Mme Anne-Marie Payet. … ce qui ne semble pas se justifier particulièrement.

Par ailleurs, en matière de santé publique, l’outre-mer est souvent délaissé, voire abandonné. En termes d’équipements ou de personnel, le niveau sanitaire est insuffisant, et c’est encore plus vrai en ce qui concerne la prévention : je pense par exemple aux maladies tropicales, au diabète, à l’alcoolisme ou au tabagisme. Sur la question du tabagisme, qui me tient particulièrement à cœur, la récente loi portant réforme de l’hôpital contient quelques avancées, introduites sur mon initiative, mais des différences importantes subsistent avec la métropole, et elles ont une incidence forte sur la santé publique.

Ce sentiment de discrimination est souvent profondément refoulé, mais il refait surface lors des crises ou des manifestations et explique peut-être en partie leur violence.

Au-delà des importantes politiques publiques qu’il est nécessaire de mettre en place ou d’amplifier – j’ai parlé du logement, de l’emploi, de l’illettrisme, du développement des productions locales et d’une économie endogène, de l’insertion régionale –, il est primordial que l’État prenne en compte des considérations plus larges et parfois symboliques, car, comme l’ont écrit Éric Doligé et Serge Larcher, les DOM sont un défi pour la République, mais ils sont aussi une chance pour la France. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon propos là où Mme Payet et M. le rapporteur ont terminé le leur, en essayant à mon tour, dans les cinq minutes qui me sont imparties, d’expliquer pourquoi les outre-mer sont une chance pour notre pays.

Comme tant d’autres territoires français, les départements d’outre-mer, sans oublier les autres collectivités ultramarines, comme la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie, apportent leur diversité et leurs particularités à ce grand creuset qu’est notre République, fondée sur l’attachement à des valeurs communes. C’est cette diversité et cet attachement partagé qui font la spécificité de la France.

Oui, nous sommes fiers de l’appartenance de ces territoires à notre République, et je voudrais, si cela était nécessaire, donner à tous les ultramarins des raisons de se sentir bien au sein de celle-ci.

Cela étant, nous le savons, beaucoup de questions se posent.

Elles sont le fruit d’une histoire souvent douloureuse, suivant un chemin qui lui est propre.

Elles sont, aussi, la conséquence d’une géographie : les départements d’outre-mer sont localisés dans des régions éloignées de la métropole, connaissent d’autres climats, d’autres contraintes, d’autres chances, d’autres partenariats que les territoires métropolitains. Or, et c’est peut-être là que réside le problème, ces particularités sont insuffisamment prises en compte.

Elles sont, enfin, la conséquence d’une crise économique et sociale, mondiale depuis que la crise financière a éclaté, voilà un an, mais aussi française du fait des choix fiscaux, industriels, sociaux souvent malheureux opérés depuis 2002 – choix encore défendus avec entêtement par le Président de la République il y a quelques jours. Quelque 50 % des jeunes ultramarins sont au chômage : ce seul chiffre illustre l’ampleur de la crise sociale.

Les mouvements sociaux en Guadeloupe, à la Martinique, à la Réunion, en Guyane sont nés de ces éléments et ont agi comme un révélateur. Oui, il est plus que temps que le Gouvernement de la République apporte des réponses essentielles pour l’avenir de ces territoires. Sinon, on ne pourrait que comprendre que leur population éprouve un sentiment d’abandon.

Aussi me suis-je réjoui que le Sénat ait décidé, à la suite d’une demande formulée notamment par les présidents de groupe politique en conférence des présidents, de créer une mission sénatoriale pour tenter de faire la lumière sur les événements que je viens de rappeler.

De même, je me réjouis que, sur l’initiative de Serge Larcher et de la plupart des sénateurs ultramarins, le présent débat puisse avoir lieu au sein de notre assemblée, qui représente tous les territoires de la République.

La mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer s’est donnée pour objectif de revisiter le lien entre les territoires ultramarins et la métropole, de mettre en lumière les contraintes et les atouts afin de préconiser les moyens d’un développement endogène.

Disons-le tout net : le travail accompli par la mission est remarquable. Je tiens ici à rendre hommage à tous ses membres, en particulier à son président, Serge Larcher, qui a su conduire ses travaux de main de maître, à son rapporteur et aux douze sénateurs du groupe socialiste qui y ont participé.

La mission a élaboré cent propositions, qui peuvent être réparties selon trois objectifs principaux.

Le premier objectif est d’offrir une plus grande capacité d’action aux collectivités territoriales d’outre-mer, sans qui rien ne se fera. La préconisation la plus attendue est bien entendu celle d’une évolution institutionnelle fondée sur l’article 73 de la Constitution. D’autres propositions concernent l’évolution des services de l’État, qui ne manquent pas de courage et ont la volonté de faire bouger le système, ou l’accroissement des capacités d’investissement des collectivités territoriales.

Le deuxième objectif est de permettre une meilleure prise en compte de l’environnement régional des départements d’outre-mer. Comme je l’ai déjà dit, la spécificité géographique de ces territoires est trop souvent niée. La mission préconise en particulier de renforcer la coopération régionale pour des projets concrets et d’inciter l’Union européenne à lancer une politique de « grand voisinage ».

Enfin, le troisième objectif est d’assurer une meilleure prise en compte des spécificités de ces départements, d’abord en ce qui concerne la formation des prix. On ne peut nier que ce problème, qui a été un élément central des conflits sociaux, soit récurrent et important. Je signale d’ailleurs qu’il se pose également de plus en plus en métropole, notamment dans le secteur des fruits et légumes. En outre, il convient de mettre en place des politiques industrielles et économiques tenant compte des spécificités du tissu économique ultramarin, de ses contraintes et de ses atouts particuliers.

Je pourrais énumérer bien d’autres propositions dont la mise en œuvre est nécessaire, mais le président et le rapporteur de la mission les ont déjà exposées avec talent. Je n’y reviendrai donc pas.

En conclusion, je voudrais insister sur l’importance de mettre en pratique toutes ces préconisations. La création d’un comité de suivi a été annoncée ; il sera intéressant de voir ce qu’il en adviendra. Les états généraux de l’outre-mer n’ont certainement pas tout réglé et, comme dans d’autres domaines, nous attendons toujours des avancées concrètes. Or, il y a urgence à agir, et je crois que la mission sénatoriale a su identifier les voies de l’action. Je souhaite instamment que les propositions de la mission commune ne restent pas lettre morte, que le comité de suivi puisse être rapidement mis en place et que l’on fasse confiance aux élus de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est communément admis que la crise domienne, particulièrement celle qui a touché les Antilles au cours du premier trimestre de 2009, a surpris, par son ampleur et sa profondeur, l’ensemble des responsables publics, tant nationaux que locaux.

Pourtant, tous les indicateurs du malaise étaient au rouge depuis longtemps : cherté de la vie, taux de chômage près de trois fois supérieur à celui de la France hexagonale – les jeunes étant frappés à plus de 55 % –, nombre particulièrement élevé de RMIstes et, plus généralement, de personnes vivant des minima sociaux – 15 % de la population, contre 3 % en métropole –, coût élevé des transports de personnes et de marchandises dans le cadre d’une continuité territoriale bancale, pénurie de logements sociaux, incertitudes sur l’avenir des productions traditionnelles, etc.

Sur tous ces sujets, nous, parlementaires domiens, n’avons cessé, parfois et même souvent en vain, de tirer la sonnette d’alarme, tant au sein de cette enceinte qu’auprès des différentes instances gouvernementales. C’est finalement la hausse des prix du carburant qui a mis le feu aux poudres…

L’urgent, c’est l’important qui n’a pas été traité à temps ! Il fallait donc éteindre rapidement ce brasier social qui flambait depuis quarante-quatre jours. Votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, a dû prendre à chaud des engagements forts au nom de l’État, notamment dans le cadre de ce que l’on appelle communément les « accords Binot ». Pour autant, chacun peut s’en rendre compte, la situation reste aujourd’hui instable, voire préoccupante.

Si des décisions ponctuelles et rapides sont bien entendu parfois nécessaires pour apaiser les tensions, des réformes structurelles, solides et pérennes, sont aussi indispensables pour fonder l’avenir. C’est pourquoi je salue la clairvoyance dont a fait preuve le Président de la République en convoquant les états généraux de l’outre-mer, ainsi que l’initiative bienvenue du président de la Haute Assemblée, M. Gérard Larcher, d’instaurer une mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.

Ces deux exercices complémentaires ont été, il faut le reconnaître, rondement menés. De l’avis de tous, ils ont débouché sur des analyses et des propositions d’excellente facture. Sachant combien les tensions étaient encore vives dans les départements d’outre-mer, on ne peut que féliciter celles et ceux qui ont conduit ces travaux, que ce soit dans le cadre des états généraux ou dans celui de la mission commune d’information de la Haute Assemblée.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne saurait être question, en cette circonstance, de paraphraser les conclusions des états généraux, encore moins de reprendre les propositions du rapport sénatorial, si brillamment présenté par le président et le rapporteur de la mission.

Pour ma part, je mettrai l’accent, simplement mais résolument, au moment même où se font les arbitrages en vue des grandes décisions du comité interministériel du 6 novembre prochain, sur quelques sujets brûlants ou importants qui nécessiteront, à mon avis, des réponses fortes et audacieuses.

Tout d’abord, j’évoquerai la question de la formation des prix et de la cherté de la vie. On le sent bien, il y a, dans ce domaine, un problème de confiance, d’autant plus marqué que, en réalité, aucune baisse réelle des prix n’a été observée pour l’heure, comme cela était pourtant prévu dans les différents protocoles de fin de crise. C’est cette crise de confiance qui explique sans doute la méfiance ambiante concernant le nécessaire ajustement des prix du carburant. Madame la secrétaire d’État, vous nous préciserez certainement où en sont les travaux de l’Observatoire des prix et, plus généralement, ce que vous comptez faire pour accroître la transparence dans ce domaine, en vue de rétablir la confiance de nos concitoyens dans les institutions.

Je vais maintenant soulever une autre question tout aussi brûlante, celle des revenus. Pour satisfaire la revendication des 200 euros mensuels, on a inventé une sorte d’usine à gaz, associant l’État aux conseils généraux, aux conseils régionaux et aux entreprises privées. Cependant, mes chers collègues, dans cette affaire, plusieurs questions se posent, et puisque gouverner, c’est prévoir, elles appellent des réponses précises et urgentes.

Le RSTA, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, étant prévu pour trois ans, quel dispositif comptez-vous mettre en œuvre, madame la secrétaire d’État, pour pérenniser le versement des 200 euros à l’issue de ce délai, sachant que nombre d’entreprises n’ont pas signé l’accord Binot et que les conseils généraux et régionaux ne pourront pas indéfiniment financer les salaires du secteur privé ?

Par ailleurs, si ce dispositif a plus ou moins permis de satisfaire les revendications des salariés, qui souhaitaient une augmentation de leur revenu et donc de leur pouvoir d’achat, n’a-t-il pas contribué à creuser les inégalités en laissant sur le bord du chemin les bénéficiaires de minima sociaux, à savoir les RMIstes, les personnes âgées et nos concitoyens handicapés ? Les organisations syndicales ont bien entendu défendu les intérêts de leurs mandants – on ne peut le leur reprocher –, mais pouvons-nous décemment accepter une telle iniquité au détriment des plus faibles ? Pour ma part, je trouve cette injustice insoutenable. Que compte faire le Gouvernement pour corriger à court terme la situation ?

J’aborderai maintenant un autre sujet, tout à fait crucial : l’insertion de nos jeunes, dont j’ai rappelé au début de mon intervention la situation précaire et le désarroi.

Madame la secrétaire d’État, dans son discours du 29 septembre dernier, le Président de la République a affirmé qu’« aucun jeune en difficulté ne sera laissé seul à son sort, aucun jeune ne sera laissé sans emploi, sans formation, sans accompagnement ». Je m’interroge : comment les mesures annoncées par le Président de la République seront-elles transposées, appliquées ou adaptées au contexte ultramarin, sachant combien les besoins en formation initiale et continue, mais également en matière d’accompagnement en vue de l’insertion, sont immenses ?

Cela m’amène à évoquer le problème du logement. On le sait, les besoins en logements sociaux sont considérables outre-mer, et très largement insatisfaits. Malheureusement, les réalisations sont très loin des objectifs fixés.

Lors du dernier congrès de l’Union sociale pour l’habitat, l’USH, vous avez déclaré, madame la secrétaire d’État, que ce qui vous importait, au-delà des budgets, c’était la capacité opérationnelle à produire concrètement des logements. Je partage bien entendu ce point de vue, mais, au-delà de l’aspect budgétaire, et malgré les ajustements déjà opérés sur les paramètres de financement, de nombreux blocages freinent la production de logements, notamment le coût moyen des emprunts consentis aux opérateurs sociaux, sans la garantie des collectivités locales, qui n’en peuvent plus, l’impossibilité objective, pour les communes, d’attribuer les subventions pour surcharge foncière, ainsi que le caractère inopérant, pour des motifs identifiés, des fonds régionaux d’aménagement foncier et urbain, les FRAFU. Si ces blocages ne sont pas rapidement levés, tous les discours sur les objectifs en matière de production de logements sociaux à court, à moyen et à long termes relèveront purement et simplement de l’incantation.

Je viens de le dire, madame la secrétaire d’État, les communes et, plus généralement, les collectivités locales n’ont pas les moyens de soutenir, autant que cela serait nécessaire et souhaitable, la production de logements sociaux. La mission sénatoriale, qui a identifié ce problème, propose des solutions pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre nécessaires afin qu’elles puissent recommencer à jouer leur rôle en matière non seulement de construction de logements sociaux, mais aussi de relance de la commande publique, si cruciale pour le dynamisme du secteur du bâtiment et des travaux publics, et donc pour l’emploi. J’espère que le prochain comité interministériel s’inspirera opportunément des propositions de la mission, ce qui conduira sans doute à un réajustement du budget de l’outre-mer pour 2010.

Une autre question me semble mériter toute l’attention du comité interministériel, à savoir la continuité territoriale, la vraie. Le principe fondamental a été réaffirmé dans la LODEOM, la loi pour le développement économique de l’outre-mer. Il faut maintenant aller plus loin que les principes et, au besoin, s’attaquer sans tabous à tel ou tel monopole ou quasi-monopole, source de « pwofitasyon » en matière de transport de personnes ou de marchandises.

Avant de terminer, j’évoquerai une réalité que le Sénat connaît bien désormais, celle des îles du sud de la Guadeloupe : Marie-Galante, la Désirade et les Saintes. Eu égard à la situation socioéconomique préoccupante de ces îles, votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, s’était engagé en mai dernier à mettre en place, dans les six mois, un contrat pour l’emploi et les initiatives dans les îles du Sud, dénommé COLIBRI. Les forces vives de ces îles ont travaillé d’arrache-pied à la finalisation du projet et, vous vous en doutez, les attentes des populations concernées sont grandes. Nous sommes à la limite du délai fixé, et je compte sur vous pour qu’elles ne soient pas déçues.

En conclusion, j’aborderai la question de la gouvernance, traitée avec réalisme et prudence, tant dans le cadre des états généraux que par la mission sénatoriale. S’il est un point sur lequel presque tout le monde est d’accord, c’est que la coexistence de deux assemblées sur un même territoire constitue une aberration.

Pour le reste, on ne peut que souligner et saluer l’esprit d’écoute et d’ouverture dont a fait preuve le Président de la République dans le traitement des premiers cas qui lui ont été soumis : je pense à la Martinique et à la Guyane. S’agissant de la Guadeloupe, puisque, en toute hypothèse, les élections régionales de l’an prochain auront lieu, je me réjouis que les débats et les consultations relatifs à la question institutionnelle ou statutaire puissent se dérouler après cette échéance, dans la clarté et la sérénité.

Madame la secrétaire d’État, le temps du diagnostic, de l’analyse, des rapports et des mesures d’urgence est derrière nous. Nous devons désormais choisir les thérapies de fond les plus efficaces pour en finir avec les grands maux qui, depuis trop longtemps, rongent l’outre-mer.

Dans cette perspective, j’espère vivement que les conclusions de notre mission, pertinentes aux dires de tous, seront une véritable source d’inspiration pour les prochaines mesures en faveur du développement de nos territoires ultramarins et du bien-être des hommes et des femmes qui y vivent. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains d’entre vous s’étonneront sans doute de mon intervention dans un débat qui concerne les départements d’outre-mer, et non l’outre-mer dans son ensemble. Si Saint-Barthélemy est passée du statut de commune de la Guadeloupe à celui de collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie, je tiens à préciser que je n’ai nullement l’intention de faire du prosélytisme !

Néanmoins, je ne saurais ignorer le processus institutionnel entamé par la Martinique et la Guyane, ni les réflexions engagées en Guadeloupe. Pour autant, s’il me faut rappeler à mes collègues que la porte de Saint-Barthélemy leur est ouverte et que nous avons d’ailleurs été ravis de recevoir des délégations de Martinique et de Guyane, je n’entends pas me poser ici en donneur de leçons. Je ne souhaite pas davantage faire du cas de Saint-Barthélemy un modèle, car il n’est ni transposable ni applicable aux départements d’outre-mer, qui ont une population beaucoup plus importante et un territoire beaucoup plus vaste, pour en rester à ces deux seuls aspects.

Comme chacun sait, et particulièrement nos collègues de la Guadeloupe, le statut actuel de Saint-Barthélemy est l’aboutissement de plusieurs années d’une pratique : ce n’est pas un statut qui a trouvé une île ; c’est bien une île qui a trouvé son statut ! Bien que Saint-Barthélemy occupe une place un peu à part au sein de l’outre-mer, elle partage des problématiques avec toutes les collectivités concernées.

Voilà pourquoi ce débat est pour moi l’occasion d’une réflexion plus large sur les rapports entre l’outre-mer et l’État. En effet, au-delà des problèmes économiques et des difficultés réelles que rencontrent les DOM, la question suivante, qui concerne d’ailleurs également les collectivités d’outre-mer, est à mon sens au centre de notre débat : jusqu’où la République accepte-t-elle l’adaptation pour répondre à des situations particulières ?

D’emblée, certains répondront sans doute : « Jusqu’à l’article 74 de la Constitution ! » Toutefois, en posant cette question, je ne me place pas uniquement du point de vue des collectivités concernées : c’est également l’État, la République, et donc le Parlement, que je souhaite interpeller.

Intéressons-nous par exemple au projet de loi portant engagement national pour l’environnement. L’adjectif « national » renvoie non seulement à l’espace européen de la France, mais également à ses territoires insulaires. La loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, dite Grenelle I, avait posé le principe de l’adoption d’un train de mesures pour tenir compte des particularités de l’outre-mer. Il s’agissait, avions-nous écrit, de « faire des territoires français d’outre-mer des territoires d’excellence environnementale ». En réalité, lors de l’examen du projet de loi Grenelle II, nous avons dû attendre l’article 62, puis l’article 102, pour qu’il soit traité de ces mesures d’adaptation. Mais de quelle manière ! Le texte renvoie en effet la mise en œuvre de ces dispositions à une ordonnance, ce qui repousse d’un an son entrée en vigueur dans les DOM. Il me semble sinon incohérent, du moins surprenant, que, alors que l’urgence a été déclarée, on prévoie un tel délai supplémentaire, en ce qui concerne l’outre-mer, délai auquel il faut encore ajouter trois mois pour l’adoption du projet de loi de ratification. Force est donc de constater qu’il existe un hiatus entre le principe posé et sa traduction concrète. Je précise que cet exemple n’est pas unique.

Selon moi, le souci de tenir les engagements pris aurait dû nous conduire à nous interroger sur l’applicabilité à l’outre-mer de chacun des chapitres du texte pour, le cas échéant, introduire une disposition d’adaptation si l’on entendait réellement lui conférer une dimension nationale.

À titre d’exemple, chacun sait que les départements d’outre-mer ne sont pas concernés par des problématiques telles que le transport ferroviaire, le chauffage ou le transport fluvial – hormis la Guyane, mais selon des modalités particulières – ou que les patrimoines écologiques de ces territoires leur sont propres à bien des égards. Or, depuis 1946, ces départements sont bien régis par le principe de l’identité législative. Même si je comprends parfaitement qu’il serait fastidieux de s’arrêter à chacun des articles et des chapitres pour adopter une disposition répondant à la situation de chaque collectivité, du moins aurions-nous pu ajouter un titre ou un chapitre consacré à l’adaptation de toutes les dispositions de la loi aux particularités des outre-mer.

Cela étant, permettez-moi de penser qu’il serait temps d’en sortir. C’est sans doute là une des raisons qui ont conduit Saint-Barthélemy à opter pour un changement de statut. Pendant des années, dans bien des domaines, la commune s’est substituée au département, à la région, voire à l’État, en bénéficiant d’un régime dérogatoire. Cependant, la dérogation ne pouvant être la règle, nous avons trouvé dans la possibilité de définir un statut à la carte offerte par la révision constitutionnelle de 2003 le moyen d’entériner la pratique en lui donnant un régime législatif stable.

Durant ces années de pratique, je puis aujourd’hui témoigner qu’une question nous a guidés : qui doit procéder aux adaptations ? L’État ou la collectivité ? Est-il besoin de préciser que nous avons conclu qu’il appartenait aux responsables locaux de définir leurs besoins et de les indiquer ensuite à l’État. Mon propos ne se veut pas une attaque ; toutefois, je refuse de vous faire l’injure de manier ici la langue de bois.

J’en arrive à une autre question charnière, celle de la responsabilité.

À mon sens, pour répondre aux particularismes locaux, c’est le partage des responsabilités entre l’État central et le Parlement, d’une part, et les collectivités locales, d’autre part, qu’il convient de redéfinir.

Avec son nouveau statut, Saint-Barthélemy a souhaité tracer une frontière entre les missions régaliennes de l’État et celles qui relèvent de l’impulsion locale. En employant à dessein le terme d’« impulsion », je veux dire qu’il n’y a pas de rejet de l’État dans cette démarche d’évolution statutaire : la collectivité a redessiné ses rapports avec l’État, qui d’ailleurs n’a jamais été aussi présent que depuis que les lignes sont claires.

En effet – permettez-moi cette comparaison un peu osée –, comme nous l’a montré la pratique, il faut beaucoup de souplesse à un éléphant pour se pencher afin de voir une souris ; en revanche, il est facile à la souris de grimper vers l’éléphant. Qui mieux que les responsables locaux peut indiquer à l’État ce qu’il est bon de faire sur un territoire ?

En l’occurrence, je veux mettre en exergue une réalité, celle de la difficulté d’adapter à chaque territoire des dispositions s’appliquant à l’ensemble national. L’Europe l’a d’ailleurs bien compris, qui a défini le principe de subsidiarité. C’est un peu aussi l’esprit de la LODEOM, élaborée dans une logique de coopération afin d’apporter des réponses aux enjeux économiques, par nature différents d’une collectivité à une autre. À cet égard, je salue la possibilité qui a été laissée aux COM de choisir les secteurs économiques qu’elles souhaiteront développer grâce aux investissements réalisés au titre de la défiscalisation.

Notre débat d’aujourd’hui doit être inscrit dans la continuité des états généraux de l’outre-mer et du rapport de la mission commune d’information du Sénat, ainsi que dans la perspective du prochain conseil interministériel sur l’outre-mer. À n’en pas douter, chacune de ces initiatives témoigne de la volonté de l’État et du Parlement d’être à l’écoute des aspirations et des attentes locales, qui se sont exprimées fortement au début de l’année.

En ce qui la concerne, la collectivité de Saint-Barthélemy n’a pas souhaité s’associer aux états généraux, mais elle a toutefois saisi l’occasion du prochain conseil interministériel pour demander officiellement au Gouvernement d’engager le processus de passage du statut de région ultrapériphérique, ou RUP, à celui de pays et territoire d’outre-mer, ou PTOM.

En conclusion, mon sentiment profond est que l’État ne pourra pas tout faire, mais qu’il doit donner à l’outre-mer la place et l’attention qu’il mérite au sein de la République. À son tour, l’outre-mer peut et doit prendre toute sa place, et pas seulement celle que l’État lui accorde. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les recommandations de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer ont déjà été rappelées par son président, M. Serge Larcher, et par plusieurs de mes collègues. Comme l’a souligné M. le rapporteur, on peut y croire ou non ; pour notre part, nous voulons y croire.

Pourtant, la seule application, pour le moment, du passionnant débat que nous avons eu au début de l’année à l’occasion de l’examen du projet de loi pour le développement économique des outre-mer a été la tenue des états généraux de l’outre-mer, qui ont, c’est le moins que l’on puisse dire, mis en évidence les différences – et même les divergences – d’appréciation entre les forces vives de chacun des territoires composant l’outre-mer quant aux voies et moyens à utiliser pour résoudre les problèmes de toute nature auxquels ceux-ci sont confrontés.

En effet, certaines organisations, dont la légitimité est parfois liée à l’acquis des luttes sociales et politiques, n’ont pas participé à ces états généraux. Dans d’autres cas, les différences d’approche sont manifestes : j’en veux pour preuve les termes du discours prononcé par le président de la Polynésie française, M. Oscar Temaru, qui mettait la France en garde contre un retour à des pratiques coloniales.

Surtout – c’est en tout cas ce que montrent certaines interventions –, les espoirs que nourrissaient certains suite à l’adoption de la LODEOM demeurent de simples espoirs et ne trouvent guère de traduction dans les faits. La consultation sur internet du site même de la Haute Assemblée est sans la moindre équivoque à cet égard : à la date du 28 septembre dernier, aucune des mesures tant réglementaires que non réglementaires prévues par la loi promulguée en mai dernier n’avait été prise. Peut-être les dernières semaines auront-elles quelque peu permis de remédier à cette situation, mais, pour l’heure, il n’y a rien de plus…

En revanche, un rapide examen du projet de loi de finances pour 2010 nous apprend que certaines dispositions de la LODEOM trouveront application. En effet, à la lecture de l’évaluation des recettes et de l’article 11 du projet de loi de finances, nous apprenons qu’en raison de l’imputation du revenu supplémentaire temporaire d’activité, le RSTA, sur la prime pour l’emploi, l’État va pouvoir récupérer 108 millions d’euros jusqu’ici versés au titre de cette prime aux salariés ultramarins, somme à peine entamée par les 3 millions d’euros que coûterait l’exonération du RSTA ! Les prix ne sont pas encore contrôlés outre-mer, mais les choses vont beaucoup plus vite, semble-t-il, dès qu’il s’agit de récupérer un peu d’argent sur le dos de nos compatriotes ultramarins avant tout engagement de dépenses nouvelles !

Quant aux crédits de la mission « Outre-mer », ils n’échappent aucunement aux principes de régulation budgétaire aujourd’hui largement appliqués. Leur augmentation de 118 millions d’euros en 2010 trouve son origine dans les politiques d’allégement du coût du travail, qui, pour notre groupe, constituent la forme la plus achevée d’une action publique sans pertinence ni efficacité prouvée. Ainsi, les crédits affectés à l’action « soutien aux entreprises » progressent de 93 millions d’euros et constituent désormais de loin la plus grande part des crédits de la mission. Dans le même temps, les crédits de la ligne budgétaire unique consacrée au logement stagnent à 210 millions d’euros et la dotation de continuité territoriale est arbitrairement maîtrisée. Ces quelques chiffres montrent à quel point nous sommes loin des attentes fortes exprimées tant au travers des mouvements sociaux que dans les débats relatifs à la LODEOM !

De fait, c’est dans un contexte budgétaire déprimé, où l’outre-mer doit apporter son écot à la régulation générale, c’est-à-dire prendre sa part dans la politique de réduction générale de la dépense publique, que nous sommes amenés à débattre aujourd’hui, en particulier du devenir institutionnel de l’outre-mer : les tensions sociales sont fortes, les expérimentations diverses – nous devrions discuter sous peu d’une proposition de loi relative au régime fiscal des résidents de Saint-Martin, c’est dire ! –, et on ajoute donc le problème de la monodépartementalisation aux autres.

Je ne sais s’il faut anticiper la transformation des conseillers généraux et des conseillers régionaux en conseillers territoriaux en fusionnant les assemblées de chaque « département-région d’outre-mer » et en adaptant le nombre des élus à la situation nouvelle ainsi créée, mais ce qui semble certain, pour l’heure, c’est que la LODEOM est loin d’avoir trouvé sa pleine application et que de longues années de disette budgétaire attendent encore les élus de l’outre-mer, aux prises avec la poudrière sociale et économique des territoires concernés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)