compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport de la Cour des comptes

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le rapport particulier de la Cour des comptes relatif aux comptes et à la gestion de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, la LADOM.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Ce rapport a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires sociales.

Il est disponible au bureau de la distribution.

3

Retrait de l'ordre du jour de questions orales

M. le président. J’informe le Sénat que les questions orales n° 1413 de M. Christian Favier et n° 1427 de M. Philippe Darniche sont retirées de l’ordre du jour de la séance du 13 décembre 2011, et que la question n° 1458 de M. Jean Pierre Demerliat est retirée de l’ordre du jour de la séance du 20 décembre 2011, à la demande de leurs auteurs.

Acte est donné de cette communication.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif
Discussion générale (suite)

Contrôle des armes

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission, modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif (proposition n° 255 [2010-2011], texte de la commission n° 150, rapport n° 149).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de son discours devant les principaux acteurs de la sécurité, de la chaîne pénale et de l’éducation nationale, le 28 mai 2009, le Président de la République avait demandé que soit engagée une réflexion « sur les moyens d’améliorer la réglementation du commerce d’armes » afin, notamment, de « mettre fin à la banalisation du port d’armes dans la rue ».

Ce renforcement de notre réglementation, plusieurs drames récents sont venus nous en rappeler l’ardente nécessité. À trois reprises à Marseille, la semaine dernière, des criminels ont ouvert le feu. Le bilan est lourd : trois malfaiteurs tués, un autre blessé et un policier entre la vie et la mort.

Face à cette situation, nous devons tout faire pour empêcher que des armes, souvent même des armes de guerre, ne se retrouvent entre des mains mal intentionnées, celles des trafiquants et des délinquants.

L’enjeu est trop grave pour faire l’objet d’un traitement partisan, et les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui l’ont bien saisi.

Déposée par les députés Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann, ce texte est une synthèse équilibrée et juridiquement solide du débat mené avec l’ensemble des acteurs incontournables sur le sujet : les détenteurs légitimes d’armes à feux, tout d’abord – chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs ou armuriers –, réunis dans le comité Guillaume Tell avec lequel le ministère de l’intérieur entretient un dialogue régulier et fructueux ; la mission d’information parlementaire sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, ensuite, dont le rapport agrégeant les points de vue des ministères de l’intérieur et de la défense, du Conseil d’État, des professionnels du secteur et des usagers d’armes à feu a été adopté en juin 2009, à l’unanimité des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale ; votre commission des lois, enfin, qui a abordé ce texte dans un esprit de consensus et de dépassement des clivages. Elle a fait un travail admirable dont je veux saluer ici la qualité.

Grâce à tous ces efforts combinés, nous examinons aujourd’hui un texte équilibré répondant à une double exigence : exigence de simplification du droit, d’abord, car la loi, pour être connue et appliquée par tous, doit être claire et compréhensible pour tous ; exigence de sécurité publique, ensuite, en renforçant les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.

Ce texte répond d’abord à l’impératif de simplification de notre législation sur les armes.

Comme votre rapporteur, je ne peux que constater l’inadaptation de la législation en vigueur aux enjeux actuels. Héritière du décret-loi du 18 avril 1939, notre législation sur les armes n’a pris en compte ni les évolutions technologiques ni les évolutions sociologiques de la délinquance survenues depuis lors.

Déjà texte de circonstance pris à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans une optique de défense nationale, le décret-loi de 1939 a subi plusieurs modifications, elles aussi circonstancielles, à la suite de faits divers ayant impliqué des armes à feu. Le résultat est une réglementation complexe, manquant d’une vision d’ensemble, maîtrisée seulement par quelques spécialistes et qui complique inutilement la tâche des policiers, des gendarmes, des agents des préfectures mais aussi des utilisateurs légaux.

En plus d’être complexe, la législation actuelle manque son but : elle n’est pas suffisamment sévère à l’encontre des délinquants et des trafiquants.

Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit une nouvelle classification des armes, plus simple et plus accessible, qui permet aussi de mettre notre droit en conformité avec nos obligations européennes en la matière.

Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.

Au lieu des huit catégories actuelles, il y aura donc, désormais, quatre grandes catégories d’armes : les armes de la catégorie A, composée notamment des armes de guerre ; les armes soumises à autorisation ; les armes soumises à déclaration ; les autres armes soumises à enregistrement ou dont la détention est libre.

Les armes seront par ailleurs classées en fonction de leur dangerosité réelle, et non exclusivement en fonction du critère suranné du « calibre de guerre ». Toutefois, les calibres de guerre les plus dangereux resteront interdits à l’acquisition et à la détention.

Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.

De nouvelles dispositions sont également prévues pour les collectionneurs, qui pourront ainsi accéder librement à de nouvelles armes et à de nouveaux matériels de guerre, en raison du relèvement à 1900 pour les armes et à 1946 pour les matériels des millésimes définissant le caractère d’armes ou de matériel de collection.

Au-delà de la simplification du droit, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à renforcer les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.

Il s’agit, comme je le rappelais en introduction, d’un enjeu majeur de sécurité publique. La multiplication des trafics accroît en effet les dangers, non seulement parce qu’elle augmente le nombre d’armes en circulation dans notre pays, mais surtout parce qu’elle met à portée de délinquants de plus en plus jeunes des armes de plus en plus dangereuses comme la kalachnikov, arme de guerre connue pour sa fiabilité.

Ne rien faire, c’est laisser la porte ouverte aux règlements de compte, dont l’actualité nous montre qu’ils concernent trop fréquemment des délinquants à peine adultes. C’est aussi faire courir des risques importants à nos forces de sécurité. Permettez-moi, à cet égard, d’avoir ici une pensée particulière pour le policier touché la semaine dernière, à Vitrolles. Ne rien faire, c’est enfin mettre en danger nos concitoyens en les exposant aux balles perdues. Je vous rappelle que, la semaine dernière, à Saint-Ouen, un passant a été blessé dans une fusillade.

Le Gouvernement est pleinement conscient de ces dangers. La lutte contre les trafics d’armes fait partie des priorités que Claude Guéant, ministre de l’intérieur, a fixées à l’action des services. La mobilisation de ces derniers, coordonnée par l’Office central de lutte contre le crime organisé, porte ses fruits : en 2010, 2 719 armes ont été saisies, contre 1 487 pour l’année 2009, soit une augmentation de plus de 82 %. Du 1er janvier au 24 novembre 2011, on compte déjà plus de 3 335 armes saisies.

Parallèlement à cette mobilisation opérationnelle, le Gouvernement a pris trois mesures d’ordre réglementaire pour renforcer le contrôle de la circulation des armes dans notre pays.

Première mesure : les armureries sont maintenant mieux contrôlées. Par un décret du 10 juillet 2010, un régime d’autorisation administrative d’ouverture a été mis en place pour les armureries. Désormais, le préfet est en droit de s’opposer à l’ouverture d’une armurerie s’il estime que celle-ci pose un problème de sécurité publique.

Un décret du 9 novembre 2011 soumet également les armuriers à une procédure d’agrément individuel. Armurier n’est pas une profession ordinaire : il est donc normal que l’État se donne les moyens d’exercer un vrai contrôle, à la fois d’honorabilité et de compétence professionnelle des intéressés.

Deuxième mesure : nous disposons désormais, avec le fichier AGRIPPA, ou « application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes », d’un outil efficace et moderne de traçabilité des armes en circulation. Ce fichier, qui existe depuis quatre ans, recense à ce stade 3,5 millions de détenteurs d’armes.

Cet outil permet d’ores et déjà de tracer les armes soumises à autorisation, à déclaration et, depuis le 1er décembre 2011, à enregistrement pour les armes de chasse acquises à compter de cette date.

Depuis l’adoption de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 25 janvier dernier, la base AGRIPPA s’est modernisée pour remédier aux imperfections signalées dans le rapport de la mission d’information parlementaire.

Tout d’abord, jusqu’à très récemment, seuls les agents des préfectures bénéficiaient d’un accès direct à cette application informatique. Les forces de sécurité, si elles avaient besoin d’un renseignement, devaient donc saisir les préfectures, avec les délais que cette procédure induit. Le rapport de la mission parlementaire avait à juste titre soulevé cette anomalie. Aussi, sur l’initiative de Claude Guéant, l’ensemble des unités de police et de gendarmerie dispose désormais d’un accès direct à AGRIPPA.

Ces chantiers se poursuivront. Ils nous permettront de disposer d’un outil moderne, fiable et efficace pour lutter contre la circulation incontrôlée des armes.

Troisième mesure : nous disposons désormais d’un fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes, le FINIADA, créé par le décret du 5 avril 2011.

Notre objectif est simple. Nous voulons que des personnes présentant un danger pour autrui ne puissent plus acquérir une arme. D’ores et déjà, 18 000 personnes font l’objet d’une interdiction de détention d’armes. Ce nouveau fichier a pour objet de faire respecter plus efficacement cette interdiction.

Aujourd’hui pleinement opérationnelle, cette base nationale répertorie les personnes frappées d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes à la suite d’une décision du préfet territorialement compétent. La gestion de ces dossiers est dévolue aux services des armes des préfectures.

Parce qu’il permet de renforcer l’information des services préfectoraux, des services de police et de gendarmerie, des services des douanes, des armuriers, de la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, quant aux personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes, ce fichier permet d’éviter qu’une arme ne soit vendue ou qu’un permis de chasse ne soit délivré à une personne jugée inapte à détenir une arme.

J’ai proposé d’étendre ce fichier aux interdits judiciaires, en particulier à ceux qui auront été condamnés à une peine complémentaire d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes. Ces peines vont se développer puisque nous avons prévu qu’elles deviennent automatiques pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme.

Ainsi, la base de données couvrira progressivement toutes les personnes qui, en raison de leur comportement, présentent une menace pour la sécurité publique si elles sont mises en possession d’une arme.

Votre proposition de loi vient enfin renforcer de manière décisive les moyens de lutter contre le trafic d’armes. Outre la simplification de la classification des armes que j’ai déjà mentionnée, qui facilitera le contrôle de l’application de la législation sur les armes, je citerai quatre mesures très positives.

Première mesure : le régime des saisies administratives est renforcé.

Il s’agit de permettre aux préfets, sans attendre une décision judiciaire, de procéder d’initiative à la saisie d’armes, lorsque le comportement de leur propriétaire fait courir un danger grave pour lui-même ou pour autrui, ou lorsqu’il existe un risque de trouble à l’ordre public. La proposition de loi permettra que les deux modes de saisie administrative prévus par le code de la défense soient désormais applicables à toutes les catégories d’armes. C’est une avancée, et je m’en félicite.

Deuxième mesure : l’acquisition et la détention d’une arme deviendront impossibles à une personne qui a été condamnée pour une infraction dénotant un comportement violent, incompatible avec la possession d’une arme à feu.

Très concrètement, une vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire permettra de s’assurer, au moment de la vente, qu’une personne souhaitant acquérir une arme n’a pas fait l’objet par le passé d’une condamnation pour des infractions volontaires particulièrement graves, telles que vol, extorsion, atteinte à la vie, ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne.

La nouvelle rédaction proposée par votre rapporteur ne laisse plus subsister aucune ambiguïté quant aux infractions concernées, clairement définies par référence au code pénal.

Troisième mesure : sont instaurées des peines complémentaires obligatoires, telles que l’interdiction de port d’arme à destination des auteurs de violences volontaires condamnés définitivement.

Ce texte complète le dispositif pénal en instaurant des peines complémentaires, dites automatiques, pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme. Il nous paraît important que ce dispositif concerne les infractions les plus graves. Des ajustements seront proposés au cours de la discussion afin de concentrer cette mesure sur les auteurs de crimes et délits les plus dangereux pour notre société, qui ne doivent plus être en situation de posséder une arme.

Les principes de proportionnalité et de personnalisation de la peine seront néanmoins pleinement respectés puisque le tribunal pourra ne pas faire application de cette peine complémentaire automatique, voire ne pas opter pour la durée maximale prévue par le texte. J’approuve ce dispositif confirmé par votre commission des lois.

Quatrième mesure : les sanctions pénales prises à l’encontre des trafiquants seront durcies.

La procédure applicable à la criminalité organisée pourra être appliquée aux infractions à la législation sur la fabrication et le commerce des armes. Cette disposition permettra, par exemple, d’utiliser des techniques d’enquête propres aux affaires de criminalité organisée.

Par ailleurs, les peines applicables seront revues à la hausse. Ainsi, la cession d’une arme soumise à autorisation sans que la procédure ait été respectée fera encourir une amende de 45 000 euros, contre 3 750 euros aujourd’hui. L’absence de déclaration exigée d’une arme sera aussi sanctionnée plus sévèrement. Ces dispositions vont dans le bon sens.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient très largement cette initiative parlementaire et salue l’équilibre du texte qui vous est soumis, fondé sur un esprit de responsabilité et de sécurité publique.

Je me félicite des échanges très constructifs qui ont présidé à la préparation de ce texte. Je remercie également la commission de la tâche accomplie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous sur ce travail parlementaire de très grande qualité, qui a suscité un large consensus, tant à l’Assemblée nationale le 25 janvier dernier qu’au sein de votre commission des lois. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes à feu moderne, simplifié et préventif, déposée à l’Assemblée nationale le 30 juillet 2010 par MM. Claude Bodin, Bruno Le Roux, Jean-Luc Warsmann, ainsi que la proposition de loi de MM. Courtois et Poniatowski et la proposition de loi de M. César, déposées respectivement les 23 mars et 5 juillet 2011.

Le texte issu de l'Assemblée nationale résulte des travaux menés par une mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, présidée par M. Le Roux, dont le rapporteur était M. Bodin.

Le tableau des armes à feu en France dressé par ce rapport n’est certes pas des plus inquiétants. La mission a ainsi estimé que, dans les quartiers dits « sensibles », les armes à feu n’enregistrent pas une augmentation notable, bien qu’elles soient peut-être davantage mutualisées qu’avant. Il est encore trop tôt pour dire si les faits récents survenus à Marseille doivent conduire à remettre totalement en cause ce constat.

En outre, les principaux détenteurs légaux d’armes à feu que sont les chasseurs et les tireurs sportifs font preuve, selon les auteurs du rapport, d’un esprit de responsabilité, et leurs activités sont bien encadrées par les fédérations auxquelles ils adhèrent.

En revanche, la mission d’information a jugé assez sévèrement les dispositions législatives et réglementaires actuelles ; elle a pointé un manque d’intelligibilité flagrant et des difficultés d’application croissantes pour les services de police, les brigades de gendarmerie et les préfectures.

Cette situation est due au caractère stratifié des dispositions relatives à la classification, à l’acquisition et à la détention des armes, qui résultent essentiellement d’un décret-loi du 18 avril 1939 et constituent encore aujourd’hui l’essentiel de la réglementation applicable aux armes à feu.

En outre, le décret du 6 mai 1995 classe les armes en fonction tantôt de leur nature, telles les armes blanches, tantôt de leur destination, comme les armes de guerre ou les armes de chasse. Du fait du choix de ces critères, qui ne sont pas strictement corrélés à un degré de dangerosité, une même catégorie pourra comprendre des armes soumises à plusieurs régimes juridiques différents.

Ainsi, la première catégorie comprend des armes de guerre en principe interdites, mais dont certaines peuvent être détenues par les tireurs sportifs sous un régime d’autorisation. De même, les matériels de guerre des catégories 2 et 3, qui sont interdits, peuvent être collectionnés sous certaines conditions. Enfin, les armes des catégories 5 – armes de chasse – et 7 – armes de tir et de foire – sont tantôt soumises au régime de déclaration, tantôt en détention libre.

Les critères de classement retenus par le pouvoir réglementaire pour placer chaque type d’arme dans tel ou tel régime juridique de chaque catégorie sont multiples. Il peut s’agir de données concrètes et mesurables, comme le calibre, la longueur totale, la longueur du canon, mais aussi de données plus abstraites, telles que la convertibilité en arme de poing ou la dangerosité.

La grande précision dans l’énumération des matériels, qui découle de la volonté de prendre en compte tous les modèles possibles, aboutit à un classement des plus complexes. En outre, le classement ne peut échapper à une multiplication des sous-catégories et des dérogations.

Forts de ce constat, les auteurs de la présente proposition de loi ont souhaité, en premier lieu, simplifier la classification des armes à feu. Ils proposent ainsi de créer quatre catégories – A, B, C, D – au lieu des huit existantes, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre.

Alors que le classement actuel se fonde sur les caractéristiques techniques des armes, le nouveau classement reposerait directement sur une gradation des régimes juridiques auxquels elles sont soumises : interdiction, autorisation, déclaration, enregistrement ou liberté.

L’Assemblée nationale a toutefois intégré un amendement du Gouvernement divisant à nouveau la catégorie A en deux sous-catégories : d’une part, la catégorie A1 pour les armes de guerre, d’autre part, la catégorie A2 pour les matériels de guerre. La rédaction proposée par le Gouvernement prévoit également que des armes qui ne sont pas des armes de guerre mais qui présentent une même dangerosité pourront figurer dans la catégorie Al.

À l’article 3 de la proposition de loi, chaque nouvelle catégorie se voit assigner un régime juridique spécifique : l’interdiction pour les catégories A1 et A2, sauf exception, l’autorisation pour la catégorie B, la déclaration pour la catégorie C et la liberté pour la catégorie D. Certaines armes de cette dernière catégorie pourront toutefois être soumises à des formalités légères, telles qu’un enregistrement, afin d’en assurer la traçabilité. Par ailleurs, l’acquisition des armes soumises à autorisation ou à déclaration supposera l’absence d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de certaines condamnations dont la commission des lois a précisé la liste afin de la rendre plus pertinente.

Nous aurons à examiner un amendement déposé par M. Mirassou et plusieurs de ses collègues tendant à redéfinir le contenu des catégories A1 et A2. Les armes de la catégorie A1 deviendraient totalement interdites, toutes les armes sous régime d’autorisation étant placées dans la catégorie B. Sous réserve de quelques modifications, la commission a donné un avis favorable à cet amendement, dont l’adoption permettrait de simplifier encore le dispositif en le rapprochant de celui de la directive de 1991.

Quoi qu’il en soit, comme auparavant, le classement des armes dans les nouvelles catégories relèvera du pouvoir réglementaire. L’administration ne pourra donc faire l’économie d’un toilettage complet de l’inventaire actuel. Selon l’article 1er, les armes devront être classées en fonction de leur dangerosité, elle-même appréciée selon des critères précisés par le texte. À cet égard, je pense que nous avons remédié à certaines inquiétudes en précisant que le calibre n’est pris en compte qu’à titre subsidiaire.

En deuxième lieu, la proposition de loi comporte des dispositions favorables aux collectionneurs d’armes.

Ainsi, l’article 2 élargit la définition des armes de collection : il avance à 1900 la date avant laquelle, sauf dangerosité particulière, les armes sont considérées comme telles ; en outre, il inclut les matériels de guerre neutralisés antérieurs à 1946 dans la liste des pièces de collection.

L’article 8 ouvre aux collectionneurs la possibilité d’obtenir une « carte » leur permettant d’accéder à des armes de catégorie C.

Mes chers collègues, je vous proposerai, au nom de la commission, de définir un nouvel équilibre, établi après une large concertation avec les associations de collectionneurs et le ministère de l’intérieur : un élargissement du champ des armes de collection et, en contrepartie, un encadrement du statut du collectionneur.

Sur le premier point, je vous soumettrai deux amendements permettant aux ministères concernés d’aller au-delà des millésimes de 1900 et 1946. Ces amendements reprennent des préconisations du rapport de notre collègue Gérard César remis au Premier ministre au mois de novembre 2010.

Sur le second point, à savoir le statut des collectionneurs, je vous proposerai une réécriture de l’article 8 afin de poser de nouvelles conditions à l’obtention de la carte de collectionneur, dans un souci de sécurité publique.

En troisième lieu, les auteurs de la proposition de loi entendaient améliorer la connaissance et le suivi des armes présentes sur le territoire français par l’instauration d’une « carte grise » pour chaque arme à feu, document qui aurait mentionné, outre la catégorie, le nom du détenteur et un numéro d’immatriculation unique. Il aurait ainsi été plus aisé, à partir d’une arme retrouvée, de « remonter » à son détenteur, par exemple.

Lors du dépôt de la proposition de loi, soit juillet 2010, le fichier des propriétaires et possesseurs d’armes, dit « AGRIPPA », ne fonctionnait pas de manière satisfaisante. Le fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes, le FINIADA, quant à lui, bien que prévu par l’article L. 2336-6 du code de la défense, n’avait pas été créé.

Depuis cette date, le FINIADA a été mis en service et l’efficacité du fichier AGRIPPA semble avoir été nettement améliorée. En outre, la possibilité de se connecter par Internet avec le FINIADA a été ouverte aux armuriers et aux fédérations de chasse, qui pourront ainsi le consulter plus aisément.

Ces progrès récents ont amené la commission des lois de la Haute Assemblée à approuver la décision de la commission des lois de l’Assemblée nationale de supprimer l’article 4 créant ce dispositif de carte grise des armes. Toutefois, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous confirmer que le fichier AGRIPPA et le FINIADA, dont vous venez de rappeler les grands principes, sont pleinement opérationnels.

M. Philippe Richert, ministre. Je vous le confirme, monsieur le rapporteur.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur. En quatrième lieu, la proposition de loi comprend une longue série d’articles destinés à rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée de la juridiction, le prononcé des peines complémentaires d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, de détenir un permis de chasser, ou encore le prononcé de la peine de confiscation des armes détenues par l’intéressé.

Il s’agit d’inciter les juridictions à prononcer une sanction qu’elles ignorent trop souvent, mais qui peut s’avérer particulièrement pertinente lorsque la personne condamnée a commis certains crimes ou délits dénotant un comportement manifestement incompatible avec la détention d’une arme, tels que des violences volontaires graves contre les personnes, des vols à main armée, etc.

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que le dispositif prévu par ces articles est compatible avec les principes qui fondent notre droit pénal.

En effet, à deux reprises, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de dispositions encadrant le pouvoir d’appréciation du juge dans la détermination des peines, lors de la création de peines planchers par la loi du 10 août 2007 et d’une peine de confiscation obligatoire du véhicule par la LOPPSI 2 du 14 mars 2011, dès lors que la juridiction conserve la possibilité de ne pas prononcer la peine en raison des circonstances de l’espèce.

En outre, les peines complémentaires relatives aux armes à feu me semblent d’une nature particulière, différentes des autres peines complémentaires, telles que l’interdiction des droits civiques ou la peine de confiscation, par exemple : effectivement, il n’existe pas en France de droit absolu à détenir une arme à feu. La détention et l’utilisation des armes sont soumises, en raison de leur dangerosité, à un encadrement strict dans lequel prédomine un impératif de sécurité publique. À cet égard, il ne paraît pas choquant de priver du droit d’utiliser une arme une personne qui a commis une infraction portant atteinte volontaire aux personnes ou aux biens, ce type de comportement pouvant légitimement être considéré comme incompatible avec la détention et l’usage d’une arme.

La commission des lois a donc retenu ce dispositif de peines obligatoires proposé par nos collègues députés, tout en lui apportant quelques modifications, telles que la suppression des dispositions prévoyant le caractère obligatoire des peines complémentaires pour les infractions ne manifestant pas nécessairement un comportement incompatible avec la détention et l’usage d’une arme à feu. Elle l’a en revanche étendu à des infractions pour lesquelles ce dispositif se justifie de toute évidence : je veux parler de la participation à un attroupement armée ou de l’introduction d’armes dans un établissement scolaire.

Par ailleurs, elle a émis un avis favorable sur les amendements déposés par le Gouvernement, qui tendent à resserrer le champ de ces peines obligatoires sur les infractions les plus graves manifestant un comportement incompatible avec la détention et l’usage d’une arme.

La proposition de loi comporte également des dispositions harmonisant ou renforçant les peines prévues dans le code de la défense pour les infractions à la réglementation sur les armes.

À cet égard, la commission des lois avait supprimé l’article 31 de la proposition de loi qui posait des problèmes de compatibilité avec le droit communautaire. Les services du ministère de l’intérieur et du ministère de la défense ont travaillé ensemble sur cette question, et le Gouvernement a déposé un amendement tendant à une nouvelle rédaction de cet article, auquel la commission donnera un avis favorable.

La proposition de loi prévoit enfin un régime transitoire pour les armes dont le régime de détention sera modifié du fait de l’application de la nouvelle classification. Alors que la proposition de loi originale était très favorable à la préservation des droits acquis des détenteurs, la commission des lois de l’Assemblée nationale, suivant en cela une recommandation du Conseil d’État, a prévu un régime plus équilibré. Ainsi, les autorisations accordées seront maintenues jusqu’à leur expiration. Par ailleurs, les déclarations devront être déposées et les demandes d’autorisation formulées auprès des préfectures à la prochaine cession de l’arme concernée. Enfin, les armes qui passeraient en catégorie A1 et deviendraient donc prohibées devraient être remises à l’État, sauf autorisation spéciale dont les modalités seront fixées par un décret en Conseil d’État.

La proposition de loi de MM. Courtois et Poniatowski et celle de M. César comportent de nombreuses dispositions communes avec celle qui nous vient de l’Assemblée nationale. La première d’entre elles se retrouve, en partie, dans un amendement déposé à l’article 1er, auquel la commission a donné un avis favorable. La seconde évoque plus particulièrement les droits des collectionneurs, question que j’ai déjà évoquée et sur laquelle, comme je l’ai indiqué, la commission vous proposera un compromis.

Pour conclure, je pense que nous pouvons nous réjouir de débattre aujourd’hui d’une proposition de loi qui constitue une indéniable avancée en matière de régime juridique de la détention des armes, tant la simplification qu’elle propose permettra de rendre la loi intelligible pour tous.

Ce texte présente aussi, à mon sens, les garanties nécessaires pour assurer la protection de la sécurité publique, tout en respectant les droits légitimes des utilisateurs respectueux de la réglementation.

Bien entendu, les trafiquants et délinquants qui se servent d’armes au cours de leurs règlements de compte n’ont que faire de la législation. Toutefois, le fait que celle-ci devienne plus claire et plus facile à appliquer ne peut in fine que contribuer à la lutte contre la criminalité. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUCR, du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)