sénat sur le fait qu’en l’absence d’études prospectives, nous pourrions déclencher un appel d’air d’étrangers venant faire des études en France uniquement pour s’y installer. Cela doit être mis en regard de la situation de notre marché de l’emploi et, peut-être plus encore, des besoins des pays d’origine.

Nous devons en effet veiller aussi aux intérêts des pays d’émigration, conformément au principe fondamental de notre politique qui veut que l’immigration professionnelle n’organise pas, comme on le dit parfois, le pillage des élites ou la fuite des cerveaux des pays en développement.

Ainsi que l’a souligné le Président de la République dans la lettre de mission qu’il avait adressée au ministre chargé de l’immigration, M. Brice Hortefeux, le 9 juillet 2007, « la politique d’immigration choisie, c’est une politique qui tient compte des intérêts des pays d’origine autant que des pays d’accueil ».

Nous manquerions à ce principe, madame Khiari, si nous établissions que posséder un diplôme français donne automatiquement le droit de travailler en France.

Comme l’a rappelé M. Charles Gautier, les titulaires de diplômes français doivent, comme les autres ressortissants extracommunautaires, respecter les règles en matière d’entrée et du séjour des étrangers.