Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, j’ai déjà longuement exposé, lors de la discussion générale, les raisons qui ont poussé la commission des affaires sociales à décider d’opposer la question préalable à cette proposition de loi. Je ne crois pas nécessaire d’y revenir en détail. Nous voulons rester en cohérence avec la position adoptée par le Sénat en première lecture : le texte n’a pas changé, ou si peu, et il n’est pas plus acceptable aujourd’hui qu’il y a quinze jours.

Je tiens simplement à rappeler quelques points importants.

Tout d’abord, pour nous, cette proposition de loi porte une atteinte manifestement disproportionnée au droit constitutionnellement protégé qu’est le droit de grève. Je note au passage que vous invoquez le principe constitutionnel de la liberté d’aller et venir, en l’occurrence le droit de voyager. Mais l’adoption de ce texte permettra non pas de mieux faire respecter ce droit, mais simplement d’informer les passagers afin de leur permettre de rester chez eux en attendant que les vols reprennent. Voilà pour ce qui constitue l’un de vos principaux arguments, monsieur le ministre !

Certaines dispositions de la proposition de loi, notamment le délai de dédit de vingt-quatre heures, seraient inopérantes dans le secteur du transport aérien, car les délais prévus sont de toute façon trop courts pour permettre une réorganisation de l’activité. Il faut bien mal connaître le déroulement d’un mouvement social ou d’une grève pour proposer d’encadrer le droit de grève dans de tels délais !

Ensuite, rien n’est fait ici pour améliorer les conditions de travail des personnels de l’assistance en escale ou de la sûreté, ou même de l’ensemble des personnels du secteur aérien, alors que c’est là que réside la véritable solution pour apaiser durablement les tensions dans les aéroports.

Par ailleurs, l’examen de ce texte dans la précipitation, pour des raisons électoralistes, est inacceptable. Je reviens sur l’argument que j’ai déjà développé et qui a été également repris par d’autres orateurs : l’absence, non pas d’auditions, mais de consultation préalable des partenaires sociaux, pourtant les premiers concernés par les effets de ce texte, démontre la méfiance infondée de la majorité gouvernementale pour le dialogue social.

Monsieur le ministre, auditionner des organisations syndicales dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi est une chose ; ouvrir des négociations et suivre le protocole tel qu’il a été voté au Sénat et à l'Assemblée nationale en est une autre. Le protocole précise bien que les organisations syndicales doivent être consultées sur le texte et qu’elles doivent pouvoir s’exprimer sur leur demande d’ouverture, ou non, de négociations. Dans les quinze jours suivant cette consultation, les organisations syndicales doivent nous donner leur réponse. Si elles demandent l’ouverture de négociations avec le Gouvernement, alors le texte ne peut pas être étudié tant que les négociations n’ont pas eu lieu.

Chers collègues de l’opposition sénatoriale, voilà ce que prévoit le protocole qui a été adopté ici même, dois-je le rappeler, sur l’initiative de Gérard Larcher. Or ce protocole n’a absolument pas été respecté !

Si nous contestons le recours à une proposition de loi, c’est bien évidemment non pas parce que nous dénigrons l’initiative parlementaire, mais parce qu’il s’agit d’un détournement du travail des parlementaires au bénéfice du Gouvernement, afin notamment d’éviter le passage du texte devant le Conseil d’État. En l’espèce, il faut bien dire que cela arrange le Gouvernement !

Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas modifié sensiblement sa position initiale en nouvelle lecture.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission a eu raison d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable et vous invite à en faire autant.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Thierry Mariani, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour explication de vote.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Chers collègues de la majorité sénatoriale, je suis très surprise de cet acharnement contre une proposition de loi qui répond simplement aux attentes des Français.

Je répondrai rapidement aux arguments que vous avez avancés.

Vous avez tout d’abord et principalement reproché au texte de limiter l’exercice du droit de grève.

Ce jugement est totalement en décalage avec la portée réelle de la proposition de loi. Après son adoption, les grèves dans les transports aériens pourront en effet avoir lieu comme aujourd’hui. Ce qui change, c’est la prévisibilité du trafic, l’information des usagers et le respect de ces derniers.

On parle beaucoup du respect des droits des salariés, auquel nous sommes nous aussi attachés, mais on oublie les droits des usagers, notamment le principe fondamental de la liberté d’aller et venir, ainsi que le respect de l’ordre public !

Ce ne sont pas, me semble-t-il, « des impératifs concurrents à la portée mal définie », pour reprendre les termes d’un considérant de la motion.

Vous avez ensuite évoqué le manque de considération dont seraient victimes certaines catégories de personnels, mais vous faites preuve d’un remarquable manque de considération pour les passagers, dont nous faisons tous partie.

D’après les considérants de la motion, il n’y aurait pas eu de dialogue préalable avec les partenaires sociaux. Je tiens à le dire, la procédure suivie pour l’examen des propositions de loi a pourtant été respectée, les partenaires sociaux ayant été auditionnés par le rapporteur de l’Assemblée nationale.

Nous aurions aimé assister à de telles auditions ici, au Sénat. M. le rapporteur nous a informés qu’elles avaient eu lieu, mais, comme nous l’avons déjà souligné en commission, nous n’y avons pas été conviés. Lorsque nous rapportons sur des textes sociaux, il serait normal de convier l’ensemble des collègues à prendre part à ces travaux – viendra qui veut ! –, et c’est d’ailleurs ce qui se passait habituellement avant le changement de majorité au Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Par l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable, nous allons conclure au rejet du texte et laisser l’Assemblée nationale souveraine, sans même avoir formulé de propositions.

Finalement, cela revient à refuser tout dialogue sur une question pourtant jugée importante par nos concitoyens. Notre groupe et moi-même le regrettons sincèrement et voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. René-Paul Savary. Monsieur le président, je demande la parole pour explication de vote.

M. le président. Mon cher collègue, je vous rappelle que seul un représentant de chaque groupe est autorisé à prendre la parole en explication de vote.

La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Bockel. Mes chers collègues, une impression de déjà-vu émane de cette discussion, puisque nous avons examiné cette proposition de loi voilà deux semaines. Cet effet est quelque peu contrebalancé par le fait que, contrairement à ce que disait Mme David, l’Assemblée nationale a apporté, en nouvelle lecture, des améliorations notables au texte.

Mon explication de vote est une nouvelle occasion de dire, comme l’a fait mon collègue Vincent Capo-Canellas, tout le bien que le groupe UCR pense de cette proposition de loi, un texte nécessaire et équilibré.

M. le rapporteur, qui est bien évidemment opposé cette proposition de loi, a tout de même reconnu en première lecture la nécessité d’agir : il s’est dit tout à fait « conscient des difficultés que rencontrent les voyageurs en cas de perturbation du trafic aérien consécutive à un conflit social ».

Lorsque l’on est effectivement conscient de ces difficultés et de l’impact que de tels conflits peuvent avoir sur la vie de nombreux usagers, l’on est aussi conscient de la nécessité de faire quelque chose, et sans tarder, en respectant naturellement le droit de grève, droit constitutionnel auquel nous sommes tous attachés.

Autrement dit, il s’agit de concilier droit de grève et organisation du service, ni plus ni moins ! C’est précisément ce que fait le texte et c’est en cela qu’il est équilibré, particulièrement depuis qu’il a été modifié en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.

La proposition de loi ne remet pas en cause le droit de grève et n’instaure absolument pas un service minimum dans le service du transport aérien. Cela supposerait de pouvoir limiter le droit de grève ou de réquisitionner certains personnels, ce qui n’est pas l’objet du texte.

En revanche, la proposition de loi permettra de contribuer à prévenir les conflits en relançant le dialogue social. Malgré les polémiques qui avaient entouré sa création, ce dispositif a été mis en place pour les transports terrestres, et il fonctionne plutôt bien. J’émettrai cependant un bémol important dans cette comparaison : contrairement à ce qui existe pour les transports terrestres, la négociation d’accords-cadres de prévention des conflits est en l’espèce facultative.

En tout état de cause, la proposition de loi améliore sensiblement l’information des usagers.

Il n’y a rien de choquant à demander aux grévistes de se déclarer individuellement quarante-huit heures avant de cesser le travail afin que le service soit organisé au mieux et que les usagers puissent disposer d’une information fiable. Encore une fois, ce dispositif existe déjà dans les transports terrestres, et il ne choque personne.

Quant au délai minimum de dédit, ne nous racontons pas d’histoires ! Nous savons pourquoi il est nécessaire : l’abus de déclarations d’intention est une réalité qui vide de son contenu tout le dispositif du service minimum dans les transports terrestres. Il fallait donc réagir.

Les modifications du texte apportées par l'Assemblée nationale constituent donc de véritables progrès par rapport au dispositif initial. Avec ces apports, l’équilibre et le réalisme du texte sont difficilement contestables.

Ces améliorations, qui étaient pour nous autant de raisons supplémentaires de voter ce texte, sont autant de preuves supplémentaires du caractère quelque peu idéologique du rejet proposé par la commission.

Pour toutes ces raisons, le groupe UCR votera une fois de plus contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)

(M. Jean-Claude Carle remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, le président et premier actionnaire d’Air Méditerranée, Antoine Ferretti, annonçait aux salariés qu’ils devaient choisir entre perdre leur emploi ou aller travailler en Grèce moyennant, entre autres, une perte d’environ 30 % de leurs salaires.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, ces salariés ont écrit au Président de la République, car ils craignent non seulement le départ de toute leur flotte et la disparition de leur entreprise, mais « pire encore […] que la méthode se propage aux autres compagnies aériennes françaises qui ne sauront résister à ce dumping social ».

Voilà, mes chers collègues, une nouvelle illustration du combat que doivent mener les salariés face à cet odieux chantage à l’emploi qui est mené sous couvert de crise.

Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l’on vote une proposition de loi pour affaiblir encore les droits des salariés, pour les réduire un peu plus vite au silence et les désarmer complètement face au nivellement par le bas, continu, de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations ?

Quant aux arguments tirés de la continuité du service public, de la sécurité des personnes et du maintien de l’ordre public, nous avons déjà montré qu’ils ne résistent pas à l’analyse juridique. Il est vrai que le principe à valeur constitutionnelle de la continuité du service public doit être concilié avec le droit de grève. Cependant, les entreprises visées ont été largement délestées de leurs missions de service public quand vous les avez privatisées !

Il n’y a pas lieu de prendre en compte ce principe au-delà du service minimum déjà assuré dans le domaine de la navigation aérienne par la loi du 31 décembre 1984.

Ces quelques considérations justifient à elles seules notre vote de la motion tendant à opposer la question préalable. Mais il en existe bien d’autres que je n’ai pas le temps de développer à nouveau ici.

À ceux qui croient que le droit de grève est une sorte de privilège, je tiens cependant à dire que son exercice est un véritable sacrifice pour les travailleurs. Ceux qui n’ont jamais fait grève semblent ignorer que les obligations des parties au contrat de travail sont suspendues pendant la grève et que, si un accident survient, il sera considéré comme un accident de droit commun, tout comme ils font mine d’ignorer que les grévistes ne sont pas payés.

Mais cela ne suffit pas aux patrons ! Il faut encore que, avec la complicité du Gouvernement, ils affaiblissent les droits des travailleurs par cette proposition de loi et par bien d’autres pratiques qui participent de la même logique rétrograde. Je pense ici à la réquisition de salariés de droit privé dans la raffinerie de Grandpuits lors des manifestations contre la réforme des retraites, réquisition sur ordre de votre gouvernement qui a ensuite été annulée par le juge.

Je pense aussi ici à la validation, par le ministre du travail, Xavier Bertrand, du licenciement d’élus du personnel de l’entreprise NextiraOne, contre l’avis de l’inspection du travail, ou encore à la décision du conseil de discipline de la compagnie maritime SNCM, lequel a émis un avis favorable au licenciement de deux délégués du personnel. Ces pratiques sont inacceptables. Elles témoignent d’un profond mépris pour les salariés qui se battent pour préserver leur outil de travail.

Votre proposition de loi s’inscrit fidèlement dans cette politique inhumaine, que nous combattons, aux côtés des travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref.

Je veux tout d'abord dire à ma collègue Marie-Thérèse Bruguière qu’elle a quelque peu « forcé la note » ! En effet, pour justifier sa position, elle assimile une grève dans les transports publics à une situation quasi insurrectionnelle, mettant véritablement en cause l’ordre public. Point trop n’en faut, ma chère collègue !

Pour sa part, M. Bockel nous explique que l’attitude, dans ce débat, des sénateurs de gauche ne serait qu’une posture idéologique. Rien de moins ! Mes chers collègues, à trop vouloir prouver, on ne prouve rien.

Quant à notre position, elle obéit à des choix fondamentaux que plusieurs d’entre nous ont exprimés. Nous considérons que cette proposition de loi est un texte de circonstance, visant à répondre à des situations déterminées, dans une période donnée. En tout cas, elle ne prend pas en considération un point pourtant très sérieux : la recherche des causes d’une grève.

En effet, quand des travailleurs salariés, se mettant en grève, bloquent le système aérien d’un pays comme le nôtre, avec toutes les perturbations qui en découlent, ils doivent tout de même avoir quelques raisons pour le faire !

Notre collègue Jacky Le Menn a rappelé qu’on ne se mettait pas en grève par plaisir. Pour sa part, la droite considère, bien sûr, qu’il convient d’user du droit de grève sans gêner personne ! (Sourires.) Où avez-vous vu de telles grèves ? Cela n’a jamais existé, ni en 1936 ni aujourd'hui !

Notre réponse est donc très claire : nous voterons avec détermination la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

Je rappelle également que le Gouvernement s’est déclaré défavorable à l’adoption de cette motion.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 113 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Majorité absolue des suffrages exprimés 172
Pour l’adoption 175
Contre 168

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports
 

5

Communication relative à un projet de nomination

M. le président. Mes chers collègues, en application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application du décret n° 93-861 du 18 juin 1993, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, lors de sa réunion du mercredi 29 février 2012, a émis un vote favorable (21 voix pour, 0 voix contre et 0 abstention), en faveur de la reconduction de M. François Jacq, en qualité de président-directeur général de l’établissement public Météo France.

Acte est donné de cette communication.

6

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la majoration des droits à construire
Discussion générale (suite)

Majoration des droits à construire

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire (projet n° 422, texte de la commission n° 437 rectifié, rapport n° 436 et avis n° 435).

La parole est à M. le président de la commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Mes chers collègues, je vous confirme que je souhaite réunir la commission de l’économie pour l’examen des amendements extérieurs, non pas à la fin de la discussion générale, mais juste après la suspension de nos travaux, à l’heure que vous choisirez pour celle-ci, monsieur le président.

M. le président. Mon cher collègue, je vous propose de suspendre la séance vers dix-neuf heures trente. (M. le président de la commission acquiesce.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la majoration des droits à construire
Article 1er A (nouveau)

M. Benoist Apparu, ministre chargé du logement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner un projet de loi qui, à l’origine, avait vocation à augmenter les droits à construire. Pour le Gouvernement, ce texte devait être emblématique et traduire ce que nous appelons de nos vœux, à savoir la mise en place d’un nouveau modèle économique pour la production de logements dans notre pays.

Pourquoi un nouveau modèle économique me semble-t-il nécessaire en la matière ?

Jusqu’à présent, vous le savez, notre politique du logement reposait principalement sur un niveau exceptionnellement élevé d’intervention publique. La Nation a ainsi consacré, en 2010, près de 41 milliards d’euros, soit plus de 2 % du PIB, aux politiques du logement. Ce niveau est historiquement élevé.

Cette intervention massive n’a empêché ni la hausse des prix ni celle des loyers, notamment dans les territoires dits « tendus », portés par une dynamique démographique et économique.

Pour que l’on mesure bien l’importance des choix que nous aurons à opérer aujourd'hui et dans les semaines à venir, j’ajoute que, pour l’année 2000, les encours de crédits liés à la production de logement se sont élevés à 290 milliards d’euros, tous types de production confondus, à savoir aussi bien le logement social et la promotion immobilière que l’investissement privé et, bien évidemment, l’accession à la propriété.

Si l’on se réfère maintenant à l’année 2010, on constate que ces encours de crédits sont passés à 900 milliards d’euros. Ils ont donc été multipliés par trois en l’espace de dix ans.

Parallèlement, sur la même période, la production de logements en tant que telle n’a augmenté que suivant un facteur 0,3. Autrement dit, la progression des masses financières en cause résulte de la hausse des prix, non de la production de logements.

Notre économie du logement est donc aujourd'hui davantage une économie de rente qu’une économie de production. Tel est d'ailleurs le problème majeur auquel nous sommes actuellement confrontés dans l’élaboration des politiques du logement.

C’est la raison pour laquelle nous sommes persuadés qu’il nous faut changer de modèle économique. Si ce dernier repose, d’une façon ou d’une autre, sur l’investissement public ou sur la solvabilisation d’une clientèle, qu’il s’agisse d'ailleurs de la demande privée, du logement social ou de la promotion immobilière, il n’offre pas de solution adaptée à la réalité du monde du logement.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Jusque-là, nous sommes d’accord !

M. Benoist Apparu, ministre. Dans ce cas, j’espère que nous en tirerons tous les mêmes conséquences, monsieur le président de la commission ! Or j’avais cru comprendre que d’aucuns, sur certaines travées de cet hémicycle, avaient dans l’idée de continuer à investir massivement dans la politique du logement et d’y consacrer davantage d’argent public…

Comme vous tous, j’ai la conviction que les crises du logement que nous pouvons actuellement observer sur certains territoires sont essentiellement dues à une pénurie de l’offre. À l’évidence, le problème est lié au jeu traditionnel de l’offre et de la demande : lorsque la demande est forte ou l’offre faible, les prix montent, et inversement, comme nous pouvons d'ailleurs l’observer dans d’autres territoires.

Certes, notre pays construit beaucoup : 425 000 logements ont été mis en chantier en 2011. Ce chiffre représente une progression très importante par rapport à l’année 2010 et nous rapproche du record de l’année 2007.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, entre 2007 et 2010, en raison de la crise, nous avons enregistré globalement un déficit de construction de 100 000 logements par an. Toutefois, nous sommes à peu près parvenus à reconstituer l’offre depuis lors. La France est ainsi le premier producteur européen de logements : en 2011, le Royaume-Uni en a construit 120 000 et l’Allemagne 180 000. La différence des niveaux de production est donc considérable.

Malgré ce motif de satisfaction, il n’en reste pas moins vrai que, sur certains territoires, la production n’est pas suffisante pour répondre à la demande : il en résulte naturellement une hausse des prix, donc une augmentation des moyens financiers consacrés au logement.

Si nous connaissons ces difficultés dans le domaine de la production et de l’offre, c’est parce que nous subissons une série de contraintes que je voudrais évoquer devant vous.

La première d’entre elles est liée à notre droit de l’urbanisme, qui ne favorise pas assez la réalisation de projets ; il s’agit davantage d’un corpus de règles contraignantes que d’un encouragement à l’innovation. Avec un certain nombre de sénateurs, le Gouvernement a développé une réflexion sur l’urbanisme de projet et la nécessaire refonte du droit de l’urbanisme. Ce travail s’était concrétisé au travers de la proposition de loi déposée par Éric Doligé, que la Haute Assemblée n’a malheureusement pas eu le temps d’examiner complètement. Je le regrette, car l’adoption de ce texte aurait permis une évolution profonde du droit de l’urbanisme.

Le deuxième type de contrainte que nous devons affronter tient – j’ose le dire – à une forme de réticence des élus, notamment franciliens, à l’égard de la production massive de logements. Je peux le comprendre, parce que la construction de logements, en particulier en Île-de-France, représente des coûts induits très importants pour les collectivités locales : il faut bâtir aussi des écoles, des crèches, notamment, autant d’équipements sources d’importantes dépenses de fonctionnement.

C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que nous devrons, dans les mois à venir, engager une réflexion sur une aide aux « maires bâtisseurs », que ce soit sous la forme d’une péréquation fiscale ou d’une modulation des aides de l’État : il faudra aider ou encourager ces élus à produire des logements.

M. Philippe Dallier. Tout à fait !

M. Benoist Apparu, ministre. Le troisième élément de contrainte que je relève est la trop grande dispersion des compétences en matière d’urbanisme, alors que ce domaine nécessite une expertise rare.

Nous devrons travailler à une échelle différente : l’échelle intercommunale, telle que nous la connaissons notamment dans les communautés urbaines, représente, me semble-t-il, l’avenir. Certes, il sera difficile de concrétiser cette évolution, parce de nombreux élus sont opposés au transfert de cette compétence à l’échelon intercommunal, mais je suis convaincu que cette option va dans le sens de l’histoire, selon l’expression consacrée.

Le quatrième élément de contrainte que nous avons tous en tête est évidemment le contentieux, de caractère parfois abusif, voire mafieux. Certains contentieux ralentissent la réalisation des projets et les renchérissent, tout en retardant la livraison des logements.

Il nous faudra travailler à renforcer le cadre réglementaire : un projet de décret devrait être soumis au Conseil d’État dans le courant du mois de mars. Ce décret n’aura pas pour objet de limiter le droit au recours, car telle n’est pas notre volonté, mais de réduire le nombre des contentieux qui sont abusifs, pour ne pas dire – je me répète – mafieux.

Un autre élément vient brider la production de logements dans notre pays : les terrains constructibles ne sont pas nécessairement rares en France, mais ils sont trop peu mis sur le marché.

À titre d’exemple, je citerai un chiffre que les élus franciliens connaissent bien : l’Île-de-France dispose de 13 000 hectares de terrains constructibles non construits. Pour vous donner une échelle de comparaison, la Ville de Paris, sans le bois de Boulogne et le bois de Vincennes, a une superficie de 8 700 hectares : vous avez ainsi une idée de ce que représentent les terrains disponibles dans les plans locaux d’urbanismes existants. Il me semble que le schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF – je parle sous le contrôle des élus concernés – prévoit même d’ajouter 7 000 hectares constructibles. Nous disposerons donc, pour les années à venir, de masses de terrains considérables dans les plans locaux d’urbanisme actuels ou futurs pour construire les logements dont nous avons besoin.

Il n’en demeure pas moins que ces terrains sont trop rarement mis sur le marché. C’est pourquoi il nous faut réfléchir aux solutions envisageables.

Tout d’abord, nous devons bien évidemment agir sur la fiscalité. Un premier pas a été franchi à l’Assemblée nationale et confirmé au Sénat, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 : le Parlement a adopté le principe d’une majoration de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en zones tendues applicable aux terrains constructibles non construits.

L’Assemblée nationale a discuté un amendement visant à inverser la fiscalité des plus-values sur les propriétés non bâties : en effet, dans le schéma actuel, plus les propriétaires pratiquent la rétention foncière, moins ils sont taxés. Nous sommes convaincus qu’il faudra inverser ce mode de fonctionnement.