PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

M. Michel Delebarre. Surprenant !...

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Dossier législatif : proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Discussion générale (suite)

Application de l'article 68 de la Constitution

Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois, la discussion de la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution (proposition n° 69 [2009-2010], texte de la commission n° 85, rapport n° 84).

Dans la discussion générale, la parole est à M. François Patriat, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Question préalable

M. François Patriat, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter, et pour la seconde fois depuis le mois de janvier 2010, une proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution que j’avais, à l’origine, rédigée, au nom du groupe socialiste, avec Robert Badinter. Je saisis l’occasion du débat de ce soir pour rendre un hommage appuyé à ce dernier, que j’ai rencontré aujourd'hui même au Sénat. Je sais à quel point il est attaché au texte que nous examinons et je le représente en cet instant.

Je me demande toujours la raison pour laquelle l’ex-majorité de la Haute Assemblée s’oppose à ce que nous comblions le vide qui existe dans notre législation.

M. Jean-Jacques Hyest. Mais pas du tout !

M. François Patriat. L’article 68 de la Constitution constitue le corollaire de l’article 67 relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.

Les dispositions de ces deux articles résultent de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, inspirée du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par le professeur Pierre Avril.

La présente proposition de loi organique a pour simple objet de combler une lacune, et non des moindres, qui conduit le Président de la République française à être l’un des rares, sinon le seul, dans les démocraties dites couramment « avancées », à ne pas avoir à rendre compte d’actions délictueuses ou incompatibles avec sa fonction, qu’il pourrait commettre dans le cadre de celle-ci.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’article 67 !

M. François Patriat. Cette proposition ne vise personne ad hominem ; elle s’appliquera aux futurs Présidents de la République issus de scrutins à venir. Elle est motivée par le fait que, depuis 2007, nous attendons toujours la traduction des engagements du Gouvernement en la matière.

Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation des conditions d’application de la procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »

Point n’est toujours besoin de loi organique pour que la Constitution puisse normalement s’appliquer, mais, dans ce cas précis, cette nécessité est explicite. C’est la raison pour laquelle je présente de nouveau aujourd'hui, avec les membres de mon groupe, la présente proposition de loi organique.

Plus de quatre ans après l’adoption de la loi constitutionnelle, le Gouvernement n’a toujours pas pris l’initiative de faire inscrire à l’ordre du jour du Parlement le projet de loi organique qu’il avait promis !

M. Michel Mercier, garde des sceaux, et M. Jean-Jacques Hyest. C’est faux !

M. François Patriat. Notre première tentative, au mois de janvier 2010, s’était soldée par un renvoi en commission et Mme Alliot-Marie, à l’époque garde des sceaux, s’était engagée à présenter un texte du Gouvernement dans les six mois. En séance, vous m’aviez dit, monsieur Hyest, que, si tel n’était pas le cas, vous déposeriez vous-même le texte.

M. François Patriat. Aujourd'hui, force est de constater que vous ne l’avez pas fait...

Avec retard, un texte a bien été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce sera fait demain matin !

M. François Patriat. Ce débat aura au moins servi à faire avancer les choses ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Jusqu’à cet instant, nous étions tous raisonnablement conscients dans cette enceinte que ce texte ne serait pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement avant la fin de cette législature, et ce malgré ce qu’avait indiqué M. Patrick Ollier dans une communication relative au programme de travail parlementaire, à l’occasion d’un conseil des ministres au mois d’octobre dernier, puisqu’il avait alors déclaré que la poursuite de l’examen de ce texte faisait partie des « quatre priorités » gouvernementales.

Nous reprenons donc aujourd’hui à notre compte une promesse faite voilà presque deux ans par Jean-Jacques Hyest.

Je vous le dis clairement, les auteurs de la présente proposition de loi organique, dont Robert Badinter, ont cherché à être utiles : il ne s’agit pas de faire dériver ce débat vers des finalités politiciennes. Vous en conviendrez, mes chers collègues, si vous me connaissez.

M. Jean-Jacques Hyest. Justement, on vous connaît… (Sourires.)

M. François Patriat. Je vous en prie, monsieur Hyest ! Vous ne pouvez pas dire cela !

Nous voulons simplement permettre que soit respecté l’équilibre délicat de nos institutions.

La présente proposition de loi organique, qui a été profondément modifiée par la commission, s’inscrit dans cette démarche. Si elle est adoptée, la future loi organique s’appliquera à tous les Présidents de la République à venir. La personnalité du Président de la République actuel n’est pas en cause, puisqu’elle n’est rien au regard de la fonction constitutionnelle qu’il exerce et qui, seule, compte aujourd’hui, pour le texte qui vous est proposé.

Cette proposition de loi organique, que j’ai voulue comme « l’application de la Constitution, rien que la Constitution, mais toute la Constitution », décrivait les conditions de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portant réunion de la Haute Cour et les modalités de la procédure d’examen, de débat et de vote de ce texte.

Comme je l’ai indiqué, la commission des lois l’a profondément modifiée, en y intégrant les dispositions principales du projet de loi gouvernemental déposé à l’Assemblée nationale au mois de décembre 2010.

M. Jean-Jacques Hyest. Eh bien voilà !

M. François Patriat. Loin de vouloir imposer son point de vue, la majorité actuelle du Sénat a cherché à rapprocher le texte que nous examinons de celui du Gouvernement.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est donc qu’il y en a un !

M. François Patriat. Je m’en félicite parce que, en la matière, s’agissant de notre Constitution, dans un esprit typiquement républicain, il faut toujours rechercher l’accord le plus large possible. Nous allons tenter d’y parvenir ce soir.

Je laisserai à M. le rapporteur le soin de nous expliciter les différentes dispositions issues des travaux de la commission des lois que nous retrouvons maintenant dans le texte qui nous est présenté. Je rappellerai simplement le cadre de ma démarche.

Les principes de la révision du titre IX de la Constitution sont issus des travaux de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, nommé par le Président Jacques Chirac en 2002. C’est, à peu de chose près, le texte adopté par cette commission qui avait été déposé au Parlement et débattu en 2006 et en 2007.

Concernant le régime de la responsabilité du Président de la République, un principe simple avait été retenu : ce qui relève du politique doit être évalué dans un cadre politique ; ce qui engage la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction doit être jugé par les voies juridictionnelles ordinaires. Ainsi, la réforme constitutionnelle a précisé le statut juridictionnel du chef de l’État à l’article 67 en préservant le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État.

À l’époque, Robert Badinter, et bien d’autres qui sont présents ce soir dans cet hémicycle s’étaient opposés à cette « immunité » quasi totale conférée au Président de la République.

Mais notre démarche en l’instant n’est pas de viser une réforme plus générale de la responsabilité du chef de l’État, que j’appelle cependant de mes vœux. Elle se concentre sur la partie la moins contestable de la révision de 2007, à savoir la nouvelle procédure de destitution.

Nous sommes dans un vide juridique extraordinaire. Le chef de l’État français aura été le seul président de la République de tous les temps à exercer son mandat tout en bénéficiant d’une immunité totale. Quelle République peu ordinaire !

M. François Patriat. En effet, l’article 68 introduit dans la Constitution une procédure de destitution du Président de la République en cas de manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions. Cette destitution n’a pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République. Il s’agit d’une procédure politique, au sens noble du terme, en vertu du principe selon lequel l’atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain.

Ainsi, le Parlement, constitué en Haute Cour, ne peut se prononcer sur la qualification pénale du manquement ; ce n’est pas son rôle. Il statue seulement sur l’atteinte portée à la dignité de la fonction, afin de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.

Cette possibilité de destitution est donc une procédure dépénalisée, et j’insiste sur ce terme. Pour la Haute Cour, il s’agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l’État – tel n’est pas notre rôle, mes chers collègues, je le répète –, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat compte tenu des manquements qui lui seraient reprochés.

Aussi les parlementaires ne deviennent pas des juges politiques ; ce sont des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

Aujourd’hui, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et, d’autre part, l’inviolabilité, qui le protège des poursuites judiciaires pendant la durée de son mandat. Cette double protection ne doit pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction. Il ne peut avoir tous les droits sans aucune contrepartie : ceux qui sont attachés à ses prérogatives constitutionnelles et ceux qu’il prétend exercer comme tout justiciable, comme le droit de se porter partie civile, alors que l’article 67 interdit toute réciprocité pour la partie adverse.

Il ne peut rester dans cette position d’irresponsabilité « intégrale » et, en la matière, nous en convenons tous, le transitoire ne peut devenir la règle. La loi constitutionnelle a été votée ; encore faut-il maintenant qu’elle s’applique. C’est tout simplement ce qu’il vous est demandé, mes chers collègues, et non pas, comme vous avez tenté de le faire, d’appliquer des filtres quels qu’ils soient à une procédure clairement explicitée par notre loi fondamentale ! Pourquoi craindre aujourd’hui plus qu’hier la possibilité donnée par cet article d’une forme de censure du Président de la République ? La destitution est une procédure exceptionnelle et elle le restera.

Mes chers collègues, la présente proposition de loi organique n’est pas polémique. Elle ne traduit pas des positions de principe propres au groupe socialiste-EELV. Elle tend seulement à rendre applicable une disposition de la Constitution qui concerne tout Président de la République, en exercice ou à venir.

Sur le fond, cette proposition de loi organique, qui s’en tient à la stricte transcription de la Constitution, amendée par vos soins, a pour objectif de recueillir l’adhésion de l’ensemble de notre assemblée afin de consolider utilement nos institutions. Il serait dommageable pour celles-ci que certains tentent de politiser la simple mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle, ce qui conduirait à en diminuer la valeur et donc à la fragiliser.

Pour conclure, je tiens à dire que je m’interroge toujours quant aux raisons qui ont poussé une partie des élus siégeant sur ces bancs (M. Patriat désigne les travées de l’UMP) à s’opposer à cette proposition de loi, alors même qu’ils sont attachés au respect du droit et des principes constitutionnels. Pourquoi laisser subsister un tel vide juridique dans notre république, mes chers collègues, alors que le combler honorerait notre assemblée et préserverait l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, deux articles de notre Constitution traitent du statut juridique du chef de l’État.

M. Patrice Gélard. Non, il y en a quatre !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il y en a donc au moins deux ! Il est vrai qu’il en existe davantage, monsieur Gélard.

Je dirai tout d'abord un mot de l’article 67, qui a donné lieu à de nombreux débats. Cet article organise l’immunité pénale du chef de l’État.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est plutôt l’immunité juridictionnelle.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous avez raison, l’immunité concerne toutes les juridictions, tant civiles que pénales.

Il n’est pas question de remettre en cause cet article 67.

Toutefois, ses conditions d’application posent quelques problèmes. Récemment encore, de nombreux débats ont eu lieu, au sujet notamment de dépenses de communication ou liées à l’analyse de l’opinion. Une cour d’appel a rendu une décision, monsieur le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous respectons évidemment cette décision.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Moi aussi !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Cependant, cette décision ne nous empêche pas de nous interroger sur le champ d’application de l’article 67.

Que le chef de l’État bénéficie de l’immunité juridictionnelle, du début à la fin de son mandat, cela se conçoit. En revanche, on peut se demander, nonobstant l’arrêt de la cour d’appel, si cette immunité s’applique aux collaborateurs du chef de l’État ; cela ne constituerait-il pas une conception extensive, et tout à fait préjudiciable, de l’immunité présidentielle ?

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas le sujet !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par exemple, les membres du cabinet du chef de l’État et les fonctionnaires de l’Élysée sont-ils tenus d’appliquer le code des marchés publics ? S’il apparaît que tel ou tel ne respecte pas les dispositions de ce code, n’y a-t-il pas un problème ? Peut-on exciper de l’article 67 pour conclure que toute personne travaillant à l’Élysée, ou seulement proche de l’Élysée, en contact avec le chef de l'État, serait protégée par l’immunité juridictionnelle de ce dernier ? Voilà une grave question sur laquelle il nous faudra assurément revenir.

Mme Catherine Troendle. C’est hors sujet !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’en viens à l’objet de notre débat d’aujourd'hui, monsieur Hyest.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il s'agit de l’article 68 de la Constitution, qui a donné lieu à bien des débats. François Patriat en a excellemment parlé. Je n’oublie pas non plus ce qu’avait dit, à cette tribune, Robert Badinter, dont je viens de relire l’intervention : il avait fortement critiqué cet article.

Toutefois, cet article ayant été voté et donc inséré dans notre Constitution, il convient de l’appliquer. Il serait injuste et incompréhensible qu’il ne s’appliquât point ; chacun le comprend. Or, comme l’a excellemment dit François Patriat, cela fait près de cinq ans que l’article 68 a été voté, et nous attendons toujours l’adoption de la loi organique nécessaire à son application.

Entre-temps, une proposition de loi a été rédigée par François Patriat et Robert Badinter. Cette proposition de loi a été examinée ; on en a dit grand bien, mais son renvoi en commission a été décidé.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. M. Hyest, alors président de la commission des lois et rapporteur du texte, a dit qu’il n’accepterait pas que cette situation de carence, ou de latence, subsistât trop longtemps.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Le Gouvernement a ensuite déposé un projet de loi. Cependant, il nous a encore fallu attendre avant que ce projet de loi ne fût inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Nous nous sommes dit qu’il fallait être positifs. Puisque nous en avons la possibilité, nous avons décidé d’inscrire à nouveau la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter à l’ordre du jour du Sénat, afin qu’elle puisse être adoptée par notre assemblée, puis examinée par l’Assemblée nationale.

Je devine les arguments qui ne manqueront pas d’être utilisés. Autant en faire justice tout de suite !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je commencerai par l’argument selon lequel il serait inopportun…

M. Jean-Jacques Hyest. Non, inutile !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … de discuter d’une proposition de loi dès lors qu’il existe un projet de loi traitant du même sujet.

Cet argument ne tient pas ; chacun le sait. En effet, il suffit de lire la Constitution pour constater qu’aucun de ses articles n’établit de hiérarchie entre les projets et les propositions de loi. Ces deux types de textes sont également respectables et sources du droit.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par conséquent, lorsqu’il existe un projet de loi et une proposition de loi traitant du même sujet, rien n’impose que l’on examine d'abord le projet de loi.

M. François Patriat. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Qui plus est, en l’espèce, la proposition de loi est largement antérieure au projet de loi.

En inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour, monsieur le garde des sceaux – je répète ce que j’ai dit l’autre jour à M. Ollier –, nous ne faisons qu’aller dans le sens de l’application de la Constitution. Je pense que le Gouvernement ne pourra que saluer notre volonté de lui faciliter la tâche, en quelque sorte.

En résumé, rien ne justifie qu’on nous dise que nous ne pouvons pas examiner une proposition de loi au motif qu’il existe un projet de loi abordant le même sujet. Comme nous sommes tous d'accord là-dessus, me semble-t-il, certains développements non seulement inopportuns, mais infondés en droit, nous seront épargnés.

Venons-en maintenant à la proposition de loi qui nous occupe.

Il est permis, je le répète, de critiquer l’article 68, mais, puisqu’il existe, il faut l’appliquer. Nous avons décidé, monsieur le garde des sceaux – vous voyez à quel point nous sommes positifs –, de profiter de l’existence d’un projet de loi pour améliorer encore la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter, qui était pourtant déjà bonne, et même très bonne.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est normal !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Si nous n’avions pas pris en compte les suggestions utiles que comporte le projet de loi, vous l’auriez regretté, monsieur le garde des sceaux. Vous le voyez, nous œuvrons au bien commun.

L’article 68 prévoit une procédure de destitution du Président de la République en « cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette procédure est conduite par la Haute Cour.

Une première question se pose, celle des modalités de saisine de la Haute Cour.

La proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter prévoyait que la saisine fût ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs. Le projet du Gouvernement prévoit que l’initiative d’un dixième des députés ou des sénateurs serait suffisante.

Nous avons décidé de reprendre à notre compte le texte du Gouvernement, car il est patent – vous serez d'accord, monsieur le garde des sceaux – que ce dernier protège davantage les droits du Parlement que la proposition de loi que nous avions rédigée initialement.

En second lieu, il est question, dans le projet du Gouvernement, d’un filtre des saisines par les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui devraient juger de leur caractère « sérieux ».

Nous avons estimé qu’il ne s’agissait pas d’une bonne voie. En effet, si le nombre requis de parlementaires opère la saisine pour sanctionner un acte très grave du Président de la République – il s’agit de la destitution de ce dernier, je le rappelle –, le caractère sérieux de la saisine nous semble évident. De toute façon, c’est à la Haute Cour qu’il reviendra de statuer in fine.

Aussi n’avons-nous pas suivi ce chemin. Du reste, j’ai quelques raisons de penser que nos collègues députés feront peut-être une analyse similaire… Je suppose que vous pensez la même chose, monsieur le garde des sceaux ; nous avons les mêmes sources.

S'agissant des délais – quinze ou treize jours – de transmission de la saisine d’une assemblée à l’autre, nous avons repris les dispositions du projet de loi.

Pour ce qui est du bureau de la Haute Cour, nous nous sommes également inspirés du projet de loi, en prévoyant une parité totale entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Vous le voyez, nous avons repris ce qui, dans le projet du Gouvernement, nous paraissait aller dans le bon sens.

Concernant la commission instituée en cas de saisine de la Haute Cour, qui jouera un rôle essentiel puisqu’elle procédera en quelque sorte à l’instruction de la saisine, nous avons modifié le texte, pourtant déjà très positif, de François Patriat et Robert Badinter.

En effet, ce texte prévoyait, comme celui du Gouvernement, que cette commission fût composée des vice-présidents des deux assemblées du Parlement. Nous n’avons pas très bien compris pourquoi il faudrait que les membres de la commission soient vice-présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat !

Par conséquent, nous avons proposé, à l’issue de longs débats, que la commission soit distincte du bureau de la Haute Cour et que ses vingt membres soient désignés, dans chaque assemblée, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes. Nous avons pesé chaque mot, afin que cette commission soit totalement indépendante, parfaitement représentative du pluralisme des deux assemblées et de leur parité.

Demeure la question de savoir si le chef de l'État peut être amené à s’exprimer devant la commission, puis devant la Haute Cour.

La position de la commission des lois est la suivante.

Nous pensons que la commission doit pouvoir demander au chef de l'État de venir s’exprimer. Bien entendu, elle ne doit pas pouvoir le contraindre à le faire, car ce serait contraire aux devoirs de sa charge comme à notre conception de la fonction de chef de l'État et à son statut. En revanche, il nous paraît légitime qu’elle puisse demander à l’entendre. Il nous paraît également légitime que le chef de l'État puisse lui-même demander à être entendu.

Il en va de même pour la Haute Cour.

Le chef de l'État peut avoir un conseil. Nous estimons que ce conseil doit pouvoir s’exprimer aussi bien devant la commission que devant la Haute Cour.

Nous considérons en revanche qu’il ne serait pas judicieux qu’il puisse s’exprimer à la place du chef de l'État, mais il peut le faire en sa présence, si toutefois le chef de l'État souhaite venir, ce que, selon notre texte, il peut très bien ne pas faire.

Tels sont les principaux points du texte dont nous allons discuter tout à l’heure.

Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus et, si tel n’est pas le cas, j’aimerais connaître vos arguments ! (Murmures amusés sur les travées de lUMP.)

Je rappelle ceux qui, à nos yeux, justifient la discussion de cette proposition de loi.

Premièrement, il n’y a pas de hiérarchie entre proposition de loi et projet de loi. On ne peut donc pas légitimement dire qu’il n’y a pas lieu de débattre de la présente proposition de loi organique, d’autant que celle-ci a déjà été débattue voilà quelque temps ; elle a fait alors l’objet d’un renvoi en commission et revient aujourd'hui tout à fait normalement devant vous.

Deuxièmement, le texte que nous vous proposons retient l’essentiel de la proposition de loi initiale tout en l’enrichissant des apports qui nous semblent positifs du projet de loi. Quelles raisons pourraient donc justifier que vous ne la votiez pas ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Quelles raisons y aurait-il de ne pas profiter de l’occasion qui nous est ainsi donnée de régler, la navette aidant, le plus vite possible cette question ? Ce serait le moyen de mettre fin à la situation bizarre et singulière dont parlait à l’instant François Patriat, situation dans laquelle nous aurions vécu un mandat présidentiel entier sans qu’aucunement la question de la responsabilité juridictionnelle du chef de l'État eût été posée non plus que sa mise en œuvre – indépendamment, évidemment, de toute application éventuelle ou hypothétique d’une procédure dont, clairement, nous espérons tous qu’elle ne s’appliquera jamais.

Si le Constituant a prévu qu’il fallait que cette procédure existât, il nous revient, à nous législateurs, de voter la loi organique.

Je terminerai mon intervention en répétant une fois encore que, comme nous l’avons fait, par exemple lors de l’examen de la réforme territoriale,…

M. Jean-Jacques Hyest. Vous en avez fait un monstre !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … nous entendons proposer des mesures simples et pratiques pour répondre aux problèmes concrets qui se posent, comme nous l’avons fait d’ailleurs dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale tout récemment pour promouvoir une plus grande justice sociale dans ce pays.

S’agissant du droit, en l’espèce du statut juridictionnel du chef de l'État, nous avons la même volonté d’avancer concrètement.

Mes chers collègues, j’espère donc, non seulement que la présente proposition de loi organique sera votée, mais aussi qu’elle connaîtra une suite, car il serait tout de même bizarre que, pour des raisons de susceptibilité (Protestations sur les travées de lUMP), l’on prolonge encore et toujours une attente qui n’a que trop duré – cinq ans déjà…– alors que nous vous donnons l’occasion ce soir de commencer à donner un début d’application au nouvel article 68 de notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.