M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, Ready, Steady, Service ! tel est l’intitulé dynamique sous lequel l’organisme Business Europe a lancé, au mois de novembre 2008, son étude comparative sur la transposition de la directive « Services » de 2006, dont le texte a été édulcoré après le tollé provoqué par la directive du commissaire ultralibéral Frits Bolkestein.

Véritable boîte de Pandore, ce texte, dont personne n’avait mesuré l’impact, aurait, entre autres, engorgé les tribunaux locaux en raison de la confusion résultant des droits nationaux trop divers.

La controverse se justifiait sans doute. Mais son ampleur fut largement exacerbée par une utilisation démesurée et mensongère de ce texte par les partisans du « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen.

Si l’on peut reconnaître un seul effet positif du « non » au référendum, et pas seulement en France, ce sera d’avoir permis la réécriture de la directive Bolkestein.

Rappelons ces propos de Robert Schuman, le sage, le visionnaire : « À toutes ces tendances qui nous sont léguées par le passé » – nationalisme politique, protectionnisme autarcique et isolationnisme culturel – « il faudra substituer la notion de solidarité, c’est-à-dire la conviction que le véritable intérêt de chacun consiste à reconnaître et à accepter dans la pratique l’interdépendance de tous. L’égoïsme ne paye plus. »

Mme Gisèle Printz. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Ce principe doit devenir une réalité dans la construction européenne et inspirer aujourd’hui le secteur des services. Le défi de l’année 2010 consiste à instaurer un véritable marché intérieur des services, sans niveler par le bas l’espace social européen.

C’était là une priorité de la présidence tchèque. Par ailleurs, le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, suit attentivement ce dossier depuis des années.

Il faut avoir à l’esprit le paradoxe suivant : les échanges de services entre États membres ne représentent que 5 % du PIB global et 20 % des échanges totaux, et pourtant ce secteur est la principale force économique de l’Europe, puisque 70 % de son PIB et 68 % de ses emplois en proviennent. Il faut donc le dynamiser.

Dans notre pays, le secteur des services est le premier employeur et, sans doute, le principal gisement d’emplois. Favoriser l’installation d’entreprises étrangères et lever les obstacles protectionnistes faciliteront les échanges de services entre ressortissants des États membres.

Cela a été dit, cette directive a pour objet de favoriser la liberté d’établissement des prestataires de services, leur libre-circulation, mais aussi de procurer la garantie d’un niveau de qualité élevée pour les utilisateurs.

Le guichet unique, qui simplifie considérablement les formalités incombant aux entreprises, est en place, non seulement par voie électronique, mais aussi physiquement par le biais des centres de formalités des entreprises, lesquels sont au nombre de sept en France. N’est-ce pas trop ?

Enfin, la coopération administrative entre États membres vise, certes, à contrôler les activités de services, mais aussi à éviter la multiplication des contrôles, en échangeant efficacement les informations. Là encore, la voie électronique devient une priorité.

Le principe d’une directive repose sur l’obligation de résultat, tout en laissant chaque État libre du choix des moyens de transposition. Heureusement, la France n’a pas choisi de transposer cette directive fondamentale en catimini, par la voie des ordonnances prévue à l’article 38 de la Constitution.

Elle n’a pourtant pas choisi non plus une loi-cadre, solution par ailleurs retenue par l’ensemble des États européens, hormis l’Allemagne. Une telle loi aurait permis un débat pédagogique et constructif sur l’Europe.

La France a donc préféré la transposition pragmatique et graduelle par secteurs, induisant une négociation spécifique à chaque type de service. Cette solution permet aussi, il faut le souligner, d’éviter de relancer la polémique sur la libéralisation des services, dont le mythe du « plombier polonais » a tant marqué les esprits, à l’approche des élections européennes.

La directive fixe aussi une échéance pour la transposition intégrale, en l’espèce, le 28 décembre 2009. Nous sommes le 12 mai : avons-nous rempli nos obligations européennes ?

Avec une inquiétude modérée et contenue, à son image, notre collègue Jean Bizet prévoyait, dans son rapport d’information du mois de juin 2009, que la directive ne pourrait être complètement transposée dans les délais. Il avait vu juste, hélas !

Certes, la France a avancé dans la voie de la transposition, comme l’indique le rapport de synthèse du secrétariat général des affaires européennes du 10 janvier dernier, puisque le dispositif des guichets uniques est créé, des secteurs clés sont ouverts, parmi lesquels celui du tourisme, activité essentielle pour l’économie française.

De plus, des mesures ont été adoptées, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, relatives aux sociétés d’exercice libéral, à l’urbanisme commercial ou à la suppression de l’autorisation d’ouverture pour les établissements hôteliers.

De même, la coopération entre États membres, au sens de l’article 39 de la directive, a débuté, notamment par la remise des différents rapports et fiches.

Pourtant, le processus n’est toujours pas achevé. Madame la secrétaire d'État, combien reste-t-il de dispositions à transposer ? Combien sont en cours de transposition ? Quels sont les moyens de transposition choisis par le Gouvernement ? Quelle en sera la communication?

Les membres du groupe du RDSE regrettent que cette forme de transposition, qui donne lieu à l’élaboration d’une multitude de textes d’application, vienne amoindrir le rôle qui aurait pu être celui du Parlement lors d’un débat sur une loi-cadre de transposition À cet égard, je reprendrai à mon compte l’argumentation développée par notre collègue Roland Ries. Ce débat aurait pu être l’occasion de promouvoir l’idée européenne, car, comme vous le savez, « entreprendre vaut mieux que se résigner, et l’attente de la perfection est une piètre excuse pour l’inaction ».

Je ne voudrais pas radoter, madame la secrétaire d’État, mais permettez-moi d’évoquer, une fois encore dans cet hémicycle, la proposition de loi constitutionnelle que j’avais déposée en 2001 et que plusieurs de mes collègues ont cosignée, notamment Hubert Haenel, alors président de la délégation pour l’Union européenne : elle visait à accélérer la transposition des directives en prévoyant qu’une séance mensuelle dans chaque assemblée est réservée à cette fin. Du reste, l’actuelle Constitution le permet, dans la mesure où le Parlement maîtrise désormais une partie de l’ordre du jour. La proposition de loi susvisée a été discutée et votée au Sénat, mais n’est jamais parvenue sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ce texte me semble pourtant toujours pertinent.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’avenir de notre pays, dont le poids politique est reconnu par tous, se confond avec celui de l’Europe. Européen de toujours, je suis convaincu, comme l’écrivait Robert Schuman voilà déjà soixante ans, que cette « idée "Europe" […] sera la force contre laquelle se briseront tous les obstacles » ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.)

MM. Jean Bizet et Roland Ries. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, étant, pour ma part, modérément favorable à la directive « Services », j’insisterai aujourd'hui sur un problème spécifique qui se pose.

Pour bien fonctionner, ce type de directive devrait s’appuyer sur une harmonisation totale des systèmes juridiques et sociaux. Malheureusement, c’est très loin d’être le cas.

Bien souvent, la distance séparant un pays d’un autre, si elle n’aboutit pas à ériger une petite muraille, permet tout de même d’éviter que leurs habitants respectifs, qui ne se battent pas à armes égales compte tenu des différences de réglementations sociales et juridiques, ne se retrouvent alignés sur le même régime.

Or, et c’est là qu’un problème se pose, cette barrière, si petite soit-elle, qui sert en quelque sorte de garde-fou, n’existe pas dans les départements frontaliers. Pour ces derniers, les conditions d’application et de transposition de la directive deviennent extrêmement préoccupantes dans la mesure où tout se joue à une dizaine de kilomètres. Dès lors que se juxtaposent des distorsions juridiques, sociales ou fiscales, les structures existantes finissent par être totalement pénalisées.

Il s’agit, finalement, d’un problème très général, qui se pose, dans le cadre des transpositions, aussi bien au niveau européen que pour nous, Français. Et si nous n’y prenons garde, comme c’est malheureusement le cas aujourd'hui, il peut s’avérer tout à fait dévastateur pour l’économie, pour la vie d’entreprises à côté des frontières.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que la transposition de la directive « Services » soit de nouveau discutée au Sénat, et ce grâce à l’initiative de notre collègue Jean Bizet.

Cette directive a pour objet la réalisation d’un véritable marché intérieur des services, qui représente 70 % de l’économie européenne et une très grande partie des créations d’emplois, mais seulement 20 % des échanges transfrontaliers. Elle vise à établir un cadre juridique commun, pour renforcer la compétitivité de l'économie européenne.

Depuis la suppression du principe controversé dit « du pays d’origine », à la suite de l’adoption par le Sénat d’une résolution et grâce à la mobilisation de nos collègues parlementaires européens, les finalités de la directive font désormais l’objet d’un consensus.

Malgré tout, des inquiétudes demeurent quant à son champ d’application et à ses conséquences pour certaines professions réglementées ; je pense principalement aux services sociaux et médico-sociaux.

Le 25 mars dernier, lors de la discussion de la proposition de loi relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive « Services », Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés, nous a donné sur ce point nombre d’éclaircissements.

Elle nous a tout d’abord rappelé que la très grande majorité des établissements et services sociaux et médico-sociaux sont exclus du champ d’application de la directive, car ils satisfont aux deux critères cumulatifs d’exclusion prévus par ce texte.

D’une part, ils sont relatifs aux domaines suivants : le logement social, l’aide à l’enfance, l’aide aux familles et aux personnes se trouvant dans une situation de besoin, qu’elle soit temporaire ou permanente.

D’autre part, ils sont assurés par des prestataires mandatés par l’État ou par une collectivité publique.

Mme Nora Berra nous a également rassurés sur les établissements inclus dans le périmètre d’application de la directive : cette dernière ne remet en cause ni leur régime juridique ni leurs caractéristiques essentielles, et ce grâce à l’action du Gouvernement qui a justifié leur pertinence dans un rapport adressé à la Commission européenne au début du mois de janvier.

Par conséquent, le fait que les services soient inclus ou exclus du champ d’application de la directive ne risque pas, à mon sens, d’entraîner une dérégulation ou un abaissement des exigences de qualité.

Certains de mes collègues se sont en outre fait l’écho d’inquiétudes exprimées par les architectes. Actuellement, le droit français impose que le capital des sociétés d’architecture soit détenu majoritairement par les architectes qui en sont membres. Or la profession craint que le Gouvernement ne supprime cette clause majoritaire au prétexte qu’elle constituerait un obstacle à la liberté d’établissement. Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous faire part des intentions du Gouvernement sur cette question ?

Une dernière inquiétude demeure quant aux mesures de transposition de la directive. En effet, une réunion qui s’est tenue le 27 avril dernier a permis de constater que vingt États membres – dont la France – sur vingt-sept n’avaient toujours pas pleinement transposé ce texte. Le Gouvernement a choisi, Jean Bizet l’a indiqué, de recourir à une transposition sectorielle, et non à une loi-cadre.

J’en viens maintenant au processus complexe de la transposition d’une telle directive, exercice long et difficile. Cette transposition a d’abord nécessité de passer en revue toute la législation nationale pouvant être affectée par les dispositions envisagées. Elle a aussi suscité d’importants efforts de coordination à tous les échelons des administrations nationales, afin de mettre en place les dispositifs prévus.

L’une des actions requises consistait à instaurer ce qui a été appelé les « guichets uniques », c'est-à-dire les portails d’administration en ligne permettant aux entreprises d’effectuer toutes leurs formalités administratives par voie électronique. Ces guichets uniques ne fonctionnant que depuis quelque temps, il paraît quelque peu prématuré de tirer des conclusions. Mais les utilisateurs ont peut-être fait part de remarques au Gouvernement, madame la secrétaire d'État.

Plusieurs députés européens ont souligné la nécessité de proposer ces sites en au moins deux langues, afin que les prestataires de services souhaitant s’installer dans l’un des États membres soient mieux à même de comparer les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs activités. Pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur ce sujet ?

Par ailleurs, au vu de l’importance que revêt cette directive tant pour les citoyens que pour les entreprises, il me paraît judicieux de permettre aux acteurs concernés de mieux comprendre les modifications en cours, ainsi que les différentes actions menées. Une campagne d’information volontaire pourrait les y aider. Un tel projet est-il envisagé par le Gouvernement ?

Une fois la législation passée en revue, certaines entraves levées et des réalisations, telles que les guichets uniques, accomplies, une nouvelle étape va pouvoir débuter : il s’agit de la phase dite d’« évaluation mutuelle », durant laquelle chaque État membre produira un rapport sur les modifications législatives effectuées dans le domaine de la prestation de services. Ce document sera étudié par la Commission européenne et par les autres États membres, qui pourront observer concrètement les efforts accomplis par leurs partenaires, et éventuellement signaler les dispositions susceptibles, selon eux, de créer des distorsions de concurrence.

La Commission européenne présentera quant à elle un rapport complet sur l’application de la directive « Services » le 28 décembre 2011. Par la suite, elle en fera de même tous les trois ans. Ces documents seront accompagnés, le cas échéant, de propositions de modifications et de mesures supplémentaires concernant les questions exclues du champ d’application de la directive.

Il paraît envisageable que certains professionnels, se rendant compte des opportunités économiques offertes, demandent leur inclusion dans le champ de la directive « Services », alors qu’ils en sont exclus aujourd’hui.

Il semble donc bien que les réalisations que je viens de citer ne constituent que les premières étapes de la transposition de la directive, qui, plus qu’une transposition législative, doit être perçue comme un processus d’amélioration constant de la qualité des échanges intracommunautaires dans le domaine des services.

Madame la secrétaire d'État, le Gouvernement partage-t-il cette analyse de l’avenir de la directive « Services » ?

Même si cette dernière n’est effectivement pas entièrement transposée en France, j’estime, à titre personnel, qu’il est plus pertinent de prendre un peu plus de temps que prévu pour transposer ce texte essentiel, plutôt que de bâcler le travail.

Cependant, il importe que cette transposition s’achève le plus rapidement possible dans tous les États membres. En effet, je suis intimement convaincue que cette directive, lorsqu’elle sera entièrement transposée, permettra de dynamiser la croissance économique européenne et de relancer la création d’emplois.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le contexte de crise économique et de désarroi social que nous traversons actuellement, il ne faut négliger aucun outil susceptible d’améliorer la situation de nos entreprises et de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre de la question orale européenne avec débat posée par Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, sur le sujet sensible de la directive « Services ».

Je me réjouis que soit ainsi donnée de nouveau à notre assemblée la possibilité de discuter de la transposition de cette directive, bien que la teneur de la question, qui, il est vrai, date du mois de décembre 2009, me paraisse quelque peu dépassée. Nous avons en effet depuis examiné une proposition de loi présentée par nos collègues membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés relative à ce sujet et obtenu un début de réponse par Mme Nora Berra, présente au banc du Gouvernement ce jour-là.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Aussi ce débat ne peut que nous satisfaire, bien que je regrette, à l’instar de notre collègue Roland Ries, qu’il se tienne encore une fois dans une certaine confidentialité, pour ne pas dire une confidentialité certaine…

Au nom de mon groupe, je condamne une nouvelle fois la méthode retenue par le Gouvernement pour opérer la transposition de cette directive. Il a en effet choisi de procéder en catimini et par tranches, ce qui, pour nous, est la marque d’un déni de démocratie !

Comme vous le savez, la plupart des pays de l’Union européenne ont décidé de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale pour transposer la directive. Si une loi-cadre ne garantit en rien une meilleure application, elle permet tout du moins aux différents parlements nationaux de s’emparer pleinement de cette question et d’en faire un véritable débat politique. En effet, c’est bien de politique qu’il s’agit et de construction européenne !

Nous connaissons les raisons qui ont conduit le Gouvernement à agir ainsi : ne pas réveiller certains débats, par exemple celui sur la directive « Bolkestein » ou encore celui sur le « non » au traité de Lisbonne !

Notre collègue Jean Bizet l’expliquait d’ailleurs de manière tout à fait claire dans son rapport publié au mois de juin dernier : « Une loi-cadre de transposition pourrait en effet servir d’“épouvantail” à tous ceux qui seraient tentés d’instrumentaliser un exercice essentiellement technique à des fins électorales. Elle ne doit pas constituer un prétexte à la “cristallisation” des mécontentements de tous ordres, d’autant plus nombreux en période de crise. »

Ainsi, depuis plusieurs années, des textes législatifs transposant des dispositions de cette directive se succèdent. J’en citerai quelques-uns à mon tour : la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel, dont l’une des conséquences, je le rappelle, est la disparition des avoués, la proposition de loi visant à encadrer la profession d’agent sportif. Mais il y en a bien d’autres, tant la liste est loin d’être exhaustive !

Par ailleurs, nous dénonçons l’opacité entretenue par le Gouvernement, resté longtemps sourd à toutes les demandes formulées par les députés et les sénateurs pour obtenir l’état d’avancement de cette transposition.

Il est d’ailleurs significatif de constater que le Gouvernement a attendu le 22 mars 2010, c’est-à-dire quasiment la veille de l’examen, ici même, de la proposition de loi relative aux services présentée par les membres du groupe socialiste, pour enfin transmettre aux élus la liste des professions réglementées visées par les mesures de transposition.

Que penser du comportement de l’exécutif envers le législatif ? En tout cas, il n’est pas de nature à renforcer le rôle des parlementaires !

Quant aux guichets uniques – la question de M. Bizet aborde en effet ce sujet –, la directive « Services » prévoit qu’ils seront mis en place par les États membres pour apporter, en un seul lieu, toutes les réponses aux questions que se posent les prestataires de services venus d’autres pays de l’Union pour s’installer en France. Je remercie d’ailleurs M. Bizet de sa précision, de sa franchise, même, puisqu’il a évoqué tout à l’heure la notion de prestataires de services « venus d’autres pays de l’Union », qui a habilement remplacé celle du « pays d’origine ».

Or, là encore, plutôt que de procéder à la rédaction d’un texte unique, le Gouvernement préfère morceler le débat : la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures et d’autres textes encore en attente d’adoption ; je pense notamment au projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui sera examiné dans cet hémicycle le 9 juin prochain. Notre collègue Aymeri de Montesquiou les ayant détaillés il y a un instant, je n’y reviendrai pas.

Notons-le au passage, alors que la transposition est loin d’être achevée, le guichet unique est un des seuls axes de la directive « Services » qui fonctionne aujourd’hui quasiment bien. Et on comprend pourquoi !

En effet, ces guichets uniques sont le cœur même de la directive, dont je vous rappelle l’objectif : réaliser un marché intérieur en supprimant les barrières juridiques et administratives, considérées comme des obstacles à la libre circulation des prestations de services entre États membres et à leur mise en concurrence. Cette libéralisation concerne 75 % des emplois dans l’Union européenne et 66 % de son PIB, selon la Commission, qui avait fixé comme date butoir le 28 décembre 2009 pour la transposition de cette directive dans l’ensemble des législations nationales.

Ces considérations m’amènent au point essentiel qui constitue le fond de ce débat : la construction de l’Union européenne, ou, à tout le moins, quelle Europe nous voulons concrétiser.

Une fois encore, nous demandons au Gouvernement d’ouvrir un vrai débat sur les services sociaux d’intérêt général, en distinguant clairement ceux qui sont économiques des autres.

À l’heure où une crise d’une particulière gravité s’abat sur notre continent, où les gouvernements s’entendent pour soutenir l’économie, les banques et les spéculateurs – encore une fois ! – et où les peuples vont être soumis à d’importantes mesures d’austérité, ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire que ces gouvernements s’entendent pour que chaque pays puisse continuer à mettre en œuvre une politique sociale répondant aux attentes et aux besoins de ses citoyens ? Une politique sociale qui ne se résume pas à endiguer la pauvreté et la précarité, réservées aux plus démunis et passant d’une conception assurantielle à une conception « assistancielle » de la solidarité nationale, voire de la solidarité européenne.

Notre pays et, plus largement, l’Europe doivent prendre conscience de l’utilité de ces politiques sociales, qui constituent un outil efficace en termes d’aménagement du territoire, de cohésion nationale et de réduction des inégalités.

Certes, le débat d’aujourd’hui a le mérite d’exister, mais il n’est pas suffisant pour aborder le véritable problème de société auquel nous devons faire face : quelles activités humaines voulons-nous mettre à l’abri des règles de la libre concurrence commerciale ?

Le débat concerne l’organisation et la pérennité même des services sociaux de notre pays, et c’est précisément la volonté de les préserver de la dérégulation qui nous avait amenés à voter contre le traité de Lisbonne. Mais ce dernier a été adopté et il est maintenant entré en vigueur. Or, la directive « Services », comme l’ensemble des directives, ne vient pas du tout en limiter l’application. Au contraire, cette directive est porteuse, à l’instar de toutes les autres directives qui ont été adoptées, de la même vision libérale que le traité dont elle est issue. Face au principe de libre concurrence qu’elle réaffirme, elle n’a posé que de fragiles exceptions pouvant, pour la plupart d’entre elles, être remises en question par la Cour de justice de l’Union européenne.

Avec cette directive « Services », les risques d’une marchandisation de l’ensemble des services sociaux sont réels. Pour s’en convaincre, il suffit de citer une communication de la Commission européenne en date du 26 avril 2006 concernant les services sociaux d’intérêt général dans l’Union : « […] la quasi-totalité des services fournis dans le domaine social peuvent être considérés comme des “activités économiques” au sens des articles 43 et 49 du traité sur l’Union européenne ».

Et cette interprétation est chaque fois confirmée par la Cour de justice de l’Union européenne qui, avec zèle, tient son rôle de gardienne du principe supérieur de libre concurrence. Ainsi, en l’état actuel du droit européen, il est impossible de sécuriser véritablement les services sociaux d’intérêt général, bien que certains d’entre eux puissent, à l’instar des « services sociaux non économiques d’intérêt général », être exclus du champ de la directive. Cette exclusion ne sera cependant jamais totalement acquise puisque la Cour de justice de l’Union européenne peut imposer aux États membres de soumettre à nouveau ces domaines au droit de la concurrence.

Face à ce flou juridique, le rapport établi par Michel Thierry invite fermement la Commission à poursuivre ses travaux de clarification du droit européen. De plus, ce rapport permet de cerner les enjeux, les acquis et les difficultés qu’il reste à résoudre ainsi que les améliorations souhaitables, et ce tant au plan national concernant la bonne articulation avec le droit communautaire qu’au plan européen, pour y faire évoluer le droit et les pratiques, notamment au regard des objectifs sociaux et des règles de concurrence et de libre circulation dans le marché intérieur.

Afin de répondre à cette exigence de clarification, nous demandons par conséquent au Gouvernement et à nos partenaires européens de reconnaître définitivement les services sociaux d’intérêt général dans notre pays comme non économiques pour qu’ils soient exclus du champ d’application de la directive « Services ».

À cette fin, la seule alternative possible serait la suivante : soit les dirigeants européens proposent l’adoption d’une nouvelle directive spécifique, soit ils cessent de s’entêter à promouvoir ce système libéral dont les dégâts sociaux, économiques et environnementaux sont mesurés au quotidien par des millions de nos concitoyens européens et procèdent à une modification du traité constitutif lui-même.

Cette dernière option est la plus sensée. Au mépris du vote de nos concitoyens, le traité de Lisbonne a été ratifié. Or, malgré son entrée en vigueur, l’Europe connaît sa plus grave crise : le peuple grec, victime de la spéculation financière, est soumis à une cure d’austérité sans précédent qui devrait bientôt toucher d’autres peuples européens, en Espagne, au Portugal, et même en France, alors que l’on sait la misère sociale qu’une telle politique va générer.

Aujourd’hui, les peuples européens mesurent que l’ouverture de tous les secteurs à la concurrence ne constitue pas une avancée, ni sur le plan social ni même sur le plan économique. Cette marchandisation globalisée est, au contraire, synonyme de « casse » sociale et de plus de misère.

Selon nous, une autre Europe est possible, à condition d’entendre les peuples qui se mobilisent partout dans l’Union contre les effets désastreux des politiques libérales et d’avoir le courage et l’audace politiques de modifier les règles actuellement en vigueur.

De notre côté, nous travaillons à cette alternative. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)