Mme Bernadette Bourzai. Il ne faut pas jouer sur les mots ! Le conseiller territorial, qui sera rarement une conseillère en raison du mode de scrutin, aura à siéger dans deux assemblées, à voter deux budgets et à représenter deux assemblées auprès de tous les organismes représentatifs. Il s’agit donc bien d’institutionnaliser le cumul des mandats, sans apporter aucune réponse à la question du statut indispensable de l’élu local et territorial.

Vous nous dites que le suppléant, la suppléante devrais-je dire, qui remplacera l’élu dans ses fonctions sera défrayé, mais non indemnisé. C’est une fable ! Où trouverez-vous des volontaires non élus pour faire le travail que l’élu ne pourra pas lui-même assurer ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne voudront pas !

Mme Bernadette Bourzai. Nous craignons que l’identité forte de la représentation ne disparaisse dans les territoires ruraux, et tout particulièrement dans les zones de montagne, dont je suis la porte-parole, où les conseillers territoriaux ne seront ni assez nombreux ni suffisamment enracinés.

En effet, le nombre de conseillers généraux sera considérablement réduit dans les départements ruraux et le mode de scrutin mixte, pour 80 % au scrutin majoritaire et 20 % au scrutin proportionnel de liste, ne garantira plus le maillage de proximité assuré par les conseillers généraux siégeant actuellement dans les assemblées départementales.

Or les départements sont et souhaitent demeurer les garants de la cohésion sociale et territoriale. L’élection de conseillers territoriaux « hors sol » signerait ainsi la disparition de la proximité entre le citoyen et l’élu.

Mme Bernadette Bourzai. C’est pourquoi je ne voterai pas cet article qui devrait, logiquement, parachever une réforme qui nous est présentée comme visant à simplifier un système complexe, mais qui préfigure, en réalité, une grave régression de la démocratie dans notre pays ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Et c’est la Corrèze qui le dit !

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l'article.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je pourrais me contenter d’indiquer que je ne voterai pas ce texte, puisqu’il préfigure une réforme que je n’approuve pas : la création des conseillers territoriaux.

J’ajoute néanmoins que si j’avais été présent lundi, je n’aurais pas non plus voté le découpage des circonscriptions législatives.

À ce sujet, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, de vous faire part d’une petite anecdote. Vous avez affirmé hier que vous prendriez l’attache des élus de manière à ce qu’il y ait un peu de concertation concernant le nouveau découpage des cantons.

Or, comme vous ne l’aviez pas fait auparavant, j’ai essayé de joindre votre directeur de cabinet pour m’en étonner. Ce dernier n’étant pas disponible, on m’a promis de me rappeler. De retour dans ma province, j’ai effectivement reçu un appel qui émanait, non pas du ministère de l’intérieur, mais du responsable des élections de l’UMP ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yannick Bodin. C’est pareil !

M. Philippe Adnot. Inutile de dire que votre collaborateur a pris un petit savon, monsieur le secrétaire d'État !

M. René-Pierre Signé. Il faut mieux choisir ses collaborateurs !

M. Philippe Adnot. Monsieur le secrétaire d'État, en cet instant, je veux surtout souligner la faiblesse des arguments avancés pour justifier la réforme actuelle.

Hier, vous avez repris un argument que vous aviez déjà développé le jour de la prestation du Président de la République à Saint-Dizier, selon lequel le chevauchement entre les régions et les départements était à l’origine d’un gaspillage de 20 milliards d’euros, dixit la Cour des comptes !

Or je n’ai trouvé ce chiffre dans aucun document, …

M. René-Pierre Signé. C’est l’avion du Président ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. Philippe Adnot. … et ce pour la simple raison que ce n’est pas possible ! Sachant que le total de l’investissement de l’ensemble des collectivités locales représente 70 milliards d’euros, comment pourraient-elles gaspiller 20 milliards d’euros ?

L’association des régions et des départements n’engendre pas nécessairement des dépenses inutiles. Par exemple, j’ai récemment engagé une coopération sur le patrimoine du xvie siècle, financée à parts égales par l’État, le département, la région et l’agglomération troyenne, qui nous a permis de réunir 2 millions d’euros pour restaurer une église, sa statuaire et organiser une exposition. Si cette opération n’avait eu qu’une seule source de financement, elle n’aurait pas coûté un centime d’euro de moins !

Je vous mets donc au défi, monsieur le secrétaire d'État, de justifier ne serait-ce qu’un million d’euros de gaspillage du fait d’une association entre région et département sur un projet.

M. René-Pierre Signé. C’est un défi !

M. Philippe Adnot. Lorsque ces deux collectivités s’associent, par exemple pour créer un groupe scolaire, le but n’est pas de gaspiller de l’argent public ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Si vous en êtes réduit à utiliser des arguments d’une si grande faiblesse, voire de si gros mensonges, c’est que vous n’êtes pas à même de justifier l’intérêt de la réforme qui nous est proposée.

Il n’y aurait pas de honte, monsieur le secrétaire d'État, à retirer ce texte. Si vous n’y arrivez pas vous-même, je propose que nous vous y aidions ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Quelle philippique !

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, sur l'article.

M. Gérard Miquel. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez salué dans votre intervention liminaire le travail effectué par la mission sénatoriale et vous avez reconnu l’intérêt du rapport Belot. Dans ce cas, pourquoi n’en avez-vous pas tenu compte ?

Le texte que vous nous présentez aujourd'hui s’inspire davantage des propositions qui vous ont été faites par des hommes comme M. Attali et quelques autres, …

M. Gérard Miquel. … plutôt que du travail de parlementaires expérimentés connaissant bien les collectivités locales.

Pourquoi tant de précipitation ?

Vous nous dites qu’il faut du courage politique pour réformer. Certes ! Mais le courage politique est ailleurs. Nous l’avons trouvé chez des hommes qui ont voulu la décentralisation et qui l’ont mise en œuvre contre la technostructure, laquelle ne l’a jamais acceptée !

M. Gérard Miquel. Si le devoir de réserve n’interdisait pas à M. Raffarin de me répondre, je lui demanderais si, lorsqu’il a mené la deuxième vague de décentralisation, le ministère de l’équipement a facilement accepté de se départir de certains pouvoirs et de se séparer d’un grand nombre de personnes qui y travaillaient ? Je ne crois pas que cela ait été le cas.

Lorsque nous avons voulu transférer les personnels techniciens, ouvriers et de service des collèges et des lycées aux départements et aux régions, quel combat n’avons-nous pas dû mener ! La technostructure n’a jamais accepté la décentralisation, et aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, si ce texte était voté, vous lui donneriez la possibilité de reprendre la main.

Quel est le véritable problème de fond ? Nous parlons beaucoup de la clause de compétence générale : pour faire plaisir aux maires, le Gouvernement maintient celle de la commune. Or, mes chers collègues, pour avoir été, pendant trente-trois ans, maire d’une commune qui compte aujourd’hui 350 habitants, je connais les limites de l’exercice : il est clair qu’une petite commune est dans l’incapacité d’exercer un grand nombre de compétences !

M. Gérard Miquel. Recherchons donc ensemble le niveau pertinent d’exercice de telle ou telle compétence : c’est ainsi que nous ferons du bon travail !

La région Midi-Pyrénées, qui est plus grande que la Belgique et regroupe huit départements, devrait compter à l’avenir, d’après mes calculs, entre 160 et 170 conseillers territoriaux. Vous avez affirmé que votre réforme serait source d’économies, monsieur le secrétaire d’État, mais il faudra commencer par construire un nouvel hémicycle, celui de l’actuel conseil régional, conçu pour accueillir quatre-vingt-dix élus, étant trop petit !

En revanche, je pourrai revendre l’hôtel du département du Lot, dont je préside le conseil général, puisque l’hémicycle compte quatre-vingts places alors que nous ne serons plus que quinze conseillers territoriaux. Comment voulez-vous gérer dans de bonnes conditions un département, sachant les compétences qui lui ont été transférées, avec quinze conseillers territoriaux seulement ? C’est mission impossible !

Vous allez ajouter la confusion à la confusion, car la région, elle aussi, sera difficilement gérable. En effet, cette collectivité est censée s’occuper des grands enjeux : le développement économique, les transports, les infrastructures, la planification. J’aurais préféré que l’on nous propose de créer un couple constitué par la région et l’Union européenne tout en conservant le couple formé par le département et les communautés de communes ou les communes. Une telle organisation serait beaucoup plus efficace, car les départements exercent les compétences tenant à la solidarité, à la proximité et à l’aménagement du territoire départemental.

Les dispositions de ces quatre projets de loi m’inquiètent très fortement. En effet, j’en suis intimement convaincu, nous allons mettre à mal vingt-cinq ans de décentralisation. D’un trait de plume, vous allez réduire à néant tout le travail effectué par les hommes courageux qui ont voulu cette décentralisation, ainsi que la formidable expansion que nous avons donnée à nos territoires : nous avons aménagé, nous avons construit, nous avons bâti grâce à la possibilité de décider, à l’échelon local, pour répondre aux besoins de nos collectivités et de nos concitoyens.

Mme Catherine Procaccia. Le temps de parole est épuisé !

M. Gérard Miquel. Vous avez voulu jouer l’opinion contre les élus, en accusant ceux-ci de trop dépenser. Or cette réforme ne sera pas source d’économies, comme l’ont déjà montré d’autres orateurs. Au contraire, elle entraînera immanquablement des dépenses supplémentaires.

Vous vous trompez donc en voulant jouer l’opinion contre les élus, car l’opinion se retourne ! Nos concitoyens sont très sensibles au travail effectué dans le cadre de nos collectivités de base : la commune, la communauté de communes, le département. En matière de solidarité, notre champ d’intervention est aujourd’hui très large. Or la disparition des départements est programmée à terme, même si vous ne l’avouerez pas… (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. René-Pierre Signé. M. Copé l’a dit !

M. Gérard Miquel. C’est ce qui va se produire, parce que les départements, notamment les plus petits d’entre eux, ne pourront plus faire face aux dépenses qui leur sont imposées et ne seront pas en mesure d’exercer leurs compétences dans de bonnes conditions.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues de la majorité, il est encore temps de changer de voie. N’oubliez pas qu’il s’agit d’un sujet essentiel : le destin de nos territoires est en jeu ! Je vous invite à bien réfléchir avant de prendre une position définitive sur un thème aussi important ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Patrice Gélard. Vous exagérez !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

Mme Catherine Procaccia. Il faut respecter le temps de parole !

M. Pierre-Yves Collombat. En écoutant notre collègue Philippe Adnot, j’ai repensé à un célèbre discours d’un non moins célèbre sénateur du Var, Georges Clemenceau : « Où sont les milliards ? »

En effet, où sont les milliards d’économies à attendre de la création des conseillers territoriaux ? Le Gouvernement, s’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, prétend que ces économies potentielles s’élèvent à 20 milliards d’euros. Or il se trouve que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que préside notre collègue Alain Lambert, a reçu M. Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, M. Barbé, conseiller-maître, et Mme Esparre, conseillère référendaire. Je leur ai alors demandé s’il était vrai que l’instauration des conseillers territoriaux permettrait une économie de 20 milliards d’euros. Nos interlocuteurs ont marqué un temps d’arrêt, comme si le ciel leur était tombé sur la tête. Quand je leur ai précisé que ce chiffre circulait, ils n’ont pas osé rire, car les membres de la Cour des comptes sont des gens bien élevés, mais ce n’était pas l’envie qui leur manquait…

Très franchement, il va falloir changer d’argument, monsieur le secrétaire d’État, si vous voulez que votre réforme soit crédible ! (M. Yves Krattinger applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, sur l’article.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici donc parvenus à l’examen de cette réforme des collectivités territoriales dont nous parlons depuis des mois !

En tant que représentants des collectivités locales, nous nous devons de combattre ce projet de régression territoriale du Gouvernement.

Alors que les années de gouvernement socialiste sont synonymes de décentralisation – notre collègue Pierre Mauroy en est le symbole dans cette assemblée –, l’ère Sarkozy restera emblématique de la recentralisation de l’État et de la fin de l’autonomie des collectivités locales.

Le Gouvernement applique aux collectivités territoriales le même traitement qu’au Parlement. J’en veux pour preuve le fait que nous discutions ici d’un texte d’application d’une réforme majeure qui n’a pas encore été examinée par les assemblées. Cela devient une habitude : ce fut déjà le cas pour la réforme de la gendarmerie, puis, plus récemment, pour les crédits de la mission « Sécurité » pour 2009 et 2010, décidés en fonction de l’application d’une deuxième loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPPSI II, non encore débattue, donc non votée.

Voici donc que la majorité tente de faire de même s’agissant de la réforme des collectivités territoriales ! Les textes qui composent cette réforme illustrent dans leur ensemble la reprise en main des collectivités locales par l’État, alors que, depuis 2007, elles pallient quotidiennement les conséquences de son désengagement financier et sont accusées par le Gouvernement de dépenser à outrance !

À cet égard, je prendrai l’exemple de la baisse des effectifs de la police et de la gendarmerie : si, en 2008, l’État a supprimé 6 000 emplois dans les forces de l’ordre, les collectivités territoriales ont créé, dans le même temps, 6 000 emplois dans le secteur de la sécurité. La réforme des collectivités territoriales ne fait que traduire la réaction du Gouvernement à la résistance de ces collectivités, qui tentent de sauver leurs services publics de proximité. Nous devons donc démontrer aux Français, par de tels exemples frappants, en quoi cette réforme les touchera directement dans leur vie quotidienne. Elle reflète une volonté de reprise en main des collectivités locales par l’État dont les ménages devront payer la facture, c’est pourquoi nous combattrons ce projet de toutes nos forces. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l’article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nos collègues de la majorité nous écoutent avec patience depuis un certain temps, cela est vrai, mais ils ne nous répondent pas !

M. Patrice Gélard. Nous n’avons pas à vous répondre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela dit, certains d’entre vous s’expriment dans la presse de manière assez explicite, du moins si l’on sait lire entre les lignes !

Ainsi, M. Longuet a déclaré que le mode d’élection des futurs conseillers territoriaux prévu par la réforme territoriale, qui est très contesté, y compris dans la majorité, « est un sujet ouvert ». Pour l’instant, vous n’êtes donc pas vraiment assurés de votre affaire, c’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Catherine Procaccia. Cela n’a rien à voir avec le texte !

M. Gérard César. C’est la réforme de l’année prochaine !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Ce mode de scrutin ne me choque pas, ajoute M. Longuet, mais il ne faut se fermer aucune possibilité. Que voulons-nous ? Un ensemble nouveau, département-région, chaque collectivité aurait sa spécialité, chaque élu aurait la double préoccupation du local et du régional. […] Si on a un système qui aboutit à multiplier les féodalités individuelles, cela pose des problèmes. »

Ensuite, M. Copé (Exclamations sur les travées de lUMP)

M. Gérard César. Bon auteur !

Un sénateur de l’UMP. Il n’est pas là !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … a fait la déclaration suivante : « Les choses sont claires, le débat sur le mode de scrutin est ouvert, il n’est pas clos, on n’est pas dans un produit fini et je crois que cette position n’est pas que la mienne. »

Enfin, M. Xavier Bertrand affirme que « les conseillers territoriaux sont le cœur nucléaire de la réforme ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces déclarations rejoignent évidemment nos préoccupations. Le Gouvernement veut avancer à grands pas dans une affaire qui, selon ses propres amis, n’est pas vraiment bien engagée et, en tout cas, mérite discussion !

Nous en sommes à l’article 1er, relatif au report de la date d’élection des conseillers généraux, qui sont voués à disparaître purement et simplement. Nous ne connaissons rien du nombre, par département, des futurs conseillers territoriaux, nous ne connaissons pas non plus les règles de calcul, etc. Je vous fais grâce de tout ce que nous vous avons déjà dit depuis hier !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce qui est certain, c’est que les conseillers généraux seront élus en 2011. Il est donc inutile de statuer dans la précipitation sur le report de cette élection, qui pourra tout à fait, le cas échéant, être décidé ultérieurement ! Il n’y a aucune urgence ! Avant d’envisager une telle mesure, commencez par vous demander si vous voulez vraiment vous engager dans la voie de la suppression des conseillers généraux et, dans l’affirmative, par vous déterminer sur le mode de scrutin !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 28 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 47 rectifié est présenté par M. Collin, Mme Escoffier, MM. Alfonsi, Mézard, Baylet, Charasse, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Plancade et Tropeano.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 28.

Mme Éliane Assassi. L’article 1er de ce projet de loi vise à réduire de six ans à trois ans le mandat des conseillers généraux qui seront élus en 2011, afin de permettre la mise en place en 2014 des conseillers territoriaux. Or, comme nous avons pu le constater hier lors de la discussion générale, il n’est pas certain qu’une majorité existe, au Sénat, en faveur de la création de ces derniers.

Nous proposons donc la suppression de cet article pour deux raisons.

Sur la forme, tout d’abord, on nous demande de voter une modification du calendrier électoral, ce qui n’est tout de même pas rien, sans garantie aucune que sa justification soit validée ensuite par le Parlement. M. Courtois, dans son rapport, indique que la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et régionaux est un préalable nécessaire à la création des conseillers territoriaux. Soit dit sans vous offenser, monsieur le rapporteur, j’estime que vous nous proposez tout simplement de marcher sur la tête… La logique juridique, politique et intellectuelle veut que l’on adapte la durée des mandats une fois les conseillers territoriaux créés, et non l’inverse. Recourir à la méthode Coué ne changera rien à cette évidence !

La seconde raison qui fonde notre proposition de suppression de l’article 1er est plus fondamentale. Cet article symbolise, à nos yeux, la lourde menace qui pèse sur l’avenir des départements.

En effet, comment ne pas percevoir que la suppression des conseillers généraux, dans un contexte de modification structurelle des compétences départementales, vise à terme à la suppression des départements ? Le Conseil économique, social et environnemental a récemment souligné que si aucun échelon n’était pour l’heure supprimé, cela n’excluait pas la possibilité d’évolutions ultérieures.

La question clé de la répartition des compétences entre départements et régions, alors que la clause de compétence générale est supprimée pour ces deux échelons, ne sera pas réglée par le projet de loi dont nous débattrons en janvier et encore moins par celui que nous examinons aujourd’hui.

Nous refusons donc la disparition de la clause de compétence générale pour le département, qui constitue à l’évidence un pilier de la République en tant que structure de proximité et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 47 rectifié.

M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas anormal que le fond de la réforme des collectivités territoriales soit abordé à l’occasion de la discussion de l’article 1er de ce projet de loi.

Vous avez recouru à la procédure accélérée pour ce texte, or il n’y a aucune urgence en ce qui concerne les dispositions de l’article 1er. De surcroît, la chronologie proposée est totalement illogique, comme nous l’avons souligné hier. Il est donc normal que le débat de fond soit abordé, car c’est vous-même qui l’avez placé au cœur du projet de loi, comme en témoignent l’exposé des motifs et l’étude d’impact.

La concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux est le premier étage de la fusée que constitue le projet de création des conseillers territoriaux, assorti d’un mode d’élection particulier. Pour notre part, nous souhaitons que cette fusée fasse long feu, alors que nous étions ouverts à de fortes évolutions sur un certain nombre de questions de fond, dont celle des compétences.

De nombreux arguments, souvent de pur bon sens, ont été échangés depuis hier. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de revenir sur la forme. Vous avez écarté les avis de toutes les associations d’élus et fait peu de cas des conclusions du rapport de M. Belot sur l’intelligence territoriale, ni les uns ni les autres n’étant favorables à la création du conseiller territorial. Pourquoi vous acharnez-vous ? Tout simplement parce que l’institution des conseillers territoriaux constitue le cœur politique de la réforme, autour duquel tout s’articule : le nouveau système électoral, mais aussi les évolutions futures. En effet, dans chacun des deux couples que vous entendez constituer – communes et intercommunalités ; départements et régions –, l’un des conjoints prendra forcément le pouvoir sur l’autre. Les communes nouvelles et métropoles ont en outre vocation à troubler ces deux liens conjugaux… (Sourires.)

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, dans un article intéressant de La Gazette des communes, vous avez indiqué qu’au cœur de la réforme se trouvait une recherche d’économies. C’est parfaitement normal, et nous pouvons l’entendre, mais n’est-il pas contradictoire d’affirmer en même temps que les collectivités territoriales n’enregistreront aucune perte de revenus ?

Enfin, il serait normal que des réponses, même approximatives, nous soient apportées sur le nombre de conseillers territoriaux ou le découpage des cantons.

Monsieur le secrétaire d’État, votre volonté d’aller vite, en suivant un calendrier illogique, nous a conduits à présenter cet amendement de suppression de l’article 1er.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce projet de loi vise à instaurer la concomitance des élections régionales et cantonales en 2014, rien de plus ! Je le répète, cette concomitance est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la création des conseillers territoriaux.

Que se passerait-il si ce projet de loi était adopté sans que les conseillers territoriaux soient finalement jamais créés ? Les élections des conseillers généraux et régionaux auraient tout simplement lieu en 2014 selon le mode de scrutin actuel.

La question est donc de savoir si nous sommes d’accord pour franchir la première étape en adoptant le présent texte afin d’instaurer la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, condition nécessaire de la création des conseillers territoriaux. Il convient, dans cette optique, de réduire le mandat des conseillers régionaux à quatre ans, pour que celui-ci prenne fin en 2014, et de fixer à trois ans celui des conseillers généraux qui seront élus en 2011.

La commission des lois, dans cette logique, a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Il est également défavorable, et ce pour des raisons tout à fait similaires à celles que M. le rapporteur vient d’exposer.

Les projets du Gouvernement sont parfaitement clairs et je suis conduit à répéter des propos que j’ai déjà tenus hier à deux reprises.

La mise en place des conseillers territoriaux ne pourra intervenir sans une modification de la durée des mandats des conseillers généraux et régionaux, afin de faire coïncider leurs renouvellements. La même démarche a d’ailleurs été suivie par la gauche, notamment par M. Pierre Joxe, pour la dernière fois en 1990. À l’époque, tout le monde avait trouvé cela parfaitement normal…

Le Gouvernement, qui en a fait une des clés de la réforme, estime que l’instauration du conseiller territorial est davantage susceptible de permettre une meilleure articulation entre les départements et les régions que le conseil régional des exécutifs dont la création est préconisée par les auteurs de l’amendement n° 47 rectifié.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, rejeter le présent projet de loi reviendrait à préjuger d’un vote défavorable à la mise en place des conseillers territoriaux.

De surcroît, la concomitance des renouvellements des mandats en 2014 est justifiée par d’autres considérations que celles qui sont relatives à la réforme des collectivités territoriales et, par respect pour le vote de nos concitoyens, il convient d’adopter le présent projet de loi avant les élections régionales de mars prochain.