M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons, cet après-midi, le privilège de débattre sur plusieurs conventions fiscales internationales. Alors même que nous aurions pu voter ces projets de loi dans le cadre d’une procédure implicite, nos collègues du groupe CRC-SPG, qui n’avaient pu participer aux travaux de la commission des finances en la matière, ont souhaité l'organisation d’un débat public.

M. André Trillard. C’est réussi, aucun d’entre eux n’est là !

M. Henri de Raincourt, ministre. Ils vont sûrement arriver !

Mme Nicole Bricq. C’est de toute manière un débat utile !

M. Jean Arthuis, rapporteur. Visiblement, en effet, nos collègues sont soumis à de fortes contraintes de disponibilité…

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si la volonté politique donne naissance au droit, c’est son contrôle qui le nourrit et le fait vivre. Tel est l’enjeu de notre débat, demandé donc par le groupe CRC-SPG, sur l’adoption de huit projets de loi visant à ratifier les accords d’échange de renseignements signés avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria, ainsi que sur deux projets de loi tendant à approuver deux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong.

Si l’on excepte la convention de suppression de double imposition en matière de navigation aérienne et maritime signée avec l’Île de Man, la démarche du Gouvernement est de mettre fin au dumping fiscal, ainsi qu’aux pratiques dommageables des territoires qui cultivent le secret bancaire comme un avantage financier compétitif. Notre tâche est donc de nous assurer de la pleine effectivité de ces accords.

Le débat d’aujourd’hui nous permet, à titre liminaire, de faire le point sur l’état d’avancement de la mise en place du réseau conventionnel français dans le cadre de la politique de lutte contre les paradis fiscaux sur le plan tant multilatéral que bilatéral.

Notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur sur ces textes, étant dans l’impossibilité de se trouver aujourd’hui parmi nous, c’est à moi qu’il revient de présenter les conclusions de ses différents rapports. Il a mené ces dernières années, à ma demande, appuyée par l’opposition en la personne de Nicole Bricq, un travail d’approfondissement des conventions fiscales, dont le nombre a considérablement augmenté.

La commission des finances a, en effet, examiné, au cours des deux dernières années, trente-cinq projets de loi visant à ratifier soit des conventions relatives à la suppression des doubles impositions, soit des accords d’échange de renseignements en matière fiscale.

Ces derniers illustrent la volonté politique française, clairement exprimée, de mettre fin à l’opacité fiscale qui s’est fait jour dès octobre 2008, lors de la réunion organisée, à Paris, sur la transparence fiscale, puis dans le cadre du G20 réuni à Washington le 15 novembre 2008.

La démarche française a reçu un écho favorable au sein de l’OCDE puisque, en 2009, le sommet de Londres a donné un nouvel essor au cadre normatif mis en place par l’Organisation dès 2000 avec, d’une part, la création du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et, d’autre part, l’élaboration de l’accord-cadre d’échange de renseignements en 2002.

Quant à l’établissement des trois listes noire, grise et blanche de l’OCDE, le 2 avril 2009, cela peut, j’en conviens, apparaître formel, puisque, pour en être radié, l’État non coopératif doit conclure au moins douze accords, signe de son engagement officiel de suivre les standards internationaux de transparence fiscale. On a vu, ici et là, des accords signés entre deux espaces non coopératifs.

C’est pourquoi il convenait d’instaurer un mécanisme de contrôle de la « sincérité » et de l’effectivité de ces engagements formels. Dans le cadre du Forum mondial, ce rôle a échu au groupe des Pairs, que la France préside en la personne de François d’Aubert.

Où en sommes-nous ?

Près de 650 accords ont été signés dans le monde, et 34 pays ont déjà fait l’objet d’un examen par le Forum mondial. Des recommandations ont été émises pour certains d’entre eux. La prochaine revue des Pairs se tiendra le 18 juillet prochain. À cette occasion, 14 pays supplémentaires seront contrôlés sur la qualité de leur réseau conventionnel, ainsi que sur la réalité de l’échange de renseignements. Quant au Forum mondial, il se réunira à la mi-octobre à Paris.

Les États qui nous intéressent aujourd’hui figuraient sur la liste grise le 2 avril 2009, à l’exception de l’Île de Man, du Costa Rica et de Hong Kong. Ils sont, depuis, inscrits sur la liste blanche dans la mesure où ils ont conclu au moins douze accords.

L’Île de Man figurait dès l’origine sur la liste blanche. En revanche, Hong Kong ne figurait sur aucune liste en tant que région administrative.

Le Costa Rica, quant à lui, était inscrit le 2 avril 2009 sur la liste noire, puisqu’il n’avait pas exprimé sa volonté de coopérer fiscalement. S’il a formalisé cette volonté à partir du 7 avril 2009 afin d’intégrer la liste grise, il y est demeuré jusqu’en juin dernier, n’ayant conclu alors que cinq accords. Il a finalement rejoint la liste blanche au début du mois de juillet, après avoir intégré le réseau conventionnel nordique, ajoutant ainsi opportunément les sept accords manquants.

Ce constat nous alerte sur le risque d’inertie de certains pays à vouloir coopérer fiscalement. Alors que le cadre multilatéral est en place et que le réseau conventionnel français se tisse, nous entrons désormais dans l’ère de l’épreuve des faits, c’est-à-dire de la mise en œuvre de ces accords.

Il nous faudra donc demeurer extrêmement attentifs et particulièrement vigilants. Nous avons présumé la bonne foi des parties signataires ; nous allons maintenant vérifier la sincérité de leur engagement dans le cadre des demandes de renseignements, car nous en avons les moyens.

La rédaction des stipulations conventionnelles constitue la première garantie d’efficacité de cette politique nouvelle.

Pourront être sollicités tous renseignements vraisemblablement pertinents pour l’établissement et la perception des impôts visés dans l’accord, pour le recouvrement des créances fiscales ou encore pour les enquêtes en matière fiscale pénale. Les demandes pourront concerner toute personne ou entité, y compris les trusts et les fondations.

Non seulement l’ensemble de ces clauses sont conformes au modèle de l’OCDE, mais elles répondent aux exigences de la pratique conventionnelle française, beaucoup plus rigoureuse en la matière que l’OCDE.

En effet, ces accords contiennent des clauses anti-abus, une définition des impôts visés plus large, des clauses de suppression des doubles exonérations, ainsi qu’une obligation beaucoup plus stricte de mise en œuvre de la législation nécessaire à l’échange.

En outre, la France a souhaité se doter de sa propre liste d’États non coopératifs dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009. La première édition date du 12 février 2010. Elle comptait 18 pays, dont Anguilla, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria. Cette liste a été mise à jour le 14 avril 2011. Ainsi, Saint-Christophe-et-Niévès et Sainte-Lucie en ont été retirés, alors que les îles Turques et Caïques ainsi qu’Oman y ont été ajoutés.

Cette actualisation est le fruit de la propre évaluation de la France quant à l’effectivité des échanges. L’enjeu est d’importance, car l’inscription sur la liste entraîne, au bout d’un an, l’application automatique des sanctions fiscales prévues par la loi de finances rectificative pour 2009.

Je rappelle, pour mémoire, que ces mesures visent, en premier lieu, les résidents de France qui réalisent des transactions avec de tels pays. Elles se traduisent, notamment, par un durcissement du régime d’imposition des plus-values mobilières et immobilières, ou encore par le refus du bénéfice du régime mère-fille aux sociétés françaises.

Ces dispositions frappent, en second lieu, les résidents de ces paradis qui bénéficient de flux provenant de France. Elles entraînent l’application de taux majorés de retenue à la source sur les revenus immobiliers et les plus-values, ainsi que sur les intérêts, dividendes, redevances.

Craignant toutefois un éventuel effet négatif de la liste sur le commerce extérieur français, notre collègue Adrien Gouteyron a préconisé que la publication de celle-ci soit accompagnée de précisions données par l’administration sur l’état d’avancement des mesures prises par l’État concerné, c’est-à-dire la signature ou la ratification d’un accord, le changement de sa législation, ou encore d’autres dispositions allant dans la même direction.

Monsieur le ministre, pensez-vous pouvoir demander aux services de votre ministère d’élaborer une telle instruction fiscale ? Cela répondrait totalement au vœu d’Adrien Gouteyron, auquel je souscris absolument.

L’année 2012 constituera une année « test », une étape supplémentaire dans la suppression des systèmes fiscaux opaques, à condition que ces paradis adoptent le cadre normatif nécessaire à la coopération et que leur interprétation des accords, notamment la « pertinence » des renseignements, soit conforme à l’esprit des accords ; j’insiste sur tous ces points. Veillons à ce que tous ces engagements ne forment pas un simple écran de fumée.

Le chemin à parcourir est encore long. Certains territoires sont dépourvus d’administration fiscale et de droit des sociétés permettant, en particulier, d’identifier des propriétaires de parts, les bénéficiaires de trusts...

Le Premier ministre de Jersey, Terry Le Sueur, a, pour sa part, déclaré devant notre commission disposer d’une réglementation des trusts de nature à répondre à toute demande. Nous verrons ce qu’il en est.

C’est pourquoi j’exhorte des pays tels que la Suisse ou le Luxembourg à donner l’exemple. Ces partenaires économiques privilégiés de la France, soucieux de l’avenir financier européen, doivent participer pleinement à ce nouvel élan de la coopération administrative fiscale. Le Premier ministre du Luxembourg ne nous rappelle-t-il pas, sans cesse, nos obligations en matière d’équilibre budgétaire ?

J’ai eu l’opportunité de rencontrer le ministre luxembourgeois des finances, Luc Frieden, et de m’entretenir avec lui à propos des différents enjeux financiers européens. La transparence fiscale constitue l’un des axes prioritaires de l’action politique visant à lutter contre les effets systémiques et spéculatifs qui gangrènent nos économies, en l’absence d’une gouvernance européenne.

Je n’oublie pas non plus que le Premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg est le président de l’Eurogroupe. Il est bon, certes, qu’il nous rappelle nos obligations, mais il doit aussi veiller à ce que les facilités accordées par son pays en matière fiscale ne contribuent pas à vider nos poches.

Enfin, un rapport sera remis au Parlement à l’automne prochain, afin de contrôler l’efficacité du dispositif conventionnel français de lutte contre les paradis fiscaux. De surcroît, la commission des finances poursuivra la tâche de son rapporteur, Adrien Gouteyron, tout spécialement à l’issue de la prochaine réunion du Forum mondial.

En conclusion, je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter, sans réserve, les présents projets de loi visant à approuver les accords d’échange de renseignements conclus avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook, et le Libéria, ainsi que les deux conventions de suppression des doubles impositions signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong. Et permettez-moi de saluer l’arrivée de nos collègues du groupe CRC-SPG. (Applaudissements sur plusieurs travées.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, c’est en effet à la demande du groupe CRC-SPG que nous débattons en séance des projets de loi autorisant l’approbation d’accords relatifs à l’échange de renseignements fiscaux entre la France et dix États ou territoires, sur le modèle des conventions fiscales de l’OCDE.

Cette procédure démocratique permet de mettre en lumière le travail engagé, après le G20 de Londres, par la commission des finances, que je remercie de s’être intéressée de près à ces questions.

Nous sommes en effet les seuls parlementaires à pouvoir débattre de ces textes, car nos collègues de l’Assemblée nationale confient ce travail à leur commission des affaires étrangères. Je remercie donc les membres du groupe CRC-SPG d’avoir demandé l’organisation d’une discussion commune sur ces projets de loi, même si cela nous donne du travail supplémentaire. Mais, après tout, nous sommes là pour cela...

De plus, cela nous permet, en tant que parlementaires, de donner mandat à l’exécutif, alors que la France assume la présidence du G20 dans un contexte européen troublé, pour ne pas dire plus, et ce à moins de quatre mois du sommet de Cannes, qui se tiendra au début du mois de novembre.

Le Forum mondial, qui représente aujourd’hui 101 pays sous la houlette de l’OCDE, a tenu sa troisième réunion les 31 mai et 1er juin derniers, et a rendu publiques ses dernières évaluations concernant 35 États, parmi lesquels figurent la France et les États-Unis. D’ici à la réunion du G20 de Cannes, 25 autres rapports sont attendus. C’est un fait qui a son importance, car le Président de la République souhaite convaincre ses partenaires du G20 de publier une nouvelle liste noire de paradis fiscaux et territoires non coopératifs, rassemblant les pays dernièrement notés à la lumière des évaluations du Forum mondial.

J’indique que nous soutenons le Président de la République dans cet effort, et permettez-moi de me focaliser quelques instants sur la situation des pays européens.

Nous serons d’autant plus fondés à demander des efforts aux autres États du monde que nous serons capables, au sein de l’Union européenne, de faire preuve de la même vigilance à l’encontre de nos partenaires.

À cet égard, j’aimerais évoquer nos voisins suisses. N’ayez crainte, monsieur le ministre, j’emploierai un langage diplomatique, car je sais que les négociations en la matière ne sont jamais faciles, et qu’il ne suffit pas d’aborder la partie financière et fiscale des problèmes.

Ce pays, qui figurait dans les premières listes de paradis fiscaux publiées au printemps 2009, a tout entrepris, en toute logique, pour en sortir le plus rapidement possible. Pour autant, les accords d’échange d’informations fiscales récemment négociés par la Suisse ne sont pas, selon le groupe des Pairs présidé par François d’Aubert, totalement conformes aux normes de l’OCDE.

Nous suivrons avec intérêt les négociations entreprises par la Suisse, car une subtilité de sa législation fiscale permet actuellement d’opérer une distinction entre fraude et évasion.

Ainsi, lorsqu’un évadé fiscal oublie de déclarer de l’argent dans un établissement, cela est considéré comme une simple évasion, et les autorités suisses refusent alors de prendre contact avec les services fiscaux du pays d’origine de la personne. En droit français, on appelle ce type de pratique la « fraude passive ». Or celle-ci représente l’immense majorité des cas de ce que nous appelons simplement, nous, socialistes, la fraude.

La Suisse avait promis, en mars 2009, de supprimer cette subtilité juridique de sa législation, mais elle ne l’a toujours pas fait. Il faudra donc suivre avec intérêt l’actualité suisse dans les semaines à venir. Je sais que notre collègue Adrien Gouteyron y est aussi attentif que moi, car cela aura évidemment des répercussions dans toute l’Europe.

En effet, l’échange d’informations fiscales reste problématique au sein même de l’Europe, voire, parfois, au sein même de la zone euro. Des accords bilatéraux à des taux trop bas, qui vont à l’encontre des principes du Forum mondial et des orientations de la Commission européenne, sont actuellement en cours de négociation entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suisse.

Il paraît que l’Allemagne et la Suisse sont vraiment sur le point de signer un accord qui autorisera la Suisse à prélever un impôt à la source sur les revenus des actifs allemands dissimulés dans le pays, mais sans révéler l’identité des clients, ce qui est en contradiction complète avec la politique du Forum mondial et les efforts engagés aux niveaux international et européen.

Selon les informations fournies par la presse, un taux de 20 % environ de retenue à la source s’appliquerait aux avoirs dissimulés depuis dix ans et un taux de 26 % pèserait sur les revenus des nouveaux placements réalisés par des Allemands en Suisse. En contrepartie, l’Allemagne ne chercherait pas à obtenir d’informations sur ses ressortissants fraudeurs. Le pays espère récolter ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros – quelque 30 milliards d’euros, selon des estimations, ce qui n’est pas rien !

Ce genre d’accord met en œuvre une taxation régressive du capital, avec un taux qui ne varie pas en fonction des montants dissimulés et placés. Il faudra regarder précisément ce qu’il en est, car cela aura des répercussions importantes sur les négociations qui pourront avoir lieu au sein de l’Union européenne. Je pense d’ailleurs que si, d’ici au mois de novembre prochain, les choses n’ont pas avancé ou si elles ne suivent pas les préceptes du Forum mondial, le Président de la République en tirera les conséquences lors du sommet de Cannes.

Je rappelle, en effet, que, dans le cadre de la directive européenne Épargne de 2003, les revenus d’intérêt de l’épargne des non-résidents placée au sein de l’Union européenne sont censés être soit déclarés au pays d’origine, soit faire l’objet d’une retenue à la source de 35 %, au lieu des 20 % et des 26 % annoncés.

Le problème, c’est que l’application de cette directive ne concerne pas que les pays de l’Union européenne. Pour lutter contre la fuite des capitaux, le champ d’application de la directive a été élargi à plusieurs pays connus dans ce contexte, à savoir la Suisse, Monaco, le Liechtenstein, Saint-Marin, Andorre, les Antilles néerlandaises, Guernesey, Jersey, l’Île de Man, les Îles Caïmans et les Îles Vierges britanniques. La plupart de ces territoires ont décidé d’appliquer le système de retenue à la source. Seule une minorité collabore à l’échange d’informations, pourtant exigé par la communauté internationale.

Plus grave, trois pays au sein même de la zone euro – le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique – ont obtenu, en 2003, un sursis par rapport à l’obligation d’informations, en s’acquittant d’une « perception pour l’État de résidence ». À l’origine, ce sursis ne devait être qu’une mesure transitoire. Huit ans après l’adoption de la directive, cette mesure est toujours d’actualité, alors qu’une crise financière historique affecte l’Union européenne !

La Belgique a consenti un petit effort en transmettant, à la mi-juin, dans le cadre de la directive Épargne, l’identité de plus de 250 000 contribuables à leur pays d’origine. Vingt-six pays ont reçu des données, et la France, avec 100 000 ressortissants sur les 250 000 détenteurs de comptes, n’est pas la dernière à être concernée ! J’y reviendrai ultérieurement, monsieur le ministre, mais je vous indique d’ores et déjà que le Parlement souhaite connaître, en toute transparence, l’action qui sera intentée envers ces ressortissants.

À cet égard, je veux signaler que des Français ont rendu compte à la cellule de régularisation mise en place à la fin de 2009. Je rappelle que le groupe socialiste avait apporté tout son soutien à l’amendement défendu par M. Woerth, alors ministre du budget, dans le cadre de la lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale.

Le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, a estimé que cette cellule avait pu régulariser 7,7 milliards d’actifs. La rentrée fiscale effective n’est pas négligeable dans la mesure où elle dépasserait 1 milliard d'euros. En ces temps de disette budgétaire, ce n’est pas neutre !

Mme Nicole Bricq. Toutefois, la cellule a traité 2 400 dossiers, dont seulement 68 d’entre eux proviennent de la liste HSBC d’évadés fiscaux, qui en comprend 3 000. Le traitement spécifique de cette liste a, par ailleurs, été confié à la direction nationale d’enquêtes fiscales. Le 17 mai, le directeur général des finances publiques, M. Philippe Parini, a indiqué à la commission des finances de l’Assemblée nationale que 700 dossiers étaient en cours de traitement, et il a fait savoir que 350 millions d’euros d’actifs ont été régularisés et que 71 millions d'euros ont été recouvrés au titre des impôts et pénalités.

Enfin, selon le rapporteur général de l’Assemblée nationale, la fraude dite « active » ne concernerait que 15 % des fraudeurs qui constituent des avoirs à l’étranger à partir de biens ou d’activités françaises dissimulés. Panama et le Liechtenstein y apparaissent, pour l’essentiel, pour les trusts. Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que des particuliers, mais les trusts et les multinationales sont un sujet extrêmement épineux !

Concernant les conventions dont nous débattons aujourd'hui, il faut noter que quatre territoires, que je ne citerai pas, car cela a déjà été fait, figuraient déjà sur la liste des États et territoires non coopératifs établie par la France en 2010.

Cependant, afin de bien mesurer les effets de ce que nous avons voté, nous aimerions avoir connaissance des sommes récupérées, car les sanctions applicables aux fameuses multinationales et aux trusts, en vertu de la loi de finances rectificative pour 2009, ont dû, à notre avis, être lourdes : avec un taux de retenue à la source sur les revenus passifs relevé à 50 % et la fin de l’exonération à 95 % de l’impôt sur les sociétés des dividendes versés par une filiale à sa société mère. Je le répète, la part des fraudeurs passifs est très importante !

On sait que la lutte contre la fraude fiscale est payante : de 29 612 foyers fiscaux à déclarer un compte à l’étranger en 2008, on est passé à 51 961 en 2009 et à 75 468 en 2010, soit une hausse de 75 % en trois ans seulement ! Il faut continuer sur cette voie ! Nous avons besoin de cet argent, et il n’est pas normal de pouvoir se soustraire à l’effort national !

Mais j’en reviens aux pays concernés, qui sont, pour l’essentiel, le Luxembourg et la Suisse. C’est la raison pour laquelle, nous vous avons adressé, monsieur le ministre, depuis sa transposition en droit français, un message, afin d’éviter que la révision de la directive Épargne ne demeure encalminée. En effet, régulariser les actifs des foyers fiscaux est une chose, exiger la transparence des multinationales, notamment sur les prix de transfert, comme nous l’avons proposé à plusieurs reprises – et je sais, monsieur le président de la commission des finances, que vous y êtes également attaché –, en est une autre, particulièrement en termes de montants recouvrés, qui sont certainement sans commune mesure avec ceux que nous récupérons auprès des particuliers.

À force de vider sa liste, la France va devoir redoubler de vigilance sur les accords que nous approuvons ici, au Sénat. Et il faut que l’on puisse, grâce à l’article 136 de la loi de finances pour 2011, voté sur l’initiative de la commission des finances, avoir la traçabilité de cette action, notamment par rapport aux multinationales. Le Gouvernement ne doit pas oublier de publier, en annexe de la prochaine loi de finances initiale, le nombre de demandes de coopérations effectuées et le nombre de coopérations qui ont abouti. Il est trop facile de se contenter de signer des conventions en période de crise budgétaire ! Encore faut-il les appliquer et permettre au Parlement d’en mesurer les effets !

Nous comptons sur le Gouvernement, quel qu’il soit et quel qu’il sera ! Nous serons aussi vigilants après mai 2012, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait croire que l’organisation de nos travaux est ainsi conçue que nous soyons amenés à achever chaque session extraordinaire de juillet par l’examen d’une batterie de conventions fiscales internationales, comme s’il fallait, chaque année, battre un nouveau record dans le nombre des textes adoptés par les deux assemblées avant la fin de leurs travaux !

Pour autant, nous avons pris pour habitude de faire en sorte que cet examen ne passe pas comme une lettre à la poste et qu’il soit l’objet d’une discussion pour le moins contradictoire, qui soit tout, sauf superficielle.

Rappelons les données du problème.

Depuis 2008, la surchauffe des marchés financiers ayant conduit au blocage du système bancaire mondial, le Gouvernement, prenant la suite de l’OCDE et des recommandations du FMI, le Fonds monétaire international, s’est lancé dans une vaste entreprise de négociation de conventions fiscales internationales. Elle visait ce qu’on appelait jusqu’alors les paradis fiscaux « notoires », c’est-à-dire les endroits de la planète où une législation fiscale « version allégée » ou l’absence de législation fiscale et d’administration destinée à la mettre en œuvre étaient autant d’atouts pour les groupes et les hommes d’affaires peu scrupuleux. Peu scrupuleux étaient-ils ou soucieux de « protéger » une partie de leurs actifs ou de dissimuler quelques montages financiers et juridiques souvent considérés comme stratégiques.

Pour bien faire les choses, l’OCDE avait d’ailleurs dressé une liste noire, comportant un certain nombre de territoires dits peu coopératifs, assortie d’une liste grise de territoires et pays semi-coopératifs et d’une longue liste blanche de pays à fiscalité fiable.

Le but de ces recommandations était connu : amener les pays « blacklistés » à engager toute démarche pour sortir de cette situation et les faire rentrer dans le rang.

L’effort n’était pas bien important puisqu’il suffit, pour rejoindre la liste blanche, de passer un certain nombre de conventions fiscales, y compris entre États et territoires non coopératifs.

Nous sommes d’ailleurs saisis aujourd’hui de cet exercice de reconnaissance, au moins pour ce qui concerne Anguilla, le Costa Rica ou encore la Dominique. Car, dans cette affaire, nous sommes tout de même en présence d’un assez étrange échantillon de cas !

En effet, Anguilla est un micro-État, qui compte à peine 15 000 habitants et a pour chef d’État l’honorable Élisabeth II d’Angleterre. Mais 6 500 entreprises y sont immatriculées, qui pratiquent des activités de service constituant les deux tiers du PIB local.

La Dominique est une petite République de 75 000 habitants, située entre la Guadeloupe et la Martinique, et dont l’activité économique apparaît aujourd’hui dépendante du développement d’activités bancaires et financières off shore destinées à ceux de nos établissements de crédit qui veulent bien en user.

Les îles Cook sont un micro-État associé à la Nouvelle-Zélande, dont les ressortissants jouissent de la double nationalité – ce sont souvent des Maoris – et qui, faute de ressources naturelles, se sont lancés dans la prestation de services financiers.

Quant au Belize, l’ex-Honduras britannique, c’est un accident de l’histoire en pleine Amérique centrale, puisqu’il est le seul pays non hispanophone de la région ! Il compte un peu plus de 300 000 habitants. Que dire de cet État qui aurait dû disparaître, avalé par le Guatemala ?