Mme Virginie Klès, rapporteur. En ce qui concerne l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, il me semble évident, sauf à mentir, que nous partageons tous sur ces travées les objectifs de lutte contre la délinquance et de protection maximale de nos policiers et de nos gendarmes, comme de toutes les forces armées de la nation, de toutes celles qui sont en danger à un moment ou à un autre. Il serait faux et déshonorant de tenter de faire croire le contraire.

Comme je viens de le dire, les circonstances dans lesquelles des policiers comme des gendarmes trouvent aujourd’hui malheureusement la mort ou sont blessés ne tiennent pas aux dispositions du code pénal qui régissent l’usage des armes.

Malgré vos affirmations relatives aux hésitations des policiers et des gendarmes à sortir leurs armes, je constate pour ma part ces dernières années une légère augmentation du nombre d’opérations au cours desquelles il y a des tirs. Par ailleurs, alors que, selon vous, les gendarmes se sentiraient mieux protégés et hésiteraient moins à sortir leurs armes, je constate pourtant que les interventions opérationnelles avec tirs sont moins nombreuses chez les gendarmes que chez les policiers nationaux. Même si je ne tire aucune conclusion de ce fait, il ne me semble cependant pas qu’il traduise un sentiment de liberté plus grand chez les gendarmes que chez les policiers quant à l’usage de leur arme.

Selon moi, avant de sortir une arme de son étui pour tirer sur la personne qui est en face de lui, tout homme, toute femme hésite légitimement et ne le fait qu’en cas d’absolue nécessité ou de légitime défense. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans 99,99 % des cas puisque fort peu de policiers ou de gendarmes sont condamnés, malgré les mises en cause systématiques et les examens systématiques. En effet, avant de retirer la vie à quelqu’un, on doit se demander pourquoi et comment.

Mon cher collègue, le sentiment d’insécurité, c’est sans doute vous qui le créez avec vos affirmations, y compris celles que vous proférez à cette tribune.

Je le rappelle, aujourd’hui, nous sommes dans un État de droit dans lequel la vie des citoyens est protégée, tout comme celle des policiers et des gendarmes, qui, pour ce faire, ont le droit d’utiliser leurs armes de par la loi ou le règlement, en cas de commandement de l’autorité légitime, d’absolue nécessité ou de légitime défense. Dans tous ces cas, l’usage de l’arme reste une infraction mais l’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre est régulièrement affirmée par la jurisprudence. Il n’y a pas de divorce entre les forces de l’ordre et la justice, contrairement à ce que vous voudriez faire croire.

Pour être reconnues, à l’heure actuelle, la légitime défense et l’absolue nécessité doivent répondre aux mêmes critères selon la jurisprudence tant internationale que nationale, à savoir l’existence ou la probabilité forte d’une menace. Même si l’arme brandie par l’agresseur est factice, à partir du moment où les circonstances permettent d’affirmer que la personne ne pouvait pas savoir qu’il s’agissait d’une arme factice mais pouvait légitimement penser qu’elle était en danger, la légitime défense est reconnue. La menace, la mise en danger, le risque sont les premières circonstances nécessaires pour que l’absolue nécessité ou la légitime défense soient reconnues. La simultanéité comme la proportionnalité de la réponse à la menace ou au sentiment de menace sont bien évidemment également examinées.

Alors, me direz-vous, pourquoi l’article L. 2338–3 du code de la défense établit-il une différence entre les policiers et les gendarmes ? Il énumère en effet certaines circonstances précises dans lesquelles les gendarmes peuvent utiliser leurs armes en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, alors que les policiers n’ont pas cette possibilité. Les gendarmes demeurent des militaires, même s’ils sont désormais rattachés au ministère de l’intérieur. Ils se voient encore confier des missions militaires et ont encore accès à une formation de militaires ; ils bénéficient en particulier du tutorat d’un gendarme expérimenté lors de leur première affectation, ce qui n’est pas le cas des policiers nationaux. En outre, même si un gendarme fait usage de son arme dans l’une des circonstances prévues par l’article L. 2338–3 du code de la défense, les juges examinent si les conditions étaient réunies et ils retiennent le critère de l’absolue nécessité.

Est-il vraiment nécessaire de faire croire que certains sont mieux protégés que d’autres, qu’ils peuvent sortir leur arme plus facilement, de manière plus libérale ? Je ne le crois pas. Il est au contraire nécessaire de leur répéter à tous – policiers et gendarmes – ce qu’ils savent déjà : sortir son arme de son étui et en faire usage contre un être humain est un acte grave, qu’il ne faut pas manquer d’accomplir si on en a besoin, mais dont on portera la trace toute sa vie. Il importe que la société, l’État, le Gouvernement et l’autorité hiérarchique de ces hommes et de ces femmes soient à leurs côtés, avec la justice, et leur disent de façon très claire que, après avoir tout regardé, tout examiné, après avoir décortiqué les circonstances, on les couvrira parce qu’on a constaté qu’ils avaient eu raison de se défendre.

C’est ce qu’il faut rappeler, au lieu de faire croire que les magistrats ou je ne sais qui d’autre seraient hostiles aux policiers et s’amuseraient à protéger les délinquants en disant aux policiers qu’ils ont eu tort de sortir leur arme. Ceux qui affirment de telles choses se déshonorent ; j’y insiste, mes chers collègues. Respecter l’honneur des policiers et des gendarmes consiste à leur dire que, dans 99,99 % des cas, si ce n’est dans 100 % des cas, ils ont eu raison d’utiliser leur arme. La chaîne de la justice avec laquelle ils travaillent tous les jours et qui lutte à leurs côtés contre la délinquance est là aussi pour leur dire, en toute transparence et devant les citoyens, qu’ils ont eu raison.

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !

Mme Virginie Klès, rapporteur. Voilà pourquoi je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rompre l’équilibre qui existe aujourd'hui entre le droit de tuer en temps de paix, que nous accordons de fait à nos forces de sécurité, et le droit de vivre inscrit dans la Constitution, qui concerne tout le monde. Cet équilibre est conforme à la jurisprudence nationale et internationale. Dans son arrêt Ülüfer c. Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a simplement délivré une mise en garde : les législations nationales ne doivent pas accorder des droits de tuer disproportionnés au regard du droit de vivre inscrit dans les différentes constitutions. La Cour n’a pas invité les délinquants à tuer des policiers, en leur promettant qu’il ne leur arriverait rien ! Je ne peux accepter que l’on fasse cette caricature ; je suppose d'ailleurs que ma voix trahit ma colère.

Je ne crois pas qu’il faille déséquilibrer les choses. Je ne crois pas qu’il faille ouvrir, ou faire semblant d’ouvrir aux policiers un nouveau droit à faire usage de leurs armes. Les policiers ont le droit de faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité, de légitime défense ou de commandement par l’autorité légitime. Ils le font d'ailleurs très bien, avec mesure. Peut-être – je ne sais pas – y a-t-il lieu de revoir le droit à tirer prévu par l’article L. 2338–3 du code de la défense pour les gendarmes dans le cadre de leurs missions civiles. En tout état de cause, il faudrait d'abord un examen très sérieux et très circonspect des conséquences que cette réforme engendrerait. L’idée de « diminuer », si je puis dire, le droit des gendarmes à faire usage de leurs armes a été émise lors des auditions que nous avons réalisées. Cela nécessiterait la révision de l’ensemble du code de la défense, et je ne suis pas du tout certaine que cela soit indispensable en l’état actuel de la jurisprudence, y compris internationale. Je mentionne néanmoins cette idée, car elle a été évoquée en commission.

C’est donc pour de multiples raisons qu’il ne me paraît pas nécessaire d’ « aligner », comme vous dites, le régime des policiers nationaux sur celui des gendarmes. Je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire de renforcer la présomption d’innocence en créant une présomption de légitime défense. Là encore, ma conviction s’appuie sur plusieurs raisons, dont certaines ont déjà été citées. Il y a d'abord une raison très juridique : cela reviendrait à instaurer, en regard de la présomption de légitime défense, une présomption de culpabilité dans un domaine non contraventionnel, alors que, en droit français, il n’existe de présomption de culpabilité que pour les infractions routières et uniquement en matière contraventionnelle. Cela bousculerait l’équilibre de l’ensemble du droit français.

Surtout, la création d’une présomption de légitime défense reposant sur la qualité – on en bénéficierait ès qualités, en l’occurrence ès gendarmes, ès policiers – risquerait d’aboutir à un résultat contraire à celui que recherchent les auteurs de la proposition de loi : les juges pourraient devenir plus circonspects au sujet de la légitime défense des forces de sécurité. Les policiers et les gendarmes sont censés mieux maîtriser les situations de stress, car ils sont censés être mieux formés à l’usage des armes et à l’évaluation des risques ; on pourrait donc penser qu’ils sont formés à moins faire usage de leurs armes. Or aujourd'hui les juges ne raisonnent pas ainsi : lorsqu’ils examinent un cas de légitime défense, ils estiment que les policiers et les gendarmes ont le droit d’avoir exactement les mêmes réflexes qu’un citoyen normal.

Il me semble que nous avons des efforts à faire en matière de formation des forces de sécurité. Tous mes interlocuteurs, aussi bien dans la police municipale que dans la police nationale ou dans d’autres instances des forces armées – seule la gendarmerie fait peut-être exception –, m’ont dit qu’ils étaient formés, puisqu’ils tirent x cartouches par an. Ils sont formés au maniement des armes, mais pas à déterminer s’il faut ou non les utiliser. Nous avons sans doute des efforts à faire dans ce domaine. En attendant, il me semble plus protecteur pour les policiers comme pour les gendarmes que la légitime défense soit jugée d’après les critères applicables à n’importe quel citoyen. Les policiers et les gendarmes sont mis dans des situations dangereuses ; il ne faut pas partir du principe que leur formation devrait les conduire à moins utiliser leur arme. Ce serait d'ailleurs aller à l’encontre de ce que prêchent les auteurs de la proposition de loi.

En conclusion, nous ne pouvons que nous accorder sur la nécessité de protéger les forces de l’ordre et de lutter contre la délinquance ; c’est notre devoir. Mais nous n’y parviendrons pas en opposant les uns aux autres, en créant des relations de méfiance entre les uns et les autres, surtout entre les institutions et les hommes et les femmes qui se dévouent au service de ces institutions. Notre justice et nos forces de sécurité doivent travailler ensemble, la main dans la main. Oui, à gauche, nous partageons – même les femmes… – la volonté d’un retour de l’autorité. Mais, comme je vous l’ai dit tout à l'heure, ce retour ne se fera pas par la force. L’autorité doit être ferme, et parfois même intransigeante, dure, mais elle ne se déclare pas ni ne se déclame à la tribune : elle se construit.

Il y a des efforts à faire, je l’ai souligné dans mon rapport. Cependant, la mission Guyomar, qui a listé tous ces efforts, a clairement exclu, après un long travail, l’ensemble des mesures que comporte votre proposition de loi, mes chers collègues. Des efforts doivent être faits en matière de formation, je l’ai indiqué. Une réflexion pourrait également être menée sur les premières affectations des policiers. J’ai récemment assisté aux assises de la formation de la police nationale. Certains intervenants ont déclaré – cela m’a marqué – que le premier acte administratif des jeunes policiers nationaux était très souvent une demande de mutation, non pas parce qu’ils ne s’investissent pas dans leur mission, mais parce que leurs premiers postes sont des postes difficiles qui ne correspondent pas du tout à ce qu’ils auraient souhaité : ils se sentent sans doute un peu perdus. Nous pourrions peut-être prendre exemple sur la gendarmerie nationale et l’armée, qui prévoient une formation opérationnelle et un tutorat plus poussés.

Il y a également des efforts à faire en matière de communication et de respect des institutions. Peut-être faudrait-il arrêter de stigmatiser les uns ou les autres en fonction des circonstances. J’ai entendu certains membres de l’UMP – pas vous, mes chers collègues – accuser les policiers tantôt de laxisme, tantôt d’agressivité, voire même d’usage inconsidéré de certaines armes, selon la nature des manifestations. Ces variations sont-elles liées à l’identité des manifestants, ou à autre chose ?

M. Philippe Kaltenbach. Leur indignation est à géométrie variable !

Mme Virginie Klès, rapporteur. Pourrions-nous avoir un peu de constance dans la communication et mieux respecter les institutions ?

Mme Virginie Klès, rapporteur. Pourrions-nous éviter de bafouer ou de défendre la présomption d’innocence et de refuser ou d’accepter l’intrusion dans les affaires de la justice en fonction de ce qui nous arrange ? Faisons preuve de plus de constance dans notre communication, notamment sur certaines travées.

M. Philippe Marini. Êtes-vous vraiment bien placés pour faire la morale ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Virginie Klès, rapporteur. En matière de justice et de respect des institutions, il me semble que oui, mon cher collègue ! Je pense être parfaitement bien placée pour en parler. Je n’ai jamais commenté aucune décision de justice ni stigmatisé aucune institution. Mon discours n’a jamais varié sur ce sujet. Vous ne me prendrez donc pas en défaut, du moins sur ce sujet, cher collègue.

M. Gérard Longuet. Ce n’était pas une attaque personnelle, c’était une réflexion collective !

Mme Virginie Klès, rapporteur. À laquelle je réponds…

M. Gérard Longuet. Vous y répondez personnellement, mais pas collectivement parce que vous ne pouvez pas le faire !

Mme Virginie Klès, rapporteur. … car, pour l’instant, c’est moi qui suis à la tribune. Mais je ne pense pas que mon groupe ait à rougir en la matière.

Nous devons faire des efforts en matière de communication. Dans ce domaine aussi, la police nationale devrait peut-être regarder ce que fait la gendarmerie. Je sais d'ailleurs qu’une telle démarche est en cours pour améliorer la communication au sujet des faits divers qui défraient la chronique. C’est sans doute à l’autorité hiérarchique de reprendre la main afin de rétablir un lien de confiance avec les policiers qui sont sur le terrain ; je pense que ce serait une bonne chose. La gendarmerie le fait déjà aujourd'hui.

Oui, nous avons également beaucoup d’efforts à faire, et rapidement, en matière de protection fonctionnelle, mon cher collègue. Là aussi, des travaux sont en cours. Oui, il faut continuer d’affirmer la présomption d’innocence de tout policier mis en cause. Oui, tant que dure l’enquête, il faut prendre des mesures de reclassement et assurer une meilleure communication entre les autorités disciplinaires et judiciaires afin de minimiser les délais d’enquête. Les personnes concernées doivent être reclassées à des postes qui ne leur font pas subir de perte sur le plan financier. Elles ne doivent pas être stigmatisées aux yeux de leurs collègues. Oui, il y a là des choses à faire. Il y a aussi des choses à faire s'agissant de l’extension de la protection fonctionnelle aux ayants droit, ou encore des réseaux susceptibles de conseiller les personnes mises en cause. La mission Guyomar a pointé tous ces éléments, et le ministère de l’intérieur travaille sur ces sujets, en lien avec l’ensemble des organisations professionnelles concernées, et pas seulement avec les organisations professionnelles de la justice.

Pour conclure, la commission, soutenue par certains membres de votre groupe, monsieur Nègre, a émis un avis défavorable sur cette proposition de loi. Celle-ci ne répond pas aux objectifs que vous affichez. En outre, nous nous refusons à stigmatiser la justice ou à l’opposer à la police nationale et à la gendarmerie. Nous nous refusons également à rompre l’équilibre actuel en matière d’usage des armes par les forces de sécurité, qui est conforme au droit national et international, rappelé encore récemment par des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation – je pense notamment à celui qu’elle a rendu le 12 mars dernier – et de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous avons atteint un équilibre. Cet équilibre existe, mais il est fragile. Ne le rompons pas : tenons plutôt un vrai discours de confiance vis-à-vis des policiers et des gendarmes, qui se dévouent tous les jours au service de la France et de notre sécurité et méritent autre chose que les invectives que nous avons entendues tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, imposer l’ordre républicain en s’opposant aux individus qui le contestent : telle est la mission qui incombe aux policiers et aux gendarmes. Ils l’accomplissent avec le courage, l’engagement et le professionnalisme qui caractérisent les forces de l’ordre de notre pays.

Vous le savez tous, s’opposer n’est pas sans risques. En témoignent les noms des femmes et des hommes qui sont tombés dans l’accomplissement de leur mission, de leur devoir, en luttant contre la criminalité et en défendant les valeurs qui fondent notre société. Je le dis ici, de nouveau, devant la représentation nationale : ces noms sont évidemment notre fierté et il appartient à la République de toujours les honorer.

En 2012, six policiers et gendarmes sont morts en mission. Le 26 février dernier, avec le Premier ministre, j’ai rendu un dernier hommage au capitaine Cyril Genest et au lieutenant Boris Voelckel, policiers de la BAC, tués dans des circonstances d’une extrême gravité sur le périphérique parisien. Ce jour-là, c’est toute la police nationale qui portait le deuil ; c’est toute la République qui était le deuil !

Au-delà des chiffres, il y a des souffrances : celles des familles, des proches, des collègues de ces policiers et gendarmes. Ces souffrances, nous devons les respecter, sans jamais exploiter la mort de ces femmes et de ces hommes.

Je veux insister sur la gravité du sujet que votre assemblée est appelée à examiner aujourd’hui, au travers de cette proposition de loi.

Faire usage de son arme – Mme la rapporteur l’a très bien dit – n’est pas une chose anodine. C’est potentiellement ôter la vie. Aucun policier, aucun gendarme ne peut aborder cette éventualité autrement que comme une épreuve. Une épreuve nécessaire qu’ils assument dans le cadre prévu par la loi.

Encadrer scrupuleusement le recours à la force légitime : tel est le fondement même d’un État de droit !

Monsieur Nègre, il y a effectivement une différence – et heureusement ! – entre les policiers et les gendarmes, qui agissent dans le cadre de la loi, et les voyous, qui contestent cette autorité. (M. Louis Nègre acquiesce.)

La question de l’usage de l’arme est grave ; elle ne peut être abordée dans l’émotion, notamment celle qui naît devant l’indicible et l’insupportable. Cette question, nous devons l’aborder sereinement, de façon dépassionnée. Or de telles circonstances ne sont par réunies, je le crains, pour la discussion de cette proposition de loi, dans l’exposé des motifs de laquelle il est affirmé que la loi met « quasiment sur le même plan les malfaiteurs et les forces de l’ordre ».

Que des législateurs censés voter la loi puissent affirmer que celle-ci place les malfaiteurs et les forces de l’ordre au même niveau est proprement stupéfiant ! (Et oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. André Gattolin. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas parce que nous sommes réunis un matin au Sénat, tandis que l’actualité porte sur d’autres sujets, que nous devons laisser passer de telles phrases dans une enceinte de la République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi que vous votez ne peut pas dire cela ! Je ne pourrai jamais partager ce constat !

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Aborder la question de l’usage de l’arme implique d’avoir une juste représentation de ce qu’est le métier de policier. Pour l’essentiel, c’est justement de ne pas utiliser son arme, qui ne doit rester qu’un ultime recours. Pour toutes celles et tous ceux qui agissent sur le terrain, qui font face à la délinquance, au crime organisé, une intervention réussie, c’est maîtriser la situation, interpeller, neutraliser sans devoir faire feu.

Cette proposition de loi, en tendant à mettre l’arme au centre de la réflexion, en en faisant le seul sujet, fait fausse route.

Policiers et gendarmes sont tous dépositaires de l’autorité publique ; tous portent une arme, sauf circonstances exceptionnelles.

Les auteurs de ce texte, en partant d’une analyse simpliste, caricaturale du droit en vigueur, veulent voir une différence majeure entre les deux forces en matière d’usage de cette arme. Or, dans les faits, comme l’a dit Mme Virginie Klès, la situation est beaucoup plus nuancée.

Le Gouvernement, par la voix de mon collègue Alain Vidalies, a déjà pu s’expliquer sur ce point, voilà quelques mois, à l’Assemblée nationale, lors des débats relatifs à la proposition de loi présentée par le député Guillaume Larrivé et plusieurs de ses collègues, à laquelle M. Nègre a fait allusion. Je le fais, à nouveau, aujourd’hui, devant vous.

Le principe de la légitime défense est régi par l’article 122–5 du code pénal. L’usage des armes par les forces de sécurité intérieure relève de ce principe général : l’auteur de violences ou d’un homicide volontaire est pénalement irresponsable lorsqu’il répond à une agression injuste, par une riposte immédiate, nécessaire et proportionnée. Ainsi, il ne peut être imputé aux policiers et aux gendarmes un usage illégal de la force dès lors qu’ils ont agi en état de légitime défense ou sous l’empire de l’état de nécessité.

Il faut, en outre, ajouter un cas spécifique d’usage légitime des armes à feu par les forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de dissiper un attroupement. C’est ce que prévoit l’article 431–3 du code pénal.

Toutefois, à ce tronc commun s’ajoutent, pour la gendarmerie nationale, des dispositions spécifiques issues du code de la défense. Ce texte permet aux gendarmes d’utiliser leurs armes non seulement pour se défendre, mais aussi pour empêcher la fuite d’une personne ou d’un véhicule, après sommations faites à voix haute et s’il n’existe pas d’autres moyens.

Cependant, la jurisprudence a largement tempéré cette différence apparente sur laquelle les auteurs de cette proposition de loi fondent l’ensemble de leur raisonnement. Qu’il s’agisse des juges de la Cour européenne des droits de l’homme ou de ceux de la chambre criminelle de la Cour de cassation, tous exigent, au-delà même des textes, pour légitimer l’usage des armes, l’existence d’une absolue nécessité, c’est-à-dire le respect du principe fondamental de proportionnalité.

Ainsi, l’unification à laquelle tend cette proposition de loi a déjà eu lieu dans les faits. Il s’agit de tenir compte de trois évolutions : la réunion au sein du ministère de l’intérieur des deux corps de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l’harmonisation des terrains d’intervention en raison de l’urbanisation croissante des territoires, et, enfin, la proximité des missions de sécurité intérieure entre la police et la gendarmerie.

J’observe également que l’article 1er de la proposition de loi, qui a pour objet d’unifier les deux régimes juridiques, manque précisément son objectif. En effet, il ajoute aux violences et voies de fait, les tentatives d’agressions et la nécessité d’une sommation, qui ne figurent pas dans le texte applicable à la gendarmerie. Les policiers auraient donc, sur ce point, un usage des armes plus large que celui qui est accordé aux gendarmes.

En outre, il circonscrit l’usage des armes pour empêcher la fuite d’un suspect à la commission de crimes ou de délits graves. Les policiers auraient alors, sur cet autre point, un usage des armes plus restreint que les gendarmes.

Je veux donc le redire : cette demande d’harmonisation des régimes relatifs à l’usage de la force armée n’est pas utile.

Elle n’est pas non plus opportune, car la différence de régime demeure justifiée, autant par le statut militaire des gendarmes que par la porosité, dans certaines zones, entre missions de maintien de l’ordre et missions militaires. Je pense notamment à la Guyane.

Cette proposition de loi tend également, en créant une présomption de légitime défense qui leur serait spécifique, à aller plus loin dans les conditions d’usage des armes à feu par les policiers et les gendarmes. Je le dis de la manière la plus claire : c’est une très mauvaise idée ! Ce droit obtenu par un renversement de la charge de la preuve est un piège vers lequel je refuse de conduire les policiers et les gendarmes dont j’ai la responsabilité. D’ailleurs, je vous rappelle que mon prédécesseur, Claude Guéant, avait lui-même rejeté une telle option le 27 avril 2012,…

M. Jacky Le Menn. Tout à fait !