Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.

M. Claude Lise. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis de ceux qui n’ont eu de cesse de déplorer que la situation des départements ultramarins ne soit évoquée dans notre hémicycle qu’à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » ou à la suite d’événements exceptionnels, tels que des catastrophes naturelles ou des troubles sociaux graves.

Je ne puis donc que me féliciter de ce que l’initiative ait été prise d’organiser le présent débat sans attendre la survenue de nouvelles explosions sociales, malheureusement à craindre compte tenu de l’état de dégradation du tissu économique, notamment aux Antilles et en Guyane.

Par ailleurs, notre débat présente l’intérêt de se tenir après le dépôt du rapport d’une mission sénatoriale qui, au contact des réalités locales, a pris, ce dont je me félicite, la mesure de la gravité de certains problèmes, mais aussi de l’insuffisante exploitation de certains atouts. Surtout, il intervient en amont des décisions qui seront arrêtées au conseil interministériel du 6 novembre prochain.

Dans les quelques minutes dont je dispose, je voudrais avant tout vous alerter sur la situation, qu’il faut bien qualifier de véritablement catastrophique, prévalant actuellement à la Martinique.

Ainsi, le nombre d’entreprises mises en redressement judiciaire ou en liquidation ne cesse de croître : elles sont déjà près de 250 ! Depuis le début de l’année, le nombre de chômeurs a augmenté de près de 10 %. Le chômage, qui continue de frapper plus fortement les femmes et les jeunes, touche déjà plus de 24 % de la population active, et l’on peut craindre que ce taux n’atteigne 26 % à 28 % d’ici à la fin de l’année.

En effet, pratiquement tous les secteurs économiques sont affectés, et tout particulièrement le BTP, où le montant des salaires versés mensuellement a chuté de 12 millions d’euros au mois de décembre 2008 à 7,4 millions d’euros au mois de mars dernier. Les ventes de ciment, qui ont baissé de 40 % sur un an, témoignent bien de la crise aiguë que traverse ce secteur, réputé fort pourvoyeur d’emplois. Le tourisme est également très touché, comme le montre la réduction de 11,8 % du nombre de nuitées d’hôtel sur un an, ainsi que la baisse de 45,5 % sur la même période du nombre de croisiéristes. L’industrie agroalimentaire présente quant à elle un net recul de l’activité, s’agissant notamment des entreprises de distribution de farines et des boulangeries industrielles.

L’agriculture connaît également de grandes difficultés, en particulier la filière canne-sucre-rhum. Les secteurs de la pêche et de l’élevage ne sont pas non plus épargnés.

Dans un tel contexte, on comprend aisément que les exportations connaissent une baisse notable, de 37,4 % sur un an. Mais les importations ne sont pas en reste, puisqu’elles enregistrent, sur la même période, un recul de 32,7 %.

Évidemment, on pourrait être tenté d’imputer la responsabilité de cette situation au mouvement social de février, mais, en réalité, celui-ci n’a fait qu’aggraver une dégradation déjà en cours, dont il a été avant tout un symptôme révélateur. On pourrait comparer cela à une poussée de fièvre qui, de symptôme de la maladie, devient facteur aggravant de l’état du malade. La maladie était bel et bien présente avant la poussée de fièvre de février 2009, comme en témoignent la plupart des indicateurs de l’année 2008, notamment le recul de 0,3 % du PIB et l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de 6,4 % en fin d’année.

Les entreprises n’ont pas été seules à devoir faire face à de graves difficultés dès 2008. Pratiquement toutes les collectivités territoriales ont également vu, cette même année, se dégrader leur situation, du fait non seulement de la conjoncture économique, mais également de l’effet conjugué d’une stagnation de ressources provenant de l’État et de transferts de compétences imposés sans être accompagnés d’une compensation véritable. Cette année, beaucoup de communes sont même confrontées à des difficultés pour boucler leur budget.

Les choses se sont encore aggravées en 2009, ce qui a eu des conséquences très négatives sur l’activité économique. Il faut savoir, en effet, que les collectivités territoriales des départements d’outre-mer jouent un rôle véritablement moteur pour les économies locales. Leur intervention représente notamment 85 % de l’investissement public, alors que celle des collectivités territoriales de l’Hexagone ne dépasse pas 73 % de ce dernier.

Une telle situation a évidemment des conséquences désastreuses sur le plan social. Les phénomènes de pauvreté et d’exclusion sont en extension constante. Plus de 20 % des Martiniquais vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté, qui est pourtant fixé chez eux à 616 euros mensuels. Les catégories qui connaissaient déjà le plus de difficultés sont particulièrement touchées : les personnes âgées, les handicapés, mais également les jeunes ayant quitté le cursus scolaire et qui ne trouvent pas d’emploi.

Ce constat appelle, à l’évidence, la mise en œuvre d’un plan d’urgence de grande envergure. Or, pour l’instant, les dispositifs mis en œuvre successivement – fonds exceptionnel d’investissement, plan de relance et plan Corail – n’ont mobilisé que 56 millions d’euros de crédits d’État, tandis que les acteurs économiques chiffrent à plus de 300 millions d’euros les crédits nécessaires à la mise en place de ce que beaucoup d’entre eux appellent un « plan de sauvetage »…

Les collectivités territoriales n’ont jusqu’ici pas bénéficié des moyens qui auraient pu leur permettre de participer efficacement à une vraie relance. Je veux d’ailleurs vous rappeler, madame la secrétaire d'État, que le conseil général que je préside et qui pendant des années a été le premier donneur d’ordres public pourrait immédiatement lancer pour 70 millions d’euros de travaux. J’ai fourni à plusieurs reprises les éléments qui m’ont été demandés, mais cela n’a débouché pour l’heure sur aucun résultat. Plus grave encore, les acteurs économiques, notamment de nombreux investisseurs, attendent depuis plus de cinq mois les décrets d’application de la LODEOM. Ce texte, après une assez longue gestation, avait pourtant été examiné par le Parlement dans le cadre d’une procédure d’urgence et était censé, disait-on, « promouvoir l’excellence outre-mer ».

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la Martinique reste en attente d’une grande politique de développement, qui gagnerait à être inspirée par les axes stratégiques adoptés à l’unanimité par les élus lors d’une réunion commune des deux assemblées locales en décembre 2007 et qui, pour réussir, devrait s’inscrire dans un cadre institutionnel plus adéquat, donnant aux élus locaux les outils réglementaires leur permettant, dans certains domaines, d’adapter les dispositifs normatifs et d’exercer plus efficacement leurs compétences. Les Martiniquais seront bientôt consultés sur ce point, ce dont, évidemment, je me félicite.

Pour l’heure, néanmoins, il y a urgence, et même extrême urgence ! Parmi toutes les propositions issues des états généraux – la majorité d’entre elles, avouons-le, ne sont pas nouvelles – ou avancées par la mission sénatoriale, il faut absolument choisir celles qui répondent à cette urgence, tout en gardant à l’esprit que rien de sérieux ne se fera sans une implication financière importante de l’État. Prenons garde à ne pas laisser s’accumuler de nouvelles déceptions ; prenons garde à ne pas pousser davantage au désespoir une jeunesse qui aspire pourtant encore à croire en l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise qui a affecté la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, notamment, au début de l’année 2009 a révélé les aspirations profondes de nos compatriotes outre-mer, mais aussi une incompréhension mutuelle entre la métropole et ces territoires lointains, pourtant intimement liés à notre histoire.

Il faut avoir le courage de dire que nous aurions dû, depuis longtemps et collectivement, repenser ce lien au-delà des évolutions statutaires, dont la France détient le record depuis 1945. Ce défaut d’esprit de responsabilité a laissé prospérer de fausses idées et des sentiments ambigus de part et d’autre, exacerbés aujourd’hui par la crise mondiale.

Reconnaissons-le, la volonté de l’État français, à l’égard de l’outre-mer, a souvent été de « ne pas faire de vagues ». Pareille attitude est à la fois la cause et la conséquence de son déficit de légitimité dans ces territoires.

En réalité, nous avons du mal à échapper au couple culpabilité-réparation, sur lequel se sont fondées les relations politiques et économiques entre la métropole et les territoires ultramarins. Il n’est, dès lors, pas vraiment étonnant que l’opinion publique hexagonale soit partagée entre compassion et exaspération.

L’évocation de l’outre-mer se fait trop souvent en termes de chômage, d’insécurité, d’échec scolaire, de drogues, de catastrophes climatiques, sans doute pour mieux justifier qu’il coûte cher à la France. Cependant, prenons garde à ne pas laisser croire qu’il est plus une charge qu’un profit.

Les outre-mer sont non pas des vestiges du passé, mais des acteurs du futur. Au lieu de ne voir que les contingences de l’histoire, les Français doivent considérer l’ouverture au monde qu’ils représentent. Ces territoires propulsent notre pays au troisième rang des puissances maritimes mondiales, lui procurent l’essentiel de son patrimoine écologique, contribuent de façon significative à l’élaboration de sa puissance spatiale et nucléaire, lui assurent notoriété et sympathie dans les bassins régionaux voisins.

L’outre-mer est donc une chance pour la France, tout comme la France est une chance pour l’outre-mer. Je crois que les populations ultramarines doivent le reconnaître. Elles éprouvent aujourd’hui un certain ressentiment à l’égard de la République, sans doute en raison des souffrances et de l’humiliation infligées par la colonisation, mais peut-être est-il temps de sortir des vieux schémas et d’une rhétorique ancienne qui, loin de faire progresser la cause des outre-mer, conduisent à exacerber les tensions et à diviser les peuples. Ce n’est pas en défiant la République française que la compassion et l’exaspération de certains se mueront en attention et en respect !

Quoi qu’il en soit, nous devons entendre le signal de détresse que les Antilles, notamment, ont adressé à la France en début d’année. Derrière la question du pouvoir d’achat à l’origine de la crise, c’est en réalité la structure de l’économie locale qui est en cause. Chacun sait qu’elle est l’héritage de la période coloniale et se caractérise par une forte concentration dans certains secteurs, de telle sorte que la concurrence joue peu et que la formation des prix n’est pas toujours transparente.

Il y a aussi la question identitaire. Elle n’est certes pas spécifique aux outre-mer, mais elle y revêt une importance toute particulière compte tenu de leur histoire.

Le Gouvernement n’est, évidemment, pas resté sourd à cet appel : une loi pour le développement économique des outre-mer a été adoptée en mai dernier, tandis que des états généraux étaient lancés, dont les conclusions ont été rendues début octobre.

Le Sénat a également souhaité apporter sa contribution. Le rapport établi au nom de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, présidée par Serge Larcher, avance des propositions concrètes et intéressantes. Les leviers d’action sont nombreux : réappropriation de l’économie par le soutien aux initiatives locales, transparence des prix, continuité territoriale, égal accès aux soins, formation et insertion professionnelle des jeunes, projets structurants, etc.

Il nous faut aussi travailler encore sur la mémoire, en regardant en face cette histoire commune : entre la France et les outre-mer, c’est finalement une histoire de passions. Il y a là une superbe page à écrire, celle de la diversité culturelle, où l’État français doit tenir toute sa place, rien que sa place. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, quand je suis devenue sénateur, voilà cinq ans, rien ne me destinait à intervenir à cette tribune dans un débat sur l’outre-mer. Je n’y ai aucune attache familiale et je ne m’y étais jamais rendue à titre professionnel. Comme pour beaucoup de métropolitains, ces départements n’étaient pour moi qu’une éventuelle destination touristique, quelque peu exotique, présentant l’avantage d’être francophone.

Cependant, l’une des caractéristiques de la fonction de parlementaire est de donner l’occasion de se pencher sur des dossiers que l’on n’imaginait même pas devoir aborder un jour, mais auxquels on s’intéresse !

Tout d’abord, je me suis consacrée, aux côtés de Dominique Leclerc, à la question de l’indemnité temporaire des fonctionnaires résidant outre-mer, plus communément appelée « sur-retraite », et même « retraite cocotier » par la presse ! En 2007, nous avions réussi à réunir plus d’un tiers des sénateurs autour de notre proposition de loi. Même si le texte déposé par votre prédécesseur, madame la secrétaire d'État, est encore assez éloigné de ce que nous espérions, j’ai la satisfaction de me dire que notre mobilisation a permis de faire quelque peu avancer la législation. J’ose espérer que les décisions de l’an passé ne seront qu’une première étape, car prendre sa retraite à la Réunion, à Tahiti ou en Nouvelle-Calédonie n’a rien de si épouvantable que cela doive ouvrir droit, pour les anciens fonctionnaires concernés, à un surcroît de pension de 35 % à 75 % par rapport à ce qu’ils percevraient en France métropolitaine…

Le sujet était, jusqu’à l’an passé, tabou, comme celui de l’incidence de la sur-rémunération des fonctionnaires sur la formation des coûts, que nous tentions d’évoquer lors de chaque débat budgétaire. C’est pourquoi j’ai apprécié que ce point n’ait pas été passé sous silence dans le rapport de la mission commune d’information, ni même dans l’intervention du président Serge Larcher tout à l’heure. MM. Serge Larcher et Éric Doligé ont, avec brio et beaucoup de conviction, présenté les conclusions de cet ambitieux rapport, qui a eu à mes yeux le mérite d’associer des sénateurs de toutes origines politiques et géographiques.

Pour ma part, je veux profiter de ce débat, madame la secrétaire d'État, pour évoquer certaines imperfections institutionnelles que j’avais découvertes à l’occasion de l’élaboration d’un rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST. En effet, Jean-Yves Le Déaut et moi-même – un député socialiste et une femme sénateur UMP, la parité est parfaite ! (Sourires) – avons présenté, il y a quelques mois, un rapport sur les incidences de l’utilisation du chlordécone aux Antilles.

Le chlordécone est ce pesticide organochloré, utilisé jusqu’en 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, qui s’est révélé être un véritable « alien chimique ». Sa persistance multiséculaire dans les sols antillais étant prouvée, la population est inquiète.

Cette inquiétude tient d’abord au fait que les études médicales relatives aux incidences de ce produit sur la santé, particulièrement en ce qui concerne le cancer de la prostate, ne sont malheureusement toujours pas publiées. En outre, les chercheurs n’ont trouvé aucune méthode pour dépolluer les sols et faire disparaître cette molécule. Enfin, ces incertitudes ont été exploitées et théâtralisées par certains, en dehors de toutes données scientifiques.

Si j’évoque le chlordécone, madame la secrétaire d'État, c’est aussi parce que, à l’occasion de nos 122 auditions et de nos deux déplacements aux Antilles, plusieurs imperfections d’ordre institutionnel nous sont apparues, comme je l’ai dit tout à l’heure, qui ont été corroborées par la mission commune d’information. Je me contenterai d’en citer trois.

Une première imperfection tient à la « verticalité » totale des administrations, qui n’arrivent pas à travailler ensemble. Cette situation est d’autant plus préjudiciable qu’il s’agit d’un territoire restreint, et elle l’est encore plus quand le Gouvernement lance un plan d’action multidirectionnel et que chaque direction des services de l’État continue à n’envisager que son seul domaine de compétences. Nous avons eu le sentiment que les décisions concertées et coordonnées demeuraient l’exception. J’approuve donc pleinement la réorganisation administrative suggérée dans le rapport, ainsi que la remarque formulée tout à l’heure par M. le rapporteur sur les cadres administratifs de haut niveau outre-mer.

Une deuxième imperfection est liée aux problèmes que pose l’application indifférenciée de la législation européenne aux départements d’outre-mer. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’agriculture, notamment l’usage des pesticides : vouloir imposer les mêmes normes aux Antilles qu’en Beauce ou dans le Brabant est complètement ridicule ! Il faut vivre à Bruxelles pour ignorer les particularités du climat tropical : il n’y a ni hiver ni refroidissement qui permette à la terre de se reposer et entraîne la disparition des bio-agresseurs ; la chaleur et les pluies permanentes favorisent la multiplication des insectes et des mauvaises herbes, qui seront bientôt naturellement éliminés en Europe, jusqu’au printemps suivant. Je ne dis pas que nos départements d’outre-mer doivent rester à l’écart des bonnes pratiques en matière d’utilisation de pesticides, mais j’estime que celles-ci doivent être adaptées à la réalité climatique si l’on veut que l’agriculture locale puisse continuer à nourrir une partie de la population.

Lors du déplacement de la mission commune à Bruxelles, j’ai pu constater que les particularités ultramarines, si elles étaient connues, étaient en même temps en partie niées. C’est pourquoi j’espère que les propositions de notre mission trouveront à se concrétiser dans ce domaine.

J’espère surtout que, alertés par nos soins, les pays européens qui ont utilisé le chlordécone en grande quantité – c'est-à-dire de 1200 à 1500 tonnes, contre seulement 300 tonnes aux Antilles – vont se lancer, aux côtés des scientifiques français, dans des recherches sur cette molécule qui, pour l’instant, est indestructible.

La troisième imperfection vient de l’insuffisante intégration dans l’environnement caraïbe et américain. Les Antilles et la Guyane – je n’évoque pas la Réunion, car l’étude de l’OPECST ne la concernait pas – sont nos départements d’Amérique, mais les contraintes sociales, environnementales et économiques auxquelles elles sont soumises ne tiennent pas compte de cette proximité.

Cette situation se révèle particulièrement préjudiciable en matière d’agriculture. En ce qui concerne la lutte contre certains bio-agresseurs, telle la cercosporiose noire, c’est même catastrophique. Si aucun plant résistant à cet agent pathogène n’est découvert par les chercheurs – ils ne sont que dix à se consacrer à cette question dans le monde – et si les mesures applicables dans l’arc caraïbe en matière de traitement des pesticides demeurent interdites aux Antilles, c’est toute la production de bananes qui va disparaître en quelques années dans nos départements, et avec elle 15 000 emplois. La mission s’est penchée sur les raisons de la crise sociale ; pour ma part, j’évoque le risque d’une future crise qui pourrait être encore plus grave, résultant de l’effondrement d’un pan entier de l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique. Je ne dis pas que je souhaite que l’on autorise nos départements à produire des fruits et des légumes à grand renfort de pesticides, comme dans les pays voisins, mais j’ai été choquée de découvrir que la France et l’Europe autorisent l’importation de produits en provenance de la zone Amérique, cultivés quant à eux à l’aide de pesticides dont l’usage cultural est chez nous interdit !

Bien d’autres points de convergence me sont apparus entre les travaux de la mission sénatoriale et notre rapport, mais, puisque nous sommes à la veille du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que je fais partie de la commission des affaires sociales, je terminerai mon propos en évoquant un autre aspect sanitaire.

La mission commune d’information a mis en avant la situation sanitaire spécifique des départements d’outre-mer, qui tient à la géographie, au climat, à l’isolement ou encore à l’enclavement. Ces conditions créent des contraintes qui pèsent sur l’accès aux soins et sur la qualité de ceux-ci. C’est pourquoi les critères strictement démographiques ne peuvent pas être pertinents pour déterminer, comme en métropole, les équipements nécessaires ou l’implantation des établissements et des personnels de santé.

C’est dans ce contexte que Mme la ministre de la santé et des sports a officiellement présenté, en juillet dernier, un plan santé outre-mer. La mission commune d’information a préconisé la mise en place urgente d’un tel plan. Il faut en effet combler les retards par un rattrapage global en matière d’équipements de santé et un renforcement des personnels et des appareils de formation médicale et paramédicale. Il convient également d’adapter la politique de santé aux spécificités locales.

Dans le cadre des réponses au questionnaire budgétaire pour 2010, vos services, madame la secrétaire d’État, nous ont présenté une liste d’actions contenues dans le plan du Gouvernement ; mais leur réponse, reçue début octobre, contient une dernière phrase surprenante : « le montant des crédits qui seront inscrits au titre du plan santé outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2010 n’est pas encore déterminé ». Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : quand et comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre son plan santé outre-mer annoncé en juillet ? En pratique, pouvez-vous nous indiquer quels seront le montant et la ventilation des crédits inscrits en 2010 pour mettre en œuvre cette priorité de l’action publique outre-mer ?

Enfin, je vous informe que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques demandera l’inscription à l’ordre du jour partagé, d’ici à 2010, d’une question sur la prise en compte des préconisations du rapport rédigé par M. Le Déaut et moi-même.

Comme vous le voyez, madame la secrétaire d’État, vous trouverez en moi une parlementaire qui, malgré ses origines métropolitaines, s’intéresse à l’outre-mer sous tous ses aspects et estime que certaines spécificités de nos départements et collectivités ultramarines doivent être préservées. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les populations des quatre départements d’outre-mer ont manifesté, durant l’année écoulée, leur volonté de voir changer les choses. Le chef de l’État les a entendues et a lancé les états généraux de l’outre-mer, dont les contributions vous ont été récemment restituées, madame la secrétaire d’État. Le Sénat a lui aussi réagi, par l’élaboration d’un rapport que le président et le rapporteur de la mission commune d’information, MM. Serge Larcher et Éric Doligé, nous ont largement présenté et dont vous avez été destinataire.

Vous êtes donc en possession de deux rapports, qui présentent pour la Guyane une certaine similitude entre eux, ainsi qu’avec un document beaucoup plus ancien, rédigé en 1997 par les états généraux de Guyane, œuvre conjointe des socioprofessionnels, des élus politiques et des autorités coutumières. Ce document n’a malheureusement pas été pris en considération. Il est bien dommage d’avoir perdu douze ans, car ces trois rapports dressent un même constat : tous trois dénoncent l’insuffisante prise en compte de la réalité de la Guyane et insistent sur la nécessité d’un développement endogène réussi.

Cela étant, le rapport du Sénat, avec ses cent propositions concrètes, apporte un élément nouveau : il donne une légitimité nationale à nos revendications locales, jusqu’alors peu prises en considération, leur apportant en quelque sorte une caution nationale qui ne peut laisser indifférents le Gouvernement et le chef de l’État : à toutes ces propositions concrètes, ils doivent désormais donner une traduction qui ne le soit pas moins.

Le chef de l’État a commencé à le faire, notamment sur le plan de la gouvernance institutionnelle, en répondant positivement à la demande de consultation populaire formulée par le congrès de Guyane, mais il devra continuer sur cette lancée, dès le 6 novembre, lors du conseil interministériel, s’agissant de sujets sensibles et pressants.

Ainsi, la question des finances des collectivités territoriales de Guyane est centrale. C’est en effet le nerf de la guerre, d’autant que les collectivités territoriales de Guyane jouent un rôle majeur : elles réalisent 72 % de la totalité des investissements du secteur public. Or, en raison de charges nécessairement plus élevées et de recettes fiscales directes beaucoup plus faibles que celles des collectivités métropolitaines, leurs finances sont exsangues. Vous le reconnaissiez vous-même en ces termes, madame la secrétaire d’État, dans un récent courrier en date du 2 octobre dernier : « S’agissant des finances locales, l’analyse des charges supportées par la région, le département et les communes montre que la forte croissance démographique et les difficultés de communication créent des dépenses supplémentaires que le niveau des recettes des collectivités locales ne couvre pas complètement. Je souhaite que cette spécificité guyanaise soit traitée par des mesures adaptées, qui pourraient allier un travail sur les bases fiscales à une dotation particulière de l’État. »

Le chef de l’État a lui aussi reconnu la réalité de cette situation lors de son passage en Guyane en 2008. Vous savez donc bien qu’il faut adapter les dotations allouées à la Guyane : pourquoi ne pas le faire ? Les sénateurs de la mission commune d’information ont formulé dans leur rapport, en sus des propositions communes à tous les DOM, des préconisations particulières pour la Guyane. Il est notamment fait mention de la dotation globale superficiaire et de son plafonnement, s’appliquant uniquement pour les communes de Guyane ! Cette situation inique surprend tout le monde, mais on peine à la modifier. Pourquoi cette réticence à donner à la Guyane ce qui lui revient ? La superficie de la Guyane serait-elle subitement ramenée à 30 000 kilomètres carrés, comme pourrait le donner à croire le montant de cette dotation, qui s’élève à 3 euros par hectare ? Qu’en est-il des 60 000 autres kilomètres carrés ? Auraient-ils été cédés sans que nous en ayons été informés ? Il est vrai que, s’agissant du patrimoine privé de l’État, on ne sait jamais… L’État ne s’est-il pas déjà arrogé le droit de ne pas payer d’impôts locaux sur ce patrimoine ?

Le rapport du Sénat fait également mention de l’augmentation, pour les collectivités territoriales, des retombées financières de l’activité spatiale, mais, de manière générale, il y est demandé que les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales des départements d’outre-mer soient adaptés aux réalités de ces derniers. Aussi faut-il, à travers la dotation globale de fonctionnement, insister davantage qu’on ne le fait actuellement sur des critères relatifs aux charges structurelles qui singularisent les collectivités de Guyane par rapport aux autres collectivités françaises, sans pour autant renoncer à la nécessaire péréquation des ressources.

Ces singularités tiennent par exemple au revenu moyen par habitant – en Guyane, un habitant sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté –, au nombre d’élèves scolarisés sur le territoire, à la situation sociodémographique – la pyramide des âges de la population guyanaise, avec sa base trop large, n’a rien à voir avec les standards nationaux –, à la superficie des territoires communaux, à l’enclavement, aux particularités géographiques, à l’éloignement par rapport au chef-lieu, au nombre de constructions scolaires à réaliser chaque année, au niveau et à la nature des dépenses liées à la scolarisation des enfants, qui n’ont rien à voir avec les normes françaises, le transport des élèves, fluvial ou routier, s’effectuant sur des distances pouvant atteindre 90 kilomètres… L’échelle est tout autre !

D’ailleurs, sur ce dernier point, le rapport du Sénat est formel : « Si dans la plupart des collectivités locales les constructions scolaires ne constituent plus “un défi budgétaire”, dans la mesure où les effectifs sont aujourd’hui stabilisés, il est en revanche nécessaire que l’État maintienne son effort s’agissant de la Guyane. […] Il conviendrait donc, dans l’immédiat, d’aider les collectivités concernées en élargissant les possibilités d’intervention financière de l’État. »

Madame la secrétaire d’État, il vous faut prendre en considération tous ces éléments pour déterminer avec justesse la dotation particulière pour la Guyane, à laquelle vous faites allusion dans le courrier du 2 octobre dernier que j’évoquais précédemment.

Nous avons également besoin de réponses concrètes aux propositions concrètes qui sont faites dans le domaine de l’éducation et de la formation. La Guyane ne doit plus rester à la traîne et continuer à détenir la palme des « plus mauvais résultats de France », selon son propre recteur. Une action urgente s’impose, et les sénateurs ont déjà fait des propositions qui méritent d’être suivies, visant notamment à une meilleure définition des qualités requises des enseignants.

De même, le chef de l’État doit apporter des réponses concrètes aux propositions concrètes formulées dans le rapport de la mission commune pour relancer et fonder notre développement endogène.

Des réponses urgentes et concrètes sont également attendues sur les propositions relatives à la protection sociale, la santé et la sécurité, autant de sujets d’importance que, malheureusement, contraint par le temps qui m’est imparti, je ne ferai que citer.

En effet, je tiens également à intervenir sur le logement social, qui, comme vous le savez bien, madame la secrétaire d’État, traverse une crise très aiguë.

La mission sénatoriale a elle aussi été frappée par l’ampleur du déséquilibre structurel que subit la Guyane dans ce secteur, évoquant un « constat édifiant et alarmant ». Et pour cause ! À ce jour, 80 % de la population répond aux conditions de ressources pour bénéficier d’un logement social : le parc locatif social ne comptant que 11 000 unités, on enregistre 13 000 demandes non satisfaites !

Or, l’unique société d’HLM de la Guyane fait l’objet d’une mesure de liquidation administrative de la part de l’État. Devant l’ampleur des besoins, nous ne pouvons nous résoudre à la voir disparaître. Il faut au contraire la préserver, et même la relancer, pour améliorer l’offre sociale en la matière. À cette fin, nous devons, j’en ai bien conscience, veiller à mettre en œuvre un certain nombre de principes sur les plans financier et technique, ainsi que sur le plan de la gouvernance. J’ai à cet égard une proposition concrète à vous faire, mais, limité par le temps une fois de plus, je vous la présenterai ultérieurement.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en guise de conclusion, permettez-moi de revenir sur un sujet ô combien important évoqué dans le rapport de la mission sénatoriale, celui de l’évolution statutaire.

Les électeurs de Guyane auront à se prononcer sur cette question le 17 janvier prochain, et il importe qu’ils disposent d’informations objectives pour dissiper les craintes, souvent infondées, selon lesquelles un changement de statut remettrait en cause l’appartenance à l’Union européenne ainsi que l’application des lois sociales, notamment le versement des aides qui en découlent.

Sur le premier point, la mission sénatoriale « ne peut que rappeler qu’un changement statutaire – et a fortiori un changement institutionnel dans le cadre de l’article 73 de la Constitution – n’a en lui-même aucune incidence sur le statut européen des collectivités concernées ».

Sur le second point – le maintien de l’application des lois sociales en cas de changement de statut –, elle renvoie aux cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, dont les ressortissants continuent de bénéficier des droits sociaux qu’accorde la République aux habitants des départements d’outre-mer dans la mesure où a été prévu, dans leurs statuts, sur le fondement de l’article 74 de la Constitution, le maintien du principe de l’assimilation législative en matière sociale.

Ce sont ces mêmes dispositions qui ont été adoptées par le Congrès de Guyane, le 2 septembre 2009, dans le cadre de la résolution n° 9 relative aux compétences de la nouvelle collectivité. Dans son rapport de présentation, le président du Congrès est très clair sur ce sujet : « Tout ce qui relève de la politique sociale demeure de la compétence de l’État ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Adrien Giraud applaudit également.)

(M. Gérard Larcher remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)