M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour explication de vote.

M. Christian Cambon. La majorité de gauche semble croire que l’union civile est un gadget, une solution de repli qui aurait été inventée par l’opposition pour faire diversion. C’est une grave erreur, car l’union civile est justement la disposition qui doit nous permettre de sortir le pays de la confrontation morale dans laquelle vous l’avez plongé. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

L’union civile est la disposition la plus équilibrée, celle derrière laquelle le plus grand nombre de Français pourront se ranger.

Vous avez évoqué, madame la ministre, la situation en vigueur dans les pays étrangers. Or nous observons que l’union civile est le régime juridique que de nombreux pays, notamment l’Allemagne, ont choisi.

Cette union civile reprend les droits patrimoniaux existant dans le mariage. Voilà qui répondra enfin à des revendications clairement affichées par de nombreux homosexuels vivant en couple et considérant, avec raison, qu’ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les couples hétérosexuels mariés.

De plus, l’union civile revêt la dimension symbolique qui manquait singulièrement aux couples de personnes de même sexe avec le pacte civil de solidarité. En effet, ces couples ont manifesté depuis plusieurs années leur souhait de pouvoir bénéficier d’une cérémonie plus solennelle, davantage en adéquation avec la gravité et l’importance du moment. Or, là aussi, l’union civile permettra de répondre à ce besoin légitime.

Pour aller jusqu’au bout de la démarche, il est prévu que les conditions requises pour contracter cette union et les conséquences qui découleront de celle-ci seront identiques à celles qui prévalent pour le mariage. Là encore, il ne s’agit pas de faire de cette union civile un « super PACS » ou un sous-mariage.

Cette union est une union « civile », qui apportera aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux dont bénéficient les couples hétérosexuels, tout en prenant pleinement en compte la singularité des couples homosexuels en termes de filiation et en admettant donc une différence en matière de droits matrimoniaux.

Cependant, et c’est là toute la différence entre l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et l’union civile, cette dernière recueille une très large adhésion au sein de la population française. En effet, même si le Gouvernement et la majorité ne veulent pas le voir, le respect des Français pour les différences d’orientation sexuelle ne pourra s’affermir que si l’on ne dresse pas les uns contre les autres.

Or, avec cette union civile, nous honorons la demande des couples homosexuels, sans pour autant heurter la sensibilité de la majorité des familles françaises. Elle est donc le parfait compromis entre le respect des attentes des couples homosexuels en termes de droits et celui des préoccupations des autres formes de familles, qu’inquiète cette société qui, selon elles, bouge trop vite et n’est pas de nature à offrir un cadre structurant et sécurisant à leurs enfants.

Faut-il préciser que plus personne en France ne conteste aux homosexuels le droit de s’aimer, de vivre ensemble et même, dans certains cas, d’élever des enfants ? Ces Français qui descendent dans la rue, que vous tentez d’ignorer et contre lesquels vous envoyez parfois les CRS quand ils manifestent (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) ne sont pas homophobes. Il s’agit simplement de familles qui s’inquiètent de voir l’institution du mariage détournée de son sens originel pour satisfaire les revendications d’une petite minorité de personnes et qui craignent un charcutage de la filiation.

Mme Cécile Cukierman. Allez, les arguments sont exposés, on avance !

M. Christian Cambon. Avec l’union civile, nous répondons à leurs inquiétudes, et nous leur disons que non ! le mariage ne sera pas détourné de sa fonction première, et que non ! la filiation ne sera pas « bricolée ».

Pour ces raisons, et parce que l’union civile prend réellement en compte la condition des personnes homosexuelles et des couples de personnes de même sexe, sans heurter ceux qui pensent que la société et le législateur doivent être prudents et ne pas chambouler les institutions, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter un dispositif qui permettra de réconcilier les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.

M. André Trillard. Madame la garde des sceaux, lors du débat à l’Assemblée nationale, vous avez tenu les propos suivants : « Le mariage est une institution conservatrice en ce sens qu’elle témoigne d’un ordre passé. » Dans votre bouche, ces paroles n’étaient pas très élogieuses pour le mariage, vous en conviendrez.

À vous entendre, le mariage serait donc une institution désuète, qu’il s’agit de briser. Dans ces conditions, pourquoi ne pas opter pour notre proposition d’union civile ?

La vérité, mes chers collègues, c’est que le projet de loi, tel qu’il est rédigé – j’insiste sur ce point –, répond plus à une demande minoritaire qu’à un réel souci de placer la famille, toutes les familles, au cœur de la réflexion.

Je le reconnais bien volontiers, la famille a évolué. Nous devons prendre acte de ces évolutions en mettant en place un cadre légal, notamment pour les couples de personnes de même sexe. Ces couples doivent pouvoir organiser leur vie commune comme les couples hétérosexuels, mais, à la vérité, j’en suis intimement convaincu, nous n’avons pas besoin d’instaurer le mariage homosexuel pour cela.

Faire croire aux Français que le mariage et l’adoption peuvent être disjoints et que l’on pourrait être à la fois pour l’un et contre l’autre est un leurre. Le mariage est lié à l’adoption et à la parentalité. Or, sur les quelques dizaines de milliers de couples homosexuels de notre pays, combien sont réellement en situation de recourir à l’adoption conjointe ou à une PMA réalisée à l’étranger ? Pas plus de 5 000 ! C’est donc non pas de l’adoption dont il faut parler, mais du statut des beaux-parents.

Toutes ces questions sont extrêmement importantes, car elles se rattachent à de véritables sujets de préoccupation pour les Français. C’est de ce genre de sujets que vous devriez vous saisir si vous voulez prendre la peine de vous placer du point de vue de l’intérêt des enfants. Mais est-ce vraiment ce qui vous préoccupe aujourd'hui ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. Pas de faux procès !

M. André Trillard. Quoi qu’il en soit, nos concitoyens se disent favorables au mariage pour les couples homosexuels, mais opposés à l’adoption, à la PMA et à la GPA. C’est probablement pour cette raison que vous avez rejeté notre motion référendaire !

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Eh oui !

M. André Trillard. En réalité, nos concitoyens, même ceux qui défilent dans la rue et que vous taxez d’être homophobes, réactionnaires ou rétrogrades, sont favorables à la sécurisation des couples homosexuels. Cela se traduit, me semble-t-il, par leur volonté de voir les pouvoirs publics accorder une place plus importante à l’union de ceux-ci.

L’alternative au mariage que nous proposons est sans ambiguïté : elle consiste à ouvrir le régime patrimonial du mariage aux couples de personnes de même sexe par la voie de l’union civile. Tous les couples disposeraient des mêmes droits en matière d’héritage, de pensions, de communauté de biens, et devraient observer les mêmes devoirs : respect, fidélité, secours et assistance.

Par ailleurs, les demandes des couples homosexuels en matière de solennité et de reconnaissance juridique de leur union seraient prises en compte.

Pour autant, et pour les raisons que nous avons explicitées, nous estimons que les droits extrapatrimoniaux doivent être limités à l’ouverture de l’accès à l’adoption simple pour les couples homosexuels. Si l’on y ajoute les droits que le juge reconnaît d’ores et déjà au conjoint homosexuel en matière d’adoption testamentaire et de possession d’état, nous estimons que ce dispositif suffit à assurer la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant en termes d’affection, d’éducation, d’autorité parentale.

Aller plus loin serait remettre en cause, vous l’aurez compris, les principes de la filiation qui permettent jusqu’à maintenant d’établir une filiation claire et lisible, ouvrant aux enfants la possibilité de reconstruire l’histoire de leur origine.

Ne parlons pas pour l’heure de toutes les questions bioéthiques soulevées par les discussions à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Cela étant, puisque nous sommes une bonne dizaine de vétérinaires à siéger dans cette enceinte (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.),…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Quel est le rapport ?

M. André Trillard. … je rappellerai que les membres de cette profession pratiquent le transfert d’embryons à seule fin d’améliorer les races. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Un sénateur du groupe socialiste. Quelle élégance !

M. André Trillard. Pourquoi le Gouvernement ne se pose-t-il pas la question de l’égalité des enfants ? Certains seront en effet privés du droit d’avoir un père ou une mère.

Ce texte instaure d’ailleurs d’autres inégalités.

Il s’agit tout d’abord d’inégalités au sein même du mariage : si le projet de loi est adopté, le principe d’unité du mariage disparaîtra. Il existera un mariage « hétérosexuel », qui continuera de garantir à l’enfant une double filiation par le biais de la présomption de paternité, et un mariage « homosexuel », où la filiation tiendrait du virtuel.

Il s’agit ensuite d’inégalités entre les couples homosexuels : l’honnêteté du Gouvernement sur la question de la PMA aurait dû nous permettre de discuter sereinement d’un dispositif qui introduira prochainement une inégalité certaine entre les couples homosexuels sur le simple fondement de leur sexe, les hommes étant pour l’instant privés du recours à la GPA.

Il s’agit enfin d’inégalités entre les enfants adoptés, la majorité d’entre eux étant ressortissants de pays qui n’acceptent pas l’union homosexuelle. C'est pourquoi, selon l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption, les enfants ne disposeront pas des mêmes droits d’accéder à une famille.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et nous voterons l’amendement présenté par M. Gélard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret, pour explication de vote.

Mme Hélène Masson-Maret. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la France connaît aujourd’hui une période de turbulences. C’est sciemment que j’emploie cet euphémisme, pour ne pas dramatiser la situation engendrée par la discussion d’un projet de loi qui scinde notre pays et opère un clivage entre les Français, alors que nous, parlementaires, sommes responsables de la cohésion de la nation.

Mes chers collègues, la chambre haute est investie d’une mission que tous les Français qui nous regardent et nous écoutent aujourd’hui exigent que nous assumions : celle d’examiner les textes de loi et de s’assurer de leur bien-fondé. J’en appelle à votre sagesse : ne soyez pas, ne soyons pas ceux qui auront été les instigateurs de la division des Français, rangeons-nous à la raison et instaurons pour les couples de personnes de même sexe l’union civile.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous avons déjà entendu ces arguments !

M. Roland Courteau. Cela nous rajeunit !

Mme Hélène Masson-Maret. Cette union civile conférera aux couples homosexuels les mêmes droits sociaux et patrimoniaux qu’aux couples hétérosexuels.

Le système que nous proposons existe en Allemagne et dans d’autres États, qui ont parfaitement compris la différence entre cette union et le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles dans notre pays.

Donnons l’image d’hommes et de femmes capables de porter ensemble un projet de société qui fasse consensus et qui montre aux Français que nous les avons écoutés.

Oui, nous devons écouter les couples de personnes de même sexe, qui ont le droit de s’aimer au grand jour, de vivre en harmonie et de bénéficier des avantages d’une vie construite ensemble. Que les juristes travaillent pour que l’égalité entre les citoyens, fondement de notre République, soit respectée. Je ne reviendrai pas sur les dispositions garantissant cette égalité qui sont incluses dans le régime de l’union civile que nous souhaitons voir inscrire dans la loi.

Nous devons aussi écouter les Français ébranlés dans leurs convictions, et nous refusons de voir qualifiés d’« homophobes » ceux qui défendent des valeurs partagées par une autre partie de nos concitoyens, tout aussi respectable, qui s’est largement manifestée.

Nous devons également écouter ceux qui, parmi nous, s’inquiètent du bien de l’enfant, des problèmes posés par la filiation. Le bien de l’enfant : voilà le seul objectif qui doit nous réunir.

J’ai écouté avec attention les intervenants ayant invoqué des études scientifiques pour apporter la preuve qu’il ne serait en aucun cas nuisible ou traumatisant, pour un enfant, d’être élevé par un couple dont les parents seraient de même sexe. C’est vraiment ignorer ce qu’est une étude scientifique ! Aujourd’hui, nous pouvons l’affirmer, aucune étude sur ce sujet n’a pu être menée de façon scientifique, avec les contraintes que cela suppose en matière d’échantillonnage, de représentativité et d’études statistiques.

Par conséquent, ne faisons pas dire aux publications diffusées dans les médias ce que nous voulons qu’elles disent. Le texte écrit par un groupe de psychanalystes – rappelons au passage que la psychanalyse n’est pas une science – qui nous a été lu la semaine dernière dans cet hémicycle était beaucoup plus réservé que ce que l’on a bien voulu en dire. D'ailleurs, mes chers collègues, je vous invite à le relire.

Sachons aujourd'hui ne pas jouer les apprentis sorciers. Sachons éviter les raccourcis dangereux, assimilant ceux qui sont contre le mariage entre deux personnes du même sexe aux opposants d’hier à l’abolition de la peine de mort. Eh oui, nous avons entendu de telles inepties dans cet hémicycle !

M. Jean-Marc Todeschini. Et ça continue !...

Mme Hélène Masson-Maret. Mes chers collègues, le groupe UMP propose aujourd'hui que nous nous réunissions, au-delà de nos appartenances politiques, pour porter ensemble un projet équitable…

Mme Hélène Masson-Maret. … qui, en préservant les valeurs des uns et des autres, se montrerait fédérateur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Je tiens d’abord à rendre hommage au travail de notre collègue Patrice Gélard et des membres de son groupe (Très bien ! sur les travées de l’UMP.), qui, par leurs nombreux amendements, montrent tout l’intérêt qu’ils portent à notre débat d’aujourd’hui. Nous pouvons tout de même nous interroger sur les raisons qui les ont poussés à voter des motions ayant pour objet de nous priver de celui-ci…

Mme Annie David. Très juste !

Mme Esther Benbassa. Mais revenons à l’amendement n° 4 rectifié bis, qui tend à substituer à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe la création d’une union civile.

Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que les mots ont un sens…

M. Charles Revet. L’expression « union civile » en a un, en effet !

Mme Esther Benbassa. … et que le mariage est une union civile ?

Personne ne s’étonnera que nous ne votions pas cet amendement. Sur le fond, plusieurs éléments me semblent devoir être rappelés.

M. Gélard et les membres de son groupe nous proposent de créer, à côté du mariage, du PACS et du concubinage, une quatrième forme de conjugalité, ouverte aux couples homosexuels, proche du mariage en termes de protection du conjoint mais excluant tous les aspects liés à la filiation. On notera l’ironie de la situation, cette proposition émanant d’un groupe qui s’était violemment et bruyamment élevé contre la création du PACS…

Mes chers collègues, soyons sérieux : nos concitoyens n’ont pas besoin d’une nouvelle forme d’union civile ! Le mariage assure d'ores et déjà toutes les protections nécessaires.

Par ailleurs, que penser d’une union uniquement destinée aux gays et aux lesbiennes ? En matière de discrimination, ce n’est pas mal ! Les gays et les lesbiennes ne sont-ils pas des citoyens comme les autres ? Devons-nous leur réserver un traitement de citoyens de seconde zone ?

Mes chers collègues, il est temps que vous admettiez que le mariage est une institution républicaine et laïque dont il n’est plus acceptable que certains de nos concitoyens soient exclus en raison de leur orientation sexuelle. Il est temps de retrouver la raison et, peut-être, de changer d’avis sur cette union civile qui n’a pas de sens. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Raffarin. Madame la garde des sceaux, les fonctions qui sont les vôtres vous permettent de connaître des misères et des fragilités de la société française.

Tout à l'heure, j’ai écouté M. Assouline avec attention. Si je ne partage pas sa conclusion, je souscris à son diagnostic : actuellement, la violence est la véritable menace contre notre société. Cette violence, nous la percevons dans le discours politique : c’est l’écume de ce qui se passe en profondeur. Ces derniers jours, des personnalités politiques se sont laissées aller à tenir des propos particulièrement préoccupants. Je pense en particulier à certains alliés de la majorité : quelle violence, quelle brutalité chez M. Mélenchon quand il en appelle à un « coup de balai » !

M. Jean-Marc Todeschini. On est d’accord !

Mme Cécile Cukierman. Aucun rapport !

M. Christian Favier. Et ce qu’a subi Mme Jouanno ? Balayez devant votre porte !

M. Jean-Pierre Raffarin. Je pense aussi au récent discours de Mme Eva Joly. Que nous soyons dans la majorité ou dans l’opposition, nous devons veiller à nous exprimer avec tempérance.

Dans ses profondeurs, cette violence de la société française est d’abord d’ordre social.

Mme Annie David. Grâce à qui ?

M. Jean-Pierre Raffarin. On mesure la désespérance provoquée par la montée du chômage depuis vingt-deux mois consécutifs. Aujourd'hui, mes chers collègues, un Vilvorde risque de survenir dans chacun de nos départements ; chez moi, c’est Heuliez ! Mais c’est pour l’ensemble du secteur automobile qu’un avis de tempête industrielle majeure est lancé !

Cette violence sociale est extrêmement brutale. Je ne cherche pas à établir les responsabilités ; je ne fais que constater qu’elle est là, profonde,…

Mme Annie David. La faute à qui ?

M. Jean-Pierre Raffarin. … et que les prochains mois ne laissent guère présager d’améliorations sensibles. Tant que durera cette situation, la société sera d’une extrême fragilité.

Dans ces conditions, prétendre rassembler dans la rue pour donner des coups de balai peut menacer l’équilibre de la République.

Mme Cécile Cukierman. Aucun rapport !

M. Jean-Marc Todeschini. Il y en a d’autres, qui rassemblent dans la rue…

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai, cher collègue ! À la grogne sociale s’ajoute en effet une agitation sociétale, très originale dans la mesure où tant les opposants au projet de loi que les partisans de celui-ci sont désintéressés.

M. Jean-Pierre Raffarin. Ils ne manifestent pas pour défendre leurs droits à la retraite, leur salaire, leur intérêt personnel. Qu’ils considèrent que le mariage doit être ouvert à tous ou qu’ils fassent du maintien du mariage tel qu’il est un élément fondamental, un pilier de la société, ils manifestent pour défendre une conviction. C’est cela qui est très original dans la situation présente, qui peut toutefois, à un moment ou à un autre, dégénérer en affrontement brutal.

À cette réalité difficile sur le plan social, à ces divergences sociétales est venue s’ajouter, ces derniers jours, une crise politique et morale. Un grand quotidien comme Libération traite une rumeur comme une information et la diffuse dans le pays… Où va-t-on ? Quand la parole politique est décrédibilisée, même l’innocent a du mal à se faire entendre. Si des innocents sont aujourd'hui accusés, nous en sommes tous responsables, parce que, à un moment ou à un autre, notre parole nous aura échappé.

Nous sommes pris dans un tourbillon que le politique ne maîtrise plus. Voyez ce titre de l’édition de ce soir du quotidien Le Monde, selon lequel, dans un climat délétère, le Président de la République chercherait une sortie…

Chers collègues de la majorité sénatoriale, aidez-le à trouver cette sortie ; nous vous en offrons une avec l’union civile (Rires sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Jean-Pierre Caffet. Quelle chute !

M. Jean-Pierre Raffarin. … qui est approuvée par une majorité de nos compatriotes.

M. David Assouline. Condamnez les saccages !

M. Jean-Pierre Raffarin. Riez si vous voulez, mais les classes sociales qui constituaient vos soutiens traditionnels vous ont d’ores et déjà lâchés : si demain vous n’avez plus à vos côtés que les partisans de ce projet de loi, vous finirez bientôt par être seuls devant le pays ! Il est encore temps de vous ressaisir et de chercher cette sortie qu’évoque le journal Le Monde ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines de l'UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quel est votre bilan ?

M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas en multipliant les projets de loi et les interventions dans les médias que vous compenserez le discrédit dont souffre la parole politique !

M. David Assouline. Condamnez les saccages !

M. Jean-Pierre Raffarin. Aujourd'hui, vous avez encore la possibilité d’apaiser le pays, car tout le monde est favorable aux droits des homosexuels.

Mme Annie David. Alors, acceptez le mariage pour tous !

M. Jean-Pierre Raffarin. Avec l’union civile, vous renforcerez ces droits, sans approfondir la fracture entre les consciences, entre les convictions, qui, conjuguée à la grogne sociale, fragilise gravement la République.

Je respecte celles et ceux qui feront le choix de soutenir ce texte, mais un jour viendra où, les uns et les autres, nous serons placés devant nos responsabilités. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Il n’est pas facile de prendre la parole après Jean-Pierre Raffarin !

Je voudrais revenir sur ce qu’a dit Mme Bertinotti tout à l'heure. Il est exact que, pendant le débat sur le pacte civil de solidarité, le comportement de bien des parlementaires de droite n’a pas été convenable. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Renée Nicoux. Pour le moins !

M. Roger Karoutchi. Néanmoins, dans les années qui ont suivi, la droite républicaine a fait, si je puis dire, sa propre révolution, d'abord en acceptant le PACS,…

M. Jean-Marc Todeschini. Vous n’aviez pas le choix !

M. Roger Karoutchi. … puis en estimant que ce dernier n’allait pas assez loin.

M. Roland Courteau. Tout est question de temps…

M. Roger Karoutchi. J’ai été de ceux qui, en 2007, ont plaidé pour que figurent dans le programme du candidat Sarkozy l’union civile et le statut des beaux-parents.

Après l’élection présidentielle, en tant que secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, j’ai défendu le projet de loi qui visait à améliorer le PACS en matière fiscale ou patrimoniale. Cependant, nous étions tous conscients que ce texte n’allait pas assez loin et, à plusieurs reprises, j’ai demandé au Président de la République l’inscription à l’ordre du jour du Parlement d’un projet de loi créant l’union civile, conformément aux engagements pris lors de la campagne. Cela correspondait à une véritable attente et une telle initiative aurait donné de la droite l’image d’une force politique en phase avec les évolutions de la société.

Malheureusement, la crise bancaire, financière et sociale a éclaté dès 2008. Le Président de la République a alors estimé qu’il était plus urgent de sortir le pays de cette crise que d’instituer l’union civile.

Aujourd'hui, je regrette infiniment que nous n’ayons pas fait adopter un texte créant l’union civile, car le présent débat en eût été tout différent.

M. Roger Karoutchi. Quand vous avez annoncé ce projet de loi, madame la garde des sceaux, j’ai d’abord pensé, en toute sincérité, que puisque nous n’avions malheureusement pas mis en place l’union civile, il pourrait peut-être en reprendre le dispositif, quitte à ne pas conserver cette appellation. Cette position ne m’a pas valu que des amis.

Il fallait refonder le code civil, vous l’avez en partie modifié au travers du présent texte. Pour un gouvernement dont la crédibilité est très altérée, il est bien difficile de faire passer une telle réforme de fond, car sa parole n’est plus guère audible.

Jean-Pierre Raffarin l’a dit, nous sommes en pleine crise sociale, financière et morale. Cette crise affecte le Gouvernement et, sur bien des sujets, la classe politique tout entière. Dans ces conditions, madame la garde des sceaux, si je comprends votre volonté d’avancer, si je peux entendre que vous souhaitiez parler de mariage et non d’union civile, j’estime qu’il aurait fallu du moins déconnecter celui-ci de la filiation et de l’adoption, comme cela a été fait dans bien des pays européens. Nous le savons, il y a très peu d’enfants à adopter par rapport au nombre d’adoptants. En matière de filiation, le texte remet en cause un certain nombre de valeurs : pourquoi, et pour qui ?

À droite, nous avons beaucoup évolué et fait une véritable révolution interne. On aurait dû, on aurait pu trouver une solution acceptable par toute la classe politique, mais nous avons le sentiment que vous vous êtes enfermée dans un refus d’échanger avec une droite que vous jugez à tort réactionnaire. Cette posture a provoqué une rupture dommageable dans le pays, alors que, si chacun faisait un pas vers l’autre, je suis sincèrement persuadé que nous pourrions trouver une véritable solution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Roland du Luart, pour explication de vote.

M. Roland du Luart. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole après que deux ténors de mon groupe ont exprimé, avec autant de sincérité et de force, la réalité de la situation.

Nous comprenons les revendications des couples homosexuels lorsqu’elles portent sur une plus grande sécurité juridique. Nous sommes d’ailleurs disposés à intervenir dans ce domaine, puisque c’est le rôle légitime des pouvoirs publics que de régler les rapports civils de nos concitoyens. C’est seulement en cela que l’intérêt des particuliers rejoint l’intérêt général. Voilà pourquoi il ne peut être question ici d’amour ou de reconnaissance sociale de l’amour des uns ou des autres : ces affaires sont d’ordre privé.

Sans vouloir polémiquer, je remarque d’ailleurs que les différents rapports sur le texte font très souvent référence à la reconnaissance sociale de l’amour des couples homosexuels. Comment croire alors qu'il ne serait pas question ici d'une réforme sociale ? Soit ! Dès lors, vous ouvrez le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe au prétexte que le mariage est la reconnaissance sociale du couple. Mais cela est totalement réducteur : le mariage n'a pas pour but de reconnaître la relation entre deux personnes et d'officialiser leur amour ; si tel était le cas, tous les gens qui s'aiment devraient pouvoir se marier… Or, la loi a fixé un certain nombre de limites. Remarquez d'ailleurs, madame la garde des sceaux, que s’il en était ainsi, votre texte romprait avec le principe d'égalité, au regard de toutes les autres formes d'union légalement ou socialement réprimées.

Il ne s'agit donc pas, pour les pouvoirs publics, de prendre en considération la simple relation de couple, mais d’aller au-delà en organisant les rapports intrafamiliaux. Contrairement à ce que vous prétendez, il n'y a pas de discrimination dans le mariage actuel. Simplement, le droit contresigne cette réalité de la nature : les sexes ne sont pas interchangeables. Ils sont égaux, mais pas équivalents, du fait de la dissymétrie entre homme et femme.

Néanmoins, nous souhaitons apporter des droits supplémentaires aux couples homosexuels, afin de leur offrir une plus grande sécurité juridique. C'est ce que nous faisons en l’occurrence ici avec l’amendement de M. Gélard tendant à instaurer l'union civile.

Ces notions de droits et de devoirs au sein des couples homosexuels doivent être totalement dissociées de toute question de filiation. Je m'interroge d'ailleurs sur la place que vous faites à l'enfant.

Les questions de l'enfant, de l'adoption et de la filiation doivent être inscrites dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. M. Dominique Baudis, Défenseur des droits, l'a rappelé lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale : « La procédure suivie pour l'élaboration du projet de loi présente une évidente lacune. En effet, l'étude d'impact qui accompagne le projet ignore totalement la Convention internationale des droits de l'enfant. » Or, dans toutes les décisions qui le concernent, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit prévaloir.

Vous trompez les Français en renvoyant les discussions sur la procréation médicalement assistée à l’examen d’un autre texte. Vous trompez les Français en leur promettant que la gestation pour autrui ne sera pas autorisée, alors que toute votre argumentation repose sur la reconnaissance de l'amour et sur l'égalité des droits !

Ainsi, l'égalité des droits peut se concevoir d'un point de vue patrimonial : l'homosexualité étant socialement acceptée et chaque individu ayant la liberté d'orienter sa sexualité comme il l'entend, il paraît normal que les pouvoirs publics puissent accorder aux homosexuels les droits patrimoniaux communs, dès lors qu’ils souhaitent s'engager dans une communauté de vie.

Notre proposition prévoit donc, sur ce point, que l'ensemble des dispositions du titre V du livre III du code civil s'appliquent aux personnes ayant contracté une union civile. Dès lors, les conditions requises pour contracter cette union et les conséquences qui découleront de celle-ci seront identiques à celles qui prévalent pour le mariage.

Mais si le mariage tel qu'il existe doit rester inchangé, c’est qu’il n’est justement pas question d'égalité. Le Conseil constitutionnel lui-même le reconnaît. Le législateur peut organiser différemment des situations différentes. Or les couples homosexuels et les couples hétérosexuels se trouvent dans des situations différentes, dès lors que l'altérité sexuelle offre la possibilité de procréer.

Certes, les techniques médicales permettent aujourd'hui d'avoir recours à la procréation artificielle, mais cette procréation n'est artificielle qu'au stade de l'assemblage des gamètes masculin et féminin ; ainsi, l'altérité sexuelle persiste. De plus, la médecine a vocation à soigner, à guérir ou à prévenir des maladies, et non à assouvir le besoin de consommation des individus.