PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre RAffarin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine (deux propositions de loi)
 

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Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes
Discussion générale (suite)

Traité avec la Grande-Bretagne et l'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques

Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes
Article unique (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en procédure accélérée du projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes (projet n° 322, texte de la commission n° 387, rapport n° 386).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis porte sur le traité signé entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes. Derrière ce titre technique, il renvoie à l’une des évolutions majeures de notre politique extérieure.

Nous en sommes tous convaincus : le Royaume-Uni et la France sont des partenaires naturels en matière de sécurité et de défense. Ils possèdent les principaux budgets de défense et de recherche-développement de l’Union européenne et sont engagés côte à côte dans les plus importantes opérations extérieures.

La signature par le Président de la République française et le Premier ministre britannique, lors du sommet de Londres du 2 novembre dernier, de deux traités essentiels en matière de défense est venue renforcer encore cette coopération. Celle-ci avait connu une première impulsion en 2007, quand le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale avait mis l’accent sur le développement de la capacité militaire européenne.

Le traité de défense et de sécurité nous permettra d’approfondir sur le long terme notre coopération bilatérale dans ces domaines.

Le traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, qui fait l’objet du projet de loi soumis à l’approbation du Sénat, constitue, quant à lui, une première illustration concrète de cette coopération renforcée.

En effet, il ouvre la voie à un partenariat sans précédent dans le domaine particulièrement sensible des technologies liées aux arsenaux nucléaires, partenariat qui témoigne de l’exceptionnel degré de confiance atteint entre les deux pays.

Ce traité vise un certain nombre de points précis. Il prévoit la construction et l’exploitation conjointes d’une installation de physique expérimentale dénommée EPURE, pour Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair, et située à Valduc en Bourgogne. Cet équipement sera l’un des éléments du programme français de simulation, qui comprend la simulation numérique et le Laser Mégajoule. Il vise à mettre en œuvre des expériences de laboratoire, lesquelles s’appuieront en outre sur un centre de développement technologique commun qui sera construit à Aldermaston au Royaume-Uni.

L’objectif, ici, est tout simplement de garantir l’efficacité et la pérennité de notre dissuasion atomique sans réaliser d’essais nucléaires, conformément aux engagements pris à la fois par la France et par le Royaume-Uni. Cette mise en commun d’un outil scientifique de pointe constitue également –une importante source d’économies pour nos deux pays, un aspect qui retiendra, j’en suis certain, l’attention du Sénat.

Les coûts de construction, d’exploitation puis, à terme, de démantèlement de l’installation seront partagés équitablement. Les scientifiques et les experts des deux parties mettront en commun leur expérience, ce qui fera réaliser à nos deux États des gains financiers.

Par ailleurs, le partage de l’installation EPURE se fera dans le strict respect de l’indépendance de nos dissuasions respectives. Chaque pays conservera – je sais que vous y êtes attentif, mesdames, messieurs les sénateurs – la propriété et la responsabilité des produits testés et des sous-produits générés.

Il s'agit donc ici d’une première déclinaison concrète opérationnelle de ce que le rapprochement entre la France et le Royaume-Uni en matière de défense peut produire de meilleur.

Enfin, ce traité illustre notre capacité à créer des synergies et à approfondir notre politique européenne de défense. Dans la période actuelle, il constitue véritablement un message d’espoir : il est possible de faire avancer la coopération européenne sur ces questions.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle ce traité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la signature du traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, que nous examinons aujourd’hui, figure parmi les décisions essentielles prises lors du sommet franco-britannique de Londres, le 2 novembre 2010.

La construction par la France et le Royaume-Uni, sur notre territoire, d’un outil d’expérimentation commun voué à la simulation pour les armes nucléaires constitue, en effet, un projet remarquable à la fois par sa dimension scientifique et par le montant des économies qu’il permettra de réaliser.

Toutefois, ce projet est surtout important par sa dimension stratégique. Il touche à la dissuasion nucléaire et engage une coopération européenne dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait jusqu’ici une relation pratiquement exclusive avec les États-Unis.

Je formulerai trois observations.

Premièrement, ce traité s’inscrit, bien entendu, dans le cadre de la relance de notre coopération bilatérale de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni.

Le sommet de Londres a assigné une feuille de route ambitieuse à cette coopération. Celle-ci s’appuiera d’ailleurs sur une autre convention, à vocation plus générale, un traité-cadre de coopération qui, en application de nos règles constitutionnelles, ne nécessite pas d’approbation parlementaire avant sa ratification.

La France et le Royaume-Uni visent le même objectif : il s’agit de préserver des capacités militaires essentielles ainsi qu’une base industrielle et technologique de premier plan, malgré un contexte budgétaire difficile.

Je rappelle que le Royaume-Uni a prévu de réduire de 8 % son budget de défense d’ici à 2015, avec des conséquences telles que le retrait de son porte-avions et un « trou capacitaire » sur l’aviation embarquée jusqu’en 2020, la renonciation à l’aviation de patrouille maritime, la réduction de format de la flotte de surface, de l’aviation et des forces terrestres.

Certes, on peut estimer que, si les Britanniques s’orientent vers des coopérations accrues avec la France, c’est sans doute moins par choix que par nécessité.

Par ailleurs, il ne faut pas méconnaître les obstacles potentiels à la mise en œuvre de ce partenariat, par exemple les contraintes liées aux arbitrages financiers propres à chaque pays ou les inévitables différences d’appréciation portant sur les besoins opérationnels et les priorités industrielles.

Il me semble, toutefois, que les décisions annoncées à Londres concilient l’ambition et le pragmatisme. Les objectifs qui ont été identifiés portent sur un nombre limité de domaines, présentant un intérêt majeur pour l’un et l’autre pays.

Je pense, bien entendu, à la dissuasion nucléaire, mais également aux systèmes de combat sous-marins, aux satellites de télécommunications, aux drones d’observation et de combat et aux missiles, avec le projet « One MBDA » visant à constituer un secteur franco-britannique des armes complexes.

Cette relance de la coopération supposait une impulsion politique forte, qui devra être maintenue dans la durée. C’est pourquoi il faut se féliciter que le traité-cadre de coopération ait prévu une structure de pilotage située au plus haut niveau, c’est-à-dire celui du Président de la République française et du Premier ministre britannique. À l’échelon immédiatement inférieur, deux autres organes, relevant respectivement des chefs d’état-major interarmées et des directeurs nationaux de l’armement, permettront de superviser la mise en œuvre des projets communs.

C’est également pour soutenir cette dynamique de coopération que le président de notre commission, Josselin de Rohan, s’est fortement investi dans la mise en place d’un suivi parlementaire franco-britannique. La première réunion associant les commissions de la défense des deux chambres du Royaume-Uni et de la France a eu lieu au Sénat quelques jours après le sommet de Londres. La prochaine se tiendra au mois de juillet 2011.

Je voudrais à présent revenir sur le débat dans lequel on a cherché à opposer le renforcement de notre coopération bilatérale avec le Royaume-Uni et l’avenir de l’Europe de la défense.

Je ne conteste pas que, dans un premier temps, notre démarche ait pu susciter des interrogations chez certains de nos partenaires, voire froisser quelques susceptibilités. Néanmoins, je suis certain que, au final, elle ne peut avoir qu’un effet stimulant.

D’ailleurs, cette méthode de coopération réaliste, fondée sur de véritables besoins et calendriers communs, a été montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers. Elle témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables.

Il est souhaitable que d’autres groupes de pays engagent, sur le même modèle, des coopérations de nature à permettre une meilleure utilisation de leurs ressources.

Au demeurant, la coopération franco-britannique n’est pas exclusive de la participation d’autres partenaires européens aux projets décidés en commun, dès lors, bien sûr, que ces États visent les mêmes objectifs. Elle ne s’oppose pas non plus à d’autres formats d’association, car elle ne couvre pas, loin de là, tout le champ potentiel des coopérations. À titre d’exemple, nous travaillons avec le Royaume-Uni sur les satellites de télécommunications et avec d’autres pays sur les satellites d’observation.

Enfin, il faut rappeler que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de toute la gamme des capacités militaires, ce qui se reflète dans le niveau de leurs budgets de défense. Leur statut international et l’étendue des relations qu’ils entretiennent sur tous les continents les amènent objectivement à jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité internationale.

Il est évident qu’un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays non seulement obéissent à leurs intérêts nationaux, mais aussi contribuent à maintenir une participation européenne significative dans l’OTAN et une base solide pour les opérations de la politique de sécurité et de défense commune.

On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l’Europe en matière de défense pour reprocher aujourd’hui à ce pays une coopération renforcée avec l’autre acteur militaire majeur qu’est la France.

Pour toutes ces raisons, cette coopération, bien qu’elle soit bilatérale, me paraît incontestablement utile pour l’Europe dans son ensemble.

Deuxièmement, j’évoquerai le traité qui nous est soumis aujourd’hui. Celui-ci touche au domaine de la dissuasion nucléaire et constitue un volet marquant des décisions prises à Londres.

Il faut le rappeler d’emblée, ce traité porte sur un aspect bien délimité et précis des programmes nucléaires militaires des deux pays : les techniques de simulation permettant de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires sans essais en grandeur réelle.

Il faut le souligner également, cette coopération ne porte pas sur la mise au point des armes elle-même. Il s’agit de partager l’utilisation d’une installation construite en commun, où chacun pourra effectuer séparément ses propres expérimentations, en pleine souveraineté.

Comme la France, le Royaume-Uni a signé en 1996 le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE. Nos deux pays ont d’ailleurs déposé le même jour, le 6 avril 1998, leur instrument de ratification.

Comme la France, le Royaume-Uni recourt à la simulation pour valider le fonctionnement de ses armes. Pour mettre en œuvre cette capacité, les deux pays font appel à des ressources similaires : des moyens de calcul, des travaux de physique théorique, enfin la validation expérimentale de ces derniers grâce à deux grands types d’outils, à savoir, d'une part, des lasers extrêmement puissants et, d'autre part, des installations radiographiques pour étudier l’étape initiale du fonctionnement de l’arme, ce que l’on appelle la « phase froide ». C’est sur ces installations radiographiques que porte le traité du 2 novembre dernier.

La direction des applications militaires – la DAM – du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique, et son homologue britannique, l’Atomic Weapons Establishment, ou AWE, préparaient séparément des projets comparables de perfectionnement de leurs installations.

Constatant une grande convergence de besoins et de calendriers, ils sont arrivés à la conclusion qu’une installation commune permettrait de satisfaire les besoins de chaque pays. Il restait, sur ce domaine hautement sensible, à obtenir le dernier accord, l’accord politique, et à définir des modalités pratiques apportant à chaque pays les mêmes garanties que s’ils disposaient d’une installation strictement nationale.

Le traité que nous examinons aujourd’hui constitue l’aboutissement de ces discussions. Mon rapport écrit comporte tous les détails sur cette installation commune qui sera réalisée au centre du CEA situé à Valduc, en Côte-d’Or, et qui se dénommera EPURE, pour Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair.

Le traité du 2 novembre 2010 formalise le contenu, le déroulement et le calendrier du programme. Il pose le principe du partage des coûts pour la construction et le fonctionnement de l’installation. Les dispositions relatives aux garanties et modalités d’accès sont particulièrement importantes.

La France – je le rappelle – s’engage à garantir l’accès du Royaume-Uni à EPURE durant cinquante ans. Le Royaume-Uni prend l’engagement réciproque pour le centre de recherches commun qui sera créé à Aldermaston.

Le traité prévoit le statut des zones dédiées à une utilisation exclusivement nationale, dont l’accès est régi par les autorités de chaque pays. Il comporte également une série de dispositions très précises sur les règles applicables en matière de sûreté, de gestion des déchets ou de responsabilité.

Troisièmement, enfin, le traité que vous examinez aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, et la coopération qu’il permet d’engager m’apparaissent comme des résultats marquants du sommet de Londres.

D’abord, cette coopération permettre de réaliser, grâce au partage des investissements, une économie appréciable pour la France : 200 millions d’euros entre 2015 et 2020, 200 millions à 250 millions d’euros après 2020, soit, au total, entre 400 millions et 450 millions d’euros sur la durée de vie de l’installation.

Ensuite, chaque pays conservera l’entière responsabilité de ses expériences et la propriété des résultats, mais le regroupement sur un même site sera propice aux échanges scientifiques et à l’émulation qui s’ensuit. Il s’agit d’un élément non négligeable dans la perspective du maintien, sur le long terme, de la qualité et de la motivation des scientifiques en charge de la garantie de nos armes.

Enfin, cette coopération en matière nucléaire militaire comporte une dimension politique majeure. Elle s’effectuera dans le plein respect de la souveraineté de chaque État. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, elle témoigne de leur très haut degré de confiance, dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait historiquement une relation privilégiée avec les États-Unis.

Elle marque aussi très clairement la volonté de la France et du Royaume-Uni de garantir la crédibilité de leur dissuasion. Nos deux pays présentent, en matière de dissuasion nucléaire, une grande proximité de doctrine et de postures. C’est pourquoi ils ont soutenu des positions similaires lors du débat nucléaire qui a marqué l’année 2010, à la conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, et à l’OTAN, au moment de la rédaction du nouveau concept stratégique.

Dans le préambule du traité du 2 novembre 2010, la France et le Royaume-Uni soulignent « l’importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible ».

Cette crédibilité est essentielle au regard de la défense de chacun des deux pays, mais elle joue également un rôle plus large, à l’échelle européenne.

Comme ils le rappellent également dans le préambule du traité, la France et le Royaume-Uni considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l’Europe dans son ensemble ».

Il me semble que ce traité conforte le maintien d’une capacité de dissuasion nucléaire en Europe. La possession d’une telle capacité par des pays européens reste nécessaire dans un monde marqué par la subsistance d’arsenaux importants et le risque de prolifération nucléaire, notamment au Moyen-Orient.

En conclusion, je voudrais saluer la qualité du travail préparatoire réalisé par la direction des applications militaires du CEA et par son équivalent britannique. Ils ont rendu possible ce projet, qui présente un intérêt financier évident pour notre défense et donne une nouvelle dimension tout à fait stratégique à notre coopération avec le Royaume-Uni.

Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je vous demande d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi autorisant la ratification du traité signé en novembre 2010 avec le Royaume-Uni, relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, nous donne l’occasion d’évoquer la politique de défense de notre pays à l’échelon européen.

En effet, derrière cet intitulé anodin, c’est de la coopération franco-britannique dans le domaine nucléaire militaire qu’il s’agit.

Une telle coopération a évidemment une portée politique et stratégique majeure qui ne peut être comprise et expliquée que dans le contexte plus large de notre posture vis-à-vis de la politique européenne de sécurité et de défense.

L’autre traité de coopération, signé en même temps et portant sur ces questions, ne nécessite pas, à proprement parler, de ratification parlementaire, mais je l’intégrerai dans le même ensemble.

Ces sujets auraient mérité d’être débattus devant le Parlement préalablement à la signature de ces accords bilatéraux, car ils marquent une évolution stratégique qui sonnera vraisemblablement le glas de la défense européenne.

Monsieur le ministre, avec ces accords, votre gouvernement fait le constat de l’incapacité des nouveaux instruments institutionnels du traité de Lisbonne à poursuivre la mise sur pied d’une défense européenne.

Souvenons-nous, par ailleurs, que le sommet de Londres est chronologiquement antérieur au sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Lisbonne. Au cours de celui-ci, le Président de la République avait de nouveau procédé à une évolution de ses orientations stratégiques concernant la défense antimissile et le nouveau concept de l’Alliance.

Nous n’avions pu avoir un débat parlementaire qu’une fois les décisions prises. C’est même à l’occasion d’une conférence de presse à Londres que ces accords bilatéraux de partenariat stratégique ont été présentés de façon abrupte et cavalière, tant à l’égard de la représentation nationale que de nos alliés européens.

En effet, ils ont été annoncés sans avoir été prévus dans la loi de programmation militaire, sans que soit précisée une doctrine d’emploi, sans information préalable ni consultation du Parlement et de l’Allemagne, notre partenaire jusqu’ici privilégié.

Cette subite relance de la coopération avec le Royaume-Uni avait, à l’évidence, été motivée par le pragmatisme et le souci de mutualiser des équipements coûteux afin de faire face aux réductions budgétaires militaires imposées par la crise.

C’est certainement une condition nécessaire si nous voulons prétendre garder notre rang parmi les puissances militaires.

Mais, à la différence du sommet de Saint-Malo de 1998, qui marquait une adhésion, certes toute relative, de nos alliés britanniques à l’Europe de la défense, et qui pouvait avoir un effet d’entraînement sur nos partenaires européens, les traités de Londres sont très étroitement bilatéraux.

De fait, ils ne faciliteront pas d’autres coopérations européennes à plus long terme. En outre, leur caractère souvent plus intentionnel que concret les fragilise en les mettant à la merci d’éventuels changements de situations politiques et économiques dans nos deux pays.

Les conséquences de ces accords vont également bien au-delà d’une simple mutualisation. Il ne s’agit pas uniquement de mettre en commun des capacités, des matériels et de créer une force militaire conjointe de 5 000 hommes pour des opérations extérieures. Il s’agit également d’envisager le rapprochement de nos deux industries de défense et la fusion, à terme, des moyens de recherche et de développement sur certains programmes. Vous voulez surtout, monsieur le ministre, mettre en œuvre une coopération sur les ogives nucléaires, en partageant ces technologies dans des laboratoires communs de simulation et de modélisation.

Quand on connaît dans ce domaine la dépendance des Britanniques envers les Américains, on peut craindre une perte d’autonomie de la dissuasion nucléaire française, notion à laquelle le Président de la République prétend pourtant être toujours très attaché. Cet accord repose aussi sur le pari hasardeux d’un relâchement des liens entre la Grande- Bretagne et les États-Unis.

Mais ma critique la plus vigoureuse de ces recherches communes porte sur leur motivation. Je considère qu’elles ont davantage pour objectif de moderniser et de renforcer notre arsenal nucléaire que de strictement garantir sa crédibilité.

En cela, vous interprétez très largement le principe de stricte suffisance, l’un des fondements de la doctrine militaire française.

Et vous ne vous conformez pas non plus à l’un des engagements fondamentaux du traité de non-prolifération nucléaire de ne pas procéder à la recherche de nouveaux systèmes d’armes.

Après notre réintégration complète dans le commandement militaire de l’OTAN, qui nous a fait perdre l’autonomie stratégique que nous conférait notre spécificité au sein de l’Alliance, et qui nous avait été présentée comme devant permettre le développement d’une défense européenne autonome, ces accords franco-britanniques se situent dans la continuité des revirements et des contradictions du Président de la République en matière de défense.

Où est la cohérence entre la réintégration totale dans l’OTAN, la recherche d’une défense européenne commune et cette coopération bilatérale renforcée avec le Royaume-Uni ?

Il y a là des postures contradictoires, mises en œuvre par une stratégie à géométrie variable.

Cette relance d’une coopération strictement bilatérale ainsi que la crise récente en Lybie marquent désormais la fin de toute possibilité de défense européenne. Vous en avez fait le constat, et contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, je doute fort que ces accords aient un effet d’entraînement sur nos partenaires européens.

La gestion de la crise en Lybie a illustré de façon malheureuse cette incapacité de l’Union européenne à exister réellement comme puissance, à définir et à mettre en œuvre une politique de défense et de sécurité commune et autonome.

Notre pleine réintégration dans l’OTAN n’aura donc pas atteint l’objectif affiché par le Président de la République. Monsieur le ministre, l’Union européenne restera, en réalité, cantonnée à l’humanitaire, à n’être qu’une « grosse ONG », selon votre pertinente expression.

Dans cette affaire, c’est l’OTAN qui est devenu le bras armé de l’Union européenne.

Par mon intervention, je pense avoir démontré que l’autorisation de ratification de ce projet de loi soulève de nombreuses questions révélatrices des profonds désaccords du groupe CRC-SPG avec la politique que vous menez. Nous ne voterons donc pas ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes nous offre l’occasion de nous exprimer sur la coopération franco-britannique en matière de défense. Ce traité représente une petite partie d’une coopération qui serait plus vaste et plus stratégique.

Comme l’a déjà dit le rapporteur, le sommet qui s’est tenu à Londres le 2 novembre 2010 a produit un traité de défense et de sécurité, destiné à approfondir dans le long terme la coopération bilatérale entre les forces armées des deux États.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui en fait partie, certes, mais en votant ce texte, on ne peut pas laisser croire…. (M. le ministre s’entretient avec un sénateur de l’UMP.)

Monsieur le ministre, si je vous dérange dans votre conversation, je peux m’arrêter. Vous avez, me semble-t-il, d’autres occasions de vous entretenir avec les membres de l’UMP. Votre attitude est inconvenante et manque de courtoisie.

M. le président. Mon cher collègue, veuillez poursuivre.

M. Jean-Louis Carrère. Je disais donc qu’on ne peut laisser croire que l’on vote et que l’on approuve l’ensemble de l’association militaire entre la France et le Royaume-Uni, d’autant qu’une telle association mérite encore d’être précisée.

Cela m’inspire une première question, monsieur le ministre : quels sont les différents aspects de cette coopération bilatérale ?

Je voudrais évoquer le traité de Londres de novembre 2010.

N’oublions pas qu’il y a eu, entre Français et Britanniques, l’accord de Saint-Malo en 1998. Toutefois, une différence existe entre ces deux moments de l’entente franco-britannique et, comme l’a souligné Michelle Demessine, elle est de taille !

L’accord de Saint-Malo, dont les signataires français étaient MM. Chirac et Jospin, était destiné à développer et à consolider la défense européenne et à donner un nouvel élan aux industries et technologies de la défense. Ainsi, il permettait à la Grande-Bretagne de s’insérer utilement dans la construction de la politique européenne de sécurité et de défense. Sur le plan industriel, les avancées ont été importantes ; sur le plan politique européen, en revanche, les espoirs d’alors n’ont pas tous été concrétisés.

Rien de tel aujourd’hui dans l’accord de Londres. Celui-ci confirme bien une démarche, utile certes, peut-être même d’avenir, mais qui reste exclusivement bilatérale.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur : outre-Rhin, certains commentateurs ont cru voir dans le nouveau traité de Londres l’amorce d’une politique antiallemande et se sont interrogés sur les raisons d’une telle entente bilatérale excluant les autres pays européens.

Je vous pose donc une deuxième question, monsieur le ministre : envisagez-vous d’ouvrir cette coopération à des pays européens qui manifesteraient leur intérêt ?

Sans doute ce traité marque-t-il un tournant majeur dans notre coopération avec les Britanniques. Mais « l’horizon OTAN » ne peut pas être l’alpha et l’oméga de notre politique européenne. Nous aimerions donc savoir si une vision commune se dégage pour faire progresser l’Europe de la défense, aujourd’hui en panne.

L’entente franco-britannique peut aisément se comprendre quand il s’agit du domaine nucléaire militaire.

Le maintien du principe de dissuasion au sein du concept stratégique de l’OTAN, qui était pourtant, semble-t-il, contesté par l’Allemagne, est une preuve de l’utilité de la coopération franco-britannique. Mais le nucléaire militaire n’est que l’un des aspects du problème.

Monsieur le ministre, si ce traité est l’expression de la volonté de créer une alliance forte entre les deux principales puissances militaires européennes, quel est le but politique de cette alliance et quels sont ses objectifs stratégiques ?

Pour ma part, je reste persuadé que l’ensemble de la politique de défense de la France doit s’inscrire dans une coopération approfondie avec ses partenaires de l’Union européenne, si possible avec l’ensemble de ces pays.

Venons-en au contenu même du projet de loi qui concerne en particulier le domaine des technologies liées aux arsenaux nucléaires, dont les aspects techniques ont déjà été très bien explicités par le rapporteur.

La construction et l’exploitation conjointes d’une installation de physique expérimentale, dénommée EPURE, à Valduc, en Bourgogne, apparaît comme une application concrète de l’alliance franco-britannique.

D’autres coopérations devraient suivre, mais, pour l’instant, seul le projet EPURE est véritablement finalisé. La feuille de route établie au sommet de Londres est fort ambitieuse. Il ne faudrait pas qu’elle suive le même chemin que tant d’autres projets présidentiels…

L’installation EPURE permettra de réaliser une économie importante. C’est une promesse, un vœu pieux, presque un acte de foi ! Mais peut-on croire cela aujourd’hui ? Nous voudrions que cela soit vrai. Hélas ! monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, votre gouvernement, et les précédents depuis 2002, ne nous ont pas habitués à la sincérité budgétaire.