Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que certaines organisations non gouvernementales se préoccupent du sujet depuis déjà un certain temps, l’obsolescence programmée a été longtemps perçue comme un fantasme des décroissants, relevant d’une vision complotiste ou policière du fonctionnement de nos industries. De fait, l’obsolescence programmée est une stratégie rarement affichée : les industriels qui la pratiquent préfèrent avancer masqués, mais il n’en s’agit pas moins d’une stratégie de grande ampleur, faisant fi des responsabilités sociales, économiques et environnementales des entreprises.

C’est pourquoi nous devons nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre de ce sujet. Pareille à un puzzle dont nous avons à emboîter les pièces, la crise globale que nous traversons, qui se manifeste notamment par l’épuisement des ressources, est d’ordre à la fois environnemental, économique et social. Elle appelle des réponses transversales ; s’attaquer à l’obsolescence programmée en est une.

L’obsolescence programmée est la face cachée de notre société de consommation. En effet, elle est devenue le fer de lance idéal pour stimuler artificiellement la demande, notre cycle économique reposant sur le triptyque production-consommation-croissance. C’est d’ailleurs l’identification de cet enjeu qui a conduit Bernard London à inventer cette expression. Dans les années trente, aux États-Unis, il expliquait déjà que « la technologie moderne et ses applications dans l’économie ont permis d’augmenter la productivité à un niveau tel que l’enjeu économique principal n’est plus de stimuler la production mais d’organiser le comportement des consommateurs ».

Ce type d’emprise sur les comportements des consommateurs ne joue pas en leur faveur : on les trompe en leur donnant à penser que moins cher ils achètent, meilleure est l’affaire ! En réalité, en les flouant sur le rapport qualité-prix, l’obsolescence programmée affecte leur pouvoir d’achat et pèse très lourd, dans la durée, sur les budgets des ménages.

Ces stratégies enclenchent un cercle vicieux : plus les biens ont une vie courte, plus nous consommons, plus nous utilisons de matières premières, d’énergie, et plus nous produisons de rejets polluants et de déchets.

Au regard de la crise écologique, nous savons que ce modèle n’est pas durablement soutenable. Il s’agit donc, comme nous l’a proposé notre collègue Placé, d’agir sur l’allongement de la durée de vie des objets.

Notre système de production s’est longtemps appuyé sur des énergies et des matières premières peu coûteuses et abondantes : elles ne le sont plus aujourd’hui, et nous devons réfléchir à rationaliser nos modes de production et de consommation.

La quasi-gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surconsommation et leur épuisement. L’analyse économique ayant prévalu jusqu’à présent est biaisée par des indicateurs dépassés, qui n’intègrent pas le coût des destructions des services éco-systémiques ou celui du non-renouvellement des ressources naturelles.

L’obsolescence programmée découle donc malheureusement de ce système, structuré par l’imprévoyance et l’inconséquence, ainsi que par l’indifférence aux enjeux environnementaux et à aux coûts afférents. Or le législateur, chargé de la gestion des deniers publics, doit toujours avoir à l’esprit que, au bout de la chaîne, ces coûts se reportent sur la collectivité publique, et donc sur le contribuable.

À cet égard, les déchets d’équipements électriques et électroniques fournissent le meilleur exemple : nous sommes dans l’impasse face à cette masse de déchets que nous ne savons pas traiter. Selon le CNIID, ils sont, à hauteur de 70 %, incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles, c’est-à-dire qu’ils échappent à toute taxation, à toute prise en charge collective, et que, finalement, ce sont les collectivités locales qui doivent en assurer l’élimination ou l’éloignement.

En proposant un ensemble de mesures visant à obliger les entreprises à allonger la durée de vie des objets, en promouvant la réparation plutôt que le « tout jetable », en prévoyant des sanctions contre les entreprises mettant en place des stratégies délibérées d’obsolescence programmée, nos collègues du groupe écologiste prennent en compte les nouvelles contraintes environnementales.

Il nous faudra surtout mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, particulièrement celle qui porte sur les déchets, trop souvent oubliée lorsque nous évoquons ce sujet, alors qu’elle pèse aujourd’hui fortement sur les collectivités territoriales. La fiscalité environnementale est un outil majeur pour modifier les comportements et valoriser notre environnement en incorporant à l’ensemble du process production-consommation la valeur des ressources naturelles et celle des services éco-systémiques.

Cependant, construire une économie verte ne se résume pas à imaginer un modèle de développement qui s’adapterait à la rareté des ressources, tout en présentant un impact environnemental limité. Il nous faut aussi nous interroger sur sa finalité. En somme, il s’agit aujourd’hui de nous demander comment produire, mais aussi pourquoi, dans quel but.

Le consumérisme, en créant des besoins artificiels, a imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’un bonheur proportionnel au volume de biens consommés et constamment renouvelés. Il nous a rendus dépendants d’un système énergivore et très polluant. En cela, notre système a aussi créé une obsolescence programmée culturelle.

Il nous faut réfléchir davantage, mener une analyse critique plus fine du consumérisme, dont on peut constater les limites non seulement physiques, au travers de l’environnement, mais également morales. Ce modèle de développement a failli à sa promesse en ne généralisant pas le bien-être. Pis encore, il a entretenu un idéal d’abondance, alors qu’il n’est pas généralisable, comme nous pouvons le voir aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, de la globalisation, de la standardisation des modes de vie et des aspirations.

L’abondance n’a été, jusqu’à présent, que le privilège de certains : on estime ainsi que de 20 % à 30 % de la population mondiale consomme entre 70 % et 80 % des ressources tirées chaque année de la biosphère.

L’exploitation massive des ressources est lourde de conséquences pour les populations des pays du Sud. Les mines chinoises fournissent à nos sociétés 95 % de la production mondiale, car l’exploitation y est très rentable du fait de normes environnementales et sociales très faibles. Ainsi, péril écologique et injustice sociale se renforcent mutuellement.

En définitive, il s’agit de passer d’un modèle où la sobriété est vécue comme une frustration à une sobriété choisie, organisée. Nous vivons une époque où le progrès technique échappe au projet politique, alors qu’il doit s’adapter aux défis environnementaux, mais aussi aux besoins sociaux. L’obsolescence programmée dépossède les individus, en particulier les membres de la classe ouvrière, les ouvriers qualifiés, de leur capacité à maîtriser les objets et leur environnement.

Mme Laurence Rossignol. Au temps où un ouvrier savait réparer sa voiture ou les appareils électroménagers, son savoir-faire était reconnu et utilisable dans son propre environnement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

MM. Éric Bocquet et Jean-Vincent Placé. Très juste !

Mme Laurence Rossignol. Aujourd’hui, même les ouvriers qualifiés ne savent plus réparer les objets qu’on leur a vendus ! De ce point de vue, leur déclassement social se trouve accru et ce phénomène accompagne la désindustrialisation de notre pays.

Notre débat et les propositions avancées contribuent à politiser les notions de consommation et de progrès technique, en préconisant la rédaction d’un rapport sur l’économie de la fonctionnalité ; je m’en réjouis.

En outre, alors que le rôle de l’État dans l’économie a été remis en question par les dogmes néolibéraux, la transition écologique lui redonne sa légitimité.

Les gisements d’emplois nouveaux existent. La France a la chance de pouvoir devenir leader, en termes d’innovation, grâce aux nouvelles possibilités qu’offrent l’économie fonctionnelle et l’économie circulaire. Nous ne pouvons laisser passer ces chances nouvelles, mais je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez sur ces sujets et que nous aurons l’occasion d’approfondir la réflexion, afin d’enrichir le projet de loi que vous nous présenterez au mois de juin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Je remercie notre collègue Jean-Vincent Placé et le groupe écologiste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour de nos travaux cette question orale portant sur la lutte contre l’obsolescence programmée.

En effet, il s’agit d’une initiative très intéressante, dans la mesure où elle nous permet d’aborder de plain-pied et de manière concrète les dérives du système capitaliste, dont le moteur est la consommation.

Mais revenons à la notion d’obsolescence programmée. Si une découverte, une innovation, un saut technologique frappent d’obsolescence un ordinateur, une cafetière ou un textile, on peut admettre que cela déclenche un renouvellement des produits. C’est la fonction de l’intelligence, du génie humain, et nous l’avons toujours considérée comme un facteur d’émancipation.

Ici, nous parlons d’obsolescence provoquée, prévue, planifiée dans un but mercantile, contraire à l’intérêt général.

L’obsolescence programmée est un terme générique qui recouvre plusieurs moyens destinés à réduire la durabilité d’un objet et à provoquer sa mise au rebut à brève échéance.

Parmi ces moyens, on distingue, tout d’abord, l’obsolescence technique, liée à la défectuosité de pièces ou à l’ajout d’options sur les produits. Elle peut aussi résulter de l’assemblage de pièces aux durées de vie différentes, de telle sorte que la pièce la plus fragile, si possible non disponible en pièce détachée, détermine la mort du produit. Elle peut également être due à l’incompatibilité entre des éléments de générations différentes, obligeant au renouvellement du produit ou rendant toute réparation inaccessible, matériellement ou financièrement. Comment ne pas penser alors que le consommateur est abusé, puisqu’il ne dispose pas de ces informations lors de l’achat du produit ?

Ensuite, il y a l’obsolescence réglementaire, dont on parle moins, mais qui me semble tout aussi efficace, si j’ose dire. Ainsi, le changement et la multiplication des normes ne sont pas totalement étrangers à l’accélération de l’obsolescence. Imposer de nouvelles normes de sécurité ou d’usage, d’une nécessité pas toujours évidente, oblige aussi à renouveler trop rapidement quantité de biens.

Enfin, j’évoquerai l’obsolescence symbolique. Prenons l’exemple des smartphones : les nouveaux modèles sont-ils suffisamment innovants pour justifier l’emballement médiatique dont ils font l’objet, le renouvellement prématuré d’appareils qui n’ont souvent qu’un an ou deux ? Non ! Il s’agit plutôt d’un effet de mode et, surtout, de marketing. Posséder l’appareil dernier cri matérialise l’appartenance à un certain groupe social, le respect de ses codes.

Aujourd’hui, les produits manufacturés sont jetables et non réparables : c’est une autre facette de l’obsolescence programmée. Il y a encore quelques décennies, l’ouvrier qui achetait une voiture pouvait la garder longtemps non seulement parce qu’elle était solide, mais aussi parce qu’il savait réparer les pannes ordinaires. J’ai encore en mémoire mon voisin mécanicien démontant son moteur, pièce par pièce, sur le trottoir, pour changer une bougie, une ampoule, une courroie… Aujourd’hui, c’est impossible ! Autrement dit, comme l’a relevé Mme Rossignol, les gens modestes n’ont plus prise sur ce qu’ils achètent. On a rendu inaccessibles des parties du véhicule et les pièces détachées sont rapidement épuisées. Sans logiciel spécifique, on ne détecte plus les pannes, qui sont d’abord électroniques, et même les garagistes n’arrivent plus à intervenir correctement sur certaines voitures.

L’obsolescence programmée est inhérente à la société de consommation. Elle repose en fait sur la manipulation et la tricherie. Il s’agit d’un des outils les plus pervers dans la course à la consommation, d’un stratagème fondé sur la tromperie. La surconsommation et le surendettement sont les deux mamelles nourricières de cette course folle entretenue et orchestrée par les « fils de pub ».

L’obsolescence programmée est un concept qui affleure dans les médias depuis peu de temps. Le travail d’associations et d’ONG nous a permis de le mettre au jour, mais il faut savoir qu’il est théorisé depuis la fin du XIXe siècle et mis en pratique dans les grandes firmes, depuis cette époque, de manière systématique et volontaire.

Dans les années trente, General Motors établit sa stratégie sur la production régulière de nouveaux modèles démodant les séries précédentes. C’est ainsi que la firme força son concurrent Ford, qui jusqu’alors misait sur la solidité et la longévité de ses produits, à changer de stratégie pour se lancer, lui aussi, dans la course au nouveau modèle. Il semble qu’il s’agisse là du début du système d’obsolescence programmée par l’esthétique et le design, dont la mise en œuvre s’est généralisée aujourd’hui.

L’externalisation des coûts due aux conséquences négatives de cette pratique est un autre volet de cette logique consumériste. Augmentation du volume des déchets, épuisement des ressources, abaissement des coûts du travail, emballement du crédit, surendettement sont les corollaires inévitables de la surconsommation et de l’obsolescence programmée qui en est le bras armé.

Mais si l’accélération de l’obsolescence des biens de consommation relevait seulement de la tromperie, elle ne représenterait pas une question d’ordre systémique, comme c’est le cas aujourd’hui.

Plus que jamais, le marketing est parvenu à créer des besoins, à nourrir des addictions, et pousse sans cesse les consommateurs à renouveler leurs équipements pour disposer du dernier cri, du plus performant, allant même jusqu’à organiser des ventes à minuit, orchestrées comme des ruées vers l’or. Dans quel monde vivons-nous ?

L’obsolescence programmée est aussi le révélateur des principaux dysfonctionnements du marché dans son acception libérale et du mythe de la concurrence libre et non faussée, parce que tous ces mécanismes ne visent qu’un seul et même objectif pour chaque firme : fausser la concurrence, mettre les peuples en compétition et prendre le dessus sur le concurrent.

Aujourd’hui, des citoyens essaient de se libérer de cette emprise. Des marchés de l’occasion voient ainsi le jour : si Internet présente des avantages indéniables, les brocantes, les dépôts-ventes – sources d’emplois, d’ailleurs – ou encore les structures associatives ne sont pas en reste. De même, « système D », échanges, prêts, achats en commun, mutualisation, réparation, frugalité sont des pratiques de consommation alternative qui, si elles ne sortent pas toutes du système, indiquent une volonté de trouver d’autres modes de vie fondés sur l’échange, la confiance et le partage.

Peut-être sommes-nous mûrs pour des remises en cause importantes de nos comportements, préludes à un changement d’époque ? Nous verrons bien !

Quoi qu’il en soit, notre rôle de législateur, aujourd’hui, consiste d’abord à comprendre ce phénomène et à en mesurer l’ampleur et les effets néfastes. Ensuite, il nous appartiendra de trouver des moyens réglementaires et législatifs pour protéger nos concitoyens et, plus particulièrement, les plus faibles d’entre nous. Gardons-nous de penser que le système peut être contrôlé à l’aide de quelques mesures, car l’obsolescence programmée est un pilier dont il ne pourra pas se passer facilement !

Il nous faudra travailler non seulement sur les garanties, sur l’éco-conception, mais aussi sur la sobriété et sur l’économie circulaire ; j’en oublie sans doute. On ne peut plus, aujourd’hui, concevoir un objet manufacturé sans se demander ce qu’il deviendra à terme : l’incinération, l’enfouissement, l’envoi dans les pays en développement pour le faire déconstruire sont des solutions à exclure. Les filières de recyclage doivent être développées, mais il ne s’agit que d’un geste curatif. Or nous devons faire de la prévention, et donc travailler, encore et toujours, sur l’éco-conception. À ce propos, je tiens à rassurer ma collègue Laurence Rossignol : le comité pour la fiscalité écologique s’intéresse aussi aux déchets, puisqu’il a créé un nouveau groupe de travail sur ce sujet.

Remettre en cause le jetable, les normes, les brevets, l’obsolescence programmée, l’abus de crédit, l’appauvrissement et la mise en concurrence des salariés, tous ces facteurs liés entre eux pour faire tourner la machine, demande un retournement des valeurs et une véritable révolution, qui replace l’homme au cœur de notre action. Pour notre part, nous y sommes prêts ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un siècle, notre modèle économique repose en grande partie sur la production de masse. Celle-ci fonctionne selon un cycle – extraction de ressources naturelles, consommation d’énergie, production de biens et traitement des déchets – qui s’est progressivement amplifié et a constitué un important moteur de croissance de notre économie.

La systématisation de la production en série a longtemps permis de faire baisser les prix et d’assurer ainsi une forte rotation du cycle d’achat, à discrétion du consommateur. Ce modèle était valable au temps de la prospérité, où l’on n’était pas trop regardant sur les « coulisses », c’est-à-dire l’amont et l’aval de la vie du produit. Mais les temps ont changé !

Considérant, pour reprendre la formule d’un journal américain, qu’« un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires », les industriels ont développé trois armes pour accélérer la rotation du cycle d’achat : tout d’abord, la publicité et le marketing, ensuite, le crédit, et, enfin, l’obsolescence programmée, qui fixe dès le départ la durée de vie d’un produit, avec pour corollaire, d’une part, l’accélération de la consommation de ressources naturelles parfois rares, issues de pays peu développés, et, d’autre part, le retour de celles-ci sous les mêmes latitudes, officiellement comme « articles d’occasion », mais plus prosaïquement sous forme de déchets.

On est ainsi passé successivement d’une logique à une autre : croître pour répondre à un besoin, puis croître pour satisfaire un désir, enfin croître pour croître. Cette évolution est en contradiction avec les objectifs que nous nous sommes fixés : d’abord préserver nos ressources, économiser notre énergie, prévenir la production de déchets – comme nous y invitent les lois Grenelle 1 et Grenelle 2 –, mais aussi préserver le pouvoir d’achat, comme nous le demandent nos concitoyens, plutôt que de subir le « pouvoir de faire racheter » qu’impose le système de l’obsolescence programmée.

Pour dresser un état des lieux et sortir de cette situation, nous disposons de quelques études sur lesquelles nous appuyer, notamment celle de l’ADEME sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Nous avons plusieurs outils à développer pour contrecarrer cette tendance au gaspillage.

La mise en place d’un outil juridique, tout d’abord, doit nous amener à travailler sur la garantie des produits mis sur le marché.

Il nous faut étendre les durées des garanties et les caler sur la durée de vie minimale, à fixer de façon normative.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Yves Détraigne. Le candidat Hollande précisait l’an dernier à l’association AMORCE ses préconisations en la matière : « l’instauration progressive d’une garantie longue de cinq ans, puis de dix ans pour les biens de consommation durables et la modulation de l’écotaxe selon la durée de vie garantie du produit ».

Beaucoup de biens ont été techniquement dégradés – je pense, par exemple, à la forte baisse de la durée de vie des ampoules électriques – pour permettre une rotation accélérée de leur vente. Nous qui sommes souvent, par ailleurs, des gestionnaires d’installations de traitement de déchets, nous savons que leur conception et leur construction, outre qu’elles doivent respecter des normes parfaitement justifiées, doivent faire appel aux « meilleures techniques disponibles ». Pourquoi ne pas appliquer cette exigence aux biens de consommation courante et imposer, lors de leur conception, l’utilisation des « meilleures techniques disponibles » pour garantir leur fiabilité dans le temps ?

Nous devons également assurer une concordance de garanties entre produits jumelés. Qui d’entre vous n’a pas été contraint de changer son téléphone dit « intelligent » – intelligent à court terme, peut-être ! –, parce que sa batterie n’était plus fonctionnelle et que les deux étaient indissociables ? Nous faudra-t-il, demain, changer de voiture à la première crevaison d’un pneu ?

Il convient de rendre les produits non seulement durables, mais aussi réparables par des tiers non impliqués dans la vente initiale ni intéressés par une deuxième vente du même produit. Lorsque nous construisons des usines, nous exigeons systématiquement ce que l’on appelle un « dossier d’intervention ultérieure sur l’ouvrage ». Pourquoi ne pas exiger son équivalent pour les biens de consommation courante, sous forme d’un document qui serait lisible et exploitable par tous ? L’essor des sites de vente de produits d’occasion n’est pas un hasard.

Nous devons aussi développer l’outil financier, en travaillant sur l’éco-contribution.

La responsabilité élargie du producteur est depuis peu modulée, pour les emballages, par leur caractère recyclable. Ce qui vaut pour des produits destinés par nature à un usage unique ne peut se transposer à des objets dont la vocation – en tout cas, dans l’esprit de ceux qui les achètent – est de durer. Pourquoi ne pas assurer une modularité en fonction de ce que nous attendons de ces produits ? S’ils sont singuliers et si leurs qualités, leur fonctionnalité, leur design ont justifié que nous les achetions, alors qu’ils soient « normaux » à l’intérieur, durables, réparables et, au final – parce que tout a une deuxième vie –, recyclables.

Une éco-contribution suffisamment élevée pour couvrir les coûts liés à la fin de vie du produit, avec une dégressivité reposant sur l’atteinte de performances techniques garanties, pourrait motiver les industriels à revoir leur modèle de production.

À ceux qui pensent que nous prendrions alors le risque de fragiliser encore plus la croissance, je réponds qu’à l’économie du jetable il faut substituer l’économie du durable, au sens premier du terme. À l’économie linéaire fondée sur le cycle extraction-utilisation-destruction, nous devons préférer l’économie circulaire, comme le promeut l’institut du même nom, lancé en février dernier avec la contribution de notre collègue Chantal Jouanno. Quel industriel, ingénieur ou entrepreneur préférerait être un fabricant de déchets plutôt qu’un fournisseur de nouveaux services ?

Que ceux qui nous expliquent que nous devons nous résigner à sauver nos emplois en gaspillant les ressources des autres entendent que nous souhaitons miser sur l’innovation et créer des emplois nouveaux en valorisant toutes nos ressources, y compris humaines. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier à mon tour Jean-Vincent Placé de nous offrir aujourd’hui l’occasion de débattre d’une question peu souvent abordée, mais tout à fait essentielle, en particulier dans le contexte actuel de crise économique, écologique et sociale.

L’obsolescence programmée est un sujet complexe, à facettes multiples.

Tout d’abord, elle recouvre des enjeux économiques évidents, en termes d’emploi, de commerce extérieur, de délocalisation de main-d’œuvre, de filières d’insertion, ainsi que de recherche ou d’innovation.

Ensuite, les enjeux environnementaux, liés à l’utilisation des ressources de la planète, à la consommation d’énergie, à l’émission de gaz à effet de serre, à la production de déchets, à la capacité de recycler ou non ces déchets, sont évidemment considérables.

Enfin, les enjeux de société se mesurent à l’échelle planétaire : le modèle désormais universel de fonctionnement de l’économie est celui de la consommation et de la satisfaction de besoins constamment renouvelés, du fait non seulement d’un vrai progrès technologique, mais souvent de simples évolutions très artificielles créées par le marketing ou la publicité.

Comment avons-nous pu, en l’espace de cinquante ou soixante ans, passer de productions de qualité, nécessaires pour répondre aux besoins de consommation « normaux » de l’être humain, à un système fondé sur la création de besoins nouveaux, par le biais d’une forme de marketing inventée dans les années soixante, lorsque l’on s’est rendu compte que c’était la meilleure manière de gagner plus d’argent ?

À titre personnel, je considère que l’obsolescence programmée est née de la concentration du système de distribution. En effet, les fabricants de ces objets obsolescents respectent des cahiers des charges et ils n’inventent pas des produits à durée limitée, non réparables ou dépourvus de pièces de rechange tout à fait par hasard.

J’y vois une volonté de créer des conditions toujours plus difficiles pour le consommateur tout en garantissant l’accroissement du chiffre d’affaires de la grande distribution. On tend à minimiser les conséquences de l’obsolescence programmée des produits en soulignant que ceux-ci peuvent être recyclés, mais qui paie pour le recyclage, sinon le consommateur ? En définitive, il s’agit de faire toujours plus de chiffre d’affaires et de bénéfices. La grande distribution est, à mon sens, l’une des principales responsables de la situation que nous connaissons aujourd’hui.

La réponse n’est pas simple, d’autant que les tenants de ce système économique invoquent volontiers la nécessité de permettre à la planète entière de consommer des produits bon marché. Certes, un tel objectif était noble, il fallait évidemment réduire le coût des produits, mais jusqu’à un certain niveau seulement, sans aller jusqu’à tromper l’acheteur sur la qualité. J’observe que, dans certains cas, la durée de la garantie du produit acheté, par exemple un téléviseur, peut être portée de deux à cinq ans si vous y mettez le prix ! J’y vois une forme…

Mme Évelyne Didier. D’arnaque !

M. Raymond Vall. Vous savez de quoi vous parlez, ma chère collègue ! (Sourires.)

Cette course sans fin à l’augmentation du chiffre d’affaires et des marges ne me paraît pas compatible avec les enjeux planétaires que j’ai évoqués, puisque, nous le savons, on ne pourra pas tenir la distance, continuer à produire sans prendre en compte les problématiques de la démographie, de l’énergie et des matières premières.

Bien sûr, je souscris aux propos tenus sur l’intérêt de l’économie circulaire, qui a fait l’objet d’initiatives dans la région Midi-Pyrénées, notamment (M. Alain Chatillon acquiesce.), et que Mme Jouanno entend promouvoir. Cependant, cela ne règlera pas le problème de fond : nous devons légiférer afin de relier le prix des produits au coût des matières premières et de l’énergie nécessaires à leur fabrication, ainsi qu’au coût de leur recyclage, car tout cela est in fine payé par le consommateur.

Notre groupe sera très attentif aux mesures qui pourront être élaborées dans cette perspective. Bien entendu, nous sommes disposés à apporter notre contribution pour lutter contre ce qui constitue une sorte de tromperie atteignant aujourd’hui, au travers de la concentration de la distribution, tous les consommateurs. Surtout, il y va de l’avenir de notre planète et de l’humanité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Bertrand. Bravo ! Un véritable écologiste !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur l’initiative de notre groupe, et plus précisément de son président, Jean-Vincent Placé. En effet, l’obsolescence programmée est un réel problème. Les machines à laver en panne au bout de cinq ans d’utilisation, les téléviseurs, les ordinateurs, les téléphones ne fonctionnant plus au bout de trois ans, pour ne citer que quelques exemples : ces réalités bien tangibles pèsent lourdement sur les budgets des familles, en particulier celles qui sont le plus en difficulté.

Le problème est également environnemental, car la surproduction de ces appareils conduit à la surexploitation des ressources naturelles et à l’augmentation du volume de déchets, dont certains sont extrêmement toxiques.

La durée de vie des biens s’est manifestement réduite. Le temps où un équipement électroménager fonctionnait pendant vingt ans est révolu, mais il ne s’agit pas là d’une fatalité à laquelle il faudrait se résigner, au prétexte que la plus grande fragilité des produits et leur caractère non réparable seraient la contrepartie de l’amélioration des performances. Nous sommes bien confrontés à une stratégie délibérément mise en œuvre dans plusieurs secteurs industriels pour habituer le consommateur aux produits jetables à usage unique et créer une demande toujours croissante. Une telle démarche est révélatrice d’une société de consommation, d’une société capitaliste qui atteint ses limites.

Nous avons laissé faire, ces dernières décennies, et nous constatons aujourd’hui des dérives : produits indémontables, irréparables, la réparation devenant même un non-sens économique, car il revient souvent plus cher de faire réparer un appareil que d’en acheter un neuf, ce qui est évidemment aussi un non-sens social.

Le Centre européen de la consommation vient de publier une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». Cette étude plaide pour que le consommateur ait accès à l’information sur la durée de vie des appareils, mais aussi et surtout pour que la durée de la garantie légale de conformité soit allongée en fonction de la durée de vie moyenne des produits. Nous faisons nôtres ces préconisations, qui sont d’ailleurs contenues dans la proposition de loi déposée par Jean-Vincent Placé, président de notre groupe.

En proposant l’extension progressive de la durée de la garantie légale de conformité – il s’agit de préparer une transition, et non d’asphyxier des entreprises, même si la plupart de celles qui pratiquent l’obsolescence programmée n’ont ni leur siège ni l’essentiel de leurs établissements en France, Samsung employant par exemple 190 000 salariés à travers le monde, dont seulement un peu plus de 1 000 en France –, comme je l’avais fait par voie d’amendement lors de l’examen du projet de loi de M. Lefebvre en décembre 2011, on incitera les fabricants à produire des biens plus durables.

Porter cette durée, aujourd’hui de deux ans, à trois ans au 1er janvier 2014, puis à quatre ans au 1er janvier 2015 et à cinq ans au 1er janvier 2016 ouvrira la voie à un nécessaire changement des modes de production pour y intégrer des critères de durabilité et de réparabilité des produits.

L’autre mesure essentielle de cette proposition de loi consiste à favoriser la réparation des appareils en demandant aux constructeurs de tenir à disposition des consommateurs des pièces détachées et des notices de réparation. Par ailleurs, il s’agit également d’inciter les éco-organismes à prélever des pièces détachées sur des équipements usagés qu’ils collectent lorsque la réparation n’est pas possible, en vue de la réparation d’autres produits de même type. Cela permettrait de constituer des stocks de pièces détachées d’occasion.

En effet, la réparation, outre qu’elle permet d’allonger la durée de vie de nos biens, est une réponse sociale concrète. Elle permet de conserver des emplois locaux, des savoir-faire et des compétences dans notre pays. Soutenir les réseaux de réparation français est donc un moyen de maintenir des services dans les territoires, voire de les développer.

Enfin, cette proposition de loi comporte une définition de l’obsolescence programmée et prévoit d’inscrire ce concept dans le code de la consommation en tant que pratique commerciale trompeuse, pour en faire ainsi un délit. Cela est fondamental, car la polémique actuelle est alimentée par cette absence de définition juridique.

Ce texte, tout comme votre projet de loi sur la consommation à venir, monsieur le ministre, doit être un outil destiné à faire cesser des pratiques qui contribuent à la surexploitation des ressources naturelles, mènent à une production excessive de déchets et pèsent gravement, je le répète, sur le budget des ménages.

L’obsolescence programmée va à l’encontre du sens de l’histoire et, pour reprendre l’expression employée tout à l'heure par Jean-Vincent Placé, d’un progrès au service d’un développement durable et soutenable.

Sans une volonté politique forte, il sera impossible d’engager des changements structurels de nos modes de production et de consommation. Cette volonté, nous l’avons et nous devrons l’avoir collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également. )

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.