Article 43
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article 44

Articles additionnels après l'article 43

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° II-208 rectifié, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 43, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa (1) de l'article 200-0 A du code général des impôts, le montant : « 25 000 euros » est remplacé par le montant : « 10 000 euros ».

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Les dispositifs correctifs de l’application pleine et entière des différents impôts et taxes inscrits dans notre législation sont manifestement l’une des sources du processus d’endettement et de déficit chronique de l’État. Ce qu’on appelle les « niches fiscales » constitue d’ailleurs, depuis quelques années, l’élément principal de mobilisation et d’utilisation de l’argent public, bien au-delà de la dépense publique directe. Cette situation n’est pas saine.

La dépense fiscale, par définition, n’a de sens que pour ceux qui ont quelque chose à payer, que ce soit sur les revenus qu’ils tirent de leur activité ou sur ceux que leur procure l’exploitation d’un capital ou d’un patrimoine, et non pour ceux dont les ressources sont si modestes que la stricte application de tel ou tel barème les exonère d’emblée.

Le développement des niches fiscales participe de la rupture du pacte républicain et des principes constitutionnels selon lesquels chacun contribue à la charge publique à la mesure de ses moyens.

Comme nous le savons, pour le seul impôt sur le revenu, les mesures de « correction » ont un coût important – aux alentours de 40 milliards d’euros, ce qui représente, dans les faits, une moins-value proche des quatre dixièmes du rendement normal de cet impôt –, et cela sans que beaucoup d’évaluations soient menées, sinon sur les dispositions générales, en tout cas sur la plupart des dispositions spécifiques touchant les revenus liés au patrimoine ou à des placements financiers.

Lorsque l’État renonce ainsi, et en vertu de dispositions légales, à 40 % des recettes que devrait lui fournir l’impôt sur le revenu, c’est un peu comme si le taux marginal supérieur n’était que de 24 %, au lieu de 40 %.

En fait, la combinaison des niches fiscales de l’impôt sur le revenu et les effets du bouclier fiscal peut produire ce résultat pour le moins étonnant : plus le revenu est élevé et le patrimoine important, plus le montant de l’imposition tend à se réduire !

Le plafonnement global des niches fiscales n’a guère eu d’effets sur le niveau global de la dépense fiscale. Il faut donc franchir désormais une nouvelle étape et décider d’un plafonnement plus contraignant, de manière à obtenir un meilleur rendement de l’impôt pour le budget général.

Ce plafonnement ne saurait évidemment nous dispenser du débat que nous devons absolument avoir sur l’ensemble des dispositifs dérogatoires, leur coût, leurs effets sur le comportement des agents économiques, leur pertinence économique et sociale.

M. le président. L'amendement n° II-265, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 43, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Après le mot : « supérieure », la fin du 1 de l'article 200-0 A du code général des impôts est ainsi rédigée : « à un montant de 15 000 euros ».

II. - La disposition du I est applicable à compter de l'imposition des revenus de l'année 2010.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement, par votre voix, monsieur le ministre des comptes publics, a annoncé qu’il cherchait des euros. Eh bien, le dispositif que je propose va lui en fournir plusieurs centaines de millions.

Le plafonnement instauré par la loi de finances pour 2009 et en vertu duquel la réduction d’impôt sur le revenu ne peut excéder un montant de 25 000 euros majoré d’un montant correspondant à 10 % du revenu imposable, n’est pas satisfaisant. La preuve en est que le rapporteur général va nous présenter un amendement qui prend le même chemin que le nôtre, mais qui est d’une portée bien moindre et donc beaucoup moins efficace.

Le niveau retenu pour 2009 est trop élevé pour avoir un effet véritablement correctif et aboutit, tout le monde le sait, à ce que des contribuables aisés échappent totalement à l’impôt sur le revenu par le biais des dispositifs fiscaux dérogatoires.

L’étude d’impact jointe au présent projet de loi de finances estime le gain budgétaire du plafonnement global à une somme dérisoire : 22 millions d’euros. Et M. le ministre vient de nous dire que l’État n’était pas en mesure d’assumer dans la durée une exonération de 30 millions d’euros pour les personnes handicapées…

L’amendement que nous présentons vise donc à abaisser le niveau du plafonnement global instauré l’année dernière à 15 000 euros, et sans que s’y ajoute une fraction du revenu imposable. Ce dispositif permettrait aux 10 000 plus gros contribuables bénéficiaires de niches fiscales d’acquitter leur devoir de contribution aux finances publiques.

Il faut tout de même rappeler que, depuis que la droite est au pouvoir, 25 milliards d’euros de dépenses fiscales supplémentaires ont été créés. La majorité n’est donc pas très bien placée pour donner des leçons au groupe socialiste et, d’une manière générale, à l’opposition en matière de bonne gestion des finances publiques.

M. le président. L'amendement n° II-207 rectifié, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 43, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le montant : « 25 000 € », la fin du premier alinéa (1) de l'article 200-0 A du code général des impôts est supprimée.

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. On observera que l’ensemble des dispositifs existants dans notre législation pour les seuls réductions et crédits d’impôt sur le revenu représente un coût légèrement supérieur à 14 milliards d’euros. On pourrait donc tous les supprimer et modifier le barème d’imposition progressif dans des proportions non négligeables sans toucher au rendement de l’impôt.

En matière d’évaluation des voies et moyens, le niveau des dépenses fiscales est compris entre 41 milliards et 42 milliards d’euros, dont un tiers de réductions et de crédits, un tiers de dispositions à caractère général et un tiers de dispositions spécifiques pour certains revenus catégoriels, singulièrement les revenus du capital, du patrimoine et d’activités non salariées. La seule taxation à taux particulier des plus-values, par exemple, serait d’un coût compris entre 1,5 milliard et 2 milliards d’euros, ce qui vaut bien des mesures de réduction d’imposition.

Il faut clairement aller plus loin que la législation actuelle.

Notre position de fond est donc qu’il faut réduire la dépense fiscale, car celle-ci nuit profondément au principe d’égalité devant l’impôt, et la recycler pour dégager des marges permettant à la fois de restreindre le déficit et de repenser la dépense publique.

Paradoxe parmi d’autres : alors qu’on n’a toujours pas mis en place, avec l’allocation personnalisée d’autonomie, l’outil de prise en charge collective de la dépendance des personnes âgées, on laisse la dépense fiscale liée aux emplois à domicile croître et embellir.

Je citerai un autre exemple tiré de l’actualité récente : on taille dans le vif des crédits de la recherche, ce qui a pour effet de précariser les conditions de travail des chercheurs, mais on se félicite d’avoir réuni 90 millions d’euros de promesses de don grâce aux différentes initiatives, au demeurant très louables, prises à l’occasion du Téléthon.

Les choix budgétaires et fiscaux induits par la dépense fiscale doivent donc être révisés de manière intégrale, objective et critique. Nous devons parvenir, comme le recommandait d’ailleurs le Conseil national des impôts, dans un rapport déjà ancien, à réduire très sensiblement l’impact des allégements fiscaux figurant dans l’évaluation des voies et moyens.

M. le président. L'amendement n° II-158, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'article 43, insérer un article ainsi rédigé :

I. - Le 1 de l'article 200-0 A du code général des impôts est ainsi modifié :

1° le montant : « 25 000 euros » est remplacé par le montant : « 20 000 euros » ;

2° le pourcentage : « 10 % » est remplacé par le pourcentage : « 8 % ».

II. - Le I est applicable à compter de l'imposition des revenus de l'année 2010.

La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter cet amendement et donner l’avis de la commission sur les amendements nos II-208 rectifié, II-265 et II-207 rectifié.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ces amendements visent tous le même dispositif, dispositif très récent puisqu’il a été adopté dans la loi de finances pour 2009.

Lorsqu’il nous a été soumis, l’an dernier, nous lui avons trouvé des vertus : pour la première fois, une contrainte globale – plafond en valeur absolue, plafond en valeur relative par rapport aux revenus déclarés – était posée et destinée à s’appliquer au plus grand nombre – pas à la totalité – des niches fiscales au titre de l’impôt sur le revenu.

La question est aujourd'hui de savoir, monsieur le ministre, si le plafond tel qu’il a été établi par nos votes l’année dernière est au bon niveau.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Attendez que j’aille au bout de mon raisonnement, ma chère collègue ! (Sourires.)

J’ai tendance à penser, moi aussi, qu’il s’agit d’un manteau un peu trop large. (Mme Nicole Bricq opine.) Interrogés sur le rendement budgétaire de ce double plafond, les services du ministère avancent la somme de 22 millions d’euros : c’est tout de même le signe que la contrainte est plutôt légère…

Le problème me paraît donc mériter d’être soulevé.

L’instauration d’un plafond global est une très bonne chose, car cela incite le contribuable à choisir le régime préférentiel auquel il veut être rattaché. Il ne peut pas bénéficier de toutes les niches fiscales : il lui faut faire un choix.

Bien entendu, je ne partage pas du tout l’avis de M. Vera, notamment à propos des emplois à domicile. Il s’agit là d’une vieille controverse entre nous.

M. Charles Revet. En effet, ce n’est pas nouveau !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Du côté droit de l’hémicycle, on s’intéresse à ceux qui, grâce aux allégements fiscaux, parviennent à trouver du travail et ne sont plus cantonnés au travail au noir ; on y voit donc une mesure profondément sociale. Du côté gauche, on y voit un cadeau fait aux riches, qui peuvent ainsi employer à bon compte du personnel à domicile. Caricature ! Vu la situation de l’emploi qui est la nôtre, l’intérêt des mesures incitatives en faveur de l’emploi à domicile, quelles qu’en soient les formes, est tout à fait évident.

Il n’en demeure pas moins, monsieur le ministre, que l’on s’interroge sur le bon niveau du plafond global. J’ai donc expérimenté différentes formules.

L’amendement n° II-158 de la commission vise à abaisser le plafond en valeur absolue de 25 000 euros à 20 000 euros et le plafond en valeur relative de 10 % à 8 % du revenu imposable.

J’ai demandé à vos services, monsieur le ministre, de chiffrer l’effet de cette mesure. On m’a répondu qu’il serait fort modeste : 10 millions d’euros. Ces 10 millions d’euros viendraient donc s’ajouter aux 22 millions d’euros d’économies de dépense fiscale réalisées l’année dernière. Il n’y aurait donc là rien de bien dramatique. Ce qui est en jeu, en l’occurrence, c’est plutôt la volonté que manifesterait le Sénat, s’il consentait à suivre la commission des finances en adoptant son amendement, de limiter progressivement tous ces régimes préférentiels et de diminuer la dépense fiscale.

Nous sommes très vigilants en matière de dépenses budgétaires, de même que vous l’êtes, vous tout particulièrement, monsieur le ministre, qu’il s’agisse des dépenses des services ministériels ou de celles des opérateurs de l’État, et c’est ainsi que, année après année, nous dégagerons des marges, mais nous aimerions que la même rigueur s’applique à la dépense fiscale. Cet amendement est donc un signal.

Dans mon rapport écrit figure d’ailleurs un graphique qui montre comment agit ce double plafonnement par rapport à la dispersion des revenus imposables. L’hypothèse de travail de la commission des finances – un plafond de 20 000 euros et de 8 % du revenu imposable – s’inscrit parfaitement dans la continuité des dispositions que nous avons votées l’année dernière. Il s’agirait d’un réajustement tout à fait mineur. Le niveau de revenu imposable à partir duquel la mesure serait sensible correspondrait, pour une personne seule, à 116 000 euros et, pour un couple marié avec un enfant, soit deux parts et demie, à 160 000 euros.

L’adoption de ce dispositif n’entraînerait donc pas de perturbation majeure.

Bien entendu, la commission préfère son amendement aux autres, qui vont un peu trop loin et sont trop contraignants. En ce qui concerne l’emploi à domicile en particulier, leur adoption aurait une influence critiquable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. J’émets le même avis que la commission des finances sur les amendements nos II-208 rectifié, 265 et II-207 rectifié.

Je ne suis pas favorable non plus à l’amendement de la commission.

Bien sûr, dès lors qu’il y a un curseur, on peut le faire bouger, mais la question est de savoir où l’on doit le placer, car le curseur n’est pas, en lui-même, la vérité. La seule vérité, c’est celle du chiffrage.

Je vous rappelle que, voilà seulement un an, nous avons définitivement plafonné l’ensemble des niches fiscales, ce que personne n’avait jamais fait. Certaines niches étaient plafonnées, d’autres ne l’étaient pas. Nous avons donc instauré un plafonnement global.

On ne peut pas considérer le plafonnement global sans tenir compte dans le même temps des plafonnements niche par niche. Dans l’esprit du législateur, comme dans celui du Gouvernement, le plafonnement global est une sorte de voiture-balai, qui arase définitivement l’avantage fiscal à un certain niveau, après le passage du peloton des plafonnements niche par niche.

Nous avons ainsi, et M. le rapporteur général le sait parfaitement, plafonné le « Malraux » – que les mânes d’André Malraux me pardonnent de parler ainsi ! (Sourires.) – et réduit globalement de 10 millions d’euros l’avantage des contribuables bénéficiant de cette niche. De même, nous avons plafonné la réduction d’impôt au titre des investissements dans les DOM-TOM, cette niche fiscale étant la plus critiquée, probablement parce qu’elle donnait lieu au plus grand nombre d’abus.

À cet égard, je suis sensible à ce qu’a dit tout à l'heure le président Arthuis lorsqu’il a dénoncé les officines spécialisées dans l’optimisation fiscale. Nous recevons tous des offres de leur part, y compris par téléphone : ce sont quasiment des centres d’appel qui sollicitent ainsi à longueur de journée les contribuables !

Bien sûr, il faut bien qu’il existe des avantages fiscaux pour encourager certaines initiatives. Ainsi, il est important d’investir dans les DOM-TOM. Mais, en même temps, il ne faut pas que les niches fiscales ainsi constituées donnent lieu à une sorte de spéculation.

L’avantage fiscal lié à l’investissement dans les DOM-TOM a été réduit de 167 millions d’euros. Ce n’est pas rien ! Et la voiture-balai, c'est-à-dire le plafonnement global, a permis de réaliser une économie supplémentaire de 22 millions d’euros. En effet, lorsque les bénéficiaires de l’avantage fiscal lié à l’investissement dans les DOM-TOM atteignent le plafond de cette niche – notre souhait n’était pas que le plafonnement global corresponde au plafond d’une niche, car cela n’aurait pas eu de sens –, ils se reportent, comme M. le rapporteur général l’a rappelé, sur d’autres niches fiscales : le dispositif Malraux ou l’emploi d’un salarié à domicile, par exemple. Ils atteignent alors très vite le niveau du plafond global.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on revoie tout de suite ce dispositif. Il n’est pas exclu que nous ayons à le faire plus tard, si nous jugeons que c’est nécessaire. Encore une fois, nous l’avons instauré ensemble l’année dernière seulement. On ne peut pas le modifier chaque année ! Et nous n’avons pas suffisamment de recul pour le faire dès maintenant : nous sommes vraiment le nez contre la vitre ! Pour 2009, les compteurs ne sont même pas encore complètement arrêtés.

Tenons-nous en donc au plafonnement global de 25 000 euros et 10 % du revenu imposable, et faisons en sorte d’avoir au moins deux années de recul avant de songer à le modifier éventuellement.

Les plafonnements spécifiques à certaines niches mériteraient peut-être aussi d’être revus – le « Malraux », les investissements dans les DOM-TOM et d’autres encore –, mais il est trop tôt pour le faire. En modifiant ces dispositifs tous les ans, nous signifierions simplement que nous voulons leur mort.

Les niveaux des plafonds que nous avons fixés me paraissent importants et efficaces. Il n’est donc pas utile de les revoir cette année.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, je suis navré, mais je n’ai pas été convaincu par votre argumentation.

Connaissant un peu la sociologie de notre pays et de nos assemblées, je pense que l’examen niche par niche ne donnera jamais de résultat en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, le souhait de créer des niches nouvelles étant beaucoup plus fort que celui de les plafonner !

C’est la raison pour laquelle j’ai approuvé l’année dernière la proposition du Gouvernement et des commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale d’instaurer un plafonnement global, qui présente deux avantages.

Premièrement, ce plafonnement global laisse la liberté aux redevables de choisir les niches auxquelles ils ont recours. Certains choisissent de bénéficier des avantages fiscaux liés au changement de leur installation de chauffage, d’autres préfèrent le faire en contribuant au denier du culte,…

M. Michel Charasse. Où ça va se nicher ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. … d’autres encore en cotisant à une organisation syndicale ou politique, etc.

Cela étant dit, je pense que les plafonds que nous avons instaurés l’année dernière sont beaucoup trop élevés. C’est pourquoi la position de la commission des finances, qui souhaite envoyer un signal, me paraît raisonnable.

En matière de niches fiscales, nous sommes tout de même les champions d’Europe ! Le total de la dépense fiscale liée à l’impôt sur le revenu est aujourd'hui légèrement supérieur au produit total de cet impôt ! Je ne connais pas d’autre pays européen où le total de la dépense fiscale – 70 milliards d’euros me dit-on – sur un seul impôt soit supérieur au produit de cet impôt !

Monsieur le ministre, vous considérez qu’il faut attendre deux ans avant de modifier les plafonds. Or les plafonds que nous avons fixés l’an dernier sont très hauts et ils n’ont pas une grande efficacité, comme le démontrent amplement les chiffres donnés par vos services.

Nous savons tous qu’il nous sera difficile de plafonner certaines niches. Jouons donc sur le plafonnement global et adoptons, mes chers collègues, l’amendement de la commission des finances, en attendant les rapports techniques de l’inspection générale des finances sur l’ensemble des niches fiscales.

M. le président. La parole est à M. Alain Lambert, pour explication de vote.

M. Alain Lambert. Je suivrai bien entendu la commission.

Toutefois, à la différence de M. Fourcade, je pense que nous devons nous méfier du principe du plafonnement global, dont l’effet probable à terme serait de voir toutes les administrations de l’État appuyer leur politique sur des exonérations fiscales. Nous risquons d’aboutir ainsi, au sein de l’exécutif, chargé d’assumer la gouvernance des finances publiques et des recettes fiscales, à une forme d’éclatement du pouvoir fiscal entre les différents ministères.

En contrepartie, c’est sur le contribuable qu’on fait reposer la responsabilité de vérifier s’il n’a pas dépassé le montant global du plafonnement et, éventuellement, de trier entre les avantages qui lui sont proposés.

Je souhaite donc attirer l’attention de la commission et du Gouvernement sur ce point. Il faudrait tout de même que les administrations d’État soient capables de se contraindre, de se maîtriser elles-mêmes, faute de quoi nous risquons de voir, ici, le ministère des sports, là, tel ou tel ministère social essayer de fonder leur stratégie et leurs nouvelles politiques sur de la dépense fiscale.

Par conséquent, je voterai l’amendement de la commission, mais je ne suis pas certain que le plafonnement global soit, à terme, la solution idéale.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je trouve cette discussion un peu surréaliste. Et je pense qu’il ne faut tout de même pas trop à prendre les contribuables pour ce qu’ils ne sont pas !

Au début de cette matinée, nous avons entendu qu’il ne fallait pas toucher à la demi-part des veuves parce qu’elle a été adoptée l’année dernière. On nous a dit : « Cela vient d’être voté ; on ne va pas remettre en cause le dispositif un an après ! »

Et là, il est urgent de remettre le plafonnement en cause un an après qu’il a été institué…

Comment voulez-vous que les contribuables aient une idée un peu nette et claire de la manière dont nous manipulons la justice fiscale ? Je trouve que ce n’est pas sérieux !

À partir du moment où M. le rapporteur général nous a dit qu’il ne fallait pas toucher au dispositif adopté l’année dernière en ce qui concerne la demi-part des veuves, je considère qu’il ne faut pas non plus toucher au plafonnement.

Parce que si l’on s’amuse tous les ans à revenir là-dessus,… attendez ! L’année dernière, nous avons eu le courage de mettre 25 000 euros de plafonnement. Ah oui, mais il y en a à qui ça ne convient pas ! Et, permettez-moi de vous le dire, ce sont les plus favorisés de la catégorie ! Et, eux, ils savent téléphoner, et ils ont des amis ! Et, bien entendu, leur prendre 3,50 euros de plus, c’est odieux et insupportable !

Alors, bien sûr, là, pour eux, comme on tape sur les riches et les plus favorisés, il faut surtout remettre en cause ce qui a été voté voilà un an !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est le contraire, monsieur Charasse !

M. Michel Charasse. Mais, pour les veuves, les circonstances sont différentes, alors peu importe, ça peut attendre, on ne va pas remettre en cause une réforme tous les ans !

Par conséquent, monsieur le rapporteur général, et vous savez l’estime et l’amitié que j’ai pour vous – j’ai habitude de vous soutenir quand il le faut –, je dois tout de même vous dire qu’il y a des choses qui sont un peu contradictoires !

Sauf si je n’ai pas compris la portée essentielle de votre amendement… Mais, même en aggravant le système voté l’an dernier, comme semble le dire M. le président de la commission, revenir dessus un an après, c’est un peu court !

M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.

M. Charles Revet. Je partage la position qui vient d’être exprimée par Michel Charasse.

À mon sens, le Gouvernement a souhaité développer les mesures d’aide aux familles ou d’aide à domicile, notamment, que la situation de nombreuses personnes rend aujourd'hui de plus en plus nécessaires. Il faut donc les maintenir.

Le plafonnement global a été adopté voilà seulement un an. Nous avons besoin de nous laisser du temps pour l’évaluer. C’est pourquoi je ne voterai aucun des amendements qui nous sont proposés.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J’apprécie d’ordinaire chacune des déclarations de Michel Charasse, car elles me donnent des arguments supplémentaires pour me convaincre d’aller dans la bonne direction. Pourtant, aujourd'hui, je perçois comme un soupçon de contradiction dans son propos.

En effet, comme nous l’avons bien précisé, nous voulons limiter les avantages dont peuvent se prévaloir un certain nombre de nos compatriotes, ceux que l’on pourrait qualifier de « plutôt fortunés ». Le fait d’abaisser le plafond n’est pas de nature à les réjouir ; pour eux, l’entaille sera un peu plus vive. C’est cela notre préoccupation, monsieur Charasse.

M. Michel Charasse. J’aurais compris l’inverse de ce que vous voulez faire ?... (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je le crains, en effet, mon cher collègue. Mais peut-être cette précision sera-t-elle de nature à inverser votre vote…

La France n’est pas championne seulement dans la catégorie bien particulière qu’a évoquée M. Fourcade ; elle est également capable d’afficher des barèmes d’imposition parmi les plus élevés du monde tout en ayant le plus faible niveau de rendement ! Tout cela parce que nous multiplions les mesures dérogatoires, les allégements, les dégrèvements – je serai, malgré tout, prudent dans l’utilisation de ce mot (Sourires) –, les réductions, les crédits d’impôt…

L’économie de certains territoires – je pense notamment à l’outre-mer – peut s’en trouver bouleversée. Ainsi, notre collègue de Saint-Barthélemy nous a souvent indiqué qu’il allait bientôt falloir construire des parkings à plusieurs étages pour y loger toutes les automobiles achetées en défiscalisation !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un scandale !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On active ainsi une économie complètement artificielle et je ne suis pas certain que les territoires ultramarins en tirent des bienfaits. Il va donc falloir que cela change.

De surcroît, que constatons-nous si nous prenons la peine d’analyser la chaîne de traitement dans les opérations défiscalisées ? Entre l’organisme financier, qui reçoit sa commission, le monteur d’opération, qui perçoit ses honoraires, et les « officines » diverses, qui font de la publicité pour les différents produits, on achète des investissements au kilo parce que cela ouvre droit à autant d’allégements d’impôts, sans se rendre compte qu’on paiera au final sans doute le double ou le triple des investissements achetés !

Tout cela confine à l’absurde. Et le législateur, qui vote toutes ces dispositions fiscales, devient le complice de tant et tant de turpitudes. Il va donc falloir y mettre un terme, monsieur le ministre.

Au demeurant, je pense que toutes ces mesures dérogatoires désarment le ministre du budget. En effet, monsieur le ministre, vous faites un effort admirable – je veux ici rendre hommage à votre engagement, à votre rigueur et à votre sens pédagogique – pour tenir la dépense publique. Mais tous vos collègues ministres passent leur temps, pour accompagner leurs très belles lois, à défaut de disposer de crédits pour concrétiser leurs ambitions, à miner les recettes budgétaires à venir, en les transformant en une dentelle qui, pour le coup, n’est pas d’Alençon ! (M. Alain Lambert sourit.)

Vous le voyez, monsieur le ministre, en proposant une telle mesure, nous sommes totalement à vos côtés. Il s’agit, en quelque sorte, d’adresser un signal. Notre vision de la fiscalité, c’est un barème aussi modique que possible et une absence de mesures dérogatoires.

Tel est notre horizon fiscal et tel est l’objet de l’amendement déposé par la commission des finances.