Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, signé à Londres le 2 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, vous allez un peu vite lorsque vous interprétez l’attitude des Anglais comme le signe d’une modification de leur stratégie de défense, en quelque sorte d’un basculement de l’Alliance atlantique vers l’Europe. Il faut faire preuve de prudence. (M. le ministre acquiesce.)

Pour ma part, je souscris à cette alliance bilatérale avec le Royaume-Uni. Malgré tout, je ne partage pas complètement l’enthousiasme du président de Rohan. La constitution d’une telle alliance ne me semble pas être la meilleure voie pour préparer l’Europe de la défense et de la sécurité.

Mais si l’on m’apporte la preuve que d’autres pays peuvent nous rejoindre en cours de route, j’en serai bien évidemment satisfait. Mes inquiétudes auront alors simplement été excessives.

Je ne nourris pas non plus l’optimisme quelque peu excessif de Mme Garriaud-Maylam et de quelques autres orateurs, y compris parfois de M. le rapporteur, sur les économies qui pourraient résulter de cet accord.

Que n’ai-je entendu, depuis quelques années ? J’ai entendu que les bases de défense, l’externalisation, allaient entraîner des économies exceptionnelles. Or, rendez-vous compte, mes chers collègues, nous en sommes à demander un audit de la Cour des comptes !

Pardonnez-moi de vous conseiller, madame Garriaud-Maylam – peut-être parce que j’ai été trop longtemps instituteur ! – d’employer le futur plutôt que le présent lorsque vous évoquez ce qui va se passer dans les années à venir. Le temps n’est pas venu de la réalisation de cet accord, qui n’a pas encore été ratifié, même si je comprends que vous votiez ce texte avec beaucoup d’enthousiasme.

Pour ma part, parce que la raison me dicte de le faire, je voterai ce projet de loi, mais avec un moindre engouement.

M. Josselin de Rohan. L’essentiel, c’est de voter !

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est l’assemblée des territoires. Nous avons évoqué les économies à réaliser, mais en tant que sénateur de la Côte-d’Or, je suis préoccupé par l’impact économique du site du CEA de Valduc, implanté sur un hameau de ma commune.

Alors que nous examinons le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, je crois opportun de vous demander, monsieur le ministre, quel sera l’impact des investissements ainsi réalisés sur le territoire national.

Vous n’ignorez pas que, plus que jamais, le nucléaire fait aujourd’hui l’objet de nombreuses contestations citoyennes, souvent excessives, mais globalement respectables. Aussi est-ce en prenant toutes les précautions nécessaires que de tels projets doivent être poursuivis.

Comme le démontre le rapport de notre collègue Xavier Pintat, l’État met tout en œuvre pour limiter les risques inhérents à ces investissements sur le territoire national. Il en va ainsi des questions liées à la sécurité, au traitement des déchets et à la responsabilité en cas de dommages.

Cependant, toutes ces précautions ne sauraient suffire, si les territoires et les populations voient seulement des inconvénients à l’accueil de tels investissements. Je pense en particulier à la commune que je connais le mieux, la mienne, qui accueille le centre du CEA de Valduc.

Voilà plusieurs dizaines d’années que les peurs se cristallisent autour d’un complexe industriel du secteur de la défense, bénéficiant du statut d’établissement industriel et commercial, qui use et abuse du territoire sans contribuer au développement local et qui se refuse à s’acquitter de ses obligations en matière de fiscalité locale, au détriment des populations vivant sur le territoire.

Pour faciliter l’acceptabilité de tels investissements, il faut que le CEA s’acquitte loyalement de toutes ses obligations fiscales.

M. Jean-Louis Carrère. Qu’il le fasse avec les économies de Mme Garriaud-Maylam !

M. Alain Houpert. Je vous parle non pas d’économies, mais de solidarité humaine et territoriale.

Si, à l’inverse, le CEA refuse de s’acquitter loyalement de ses obligations fiscales, il s’inscrit dans une relation de défiance avec le territoire et de désintérêt pour l’avenir de ce dernier et compromet la pérennité de ses propres activités.

Je prendrai un seul exemple : 90 % des employés du CEA de Valduc habitent à plus de 30 kilomètres du site. De tels chiffres illustrent la défiance qui s’installe entre le CEA et le territoire, ainsi que le manque d’empathie de celui-là pour celui-ci.

Je crois donc nécessaire, monsieur le ministre, que vous affirmiez avec force, avant que nous ne passions au vote, que le CEA, afin de ne compromettre ni son avenir ni celui du territoire sur lequel est implanté son centre, doit d’acquitter loyalement de ses obligations fiscales, s’agissant en particulier de la contribution économique territoriale et de la taxe foncière – taxations au sujet desquelles le CEA a d’ailleurs fait l’objet d’une condamnation par le tribunal administratif en 1999, puis par la cour administrative d’appel de Lyon, et, enfin, par le Conseil d’État.

Je forme le vœu que le CEA devienne un établissement pleinement citoyen et qu’il se mette en conformité avec ses obligations citoyennes françaises et européennes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre. Ce n’est pas l’élu local que je suis qui désapprouvera l’engagement de M. Houpert pour la défense de son territoire. Il a tout à fait raison de porter ce flambeau.

Il s’agit de faire en sorte que le CEA, qui est d’abord une chance potentielle pour le territoire de la Côte-d’Or, ait la volonté de créer des liens avec les communes alentour, afin d’être un véritable vecteur de développement.

Ce traité de coopération, qui conduit à un renforcement du rôle du CEA, doit s’accompagner d’une réflexion sur la manière de faire bénéficier l’environnement des retombées positives : le CEA ne doit pas être un centre « hors-sol ».

Je crois pouvoir assurer M. Houpert que le ministre d’État Alain Juppé, ainsi que les services du Quai d’Orsay, sont très attentifs à cette question. Nous pourrons donc travailler avec lui pour développer les liens qu’il a évoqués et assurer à l’ensemble de ses administrés des retombées visibles et concrètes : le CEA doit être perçu non plus comme une entité extérieure, mais comme un atout.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne
Discussion générale (suite)

Effets sur l'agriculture des départements d'outre-mer des accords commerciaux conclus par l'Union européenne

Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par MM. Serge Larcher et Éric Doligé (proposition n° 226, rapport n° 310).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Larcher, co-auteur de la proposition de résolution.

M. Serge Larcher, co-auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 septembre 2010, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil une proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, les RUP.

Il s’agit en fait d’une refonte du régime existant appelé POSEI – programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité. Ce programme a été mis en place voilà plusieurs années déjà pour tenir compte de la situation économique et sociale des RUP.

Il répond à deux objectifs : garantir l’approvisionnement des régions ultrapériphériques en produits agricoles, en exonérant de droits de douane certains produits importés ; soutenir l’activité agricole par le biais de mesures en faveur des produits agricoles locaux.

Ce régime a fait la preuve de son efficacité, notamment depuis qu’il a été rendu plus flexible en 2006. Dans un rapport publié en octobre 2010, la Cour des comptes européenne a elle-même reconnu l’importance du programme POSEI pour l’agriculture des RUP.

Pour l’outre-mer français, ce programme a représenté 278 millions d’euros l’an dernier.

La proposition de règlement que soumet la Commission ne modifie pas fondamentalement le soutien communautaire à l’agriculture des RUP. Tant mieux, me direz-vous ! En réalité, il faut s’en alarmer.

En effet, le règlement du 19 décembre 2006, qui a étendu le règlement POSEI au secteur de la banane, a admis que, s’il était constaté un changement significatif dans les conditions économiques affectant les sources de revenus dans les régions ultrapériphériques, la Commission européenne devait en tenir compte.

Et c’est bien là que le bât blesse, car la situation a considérablement changé pour l’agriculture ultramarine ces derniers mois.

Ainsi, le 15 décembre 2009, a été conclu l’accord multilatéral de Genève sur le commerce de la banane et, au printemps 2010, l’Union européenne a conclu des accords commerciaux avec l’Amérique centrale, d’une part, et avec la Colombie et le Pérou, d’autre part.

Or, la proposition de la Commission feint d’ignorer les conséquences désastreuses que risquent d’avoir ces accords commerciaux pour l’agriculture en outre-mer.

En nos qualités respectives de rapporteur et de président de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, qui s’est réunie en 2009, Éric Doligé et moi-même avons jugé nécessaire d’intervenir.

C’est au nom du comité de suivi des orientations de cette mission, comité créé en octobre 2009, que nous avons donc déposé le 18 janvier 2011 une proposition de résolution européenne pour dénoncer l’indifférence ou le désintérêt de la Commission européenne à l’égard des effets de ces divers accords commerciaux sur l’agriculture des départements d’outre-mer.

En quoi consistent ces accords ?

Les textes viennent seulement d’être paraphés et n’ont pas encore été transmis au Parlement au titre de l’article 88-4 de la Constitution, bien que leur conclusion remonte à plus d’un an.

Néanmoins, selon les informations disponibles, nous savons quelles avancées l’Union européenne a obtenues : il s’agit, essentiellement, de la fin des barrières douanières pour ses industries – surtout l’automobile – et d’un meilleur accès aux marchés péruvien et colombien des vins et spiritueux et des produits laitiers.

En contrepartie, les deux États andins ont obtenu une amélioration du potentiel d’exportation de bananes, de sucre, de rhum et d’autres produits agricoles, affectant le cœur de nos économies ultramarines.

Plus précisément, concernant la banane, production emblématique de nos îles, l’Union européenne va abaisser ses droits de douane à 75 euros par tonne au 1er janvier 2020.

Déjà, l’accord multilatéral de Genève sur le commerce de la banane, signé en décembre 2009, s’était conclu par un abaissement progressif des droits de douane de 176 euros à 114 euros la tonne d’ici à 2017.

C’est donc une baisse supplémentaire de 40 euros par tonne qui est consentie sur la taxation des bananes importées des pays andins.

Pour la banane, il est certes prévu une sauvegarde spéciale déclenchant une suspension du traitement préférentiel en cas de forte augmentation des importations en provenance de ces pays, mais celle-ci cessera de s’appliquer lorsque le droit préférentiel aura atteint 75 euros par tonne en 2020.

Pour ce qui est du sucre et des produits à teneur élevée en sucre, des contingents à droit nul, assortis d’un taux de croissance annuel, sont consentis à la Colombie et au Pérou.

Pour le rhum, des contingents à droit nul s’appliqueront là aussi pour la Colombie et le Pérou et augmenteront chaque année.

Les lignes tarifaires sur le rhum en bouteille seront, pour leur part, démantelées en trois ans.

Enfin, il faut souligner que le commerce des produits de la pêche sera lui aussi très largement libéralisé, avec les conséquences que l’on sait sur ce secteur déjà en difficulté.

De facto, la France et, disons-le sans détour, ses départements d’outre-mer sont incontestablement les premiers contributeurs à ces accords.

C’est pour notre pays que le déséquilibre entre les concessions opérées sur les produits sensibles et les résultats obtenus sur le plan offensif apparaît le plus frappant.

En effet, mes chers collègues, l’économie agricole des RUP françaises est extrêmement dépendante de ces productions. Ainsi, en 2007, la banane représentait 57 % de la production agricole en Martinique et 18 % en Guadeloupe. La canne à sucre, quant à elle, représentait 20 % de la production agricole en Guadeloupe et 7 % en Martinique.

Notre commerce extérieur est lui aussi étroitement lié à ces produits. Pour la Guadeloupe, par exemple, le sucre représente près de 30 % des exportations en valeur, la banane plus de 14 % et le rhum près de 12 % ; à La Réunion, le sucre représente 38,5 % des exportations en valeur.

Il nous faut sauvegarder l’essentiel, à savoir les dizaines de milliers d’emplois qui sont en jeu derrière ces pourcentages.

Si nous laissons nos marchés locaux – je dis bien « locaux » – être envahis de produits d’Amérique latine, que deviendra notre agriculture ? Et nos agriculteurs ?

Les concessions commerciales accordées par l’Union européenne ne peuvent s’entendre sans compensation pour préserver la fragile production agricole locale.

Il n’est pas pensable d’exposer, sans garde-fous, nos agriculteurs à la concurrence des pays d’Amérique latine, dont les producteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

En effet, faut-il que je rappelle ici que c’est la législation sociale française qui s’applique, bien heureusement, pour les ouvriers agricoles des départements d’outre-mer ? Inutile de vous dire que les conditions de travail, les conditions salariales, les conditions sociales dans les pays tiers que nous évoquons sont d’un autre siècle, faussant totalement le jeu normal de la concurrence.

Faut-il également que je rappelle que, dans un monde où le développement durable est devenu une préoccupation majeure, la banane antillaise est désormais la plus propre au monde ?

Quand les producteurs colombiens pratiquent soixante traitements phytosanitaires par an, nous en réalisons moins de dix ! Mais tout cela a un coût, bien sûr. Il convient donc d’être attentif à ne pas ruiner ces efforts.

Ces compensations pourraient prendre la forme de mesures de protection du marché des RUP, par exemple, s’agissant de la banane, la mise en place d’un mécanisme de sauvegarde plus protecteur, pérenne et susceptible d’être automatiquement activé.

Pour le sucre et le rhum, ne pourrait-on pas envisager une limitation dans le temps des augmentations annuelles des contingents ?

La compensation devra aussi être financière, en dédommagement des pertes de recettes commerciales induites.

Le Parlement européen lui-même a appelé à la mise en place de compensations en faveur des producteurs des RUP lors de la ratification de l’accord de Genève sur la banane en février dernier.

Le Parlement relève que, d’ores et déjà, l’Union européenne a décidé de consacrer 200 millions d’euros sur la période 2010–2013 aux pays ACP producteurs de bananes pour les accompagner dans le processus d’ajustement nécessaire.

Symétriquement, les députés européens appellent à modifier les modalités de l’aide prévue dans le budget POSEI à l’attention des producteurs de l’Union pour que ces derniers soient en mesure de rester sur le marché et de poursuivre leurs activités traditionnelles.

Aux dernières nouvelles, et au terme de longues discussions, la Commission proposerait une compensation de 10 millions d’euros par an pour les trois États membres concernés – Espagne, France et Portugal –, soit seulement 4 millions d’euros pour la France !

Cette proposition est inacceptable pour notre pays, qui a estimé à 40 millions d’euros par an, soit dix fois plus, le besoin de compensation de pertes de revenus et de restructuration pour la filière.

Nous devons donc maintenir la pression sur la Commission européenne. Pour cela, nous avons besoin que vous souteniez notre démarche, mes chers collègues.

Je remercie d’ores et déjà les rapporteurs, Christian Cointat et Daniel Marsin, qui ont témoigné de leur soutien en enrichissant notre texte lors de son examen par la commission des affaires européennes et par celle de l’économie.

Une résolution européenne du Sénat permettra d’exprimer au Gouvernement notre attente sur le sujet. Celui-ci pourra ensuite l’invoquer utilement pour tenter d’obtenir gain de cause à Bruxelles dans la négociation en cours.

Mes chers collègues, je suis sûr que vous aurez à cœur, en adoptant cette proposition de résolution, de tout faire pour assurer l’avenir de l’agriculture des départements d’outre-mer, car elle est une composante majeure de leur santé économique et sociale.

Le démantèlement de l’agriculture réduirait à néant les perspectives de développement endogène préconisées par le Gouvernement.

Je suis également convaincu que chacun de vous a conscience que le problème qui est posé ici n’a pas un caractère marginal ou périphérique. Ce que pose au fond cette résolution, c’est le nécessaire rappel à nos partenaires européens et internationaux que, dans une économie qui se veut mondialisée et dont nous acceptons les règles, la France n’entend pour autant renoncer ni à son agriculture ni à son modèle social. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, co-auteur de la proposition de résolution.

M. Éric Doligé, co-auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me demande si ce débat n’a pas été programmé à cette heure tardive afin de permettre, grâce au décalage horaire, à nos concitoyens de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane d’assister à sa retransmission ! (Sourires.)

L’Union européenne a conclu, au cours des deux dernières années, plusieurs accords commerciaux qui représentent un danger pour l’agriculture de nos départements d’outre-mer : en décembre 2009, a été signé à Genève un accord sur le commerce des bananes avec les pays sud-américains, accord qui devait mettre un terme à la « guerre de la banane » ; lors du sommet de Madrid de mai 2010, deux accords commerciaux ont été officialisés avec la Colombie et le Pérou, d’une part, et avec l’Amérique centrale, d’autre part.

L’impact de ces accords sur l’agriculture des outre-mer est potentiellement dévastateur. En échange de la levée des barrières commerciales sur les produits industriels européens, les accords avec les pays andins et d’Amérique centrale prévoient en effet une ouverture du marché européen en matière agricole, notamment pour les productions de banane, de sucre et de rhum.

La Commission européenne reconnaît elle-même le danger de ces accords pour les économies ultramarines. Elle affirme, dans son rapport d’évaluation de la réforme du régime POSEI, qu’ils pourraient « avoir un effet sur la capacité concurrentielle des producteurs des régions ultrapériphériques sur le marché de l’Union européenne ».

Le Parlement européen a estimé, quant à lui, dans une résolution adoptée le 3 février dernier, que l’accord de Genève « met en danger les petits et moyens producteurs des ACP, de l’Union et de ses régions ultrapériphériques » qui « pourraient être significativement affectés ».

Les intérêts des agriculteurs ultramarins semblent donc avoir été sacrifiés par la Commission européenne au profit des intérêts de l’industrie européenne.

Face au danger représenté par ces accords, la proposition de résolution que nous avons déposée avec Serge Larcher, et dont je remercie les présidents Emorine et Bizet d’avoir demandé l’examen en séance publique, formule deux demandes essentielles.

La première est la compensation des effets de ces accords commerciaux sur les régions ultrapériphériques, la proposition de règlement opérant la refonte du régime POSEI paraissant le véhicule adapté pour déterminer les modalités de cette compensation.

La seconde est la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques dans la politique commerciale de l’Union, via l’évaluation systématique de l’impact sur ces régions des accords commerciaux négociés par la Commission européenne.

Notre collègue Serge Larcher a évoqué l’indispensable compensation des effets de ces accords sur les régions ultrapériphériques, je ne reviendrai donc pas sur cet aspect de la proposition de résolution.

Je souhaite, en revanche, m’attarder sur la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques sur le plan européen : il s’agit en effet, à mes yeux, d’un sujet essentiel, qui dépasse le simple cadre de la politique commerciale. La mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, l’avait souligné et la proposition de résolution se situe donc, de ce point de vue, dans la droite ligne de ses conclusions.

La proposition n° 62 de la mission commune d’information appelait ainsi à « renforcer la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques par l’Union européenne », tandis que la proposition n° 35 indiquait qu’il était nécessaire de « défendre une meilleure prise en compte des spécificités de l’agriculture et de la pêche ultramarines dans la réglementation européenne ».

La Commission européenne est peu sensible aux spécificités des régions ultrapériphériques. La proposition de refonte du règlement POSEI sur laquelle s’appuie la proposition de résolution en est une nouvelle illustration.

Ce texte repose, pour l’heure, sur les articles 42 et 43 du traité sur l’Union européenne, articles qui portent sur la politique agricole commune, la PAC, et non pas sur l’article 349 du traité, qui autorise des dérogations aux règles communautaires pour les régions ultrapériphériques. Il est pourtant indispensable que l’article 349 figure parmi les bases juridiques du règlement POSEI, d’un point de vue symbolique bien entendu, mais aussi et surtout parce que cela permettrait les exonérations de droits de douane prévues par le régime spécifique d’approvisionnement.

Monsieur le ministre, je tiens à saluer la mobilisation du gouvernement français sur cette question : son intervention a porté ses fruits. Il semble en effet que la Commission ait fait machine arrière et accepté de faire figurer l’article 349 parmi les bases juridiques du règlement.

La proposition de résolution demande donc que les spécificités des régions ultrapériphériques soient prises en compte par la Commission européenne dans les accords commerciaux qu’elle négocie, et ce notamment par des études d’impact préalables, semblables à l’étude d’impact de l’accord commercial envisagé avec le MERCOSUR, qui a été effectuée par la Commission européenne, à la demande des ministres de l’agriculture, pour l’ensemble de l’Union.

Cette demande est essentielle : la proposition de résolution constitue sur ce point un soutien à la position du Gouvernement.

Au cours des dernières années, les régions ultrapériphériques, la France, l’Espagne et le Portugal ont en effet demandé de façon récurrente la mise en place d’études d’impacts spécifiques aux régions ultrapériphériques : dans le mémorandum conjoint des RUP de 2009, était évoquée l’institution d’une « étude d’impact actualisée sur les effets sur l’économie des RUP de la libéralisation commerciale », tandis que le mémorandum de l’Espagne, de la France, du Portugal et des RUP de 2010 va plus loin en estimant indispensable « d’évaluer systématiquement les effets attendus des politiques de l’Union dans les RUP ».

Enfin, le 14 juin 2010, le Conseil de l’Union européenne a invité la Commission à « continuer à élaborer […] des mesures spécifiques pour les régions ultrapériphériques, à renforcer le partenariat et à évaluer systématiquement les effets des politiques de l’Union européenne sur les régions ultrapériphériques, notamment lors de la réalisation d’analyses d’impact ».

Ces études d’impact seront très utiles. Elles permettront au Gouvernement français d’influer sur la conclusion de tels accords et pourront, le cas échéant, justifier la mise en place de compensations.

Je remercie la commission de l’économie d’avoir complété utilement la proposition de résolution sur ce point : l’évaluation des effets de ces accords doit s’effectuer non seulement a priori, mais également au cours de la mise en œuvre des accords.

En conclusion, je souhaite saluer l’excellent travail effectué tant par la commission des affaires européennes et son rapporteur, Christian Cointat, que par la commission de l’économie et son rapporteur, Daniel Marsin.

J’espère que notre Haute Assemblée s’exprimera de façon unanime sur ce texte, démontrant ainsi, une fois encore, son attachement profond aux intérêts de nos outre-mer. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Marsin, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est rare que notre Haute Assemblée examine en séance publique une proposition de résolution européenne.

Depuis 1999, seules treize propositions de résolution ont ainsi été discutées dans cet hémicycle, et dix d’entre elles ont été adoptées. La dernière proposition de résolution adoptée en séance date de mars 2009, et portait sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes.

Notre discussion d’aujourd’hui illustre une nouvelle fois l’attention portée par notre Haute Assemblée à nos outre-mer. Je tiens d’ailleurs à remercier les présidents Jean-Paul Emorine et Jean Bizet qui ont demandé que nous débattions en séance publique de cette proposition de résolution.

Je rappelle au préalable que la proposition de résolution a été déposée le 18 janvier 2011 par nos collègues Serge Larcher et Éric Doligé, respectivement président et rapporteur du comité de suivi de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer. Je tiens à saluer leur initiative qui se situe dans la droite ligne des conclusions de la mission d’information, dont ils ont été les excellents président et rapporteur.

La commission des affaires européennes a examiné la proposition de résolution le 2 février 2011. Elle a voté six amendements présentés par son rapporteur, Christian Cointat, avant d’adopter le texte à l’unanimité.

La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est alors saisie du texte. Elle m’a fait l’honneur de me désigner rapporteur. Le 15 février dernier, elle l’a adopté, également à l’unanimité, après avoir accepté deux amendements que je lui avais proposés.

Avant d’en venir au contenu de la proposition de résolution, je souhaite « planter le décor ».

À cette fin, monsieur le ministre, je voudrais citer un court passage de votre excellente intervention lors du débat organisé dans ce même hémicycle le 11 janvier dernier, sur l’initiative des commissions de l’économie et des affaires européennes sur l’avenir de la politique agricole commune : « il ne sert à rien de se battre pour la PAC si on ne se bat pas non plus dans le cadre des négociations commerciales et du G 20. Il faut aborder les négociations commerciales internationales, notamment avec le MERCOSUR et dans le cadre de l’OMC, sans aucune naïveté et sans aucun complexe. C’est sans complexes que nous devons défendre notre agriculture, refuser les accords qui se feraient au détriment de l’agriculture et ne pas accepter que l’agriculture soit une nouvelle fois la monnaie d’échange dans un marché de dupes entre les pays sud-américains et l’Union européenne ».

Comment ne pas partager vos propos, monsieur le ministre ? Vous connaissez en effet tous, mes chers collègues, le risque que ferait peser un accord commercial entre l’Union européenne et le MERCOSUR sur l’agriculture européenne, notamment sur nos éleveurs. Une étude d’impact réalisée par la Commission européenne, à la demande des ministres de l’agriculture, a d’ailleurs montré qu’un tel accord pourrait conduire à une baisse du revenu agricole en France allant jusqu’à 3 %.

S’agissant des départements d’outre-mer, les DOM, il ne me semble pas exagéré de dire que des accords emportant des conséquences similaires pour les DOM à celles que pourrait avoir pour notre pays un accord avec le MERCOSUR ont été conclus par l’Union européenne au cours des derniers mois. C’est la raison pour laquelle cette proposition de résolution a été déposée.

Pourquoi les problématiques agricoles sont-elles vitales pour nos outre-mer ? Parce que, comme dans bien d’autres domaines, la situation des outre-mer est très spécifique en matière agricole. Je ne vous livrerai que quelques illustrations.

Tout d’abord, le poids économique de l’agriculture est essentiel dans les DOM : entre 1,7 % et plus de 4 % du PIB, contre 2,2 % pour la France hexagonale, et entre 2 % et 7,2 % de l’emploi, contre 2,3 % pour le territoire métropolitain. Les produits agricoles et agroalimentaires représentent 53 % des exportations de la Guadeloupe et 65 % de celles de la Réunion !

Par ailleurs, le législateur a fait de l’agriculture l’un des secteurs clés du développement endogène de ces territoires, dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer.

Enfin, l’agriculture des départements d’outre-mer reste dominée par deux filières traditionnelles d’exportation : la banane et la filière canne-sucre-rhum. Ces deux filières structurent l’économie des DOM : la filière banane représente près de 10 000 emplois dans les Antilles, ce qui en fait le premier employeur privé. La filière canne-sucre-rhum occupe près de 30 % de la surface agricole utile.

L’Union européenne prend d’ailleurs en compte ces spécificités. Sur le fondement de l’ancien article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, qui autorisait, au vu de leurs handicaps, la prise de mesures spécifiques aux régions ultrapériphériques, c’est-à-dire les DOM, les Açores, les Canaries et Madère, l’Union européenne a mis en place, au début des années quatre-vingt-dix, un dispositif spécifique de soutien, le programme POSEI.

Ce programme comprend deux volets : un régime spécifique d’approvisionnement, dont l’objet est d’alléger les coûts relatifs à l’approvisionnement, et des mesures d’aide à la production locale. Son bilan positif est reconnu par tous, y compris par la Commission européenne.

Ce programme n’est d’ailleurs pas en danger : la proposition de règlement sur laquelle s’appuie la proposition de résolution ne comporte que des ajustements formels et des modifications de fonds mineures.

Quels sont donc les faits à l’origine du dépôt de la proposition de résolution ?

Plusieurs accords signés par l’Union européenne mettent aujourd’hui en danger l’agriculture ultramarine et ont conduit les élus ultramarins à protester énergiquement.

D’une part, en décembre 2009, l’Union européenne a conclu à Genève avec certains pays sud-américains, un accord sur le commerce des bananes. Cet accord est censé, mais seulement censé, mettre fin à la « guerre de la banane » qui dure depuis le début des années quatre-vingt-dix. Il prévoit ainsi, en contrepartie de l’arrêt des procédures lancées contre l’Union européenne par les pays producteurs de banane latino-américains devant l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, une baisse importante des droits de douane européens, de 176 euros en 2009 à 114 euros en 2017, soit une diminution de 35 % en six ans.

D’autre part, en mai 2010, lors du sommet de Madrid, l’Union européenne a conclu deux nouveaux accords : le premier avec la Colombie et le Pérou, le second avec l’Amérique centrale.

Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens à souligner qu’il m’a été impossible d’obtenir le texte consolidé et traduit de ces accords avant l’examen de mon rapport en commission, soit près de dix mois après leur conclusion.