M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !

M. Guy Fischer. Nous sommes un des pays qui travaille le plus !

M. Gérard Longuet. Votre gouvernement et notre majorité ont eu le courage, pour la première fois depuis trente ans, de voter une disposition législative qui rappelle cette évidence simple : un pays n’est riche que de la richesse des habitants qui y travaillent. Lorsque l’on prend en charge une dépense sociale, comme nous le faisons avec les retraites, et que nous demandons à tous nos compatriotes de faire un effort supplémentaire, nous créons une richesse collective ; et c’est parce que nous aurons créé cette richesse que nous pourrons enfin la partager ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Monsieur le Premier ministre, la valeur ajoutée du Sénat est indéniable. Elle nous permettra de contribuer à l’élaboration des futurs textes législatifs et d’être au rendez-vous que nous proposeront les membres de votre gouvernement.

La culture du Sénat, tenez-en compte, s’articule autour de trois idées simples très largement partagées.

La première est l’équilibre des finances publiques, et M. Arthuis ne me contredira pas en cet instant.

Plus gravement, la deuxième idée tient au souci des libertés individuelles. L’on est parfois, c’est vrai, tenté d’apporter des réponses rapides à des problèmes immédiats. Monsieur le garde des sceaux, adossez-vous sur la culture de la liberté individuelle, sur ce sens du droit édifié par deux siècles de jurisprudence républicaine et de construction législative.

La troisième idée c’est que, depuis la réforme constitutionnelle de 2003, la République est plus décentralisée.

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Non, recentralisée !

M. Gérard Longuet. N’hésitez pas à vous appuyer en permanence sur cette décentralisation.

C’est cette culture du Sénat que nous vous offrons et nous vous suggérons de l’enrichir par la collaboration entre le Gouvernement et sa majorité.

Nous devons aussi faire comprendre à nos compatriotes que, lorsque nous réformons notre pays, il ne s’agit pas de céder à la pression ou aux exigences des agences de notation et des marchés qui imposeraient une discipline absurde, contraignante pour nos compatriotes, et sans finalité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Claude Bérit-Débat. Cela vous est difficile !

M. Jean-Pierre Godefroy. Et les retraites !

M. Guy Fischer. Il se moque de nous !

M. Gérard Longuet. Il y a en vérité, au terme de plus d’un demi-siècle de construction européenne, une immense richesse partagée par la plupart des peuples d’Europe, mais non pas par la totalité.

Cette richesse partagée, c’est une monnaie commune, qui exprime un projet commun.

Monsieur le Premier ministre, vous avez placé sous l’angle de la réflexion franco-allemande l’éclairage que vous entendez donner à votre réforme fiscale.

Au-delà de la solidarité de ces deux vieux pays, sans lesquels la construction européenne n’existerait pas, je voudrais que nous réfléchissions ensemble à ce que Français et Allemands pourraient offrir aux nouveaux membres de l’euro, qui est en quelque sorte un bien commun.

Ces pays n’ont pas la chance d’avoir bénéficié de cette « Lotharingie industrielle » des XIXe et XXe siècles, qui ont placé la « banane bleue » – cette expression n’est pas très élégante, mais les géographes savent ce qu’elle signifie – au cœur de la richesse européenne, laissant des régions périphériques sans les moyens industriels, économiques, technologiques et financiers de partager toutes les contraintes de l’euro.

Nous avons, Français et Allemands, non seulement à construire notre convergence, mais à offrir aux autres partenaires de l’euro la certitude qu’ils ont une place dans notre construction.

Cette vision de la France n’est pas celle d’un pays résistant à une turbulence extérieure ; c’est bien celle d’un architecte de la construction européenne, permettant à notre continent de faire entendre sa voix dans un système mondial particulièrement violent, mais auquel nous sommes en mesure d’apporter plus de paix, de sérénité, d’équilibre et d’harmonie. Nous avons effectivement l’expérience de la construction collective, après avoir connu tant de siècles d’affrontement.

Monsieur le Premier ministre, je voudrais terminer (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Simon Sutour. C’est fini !

M. Gérard Longuet. … par cette dernière qualité qui est la vôtre, sans laquelle il est impossible de réaliser de grands projets lorsqu’on a le grand bonheur et l’immense responsabilité de présider au gouvernement de la France.

Il est bon d’instaurer des règles pour le dialogue. Considérer la France comme l’architecte de la construction européenne est assurément indispensable dans une économie mondialisée, où l’égoïsme de très grandes puissances pourrait laisser l’Europe de côté.

Je voudrais surtout que nous utilisions cette passion commune que vous avez exprimée avec force, qui est tout simplement la passion de la France.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, le temps de parole est dépassé !

M. Gérard Longuet. Vous dites que la France est une miraculeuse affaire de volonté, une succession de rêves aboutis. Eh bien, faisons en sorte que notre génération porte sa part dans la construction de cette longue chaîne de rêves aboutis, d’espérances construites, de courages affrontés, et de réussites, qui résulte de la volonté que nous avions de nous rassembler plutôt que de nous affronter ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur. Il n’a pas cité une seule fois le Président de la République !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Plusieurs sénateurs de l’UMP quittent l’hémicycle.)

M. Ivan Renar. Ce n’est pas fini !

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Soyez corrects !

M. le président. Veuillez vous exprimer, madame la sénatrice !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà la correction des sénateurs de la majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Huées sur les travées de l’UMP.) C’est la vérité !

M. Christian Cointat. Mais nous sommes là, madame !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le Premier ministre, vos propos, ceux d’hier et d’aujourd’hui, comme le remaniement ministériel, s’adressent à votre majorité, que vous voulez rassemblée. Vous avez vos raisons, vous êtes en campagne ; vous avez le pouvoir, et vous voulez le garder !

Depuis 2002, la droite est au pouvoir, et elle fait une politique contre le peuple : les plus riches se sont enrichis, les pauvres sont plus nombreux. Le pouvoir d’achat et les conditions de vie d’une grande partie de la population se sont dégradés, le modèle social est peu à peu cassé, et vous proposez de continuer !

C’est ce que la grande majorité de nos concitoyens a exprimé avec force en soutenant les mobilisations de millions de salariés et de jeunes contre votre réforme des retraites. Ils l’ont fait, parce que l’injustice de cette réforme était le symbole de toute votre politique.

Alors, vous continuez, comme M. Woerth l’a fait, à enfoncer le clou : votre politique est la seule possible ; tous ceux qui la contestent n’agitent que fausses idées, mirages désastreux !

Au fond, monsieur le Premier ministre, rêver de progrès humain fait partie de nos vieux démons ! Pourtant, ce sont les progrès humains arrachés de haute lutte depuis le XIXe siècle qui ont fait de la France un pays de haute compétitivité et de grande culture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

La « real politique », c’est la dictature des marchés financiers !

On voit le résultat ! Le chômage, en progression avant et après la crise, a atteint 9,9 % en France métropolitaine et outre-mer, 25 % chez les jeunes. L’emploi précaire ne cesse de se développer. Les femmes et les jeunes en font les frais. Près de 145 000 emplois ont été supprimés en 2008, et 255 000 en 2009 ; 8 millions de nos concitoyens, soit 13 % de la population, vivent avec moins de 949 euros par mois.

En revanche, le nombre de personnes ayant un revenu de plus de 500 000 euros a augmenté de 70 % ! Vous avez fait des choix depuis 2002, et vous entendez continuer !

Vous avez multiplié les niches fiscales : leur montant atteint 172 milliards d’euros par an. Vous avez créé le bouclier fiscal, diminué les impôts des plus riches, été inactifs contre l’évasion fiscale. Vous avez multiplié par deux la dette de l’État !

Voilà votre bilan, et la crise financière est le résultat des politiques ultralibérales menées en France, en Europe et aux États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Les marchés financiers n’ont ni frontières ni lois : ils dictent leur politique aux États. Les gouvernements européens, sous la houlette du FMI, ont sauvé les banques et les actionnaires en faisant payer les peuples, pour que tout continue comme avant ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Votre gouvernement a ouvert, en 2008, un crédit de 360 milliards d’euros aux banques sans contrepartie.

La BNP Paribas a augmenté ses gains de 93 % en 2009, les entreprises du CAC 40 ont fait 50 milliards d’euros de profits, et les membres de leurs conseils d’administration ont vu leur rémunération augmenter de 18 % un an après la crise. Parallèlement, elles ont supprimé 40 000 emplois depuis cinq ans.

Les mêmes recettes produisent les mêmes effets en Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal. En Irlande, le peuple subira une austérité drastique, mais l’impôt sur les sociétés restera le plus bas en Europe.

Les peuples paient la concurrence généralisée, le dumping social et fiscal : baisse des salaires, recul des protections sociales, des services publics, hausse du chômage et de la précarité. Ils paient pour que la rentabilité du capital soit encore plus forte, et donc les dividendes toujours en hausse !

M. Guy Fischer. Voilà la vérité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous engagez à continuer !

Comment croire que, demain plus qu’hier, les baisses d’impôt des entreprises et des plus riches favoriseront l’emploi et l’investissement à long terme ? Renault met 3 000 personnes en préretraite,…

M. Guy Fischer. Scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et Thales supprime 1 500 emplois.

M. Guy Fischer. Scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sans doute ce que vous appelez restaurer les conditions d’une politique industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Comment croire que le gel des dépenses publiques, le recul de la protection sociale et la privatisation des services publics préserveront la solidarité et l’égalité des chances ?

Comment croire que l’étranglement financier des collectivités locales n’aura pas de conséquences désastreuses sur la cohésion sociale, les services rendus à la population et l’investissement utile, qu’elles financent aujourd’hui pour plus de 70 % ?

Comment croire au dialogue entre l’État et les élus locaux, quand vous avez sonné le glas de la décentralisation par une réforme menée au pas de charge, sans consulter les assemblées élues dans les territoires ?

M. Jean-Louis Carrère. Ils ne pensent qu’à leur faire les poches !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment croire au dialogue social, quand vous avez imposé une réforme des retraites brutale, contre l’avis de l’ensemble des organisations syndicales ?

Monsieur le Premier ministre, en 2007, le futur Président de la République a fait campagne sur le thème de la rupture.

Nos concitoyens ont vu ce qu’il en était : ils ont constaté que leur situation s’était détériorée, que « le travailler plus pour gagner plus », autrement dit la promesse du pouvoir d’achat, avait fait long feu !

Nos concitoyens ont vu que votre gouvernement, sous la houlette du Président de la République, a mis en œuvre, point par point, le programme du MEDEF que Mme Parisot avait rendu public pendant la campagne électorale présidentielle, avec son petit bréviaire Besoin d’air.

D’ailleurs, celle-ci se targue d’avoir, avec son livre, imposé le débat économique dans la campagne présidentielle et d’être à l’origine de « décisions économiques majeures prises par le Gouvernement » : la réduction de l’ISF pour investissement dans une PME, le renforcement du crédit d’impôt recherche, la réforme de la taxe professionnelle ou encore la suppression de la clause de compétence générale des collectivités territoriales – elle avait pensé à tout ! –, et maintenant la réforme des retraites, puisqu’elle qualifiait la retraite à soixante ans d’erreur historique ! Elle s’est d’ailleurs félicitée de votre reconduction à la tête du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)

Nos concitoyens ont constaté que le Président de la République et son gouvernement, dont vous étiez et restez le Premier ministre, a beaucoup agité les peurs, l’insécurité, la délinquance, les immigrés, dans des amalgames scandaleux et dangereux !

Aujourd’hui, la violence augmente, la cohésion sociale éclate, le pacte social se délite.

Vous avez le pouvoir, vous avez une majorité, mais le fossé se creuse entre le peuple et les institutions.

M. Guy Fischer. C’est la fracture !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La dérive monarchique a fait des dégâts. Elle a porté des coups à la démocratie. Elle a sérieusement entaché la politique.

Quand on mène une politique contre le peuple, contre les intérêts populaires, on ne peut se prévaloir éternellement de sa légitimité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous refusez toute proposition alternative.

Pour notre part, nous proposons, sans complexe, de rémunérer plus le travail que les actionnaires, pour revenir à un partage travail-capital plus favorable au travail.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous proposons d’assurer le financement de la protection sociale, y compris la dépendance, en faisant cotiser les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail.

Nous proposons, sans complexe, de recruter des enseignants, des personnels dont nos services publics ont tant besoin, y compris pour assurer la sécurité de nos concitoyens.

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous proposons une politique publique du crédit qui favoriserait l’investissement productif des entreprises.

Nous proposons une réforme de la fiscalité qui soit juste et efficace : la suppression du bouclier fiscal, une augmentation de la taxation sur les gros patrimoines, une modification importante du barème de l’impôt pour renforcer la contribution des hauts revenus.

Nous proposons que la France se dote d’une justice indépendante du pouvoir politique, conformément aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, d’une justice disposant – vous qui aimez les comparaisons européennes – de moyens aussi importants que dans d’autres pays européens, pour lui permettre d’être efficace.

Nous proposons une politique judiciaire où la délinquance financière, aujourd’hui peu à peu dépénalisée, serait sévèrement sanctionnée.

Nous proposons de rétablir les libertés publiques et d’élargir les droits des citoyens tant dans les institutions qu’au sein des entreprises.

Nous proposons de respecter les droits des migrants, de rétablir le droit du sol et d’instaurer enfin une citoyenneté de résidence.

Monsieur le Premier ministre, partout en Europe, les victimes des marchés financiers expriment leur colère. Hier, le Portugal a connu une grève historique de 3 millions de salariés.

Les peuples l’ont bien compris : ce que vous mettez en œuvre avec les autres dirigeants, c’est une régression sans précédent en Europe. Il est temps de revenir sur les institutions européennes !

C’est votre conception de la réforme et de la modernité. Vous proposez de continuer « droit dans vos bottes ». Vous faites la politique du pire.

Bien évidemment, notre groupe votera contre votre déclaration de politique générale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le remaniement, sans cesse annoncé et toujours repoussé, devait être synonyme de changement et de nouveau souffle. Force est de constater qu’il laisse à tous un sentiment de « déjà vu » et, même parmi les plus zélés soutiens du Chef de l’État, le goût amer de la déception et de la désillusion.

Il faut bien reconnaître que ce remaniement a déjà produit certains effets, puisque le Président de la République a réussi à porter le mécontentement dans son propre camp, au sein même de sa majorité.

M. Yvon Collin. Un remaniement qui divise et dessine des failles au sein de la majorité parlementaire : voilà qui est tout de même inédit !

Pendant ce temps, nos concitoyens attendent toujours que leurs difficultés et leurs inquiétudes deviennent enfin les seules et uniques préoccupations des membres du Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, je vous ai bien sûr écouté avec la plus grande attention, hier comme aujourd’hui. Je reconnais volontiers que votre déclaration de politique générale se veut volontariste et ambitieuse.

Vous projetez de délivrer notre pays de la peur du changement, de moderniser notre économie pour la rendre plus compétitive, de créer un dialogue social pragmatique et respectueux, de renforcer notre pacte républicain, de donner à notre jeunesse confiance dans l’avenir, de réformer notre fiscalité pour la rendre plus juste, ou encore de consolider l’unité de la nation. Très bien !

Je vous en donne acte, et je partage avec les membres de mon groupe le même dessein pour notre pays et pour nos compatriotes. Mais je ne peux qu’être perplexe – c’est un euphémisme – devant ces grandes déclarations d’intention au regard de la politique pratiquée par vos deux précédents gouvernements.

Comment, aujourd’hui, vous croire, alors que le niveau de la dette publique n’a jamais été aussi élevé, au risque d’altérer nos capacités d’emprunt et de réduire nos marges de manœuvre ?

Comment vous accorder notre confiance, alors que vous déterminez et conduisez la politique de la nation depuis trois ans et demi, et que notre pays est au bord de l’implosion sociale ?

Comment, enfin, penser que vous réussirez en un an et demi ce que vous n’êtes pas parvenu à faire depuis quarante-deux mois, alors que les inégalités n’ont jamais été aussi criantes et que votre programme se résumait ce matin dans la presse en deux mots : rigueur et austérité ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Vous avez fait appel à la lucidité du pays pour justifier votre volonté de ne pas infléchir votre ligne. C’est donc bien la preuve que la continuité prime sur le changement.

Monsieur le Premier ministre, je fais solennellement appel à votre lucidité, et à celle de votre majorité.

Il vous faut entendre les justes doléances des Français, inquiets d’un pays rongé par le chômage, la peur du déclassement social et la violence du monde du travail ; d’un pays qui n’arrive plus à donner vie à l’égalité des chances et à l’idéal républicain du progrès social et de la liberté individuelle ; bref, d’un pays en crise, qui traverse une crise économique doublée d’une crise morale.

Oui, un libéralisme économique sans scrupule menace aujourd’hui de mettre des États membres de l’Union européenne en cessation de paiement, au risque de faire exploser la zone euro.

L’Irlande vient d’obtenir une aide de 100 milliards d’euros pour sauver quatre banques en faillite, mais la France a-t-elle exigé que l’Irlande augmente son taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés, aujourd’hui à 12,5 %, quand le nôtre est à 33 % ? Quelle Europe voulons-nous ? À quand la coordination des politiques économiques européennes, seul remède face à la crise ?

Plus de régulation et de redistribution pour moins d’égoïsme des États et des individus, voilà le credo que nous défendons de façon unanime au sein du RDSE, en prônant la taxation des transactions financières.

C’est aussi dans cet esprit de vigilance et de proposition que nous attendons la réforme fiscale. Oui, notre système fiscal est illisible, injuste, et constitue un frein à la compétitivité économique de notre pays. Et si le statu quo est impossible, cela ne signifie pas qu’il faille promettre tout et son contraire.

La responsabilité d’un dirigeant, monsieur le Premier ministre, est de dire la vérité au peuple, en l’occurrence qu’il est impossible d’envisager, sans hausse des prélèvements obligatoires, la réduction de la dette publique dès 2012, comme vous l’avez pourtant annoncé.

La justice fiscale commande de remettre à plat notre fiscalité et d’instaurer, enfin, une vraie progressivité, pour permettre une vraie redistribution des revenus. Progressivité, redistribution : voilà des mots que nous aurions aimé vous entendre prononcer, monsieur le Premier ministre, hier et aujourd’hui ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Comment également ne pas évoquer la réforme de la justice, ce symbole de la puissance publique aujourd’hui en triste état après des années de budgets trop modestes et une politique obsessionnelle du chiffre ?

Les membres de mon groupe s’inquiètent de votre réforme de la garde à la vue, qui continuera à nous mettre en porte-à-faux avec le droit européen, au mépris du droit à un procès équitable.

Il en est de même de votre réforme pénale, tuée dans l’œuf par la Cour de Strasbourg il y a deux jours à peine. Dès lors, pourquoi poursuivre la fuite en avant en lançant la création de jurys populaires en correctionnelle ?

Monsieur le Premier ministre, je prends par ailleurs acte de votre volonté de faire de la dépendance l’une des priorités de votre gouvernement. Croyez bien que nous nous associerons à ce chantier dans un état d’esprit constructif, mais que nous n’hésiterons pas non plus à nous élever contre toute tentative déguisée de privatisation.

J’ose croire que vous ne ferez pas preuve de la même surdité qu’avec la réforme des retraites ou celle des collectivités territoriales. Ces deux textes sont les plus récentes illustrations d’une méthode de gouvernance que ma famille politique réprouve avec force, car située aux antipodes du consensus et de la concertation !

Ainsi, pour la réforme des collectivités territoriales, l’avis du Sénat a été littéralement ignoré par votre gouvernement. Au travers de cette atteinte à la dignité de la Haute Assemblée, vous avez adressé un message de mépris et de défiance à l’ensemble des élus locaux, ceux-là mêmes qui œuvrent au quotidien pour satisfaire l’intérêt général, non sans difficultés, surtout dans les territoires ruraux.

Territoires ruraux, ruralité, aménagement du territoire : autant de mots absents de votre discours de politique générale. Nous le regrettons vivement !

Vous ne pouvez qualifier de concertation une méthode de gouvernement qui fait du passage en force sa caractéristique première. Nos compatriotes l’ont d’ailleurs bien compris en exprimant massivement leur désarroi dans la rue, un désarroi que l’opposition parlementaire a le devoir de relayer et de faire entendre.

Aussi, monsieur le Premier ministre, comme je ne peux accepter que vous qualifiiez la voix de l’opposition de « brouhaha » – c’est le terme que vous avez employé –, j’appelle les forces qui la composent à se rassembler au plus vite autour d’un programme moderne et responsable, en se gardant bien de promettre l’impossible, mais en recherchant toujours le consensus, car c’est bien de dialogue, d’écoute et d’espoir que les Français ont besoin aujourd’hui !

Or, monsieur le Premier ministre, je crains qu’un remaniement, une déclaration de politique générale et, enfin, un vote de confiance ne suffisent pas à vous mettre de nouveau en situation, vous et le Président de la République, de redonner espoir aux Français, et crédibilité à notre pays.

André Maurois écrivait : « Quand on veut justifier une mauvaise action, on trouve toujours de bons arguments ! » Si, globalement, je partage plusieurs de vos arguments, je n’approuve pas votre action, tant pour les années écoulées que pour les mois à venir.

Les mutations du monde et de nos sociétés européennes nécessitent de mener une politique radicalement différente, et d’avoir le courage de s’attaquer aux injustices et à l’affairisme. C’est ainsi que les citoyens retrouveront espoir en l’idéal républicain cher au RDSE, et c’est pourquoi, au-delà de notre composante radicale de gauche, nombreux seront ceux qui ne pourront pas approuver votre déclaration de politique générale ! (Applaudissements prolongés sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je serai bref.

Comme chacun sait, les sénatrices et les sénateurs n’appartenant à aucun groupe ne prennent pas de position collective dans ce genre de scrutin. Chacun d’entre eux s’exprimera en son âme et conscience au travers de son vote.

Pour ma part, j’ai longuement hésité, et j’avais envisagé de m’abstenir pour protester contre la réforme des collectivités locales, que je désapprouve, comme nul ne l’ignore dans cette assemblée. J’espère qu’il vous sera encore possible d’apporter quelques améliorations à ce texte et je vais donc finalement voter en faveur de votre déclaration de politique générale. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Marc Todeschini. On s’en doutait !

M. David Assouline. Voilà qui valait bien cinq minutes de temps de parole !

M. Simon Sutour. C’est scandaleux !

M. Philippe Adnot. Je ne confonds pas la globalité des problèmes de la France et l’un des éléments de votre politique, fût-il à mes yeux d’une importance capitale.

Monsieur le Premier ministre, parce que c’est essentiel pour nos concitoyens, parce que l’équilibre de l’Europe en dépend, parce qu’il est nécessaire que notre pays puisse faire entendre sa voix dans le concert mondial, je souhaite, comme vous, que la France réussisse à sortir renforcée de cette période troublée et difficile. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le Premier ministre, c’est sur la continuité que vous avez été nommé car, dites-vous, « les allers-retours fragilisent l’action publique ».

Permettez donc que les écologistes rappellent vos volte-face : après le grand spectacle du Grenelle, nous avons entendu le Président de la République déclarer, au salon de l’agriculture : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » Quant à vous, monsieur le Premier ministre, vous avez décidé de revenir sur la taxe carbone au salon de l’automobile.

Vous ne joignez pas le dire et le faire.

La suppression de l’ISF et la réforme des retraites n’avaient pas été annoncées aux Français, mais vous les faites. La taxe poids lourds et la clause de revoyure pour les finances des collectivités avaient été promises, mais vous ne les faites pas !

Un projet porté par les Verts, l’instance spécifique de garantie de l’indépendance de l’expertise, a subi le même sort. Pourtant, la gestion de la grippe A/H1N1 et ses 2,6 milliards d’euros d’argent public gaspillé, comme le scandale du Mediator, prouvent bien l’urgence de revisiter nos modes d’expertise.

Curieuse démocratie que celle qui ne met pas en œuvre les mesures votées par le Parlement ! Au final, il nous reste une écologie mercantile, de toilettage.

Vous avez tout justifié par la « crise ». Mme Lagarde a fait une relance bétonneuse, sanctuarisé les revenus du capital. Tout au plus glissa-t-elle quelques recommandations. Le MEDEF sourit.

On brade l’argent public sans conditions : l’amendement écologiste qui demandait la traçabilité des fonds de sauvetage des banques et leur exclusion de tout circuit passant par les paradis fiscaux fut repoussé, et les restaurateurs ont englouti sans effets la baisse de TVA.

Les conséquences de la RGPP minent les services publics comme des termites rongeant des poutres charpentières. L’État n’est plus en mesure d’assurer correctement ses compétences.

Faute d’encadrement suffisant, à l’école on gère les élèves par l’autorité, et les différences par les fichiers et les évaluations brutales.

Mobilisée dans la chasse aux sans-papiers et les contrôles d’identité, dont certains se font encore au faciès, la police, qui voit ses effectifs diminuer, ne peut plus garantir la sécurité de base.

L’hôpital public est au bord de la crise de nerfs. (Mme Marie-Thérèse Hermange s’exclame.)

Universités, grand emprunt, chiffres de Pôle emploi, vous n’avez que la compétitivité à la bouche. Vous lorgnez sur l’Asie, oubliant le pillage des forêts, le travail des enfants, la répression des dissidents, les contaminations des produits, qui franchissent d’autant plus allègrement nos frontières que les douanes et feu la direction de la concurrence et des prix ont été décimées.

L’image écornée de notre pays nous vaut la consternation, quand ce n’est pas l’indignation des autres : affaires au plus haut niveau de l’État pour lesquelles la préservation d’intérêts privés n’a d’égale que l’intimidation de la justice ; interventionnisme dans l’audiovisuel public ; circulaire ethnicisée sur les Roms, pourtant citoyens européens ; record d’Europe des actions policières contre la presse ; casse du fret ferroviaire et de La Poste ; attitude internationale bavarde et arrogante.