Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

Mmes Odette Herviaux, Catherine Procaccia.

1. Procès-verbal

2. Questions orales

reconnaisssance de l'usage gratuit de locaux syndicaux

Question n° 364 de Mme Marie-France Beaufils. – M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Marie-France Beaufils.

présentation d'un titre d'identité au moment d'un vote

Question n° 199 de M. Jean-Patrick Courtois. – MM. Benoît Hamon, ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation ; Jean-Patrick Courtois.

conditions d'accueil des demandeurs d'asile

Question n° 304 de M. Yves Chastan. – MM. Benoît Hamon, ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation ; Yves Chastan.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

aire d'accueil pour les gens du voyage dans le bois de vincennes

Question n° 411 de M. Christian Cambon. – MM. Benoît Hamon, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation ; Christian Cambon.

création d'un congé de reconversion pour les agents territoriaux en congé longue maladie

Question n°391 de Mme Catherine Deroche. – Mmes Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; Catherine Deroche.

renouvellement du contrat d'un agent non titulaire de catégorie b

Question n° 354 de M. Rachel Mazuir. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Rachel Mazuir.

constitution d’un guichet unique en guyane

Question n° 362 de M. Georges Patient. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Jacques Cornano, en remplacement de M. Georges Patient.

Suspension et reprise de la séance

desserte régionale de la compagnie aérienne hop et aménagement du territoire

Question n° 370 de M. Jacques Mézard. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Jacques Mézard.

recours à des protéines animales pour les poissons d'élevage

Question n° 363 de M. Robert Tropeano. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Robert Tropeano.

ligne ferroviaire à grande vitesse de montpellier à perpignan

Question n° 408 de M. Roland Courteau. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Roland Courteau.

perte de l'agrément européen par l'école nationale vétérinaire d'alfort

Question n° 389 de Mme Catherine Procaccia. – M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Catherine Procaccia.

encadrement des loyers des maisons de retraite

Question n° 347 de M. Dominique Bailly. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Dominique Bailly.

implantation de nouvelles pharmacies en milieu rural

Question n° 310 de M. Didier Guillaume. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Didier Guillaume.

boîtiers électriques dangereux installés sous les trottoirs

Question n° 356 de M. Pierre Laurent. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Pierre Laurent.

concessions des usines hydroélectriques sur le territoire national

Question n° 367 de M. Georges Labazée. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Georges Labazée.

logement ancien en centre-ville

Question n° 246 de M. Raymond Couderc. – MM. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement ; Raymond Couderc.

réforme de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux

Question n° 343 de Mme Sophie Primas. – M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement ; Mme Sophie Primas.

situation des greffes outre-mer

Question n° 381 de M. Serge Larcher. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Serge Larcher.

décret relatif à la mutualisation entre les conseils généraux et les sdis

Question n° 326 de M. Bruno Sido. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Bruno Sido.

élargissement de l'autorisation de conduire un tracteur de plus de 3,5 tonnes avec le seul permis b pour les employés des établissements publics de coopération intercommunale et des syndicats intercommunaux à vocation multiple

Question n° 378 de M. Dominique de Legge. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Dominique de Legge.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Lutte contre l’obsolescence programmée des produits. – Discussion d’une question orale avec débat

M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question.

Mmes Hélène Masson-Maret, Laurence Rossignol, Évelyne Didier, MM. Yves Détraigne, Raymond Vall, Joël Labbé, Jean-Jacques Filleul, Mme Delphine Bataille, M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation.

5. Débat sur la politique vaccinale de la France

M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud, M. Alain Milon, Mme Michelle Meunier, M. Bernard Cazeau, Mme Catherine Procaccia, M. Philippe Madrelle, Mme Catherine Deroche.

Mme Marisol Touraine, ministre.

6. Renvoi pour avis multiple

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

7. Conférence des présidents

8. Communication du Conseil constitutionnel

9. Débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales

M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

Mmes Marie-France Beaufils, Nathalie Goulet, MM. François Fortassin, André Gattolin, Philippe Marini, Mme Michèle André, MM. Philippe Dominati, Jacques Chiron, Jean-Yves Leconte.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget.

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Odette Herviaux,

Mme Catherine Procaccia.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions orales

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

reconnaisssance de l'usage gratuit de locaux syndicaux

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 364, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte des travailleurs en France pour leurs droits n’a jamais été un long fleuve tranquille. Sans leurs combats, les enfants seraient toujours au travail, les congés payés n’auraient pas été conquis, et d’autres droits seraient aujourd’hui bafoués, comme c’est le cas dans de trop nombreux pays où les syndicats sont interdits.

La ville de Châteauroux, dès 1896, proclamait : « il est du devoir des municipalités républicaines d’encourager les syndicats ouvriers légalement constitués et d’aider à leur organisation et leur bon fonctionnement, afin de permettre de défendre utilement la cause de la classe ouvrière. » La bourse du travail était ainsi créée dans cette ville en 1901.

C’est aussi au nom de la reconnaissance par la nation pour l’action résistante menée par les syndicats contre le nazisme que nombre de municipalités ont mis gracieusement des locaux à disposition des syndicats.

Rendons hommage dans cette enceinte à tous ces militants qui ont payé, trop souvent de leur sang, le prix fort pour la défense de l’intérêt général, intérêt général que nous avons également le soin de défendre en tant que représentants de la nation. Ces droits de l’homme par excellence sont remis en cause régulièrement. Les syndicats, qui sont là pour les défendre et les promouvoir, sont d’une utilité sociale irremplaçable.

Mais comment ces syndicalistes pourraient-ils défendre aujourd’hui cet intérêt général si les moyens en locaux leur sont retirés ?

C’est ce que vivent, depuis septembre 2003, les syndicats castelroussins qui se voient menacés, comme des locataires ordinaires, d’être chassés de la bourse du travail. Je me félicite de la déclaration publique de M. le préfet de l’Indre, assurant qu’il n’accordera pas au maire de Châteauroux le concours de la force publique et qui, implicitement, récuse l’expulsion. Mais la prudence est de mise, et ces paroles, même si elles sont importantes, ne peuvent suffire à rassurer totalement les syndicalistes qui souhaiteraient que tout cela soit écrit noir sur blanc.

Le droit syndical ne peut être limité à la théorie, il faut qu’il soit sous-tendu par des mesures concrètes. C’est au nom de cette liberté fondamentale, de la tradition de gratuité existant depuis la création de la bourse du travail à Châteauroux, qu’il nous paraît temps de pérenniser dans leurs locaux les organisations de cette ville.

Monsieur le ministre, je connais votre attachement pour cette région, pour ce département, pour leurs habitants, votre attachement pour les droits des salariés.

Il y a urgence. On a tenté de couper l’eau, l’électricité et le gaz aux syndicalistes. L’ascenseur a été neutralisé, ce qui interdit tout accès à des personnes handicapées. On veut les déloger.

Je vous demande, monsieur le ministre, de faire cesser ces pressions et actes inacceptables. Les syndicats ont droit à plus de respect pour l’exercice de leur mission. Il faut immédiatement un moratoire en attendant que des mesures pérennes soient prises. Ce serait un minimum pour que la sérénité reprenne ses droits.

Reconnaître l’usage gratuit des locaux en faveur des organisations syndicales, en tenant compte des diversités des situations et des usages et en inscrivant au minimum, dans l’urgence, la pérennisation de l’existant sur un plan juridique, doit être notre objectif. Je ne doute pas qu’il soit également le vôtre.

Vous avez misé, monsieur le ministre, sur le dialogue social. Mais comment pourrait s’exercer ce dialogue social si les syndicats sont considérés comme des sans domicile fixe en puissance ?

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que nous puissions pérenniser, dans la loi, le financement des locaux syndicaux. Comment comptez-vous progresser sur ce dossier afin que la liberté syndicale soit effective ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, je suis très heureux de vous retrouver au même poste que dimanche matin ! (Sourires.)

Madame la sénatrice, à la fois par mes fonctions de ministre du travail et en tant qu’ancien élu du département de l’Indre, j’attache, vous le savez, de l’importance à la question que vous soulevez.

Tout le monde s’accorde à dire que le dialogue social doit être renforcé, que la démocratie sociale est un élément fondamental de la démocratie d’une manière générale. Cela pose évidemment la question des moyens, car que serait une démocratie sociale reconnue dans son principe mais privée des moyens de s’exercer librement ?

Vous soulevez, madame la sénatrice, la question, évidemment douloureuse, regrettable, condamnable, de la remise en cause par certains maires – à Châteauroux, à Chartres, mais aussi dans d’autres régions de France – de l’hébergement des antennes syndicales locales, quel que soit le terme utilisé, dont l’usage est largement établi, souvent depuis très longtemps, presque depuis l’autorisation de la création de syndicats ouvriers dans certaines villes.

Ces maisons des syndicats contribuent évidemment, par leurs permanences juridiques et sociales, par leurs activités de formation et d’éducation, à des services d’intérêt général à visée sociale. L’usage de la mise à disposition de locaux par les collectivités locales est confirmé dans sa généralité et constant depuis plus de cent ans.

Je vous le dis très clairement, la remise en cause de cet usage par certains élus, encore peu nombreux mais qui pourraient demain en entraîner d’autres, n’est pas acceptable à mes yeux.

J’ai, au cas par cas, demandé aux préfets de faciliter le dialogue afin de résoudre les difficultés qui pouvaient exister et, si ce dialogue n’aboutissait pas, de prendre des décisions permettant aux syndicats de continuer à pouvoir être hébergés, même si de telles conditions ne sont pas normales.

J’ai également demandé à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de procéder à une évaluation de la situation du logement des antennes locales des syndicats en France, globalement, y compris sur le plan des risques de contentieux juridiques.

Ce rapport me sera remis dans quelques semaines. Il devrait nous apporter un éclairage, notamment sur le cadre législatif et réglementaire qui fournirait tant aux collectivités qu’aux organisations syndicales les sécurités juridiques et opérationnelles nécessaires, par exemple via l’établissement de conventions avec les syndicats. Les préfets pourraient être invités à intervenir en qualité de conciliateurs à défaut de concertation entre les différents niveaux de collectivités.

Si cela s’avérait nécessaire, et au vu de ce rapport, pour consolider juridiquement l’usage établi et empêcher sa remise en cause unilatérale par certains élus hostiles aux organisations syndicales, une initiative législative pourrait être envisagée ; je ne l’écarte absolument pas pour ma part.

Nous ne pouvons pas prôner la méthode du dialogue social, la démocratie sociale, et ne pas permettre aux organisations syndicales de mener à bien leur mission ; c’est une question de cohérence et c’est une question de justice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Elle va dans le sens attendu par les responsables syndicaux, et ce, comme vous l’avez souligné, non pas uniquement à Châteauroux, mais aussi dans d’autres villes où, malheureusement, ce problème se pose.

L’exercice du droit syndical est prévu dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, et le code du travail y fait également référence. L’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est aussi une base sur laquelle s’appuyer. Ce sont donc là des éléments importants.

Toutefois, on en est à un stade où, me semble-t-il – à cet égard, le rapport de l’IGAS nous aidera probablement à y voir plus clair –, il est probablement nécessaire de recourir à un véhicule législatif. Ce qu’on appelle peut-être improprement « l’acte III de la décentralisation » pourra nous fournir l’outil législatif permettant de sécuriser la situation, notamment sur le plan financier. En effet – et c’est aussi une des questions qui est posée –, si une collectivité refuse de financer un local syndical, aucune disposition légale ne lui impose aujourd'hui de le faire.

On sent donc bien que la situation est fragile. J’espère qu’une solution sera trouvée très rapidement pour l’ensemble des organisations syndicales regroupées au sein de bourses du travail, qui, comme vous le disiez tout à l’heure, constituent un outil important pour permettre aux syndicats de mener leur action, de former les salariés et d’être à l’écoute des besoins de ces derniers. Dans beaucoup de petites entreprises, particulièrement au sein des départements ruraux, il n’existe pas de syndicat, et la bourse du travail est un outil important.

Monsieur le ministre, nous suivrons en tout cas avec beaucoup d’attention ce dossier.

présentation d'un titre d'identité au moment d'un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question n° 199, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, je souhaite appeler l’attention du ministre de l’intérieur sur les conséquences de l’application de l’article R. 60 du code électoral dans les communes associées.

Cet article prévoit que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, les électeurs doivent présenter un titre d’identité pour pouvoir voter. Cette mesure est destinée, dans les communes où la population est importante et plus mobile, à permettre aux membres des bureaux de vote de s’assurer de l’identité des électeurs.

De facto, cette disposition s’applique également aux communes qui sont associées à une commune comptant une population supérieure à 3 500 habitants, dans la mesure où le critère déterminant, l’obligation de présenter un titre d’identité, est celui de la population municipale de l’entité communale totale.

Par conséquent, ces petites communes souvent rurales, dont la population est souvent inférieure à 1 000 habitants, se retrouvent inévitablement soumises à ces nouvelles règles puisqu’elles dépassent le seuil des 3 500 habitants de par leur nouveau statut de communes associées. Et l’application de l’article R. 60 du code électoral dans ces petites communes peut entraîner des difficultés et des incompréhensions.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de trois communes, avec une population respectivement de 953 personnes, 500 personnes et 300 personnes, qui sont associées à une commune de plus de 30 000 habitants.

Ces trois communes présentent toutes les caractéristiques des communes rurales, avec une population parfois établie depuis plusieurs décennies et dont tous les membres ou presque se connaissent. Bien souvent, les électeurs de ces communes associées ne comprennent donc pas que les membres de leur bureau de vote exigent d’eux la production d’un titre d’identité, alors que le président et les membres dudit bureau de vote, issus de cette même commune, connaissent personnellement la plupart d’entre eux.

Cette incompréhension est d’autant plus grande que les communes limitrophes, qui comptent une population plus importante sans pour autant dépasser le seuil de 3 500 habitants, ne se voient pas appliquer un tel contrôle.

Cela aboutit régulièrement à des tensions dans l’enceinte même des bureaux de vote, tensions qui se révèlent peu compatibles avec l’ordre et le calme dans lequel les opérations de vote doivent se dérouler.

Il me paraîtrait donc opportun de s’interroger sur le non-sens de cette règle, d’autant plus que ces communes à faible population disposent de leurs propres bureaux de vote, de leur propre liste électorale et fonctionnent donc de manière autonome.

Dans ces conditions, ne serait-il pas envisageable de reconnaître chaque commune associée comme une entité unique à laquelle s’appliquerait la règle édictée pour les communes de moins de 3 500 habitants ? Cette disposition permettrait de préserver le bon déroulement des opérations dans les bureaux de vote. Elle traduirait par ailleurs une volonté d’intégrer et de reconnaître à part entière ces communes associées dans le processus de l’intercommunalité.

Monsieur le ministre, je souhaite avoir votre avis sur cette proposition.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur Courtois, vous avez interrogé le ministre de l’intérieur sur les modalités de vote dans les sections de commune. Manuel Valls, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence, m’a chargé de vous faire part de sa réponse.

Comme vous le rappelez, l’article R. 60 du code électoral prévoit que les électeurs des communes de 3 500 habitants et plus doivent présenter au président du bureau de vote un titre d’identité en même temps que leur carte électorale au moment du vote. Cette disposition vise à garantir la sincérité du vote.

Dans les communes de moins de 3 500 habitants, il est considéré, comme vous l’avez indiqué, que le président du bureau de vote, qui est le maire ou un conseiller municipal dans l’ordre du tableau, est en mesure de connaître chacun des électeurs. La vérification de l’identité résulte alors de la seule présentation de la carte électorale.

Dans les communes issues de la fusion d’anciennes communes, celles-ci peuvent, au moment de la fusion, constituer des communes associées. En application de l’article L. 255-1 du code électoral, ces dernières forment de plein droit des sections électorales.

Dans certains cas, tel que celui que vous avez évoqué, des communes fusionnées de 3 500 habitants ou plus regroupent une ou plusieurs sections électorales qui comprennent moins de 3 500 habitants. En l’état actuel du droit, aucune disposition juridique ne prévoit de règle spécifique quant aux modalités de contrôle d’identité dans ces sections ; la présentation d’un titre d’identité est par conséquent obligatoire s’agissant d’une commune de 3 500 habitants et plus, et ce même dans les sections électorales qui comprendraient moins de 3 500 habitants.

Vous souhaitez que ces sections soient soumises à un régime dérogatoire qui n’exige pas la présentation d’un titre d’identité, par analogie avec les dispositions prévues pour les communes de moins de 3 500 habitants.

Le Gouvernement considère que cette proposition est susceptible de créer des incompréhensions parmi les électeurs d’une même commune, dont certains seraient tenus de présenter un titre d’identité et d’autres pas, selon qu’ils appartiennent ou non à une section comptant plus ou moins de 3 500 habitants.

Par ailleurs, une telle solution présente le risque d’un contrôle moindre de l’identité des électeurs, et donc de mise en cause de la validité des votes dans certaines sections. En effet, s’il est fréquent que la présidence des bureaux de vote des sections électorales soit assurée par le conseiller municipal issu de la section, aucune disposition ne prévoit une telle obligation.

Aussi, dans le cas où, pour quelque raison que ce soit, le conseiller municipal désigné par le maire comme président du bureau de vote ne serait pas issu de la section, il pourrait ne pas connaître chaque électeur et ne serait pas en mesure d’exiger le titre d’identité de ceux qu’il ne connaîtrait pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, si je partage votre analyse, il n’en va pas de même de vos conclusions. Sur le plan pratique, la mesure constitue un frein important au développement de l’idée d’intercommunalité chez nos concitoyens. J’ai pu le constater dans l’un des bureaux de vote d’une des communes associées de la ville de Mâcon, qui compte 500 habitants : les électeurs de cette petite section, qui se connaissent tous, ne comprennent pas qu’on les oblige à présenter leur carte d’identité alors que rien de tel n’est exigé dans la commune d’à côté.

Vous avez évoqué le risque que la mesure que je propose ne conduise à opposer les électeurs des grandes villes, auxquels on demande une pièce d’identité, et ceux des petites sections. Or ce risque est proche de zéro.

Laisser les communes associées garder des prérogatives favoriserait l’intercommunalité, d’autant que les communes peuvent conserver, si elles le souhaitent – et c’est d’ailleurs ce qu’a fait mon prédécesseur à Mâcon –, une commission consultative qui s’apparente à un conseil municipal et dont les membres tiennent le bureau de vote.

À un moment où l’intercommunalité, l’association des communes, est d’actualité, il serait bon que ma proposition puisse être retenue. Je déposerai un amendement dans le cadre de la réforme de la décentralisation qui ne manquera pas d’être examinée par le Sénat.

conditions d'accueil des demandeurs d'asile

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Chastan, auteur de la question n° 304, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Yves Chastan. Monsieur le ministre, je souhaite attirer l’attention de votre collègue ministre de l’intérieur sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, au regard de la situation à Privas, préfecture de l’Ardèche.

L’association Espoir, qui assurait le premier accueil, l’accompagnement et l’hébergement des demandeurs d’asile dans le bassin de vie de Privas, s’est vue retirer cette mission par l’État, ainsi que les financements de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations qui en découlaient.

Dans ce domaine, cette association n’intervient donc plus aujourd’hui que pour la gestion de la domiciliation des demandeurs d’asile. En conséquence, l’accueil de ces derniers à Privas, y compris de ceux qui proviennent de départements voisins, comme la Loire, s’effectue désormais dans des hébergements d’attente, notamment des hôtels. Les conditions d’accueil soulèvent des difficultés et des interrogations nouvelles, eu égard, en particulier, aux nécessités de la vie quotidienne.

Face à cela, des associations locales telles que le Secours populaire, le Secours catholique ou les Restos du cœur, mais également cultuelles – je pense aux paroisses catholique et protestante –, de même que la ville de Privas, sont désormais plus fortement mises à contribution pour aider ces personnes à se nourrir et à se vêtir.

L’hébergement dans des studios avec cuisine, antérieurement mis à la disposition de demandeurs d’asile par l’association Espoir, studios dans lesquels les demandeurs d’asile étaient en situation d’autonomie, et ainsi responsabilisés, a été remplacé par un hébergement en hôtel, situé en périphérie de Privas dans une zone commerciale non desservie par des transports en commun, ce qui ne permet pas aux demandeurs d’asile de disposer d’un endroit pour cuisiner les denrées fournies. Ce sont donc ces mêmes associations locales qui doivent mettre un local à la disposition des familles, tous les jours de la semaine, afin que ces dernières puissent s’alimenter correctement.

De plus, les délais d’obtention de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, sont parfois trop longs : les familles concernées ne peuvent alors se nourrir que grâce aux denrées mises à disposition par les associations locales.

Cette situation, consécutive pour partie à la suspension du financement de l’association Espoir pour ces missions, semble se pérenniser, ce qui est extrêmement préoccupant. Les associations ne pourront pas continuer à ce même rythme leur accompagnement, pas plus que les collectivités locales, dont la mienne, de plus en plus sollicitées pour l’octroi de subventions supplémentaires au coût impossible à supporter.

En outre, l’arrêt CIMADE et GISTI du 27 septembre 2012 de la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ personnel et temporel d’application de l’obligation de garantir des conditions minimales d’accueil aux demandeurs d’asile énoncées par la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003.

La Cour affirme que des conditions matérielles dignes doivent être octroyées au bénéfice de tous les demandeurs d’asile, y compris les « Dublinais », de la date de dépôt de leur demande d’asile jusqu’à ce que soit rendue une décision définitive sur leur demande ou que soit effectivement opéré leur transfert vers l’État membre requis au titre du règlement Dublin II. Dans ce cadre, la Cour a précisé que la charge financière de cette obligation pesait sur l’État d’accueil.

Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement au regard de la situation de Privas, ville dont je suis maire, et quelles mesures sont-elles envisageables pour résoudre rapidement les problèmes qui y sont rencontrés par les demandeurs d’asile, ou, à tout le moins, pour que ces personnes, qui forment souvent des familles avec enfants, soient mieux prises en charge ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de M. le ministre de l’intérieur, qui m’a demandé de vous apporter des précisions sur les conditions de premier accueil des demandeurs d’asile en Ardèche.

En 2012, la demande d’asile a augmenté de 35 % en Rhône-Alpes. En Ardèche, le flux a baissé de 7,2 %. En mars 2013, la situation de la demande d’asile en Rhône-Alpes est en augmentation de 65 % ; en revanche, en Ardèche, la demande d’asile accuse une baisse de 20 %, soit 23 demandes depuis le début de l’année.

Depuis 2010, le premier accueil des demandeurs d’asile est assuré au niveau régional par des plates-formes d’accueil dédiées aux demandeurs d’asile. Leur rôle est d’informer, d’orienter et d’assurer le suivi juridique et social des demandeurs d’asile qui ne sont pas hébergés en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA. Ces onze prestations sont inscrites dans un référentiel et font l’objet de conventionnement avec les associations depuis 2012.

La région Rhône-Alpes, compte tenu du flux de demandeurs que je viens d’évoquer, bénéficie de trois plates-formes : La Relève à Grenoble, Entraide Pierre Valdo à Saint-Étienne et Forum réfugiés à Lyon. Seules ces plates-formes ont fait l’objet d’un conventionnement avec l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

S’agissant de l’hébergement, l’association Espoir ne gère pas de CADA en Ardèche. Le département de l’Ardèche dispose de deux CADA, gérés respectivement par le Diaconat protestant et par l’Association nationale d’entraide, l’ANEF.

L’association Espoir gérait toutefois pour le compte de la préfecture de département un service d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, HUDA, sous la forme de nuitées hôtelières et de location d’appartements. Au 31 décembre 2012, 37 places d’HUDA étaient gérées par l’association Espoir en Ardèche. Le coût à la nuitée de l’hébergement géré par cette association était jugé toutefois très élevé, en 2012, au regard des coûts proposés par les autres opérateurs. L’association Espoir n’est pas le principal gestionnaire d’HUDA en Ardèche, puisque l’ANEF est également un gestionnaire important. L’association est en effet très implantée en Ardèche où elle gère un CADA à Privas, ainsi que l’hébergement d’urgence généraliste et le 115.

Aucun projet de l’association Espoir n’a été déposé dans le cadre de l’ouverture de 2 000 places de CADA au 1er juillet 2013. Sous réserve de l’instruction en cours, la décision du Gouvernement permettra d’ouvrir des places supplémentaires pour compléter le dispositif existant en Ardèche.

En effet, trois projets portés par l’ANEF, le Diaconat protestant et l’association Entraide Pierre Valdo ont été déposés dans le département. Ils sont actuellement en cours d’instruction. Les demandeurs d’asile en Ardèche bénéficient donc, de l’avis du ministère de l’intérieur, d’un système de prise en charge satisfaisant au regard des flux.

Par ailleurs, d’après Pôle emploi, le délai d’ouverture des droits pour les demandeurs d’asile qui souhaitent bénéficier de l’allocation temporaire d’attente, car ils ne sont pas hébergés en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, n’excède pas dix jours ouvrés dans le département de l’Ardèche.

Enfin, dans le cas des demandeurs d’asile relevant du règlement « Dublin », la Cour de justice de l’Union européenne, dans sa décision du 27 septembre 2012, indique que l’obligation de garantir les conditions minimales d’accueil du demandeur d’asile s’impose dès l’introduction de la demande et pendant toute la durée du processus de détermination de l’État membre responsable, jusqu’au transfert effectif du demandeur par l’État requérant.

C’est pourquoi le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration du ministère de l’intérieur rédige actuellement une instruction à Pôle emploi, aux préfets et au directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour leur indiquer que l’allocation temporaire d’attente doit être versée aux demandeurs d’asile sous règlement « Dublin ».

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Chastan.

M. Yves Chastan. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse qui a permis d’apporter un certain nombre d’éclaircissements.

Aujourd'hui, mon principal souci porte non pas sur le rôle que l’association Espoir assumait antérieurement et qu’elle ne peut plus jouer maintenant, mais sur les conditions d’accueil actuelles des demandeurs d’asile à Privas, nonobstant le fait – vous l’avez rappelé, mais j’en suis bien conscient – que leur nombre est globalement en baisse en Ardèche alors qu’il augmente au niveau régional. Nous recevons d’ailleurs des placements en provenance d’autres départements quand des places sont disponibles chez nous.

Je souhaitais surtout évoquer l’impact de cette situation sur les associations locales que j’ai citées. En l’état actuel des choses, elles sont obligées d’intervenir bien plus qu’auparavant. Vous avez partiellement répondu à ma préoccupation concernant le nécessaire renforcement des places en CADA. Des projets ont bien été déposés dans le cadre d’un appel à projets lancé par le ministère de l’intérieur. Je souhaite que, dans ce cadre, des places supplémentaires, y compris dans le bassin de vie de Privas, puissent être envisagées. C'est, me semble-t-il, l’une des solutions qui permettraient d’améliorer le dispositif actuel de placement dans des formules hôtelières, formules qui sont onéreuses et qui posent des problèmes en termes de transports collectifs.

Monsieur le ministre, je souhaitais, par votre intermédiaire, attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur cette situation, afin que des solutions soient trouvées pour améliorer le dispositif.

(M. Jean-Patrick Courtois remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

aire d'accueil pour les gens du voyage dans le bois de vincennes

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 411, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Christian Cambon. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Je conteste la légalité d’une décision prise en février dernier par le Conseil de Paris selon laquelle une aire d’accueil des gens du voyage sera installée à l’extrémité est du bois de Vincennes.

Sans mettre en question la nécessité républicaine qu’ont l’ensemble des maires d’organiser l’accueil des gens du voyage, nous estimons que les conditions posées par la loi du 5 juillet 2000 ne sont absolument pas remplies.

En effet, la loi prévoit que les aires d’accueil doivent être installées de façon à faciliter la scolarisation des enfants des gens du voyage, à permettre l’accès aux soins, notamment à un hôpital, et à des centres économiques, afin d’intégrer cette population au développement de la vie économique et sociale de notre pays.

Or le site qui a été choisi à l’extrémité du bois de Vincennes se trouve à plus de cinq kilomètres de la première école, qui est située rue de Charenton, dans le XIIe arrondissement de Paris. Pour scolariser les enfants dans cette école, il faudra donc les transporter par navettes, matin et soir, à travers les très nombreux embouteillages qui bloquent malheureusement l’entrée de Paris depuis la banlieue est.

Par ailleurs, aucune installation hospitalière – ou centre de soins – n’est installée dans le bois de Vincennes. La plus proche installation se trouve à l’hôpital Rothschild, distant de plusieurs kilomètres. L’ensemble des communes riveraines du bois de Vincennes sont mobilisées. Nous avions signé avec la Ville de Paris, la main sur le cœur, une charte de protection du bois de Vincennes, qui n’a jamais eu grand effet. Son comité de direction ne s’est d’ailleurs pas réuni depuis plus de dix ans !

On le voit bien, cela témoigne d’une volonté de reporter sur les communes riveraines du bois de Vincennes une obligation qui incombe à la Ville de Paris. Je le rappelle, cette dernière possède sur son territoire des dizaines, pour ne pas dire des centaines, d’hectares disponibles ; je pense notamment aux Batignolles, où plus de 77 hectares sont déjà disponibles. La Ville de Paris aurait pu procéder différemment.

Monsieur le ministre, le bois de Vincennes, comme le bois de Boulogne d’ailleurs, doit être intégralement réservé aux sports de plein air et aux activités de loisirs.

Une pétition lancée il y a quelques semaines a déjà réuni plus de 10 000 signatures de personnes de toutes sensibilités, qui veulent qu’on cesse de transférer au bois de Vincennes les activités dont la Ville de Paris ne veut pas. Par ailleurs, y sont notamment d’ores et déjà installés la Foire du Trône, qui occupe 15 hectares, le centre de rétention des personnes immigrées en situation irrégulière et des constructions pour accueillir des salons professionnels.

La majorité qui dirige la Ville de Paris et le ministère de l’intérieur devraient revoir la décision que j’ai évoquée puisqu’elle ne respecte pas les conditions posées par la loi. Quelles solutions préconisez-vous, monsieur le ministre, pour que la Ville de Paris respecte ses obligations légales, à savoir que la réalisation de l’aire des gens du voyage permette de favoriser l’insertion scolaire, sanitaire et économique de ces populations ? Nous comptons sur les éléments que vous allez nous communiquer pour appuyer le recours que nous avons formé, au nom de toutes les communes riveraines, contre cette décision devant le tribunal administratif de Paris !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez indiqué, la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage fixe les dispositions applicables en matière de stationnement des gens du voyage, dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles.

Vous le savez, l’objectif de ce texte est d’établir un équilibre entre, d’une part, la liberté d’aller et venir et l’aspiration des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et d’autre part, le souci des élus locaux d’éviter des installations illicites susceptibles de porter atteinte au droit de propriété et de troubler l’ordre public.

Il appartient aux collectivités locales de réaliser des aires d’accueil, obligation légale formalisée dans le schéma départemental d’accueil des gens du voyage, qui constitue le pivot du dispositif.

À cet égard, la création par la commune de Paris d’une aire d’accueil pour les gens du voyage dans le bois de Vincennes s’inscrit dans le cadre de cette obligation pesant sur les communes.

Monsieur le sénateur, la délibération que vous avez évoquée, adoptée par le Conseil de Paris lors de sa séance des 11 et 12 février 2013, a été contrôlée par les services de la préfecture de Paris. Elle n’a donné lieu à aucune observation au titre de sa légalité. Cette délibération a été adoptée dans la forme requise, et les textes visés, dont la loi du 5 juillet 2000, ont à nos yeux été correctement appliqués.

La question centrale de votre intervention concerne la localisation d’une aire d’accueil dans le bois de Vincennes et les gênes que cette dernière pourrait occasionner. Il s’agit toutefois d’une question d’opportunité, qui ne relève pas du contrôle de légalité.

Le bois de Vincennes, qui fait partie du territoire parisien, figure dans le schéma départemental d’accueil des gens du voyage. La mairie de Paris a prévu un investissement important – 4,8 millions d’euros – pour l’aménager.

L’aire d’accueil du bois de Vincennes, située dans l’Est parisien, permettrait un accès aisé aux services urbains, notamment les équipements scolaires, éducatifs, sanitaires, sociaux et culturels ainsi qu’aux différents services spécialisés. Un réseau de transports en commun – bus, métro et RER – permettra aux enfants de rejoindre les écoles de la ville de Paris dans lesquelles ils seront scolarisés.

Pour ce qui concerne les prestations sociales, celles-ci seront versées soit par la commune de rattachement, en application des articles 7 et suivants de la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, soit par le centre communal d’action sociale dans le ressort territorial duquel sont installés les demandeurs.

Les communes riveraines ne seront donc pas concernées par le versement de ce type de prestations.

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, tout à fait administrative et factuelle. Cependant, je suis désolé que l’on vous ait fait tenir un certain nombre de propos inexacts…

Vous évoquez la régularité de la procédure. Je vous rappelle quand même que la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages a rendu un avis défavorable, à l’unanimité ! Mais, si l’avis de cette institution nationale convoquée par le ministre – nous demandons, du reste, une nouvelle convocation de cette commission par Mme Batho – ne compte pour rien, c’est une autre histoire…

Par ailleurs, vous évoquez la proximité de transports en commun. Monsieur le ministre, je vous invite à participer à un voyage d’études sur cette question : sans vous amener très loin, il vous permettra de constater qu’il n’existe strictement aucun transport en commun à proximité ! Il faudra donc prévoir un système de navettes pour transporter les enfants matin et soir entre l’aire d’accueil et l’école.

Il me semble que vous n’avez jamais été maire. Sachez que, si vous l’aviez été, vous auriez eu beaucoup de difficultés à expliquer à vos administrés que vous envoyez les enfants à plus de cinq kilomètres, en région parisienne, le matin et le soir, à l’heure des embouteillages…

Il s’agit véritablement de faire une action sociale à peu de frais, aux dépens des autres, pour se donner bonne conscience ! Mais M. le maire de Paris ne s’en sortira pas ainsi ! Puisque le ministère de l’intérieur semble considérer la décision du Conseil de Paris comme légale, nous allons continuer à contester cette dernière et à mobiliser l’opinion, qui, dans toute la France, constate massivement que l’on touche une nouvelle fois à ses bois et que l’on y installe tout ce dont on ne veut pas dans le cœur de la ville.

Alors que Paris manque singulièrement d’espaces verts, nous allons nous battre, à l’image de ce que font les grandes capitales, comme Londres ou New York, pour rendre les espaces verts aux Parisiens !

création d'un congé de reconversion pour les agents territoriaux en congé longue maladie

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteur de la question n° 391, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, dans certaines circonstances, des agents territoriaux, sans être inaptes à toute fonction, ne peuvent être reclassés au sein de leur propre collectivité. Ils sont alors soit indéfiniment maintenus en arrêt de maladie, soit admis à la retraite après la procédure mise en œuvre par la collectivité.

Or les agents placés dans cette situation ne peuvent pas bénéficier d’actions de formation, réservées aux seules personnes en situation de travail, puisque le cadre statutaire actuel les en empêche.

Dès lors, ne peut-on pas créer une position statutaire nouvelle, du type du congé de reconversion, afin de permettre aux agents maintenus en congé de longue maladie d’être placés en position d’activité et de reconversion et de leur donner ainsi accès à des démarches de formations qualifiantes et professionnalisantes susceptibles de favoriser leur reclassement ?

Madame la ministre, je souhaite avoir votre avis sur cette proposition et, le cas échéant, savoir dans quel délai elle pourrait être mise en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la sénatrice, votre question est extrêmement intéressante parce que les modalités de reclassement des fonctionnaires devenus inaptes à exercer leurs fonctions du fait d’une invalidité sont aujourd'hui insuffisamment adaptées pour permettre aux employeurs publics, comme d'ailleurs aux fonctionnaires, de dérouler une seconde carrière.

Un vrai problème se pose à ce sujet, les procédures actuelles mettant en jeu des instances au fonctionnement lourd ainsi que des cadres statutaires qui n’offrent que peu d’alternatives aux employeurs publics. Votre préoccupation est pleinement justifiée puisque tout cela conduit souvent à une désinsertion professionnelle des fonctionnaires ayant eu un accident de la vie, quelle qu’en soit la nature.

Vous l’avez rappelé, le reclassement des fonctionnaires territoriaux est régi par les articles 81 et suivants de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et par le décret du 30 septembre 1985.

En droit, un fonctionnaire territorial peut, à l’issue d’un congé de maladie, n’être plus physiquement apte à exercer ses fonctions. Cette inaptitude est constatée par le comité médical, qui est souverain en la matière.

L’autorité territoriale a alors une obligation de moyens pour reclasser cet agent, conformément à ce qu’a indiqué le Conseil d’État dans un arrêt du 2 octobre 2002 condamnant la chambre de commerce et d’industrie de Meurthe-et-Moselle. Le fonctionnaire peut se voir proposer par l’autorité territoriale, si cela se révèle possible, un changement d’emploi ou même, s’il n’est plus apte à exercer l’ensemble des emplois de son grade, un changement de cadre d’emplois. Dans le cadre de cette reconversion, une formation peut s’avérer nécessaire.

Toutefois, les textes ne prévoient pas de formation spécifique liée, par exemple, à une reconversion pour raison de santé.

Par conséquent, dans un contexte d’allongement des carrières, du fait notamment du recul de l’âge de départ à la retraite, il est nécessaire d’ouvrir une vraie réflexion non seulement sur la prévention, mais aussi sur la prise en charge de l’invalidité dans la fonction publique.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la négociation sur l’amélioration des conditions de vie au travail, que j’ai ouverte avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique, je souhaite aborder l’ensemble des aspects que recouvrent ces questions.

La prévention des risques professionnels fera l’objet de plusieurs groupes de travail, concernant en particulier la prévention des risques psychosociaux, que l’on a sous-estimés dans la fonction publique, des risques liés à la pénibilité physique ainsi que de tous les troubles musculo-squelettiques, malheureusement connus de tous aujourd'hui.

L’amélioration du fonctionnement des instances médicales participant aux procédures de reclassement fera également l’objet de discussions, sans doute longues mais absolument nécessaires.

Enfin, sur la base d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, j’examinerai avec les organisations syndicales les conditions dans lesquelles une reconversion professionnelle peut être mise en place.

J’ai organisé cette négociation de manière que des groupes soient constitués sur les sujets importants que sont les parcours professionnels, la formation professionnelle, le changement d’affectation, le passage d’une administration à une autre, d’une collectivité locale à l’État, de l’État aux collectivités locales ou à la fonction publique hospitalière… Aujourd'hui, nos pratiques ne sont pas les bonnes.

Madame la sénatrice, je m’engage à trouver une réponse à votre question avec les organisations syndicales.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, je vous remercie de la réflexion que vous avez lancée, même si l’échéancier n’est pour le moment pas précisément établi.

Pour avoir organisé une table ronde avec le centre de gestion et l’association des maires de mon département, je me suis aperçue que de réels problèmes existent, notamment pour les petites collectivités : difficultés financières, manque de postes, blocages statutaires. D’autres problèmes concernent les avis des commissions de réforme.

Dans ces conditions, le chantier que vous lancez est très attendu, notamment par les maires et par les présidents de communautés de communes.

renouvellement du contrat d'un agent non titulaire de catégorie b

M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir, auteur de la question n° 354, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Rachel Mazuir. Madame la ministre, j’ai souhaité attirer votre attention et celle du Gouvernement sur l’application aux agents de catégorie B du nouvel article 3-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, tel qu’il résulte du I de l’article 41 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012.

Vous le savez, le principe général de recrutement dans la fonction publique territoriale figure dans le dernier alinéa de l’article 41 de la loi de 1984 précitée : un agent de la fonction publique peut être recruté s’il a réussi un concours administratif et été inscrit à cette fin sur une liste d’aptitude, ou par voie de promotion interne ou d’avancement de grade.

Par dérogation, une collectivité pouvait, sous certaines conditions, recruter un agent non titulaire pour une durée maximale d’un an. La loi de 2012 a porté ce délai à deux ans : un contrat ne pourra désormais être conclu que pour une durée déterminée d’un an, renouvelable une seule fois.

Cette dérogation, si elle se veut moins restrictive que la précédente, n’en demeure pas moins très pénalisante pour les agents recrutés sur des emplois de catégorie B.

Une instruction du 2 mars 2012 du ministère de l’intérieur a par ailleurs rappelé aux préfectures, en charge du contrôle de la légalité, de veiller particulièrement aux recrutements abusifs de contractuels et au renouvellement successif de leurs contrats, ce que l’on peut comprendre. Dans ces conditions, les collectivités ne pourront plus déroger à ce délai.

Madame la ministre, le recrutement sur certains emplois de catégorie B pose problème, plus particulièrement dans le département de l’Ain, limitrophe de la Suisse et du Rhône, deux gisements importants d’emplois prisés. C’est surtout vrai de la Suisse, et particulièrement du canton de Genève, qui procède à des recrutements massifs, dans des conditions avantageuses par rapport à celles de nos propres emplois.

Aujourd’hui, dans notre département de l’Ain, une quarantaine d’agents de cette catégorie, essentiellement des techniciens et des assistants sociaux éducatifs, sont contractuels. Dans certains cantons, des postes ne peuvent être pourvus par des titulaires soit en raison du coût de la vie – je pense au pays de Gex, où le coût de la vie est 30 % plus élevé que dans le reste du département –, soit en raison de l’absence de concours.

L’Ain se trouve aujourd’hui dans une situation délicate : par manque de candidats lauréats d’un concours ou examen, il se voit obligé de recruter sous contrat de jeunes agents en quête d’expérience. Ces personnes seront formées mais savent dès le départ qu’elles ne pourront rester au-delà de deux années, à moins qu’un concours ne soit ouvert d’ici là et qu’elles le réussissent, ce qui est un autre problème.

Cette situation est pénalisante non seulement pour les agents, qui, faute de garantie d’emploi, rencontrent des difficultés pour bénéficier de prêts bancaires, mais aussi pour les chefs de service, qui les formeront pour une courte durée et devront malheureusement les voir partir.

Il n’en est pas de même pour les agents de catégorie A, qui, vous le savez, peuvent voir leur contrat à durée déterminée se transformer en contrat à durée indéterminée au bout de six ans, ni pour les agents de catégorie C, qui peuvent être titularisés sans concours.

Lors de l’examen, au Sénat, du texte qui est devenu la loi du 12 mars 2012, deux amendements identiques avaient été adoptés, contre l’avis du Gouvernement, pour porter la durée de cette dérogation de deux à quatre ans. Selon nous, cette extension permettait aux collectivités territoriales de recruter un titulaire et offrait également de meilleures garanties aux contractuels qui n’avaient pas pu se présenter ou avaient échoué à un concours.

Malheureusement, cet aménagement a été supprimé à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du texte en commission, et les sénateurs n’ont pu le rétablir en commission mixte paritaire.

Pour toutes ces raisons, je souhaite savoir si le Gouvernement entend revenir sur l’article 3-2 de la loi de 1984, tel qu’il résulte du I de l’article 41 de la loi de mars 2012, ou prévoir une règle spécifique pour le renouvellement du contrat des agents de catégorie B.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, votre question renvoie à des préoccupations qui ont souvent conduit à la préparation de décrets, sans d'ailleurs que cette démarche ait jamais abouti.

À l’instar de ce qui est prévu pour les deux autres fonctions publiques, l’article 3-2 de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale prévoit explicitement que le recrutement d’agents contractuels vise à « faire face à une vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire ». Vous l’avez rappelé, ces contrats sont conclus pour une durée qui ne peut excéder un an.

L’article dispose désormais que le contrat peut être prolongé « dans la limite d’une durée totale de deux ans » – c’est très précis – lorsque « la procédure de recrutement pour pourvoir l’emploi par un fonctionnaire n’a pu aboutir » avant le terme de la première année.

On a donc essayé de donner un peu plus de souplesse aux collectivités territoriales tout en limitant les recours. En effet, si, sous le gouvernement précédent, une instruction en date du 2 mars 2012 a été adressée aux préfets pour bien vérifier le respect de cette procédure, c’est parce que plusieurs questions avaient été posées par les organisations syndicales…

En particulier, il est arrivé que certains emplois aient été annoncés vacants, qu’un centre de gestion ait en conséquence organisé des concours, puis que la procédure ait été dite infructueuse. On s’est alors retrouvé avec les fameux « reçus-collés » qui posent problème pour l’organisation des concours mais aussi, surtout, pour les personnes concernées.

Faut-il aller au-delà ? Faut-il permettre de prolonger la durée de ces contrats jusqu’à trois ans ? Je ne peux vous répondre aujourd'hui parce qu’il me faudrait conduire une analyse plus précise de la situation de tous les départements de France.

Vous avez axé votre question non sur le cas général, mais sur le cas particulier du département de l’Ain. Je demanderai aux services préfectoraux et au centre de gestion de regarder avec vous ce qui s’est passé dans ce département. Mais je ne peux pas ouvrir une dérogation dans un département – fût-il un très beau département ! – pour des raisons de concurrence d’emploi sans l’appliquer à d’autres…

Mon souci, monsieur le sénateur, est de bien conforter la fonction publique territoriale dans le statut de la fonction publique. Faire aboutir cette revendication a été long – il a fallu attendre 1984, soit plus de deux ans après les premières lois de décentralisation – et il a été difficile de faire fonctionner cette machine-là jusqu’à nos jours, avec le Centre national de la fonction publique territoriale, les centres de gestion, bref, avec tout ce que l’on a pu mettre en place à l’attention de nos personnels.

Je pense comme vous que, concernant la catégorie C, pour laquelle il n’existe pas de concours, il n’y a pas de problème ; mais je conçois mal, pour la catégorie B, que l’on aille aussi loin que pour la catégorie A concernant certaines professions, c'est-à-dire une titularisation qui survient après un certain nombre d’années : cela donnerait lieu à une levée de bouclier syndicale.

Je m’engage donc à faire procéder à cette étude particulière sur votre département – et je vous en rendrai compte –, mais je ne m’engage pas à toucher à ce statut en dehors du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Cette étude pourra porter sur deux, voire trois départements où des problèmes difficiles à régler sont rencontrés.

M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.

M. Rachel Mazuir. Madame la ministre, je crois que vous avez tout à fait compris l’objet de ma question. Il y a en effet quelques départements dans cette situation. Il s’agit des départements frontaliers, notamment proches de la Suisse. Mais les emplois territoriaux ne sont pas les seuls emplois concernés : ainsi, les infirmières et les aides-soignantes que nous formons en France vont systématiquement travailler à Genève. Il y a donc là un problème majeur.

Votre réponse me satisfait complètement. Je comprends bien qu’on ne puisse étendre les dérogations à l’ensemble des départements, mais je tenais cependant à vous informer de la situation.

constitution d’un guichet unique en guyane

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano, en remplacement de M. Georges Patient, auteur de la question n° 362, adressée à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

M. Georges Patient. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’absence de guichet unique en Guyane. En effet, depuis la disparition de Guyane Habitat, association créée en Guyane pour assurer les missions d’interface sociale et financière dans le cadre du montage des dossiers de logements évolutifs sociaux, il n’y a eu aucune opération nouvelle alors que les besoins sont énormes.

Pourtant, le fonds de garantie habitat Guyane existe depuis plus de dix ans. Mais, en l’absence de guichet unique, il n’est pas utilisé. Les fonds sont disponibles pour couvrir le risque que représentent plus de 400 logements, et des collecteurs nationaux seraient prêts à monter un guichet unique en Guyane ; mais rien n’est opérationnel, et les collecteurs nationaux susceptibles d’être intéressés ne sont pas en mesure de délivrer des prêts du 1 % logement aux bénéficiaires de logements évolutifs sociaux.

Il en résulte que beaucoup d’opérations sont arrêtées, causant ainsi des problèmes financiers aux opérateurs, et que d’autres ne peuvent être réalisées.

Je tiens à souligner que la Guyane est le seul département d'outre-mer à ne pas disposer de guichet unique.

Aussi, madame la ministre, j’aimerais savoir ce que le Gouvernement compte faire pour mettre en place un guichet unique en Guyane.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir remplacé M. Patient, à qui j’adresse toute ma sympathie. Ma collègue Cécile Duflot aurait souhaité être là pour vous répondre, mais elle et moi nous sommes partagées, ce matin, entre les deux assemblées.

Selon Cécile Duflot, qui connaît la situation que vous décrivez, les besoins de logement sont énormes en Guyane, tout particulièrement au niveau de l’accession très sociale.

L’État a donc institué dans les départements d’outre-mer le dispositif des logements évolutifs sociaux pour aider à se loger des familles qui, compte tenu de ressources très limitées et irrégulières, ont du mal à accéder au logement locatif.

L’aide de l’État est importante. Elle a précisément pour objet de baisser au maximum le reste à charge et d’accroître ainsi les chances des familles concernées pour construire leur avenir, en dépit des incertitudes qui pèsent sur leurs ressources.

Dans ce contexte, vous avez raison de souligner le besoin d’une interface sociale et financière dont le rôle, crucial, consiste à accompagner les accédants dans leurs démarches pour mobiliser les prêts bancaires et les garanties correspondantes. C’est là que vous signalez des difficultés.

Nous avons tout de même une bonne nouvelle puisque deux collecteurs d’Action logement – l’ex-1 % logement – ont déclaré leur intention de reconstituer en Guyane un guichet unique qui pourra remplir le rôle d’interface sociale et financière pour les accédants très sociaux. Et cela, même s’il arrive que ces derniers – vous le savez certainement – ne s’inscrivent pas tout à fait dans le cadre du salariat. C’est qu’il faut bien trouver une solution…

En effet, les évolutions économiques contemporaines nous obligent à affronter ce nouvel état de fait : le fréquent continuum de situations entre le salariat à durée indéterminée et le travail précaire.

Pour ce qui concerne le Gouvernement, il est clair que les cadres d’intervention doivent pouvoir s’adapter à la situation que vous avez décrite. Dès à présent, la ministre du logement et de l’égalité des territoires entend donner son plein sens à l’instruction que le Premier ministre a adressée le 2 avril dernier à tous les ministres et aux préfets, dans le cadre d’un comité interministériel de modernisation de l’action publique que j’ai eu l’honneur d’accompagner. Cette instruction enjoint ces derniers de veiller personnellement à ce que « leurs services utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en œuvre des projets publics ou privés ».

Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, dont j’ai la charge, cette mission de simplification est fondamentale, en particulier en Guyane ; elle s’adresse aux entreprises, comme aux collectivités ou aux citoyens. Chaque mesure permettant d’améliorer le service public et d’encourager la simplification nous aidera.

Vous l’aurez compris, rien ne s’oppose aujourd'hui au projet que portent les collecteurs d’Action logement de réinstaller en Guyane un guichet unique, à l’instar de ce que l’on connaît déjà dans d’autres départements d’outre-mer en matière d’interface sociale et financière.

À la suite de votre question, nous allons examiner d’encore plus près, avec les autorités présentes sur place, quels freins demeurent ; je tiens en tout cas à dire, au nom de ma collègue Cécile Duflot, que vous posez là une question trop difficile pour qu’on n’accorde pas une attention particulière à votre territoire.

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Madame la ministre, j’aurais aimé que votre réponse soit plus encourageante, car elle ne me rassure guère : je n’y trouve pas les éléments susceptibles de débloquer la situation. En 2012, seuls 32 logements évolutifs sociaux diffus ont été financés sur la ligne budgétaire unique alors que les besoins sont beaucoup plus importants : ils sont estimés à près de 700 logements par an. Ces 32 logements évolutifs sociaux construits n’ont pu être financés que par des prêts bancaires, et rares sont ceux au titre desquels il en a été obtenu.

La véritable solution réside dans l’octroi de prêts complémentaires, que les collecteurs, compte tenu du règlement actuel du fonds de garantie de l’habitat, ne sont plus autorisés à octroyer. Ce qu’il faut, madame la ministre, c’est que des instructions soient données à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, à l’Agence française de développement et à la caisse d'allocations familiales, pour que le dossier du fonds de garantie de l’habitat soit rouvert dans les plus brefs délais.

Au moment où la réforme du logement évolutif social est engagée par l’État, avec notamment l’augmentation tant des plafonds de ressources que des subventions de l’État, il est fort dommageable que la Guyane soit exclue de ce dispositif pour cette simple raison.

M. le président. Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

desserte régionale de la compagnie aérienne hop et aménagement du territoire

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 370, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous êtes un peu comme les avions de la compagnie HOP. (Sourires.)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Est-ce un compliment ?

M. Jacques Mézard. Vous allez voir ! (Nouveaux sourires.)

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, sur la desserte des départements du Massif central, je ne vous lâcherai pas !

Depuis le 31 mars dernier, Air France a regroupé ses filiales régionales – Brit Air, Régional et Airlinair – au sein d’une nouvelle compagnie, dénommée HOP. Ce nouveau pôle régional devrait exploiter 98 avions et couvrir 136 destinations intérieures. Ce regroupement serait destiné à améliorer la productivité en réduisant notamment les effectifs et en optimisant la flotte, comme l’a indiqué en août 2012 la compagnie Air France dans un communiqué dans lequel « compte tenu des départs naturels non remplacés », elle prévoyait en effet « une baisse de 64 emplois de personnels navigants ».

Certains territoires, comme le département que je représente, le Cantal, souffrent aujourd’hui d’un enclavement particulièrement préjudiciable à leur aménagement, à leur développement économique, en un mot à leur survie.

Les dessertes routière et ferroviaire y sont plus difficiles qu’il y a plusieurs décennies. Force est de constater que la situation s’est considérablement dégradée, comme j’ai souvent l’occasion de vous le rappeler, monsieur le ministre.

La ligne aérienne Aurillac-Paris, soit une rotation par jour, est devenue le cordon ombilical absolument indispensable pour un territoire tel que le nôtre. Or nous subissons des retards chroniques. Ainsi, pour le seul mois de janvier 2013, près de vingt rotations ont été retardées, annulées ou déportées pour des raisons diverses, et pas seulement météorologiques, ce qui a entraîné de grandes difficultés pour les voyageurs.

Or il s’agit d’une ligne d’aménagement du territoire, qui bénéficie à ce titre d’un financement du Fonds d’intervention pour les aéroports et le transport aérien, ainsi que de subventions des collectivités locales à hauteur de près de 1,5 million d’euros, soit 45 % du solde du déficit pour l’exercice juin 2012-mai 2013.

Si des raisons économiques légitimes peuvent expliquer l’optimisation de l’offre régionale de la nouvelle filiale d’Air France, elles ne sauraient pour autant justifier une nouvelle dégradation des dessertes régionales offertes, dont les territoires fragiles pâtiraient une nouvelle fois.

La mise en place de HOP a entraîné, c’est une réalité, une dégradation du service sur plusieurs destinations. Les temps d’attente sont plus importants, il faut arriver plus tôt à l’aéroport et des villes comme Rodez ont particulièrement subi ces perturbations du service, comme ne manqueront certainement pas de vous le faire savoir nos collègues de l’Aveyron.

Pourriez-vous donc nous préciser, monsieur le ministre, comment l’État, en tant qu’actionnaire d’Air France, mais aussi en tant que garant de l’égalité des territoires, entend assurer la mise en œuvre d’une politique de desserte aérienne régionale compatible avec l’aménagement du territoire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous avez planté le décor au début de votre question en indiquant que vous ne me lâcheriez pas sur ce sujet. (Sourires.) J’y vois une invitation amicale à aborder de façon volontariste les enjeux d’aménagement du territoire.

Vous m’interrogez à juste titre sur la mobilisation de l’État contre la fracture territoriale. Il s’agit là d’une question importante, particulièrement ici, au Sénat.

Monsieur le sénateur, je ne vous invite pas à relâcher votre mobilisation, mais je serai très net : la liaison aérienne Aurillac-Paris, qui, en termes d’aménagement du territoire, est prioritaire depuis de nombreuses années, le restera. Elle fait l’objet d’obligations de service public et bénéficie de ce fait, dans un souci d’efficacité, de créneaux horaires réservés à l’aéroport d’Orly, et ce de manière pérenne. Cela signifie que les horaires ne peuvent être modifiés sans l’accord préalable de l’État. Nous savons bien, vous et moi, que la liaison aérienne Orly-province permet un gain de temps plus élevé que les modes alternatifs de transport disponibles sur la même relation.

Soyez donc sans crainte, monsieur le sénateur, cette situation, de même que l’intervention financière de l’État, ne saurait être remise en cause par l’évolution du groupe Air France dans le cadre de son plan « Transform 2015 ». L’État, qui est certes actionnaire de la compagnie à hauteur de 15 %, est surtout garant de l’égalité des territoires. Ainsi, depuis le 31 mars dernier, la délégation de service public attribuée à Airlinair se poursuit à l’identique, mais sous la marque HOP, Airlinair participant avec Britair et Régional au regroupement, sous cette bannière, des moyens court-courriers du groupe Air France.

Il n’y a donc aucune raison de craindre une dégradation de la desserte Aurillac-Paris. Vous êtes totalement en droit aujourd’hui, comme vous l’étiez auparavant, de demander au transporteur de vous offrir la qualité requise pour votre desserte et de faire appliquer les clauses de la convention si tel n’était pas le cas. Comme vous l’avez rappelé, cette ligne est cofinancée par les collectivités locales. Si la dégradation que vous déplorez devait perdurer, je demanderais à mes services, de vous épauler dans vos discussions avec le transporteur.

En tout état de cause, soyez assuré, monsieur le sénateur, que l’État continuera à veiller à la cohérence de la politique aérienne d’aménagement du territoire.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Je vous remercie de vos propos rassurants, monsieur le ministre.

J’ai bien noté que les créneaux horaires réservés à la desserte Aurillac-Paris seraient maintenus. De façon générale, il conviendrait de veiller, monsieur le ministre, à ce que de tels créneaux soient préservés surtout dans les cas où la desserte aérienne se limite à un petit nombre de rotations - en l’occurrence, une seule rotation par jour – et que ces relations ne soient pas considérées par les aéroports concernés comme étant de deuxième ou de troisième rideau.

Par ailleurs, je prends acte avec plaisir du maintien au niveau actuel de l’intervention financière de l’État. Il est très clair que, sans une telle participation, ce type de ligne serait condamné, car nos collectivités, dont le potentiel fiscal est faible, ne peuvent consentir un concours financier supérieur à ce qu’il est actuellement.

Je ne manquerai pas d’attirer de nouveau votre attention sur cette question, monsieur le ministre, si les dégradations du service devaient perdurer.

recours à des protéines animales pour les poissons d'élevage

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 363, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Robert Tropeano. Monsieur le ministre, ma question porte sur la récente décision de la Commission européenne d’autoriser de nouveau, dans l’alimentation des poissons d’élevage et des autres animaux de l’aquaculture, le recours aux protéines animales transformées, les PAT.

Cette annonce a provoqué de vives réactions en France, notamment des réactions de défiance parmi les consommateurs, qui n’ont pas oublié que les farines animales ont été à l’origine de la propagation de l’encéphalopathie spongiforme bovine, dite « maladie de la vache folle ».

En 1997, l’utilisation des farines animales avait en conséquence été interdite pour les ruminants, cette interdiction ayant été étendue en 2001 aux aliments destinés à tous les animaux de consommation. On aurait pu penser que cette interdiction, justifiée par la terrible épidémie qui avait sévi, ferait loi pour l’avenir. Or il n’en est rien !

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous nous assurer que les conditions permettant une utilisation sécurisée de ces protéines animales transformées sont malgré tout réunies ?

Puisqu’il faut prendre acte de la décision de la Commission européenne, monsieur le ministre, comment allez-vous rassurer tous ceux qui s’alarment de ce non-respect de la chaîne alimentaire consistant à nourrir des poissons avec des farines issues du porc ou de la volaille ?

Enfin, comptez-vous mettre en œuvre la proposition récemment avancée par Mme Delphine Batho, qui évoquait la création d’un label « sans farine animale », lequel pourrait effectivement, je le pense, sécuriser les consommateurs français soucieux du respect de la chaîne alimentaire et de la qualité des produits nutritionnels ? Une autre piste mériterait d’être étudiée : l’instauration d’un étiquetage spécifique portant la mention « nourri avec ».

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, les protéines animales transformées de porc ou de volaille ont été autorisées de nouveau pour l’alimentation des poissons d’élevage à partir du 1er juin 2013. Cette décision a suscité une certaine émotion. Pour autant, même si la France s’y est opposée, il convient d’être précis pour rassurer à la fois les consommateurs et les producteurs. Notre opposition, il convient de le souligner, n’était pas d’ordre sanitaire. Nous souhaitions simplement promouvoir les efforts réalisés par les professionnels en matière de qualité de leur production.

Que ce soit clair, et Stéphane Le Foll, actuellement retenu à l’Assemblée nationale, l’a expliqué à plusieurs reprises, les farines animales ne sont pas des protéines animales transformées. Nous pensons, lorsque nous évoquons les farines animales, à la maladie de la vache folle, mais ces protéines sont issues non de la transformation de cadavres d’animaux, mais d’animaux sains et propres à la consommation humaine.

Concernant un risque éventuel pour la santé humaine, les avis des agences indépendantes d’évaluation des risques sanitaires, européenne et française, convergent sans ambiguïté : la réintroduction des PAT de porc et de volaille dans l’alimentation des poissons d’élevage ne présente aucun risque pour le consommateur ou pour l’environnement.

Par ailleurs, je tiens à préciser qu’il n’y a pas d’aberration biologique, comme cela est parfois dénoncé. Les protéines animales transformées sont en effet destinées à des poissons d’élevage carnivores – contrairement aux anciennes pratiques, qui concernaient des ruminants herbivores. Plus de 80 % des poissons sont carnivores et mangent, dans la nature, d’autres poissons ; permettre l’introduction des protéines animales dans leur alimentation n’est donc pas totalement contre nature.

Ces précisions semblent utiles, le grand public n’ayant pas précisément connaissance de cette situation. Toutefois, je tiens à ajouter que l’aquaculture française est aujourd'hui de très grande qualité. J’ai eu l’occasion de rencontrer des aquaculteurs, notamment au Salon de l’agriculture, qui cherchent toujours à améliorer la qualité de leur production. La filière piscicole produit, je le précise, environ 50 000 tonnes de poissons d’élevage par an, très majoritairement des truites.

Les aquaculteurs français sont d’ores et déjà engagés par une charte volontaire, qui couvre aujourd’hui 80 % de la production, la Charte qualité - Aquaculture de nos régions, qui interdit notamment de nourrir les poissons avec des produits d’animaux terrestres. Nous pouvons donc rassurer les consommateurs : 100 % des poissons élevés en France et destinés à la consommation humaine sont d’ores et déjà alimentés sans PAT, essentiellement avec des matières premières végétales ou des farines de poisson.

Acheter du poisson certifié Agriculture biologique, Label Rouge ou sous la marque collective « Charte qualité - Aquaculture de nos régions », c’est l’assurance, pour l’acheteur, de consommer la chair d’un poisson nourri sans PAT. L’origine française de l’aquaculture garantit la sécurité et la qualité alimentaires. Il convient donc de s’intéresser à l’origine du produit.

Les aquaculteurs français ont d’eux-mêmes décidé un moratoire, lequel sera toujours en application le 1er juin 2013.

La filière piscicole française et les pouvoirs publics ont réaffirmé ensemble, ces derniers mois, leur totale détermination à poursuivre dans l’engagement de la durabilité et de la qualité. De ce point de vue, l’aquaculture est une filière qui est composée de professionnels de grande qualité. Votre question est l’occasion pour moi, monsieur le sénateur, de saluer de nouveau leur initiative et leur esprit de responsabilité

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Il n’en demeure pas moins que l’autorisation des farines de porc et de poulet à destination des poissons sème le trouble et représente pour beaucoup un pas en arrière des plus fâcheux. Il ne semble pas que nous ayons pris l’avertissement de la vache folle au sérieux ! À ne pas signifier notre vive désapprobation, nous ouvrons une brèche. N’est-ce pas emprunter la voie de la surenchère en matière d’utilisation de farines animales, et donc de toutes les aberrations ?

C’est si vrai que la Commission européenne projette déjà de réintroduire l’utilisation des PAT de porc et de volaille pour les volailles et les porcs à l’horizon 2014 ! Ainsi, bien que le cannibalisme reste interdit au sein des mêmes espèces, on pourrait cependant autoriser, à l’avenir, que les volailles soient nourries par des farines de porc, et les porcs par des farines de volaille ! Voilà des signaux inquiétants de phénomènes contre lesquels nous devrions marquer notre plus vive opposition.

Cela étant, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir souligné que nous avions un système d’aquaculture performant et de très grande qualité.

ligne ferroviaire à grande vitesse de montpellier à perpignan

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 408, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Roland Courteau. Une fois de plus, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la réalisation de la ligne ferroviaire à grande vitesse Montpellier - Perpignan, et mon collègue Marcel Rainaud se joint à moi dans cette démarche.

Je ne méconnais pas les difficultés de la mission qui vous incombe, monsieur le ministre, concernant le financement des futures infrastructures. Il faut simplement regretter qu’aient été souscrits par le gouvernement précédent, dans le cadre du schéma national des infrastructures de transport, des engagements pour les vingt-cinq prochaines années, à hauteur de 245 milliards d'euros, et cela sans que l’on ait pris la peine de s’interroger sur les possibilités de financement de ces futures infrastructures.

Concernant la ligne à grande vitesse Montpellier - Perpignan, vous avez reconnu le statut international de la ligne et admis que son utilité et ses enjeux dépassaient largement ceux du seul tronçon considéré. C’est ce que vous m’avez précisé, ici même, voilà quelques mois à peine, et c’est ce que nous disons depuis près de vingt-cinq ans !

Faut-il rappeler « l’union sacrée » des collectivités autour des projets de lignes à grande vitesse Montpellier - Perpignan et Toulouse - Narbonne, et des modalités de desserte des agglomérations par la ligne nouvelle, dont la gare de Narbonne – Montredon ? La région Languedoc-Roussillon et le département de l’Aude deviennent un carrefour à la croisée des lignes vers l’Europe du Sud, l’Espagne et l’Italie, avec l’arc méditerranéen, mais aussi vers Toulouse et Bordeaux, ou encore vers l’Europe du Nord, par Nîmes et Lyon.

Le projet de ligne nouvelle Montpellier - Perpignan répond, en outre, aux objectifs du Grenelle de l’environnement, qui prévoit le report de 25 % des transports vers les modes non routiers.

Cette liaison rapide singulièrement avec Barcelone, mais avec toute la Catalogne aussi, est par ailleurs un levier économique majeur pour l’euro-région. Vous avez, monsieur le ministre, souscrit à l’idée que toutes les lignes ayant une dimension européenne et dont les distances sont suffisamment importantes pour donner du sens à la grande vitesse doivent relever d’une concertation nationale d’aménagement du territoire. Très bien !

Pour ce faire, il a été confié à une commission le soin d’expertiser et de hiérarchiser dans le temps les multiples projets envisagés. Or c’est pour nous une nouvelle source d’inquiétude. Nous ne voudrions pas en effet que, pour la énième fois en vingt-cinq ou trente ans, ce projet soit une nouvelle fois reporté. Je me permets de rappeler que la mission Querrien, en 1990, nous avait promis cette ligne à grande vitesse dans les dix ans à venir : nous l’attendons toujours !

Il faut en finir enfin avec ce qui constitue un véritable goulet d’étranglement sur le plus grand des axes européens reliant l’Europe du Nord à l’Europe du Sud.

Monsieur le ministre, je vous avais interrogé, ici même, en juillet dernier, et vous m’aviez rassuré en indiquant d’emblée que vous alliez essayer de dissiper mes craintes. Vous y étiez parvenu, en me rappelant que cette opération avait fait l’objet d’un débat public en 2009 et que, depuis, les études avaient bien avancé, avec la définition du fuseau de passage.

Vous aviez même ajouté que c’était, selon vous, un maillon stratégique du réseau européen des lignes à grande vitesse, qui faisait suite à la réalisation du contournement de Nîmes et de Montpellier. Vous aviez été plus précis encore en indiquant que ce qui était engagé serait honoré, tout en ajoutant que la ligne nouvelle Montpellier - Perpignan permettrait de garantir la continuité du réseau à grande vitesse entre la France et l’Espagne.

Nous ne demandons qu’une chose, monsieur le ministre, face à la montée des inquiétudes : que vous confirmiez aujourd'hui, ou d’ici à quelques jours, vos propos de juillet 2012, tout en nous faisant connaître le calendrier des décisions.

J’indique que nous avons rencontré tout récemment vos collaborateurs, en présence de la députée de Narbonne, du président du conseil général de l’Aude, du maire de Narbonne, du président du Grand Narbonne, du président de la communauté d’agglomération de Carcassonne et de notre collègue Marcel Rainaud. C’est donc tout un département, monsieur le ministre, et même toute une région – je pense au président du conseil régional, notre collègue Christian Bourquin, et à notre collègue Robert Tropeano, par ailleurs conseiller général de l’Hérault -, qui attendent votre réponse !

MM. Robert Tropeano et Marcel Rainaud. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, cher Roland Courteau, je vous remercie de cette question, qui vous permet de rappeler à la fois votre préoccupation – elle est partagée –, mais aussi mes propos, et qui me donne l’occasion de vous assurer, au sein de cet hémicycle, que ceux-ci ne varient pas. (Sourires.)

Il est vrai que le contexte, lui, évolue puisque, depuis le mois de juillet, une commission nationale des infrastructures a été mise en place afin de donner de la lisibilité. Je compte vraiment sur le débat qui pourra s’instaurer entre le Gouvernement, les représentants des collectivités que sont les sénateurs et les députés, pour donner un sens, indispensable, à la politique des infrastructures de transport.

Comme vous l’avez souligné, j’ai hérité du Schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, estimé à 245 milliards d'euros, mais non finançable puisque l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, ne dispose que de 2 milliards d'euros annuels de budget.

Il faut donc que nous ayons une vision cohérente des différents modes de transport mais aussi un souci de priorisation, en liaison avec les élus, leurs représentants et les représentations de la population. Je me suis d'ailleurs rendu à Montpellier, le 15 mars dernier, et j’ai pu mesurer, sur place, le degré de mobilisation.

Vous m’invitez à prendre des positions dans les prochains jours : je n’ai pas confié une responsabilité à d’éminents parlementaires pour préempter leur réflexion et leurs conclusions ! La commission « Mobilité 21 » est en train de conduire ses travaux et il est évident que je ne souhaite pas intervenir directement sur ses recommandations finales, qui ouvriront les discussions nécessaires à une vision partagée de l’aménagement du territoire.

J’ai rencontré à plusieurs reprises mon homologue espagnol. Il est vrai que la ligne Montpellier – Perpignan est un maillon stratégique de la continuité de la grande vitesse européenne. Elle est nécessaire. Je rappelle d'ailleurs que c’est ce gouvernement qui a décidé de poursuivre et de signer le contournement ferroviaire Nîmes - Montpellier.

Certaines questions restent en suspens, notamment sur le point de savoir quelles seront les sections qui accueilleront, le cas échéant, du fret et de la grande vitesse, éventuellement dans le même temps. La question de la desserte des agglomérations n’est pas non plus tranchée. Ce matin même, à l’Assemblée nationale – c’est la raison de mon léger retard, monsieur le président, sans compter que vous aviez un peu d’avance ! - un parlementaire m’a interrogé sur la gare de Perpignan - Rivesaltes. Vous m’indiquez qu’il faut nous mobiliser sur la gare de Narbonne, et je sais qu’il faut compter aussi avec celle de Béziers. Bref, il est important que nous poursuivions la réflexion sur l’enjeu de la localisation des gares, la grande vitesse ne se résumant pas à une succession de gares. Ce débat interviendra en son temps.

J’ai d’ores et déjà demandé au préfet de région d’ouvrir une phase de consultation élargie des acteurs du territoire concerné pour recueillir leur avis sur ces deux points. Elle est indispensable.

Je tiens à vous donner un indice, et vous pourrez me citer lors de notre prochaine rencontre et interpellation amicale. (Sourires.) L’Union européenne est actuellement en train de redéployer des crédits du réseau transeuropéen de transport, RTE-T, qui n’ont pas été consommés sur la période 2007-2013. Compte tenu de l’intérêt européen évident du projet, j’ai demandé, à la fin du mois de mars, à la Commission de participer au financement des études de la ligne nouvelle de Montpellier au taux maximal de 50 %, ce qui représente 5 millions d'euros. Mais nous parlons d’un projet de 6 milliards d’euros – 6 000 millions d’euros ! –, il ne s’agit donc pas d’un petit projet.

Un tel enjeu, non seulement local et régional mais surtout national et européen, mérite que nous soyons dans la décision, certes, mais aussi dans la concertation.

Après que le SNIT aura rendu ses conclusions – et c’est la première fois que je l’annonce devant des parlementaires –, j’organiserai une série de rencontres, sous l’impulsion des préfets de région, avec l’ensemble des représentants concernés afin d’avoir une vision partagée, conjuguée, des enjeux stratégiques d’aménagement du territoire et de priorisation des infrastructures de transport.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je voudrais vous remercier, monsieur le ministre, de votre réponse. Nous avons bien pris note de vos propos. Sachez également que notre détermination est entière mais cela, je crois, vous l’aviez parfaitement deviné !

Vous avez la réputation, monsieur le ministre, de disposer d’une maîtrise et d’une connaissance des dossiers parfaite. Je ne doute pas que vous saurez prendre, le moment venu, les bonnes décisions. Et quelque chose me dit que nous pouvons vous faire confiance. Est-ce que je me trompe ? (Sourires.)

perte de l'agrément européen par l'école nationale vétérinaire d'alfort

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 389, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Mme Catherine Procaccia. Merci, monsieur le ministre des transports, de bien vouloir répondre à ma question. Elle concerne l’École nationale vétérinaire d’Alfort, l’ENVA, qui vient de perdre son agrément européen, dispensé par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire, l’AEEEV.

Depuis le XVIIIe siècle, l’École vétérinaire d’Alfort est l’une des plus prestigieuses de France et d’Europe, à la fois pour la qualité de sa formation et pour son patrimoine immobilier historique.

Il s’agit d’un site unique en France : son centre hospitalier universitaire permet de pratiquer, chaque année, 35 000 actes vétérinaires pour les animaux et nouveaux animaux de compagnie tout en assurant des urgences vétérinaires vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, dans une structure moderne, inaugurée en 2009, de plus de 3 600 mètres carrés.

Ses trois cliniques spécialisées – respectivement équine, grands animaux et faune sauvage – en faisaient, jusqu’à présent, un centre de référence vétérinaire national et international.

Toutefois, l’école ne peut faire face aux frais très lourds nécessités par l’entretien de ses bâtiments historiques. Le directeur a donc décidé de différer la visite d’inspection de l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire, faute de pouvoir mettre le site aux normes, et notamment de pouvoir réaliser un pôle à risque biologique.

Cette décision a entraîné la perte de l’agrément européen de l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Bien qu’il s’agisse d’un agrément et non d’une accréditation universitaire, cette perte constitue un signal très négatif et préoccupant pour la portée du diplôme de docteur vétérinaire ainsi que pour tous les étudiants en cours d’études.

Des répercussions sur la réputation en Europe, jusque-là excellente, de l’enseignement et de la recherche vétérinaire en France sont inévitables.

Dorénavant, nous ne disposerons plus que de trois établissements reconnus par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire. Seuls 45 % des vétérinaires français sont formés dans l’Hexagone, ce qui affaiblit notre rayonnement universitaire au regard de l’Allemagne ou du Royaume-Uni.

Monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement pour que les travaux nécessaires soient effectués d’ici à la prochaine inspection afin de permettre à l’École nationale vétérinaire d’Alfort de retrouver son agrément européen ? Le Gouvernement prévoit-il de mettre en place une double tutelle du ministère de l’agriculture et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche afin de réaliser plus aisément tous ces travaux ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser M. Le Foll, qui se trouve à l’Assemblée nationale où il répond justement à une question similaire…

Mme Catherine Procaccia. Je viens d’écouter sa réponse, mais il ne s’agissait pas exactement de la même question ! (Sourires.)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je vais donc m’efforcer d’être le plus fidèle possible à la réponse qu’il m’a demandé de bien vouloir vous transmettre. (Nouveaux sourires.)

L’École nationale vétérinaire d’Alfort constitue un élément clef du dispositif national de formation vétérinaire, essentielle dans la protection de la santé publique et de la sécurité alimentaire. Nous tenons, dit Stéphane Le Foll, à réaffirmer que l’École nationale vétérinaire restera sur le site d’Alfort. Dans ce contexte, le rétablissement de sa santé financière est une priorité.

Notre objectif, dans le cadre de la réflexion sur la création d’un pôle vétérinaire national, est d’enrichir l’offre de formation vétérinaire, d’adapter les formations aux nouveaux besoins, de mettre notre dispositif national de formation en conformité avec les référentiels internationaux. Les efforts que l’École nationale doit consentir ne se feront pas au détriment de la qualité de la formation.

C’est aussi pourquoi, depuis plusieurs années, cette école fait l’objet d’un soutien particulier : de tous les établissements placés sous la tutelle du ministère chargé de l’agriculture elle est celui qui a bénéficié du montant le plus important de crédits d’investissement ces dernières années. L’École nationale a reçu 22 millions d’euros entre 2008 et 2012 ; en 2013, dans un contexte budgétaire contraint pour tous les ministères – donc également pour celui de Stéphane Le Foll –, 800 000 euros supplémentaires sont disponibles pour des travaux de mise en sécurité.

Ces financements, importants, ne peuvent être consacrés à des dépenses de prestige mais doivent être utilisés pour des investissements indispensables permettant d’assurer la sécurité des étudiants et la qualité tant des enseignements que de la recherche.

Le nouveau directeur de l’École nationale a engagé un plan de redressement qui, avec la réduction de moitié du déficit, commence manifestement à porter ses fruits. Le retour à l’équilibre financier devra se faire avec l’impact social le plus réduit possible, en maintenant un dialogue permanent avec la communauté de travail de l’établissement.

Dans ce cadre, il a été décidé de reporter la visite de l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire, initialement prévue en 2013. L’accréditation n’ayant pas de valeur juridique, sa suspension provisoire, liée au report de la visite, n’aura aucun effet sur la reconnaissance européenne du diplôme de docteur vétérinaire délivré par l’École nationale. Ses diplômés pourront donc toujours s’installer librement sur le territoire de l’Union européenne.

Vous évoquez également la possibilité d’une cotutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministère de l’agriculture sur cette école. Stéphane Le Foll tient à préciser qu’un tel dispositif ne permettrait pas de résoudre les difficultés financières. En revanche, une coopération est engagée entre les deux ministères dans le cadre du Pôle régional d’enseignement supérieur Paris-Est.

Par ailleurs, l’installation prochaine du siège de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, sur le campus de l’École nationale renforce et pérennise son positionnement comme pôle de référence en matière de santé publique et de santé animale. Le ministre de l’agriculture est très attaché au bénéfice que peuvent retirer les étudiants de ces collaborations.

Enfin, Stéphane Le Foll nommera prochainement une mission dont le rôle sera de formuler des propositions sur la valorisation du patrimoine de l’École nationale vétérinaire d’Alfort dans le cadre du Pôle régional d’enseignement supérieur, notamment au profit du logement étudiant.

Tels sont les éléments de réponse précis que M. le ministre de l’agriculture m’a chargé de vous livrer, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, je veux vous rassurer : ma question tout comme votre réponse étaient un peu différentes et donc parfaitement adaptées l’une à l’autre, notamment en ce qui concerne la portée des diplômes et le positionnement de l’École nationale.

Tout à l'heure, à l’Assemblée nationale, M. Le Foll a confirmé qu’il acceptait la tenue d’une table ronde réunissant tous les partenaires et vous nous apprenez, à l’instant, le lancement d’une mission sur cet établissement.

Certes, l’État et les gouvernements précédents ont accordé de l’argent à l’École nationale, mais la question qui se pose n’est pas celle des rénovations de prestige mais bien celle des travaux indispensables aux salles d’enseignement et de travaux. J’ai appris, par exemple, que même la réparation des fenêtres d’un bâtiment qui n’a pas été rénové depuis cent trente-cinq ans n’a pu être envisagée ! Je n’appelle pas cela des réparations de prestige !

Je me réjouis de savoir que cette école fait encore l’objet de l’attention du Gouvernement. La double tutelle n’est peut-être pas la solution idoine mais, puisqu’il s’agit de bâtiments historiques, peut-être faudrait-il trouver les subventions nécessaires auprès d’autres ministères ? Toujours est-il que l’École nationale ne peut continuer sans ces appuis financiers.

Un seul élément de votre réponse m’inquiète un tout petit peu. Vous avez évoqué un « impact social le plus réduit possible ». Même le plus réduit possible, il y aura donc un impact et des conséquences sur l’emploi.

Les autres éléments étaient assez rassurants et je vous remercie de la réponse que vous m’avez apportée.

encadrement des loyers des maisons de retraite

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 347, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie.

M. Dominique Bailly. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la future réforme de la dépendance et, plus particulièrement, sur les mesures visant à faire baisser les coûts pour les personnes âgées.

Au début du mois de février 2013, le cabinet KPMG a publié son observatoire annuel des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cette étude, qui a porté sur 323 établissements publics et privés non lucratifs, permet de mettre en lumière les enjeux liés à la problématique de la dépendance.

Elle montre ainsi que le coût mensuel d’une place en maison de retraite s’élève, en moyenne, à 1 857 euros, soit 61 euros par jour, mais aussi qu’il existe de fortes variations de prix en fonction de la situation géographique de l’établissement. Ainsi, en Île-de-France, un résident devra supporter un surcoût moyen de 26 % en comparaison des autres régions françaises.

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2009 a évalué à 2 200 euros le coût mensuel moyen d’une place en maison de retraite. En parallèle, je tiens à souligner que la pension de retraite moyenne des femmes, qui représentent la majorité des résidents de maisons de retraite, s’élève à 1 100 euros. Il existe donc, madame la ministre, un différentiel important entre les revenus des résidents et le coût d’une place en maison de retraite.

La question de la dépendance est un problème sociétal majeur, puisque les maisons de retraite sont aujourd’hui inaccessibles aux classes moyennes. De plus, cette problématique s’amplifie de jour en jour en raison du phénomène de vieillissement démographique. Ainsi, d’après l’INSEE, un tiers des Français aura plus de soixante ans en 2035 et 12 millions d’entre eux auront plus de soixante-quinze ans.

Le Président de la République, et vous-même, madame la ministre, avez exprimé la volonté du Gouvernement de rendre accessibles aux classes moyennes les maisons de retraite, surtout sur un plan financier. Dans cette optique, des mesures telles qu’un encadrement des loyers, un plafonnement des prestations annexes et la mise en place d’un site internet répertoriant les coûts facturés aux résidents ont été évoquées.

Madame la ministre, je vous demande donc de bien vouloir nous faire part des modalités envisagées pour le dispositif d’encadrement des loyers des maisons de retraite et, en particulier, de son financement. Je souhaiterais également, madame la ministre, connaître les délais de mise en place de ces différentes mesures annoncées.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur Bailly, l’étude KPMG que vous mentionnez évoque en effet, entre autres, les tarifs en maison de retraite et un reste à charge difficilement soutenable pour de nombreuses familles. Pour cette raison également la réforme de la dépendance est très attendue par les âgés et leurs familles.

Nicolas Sarkozy en était d’ailleurs pleinement conscient, puisqu’il avait déclaré, en février 2011 : « Attendre encore serait une faute morale impardonnable, ce serait refuser de regarder la réalité en face, ce serait refuser d’assumer mes responsabilités. »

Le Président de la République, vous le savez, n’attendra pas. Il a donné à Lille, le 25 janvier dernier, le « top départ » de la réforme justement appelée « loi d’adaptation de la société au vieillissement », car nous avons fait le choix de couvrir tout le champ de l’avancée en âge.

Il nous a fixé – entre autres – la mission de rendre les maisons de retraite accessibles à tous les Français, c’est-à-dire, bien entendu, aux classes moyennes, de loin les plus nombreuses.

Le coût des maisons de retraite pour les familles, vous l’avez dit, est devenu, dans de nombreux cas, insupportable.

Nous examinons toutes les pistes, et l’encadrement du tarif d’hébergement, sur le modèle de la loi Duflot pour les loyers, n’en est qu’une parmi d’autres.

Il est essentiel pour nous, vous l’avez rappelé, d’améliorer la lisibilité et la transparence des tarifs pour les âgés et leur famille, avec, notamment, leur mise en ligne, afin de faire jouer la concurrence.

Il est également important d’agir sur les coûts, notamment les coûts de construction des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, en rendant l’aide à l’investissement pour la rénovation des établissements vétustes plus efficiente. Je viens de confirmer cette option, aujourd’hui même, à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.

Il est primordial, aussi, d’agir sur la solvabilisation par des aides publiques, que nous devons améliorer, pour réduire le reste à charge.

Surtout, il est crucial de décider du parcours résidentiel permettant aux personnes de vivre le plus longtemps possible, et dans les meilleures conditions, en adaptant les logements et en favorisant les solutions intermédiaires de logement adapté, en prise directe sur la vie sociale. C’est ce que tout le monde souhaite.

Monsieur le sénateur, vous m’interrogez, par ailleurs, sur les délais de mise en œuvre de la réforme. Nul ne l’ignore, cette dernière a un coût. Différentes pistes de financement sont à l’étude. Les arbitrages seront pris, le Président de la République l’a dit, pour la fin de l’année. Nous devrons étaler l’effort sur le quinquennat. Le calendrier de la mise en œuvre sera décidé au moment même de l’examen du projet de loi.

Le Président de la République et le Gouvernement ont choisi de tenir un langage de vérité. Le contexte budgétaire est difficile : moins d’argent, plus d’âgés. Nous devons prendre nos responsabilités. Il faut, certes, lever des recettes supplémentaires de solidarité, mais surtout expliquer aux Français ce que l’on finance, et comment on le finance. Nous l’avons fait pour la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, dont les retraités aux revenus les plus modestes, je le rappelle, sont exemptés.

Nous avons tous un proche âgé, et je souhaite à chacun de vivre très vieux. Cette réforme concerne donc 100 % des Français, 100 % des familles. Nous avons une responsabilité envers eux.

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Madame la ministre, je vous remercie de ces informations. Vous l’avez souligné, c’est une réforme que la société française attend, et ce depuis de nombreuses années. Vous avez évoqué des pistes, concernant le fonctionnement des maisons de retraite, l’investissement – sujet important, puisque le coût de construction a des répercussions sur le prix du loyer –, et le parcours résidentiel.

Il y a urgence, madame la ministre, et je suis heureux que vous confirmiez une réforme de la dépendance pour la fin de l’année.

implantation de nouvelles pharmacies en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 310, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Didier Guillaume. Madame la ministre, je souhaitais interroger Mme Touraine sur un point qui préoccupe nombre de maires en zone rurale. Il s’agit des règles concernant les quotas d’implantation de pharmacie, récemment modifiées en trois points par la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.

Premièrement, « l’ouverture d’une officine dans une commune qui en est dépourvue peut être autorisée par voie de transfert lorsque le nombre d’habitants recensés dans la commune est au moins égal à 2 500 ».

Deuxièmement, « l’ouverture d’une nouvelle officine dans une commune de plus de 2 500 habitants où au moins une licence a déjà été accordée peut être autorisée par voie de transfert à raison d’une autorisation par tranche entière supplémentaire de 4 500 habitants recensés dans la commune ».

Troisièmement, « lorsque la dernière officine présente dans une commune de moins de 2 500 habitants a cessé définitivement son activité et qu’elle desservait jusqu’alors une population au moins égale à 2 500 habitants, une nouvelle licence peut être délivrée pour l’installation d’une officine par voie de transfert dans cette commune. »

Cette décision prise, me semble-t-il, contre l’avis de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, a pour conséquence de rendre impossible l’implantation de nouvelles officines dans les communes de moins de 2 500 habitants, sauf à prouver la préexistence d’une pharmacie.

Cette règle revient, de fait, à nier le dynamisme des territoires ruraux. En effet, la pharmacie, comme l’ensemble des services publics ainsi que l’épicerie ou le bureau de poste, fait partie des services moteurs pour le développement d’une commune ou d’un bassin de vie. Des règles trop restrictives – même s’il faut des règles, bien sûr ! – empêchant l’implantation d’une pharmacie peuvent remettre en cause la viabilité d’un projet d’emménagement de nouvelles populations. De plus, le maintien de cette réglementation risque de créer de véritables « trous » dans le maillage pharmaceutique, et de faire disparaître des rues de nos villages les croix vertes dont, je crois, nous sommes tous heureux de constater la présence ici ou là.

Dès lors, serait-il envisageable, madame la ministre, que le Gouvernement permette de nouvelles implantations en prenant en compte non pas uniquement la population communale, mais aussi le dynamisme du bassin de vie ou les plans locaux d’urbanisme ? La dynamique suscitée par la mise en place des maisons de santé pluridisciplinaires, que l’on nous incite à créer, ou par la réalisation de logements collectifs, dont le rez-de-chaussée est par exemple réservé aux commerces et aux services, devrait nous amener à reconsidérer cette position, de manière à ce que de nouvelles officines puissent être implantées dans des communes de moins de 2 500 habitants.

La question m’a été transmise par de nombreux maires du département dont je suis l’élu, qui sont très préoccupés. À un moment où l’on insiste sur l’importance des services à la personne, des services publics et du maintien des personnes âgées à domicile non loin des offres de soin, il me semble que ce cadre rigide gagnerait à être assoupli, afin de permettre l’implantation d’officines en zone de dynamisation.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie, tout d’abord, de bien vouloir excuser l’absence de Mme Touraine, qui répond actuellement aux questions orales sans débat à l’Assemblée nationale. Elle m’a demandé de vous faire cette réponse.

Monsieur le sénateur, la ministre des affaires sociales et de la santé est particulièrement attachée à garantir l’accès aux soins pour tous nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire. À l’évidence, l’officine de pharmacie joue un rôle essentiel.

Aujourd’hui, de nouvelles perspectives sont offertes aux pharmaciens d’officine. Nous avons, en effet, la volonté de leur permettre de répondre aux préoccupations et aux attentes de la population française. Cela se traduira par l’attribution de missions nouvelles, identifiées comme telles, notamment en matière de conseil, qui seront rémunérées. L’officine de pharmacie est donc un acteur à part entière du système de soins.

En matière d’implantation d’officines, des règles sont fixées au niveau législatif. Elles sont appliquées de manière claire et stricte. La France bénéficie d’une des plus fortes densités officinales d’Europe. Même si nous sommes attachés à cette spécificité, nous devons veiller à ce que les pharmacies puissent conserver une taille suffisante, qui leur permette à la fois de développer de nouveaux services et de maintenir un équilibre économique.

Actuellement, le dispositif législatif, vous l’avez évoqué, autorise l’implantation d’une pharmacie dans une commune de moins de 2 500 habitants qui en est dépourvue dans deux cas seulement : soit par voie de transfert, afin de favoriser le rééquilibrage du réseau officinal, soit lorsqu’une pharmacie a cessé définitivement son activité, en vue de préserver la desserte en médicaments des populations concernées. Dans ce cas, la population desservie, et non seulement la population communale, est prise en compte.

Le critère des quotas de population, sur lequel vous vous interrogez, monsieur le sénateur, reste cependant le plus objectif. Cette législation a permis un maillage homogène du territoire. Aujourd’hui, il n’y a pas de déserts officinaux dans notre pays, alors que nous sommes confrontés, vous le savez, à des situations beaucoup plus tendues en termes de démographie médicale.

Monsieur le sénateur, pour ce qui concerne l’installation des professions de santé sur ces territoires peu peuplés mais attractifs, le Pacte territoire-santé, dévoilé par Mme Touraine le 13 décembre, présente douze engagements, articulés autour de trois axes.

Le premier axe vise à changer la formation et à faciliter l’installation des jeunes médecins, notamment en permettant à tous les étudiants de faire un stage en cabinet avant l’internat.

Le deuxième axe tend à la transformation des conditions d’exercice des professionnels de santé, par la généralisation du travail en équipe, le développement de la télémédecine ou encore l’accélération des transferts de compétences.

Le troisième axe consiste à promouvoir des investissements spécifiques pour les territoires isolés.

L’ensemble de ces engagements constitue un plan global, où chaque mesure consolide les autres.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Madame la ministre, je souscris à l’ensemble de votre propos. Le Pacte territoire-santé, notamment, va permettre de lutter contre les déserts médicaux et d’avancer vers un meilleur aménagement sanitaire du territoire.

Je me permets néanmoins d’insister : je ne souhaite absolument pas remettre en cause la législation en vigueur et je suis entièrement d’accord pour reconnaître avec vous que les officines sont mieux réparties en France que dans les autres pays européens. Il n’empêche, nous avons encore des villages, dans lesquels nous voulons vivre, et nous devons défendre la ruralité, qui est dynamique.

On nous incite à ouvrir des maisons d’accueil rural pour personnes âgées, ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, des maisons pour regrouper les personnes âgées, ou bien encore des maisons de santé pluridisciplinaires. Lorsqu’un pharmacien veut s’implanter sur ce type de territoire dynamique, il me semble qu’il pourrait bénéficier d’une dérogation.

Il ne s’agit en aucun cas de vouloir changer la loi actuelle, mais on pourrait ne pas l’appliquer de façon trop stricte : il suffirait que l’on puisse y déroger. Ce serait rendre un vrai service à nos territoires.

Je vous assure que, pour de nombreux villages, chefs-lieux de canton ou centres-bourgs, ce serait un bon signe de retrouver la croix verte d’une officine, installée par exemple au rez-de-chaussée d’un immeuble où est organisée la mixité sociale et intergénérationnelle, et à côté, peut-être, d’une maison de santé pluridisciplinaire et d’un commerce multiservices, cofinancés, d’ailleurs, par le département, les villes et le FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce.

C’était le sens de ma question. Je vous remercie de votre excellente réponse, madame la ministre. Je soutiens totalement le projet de santé du Gouvernement, mais j’espère que ma suggestion, qui émane de nombreux territoires ruraux, pourra être examinée de la meilleure façon possible.

boîtiers électriques dangereux installés sous les trottoirs

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 356, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Pierre Laurent. Madame la ministre, j’interviens en qualité de sénateur de Paris. J’aimerais, en effet, attirer votre attention sur le nombre important de boîtiers électriques dangereux toujours installés sous les trottoirs parisiens.

Aucun état des lieux précis ne semble exister à ce sujet. Or le manque d’entretien de ces équipements, installés dans les années cinquante, a pour résultat la persistance d’un danger d’électrocution et d’explosion pour les populations et les salariés qui circulent sur ces trottoirs.

Des incidents de ce type interviennent régulièrement, dont le dernier en date est celui du 27 janvier 2013, qui a eu pour conséquence la mort d’un chien et l’électrisation d’une femme qui voulait ramasser l’animal. C’est ce dernier incident, d’ailleurs, qui a provoqué ma question.

Au vu de la gravité de la situation, le Conseil de Paris a exprimé, en mai 2009, en février 2010, et en février 2013, sa volonté de remédier à ce problème récurrent auprès du directeur d’Électricité réseau distribution France, ERDF, pour Paris.

En septembre 2010, reconnaissant le problème, ERDF a informé le Conseil de Paris de son objectif de suppression totale des boîtiers électriques de trottoirs diphasés à Paris, au plus tard pour la fin de 2011.

Le 15 décembre 2010, le gouvernement d’alors, à la suite d’une interpellation de Nicole Borvo Cohen-Seat, affirmait que les anciennes boîtes de raccordement en basse tension seraient toutes remplacées à la fin de 2011. Nous n’y sommes pas, loin s’en faut !

Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’ERDF est une filiale à 100 % d’Électricité de France, EDF, dont l’État est le principal actionnaire. Vous connaissez mon attachement à la mission de service public d’ERDF, et rien ne doit être fait qui puisse remettre en cause son rôle. Je m’oppose, disant cela, à ceux qui voudraient déréglementer toujours plus.

Force est cependant de constater que des centaines, voire des milliers, de ces boîtes dangereuses existent toujours, malgré les engagements pris. Il est à noter de surcroît que des solutions existent qui permettent, en attendant la suppression programmée, de sécuriser ces boîtes de réseau, par injection de matière isolante. De telles solutions ont été mises en avant par les représentants du personnel depuis longtemps.

Madame la ministre, pourriez-vous m’indiquer ce qui sera très rapidement entrepris en vue d’établir un état des lieux précis de ces boîtes de réseau, puis de procéder à une sécurisation et finalement à une suppression de ces dernières ? Ne serait-il pas dans l’intérêt général que la direction du groupe ERDF prenne en compte les propositions, notamment techniques, des représentants syndicaux en ce sens ? Au passage, cela vaudrait mieux que de continuer à mener une politique de criminalisation de l’action syndicale ; je pense par exemple à la mise en examen de huit responsables parisiens de la Confédération générale du travail.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Delphine Batho, qui est retenue à Dublin par un conseil informel des ministres de l’environnement et de l’énergie de l’Union européenne.

Paris a été la première ville électrifiée de France. La capitale présente donc de spécificités qui découlent de son histoire et de sa densité, notamment l’existence d’équipements anciens situés sous les trottoirs.

ERDF travaille actuellement à l’amélioration de la surveillance de ces installations et à leur suppression à terme, et ce en étroite collaboration avec la Ville de Paris, propriétaire des ouvrages et autorité organisatrice, chargée à ce titre du contrôle du réseau.

Le contrôle sur l’ensemble des ouvrages des réseaux publics d’électricité a été renforcé depuis le 1er janvier 2013 par l’intervention d’organismes techniques indépendants et certifiés en qualité.

L’amélioration des contrôles, qui est à la charge du gestionnaire, va dans le sens du renforcement de la sécurité des personnes.

Le Conseil de Paris s’est particulièrement investi sur le dossier de la suppression des équipements anciens sous trottoirs ; vous l’avez souligné, monsieur le sénateur.

En 2009, à l’occasion du renouvellement de son contrat de concession, l’entreprise ERDF s’est engagée à la suppression des boîtes de réseau diphasées, ouvrages électriques servant à l’acheminement de l’énergie et à l’exploitation des réseaux. L’objectif a été atteint en 2011.

Il reste encore un autre type d’équipements sous les trottoirs : les 1 244 « boîtes de branchement », ouvrages installés pour le raccordement d’immeubles au réseau de distribution. C’est l’une de ces boîtes qui est à l’origine de l’accident du mois de janvier dernier que vous avez rappelé.

Ces installations ont été dûment répertoriées et localisées.

Priorité est donnée par ERDF, toujours en concertation avec la Ville de Paris, à la suppression de ces boîtes, en même temps qu’à l’implantation, en façade d’immeubles, de coffrets électriques de substitution. Un plan d’action visant à leur suppression est en cours de définition, avec pour objectif une disparition définitive de toutes les boîtes sur la période 2013-2015.

Vous avez mentionné la mise en examen de huit délégués syndicaux de la CGT. Comme vous le savez, le Gouvernement ne peut pas se prononcer sur une action judiciaire en cours. D’ailleurs, cette affaire est dépourvue de lien avec la suppression des équipements anciens.

Je tiens à rappeler l’engagement de la Ville de Paris et d’ERDF sur le sujet de la sécurité. Il s’agit d’un enjeu de sécurité publique ; l’État veille à la mise en œuvre du plan d’action, tout en prenant en considération l’ensemble des contraintes techniques et financières.

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait partiellement, car elle laisse tout de même un certain nombre de questions en suspens.

Ainsi que vous l’avez indiqué, des centaines de boîtes ont effectivement été retirées ces dernières années, mais il en reste un très grand nombre. L’objectif doit effectivement être d’accélérer le remplacement des matériels existants.

L’incident que j’ai évoqué tout à l’heure est le plus récent, mais beaucoup d’autres se sont produits, et pas seulement sur les boîtes diphasées. Par exemple, le 22 février 2003, une boîte de réseau triphasé avait même explosé !

Les risques demeurent aujourd'hui, et ils sont importants. Vous avez avancé un chiffre. Mais, j’insiste, il existe une solution technique par injection de matière isolante pour inhiber les risques d’explosion. Elle peut être utilisée dans l’attente du remplacement définitif des boîtes. C’est une possibilité qu’il faudrait, me semble-t-il, considérer avec beaucoup de sérieux.

concessions des usines hydroélectriques sur le territoire national

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la question n° 367, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Georges Labazée. Voilà près de quatre ans maintenant que le ministère a décidé de procéder à une remise en concurrence des concessions hydroélectriques arrivant à échéance, à la demande de la Commission européenne.

Or ces dispositions ne sont toujours pas entrées en vigueur. Il est vrai que beaucoup de candidats à la reprise des concessions viennent de différents pays européens n’ayant pas eux-mêmes ouvert la gestion de leurs propres parcs hydrauliques à la concurrence.

Néanmoins, les territoires attendent beaucoup de la décision de la ministre. Je pense tout particulièrement au site d’Ossau, sur la commune de Laruns, dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est le premier sur la liste officielle des dix remises en concession. La concession a pris fin en janvier 2012.

Il convient en outre de préciser que les profits majeurs retirés des exploitations actuelles devraient faire l’objet d’une véritable répartition et péréquation, autour de trois axes : d’abord, un renforcement ou un développement du tissu industriel dans nos vallées pyrénéennes, en particulier dans la vallée d’Ossau ; ensuite, une régulation des cours d’eau et le confortement des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, et des schémas d’aménagement et de gestion des eaux, les SAGE, préconisés par les agences de bassin ; enfin, un apport partenarial à l’Université de Pau et des pays de l’Adour pour le développement de ses laboratoires autour de l’Institut pluridisciplinaire de recherche sur l’environnement et les matériaux, l’IPREM.

Madame la ministre, pourriez-vous me préciser la date exacte du lancement du renouvellement des concessions, en particulier de la première d’entre elles, dans les Pyrénées-Atlantiques ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie une nouvelle fois de bien vouloir excuser ma collègue Delphine Batho.

L’hydroélectricité française est une énergie décentralisée, ancrée dans les territoires. Elle représente des milliers d’emplois non délocalisables.

L’énergie hydraulique est la deuxième source de production d’électricité en France, derrière le nucléaire, représentant 12 % de la production totale et plus de 80 % de la production d’électricité d’origine renouvelable aujourd’hui. Elle permet de faire face aux aléas du système électrique, grâce à la production de pointe.

Avec un potentiel de développement des capacités du parc de production estimé entre 15 % et 20 %, cette énergie constitue un élément incontournable de la transition énergétique voulue par le Président de la République à l’horizon 2025.

Actuellement, un peu plus des deux tiers des installations d’hydroélectricité sont gérées par EDF.

Toutes les installations hydrauliques de plus de 4,5 mégawatts, soit l’équivalent de 93 % de la production hydroélectrique française, relèvent du régime de la concession depuis la loi de 1919, aux termes de laquelle l’énergie contenue dans les chutes d’eau est un bien national dont l’État se réserve l’usage.

La loi prévoit également que la durée d’une concession ne peut pas excéder soixante-quinze ans. Trente-sept ouvrages arrivent à échéance d’ici à 2015. Les concessions doivent donc être renouvelées.

Le précédent gouvernement avait annoncé en 2008 une mise en concurrence des concessions et avait élaboré un schéma de renouvellement de 20 % du parc hydroélectrique qui reposait sur un unique scénario : le recours aux appels d’offres, concession par concession. Il n’est pas allé au bout de ce projet.

Pour notre gouvernement, l’hydroélectricité est un trésor national qui ne saurait être bradé. Ainsi, à l’été 2012, Mme Delphine Batho a souhaité réexaminer tous les scénarios de remplacement possibles.

À cette fin, et le Gouvernement l’en remercie, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a confié une mission relative à la mise en concurrence des barrages hydroélectriques à Mme Marie-Noëlle Battistel.

Un point d’étape a été fait le 3 avril dernier, en vue d’une publication dans un délai d’un mois.

Ce travail a permis de soulever des questions sur certains aspects qui avaient été omis par le précédent gouvernement : l’absence de réciprocité européenne dans cette mise en concurrence ; la « désoptimisation » de la régulation globale du système de production électrique ; la question des emplois ou de la place des collectivités locales, la question des usages de l’eau et, surtout, l’absence d’une perspective industrielle.

Le renouvellement des concessions s’effectuera dans le respect du droit.

Mais aujourd’hui, en France, nous avons besoin d’une politique de l’hydroélectricité, en adéquation avec les intérêts de notre industrie, mais aussi des territoires. Le Gouvernement tiendra compte des résultats de l’expertise parlementaire avant de prendre des décisions sur ce sujet essentiel pour les territoires de montagne et leurs élus, ainsi que pour notre système électrique, pour l’avenir de l’opérateur historique et pour la valorisation de l’ensemble du potentiel d’hydroélectricité en France.

Je sais que ces décisions sont attendues dans les territoires. Le Gouvernement se prononcera dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, qui est actuellement en cours et doit s’achever au mois de juin prochain.

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Madame la ministre, vous transmettrez à votre collègue Delphine Batho les inquiétudes des personnels, qui attendent cette décision, car ils ne savent pas de quoi sera fait l’avenir.

En outre, les territoires, notamment les départements, s’interrogent, car le produit des nouvelles redevances prévues n’a pas été perçu pour l’instant. Pourtant, on parle d’une somme de 150 millions d’euros. Imaginez comme vous seriez heureuse si l’on vous accordait autant pour la dépendance, madame la ministre ! (Mme la ministre acquiesce en souriant.)

Au demeurant, l’État reste propriétaire des infrastructures érigées sur le domaine public. On ne va donc pas aliéner son patrimoine ; je crois que tout le monde est d'accord là-dessus. Il est très important que nous puissions disposer de réponses claires et précises d’ici à la fin de l’année.

logement ancien en centre-ville

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc, auteur de la question n° 246, adressée à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis longtemps, nos efforts budgétaires se sont principalement concentrés sur le développement de nouveaux logements, sans porter assez d’attention aux logements anciens. Aujourd’hui, dans certaines villes françaises, la place vient à manquer pour la création de nouveaux logements, alors que, dans le même temps, les logements anciens, moins attractifs pour de futurs acquéreurs - ils manquent souvent de confort -, se vident.

Aujourd’hui, la législation autorise le primo-accédant à bénéficier du PTZ + lors d’une acquisition dans le parc immobilier ancien, mais les conditions d’accès à ce prêt préférentiel sont draconiennes. En effet, l’administration fiscale ne retient cette possibilité que pour des travaux de réhabilitation très lourds - gros œuvre, travaux sur les fondations, les planchers porteurs, les murs porteurs et les travaux de second œuvre -, ce qui ne correspond pas forcément à l’ensemble du patrimoine immobilier vacant en France.

Par ailleurs, il faut noter que, si le primo-accédant achète un bien vraiment très dégradé et éligible au PTZ +, il ne peut, à ce jour, bénéficier des aides de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat avant cinq ans, et ce alors que, compte tenu de l’état initial de son bien, il va devoir supporter des dépenses considérables pour le réhabiliter.

Cela n’incite pas les jeunes ménages à investir dans les centres anciens des villes.

Dans ces conditions, ne serait-il pas intéressant d’élargir le programme « Habiter mieux » en faveur de la lutte contre la précarité énergétique aux ménages qui disposent de ressources dites « majorées », ceux qui ont environ 25 000 euros de revenus imposables ? Ils pourraient alors bénéficier des aides de ce programme dont l’impact serait plus important.

Plus généralement, pourriez-vous expliquer à la représentation nationale les mesures que le Gouvernement entend prendre pour valoriser l’accession à la propriété dans le logement ancien ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Monsieur le sénateur, je vais vous répondre à la place de Mme Cécile Duflot, retenue à l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement est bien évidemment conscient des difficultés que rencontrent les ménages au moment d’envisager l’achat d’un logement, qu’il soit neuf ou ancien, que des travaux soient ou non à réaliser.

C'est, d’ailleurs, la raison pour laquelle nous avons décidé d’engager un plan ambitieux. Le 21 mars 2013, le Président de la République a annoncé une série de vingt mesures en faveur de la construction et de la rénovation énergétique des logements.

Ce plan s’ajoute aux réformes du dispositif Duflot, pour l’investissement locatif, et du PTZ +, s’agissant de l’accession à la propriété, modifications intervenues à la fin de 2012.

Ces modifications renforçaient des évolutions engagées dès le début de cette même année 2012 par le précédent gouvernement. Afin de contenir la dépense publique et de soutenir le secteur de la construction, le PTZ + avait été recentré sur le neuf, tout en maintenant la possibilité de bénéficier de ce dispositif pour l’acquisition d’un logement ancien dans le cadre de la vente du parc social à ses occupants. Nous avons maintenu ce recentrage sur le neuf, car il répond à la nécessité de concentrer l’aide là où elle doit être le plus efficace.

En outre, depuis le 1er juin 2012, un logement qui fait l’objet de travaux de remise à neuf au sens de la TVA peut également bénéficier d’un PTZ +, avec la même aide que pour un logement neuf. Cette mesure répond aux objectifs que vous avez mentionnés, la réhabilitation des centres-villes, par exemple, et la lutte contre l’étalement urbain. Pour faciliter sa mise en œuvre par les banques, elle s’appuie sur les dispositions d’ordre fiscal existantes.

Par ailleurs, afin d’encourager la réalisation de travaux d’amélioration de la performance énergétique de ces logements, il est maintenant possible de cumuler un PTZ + avec un éco-prêt à taux zéro, sous réserve de non-cumul des assiettes de financement.

Le plan annoncé le 21 mars dernier par le Président de la République répond à deux des engagements pris pendant la campagne électorale : d’une part, construire 500 000 logements par an ; d’autre part, assurer la rénovation énergétique de 500 000 logements par an.

Concrètement, les ménages de la classe moyenne disposeront d’une prime de 1 350 euros pour réaliser des travaux de rénovation énergétique. Cette prime s’ajoutera aux aides existantes

En outre, le programme « Habiter mieux », que vous avez mentionné, sera renforcé et fera l’objet d’un relèvement des plafonds de ressources. Les ménages modestes qui auront acheté un logement ancien non éligible au PTZ + pourront ainsi bénéficier des aides de l’ANAH pour réaliser leurs travaux.

Les autres mesures du plan permettront de réussir son déploiement sur l’ensemble du territoire, de simplifier les normes de construction, de raccourcir les délais de procédure de construction et de construire là où les besoins sont les plus forts, notamment en ville.

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.

M. Raymond Couderc. Monsieur le ministre, permettez-moi d’insister sur le fait que l’on peut avoir les meilleures intentions du monde, imaginer des dispositifs extraordinaires – sur le papier ! – qui devraient normalement porter des fruits. Il n’empêche que, dans la réalité, les conditions d’éligibilité sont tellement restrictives que l’effet ne se fait pas sentir sur le terrain. Je pense qu’un premier bilan des mesures annoncées fera apparaître que ces dispositifs ne sont pas utilisés, tout simplement parce que les conditions d’éligibilité ne sont pas adaptées au public susceptible d’en profiter.

Je crois qu’il faut véritablement réfléchir à ce qu’est la réalité du terrain.

réforme de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, auteur de la question n° 343, adressée à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

Mme Sophie Primas. Cette question s’adressait à Mme Cécile Duflot, en sa qualité de ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Je souhaite attirer son attention sur la nécessité d’une réforme de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et les locaux de stockage, la TSBCS, taxe perçue dans la région Île-de-France dont la refonte avait pour objectif de participer au financement du réseau de transport public du Grand Paris.

En 2011, l’augmentation de cette taxe sur les bureaux a été évaluée à plus 65 % sur l’ensemble de la région. Cette progression est, toutefois, extrêmement différenciée selon les départements franciliens. Ainsi, entre 2010 et 2011, ladite taxe a augmenté de 180 % dans mon bon département des Yvelines et de 176 % dans le Val-d’Oise, tandis qu’elle ne s’est accrue que de 41 % en Seine-Saint-Denis et de 58 % à Paris.

Cet écart soulève naturellement la question de la pertinence du zonage sur lequel se fonde cette imposition, d’autant plus que ce zonage ne correspond pas à la qualité de la desserte par les transports en commun. Les entreprises les plus fortement contributrices sont situées dans les départements qui bénéficieraient le moins des avantages du Grand Paris. Ainsi, dans la partie Grand Ouest des Yvelines, dans le Mantois, territoire qui connaît un taux de chômage parmi les plus élevés de l’Île-de-France en raison notamment des difficultés de l’industrie automobile, le développement économique est entravé par un niveau de taxes équivalent à la charge foncière.

Dans un contexte de vives tensions sur le marché de l’immobilier d’entreprise et sur le marché de l’emploi, il serait donc particulièrement pertinent de réviser ce zonage afin que l’imposition prenne en compte la réalité économique du territoire et offre une contrepartie notable en termes d’équipement réel ou de perspectives rapides d’amélioration du service des transports.

En ce sens, à la suite de la mobilisation de M. Yves Vandewalle, alors député des Yvelines, le préfet de la région d’Île-de-France avait mis en place un groupe de travail sur le zonage de la redevance et de la TSBCS. Ce groupe a publié au mois de juillet 2012 un rapport qui analyse notamment la possibilité d’asseoir sur les loyers et sur les valeurs locatives la taxe sur les bureaux.

Parallèlement, il serait souhaitable de nous interroger sur la pertinence même du maintien à de tels niveaux de cette taxe, voire de son augmentation, alors que le Gouvernement semble se démobiliser sur une partie du Grand Paris des transports, notamment en renonçant à inscrire dans la loi de programmation budgétaire 2013-2015 le milliard d’euros nécessaire à la poursuite du projet dans sa totalité.

Dans un tel contexte, il paraît injustifiable de grever la compétitivité de nos entreprises installées en grande couronne sans aucun espoir d’attractivité supplémentaire à court terme.

Par conséquent, je souhaiterais avoir la position du Gouvernement, d’une part, sur la pertinence du maintien de cette taxe à de tels taux, d’autre part, sur les suites qui seront données aux conclusions du rapport du groupe de travail sur le zonage.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Madame la sénatrice, je vous renouvelle les excuses de Mme Cécile Duflot, retenue à l’Assemblée nationale.

Vous avez bien voulu attirer l’attention de la ministre de l’égalité des territoires et du logement sur les dispositions des lois de finances rectificatives pour 2010 et pour 2011 qui modifient le zonage et modulent les taux de la redevance pour création de locaux de bureaux, de locaux commerciaux et de stockage en région d’Île-de-France.

Vous faites valoir que les lois précitées ont induit des différences géographiques de taux au sein du périmètre du Grand Paris, des taux beaucoup plus importants dans les départements des Yvelines et du Val-d’Oise et nettement plus faibles dans ceux de Seine-Saint-Denis et de Paris. Vous contestez la légitimité de cette augmentation, qui n’est pas destinée à financer l’amélioration de la desserte des Yvelines par les transports publics.

Ces arguments appellent les précisions suivantes.

La redevance pour création de locaux de bureau revêt, par définition, la nature d’une taxe fiscale destinée à financer des infrastructures de transports publics et non pas celle d’une redevance pour service rendu. Il est, par conséquent, inexact de considérer que l’importance du taux de cette redevance devrait être directement proportionnée au service rendu en contrepartie de cette contribution.

Conformément à la demande des parlementaires exprimée lors du vote des lois précitées, un groupe de travail présidé par le préfet de la région d’Île-de-France, réunissant des élus, des représentants des entreprises, des services de l’État et des établissements publics, a été mis en place afin de formuler des propositions sur la manière de répartir cette taxe sur l’ensemble de la région d’Île-de-France.

Le groupe de travail a déposé ses conclusions en juillet 2012. Ces dernières sont actuellement en cours d’examen par les services du ministère de l’égalité des territoires et du logement. Plusieurs pistes ont été dégagées qui seront examinées avec les collectivités territoriales, notamment la région d’Île-de-France et l’ensemble des partenaires économiques.

Enfin, comme vous le savez, le Gouvernement est très attaché à la réussite du projet de transport à l’échelle du Grand Paris dont les engagements ont été confirmés et crédibilisés par le Premier ministre le 6 mars dernier.

Ces éléments très concrets sont, je l’espère, de nature à vous rassurer sur le bien-fondé de l’effort financier du Gouvernement en faveur du Grand Paris et de la région d’Île-de-France.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse.

Je vous entends bien sur l’absence de relation de proportionnalité entre la taxation des entreprises et les investissements de transport réalisés dans la région, cependant, dans le Grand Ouest des Yvelines, que je représente – la remarque vaut aussi pour le Val-d’Oise – nombreuses sont les entreprises implantées sur des territoires industriels anciens qui ont aujourd’hui des difficultés, notamment en raison de la crise de l’industrie automobile, et qui ont besoin d’un souffle économique. Or le taux de la redevance qui leur est imposé est extrêmement élevé.

En l’absence de proportionnalité, il est très compliqué d’inciter les entreprises à venir s’installer sur ces territoires où la charge de cette taxe est équivalente à la taxe foncière, ce qui revient à doubler le prix du mètre carré…

Que ceux qui participeront aux discussions et aux réflexions des prochaines semaines aient bien cela en tête et s’attachent à préserver l’égalité des territoires et les chances des populations !

situation des greffes outre-mer

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, auteur de la question n° 381, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Serge Larcher. Madame le garde des sceaux, la question de la tenue des registres du commerce et des sociétés est un enjeu important dans nos outre-mer. De graves dysfonctionnements pèsent actuellement sur l’activité des TPE et des PME ultramarines.

Les créateurs de très petites entreprises et de petites et moyennes entreprises mettent ainsi parfois six mois, voire neuf mois pour obtenir l’immatriculation de leur entreprise. Quant aux entreprises existantes, elles se voient délivrer des extraits de K-bis qui ne sont souvent plus mis à jour depuis des années. Cela les pénalise gravement pour répondre aux appels d’offres ou pour obtenir des crédits bancaires.

Dans ce contexte, la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat, comporte une disposition importante : son article 31 permet, en effet, au ministre de la justice de déléguer, dans les départements d’outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, la gestion matérielle du RCS à la chambre de commerce et d’industrie, lorsque le fonctionnement normal est compromis.

Pour autant, cette loi n’a pas abrogé la privatisation des greffes, qui avait été décidée par le gouvernement précédent. Nous connaissons les risques de cette privatisation sur des petits territoires comme les nôtres où la concentration d’informations sensibles entre les mains d’un greffier unique risquerait de conduire à des situations que personne ne souhaite.

À cet égard, nous avons été rassurés par la position exprimée dans l’exposé des motifs d’un amendement du Gouvernement déposé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Il était en effet indiqué que le Gouvernement ne pensait pas « que la privatisation des greffes des tribunaux judiciaires [outre-mer] soit une bonne chose ».

Madame le garde des sceaux, pouvez-vous nous confirmer cette position du Gouvernement ? Est-il envisagé de mettre fin de façon formelle, dans un projet de loi à venir, à la privatisation des greffes d’outre-mer ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous aviez adressé votre question à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel, et je crois que vous n’aviez pas tout à fait tort... Vous allez cependant être puni de l’infidélité que vous m’avez faite puisque c’est moi qui vais vous répondre, en vertu des responsabilités qui sont les miennes ! (M. Serge Larcher sourit.)

Sur la question précise de la privatisation, la position du Gouvernement est très claire. Nous avons la chance d’avoir des tribunaux mixtes de commerce dans les outre-mer.

Il m’arrive d’ailleurs fréquemment de rappeler que nous avons, sur le territoire hexagonal, des tribunaux de commerce et l’exception que constitue l’Alsace-Moselle, avec ses tribunaux de grande instance qui accueillent des chambres commerciales ; et, dans les outre-mer, les tribunaux mixtes de commerce.

Vous avez raison de rappeler qu’il s’agit de territoires exigus – certes pas tous, puisque la Guyane s’étend sur 91 000 kilomètres carrés – et, dans tous les cas, de petites sociétés dans lesquelles les gens se connaissent, et où se pose la question de la confidentialité des informations contenues dans les registres du commerce et des sociétés.

Je vous confirme donc la position du Gouvernement : il s’agit bien de celle que vous avez évoquée et qui figurait dans l’exposé des motifs de la loi que vous avez rapportée. Vous savez que ce sujet est porté principalement par le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, ainsi que par ma collègue Sylvia Pinel ; pour ma part, je veille au bon fonctionnement de nos tribunaux.

Je me suis préoccupée de cette question dès ma prise de responsabilité et j’ai décidé de renforcer très rapidement les effectifs des greffes des tribunaux de commerce des outre-mer. J’ai ainsi procédé dès novembre dernier, sur la base d’une étude conduite par la Chancellerie, à une allocation d’effectifs qui a permis d’affecter huit vacataires dans ces tribunaux pour une durée de six mois. J’ai surtout décidé de pérenniser les effectifs. Ainsi, 14 emplois ont été créés dès cette année 2013. Vous le saviez d’ailleurs, monsieur le sénateur, puisque vous m’aviez fait part de votre préoccupation sur ce sujet. Je vous avais alors informé du fait que mon cabinet avait reçu à ma demande, le 29 mars, des parlementaires d’autres territoires également préoccupés par cette question. Nous avons décidé de faire un effort sur la formation des personnes appelées à prendre ces fonctions.

J’ai par ailleurs veillé à ce que les représentants des chambres de commerce et d’industrie locales soient reçus à la Chancellerie, ce qui fut fait le 12 avril.

Enfin, comme l’engagement en avait été pris devant les parlementaires le 29 mars, il a été entendu que nous travaillerions ensemble afin de mettre en place les éventuelles conventions qui seraient nécessaires.

Je veillerai scrupuleusement à ce que les parlementaires soient informés correctement et en temps réel de l’évolution de ce dossier.

Je souhaite donc vous rassurer, monsieur le sénateur, et vous inviter amicalement à exercer toutes les pressions nécessaires sur le ministre des outre-mer… (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. C’est toujours un plaisir de vous entendre, madame la garde des sceaux !

Je suis bien entendu rassuré, car j’avais été informé des échanges auxquels avait donné lieu la réunion organisée au ministère le 29 mars dernier, à laquelle je n’avais, hélas, pas pu assister, car j’étais alors en Martinique.

Il s’agit, là encore, d’apporter concrètement des solutions spécifiques à des situations spécifiques. Les meilleures politiques consistent non pas à répondre de manière générale, mais à trouver la solution qui convienne. En l’occurrence, les outre-mer connaissant une situation particulière, il faut adopter une démarche adaptée.

Mais vous êtes bien placée, madame la garde des sceaux, pour comprendre ces préoccupations. Nous sommes donc très heureux que vous nous donniez satisfaction sur ce point. Je ne peux que vous apporter mon soutien et applaudir votre décision. Je viendrai d’ailleurs vous voir afin que nous en discutions plus longuement ! (Sourires.)

décret relatif à la mutualisation entre les conseils généraux et les sdis

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question n° 326, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Sido. Madame la garde des sceaux, ma question, que j’avais adressée au ministre de l’intérieur – je suis toutefois ravi que vous soyez ce matin parmi nous pour nous répondre ! –, concerne les opportunités de coopération entre les conseils généraux et les services départementaux d’incendie et de secours, plus communément appelés « SDIS ».

En tant que secrétaire général de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, et président du conseil général de la Haute-Marne, je mesure au quotidien les possibilités de mutualisation entre les conseils généraux et les SDIS.

Alors que la situation financière du pays est difficile – c’est le moins que l’on puisse dire ! –, optimiser l’organisation du service public en concevant des modalités de coopération plus audacieuses constitue un véritable enjeu pour l’avenir de nos politiques publiques. En effet, l’objectif de la mutualisation est de faire mieux, avec autant de moyens mobilisés.

Concrètement, en Haute-Marne, dans le respect de l’autonomie et des spécificités du SDIS et à niveau de service public égal, le conseil général met à disposition plusieurs agents, en tout ou partie de leur temps de travail, pour remplir les missions qui nous sont communes. Je pense notamment à l’élaboration technique du budget, à la comptabilité, à l’intendance, aux marchés publics ou encore au service juridique.

Cette dynamique de mise en commun des compétences et de partage d’informations atteint cependant ses limites. Nous intervenons en effet dans le cadre du décret du 18 juin 2008, qui fixe le régime des mises à disposition pour les agents des collectivités territoriales et des établissements publics.

Nous souhaitons aller plus loin en créant de véritables services unifiés communs au conseil général et au SDIS : je veux, bien entendu, parler de mutualisation.

L’article 68 de la loi du 16 décembre 2010 prévoit la possibilité de créer « un service unifié ayant pour objet d’assurer en commun des services fonctionnels », en introduisant un article L. 5111-1-1 dans le code général des collectivités territoriales.

Seulement, madame le garde des sceaux, cette évolution suppose la signature d’un décret en Conseil d’État. Nous avons déjà évoqué cette question avec le ministre de l’intérieur il y a quelques mois. Si le Gouvernement souscrit à cette orientation, à quel moment les dispositions seront-elles prises ? Elles sont attendues par de nombreux conseils généraux.

Je vous remercie par avance des précisions que vous pourrez m’apporter.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Manuel Valls : vous savez à quelles obligations nous sommes soumis ! Je suis moi-même en ce moment remplacée à l’Assemblée nationale, pour pouvoir être présente au Sénat ! (Sourires.)

Vous avez interrogé le ministre de l’intérieur sur les possibilités de mutualisation entre les services départementaux d’incendie et de secours et les conseils généraux. Je vous ai écouté très attentivement, monsieur Sido, et je vous dirai ce à quoi je m’engage personnellement après vous avoir communiqué la réponse que M. Valls m’a chargée de vous transmettre, une réponse au demeurant extrêmement savante, dont je suis certaine que vous connaissez l’essentiel de la teneur en votre qualité de président de conseil général, mais qui éclairera votre assemblée et nos concitoyens, toujours très attentifs à vos travaux.

De nombreux dispositifs législatifs et réglementaires permettent d’ores et déjà une mutualisation et une coopération satisfaisantes entre les SDIS et les conseils généraux. Je ne doute pas, d’ailleurs, que les présidents de conseil général veilleront, sur l’ensemble du territoire, à optimiser les finances publiques en appliquant ces dispositions.

L’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales permet aux conseils généraux de conclure des baux emphytéotiques administratifs en vue de construire des casernes au profit des SDIS. Vous le savez, ce dispositif introduit par la loi de finances rectificative pour 2005 a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2013, et peut donc être appliqué encore cette année.

L’article L. 1424-1 du même code permet par ailleurs aux SDIS de passer non seulement avec le conseil général, mais également avec les autres collectivités locales et leurs établissements publics, toute convention ayant trait à la gestion non opérationnelle du SDIS. Ces mutualisations se font alors dans la durée, puisque ces conventions sont pluriannuelles.

La loi du 26 octobre 2009 relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers a également ouvert au département la possibilité d’effectuer, pour le compte et à la demande du SDIS, l’entretien de l’ensemble de ses moyens matériels, et notamment ceux qui permettent d’assurer les missions d’intervention et de sécurité civile.

Vous évoquez l’article L. 5111-1-1 du code général des collectivités territoriales introduit par la loi du 16 décembre 2010. Cette disposition marque en effet, comme vous le savez très certainement, une nouvelle étape dans la mutualisation, puisqu’elle permet aux SDIS et aux conseils généraux de procéder par convention à une mutualisation de certains services fonctionnels à vocation technique ou administrative.

Les conventions conclues entre les départements, les régions, leurs établissements publics, leurs regroupements et les syndicats mixtes prévoient, soit la mise à disposition du service et des équipements d’un des cocontractants, soit le regroupement des services et équipements existants de chaque cocontractant.

L’article L. 5111-1-1 prévoit également que les départements et régions, leurs établissements publics et les syndicats mixtes, peuvent se doter d’un service unifié ayant pour objet d’assurer en commun des services fonctionnels administratifs ou techniques.

Le décret n° 2012-124 du 30 janvier 2012, pris en application de la loi du 16 décembre 2010, détermine d’ores et déjà les modalités de calcul du remboursement des frais de fonctionnement des services mis à disposition et des services unifiés.

Ces dispositions ne remettent en cause en aucune façon l’équilibre institutionnel actuel.

Ayant été attentive à la formulation de votre question, monsieur Sido, j’ai bien compris que votre préoccupation majeure concernait la publication du décret en Conseil d’État qui doit être pris. Je ne dispose pas d’élément de réponse dans le document qui m’a été communiqué par les services du ministre de l’intérieur, mais je m’engage personnellement à consulter Manuel Valls dès aujourd’hui afin de vous faire parvenir une information sur les délais probables de publication de ce décret. Je pousserai même le scrupule jusqu’à m’assurer que cette information vous aura bien été transmise par écrit et, à défaut, à le faire moi-même dans les meilleurs délais.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Je n’ignore pas combien vous êtes scrupuleuse, et vous m’en donnez une nouvelle preuve !

Je suis d’ailleurs très heureux que ce soit vous qui m’ayez répondu. En effet, ayant eu l’honneur d’être reçu, avec d’autres élus, par le Président de la République, j’ai évoqué ce sujet. Il m’a répondu : « La loi, c’est la loi. Même l’État doit la respecter. » Je ne peux tomber sur meilleure personne que vous pour faire respecter la loi ! (Mme la garde des sceaux sourit.)

Je lirai avec attention la réponse que vous m’avez communiquée et je consulterai tous les articles qui y sont cités, mais je crois que la publication de ce décret en Conseil d’État simplifierait tout. À l’heure où les collectivités territoriales doivent faire des économies, l’État diminuant ses dotations à leur endroit, ce texte est en effet très attendu.

élargissement de l'autorisation de conduire un tracteur de plus de 3,5 tonnes avec le seul permis b pour les employés des établissements publics de coopération intercommunale et des syndicats intercommunaux à vocation multiple

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, auteur de la question n° 378, transmise à M. le ministre de l'intérieur.

M. Dominique de Legge. Madame le garde des sceaux, l'article L. 221-2 du code de la route, issu de la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, prévoit que les employés municipaux sont autorisés à conduire des véhicules de 3,5 tonnes dès lors qu’ils sont titulaires du seul permis B.

Ces dispositions suscitent régulièrement des questions qui, selon leur formulation, sont transmises soit au ministre de l’intérieur, soit au ministre de la réforme de l’État, soit au ministre des transports. Je ne doute pas, madame le garde des sceaux, que vous êtes le bon interlocuteur et que vous saurez aujourd'hui réaliser la synthèse. (Sourires.)

La première question porte sur l’appréciation des 3,5 tonnes. S’agit-il du poids total en charge ?

Dans une réponse à la question écrite du député André Chassaigne publiée au Journal officiel le 30 octobre 2012, le ministère de l’intérieur précise que « le tracteur agricole s’entend remorque comprise quel que soit le poids total autorisé en charge de celle-ci ».

Quelques semaines plus tard, dans une réponse à la question écrite de notre collègue Jean-Jacques Lozach en date du 22 novembre 2012, le ministère de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique parle d’un « poids total autorisé en charge inférieur à 3,5 tonnes ».

Qui a raison ?

La deuxième question a trait à la notion d’« employé municipal ». Depuis la loi de 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le terme n’existe plus et est remplacé par « agent de la fonction publique territoriale ».

Dans sa réponse du 22 novembre 2012, le ministère de la fonction publique reste très évasif sur ce point. Il souligne que « l’absence de débats parlementaires sur la question [peut] laisser supposer » – on appréciera ! – « que le législateur en employant le terme d’"employés municipaux" n’a pas entendu restreindre l’application [...] aux seuls agents d’une commune ». Cependant, on indique plus loin que, s’il n’y a pas eu transfert de compétence et mutualisation des services techniques, une interprétation large « semblerait contraire » à la volonté du législateur. On conclut que l’article L. 221-2 du code de la route « peut être interprété comme permettant aux agents des communes et des EPCI de conduire des véhicules ou appareils [de moins] de 3,5 tonnes ».

Madame le garde des sceaux, vous en conviendrez, l’accumulation de ces « peut laisser supposer », « semblerait », « peut être interprété », n’est en rien susceptible de lever le doute.

La troisième et dernière question porte sur le statut de l’employeur. À la lumière de ce qui vient d’être exposé – une lumière toute relative qui confine à l’obscurité (Sourires) ! –, le flou demeure : les dispositions de l’article L. 221-2 du code de la route s’appliquent-elles indifféremment aux communes, EPCI et syndicats de communes, notamment les SIVOM et les syndicats d’assainissement ?

À l’heure où le Président de la République appelle à un « choc de simplification » – nous le rejoignons sur ce point – et où nous souhaitons aller dans le sens d’une mutualisation et d’une rationalisation des moyens, je souhaite une réponse claire : quels sont les véhicules avec ou sans remorque que les agents territoriaux peuvent conduire ? Quelles sont les restrictions existant au regard du poids de ces véhicules et du statut des employeurs ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser Manuel Valls, ministre de l’intérieur, qui se serait fait un plaisir de vous répondre s’il avait pu être présent. La réponse qu’il m’a communiquée devrait vous satisfaire et je veillerai à être à la hauteur de la nouvelle mission que vous me confiez de passeur entre les ministères ! (Sourires.)

Vous avez interrogé le ministre de l’intérieur sur les permis de conduire dont doivent disposer les agents des établissements publics de coopération intercommunale ou des syndicats intercommunaux chargés des opérations de voirie.

Comme vous le signalez, l’article L. 221-2 du code de la route, modifié par l’article 87 de la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, autorise les employés municipaux et les affouagistes à conduire avec le permis de la catégorie B des véhicules ou appareils agricoles ou forestiers, attachés à une exploitation agricole ou forestière, à une entreprise de travaux agricoles ou à une coopérative d’utilisation de matériel agricole, ainsi que les véhicules pouvant leur être assimilés.

Affouagistes…J’ai toujours grand plaisir à venir devant la Haute Assemblée : elle veille scrupuleusement à nous rappeler qu’elle est l’assemblée des collectivités territoriales et qu’à ce titre elle exige des lois précises et efficaces pour être applicables. L’exercice qui consiste pour les membres du Gouvernement à se remplacer les uns les autres est très pédagogique : il me donne ainsi aujourd'hui l’occasion de découvrir ce que sont les « affouagistes ». (Sourires.)

Les employés communaux, quel que soit leur statut, et les affouagistes peuvent conduire des tracteurs agricoles ou appareils et véhicules de ce type d’un poids total en charge autorisé supérieur à 3 500 kg.

Voilà une réponse formelle, affirmative et précise, monsieur le sénateur.

Il s’agit d’une mesure de simplification dont la lecture ne doit pas être restrictive. Ainsi, les employés de toutes les intercommunalités, EPCI comme SIVOM, bénéficient bien de cette disposition.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si les autres agents de la fonction publique territoriale ne bénéficient pas de cette mesure, ils pourront en revanche passer un permis de la catégorie C1, créée le 19 janvier 2013 par la transposition en droit français de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire. Cette catégorie, qui relève du groupe lourd, autorise la conduite de véhicules dont le poids total en charge autorisé varie entre 3 500 kilogrammes et 7 500 kilogrammes.

Monsieur le sénateur, telles sont les précisions que vous demandiez. Pour ma part, me voilà instruite et cultivée. Je vous remercie donc de votre question ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Madame le garde des sceaux, je me réjouis d’avoir contribué à l’enrichissement de votre culture administrative ! (Nouveaux sourires.)

J’ai le sentiment que l’on y voit enfin un peu plus clair. Je reprendrai à tête reposée le verbatim de votre réponse. J’insiste pour que, très rapidement, soit mis en place le permis C1 que vous venez d’évoquer, qui réglera beaucoup des difficultés pratiques que nous rencontrons dans nos communes, outre les problèmes de responsabilités et d’assurances. En effet, malgré votre réponse encourageante, madame le garde des sceaux, quelques zones d’ombre subsistent quant à la responsabilité de l’employeur.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Lutte contre l’obsolescence programmée des produits

Discussion d’une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la question orale avec débat n° 4 de M. Jean-Vincent Placé à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Vincent Placé attire l’attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.

« L’obsolescence programmée des produits, théorisée par Bernard London, a donné lieu à une prise de conscience générale des médias, des économistes, des consommateurs, des associations environnementales et des États.

« Bien que la plupart des entreprises cherchent à proposer des produits de plus en plus fiables et innovants, différentes stratégies sont parfois mises en place pour accélérer artificiellement l’obsolescence des produits, afin de favoriser leur renouvellement. Selon la définition de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, « la notion d’obsolescence programmée dénonce un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ».

« Il semble important d’agir pour lutter contre ce phénomène et pour l’allongement de la durée de vie des produits, pour des raisons à la fois environnementales, économiques et sociales.

« La nécessité de prendre des mesures fortes face à l’urgence écologique s’impose plus que jamais dans nos politiques publiques. La France consomme actuellement 50 % de ressources naturelles de plus qu’il y a 30 ans et la production de déchets n’a jamais été aussi élevée.

« L’abondance de déchets, notamment ceux d’équipements électriques et électroniques, se caractérise par des impacts environnementaux dramatiques. Les populations des pays du Sud, Afrique et Asie surtout, devenus de véritables pays « décharges », sont soumises à de graves problèmes sanitaires à cause de la toxicité des déchets qui arrivent à leurs frontières par conteneurs entiers en provenance des pays développés.

« Les consommateurs, quant à eux, contraints de renouveler l’achat d’un bien sans aucun bénéfice, esthétique ou technologique, subissent une diminution de leur pouvoir d’achat.

« Par ailleurs, la question de l’obsolescence programmée s’inscrit dans une réflexion globale sur un modèle de développement soutenable.

« M. Jean-Vincent Placé fait remarquer que la question fait débat depuis déjà longtemps et que des acteurs se sont déjà mobilisés sur le sujet : plusieurs rapports et contributions ont été publiés sur l’obsolescence programmée, sur la durée de vie des produits ou encore sur la gestion durable des matières premières minérales, tels ceux de l’ADEME, du Centre national d’information indépendante sur les déchets, le CNIID, de Terra Nova et de l’Assemblée nationale. Le Sénat belge a voté, le 2 février 2012, une proposition de résolution en vue de lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie, tandis que le Grenelle de l’environnement a consacré l’objectif de rendre accessibles au plus grand nombre les produits et services plus durables.

« Certaines mesures peuvent relever du législateur comme l’allongement de la durée des garanties, la mise à disposition des pièces détachées ou la modulation de l’éco-contribution. Aussi le groupe écologiste du Sénat a-t-il déposé, le 18 mars 2013, une nouvelle proposition de loi n° 429 (2012-2013) visant à lutter contre l’obsolescence et à augmenter la durée de vie des produits.

« D’autres dispositions essentielles relèvent du domaine règlementaire, comme l’application de la transposition de la directive 2006/66/CE du 6 septembre 2006 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et abrogeant la directive 91/157/CEE, ou encore la généralisation du chargeur universel pour téléphone portable, à l’instar de la normalisation européenne émanant du Comité européen de normalisation, le CEN, du Comité européen de normalisation électronique, le CENELEC, et de l’Institut européen des normes de télécommunication, l’ETSI, dont elle a fait l’objet.

« M. Jean-Vincent Placé souhaite connaître les intentions du Gouvernement à l’égard de ce phénomène qui impacte autant l’environnement que le pouvoir d’achat des ménages. »

La parole est à M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question.

M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’écologie est, bien entendu, l’une des préoccupations principales de mon groupe.

Je me réjouis donc d’engager, pour la première fois dans une assemblée parlementaire, un débat sur un sujet aussi crucial pour l’environnement et pour le consommateur que celui de l’obsolescence programmée.

Sous ce terme complexe, sinon barbare, se cache un stratagème industriel qui a de graves répercussions écologiques et sociales. Je suis fier que notre groupe existe enfin et puisse engager le débat sur cette question, restée trop longtemps taboue.

Permettez-moi, mes chers collègues, pour bien mettre en perspective les termes du débat qui nous occupe aujourd’hui, de dresser rapidement un tableau général de la situation.

Vous le savez, notre planète dispose de ressources finies. Ces ressources, il faut de plus en plus apprendre à s’en passer, à mieux les partager et à les préserver, puisque la population mondiale ne cesse de s’accroître. Aujourd’hui, nous sommes réellement confrontés à une crise systémique qui repose, avant tout, sur une crise écologique : notre système de production et de consommation s’appuie sur des méthodes d’extraction de matières premières, d’exploitation de terres et de ressources qui arrivent à leurs limites. Les impacts ne sont pas uniquement environnementaux ; je ne parle pas là seulement des petites fleurs et des oiseaux, je parle de conflits géopolitiques, de misère humaine, de déclin de civilisation.

Nous entrons, si tant est que nous n’y soyons pas déjà depuis un moment, dans un monde de la rareté, dans lequel la course à l’abondance est chimérique. Désormais, c’est la pénurie qu’il faudra gérer, avec sobriété.

Certes, pendant plus de cinquante ans, les Français, les Européens et les habitants du monde occidental en général ont pu consommer à volonté. Les Trente Glorieuses ont marqué le passage à une consommation de masse, qui s’est traduite par l’équipement progressif des ménages, mais, une fois le marché saturé, la consommation n’a pas pour autant diminué, et l’on est passé à un mode dangereux de surconsommation effrénée. Les achats d’équipements électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis le début des années quatre-vingt-dix.

Le revers de la médaille, c’est le rejet de seize à vingt kilogrammes de déchets d’équipements électriques et électroniques – les fameux DEEE – par personne et par an en France. La croissance économique évaluée selon le PIB stagne, mais pas celle des déchets, puisque, chaque année, elle augmente de 2 % à 3 % dans notre pays. Il faut savoir qu’environ 70 % des DEEE finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles.

D’après le Centre européen de la consommation, « les appareils électroménagers nécessitent énormément de terres rares, c’est-à-dire des minerais et métaux difficiles à extraire, qui sont présents dans la plupart des produits électriques ou électroniques en raison de leur propriété magnétique permettant la miniaturisation ». Il est sidérant que les téléphones portables puissent contenir jusqu’à douze métaux différents, représentant 25 % de leur poids total.

Partant des niveaux connus en 1999, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, affirme que, en retenant un taux de croissance annuel de 2 %, les réserves de cuivre, de plomb, de nickel, d’argent, d’étain et de zinc ne dépasseraient pas trente années de consommation, tandis que celles d’aluminium et de fer s’établiraient entre soixante et quatre-vingts ans de consommation en moyenne.

Ce problème des déchets, une fois encore, n’est pas seulement dramatique pour l’environnement ; c’est aussi un sujet de santé publique. L’incinération, tout comme l’enfouissement, engendre la diffusion dans l’atmosphère et dans les sols de polluants toxiques qui s’accumulent, notamment dans la chaîne alimentaire, sans parler du caractère cancérigène de ces molécules, reconnu depuis 1997 par l’Organisation mondiale de la santé. Nous sommes directement concernés.

Toutefois, les populations du Sud le sont davantage encore que nous. L’empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure à celle des pays à bas revenus. Non seulement nous vivons au-dessus des moyens de la Terre, mais la répartition des fruits récoltés est inéquitable. Les pays du Sud récoltent, eux, les déchets électriques et électroniques envoyés par conteneurs entiers depuis les pays industrialisés.

Loin de moi l’idée de faire du catastrophisme, mais ne tombons pas non plus dans la paresse intellectuelle consistant à ne pas remettre en cause un modèle qui a porté ses fruits pendant longtemps, mais qui ne fonctionne plus, et ne fonctionnera plus. Il faut désormais innover, proposer, prendre ses responsabilités.

Les hommes et les femmes politiques vivent, le plus souvent, dans le temps court d’une élection, ce que l’on peut parfois regretter. En effet, les défis auxquels nous sommes confrontés, les projets de société que nous voulons construire nécessitent une vision à long terme. Les décisions d’aujourd’hui ont une incidence significative sur l’avenir, même si les effets sur le très court terme ou sur des intérêts catégoriels ne sont pas visibles.

Le Sénat est connu pour prendre le temps de la réflexion. Nous sommes donc, à n’en pas douter, dans le lieu idéal pour aborder des questions de fond. Pour autant, les recommandations formulées au sein de la chambre haute ne doivent pas rester entre ses murs ; elles doivent se transformer en actions, c’est pourquoi je suis très heureux de constater l’intérêt de M. le ministre pour ce sujet. Dans la Ve République, on le sait, c’est trop souvent l’exécutif qui possède véritablement le pouvoir de changer les choses, s’il en a la volonté…

Eu égard au diagnostic que je viens de poser, je suis persuadé qu’il est, en effet, urgent d’agir. Ce débat soulève une question simple et précise, mais dont la portée générale est très importante : que fait-on face à l’obsolescence programmée des produits ?

Tout d’abord, rappelons ce que signifie cette expression : l’obsolescence programmée recouvre l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Il existe une obsolescence technologique : l’innovation rend les objets rapidement obsolètes, car apparaît un objet plus performant, plus sophistiqué, incompatible avec l’ancien matériel. Il existe également une obsolescence psychologique, ou esthétique, résultant des phénomènes de mode. Il existe enfin une obsolescence technique, liée au fait de concevoir un produit en anticipant sa fin de vie. Les fabricants rendent aussi les produits irréparables : soit parce qu’on ne peut pas les désassembler, soit parce qu’il n’existe plus de pièces détachées ou qu’elles s’avèrent trop coûteuses.

L’obsolescence programmée, c’est l’illustration parfaite du modèle économique insoutenable et défaillant que je vous exposais en introduction. Elle appelle une réflexion sur les modes de surproduction et sur l’impact environnemental de notre modèle de développement. Ces procédés industriels malhonnêtes maintiennent un système économique en déclin sous perfusion artificielle. Le stratagème permet l’écoulement des stocks et le renouvellement illimité des biens.

L’idée a émergé en 1924, car on a vite compris les limites d’un modèle linéaire de consommation. Alors que les ampoules électriques sont conçues pour fonctionner au minimum 2 500 heures, les fabricants, confrontés à la chute des ventes, se sont mis d’accord pour limiter leur durée de vie à 1 000 heures. Cet accord, connu sous le nom de « cartel de Phoebus », est sûrement l’un des exemples les plus parlants d’obsolescence programmée.

Depuis, les cas n’ont cessé de se multiplier. J’évoquerai les bas en nylon,…

Mmes Marie-Christine Blandin et Laurence Rossignol. Les collants !

M. Jean-Vincent Placé. … qui filent après quelques utilisations. Je suis certain, mesdames, que vous connaissez le problème mieux que moi ! Personnellement, je suis davantage confronté, comme beaucoup de monde, à l’obsolescence programmée des chargeurs de téléphone, qui diffèrent selon les modèles, pourtant presque identiques, ou encore, au bureau, avec mes collaborateurs, à celle des tambours d’imprimantes, qu’il faut remplacer après 1 000 copies et qui coûtent plus de 100 euros, ou des cartouches d’encre noire à 70 euros, qu’il faut renouveler tous les deux mois…

Bien souvent, les matériels électroménagers comme les chauffe-eau ou les machines à laver subissent également cette obsolescence programmée : tous les ménages l’ont constatée. C’est, par exemple, une petite pièce d’usure qui ne fonctionne plus, mais qui s’avère impossible à changer, car l’ensemble est moulé de façon à ne pas être réparable. Il faut alors acheter un nouvel appareil.

Dans son Livre vert sur une stratégie européenne en matière de déchets plastiques dans l’environnement, la Commission européenne dénonce ces stratagèmes de façon explicite : « Pour assurer la durabilité de la production et de la consommation des produits en matière plastique, et éviter la perte de ressources naturelles non renouvelables, il importe que ces produits soient conçus avec une durabilité optimale. Plusieurs facteurs contrarient la réalisation de cet objectif, tels que l’obsolescence technique ou programmée, et des conceptions rendant la réparation des produits en matière plastique non rentable ou même techniquement impossible. »

Certes, ces exemples sont triés sur le volet, mais le phénomène se développe de plus en plus et affecte le pouvoir d’achat des ménages, dont le budget est déjà assez serré. La crise écologique et économique que nous connaissons aujourd’hui s’accompagne aussi d’une crise sociale. Les Français et les Françaises n’ont plus les moyens de racheter continuellement les mêmes produits parce que les fabricants les y contraignent. Je parle ici non pas de l’obsolescence « esthétique », qui relève d’un choix du consommateur, bien que ce choix soit largement orienté par la publicité et les stratégies marketing, mais bien de l’obsolescence programmée « technique », qui alimente un système inégalitaire opposant les plus aisés aux plus précaires.

Étant donné ses incidences environnementales, sociales et économiques, ce sujet n’a pas manqué d’éveiller la curiosité de nombreux experts, rendant caduque l’affirmation des industriels selon laquelle l’obsolescence programmée serait un mythe. Elle représente malheureusement une réalité bien concrète pour tous les consommateurs qui en sont victimes.

Le Sénat belge s’est emparé de la question et a voté, au mois d’octobre 2011, une proposition de résolution en vue de lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie. Tout récemment, le Centre européen de la consommation a publié une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, quant à elle, analyse le phénomène dans son étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Terra Nova, grand think tank bien-pensant (M. le ministre s’étonne.), évoque aussi le problème dans sa contribution publiée sous le titre « Réinventer l’abondance : pour une politique des consommations », tandis que les Amis de la Terre et le CNIID, le Centre national d’information indépendante sur les déchets, avec lesquels nous avons effectué un très bon travail, ont publié plusieurs rapports très détaillés, dont celui qui est intitulé « L’obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage ». Par ailleurs, le Conseil économique et social européen rendra en juillet un avis sur ce sujet, qui sera soumis à la Commission européenne et au Parlement européen au mois d’octobre.

Les médias se sont fait le relais de ces préoccupations citoyennes. Je pense notamment à un célèbre documentaire d’Arte, « Prêt à jeter », ainsi qu’à d’autres reportages, comme « Cash investigation », diffusé sur France 2, sans parler des nombreux articles de presse qui ont achevé de me convaincre qu’il fallait se mobiliser sur le sujet.

Je ne suis d’ailleurs pas seul à m’être engagé dans cette démarche, puisque, en 2010, des membres du groupe socialiste, radical et divers gauche de l’Assemblée nationale, dont l’actuel ministre du redressement productif, avaient déposé un amendement, qui fut malheureusement rejeté, visant à demander l’établissement d’un rapport sur la mise en application du principe d’obsolescence programmée par les entreprises françaises.

Mon collègue Joël Labbé a, quant à lui, déposé, au mois de décembre 2011, un amendement tendant à prévoir l’extension de la garantie jusqu’à cinq ans. Enfin, François Hollande, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, a indiqué, en réponse à un questionnaire adressé par le CNIID, vouloir agir sur la durée de vie des produits et s’est engagé à lutter contre l’obsolescence programmée par l’instauration progressive – je vous soumets cette citation, monsieur le ministre, car je sais votre soutien loyal au Président de la République (Sourires.) – « d’une garantie longue de cinq ans, puis de dix ans pour les biens de consommation durables et la modulation de l’écotaxe selon la durée de vie garantie du produit ».

Ces engagements forts du Président de la République, les divers rapports évoqués et l’impérieuse nécessité d’agir devant l’ampleur des enjeux m’ont conduit à rédiger, avec le soutien de mes collègues du groupe écologiste, une proposition de loi. En tant que consommateurs, citoyens et sénateurs écologistes, nous ne pouvions pas rester inactifs face à une telle situation. Le droit d’utiliser des produits durables, de qualité et réparables doit être garanti pour tous les consommateurs.

J’ai voulu m’engager dans une démarche positive, c’est-à-dire visant à l’allongement de la durée de vie des produits, plutôt qu’à la diabolisation des entreprises. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail de réflexion et d’audition des différents acteurs concernés. Je souhaite vous exposer nos propositions afin de faire avancer ce débat et de mettre en évidence des alternatives possibles qui, j’en suis sûr, ne manqueront pas d’intéresser M. le ministre, notamment au regard de l’élaboration du projet de loi sur la consommation à venir.

Tout d’abord, il faut définir un cadre juridique, afin de sanctionner les pratiques malhonnêtes de certains fabricants et d’offrir un recours aux consommateurs lésés, notamment dans le cadre des class actions, dont nous avons parlé ensemble, monsieur le ministre.

Je vous propose de retenir la définition juridique suivante : « L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »

Ensuite, l’une des mesures phares, c’est l’extension progressive de la durée légale de conformité à cinq ans, au lieu de deux ans actuellement. L’objectif serait même, à terme, de porter cette durée à dix ans, comme le souhaitait le Président de la République. Le fabricant aura ainsi intérêt à produire des biens plus durables, tandis que le consommateur n’aura pas intérêt à renouveler l’achat avant la date d’expiration de la garantie.

La loi française en vigueur résulte de la transposition d’une directive européenne, votée en 1999, aux termes de laquelle la responsabilité du vendeur est engagée lorsqu’un défaut de conformité apparaît dans les deux ans à compter de la vente du bien.

Cette même directive autorise les États qui le souhaitent à adopter des mesures plus strictes, afin d’assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur. Les dispositions de notre proposition de loi ne sont donc pas en conflit avec la réglementation européenne, au contraire. D’ailleurs, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Finlande proposent des garanties supérieures, respectivement de six ans et de trois ans.

Nous pourrions également allonger de six mois à deux ans la durée de la garantie légale pendant laquelle le consommateur n’a pas à fournir la preuve de la panne, pour une meilleure lisibilité de la garantie et une plus grande protection des consommateurs.

L’augmentation de la durée de vie des produits passe également par la réparation, qui est une importante source d’emplois non délocalisables, devant être étudiée avec la plus grande attention. Ce secteur doit être encouragé par la mise à disposition de pièces détachées essentielles au fonctionnement des produits dans un délai d’un mois, pendant une période de dix ans. De manière générale, il est primordial que les utilisateurs d’équipements électriques et électroniques soient mieux informés sur le réemploi, le recyclage et toutes autres formes de valorisation de ces produits, au travers de la notice d’utilisation, par exemple.

Je propose également de moduler l’éco-contribution, tel un bonus-malus, en fonction de critères permettant un allongement de la durée de vie du produit. Ce point relève du thème plus large de la fiscalité écologique.

Enfin, je souhaite que le Gouvernement présente un rapport sur le développement et les perspectives, en France, de l’économie de la fonctionnalité, forme d’économie complémentaire de l’économie circulaire. En remplaçant la vente du bien par la vente de l’usage de celui-ci, les entreprises sont incitées à concevoir des produits ayant une plus longue durée de vie, sous peine d’avoir à subir des frais de réparation importants.

Dans le même temps, les coûts de production diminuent, grâce à une économie en termes d’utilisation de matières premières. Les entreprises peuvent ainsi profiter de cette baisse pour créer des emplois, diminuer les prix et gagner en compétitivité. Voyez le succès du Vélib’ à Paris ou de la musique en ligne : nos concitoyens n’ont plus nécessairement besoin d’être propriétaires des biens pour être satisfaits.

Mes chers collègues, des solutions alternatives alliant responsabilité écologique, viabilité économique et bénéfice social existent pour répondre au problème de l’obsolescence programmée et, plus généralement, aux enjeux de la conversion écologique de notre économie.

Certains me rétorqueront que l’extension de la garantie va entraîner une augmentation des prix. Mais si, pour une télévision valant 200 euros, les consommateurs doivent dépenser au maximum 20 euros supplémentaires pour obtenir une garantie de cinq ans, ils seront gagnants, surtout lorsque l’on observe les marges impressionnantes réalisées par les distributeurs sur les extensions de garantie payantes.

D’autres alerteront sur le risque de mettre en péril des emplois. Dès que l’on veut mettre en place une mesure sociale ou environnementale, les lobbies industriels agitent toujours la menace de la perte de nombreux emplois. Cela dit, cette question est légitime. Mais, croyez-moi, les créations d’emplois dans le secteur de la réparation et dans toutes les activités de services seront bien plus considérables que les pertes. Sur ce point, il serait cependant intéressant de disposer d’une étude d’impact. Vous le savez bien, mes chers collègues, malgré toute notre bonne volonté et celles de nos collaborateurs, nous, parlementaires, n’avons que peu de moyens pour réaliser de telles études, à la différence du ministre : je souhaiterais donc qu’il y réfléchisse.

Naturellement, je souhaite que ces propositions aient une portée européenne, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir en France. Au contraire, c’est grâce aux différentes initiatives prises en France, avec ma proposition de loi et divers rapports, en Belgique et dans d’autres pays que l’Union européenne se mobilisera ; j’en veux pour preuve l’avis que va rendre prochainement le Conseil économique et social européen.

Le modèle économique que je vous propose a fait ses preuves : une entreprise comme Patagonia, qui vend des vêtements techniques éco-conçus, est particulièrement exemplaire à cet égard, tandis que Miele, Dyson, Ikea ou le constructeur de voitures Kia font la promotion de produits durables, pour lesquels la garantie atteint cinq, sept, voire vingt ans.

Indéniablement, la France a tout à gagner à jouer sur la qualité de ses produits et sur le service aux clients pour se démarquer dans un univers de forte concurrence par les prix. À cet égard, si les voitures allemandes se vendent si bien malgré leur coût plus élevé, c’est parce que leur qualité est reconnue. Loin de moi l’idée d’encourager l’usage de la voiture – je vous invite tous, mes chers collègues, à prendre les transports en commun ou à circuler en vélo –, mais vous aurez compris l’idée que je défends.

Il est vraiment nécessaire de réorienter notre modèle économique dès maintenant. On ne peut plus attendre : l’économie de la qualité, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité sont notre avenir. La Chine, l’Allemagne ou les États-Unis l’ont bien compris et se réorientent vers ces formes novatrices. Qu’attendons-nous pour prendre le leadership sur ce marché ?

Le présent débat me donne l’occasion d’en appeler à l’audace face aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. L’obsolescence programmée est une aberration, une impasse ; elle nous mène droit dans le mur. Il faut réagir dès à présent en formulant des propositions concrètes, et non en demandant un énième rapport sur le sujet. Nos concitoyens et concitoyennes, qui ne supportent plus de se faire avoir et se tournent, de plus en plus, vers des modèles responsables de consommation et vers la réparation, manifestent une véritable attente.

Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, mon investissement sur ce problème est entier. Je souhaite avoir votre avis sur les propositions que je vous ai présentées. Elles concernent, à tous les égards, la consommation et l’économie sociale et solidaire. Je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter quant à la stratégie du Gouvernement sur cette question. Je serai très attentif aux interventions des orateurs de l’ensemble des groupes, de la majorité comme de l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.

Mme Hélène Masson-Maret. Il est difficile de prendre la parole après un orateur aussi enthousiaste que notre collègue Jean-Vincent Placé… Je souhaite néanmoins attirer l’attention sur certains points bien précis et formuler quelques remarques.

Tout d’abord, le concept d’obsolescence programmée évoqué par notre collègue doit être distingué de celui d’obsolescence d’un produit.

L’obsolescence en elle-même, telle que l’on peut la définir, est le fait, pour un produit, d’être technologiquement dépassé et de perdre ainsi une partie de sa valeur. Cette obsolescence concerne également le produit de bonne qualité que le consommateur remplace par un produit neuf tout simplement parce qu’il lui paraît désuet ou démodé.

On a parfois qualifié d’« esthétique » ce type d’obsolescence subjective, le consommateur étant amené à jeter un produit encore fonctionnel pour des raisons psychologiques.

On peut évidemment voir dans cette attitude, aujourd’hui poussée à l’extrême, une dérive de notre société de consommation, qui incite à consommer toujours plus. Mais il s’agit là d’un état d’esprit sur lequel il serait bien difficile, pour le législateur, d’intervenir.

Très différente est l’obsolescence programmée, qui, comme vous l’avez souligné, monsieur Placé, consiste pour un fabricant à utiliser un ensemble de techniques ou de technologies visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, cela pour des raisons purement économiques. Selon la technique utilisée, on parle d’obsolescence par défaut fonctionnel, d’obsolescence par incompatibilité, d’obsolescence indirecte, d’obsolescence par notification ou encore d’obsolescence par péremption.

Il est bien évident que c’est cette dernière forme d’obsolescence, consistant à programmer, grâce à un éventail de techniques frauduleuses, la durée de vie d’un produit qui doit être dénoncée, d’un point de vue tant économique qu’écologique. Jusque-là, nous sommes d’accord, monsieur Placé.

Du point de vue économique, l’initiative de notre collègue est tout à fait honorable (Ah ! sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.),…

M. Jean-Vincent Placé. Mais… (Sourires.)

Mme Hélène Masson-Maret. … puisqu’elle a pour objet de lutter contre cette pratique que l’on peut considérer comme frauduleuse et qui semble pénaliser gravement, sur le plan financier, les ménages, qui doivent acheter des produits de remplacement. Cependant, à mon sens, s’il convient évidemment de mieux protéger les consommateurs, il ne faut pas pour autant réduire leur pouvoir d’achat : les produits visés doivent rester accessibles à tous en termes de prix. Par conséquent, si l’on modifie les règles économiques par des textes législatifs ou réglementaires, il ne faut en aucun cas engendrer, du même coup, une augmentation significative du prix des produits liée à de nouvelles contraintes de fabrication.

Du point de vue écologique, il est évident que la mise en pratique de l’obsolescence programmée par les entreprises privées va dans le sens d’une surconsommation des ressources utilisées pour la fabrication des produits concernés – je vous rejoins également sur ce point, monsieur Placé – et d’une augmentation constante de la masse des déchets. Soulignons que l’obsolescence programmée concerne principalement les produits manufacturés, particulièrement les appareils électriques et électroniques. On peut toutefois recourir à cette pratique pour bien d’autres types d’objets : vêtements, mobilier, etc. Nous y reviendrons, car ce point est vraiment important.

Si nous souhaitons tous limiter le recours à l’obsolescence programmée et donc au renouvellement systématique des produits, il me semble important de prendre en compte deux considérations majeures : premièrement, il faudrait modifier les comportements des entreprises privées, sans pour autant pénaliser celles qui ont déjà créé des filières de recyclage ; deuxièmement, pour les entreprises qui vivent des filières de recyclage, il conviendrait que l’application d’une interdiction rigoureuse de l’obsolescence programmée ne soit pas génératrice de pertes ou d’un manque à gagner.

Mme Laurence Rossignol. Des pertes pour qui ?

Mme Hélène Masson-Maret. Sans ces deux préalables, vouloir endiguer la mise en œuvre de l’obsolescence programmée serait voué à l’échec, sauf si les textes législatifs devenaient véritablement contraignants en la matière. Mais, si une telle contrainte était exercée, le risque serait alors que la compétitivité de nos entreprises à l’échelle internationale soit dégradée, et du même coup se poserait la question de leur évolution, voire celle de leur survie.

En effet, notre pays évolue dans un marché réglementé et ne peut donc adopter des mesures qui seraient considérées comme un frein, une entrave aux échanges entre États membres. N’oublions pas que, en outre, la France est membre de l’Union européenne et que le droit interne français découle presque systématiquement du droit communautaire. À ce jour, la France a transposé les deux directives européennes relatives aux DEEE et la directive-cadre « déchets ».

La proposition de loi de Jean-Vincent Placé a le mérite de poser la question de la nécessité d’un texte pour lutter contre l’obsolescence programmée ; pour le moment, aucun texte national ne traite spécifiquement de ce concept. Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée du travail réalisé en Belgique, où une proposition de loi similaire a été déposée en 2011, ou dans des pays du Nord tels les Pays-Bas ou la Finlande qui, sans interdire le recours à l’obsolescence programmée, y apportent des restrictions.

Aujourd’hui, il est important de savoir ce que l’on veut faire et quelle inflexion on entend donner à cette proposition. À la lecture da la question orale de Jean-Vincent Placé, il apparaît que ce texte relève de bonnes intentions (Exclamations ironiques sur les travées du groupe écologiste.),…

M. Jean-Jacques Mirassou. Ça va se gâter !

Mme Hélène Masson-Maret. … qu’il va dans le bon sens d’un point de vue tant écologique que social. Toutefois, ne risque-t-il pas de provoquer une véritable levée de boucliers des lobbies et des constructeurs qui mettent sur le marché des produits à durée de vie limitée dans une logique d’obsolescence programmée ? (MM. Ronan Dantec et Joël Labbé s’exclament.)

Notons tout d’abord qu’il existe déjà des filières à l’échelon national pour la récupération d’une large partie de ces produits de grande consommation. Force est de constater que le traitement et la récupération des différentes matières premières ayant servi à l’élaboration des produits permettent de les réutiliser et, par conséquent, de réaliser des économies en matière de ressources naturelles.

Je souhaite également attirer votre attention sur le fait que ces filières de recyclage fonctionnent, qu’elles ont été créatrices d’emplois et qu’abonder dans le sens de M. Placé sans faire preuve d’une grande vigilance entraînerait le transfert de certains emplois d’un secteur à un autre. Ce transfert ne se ferait pas sans difficulté, bien au contraire, puisqu’il faudrait en définitive réfléchir sur les fondements de notre système de production actuel, mais aussi sur nos modes de consommation.

Pour étayer cette remarque, je prendrai l’exemple des DEEE, en me fondant sur les chiffres avancés par l’ADEME, même s’ils sont parfois contestés. Selon l’ADEME, en 2010, 434 000 tonnes de DEEE ont été collectées via les collectivités territoriales, les distributeurs, les acteurs de l’économie solidaire ou les producteurs eux-mêmes. En 2010 toujours, 423 600 tonnes de DEEE ont été traitées et 334 600 tonnes recyclées, soit environ 75 % du total.

Par conséquent, même si l’on comprend que la pratique de l’obsolescence programmée, qui tend effectivement à se développer, ait suscité une prise de conscience de Jean-Vincent Placé et qu’il souhaite légiférer sur le sujet, instaurer des sanctions financières mais aussi pénales, il ne faut pas mésestimer totalement les risques d’une telle démarche.

Enfin, sans tomber dans l’amalgame, je tiens à faire une dernière remarque, qui peut avoir son importance.

Un texte de loi interdisant l’obsolescence programmée pourrait avoir un effet pervers pour notre économie, car l’avenir réside peut-être dans les produits programmés pour avoir durée de vie limitée, destinés à être renouvelés si leur coût est bas et s’ils sont biodégradables ou recyclables. En effet, quid des entreprises qui ont eu l’intelligence de créer des sacs plastiques biodégradables, et donc à courte durée de vie ? N’est-ce pas de l’obsolescence programmée ? Mais, dans ce cas, n’est-ce pas de l’obsolescence programmée intelligente ?

M. Jean-Vincent Placé. Ce n’est pas le sujet !

Mme Hélène Masson-Maret. Or c’est bien ce type de démarche qui pourrait être touché par une loi trop contraignante.

Aussi me paraît-il fondamental de distinguer l’obsolescence programmée à but mercantile et l’obsolescence programmée à but environnemental. En effet, cette seconde forme d’obsolescence programmée est favorable non seulement à la créativité de nos entreprises, mais également à la défense de l’environnement. Or je constate que le texte de Jean-Vincent Placé n’opère pas cette distinction. Il serait pourtant important de l’introduire afin d’éviter des effets pervers : à défaut, nous risquerions de pénaliser tous les fabricants et toutes les entreprises qui œuvrent pour la défense de l’environnement. Le concept d’obsolescence programmée ne doit pas être réduit au seul champ des équipements électriques et électroniques, car il concerne un grand nombre de produits, et une loi trop stricte pourrait avoir de graves conséquences d’un point de vue tant économique que social. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que certaines organisations non gouvernementales se préoccupent du sujet depuis déjà un certain temps, l’obsolescence programmée a été longtemps perçue comme un fantasme des décroissants, relevant d’une vision complotiste ou policière du fonctionnement de nos industries. De fait, l’obsolescence programmée est une stratégie rarement affichée : les industriels qui la pratiquent préfèrent avancer masqués, mais il n’en s’agit pas moins d’une stratégie de grande ampleur, faisant fi des responsabilités sociales, économiques et environnementales des entreprises.

C’est pourquoi nous devons nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre de ce sujet. Pareille à un puzzle dont nous avons à emboîter les pièces, la crise globale que nous traversons, qui se manifeste notamment par l’épuisement des ressources, est d’ordre à la fois environnemental, économique et social. Elle appelle des réponses transversales ; s’attaquer à l’obsolescence programmée en est une.

L’obsolescence programmée est la face cachée de notre société de consommation. En effet, elle est devenue le fer de lance idéal pour stimuler artificiellement la demande, notre cycle économique reposant sur le triptyque production-consommation-croissance. C’est d’ailleurs l’identification de cet enjeu qui a conduit Bernard London à inventer cette expression. Dans les années trente, aux États-Unis, il expliquait déjà que « la technologie moderne et ses applications dans l’économie ont permis d’augmenter la productivité à un niveau tel que l’enjeu économique principal n’est plus de stimuler la production mais d’organiser le comportement des consommateurs ».

Ce type d’emprise sur les comportements des consommateurs ne joue pas en leur faveur : on les trompe en leur donnant à penser que moins cher ils achètent, meilleure est l’affaire ! En réalité, en les flouant sur le rapport qualité-prix, l’obsolescence programmée affecte leur pouvoir d’achat et pèse très lourd, dans la durée, sur les budgets des ménages.

Ces stratégies enclenchent un cercle vicieux : plus les biens ont une vie courte, plus nous consommons, plus nous utilisons de matières premières, d’énergie, et plus nous produisons de rejets polluants et de déchets.

Au regard de la crise écologique, nous savons que ce modèle n’est pas durablement soutenable. Il s’agit donc, comme nous l’a proposé notre collègue Placé, d’agir sur l’allongement de la durée de vie des objets.

Notre système de production s’est longtemps appuyé sur des énergies et des matières premières peu coûteuses et abondantes : elles ne le sont plus aujourd’hui, et nous devons réfléchir à rationaliser nos modes de production et de consommation.

La quasi-gratuité des ressources naturelles a favorisé leur surconsommation et leur épuisement. L’analyse économique ayant prévalu jusqu’à présent est biaisée par des indicateurs dépassés, qui n’intègrent pas le coût des destructions des services éco-systémiques ou celui du non-renouvellement des ressources naturelles.

L’obsolescence programmée découle donc malheureusement de ce système, structuré par l’imprévoyance et l’inconséquence, ainsi que par l’indifférence aux enjeux environnementaux et à aux coûts afférents. Or le législateur, chargé de la gestion des deniers publics, doit toujours avoir à l’esprit que, au bout de la chaîne, ces coûts se reportent sur la collectivité publique, et donc sur le contribuable.

À cet égard, les déchets d’équipements électriques et électroniques fournissent le meilleur exemple : nous sommes dans l’impasse face à cette masse de déchets que nous ne savons pas traiter. Selon le CNIID, ils sont, à hauteur de 70 %, incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles, c’est-à-dire qu’ils échappent à toute taxation, à toute prise en charge collective, et que, finalement, ce sont les collectivités locales qui doivent en assurer l’élimination ou l’éloignement.

En proposant un ensemble de mesures visant à obliger les entreprises à allonger la durée de vie des objets, en promouvant la réparation plutôt que le « tout jetable », en prévoyant des sanctions contre les entreprises mettant en place des stratégies délibérées d’obsolescence programmée, nos collègues du groupe écologiste prennent en compte les nouvelles contraintes environnementales.

Il nous faudra surtout mettre au centre de notre action la fiscalité environnementale, particulièrement celle qui porte sur les déchets, trop souvent oubliée lorsque nous évoquons ce sujet, alors qu’elle pèse aujourd’hui fortement sur les collectivités territoriales. La fiscalité environnementale est un outil majeur pour modifier les comportements et valoriser notre environnement en incorporant à l’ensemble du process production-consommation la valeur des ressources naturelles et celle des services éco-systémiques.

Cependant, construire une économie verte ne se résume pas à imaginer un modèle de développement qui s’adapterait à la rareté des ressources, tout en présentant un impact environnemental limité. Il nous faut aussi nous interroger sur sa finalité. En somme, il s’agit aujourd’hui de nous demander comment produire, mais aussi pourquoi, dans quel but.

Le consumérisme, en créant des besoins artificiels, a imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’un bonheur proportionnel au volume de biens consommés et constamment renouvelés. Il nous a rendus dépendants d’un système énergivore et très polluant. En cela, notre système a aussi créé une obsolescence programmée culturelle.

Il nous faut réfléchir davantage, mener une analyse critique plus fine du consumérisme, dont on peut constater les limites non seulement physiques, au travers de l’environnement, mais également morales. Ce modèle de développement a failli à sa promesse en ne généralisant pas le bien-être. Pis encore, il a entretenu un idéal d’abondance, alors qu’il n’est pas généralisable, comme nous pouvons le voir aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, de la globalisation, de la standardisation des modes de vie et des aspirations.

L’abondance n’a été, jusqu’à présent, que le privilège de certains : on estime ainsi que de 20 % à 30 % de la population mondiale consomme entre 70 % et 80 % des ressources tirées chaque année de la biosphère.

L’exploitation massive des ressources est lourde de conséquences pour les populations des pays du Sud. Les mines chinoises fournissent à nos sociétés 95 % de la production mondiale, car l’exploitation y est très rentable du fait de normes environnementales et sociales très faibles. Ainsi, péril écologique et injustice sociale se renforcent mutuellement.

En définitive, il s’agit de passer d’un modèle où la sobriété est vécue comme une frustration à une sobriété choisie, organisée. Nous vivons une époque où le progrès technique échappe au projet politique, alors qu’il doit s’adapter aux défis environnementaux, mais aussi aux besoins sociaux. L’obsolescence programmée dépossède les individus, en particulier les membres de la classe ouvrière, les ouvriers qualifiés, de leur capacité à maîtriser les objets et leur environnement.

Mme Laurence Rossignol. Au temps où un ouvrier savait réparer sa voiture ou les appareils électroménagers, son savoir-faire était reconnu et utilisable dans son propre environnement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

MM. Éric Bocquet et Jean-Vincent Placé. Très juste !

Mme Laurence Rossignol. Aujourd’hui, même les ouvriers qualifiés ne savent plus réparer les objets qu’on leur a vendus ! De ce point de vue, leur déclassement social se trouve accru et ce phénomène accompagne la désindustrialisation de notre pays.

Notre débat et les propositions avancées contribuent à politiser les notions de consommation et de progrès technique, en préconisant la rédaction d’un rapport sur l’économie de la fonctionnalité ; je m’en réjouis.

En outre, alors que le rôle de l’État dans l’économie a été remis en question par les dogmes néolibéraux, la transition écologique lui redonne sa légitimité.

Les gisements d’emplois nouveaux existent. La France a la chance de pouvoir devenir leader, en termes d’innovation, grâce aux nouvelles possibilités qu’offrent l’économie fonctionnelle et l’économie circulaire. Nous ne pouvons laisser passer ces chances nouvelles, mais je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez sur ces sujets et que nous aurons l’occasion d’approfondir la réflexion, afin d’enrichir le projet de loi que vous nous présenterez au mois de juin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Je remercie notre collègue Jean-Vincent Placé et le groupe écologiste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour de nos travaux cette question orale portant sur la lutte contre l’obsolescence programmée.

En effet, il s’agit d’une initiative très intéressante, dans la mesure où elle nous permet d’aborder de plain-pied et de manière concrète les dérives du système capitaliste, dont le moteur est la consommation.

Mais revenons à la notion d’obsolescence programmée. Si une découverte, une innovation, un saut technologique frappent d’obsolescence un ordinateur, une cafetière ou un textile, on peut admettre que cela déclenche un renouvellement des produits. C’est la fonction de l’intelligence, du génie humain, et nous l’avons toujours considérée comme un facteur d’émancipation.

Ici, nous parlons d’obsolescence provoquée, prévue, planifiée dans un but mercantile, contraire à l’intérêt général.

L’obsolescence programmée est un terme générique qui recouvre plusieurs moyens destinés à réduire la durabilité d’un objet et à provoquer sa mise au rebut à brève échéance.

Parmi ces moyens, on distingue, tout d’abord, l’obsolescence technique, liée à la défectuosité de pièces ou à l’ajout d’options sur les produits. Elle peut aussi résulter de l’assemblage de pièces aux durées de vie différentes, de telle sorte que la pièce la plus fragile, si possible non disponible en pièce détachée, détermine la mort du produit. Elle peut également être due à l’incompatibilité entre des éléments de générations différentes, obligeant au renouvellement du produit ou rendant toute réparation inaccessible, matériellement ou financièrement. Comment ne pas penser alors que le consommateur est abusé, puisqu’il ne dispose pas de ces informations lors de l’achat du produit ?

Ensuite, il y a l’obsolescence réglementaire, dont on parle moins, mais qui me semble tout aussi efficace, si j’ose dire. Ainsi, le changement et la multiplication des normes ne sont pas totalement étrangers à l’accélération de l’obsolescence. Imposer de nouvelles normes de sécurité ou d’usage, d’une nécessité pas toujours évidente, oblige aussi à renouveler trop rapidement quantité de biens.

Enfin, j’évoquerai l’obsolescence symbolique. Prenons l’exemple des smartphones : les nouveaux modèles sont-ils suffisamment innovants pour justifier l’emballement médiatique dont ils font l’objet, le renouvellement prématuré d’appareils qui n’ont souvent qu’un an ou deux ? Non ! Il s’agit plutôt d’un effet de mode et, surtout, de marketing. Posséder l’appareil dernier cri matérialise l’appartenance à un certain groupe social, le respect de ses codes.

Aujourd’hui, les produits manufacturés sont jetables et non réparables : c’est une autre facette de l’obsolescence programmée. Il y a encore quelques décennies, l’ouvrier qui achetait une voiture pouvait la garder longtemps non seulement parce qu’elle était solide, mais aussi parce qu’il savait réparer les pannes ordinaires. J’ai encore en mémoire mon voisin mécanicien démontant son moteur, pièce par pièce, sur le trottoir, pour changer une bougie, une ampoule, une courroie… Aujourd’hui, c’est impossible ! Autrement dit, comme l’a relevé Mme Rossignol, les gens modestes n’ont plus prise sur ce qu’ils achètent. On a rendu inaccessibles des parties du véhicule et les pièces détachées sont rapidement épuisées. Sans logiciel spécifique, on ne détecte plus les pannes, qui sont d’abord électroniques, et même les garagistes n’arrivent plus à intervenir correctement sur certaines voitures.

L’obsolescence programmée est inhérente à la société de consommation. Elle repose en fait sur la manipulation et la tricherie. Il s’agit d’un des outils les plus pervers dans la course à la consommation, d’un stratagème fondé sur la tromperie. La surconsommation et le surendettement sont les deux mamelles nourricières de cette course folle entretenue et orchestrée par les « fils de pub ».

L’obsolescence programmée est un concept qui affleure dans les médias depuis peu de temps. Le travail d’associations et d’ONG nous a permis de le mettre au jour, mais il faut savoir qu’il est théorisé depuis la fin du XIXe siècle et mis en pratique dans les grandes firmes, depuis cette époque, de manière systématique et volontaire.

Dans les années trente, General Motors établit sa stratégie sur la production régulière de nouveaux modèles démodant les séries précédentes. C’est ainsi que la firme força son concurrent Ford, qui jusqu’alors misait sur la solidité et la longévité de ses produits, à changer de stratégie pour se lancer, lui aussi, dans la course au nouveau modèle. Il semble qu’il s’agisse là du début du système d’obsolescence programmée par l’esthétique et le design, dont la mise en œuvre s’est généralisée aujourd’hui.

L’externalisation des coûts due aux conséquences négatives de cette pratique est un autre volet de cette logique consumériste. Augmentation du volume des déchets, épuisement des ressources, abaissement des coûts du travail, emballement du crédit, surendettement sont les corollaires inévitables de la surconsommation et de l’obsolescence programmée qui en est le bras armé.

Mais si l’accélération de l’obsolescence des biens de consommation relevait seulement de la tromperie, elle ne représenterait pas une question d’ordre systémique, comme c’est le cas aujourd’hui.

Plus que jamais, le marketing est parvenu à créer des besoins, à nourrir des addictions, et pousse sans cesse les consommateurs à renouveler leurs équipements pour disposer du dernier cri, du plus performant, allant même jusqu’à organiser des ventes à minuit, orchestrées comme des ruées vers l’or. Dans quel monde vivons-nous ?

L’obsolescence programmée est aussi le révélateur des principaux dysfonctionnements du marché dans son acception libérale et du mythe de la concurrence libre et non faussée, parce que tous ces mécanismes ne visent qu’un seul et même objectif pour chaque firme : fausser la concurrence, mettre les peuples en compétition et prendre le dessus sur le concurrent.

Aujourd’hui, des citoyens essaient de se libérer de cette emprise. Des marchés de l’occasion voient ainsi le jour : si Internet présente des avantages indéniables, les brocantes, les dépôts-ventes – sources d’emplois, d’ailleurs – ou encore les structures associatives ne sont pas en reste. De même, « système D », échanges, prêts, achats en commun, mutualisation, réparation, frugalité sont des pratiques de consommation alternative qui, si elles ne sortent pas toutes du système, indiquent une volonté de trouver d’autres modes de vie fondés sur l’échange, la confiance et le partage.

Peut-être sommes-nous mûrs pour des remises en cause importantes de nos comportements, préludes à un changement d’époque ? Nous verrons bien !

Quoi qu’il en soit, notre rôle de législateur, aujourd’hui, consiste d’abord à comprendre ce phénomène et à en mesurer l’ampleur et les effets néfastes. Ensuite, il nous appartiendra de trouver des moyens réglementaires et législatifs pour protéger nos concitoyens et, plus particulièrement, les plus faibles d’entre nous. Gardons-nous de penser que le système peut être contrôlé à l’aide de quelques mesures, car l’obsolescence programmée est un pilier dont il ne pourra pas se passer facilement !

Il nous faudra travailler non seulement sur les garanties, sur l’éco-conception, mais aussi sur la sobriété et sur l’économie circulaire ; j’en oublie sans doute. On ne peut plus, aujourd’hui, concevoir un objet manufacturé sans se demander ce qu’il deviendra à terme : l’incinération, l’enfouissement, l’envoi dans les pays en développement pour le faire déconstruire sont des solutions à exclure. Les filières de recyclage doivent être développées, mais il ne s’agit que d’un geste curatif. Or nous devons faire de la prévention, et donc travailler, encore et toujours, sur l’éco-conception. À ce propos, je tiens à rassurer ma collègue Laurence Rossignol : le comité pour la fiscalité écologique s’intéresse aussi aux déchets, puisqu’il a créé un nouveau groupe de travail sur ce sujet.

Remettre en cause le jetable, les normes, les brevets, l’obsolescence programmée, l’abus de crédit, l’appauvrissement et la mise en concurrence des salariés, tous ces facteurs liés entre eux pour faire tourner la machine, demande un retournement des valeurs et une véritable révolution, qui replace l’homme au cœur de notre action. Pour notre part, nous y sommes prêts ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un siècle, notre modèle économique repose en grande partie sur la production de masse. Celle-ci fonctionne selon un cycle – extraction de ressources naturelles, consommation d’énergie, production de biens et traitement des déchets – qui s’est progressivement amplifié et a constitué un important moteur de croissance de notre économie.

La systématisation de la production en série a longtemps permis de faire baisser les prix et d’assurer ainsi une forte rotation du cycle d’achat, à discrétion du consommateur. Ce modèle était valable au temps de la prospérité, où l’on n’était pas trop regardant sur les « coulisses », c’est-à-dire l’amont et l’aval de la vie du produit. Mais les temps ont changé !

Considérant, pour reprendre la formule d’un journal américain, qu’« un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires », les industriels ont développé trois armes pour accélérer la rotation du cycle d’achat : tout d’abord, la publicité et le marketing, ensuite, le crédit, et, enfin, l’obsolescence programmée, qui fixe dès le départ la durée de vie d’un produit, avec pour corollaire, d’une part, l’accélération de la consommation de ressources naturelles parfois rares, issues de pays peu développés, et, d’autre part, le retour de celles-ci sous les mêmes latitudes, officiellement comme « articles d’occasion », mais plus prosaïquement sous forme de déchets.

On est ainsi passé successivement d’une logique à une autre : croître pour répondre à un besoin, puis croître pour satisfaire un désir, enfin croître pour croître. Cette évolution est en contradiction avec les objectifs que nous nous sommes fixés : d’abord préserver nos ressources, économiser notre énergie, prévenir la production de déchets – comme nous y invitent les lois Grenelle 1 et Grenelle 2 –, mais aussi préserver le pouvoir d’achat, comme nous le demandent nos concitoyens, plutôt que de subir le « pouvoir de faire racheter » qu’impose le système de l’obsolescence programmée.

Pour dresser un état des lieux et sortir de cette situation, nous disposons de quelques études sur lesquelles nous appuyer, notamment celle de l’ADEME sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Nous avons plusieurs outils à développer pour contrecarrer cette tendance au gaspillage.

La mise en place d’un outil juridique, tout d’abord, doit nous amener à travailler sur la garantie des produits mis sur le marché.

Il nous faut étendre les durées des garanties et les caler sur la durée de vie minimale, à fixer de façon normative.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Yves Détraigne. Le candidat Hollande précisait l’an dernier à l’association AMORCE ses préconisations en la matière : « l’instauration progressive d’une garantie longue de cinq ans, puis de dix ans pour les biens de consommation durables et la modulation de l’écotaxe selon la durée de vie garantie du produit ».

Beaucoup de biens ont été techniquement dégradés – je pense, par exemple, à la forte baisse de la durée de vie des ampoules électriques – pour permettre une rotation accélérée de leur vente. Nous qui sommes souvent, par ailleurs, des gestionnaires d’installations de traitement de déchets, nous savons que leur conception et leur construction, outre qu’elles doivent respecter des normes parfaitement justifiées, doivent faire appel aux « meilleures techniques disponibles ». Pourquoi ne pas appliquer cette exigence aux biens de consommation courante et imposer, lors de leur conception, l’utilisation des « meilleures techniques disponibles » pour garantir leur fiabilité dans le temps ?

Nous devons également assurer une concordance de garanties entre produits jumelés. Qui d’entre vous n’a pas été contraint de changer son téléphone dit « intelligent » – intelligent à court terme, peut-être ! –, parce que sa batterie n’était plus fonctionnelle et que les deux étaient indissociables ? Nous faudra-t-il, demain, changer de voiture à la première crevaison d’un pneu ?

Il convient de rendre les produits non seulement durables, mais aussi réparables par des tiers non impliqués dans la vente initiale ni intéressés par une deuxième vente du même produit. Lorsque nous construisons des usines, nous exigeons systématiquement ce que l’on appelle un « dossier d’intervention ultérieure sur l’ouvrage ». Pourquoi ne pas exiger son équivalent pour les biens de consommation courante, sous forme d’un document qui serait lisible et exploitable par tous ? L’essor des sites de vente de produits d’occasion n’est pas un hasard.

Nous devons aussi développer l’outil financier, en travaillant sur l’éco-contribution.

La responsabilité élargie du producteur est depuis peu modulée, pour les emballages, par leur caractère recyclable. Ce qui vaut pour des produits destinés par nature à un usage unique ne peut se transposer à des objets dont la vocation – en tout cas, dans l’esprit de ceux qui les achètent – est de durer. Pourquoi ne pas assurer une modularité en fonction de ce que nous attendons de ces produits ? S’ils sont singuliers et si leurs qualités, leur fonctionnalité, leur design ont justifié que nous les achetions, alors qu’ils soient « normaux » à l’intérieur, durables, réparables et, au final – parce que tout a une deuxième vie –, recyclables.

Une éco-contribution suffisamment élevée pour couvrir les coûts liés à la fin de vie du produit, avec une dégressivité reposant sur l’atteinte de performances techniques garanties, pourrait motiver les industriels à revoir leur modèle de production.

À ceux qui pensent que nous prendrions alors le risque de fragiliser encore plus la croissance, je réponds qu’à l’économie du jetable il faut substituer l’économie du durable, au sens premier du terme. À l’économie linéaire fondée sur le cycle extraction-utilisation-destruction, nous devons préférer l’économie circulaire, comme le promeut l’institut du même nom, lancé en février dernier avec la contribution de notre collègue Chantal Jouanno. Quel industriel, ingénieur ou entrepreneur préférerait être un fabricant de déchets plutôt qu’un fournisseur de nouveaux services ?

Que ceux qui nous expliquent que nous devons nous résigner à sauver nos emplois en gaspillant les ressources des autres entendent que nous souhaitons miser sur l’innovation et créer des emplois nouveaux en valorisant toutes nos ressources, y compris humaines. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier à mon tour Jean-Vincent Placé de nous offrir aujourd’hui l’occasion de débattre d’une question peu souvent abordée, mais tout à fait essentielle, en particulier dans le contexte actuel de crise économique, écologique et sociale.

L’obsolescence programmée est un sujet complexe, à facettes multiples.

Tout d’abord, elle recouvre des enjeux économiques évidents, en termes d’emploi, de commerce extérieur, de délocalisation de main-d’œuvre, de filières d’insertion, ainsi que de recherche ou d’innovation.

Ensuite, les enjeux environnementaux, liés à l’utilisation des ressources de la planète, à la consommation d’énergie, à l’émission de gaz à effet de serre, à la production de déchets, à la capacité de recycler ou non ces déchets, sont évidemment considérables.

Enfin, les enjeux de société se mesurent à l’échelle planétaire : le modèle désormais universel de fonctionnement de l’économie est celui de la consommation et de la satisfaction de besoins constamment renouvelés, du fait non seulement d’un vrai progrès technologique, mais souvent de simples évolutions très artificielles créées par le marketing ou la publicité.

Comment avons-nous pu, en l’espace de cinquante ou soixante ans, passer de productions de qualité, nécessaires pour répondre aux besoins de consommation « normaux » de l’être humain, à un système fondé sur la création de besoins nouveaux, par le biais d’une forme de marketing inventée dans les années soixante, lorsque l’on s’est rendu compte que c’était la meilleure manière de gagner plus d’argent ?

À titre personnel, je considère que l’obsolescence programmée est née de la concentration du système de distribution. En effet, les fabricants de ces objets obsolescents respectent des cahiers des charges et ils n’inventent pas des produits à durée limitée, non réparables ou dépourvus de pièces de rechange tout à fait par hasard.

J’y vois une volonté de créer des conditions toujours plus difficiles pour le consommateur tout en garantissant l’accroissement du chiffre d’affaires de la grande distribution. On tend à minimiser les conséquences de l’obsolescence programmée des produits en soulignant que ceux-ci peuvent être recyclés, mais qui paie pour le recyclage, sinon le consommateur ? En définitive, il s’agit de faire toujours plus de chiffre d’affaires et de bénéfices. La grande distribution est, à mon sens, l’une des principales responsables de la situation que nous connaissons aujourd’hui.

La réponse n’est pas simple, d’autant que les tenants de ce système économique invoquent volontiers la nécessité de permettre à la planète entière de consommer des produits bon marché. Certes, un tel objectif était noble, il fallait évidemment réduire le coût des produits, mais jusqu’à un certain niveau seulement, sans aller jusqu’à tromper l’acheteur sur la qualité. J’observe que, dans certains cas, la durée de la garantie du produit acheté, par exemple un téléviseur, peut être portée de deux à cinq ans si vous y mettez le prix ! J’y vois une forme…

Mme Évelyne Didier. D’arnaque !

M. Raymond Vall. Vous savez de quoi vous parlez, ma chère collègue ! (Sourires.)

Cette course sans fin à l’augmentation du chiffre d’affaires et des marges ne me paraît pas compatible avec les enjeux planétaires que j’ai évoqués, puisque, nous le savons, on ne pourra pas tenir la distance, continuer à produire sans prendre en compte les problématiques de la démographie, de l’énergie et des matières premières.

Bien sûr, je souscris aux propos tenus sur l’intérêt de l’économie circulaire, qui a fait l’objet d’initiatives dans la région Midi-Pyrénées, notamment (M. Alain Chatillon acquiesce.), et que Mme Jouanno entend promouvoir. Cependant, cela ne règlera pas le problème de fond : nous devons légiférer afin de relier le prix des produits au coût des matières premières et de l’énergie nécessaires à leur fabrication, ainsi qu’au coût de leur recyclage, car tout cela est in fine payé par le consommateur.

Notre groupe sera très attentif aux mesures qui pourront être élaborées dans cette perspective. Bien entendu, nous sommes disposés à apporter notre contribution pour lutter contre ce qui constitue une sorte de tromperie atteignant aujourd’hui, au travers de la concentration de la distribution, tous les consommateurs. Surtout, il y va de l’avenir de notre planète et de l’humanité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Bertrand. Bravo ! Un véritable écologiste !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur l’initiative de notre groupe, et plus précisément de son président, Jean-Vincent Placé. En effet, l’obsolescence programmée est un réel problème. Les machines à laver en panne au bout de cinq ans d’utilisation, les téléviseurs, les ordinateurs, les téléphones ne fonctionnant plus au bout de trois ans, pour ne citer que quelques exemples : ces réalités bien tangibles pèsent lourdement sur les budgets des familles, en particulier celles qui sont le plus en difficulté.

Le problème est également environnemental, car la surproduction de ces appareils conduit à la surexploitation des ressources naturelles et à l’augmentation du volume de déchets, dont certains sont extrêmement toxiques.

La durée de vie des biens s’est manifestement réduite. Le temps où un équipement électroménager fonctionnait pendant vingt ans est révolu, mais il ne s’agit pas là d’une fatalité à laquelle il faudrait se résigner, au prétexte que la plus grande fragilité des produits et leur caractère non réparable seraient la contrepartie de l’amélioration des performances. Nous sommes bien confrontés à une stratégie délibérément mise en œuvre dans plusieurs secteurs industriels pour habituer le consommateur aux produits jetables à usage unique et créer une demande toujours croissante. Une telle démarche est révélatrice d’une société de consommation, d’une société capitaliste qui atteint ses limites.

Nous avons laissé faire, ces dernières décennies, et nous constatons aujourd’hui des dérives : produits indémontables, irréparables, la réparation devenant même un non-sens économique, car il revient souvent plus cher de faire réparer un appareil que d’en acheter un neuf, ce qui est évidemment aussi un non-sens social.

Le Centre européen de la consommation vient de publier une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». Cette étude plaide pour que le consommateur ait accès à l’information sur la durée de vie des appareils, mais aussi et surtout pour que la durée de la garantie légale de conformité soit allongée en fonction de la durée de vie moyenne des produits. Nous faisons nôtres ces préconisations, qui sont d’ailleurs contenues dans la proposition de loi déposée par Jean-Vincent Placé, président de notre groupe.

En proposant l’extension progressive de la durée de la garantie légale de conformité – il s’agit de préparer une transition, et non d’asphyxier des entreprises, même si la plupart de celles qui pratiquent l’obsolescence programmée n’ont ni leur siège ni l’essentiel de leurs établissements en France, Samsung employant par exemple 190 000 salariés à travers le monde, dont seulement un peu plus de 1 000 en France –, comme je l’avais fait par voie d’amendement lors de l’examen du projet de loi de M. Lefebvre en décembre 2011, on incitera les fabricants à produire des biens plus durables.

Porter cette durée, aujourd’hui de deux ans, à trois ans au 1er janvier 2014, puis à quatre ans au 1er janvier 2015 et à cinq ans au 1er janvier 2016 ouvrira la voie à un nécessaire changement des modes de production pour y intégrer des critères de durabilité et de réparabilité des produits.

L’autre mesure essentielle de cette proposition de loi consiste à favoriser la réparation des appareils en demandant aux constructeurs de tenir à disposition des consommateurs des pièces détachées et des notices de réparation. Par ailleurs, il s’agit également d’inciter les éco-organismes à prélever des pièces détachées sur des équipements usagés qu’ils collectent lorsque la réparation n’est pas possible, en vue de la réparation d’autres produits de même type. Cela permettrait de constituer des stocks de pièces détachées d’occasion.

En effet, la réparation, outre qu’elle permet d’allonger la durée de vie de nos biens, est une réponse sociale concrète. Elle permet de conserver des emplois locaux, des savoir-faire et des compétences dans notre pays. Soutenir les réseaux de réparation français est donc un moyen de maintenir des services dans les territoires, voire de les développer.

Enfin, cette proposition de loi comporte une définition de l’obsolescence programmée et prévoit d’inscrire ce concept dans le code de la consommation en tant que pratique commerciale trompeuse, pour en faire ainsi un délit. Cela est fondamental, car la polémique actuelle est alimentée par cette absence de définition juridique.

Ce texte, tout comme votre projet de loi sur la consommation à venir, monsieur le ministre, doit être un outil destiné à faire cesser des pratiques qui contribuent à la surexploitation des ressources naturelles, mènent à une production excessive de déchets et pèsent gravement, je le répète, sur le budget des ménages.

L’obsolescence programmée va à l’encontre du sens de l’histoire et, pour reprendre l’expression employée tout à l'heure par Jean-Vincent Placé, d’un progrès au service d’un développement durable et soutenable.

Sans une volonté politique forte, il sera impossible d’engager des changements structurels de nos modes de production et de consommation. Cette volonté, nous l’avons et nous devrons l’avoir collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également. )

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les systèmes de production sont amenés à évoluer en vue du développement d’un autre modèle économique. Beaucoup, comme Jeremy Rifkin, appellent de leurs vœux un tel changement, de manière à pouvoir concilier la préservation des ressources naturelles et le développement de l’activité économique.

La question orale sur la lutte contre l’obsolescence programmée déposée par notre collègue Jean-Vincent Placé s’adresse à notre société. Celle-ci doit apporter des réponses et, au-delà, prendre des mesures que l’on retrouvera, je l’espère, dans un prochain projet de loi.

Les différents aspects de ce débat soulèvent de vraies questions, « parce que l’économie circulaire répond mieux aux lois fondamentales de la productivité que les systèmes économiques actuels et qu’elle tient compte de la valeur temporaire », précise le même Jeremy Rifkin. Le fait que des produits deviennent obsolètes en raison de leur caractère non-réparable ou de leur incompatibilité avec d’autres conduit à l’augmentation de la quantité de déchets et à une surexploitation des ressources naturelles.

Chaque année, 62 milliards de tonnes de ressources – minéraux, bois, métaux, combustibles fossiles et biomasse, matériaux de construction – sont prélevées dans le monde. La hausse s’est élevée à 65 % en vingt-cinq ans, alerte l’OCDE dans son dernier rapport sur la gestion des matières premières, publié le 23 novembre dernier. Cela représente une augmentation de 2,5 % par an en moyenne, directement liée à la hausse du produit intérieur brut mondial.

La situation décrite est forcément grave, d’autant que le recyclage ne suffira pas à résorber les tensions sur les matières premières. Un expert, cité dans l’édition du journal Le Monde du 11 décembre 2012, souligne que, « avec une croissance annuelle de la consommation mondiale de matières premières supérieure à 2 %, l’effet du recyclage est quasiment insignifiant sur le long terme ».

Au regard de la crise qui se développe, légiférer pour lutter contre la faible qualité des produits est devenu urgent. D’autres l’ont fait avant nous, comme l’Allemagne depuis 1994 et le Japon depuis 2000. Il semble qu’un nombre croissant de nos concitoyens, confrontés quotidiennement à des expériences malencontreuses, soient conscients de la nécessité de faire évoluer le modèle de production, de consommation, et donc de développement.

La surabondance des déchets est manifeste s’agissant des DEEE. Une filière de gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques a été mise en place dans notre pays en 2006, l’objectif étant de responsabiliser les producteurs. Lors de notre séance publique du 12 février dernier, nous avons dû repousser à 2020 la fin du mécanisme d’éco-participation, en raison du stock très important de DEEE historiques.

Beaucoup d’articles de presse et de reportages dénoncent la conception actuelle des équipements électroménagers. Le modèle de production en grande quantité, souvent dans des pays émergents, a envahi le marché et impose un taux de remplacement plus élevé. Chacun comprend que ce modèle est contestable, puisqu’il pousse à une forme de surconsommation.

En effet, il est de moins en moins possible de remplacer les pièces défectueuses, qui ne sont pas accessibles en raison de la conception du produit ou sont trop coûteuses, ce qui impose un remplacement du matériel dans son ensemble. La durée de vie des équipements est aussi moins longue, ce qui amène à parler d’obsolescence programmée.

Les consommateurs sont doublement pénalisés : ils achètent des produits qui durent moins longtemps, tout en assumant financièrement une partie du coût de leur collecte et de leur recyclage, à travers le paiement d’une éco-participation.

La réparation, au-delà de la prolongation de la durée de vie des produits, permet de conserver des emplois locaux, en particulier dans le secteur de l’économie sociale et solidaire – à laquelle je vous sais très attentif, monsieur le ministre –, des savoir-faire et des compétences dans notre pays. Elle est peu délocalisable, c’est pourquoi il faut inverser le sens de l’évolution actuelle de la consommation.

Revenir à un nouveau modèle de production impose, je le crois, de penser l’éco-conception du produit, du matériel, de telle sorte qu’il puisse être réparé et réutilisé, éventuellement plusieurs fois. L’ambition est donc de passer du « tout jetable » au « tout utile » : c’est bien ce modèle industriel qui doit prévaloir.

M. Jean-Jacques Filleul. Comme beaucoup ici, j’ai connu un temps où les pneumatiques usagés des véhicules étaient, pour une part, réemployés – rechapés, disait-on à l’époque. À ma connaissance, ce modèle a disparu. Pourtant, il permettait de prolonger la durée d’utilisation des pneumatiques en toute sécurité. C’est un exemple parmi d’autres. Nous devons arrêter d’importer des produits à bas prix et de faible qualité. Cela permettra de mettre sur le marché des produits durables et réparables, au final moins chers pour les consommateurs.

Le modèle capitaliste et le marché poussent au gaspillage, à l’utilisation sans contrôle des matières premières et au renouvellement automatique des produits ou des matériels obsolètes. Comme d’habitude, ils ne régulent rien et conduisent au contraire à une forme d’économie aberrante et peu respectueuse de l’environnement. Jeremy Rifkin, beaucoup d’autres experts et les associations environnementales réclament l’instauration d’un autre modèle qui, outre l’éco-conception et son modèle d’écologie industrielle, doit intégrer la fonctionnalité, privilégiant l’usage plutôt que la possession, et le réemploi du produit afin de le remettre dans le circuit économique ou de le modifier pour lui assurer une nouvelle vie. Viennent ensuite la réutilisation et le recyclage des matières premières issues des déchets valorisés.

En fait, c’est tout un mode de vie qui est à revoir, à repenser. On pourrait, par exemple, promouvoir la consommation de l’eau du robinet, supprimer l’utilisation des bouteilles d’eau en plastique pour les remplacer, comme l’ont fait d’autres pays européens, par des bouteilles en verre, lutter contre le gaspillage alimentaire. Des initiatives sont lancées actuellement dans un certain nombre de cantines scolaires ; des chiffres, effrayants, montrent que 30 % des produits alimentaires seraient jetés.

Bien d’autres initiatives peuvent être prises : ne plus fabriquer des produits à usage unique, lutter contre le gaspillage du papier, concevoir un chargeur universel pour les téléphones portables… Surtout, je crois utile de mettre en place des programmes pédagogiques pour montrer aux enfants – les futurs adultes – comment utiliser les bonnes pratiques.

Ce débat, monsieur le ministre, est hautement d’actualité. Il doit déboucher sur des mesures acceptées par nos concitoyens. Je crois beaucoup à ces évolutions qui sont portées depuis plusieurs années, au travers de multiples initiatives, par des particuliers, des associations, des entrepreneurs, des gouvernements et même l’Union européenne. Notre pays ne peut pas être en reste. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. La question orale de notre collègue Jean-Vincent Placé sur la lutte contre l’obsolescence programmée est d’une grande importance, car elle renvoie à l’avenir de notre modèle économique.

Cette notion d’obsolescence programmée, qui a été vulgarisée dans les années cinquante, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Médiatisée récemment, elle a aussi fait l’objet de nombreux rapports et études.

Cependant, cette notion revêt plusieurs acceptions. M. Placé a repris celle qu’avait proposée l’ADEME dans une étude publiée en 2012, selon laquelle il s’agit d’un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception.

Pour d’autres, l’obsolescence programmée consiste également en la dévalorisation de l’image d’un produit auprès du consommateur, notamment par des sauts technologiques ou des effets de mode, ce qui favorise un renouvellement prématuré des produits.

Dans ces deux cas, soit techniquement et a priori, soit subjectivement et a posteriori, il s’agit de réduire artificiellement la durée de vie des produits.

Toutefois, il semble difficile de croire que les fabricants puissent, à une grande échelle, affaiblir techniquement leurs produits ou programmer délibérément leur fin de vie dès leur conception, sans avoir la certitude d’en tirer profit pour leur propre marque. Il est plus logique de penser que la plupart d’entre eux arbitrent en fonction de contraintes de coût, de techniques de fabrication, donc d’efficacité ou de rendement, ou de phénomènes de concurrence.

La durée de vie d’un bien ne peut être dissociée de son coût et les producteurs vont tendre, dans la majorité des cas, à offrir le meilleur rapport qualité-prix dans une optique de production de masse et de consommation optimale.

Le consommateur est assurément placé dans cette même logique lorsqu’il arbitre entre un produit bon marché, mais fragile, et un produit fiable, mais cher.

Les producteurs vont également, pour continuer à vendre sur nos marchés très concurrentiels et déjà suréquipés, inciter le consommateur à renouveler ou à diversifier le plus souvent possible les biens qu’il possède.

Ce système sous-tend toute notre économie industrialisée et, dans cet esprit, l’arrêt de la production de pièces détachées est, cela a été dit, un levier d’action puissant à la disposition des industriels.

Cependant, cette économie de la surconsommation et de la surproduction soulève de graves questions environnementales et pèse sur notre balance commerciale.

Il est certain que notre mode de consommation actuel est facteur de gaspillage des ressources naturelles et génère toujours plus de déchets. Aussi, dans un contexte de raréfaction des matières premières et d’amplification de la pollution, est-il devenu urgent de réguler notre consommation, notamment par un allongement de la durée de vie des produits fabriqués. C’est la raison pour laquelle cette question avait été évoquée par le Président de la République, puis par vous, monsieur le ministre, il y a quelques mois.

Aujourd'hui, tout le monde semble décidé à s’emparer de cette problématique et à proposer des mesures pour lutter contre l’obsolescence programmée. Toutefois, il paraît évident que la mise en place trop brutale de mesures qui ne prendraient pas en compte l’ensemble des paramètres et conduiraient à freiner fortement notre consommation pourrait affecter gravement l’économie nationale, déjà atone. En effet, la priorité, dans le contexte actuel, est de préserver l’emploi.

La société de consommation a bien des défauts, qui sont stigmatisés depuis près de cinquante ans, et l’ont notamment été par les contestataires de 1968.

Ces critiques apparaissaient comme un luxe culturel à la fin des Trente Glorieuses, dans une société de quasi-plein emploi. Nous n’en sommes plus à cette époque, durant laquelle les risques de hausse du chômage étaient faibles. Aujourd'hui, l’emploi constitue le bien le plus précieux. C'est pourquoi les initiatives qui pourraient ralentir la production à l’intérieur de nos frontières ne doivent pas nuire à l’emploi.

En revanche, en ce qui concerne les produits importés qui inondent notre marché à des prix compétitifs, tels le textile chinois ou l’électronique asiatique, cet argument est beaucoup moins pertinent.

Par conséquent, la lutte contre l’obsolescence programmée ne peut concerner notre seul cadre économique hexagonal, mais doit être envisagée, comme l’a souligné Jean-Vincent Placé, à l’échelle de l’Union européenne, afin que tous les États membres soient soumis aux mêmes règles, voire à l’échelon international, bien que cette perspective semble peu réaliste.

M. Placé nous a présenté un certain nombre de dispositions, détaillées plus précisément dans la proposition de loi qu’il a déposée sur le bureau du Sénat. Elles s’inscrivent globalement dans une approche qui vise à modifier radicalement la relation entre les entreprises et leurs clients. À terme, il s’agit de passer d’une économie de consommation à une économie d’usage, dite encore économie de la fonctionnalité, qui implique de remplacer la vente d’un ou de plusieurs biens et services par celle de leur usage.

Je ne débattrai pas ici de ce modèle économique et de ses avantages, mais il est indispensable de faire preuve d’une grande vigilance dans la mise en œuvre de ces mesures qui constituent, à l’évidence, des dispositifs bien plus complexes qu’il n’y paraît.

Comment garantir, en effet, la durée de vie d’un produit qui, bien que de fabrication française, comporte une part importante d’intrants fabriqués hors de notre pays ? A-t-on bien mesuré l’impact des distorsions de concurrence que cela implique ? Quels sont les risques pour nos filières industrielles ? Enfin, quel sera le coût social réel de ces dispositifs ? Autant de questions qui méritent que le débat soit posé de manière réaliste et réfléchie, afin d’écarter les solutions précipitées et inadaptées et d’éviter de s’engager, de fait, dans une impasse.

Je gage que vous saurez, monsieur le ministre, prendre la mesure de tous les enjeux, à la fois économiques et sociaux, et proposer les justes réponses à cette problématique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est arrivé à tous d’acheter un article électroménager, par exemple, en nous demandant – du reste, la plupart du temps sans se faire d’illusions – quelle était l’espérance de vie de ce produit. Tel M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir, nous avons tous été aux prises, sans toujours nous en rendre compte, avec le phénomène de l’obsolescence prématurée.

L’obsolescence programmée est maintenant une réalité à laquelle chacun est confronté. Il faut également reconnaître que cette prime au gaspillage est banalisée, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment la saturation de l’environnement par la surproduction de déchets toxiques et son corollaire, le coût croissant du retraitement. Des estimations évaluent aujourd’hui ce coût à environ 364 euros par an pour un ménage de quatre personnes en France.

Durant les Trente Glorieuses, on parlait de société de consommation. Depuis, nous avons franchi un palier, mais la situation n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons de la tenue de ce débat aujourd’hui.

On l’aura compris, on soupçonne de nombreux fabricants de mettre en œuvre une stratégie industrielle et commerciale d’obsolescence programmée, même si sa réalité n’est pas toujours démontrée. Cela nous pousse naturellement à nous interroger.

L’UFC-Que Choisir partage ces interrogations et nous invite à une lecture critique de notre modèle économique. Dans le même temps, cette association de défense des consommateurs nous incite, à juste titre, à ne pas concentrer notre réflexion uniquement sur la conception des matériels soupçonnés de relever d’une logique d’obsolescence programmée. En effet, sur le site internet du magazine Stratégies, l’UFC-Que Choisir explique que des tests ont été menés en laboratoires et qu’ils n’ont pas toujours été probants quant à l’existence d’une telle stratégie. Elle préfère parler d’obsolescence organisée et souligne en outre qu’une association regroupant notamment des entreprises commercialisant des biens électroménagers a indiqué dans une étude que la durée de vie des produits proposés aujourd’hui par ces dernières serait aussi longue que celle des matériels qu’elles vendaient voilà quelques décennies.

Il est donc important de rappeler que le présent débat ne saurait en aucune façon être interprété, d’une manière simpliste, par généralisation abusive, comme une mise en accusation de tous les secteurs industriels.

Le théoricien de la décroissance Serge Latouche a, quant à lui, contribué à ce débat en distinguant une « obsolescence planifiée ». Il cite l’exemple des puces électroniques qui seraient insérées dans les imprimantes afin que ces dernières cessent de fonctionner après avoir produit un certain nombre de copies.

On voit que le problème n’est pas simple, puisqu’émergent au moins trois types d’obsolescence faisant l’objet, pour le meilleur ou pour le pire, d’un débat d’experts.

En ce qui nous concerne, mes chers collègues, il nous revient de nous pencher sur la nature de la société dans laquelle cette problématique est apparue. C’est donc bien selon une perspective sociétale que nous devrons redéfinir, sans doute constamment, notre rapport à la consommation et à la croissance.

Notre société doit-elle s’inscrire dans une forme de fatalité du consumérisme aveugle ? Est-il d’ailleurs impossible d’envisager une éco-conception des produits de consommation tout en préservant la dynamique de nos filières industrielles ? Ce défi, qui mérite à mon sens d’être relevé, concerne bien sûr la relation qui doit exister entre les consommateurs, les distributeurs et les industriels.

Effectivement, il ne s’agit pas uniquement ici de la mise hors service prématurée de biens de consommation dont on suppose qu’ils pourraient servir plus longtemps : il faut aussi évoquer les pannes trop fréquentes, la difficulté à démonter et à réparer les appareils, l’indisponibilité des pièces de rechange et, souvent, l’inefficacité des services après-vente lorsque l’appareil est en panne ou arrive en fin de garantie. La course à l’innovation, les phénomènes de mode, la puissance de la publicité pour imposer des achats sont également à prendre en compte.

Monsieur le ministre, vous avez choisi de saisir à ce propos le Conseil national de la consommation, et il se dit que vous pourriez éventuellement inclure des mesures relatives à la lutte contre l’obsolescence programmée dans la grande loi sur la consommation que vous préparez actuellement avec vos services. On ne peut que se féliciter de cette initiative, témoignant de la prise en compte par le Gouvernement de cette problématique qui ne saurait être réduite à sa dimension de défense de l’environnement et de lutte contre le gaspillage.

Les filières industrielles et la distribution doivent être repensées à l’échelon européen, en ménageant la transition vers un système de production valorisant l’éco-conception, l’efficacité énergétique, le recyclage, et conçu pour laisser toute sa place à un secteur de la réparation susceptible de constituer un énorme gisement d’emplois. Si le secteur de la réparation compte quelque 70 000 entreprises, on peut supposer, sans être démesurément optimiste, que la mise sur le marché de produits réparables pourrait lui donner un sérieux coup d’accélérateur.

En cette période de crise structurelle et massive, il nous appartient de redéfinir notre modèle économique, et donc notre relation à la consommation, qui est l’un de ses piliers, mais aussi l’une de ses fragilités. Cela doit se faire bien sûr avant tout au bénéfice du consommateur. Telle est l’ambition qui nous anime, monsieur le ministre, et je suis certain que vous la partagez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord remercier M. Placé d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de cette question orale sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Cela nous offre l’occasion de réfléchir ensemble, loin du tumulte de l’actualité politique, aux modes de consommation et aux modes de production, ainsi qu’à la façon dont nous voulons faire évoluer les uns et les autres.

Ne nous concentrons pas uniquement sur les comportements des consommateurs, qui peuvent évoluer au gré d’un certain nombre de signaux rationnels, comme les prix ; réfléchissons également à la façon dont, au travers de l’évolution des systèmes de valeurs, nous pouvons les inciter à adopter des modes de consommation plus respectueux de l’environnement et plus vertueux sur le plan social.

Pour étayer cette réflexion, je commencerai par évoquer un ouvrage du philosophe Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation.

« Paradoxe », c’est en effet le terme qui définit sans doute le mieux notre époque, où émerge la figure de l’ « hyper-consommateur », mieux informé qu’autrefois et plus libre de ses choix, certes, au sens où il dispose de davantage de produits et est peut-être moins captif des anciennes cultures de classe. Cependant, dans le même temps, le mode de vie, le plaisir sont de plus en plus liés à la possession, au système marchand, aux images et aux valeurs que véhicule la publicité, modèle appelé « expansion du marché de l’âme » par Gilles Lipovetsky, qui résume ainsi ce paradoxe : « plus se déchaînent les appétits d’acquisition et plus se creusent les dissatisfactions individuelles ». En clair, malgré les logiques d’accumulation qui prévalent, le sentiment de frustration reste intact.

L’être humain est fondamentalement un être de comparaison : on est heureux relativement à la situation des autres. Or, selon Daniel Cohen, « cette course-poursuite est vaine, car les autres veulent également vous dépasser ».

L’autre paradoxe, c’est que cette course à l’abondance n’est plus synonyme de croissance et d’emploi dans nos sociétés développées. Au contraire, l’hyperconsommation met en lumière les externalités négatives du modèle productif nécessaire pour assouvir ce désir de consommer.

Ces externalités négatives sont sociales – précarité, baisse des revenus du travail, multiplication des délocalisations – et environnementales, à travers la surconsommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre ou l’accumulation des déchets.

L’incarnation de ce paradoxe, c’est l’émergence, notamment en Europe, de l’économie low cost, modèle qui peut paraître séduisant en raison du discours de démocratisation, de valorisation de l’achat « malin » qui le sous-tend, mais qui, en réalité, atteint vite ses limites. On en arrive ainsi à des situations ubuesques : à force de demander des prix toujours plus bas, on achète le droit d’être au chômage. En effet, en stimulant la concurrence par la baisse des prix, le consommateur arbitre contre ses propres intérêts de producteur, voire d’assuré social.

Monsieur Placé, je vous remercie de nous inviter à cette réflexion, car la finalité d’un projet politique, qu’il soit de droite ou de gauche d’ailleurs, ne saurait se limiter à proposer à nos concitoyens de consommer, et de consommer toujours plus. Notre société, celle que nous voulons bâtir, ne se résume pas à la société de l’accumulation et de la consommation ; elle doit bien évidemment faire de la place à la solidarité entre les individus et les générations, à la justice, à l’éducation, à la culture et, aujourd'hui, à la préservation de l’environnement et à la transition écologique. Cela nous appelle donc à repenser nos modes de consommation comme nos modes de production.

Pour autant, j’y insiste, ce n’est pas parce que la consommation ou l’hyperconsommation n’est plus aujourd'hui synonyme de croissance et d’emploi qu’une société sans consommation serait souhaitable ou que la baisse de la consommation amènerait l’effet inverse. En réalité, sans consommation, les investissements se tarissent, l’innovation stagne, la croissance se grippe et les emplois en pâtissent.

Mme Laurence Rossignol. On n’en est pas là !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est aussi un révélateur de la fragilité de notre système.

C’est pourquoi, en tant que ministre chargé de la consommation, mais aussi comme membre d’un gouvernement qui travaille à soutenir le pouvoir d’achat des Français, je suis très attentif, dans la période que nous connaissons, aux indicateurs de la consommation, qui sont particulièrement préoccupants.

Pour n’en citer que quelques-uns, la consommation n’a progressé que de 0,2 % par an depuis 2008, soit dix fois moins vite qu’entre 2000 et 2007, et, en 2012, les dépenses des ménages ont reculé de 0,1 %, baisse sans doute modeste, mais rarissime dans la France d’après-guerre.

Ces évolutions interviennent dans un contexte où les dépenses contraintes augmentent – je pense par exemple à l’énergie –, tandis que les ventes enregistrées dans plusieurs secteurs au cours du premier trimestre de 2013 sont en baisse par rapport au premier trimestre de 2012 : c’est notamment le cas pour l’électronique grand public, le bricolage, la restauration ou encore l’ameublement.

Nous ne pouvons nous résoudre à voir s’éteindre le moteur de la croissance, après ceux de l’investissement et du commerce extérieur. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des décisions en faveur du pouvoir d’achat, en donnant, par exemple, un coup de pouce au SMIC ou à l’allocation de rentrée scolaire. Nous préparons d’autres mesures importantes en termes de soutien à la consommation, notamment en agissant sur les dépenses contraintes : je pense à la pérennisation de l’encadrement des loyers, dans le cadre du projet de loi de Mme Duflot, à la redistribution aux consommateurs des rentes indues des grandes entreprises par l’action de groupe – j’y reviendrai – ou encore à la possibilité de résilier infra-annuellement son contrat d’assurance pour instaurer davantage de concurrence, les prix des contrats ayant augmenté deux fois plus vite que l’inflation depuis 1998, et même trois fois plus vite ces trois dernières années.

Cela étant, si nous devons soutenir la consommation, cette dernière ne doit plus être aveugle. Il nous appartient de trouver le juste équilibre entre consommation, emplois, échanges commerciaux et transition écologique.

Pardonnez-moi cette lapalissade, mais consommer des biens implique d’en produire. Cela induit ce que l’on désigne désormais des « externalités », tant positives – création d’emplois, services publics associés, savoir-faire et excellence, formation – que négatives : combien de cas médiatisés ont mis en évidence des incidences environnementales, en termes d’utilisation de ressources, d’émissions de gaz à effet de serre ou encore de pollution des milieux naturels par des substances toxiques dont il est complexe d’éliminer les résidus ?

En outre, selon les produits, la consommation peut affecter négativement notre balance commerciale, sans engendrer de grand bénéfice en termes d’emplois.

A contrario, allonger les durées d’usage des produits – en clair, favoriser une conception durable et encourager leur réemploi – présente une triple vertu, en termes de création ou de maintien d’emplois non délocalisables, d’impact environnemental et de balance commerciale.

Favoriser le recyclage et la valorisation des matériaux qui peuvent être réemployés, en structurant des filières ad hoc, c’est favoriser l’économie circulaire en France et nous rendre moins dépendants de ressources naturelles dont nous ne disposons pas sur notre territoire, comme les terres rares. Cela a été entrepris efficacement pour la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques, et je souligne que le Gouvernement a récemment prorogé l’affichage de l’éco-contribution pour pérenniser cette filière. Nous venons également d’adopter cette éco-contribution pour la filière du meuble. La responsabilité élargie des producteurs est déterminante, et il nous appartient de veiller à sa bonne mise en œuvre.

C’est dans ce contexte que je place le présent débat sur l’obsolescence programmée. Les ressources ne sont pas inépuisables, notre balance commerciale n’est pas excédentaire – elle est, au contraire, cruellement déficitaire – et la surconsommation de certains produits n’a aucun effet positif en termes d’emploi en France. Dans ces conditions, devrait-on au surplus accepter que les consommateurs soient contraints de renouveler leurs équipements trois fois plus vite qu’attendu ? Formuler la question, c’est y répondre, mais quelles dispositions devons-nous adopter pour y répondre concrètement ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes tous convaincus, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire accroire, l’obsolescence programmée n’est pas un concept paranoïde ou complotiste. Ce n’est d’ailleurs pas un concept ; c’est une pratique établie, dont M. Placé a rappelé l’histoire. Souvenons-nous que si les ampoules ont aujourd'hui une durée de vie normée, c’est parce que le juge américain, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, a mis en évidence l’existence d’un cartel réunissant les grands fabricants d’ampoules, le cartel « Phœbus », mis en place entre 1924 et 1939 dans le but de contrôler le marché de la fabrication et de la vente des lampes à incandescence, notamment en en limitant sciemment la durabilité. Des exemples plus récents et médiatisés illustrent la pérennité de cette pratique ; vous les avez cités, je n’y reviendrai pas. Néanmoins, j’observe au passage que plus les marchés sont concentrés dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, plus la pratique est rendue possible.

Au-delà de cette obsolescence « stratagème », l’obsolescence programmée recouvre d’autres types d’obsolescences, évoqués par les uns et les autres. Cela peut être l’obsolescence technique, dès lors que l’on ne dispose plus des pièces nécessaires à la réparation et donc à l’utilisation d’un bien, ou encore l’obsolescence ressentie, subjective, liée au cycle d’innovation, voire au marketing, qui nous amène à renouveler nos biens d’équipement avant la fin de leur durée de vie, au motif qu’ils ne sont plus à la mode ou tout à fait adaptés aux évolutions technologiques les plus récentes.

Quelles dispositions devons-nous donc adopter pour répondre concrètement à cette problématique ?

J’entends votre suggestion, monsieur le sénateur Placé, de faire de l’obsolescence programmée un délit. Encore faut-il alors la définir, ce que vous proposez de faire.

Toutefois, j’observe que l’obsolescence programmée, en tant que stratagème visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, peut déjà être sanctionnée par le code de la consommation. Si une telle pratique est démontrée, le juge peut la qualifier comme une tromperie sur les qualités substantielles du bien.

Il se trouve que, dans le projet de loi sur la consommation que Pierre Moscovici et moi-même présenterons en conseil des ministres la semaine prochaine, je propose deux réponses très dissuasives.

Premièrement, il est prévu de mettre en place une dissuasion par la sanction. Alors que la sanction, en cas de tromperie économique, est aujourd'hui de 37 500 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement pour une personne physique, je propose de faire passer le montant de l’amende à 300 000 euros pour une personne physique. Toutefois, en rester là serait insuffisant : s’agissant de la personne morale, je propose que le juge puisse prendre en compte le surprofit réalisé par le biais de la tromperie, en infligeant une amende véritablement dissuasive, pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires.

J’évoquerai, à cet égard, un exemple assez simple, qui, du reste, n’a rien à voir avec l’obsolescence programmée. Constatons que, dans l’affaire de la viande de cheval, étant donné le montant des gains indûment perçus, à savoir plus de 500 000 euros, et le plafond de l’amende dont peut être passible une personne morale en cas de tromperie économique, à savoir 187 500 euros, il était assez rationnel pour l’industriel d’arbitrer en faveur de la tromperie plutôt que du respect de la loi. Quand tricher est plus rentable que respecter la loi, cela encourage la tromperie ! Pour l’heure, le montant des pénalités prévues par la loi est en deçà du montant des gains qu’il est possible d’obtenir grâce à la tromperie.

Deuxièmement, au-delà du caractère dissuasif qu’aura l’élévation du niveau des pénalités, nous voulons faire en sorte que les consommateurs puissent mieux se défendre, par l’instauration, en droit français, de l’action de groupe. Les victimes d’une tromperie pourront demain, par le truchement d’une association de consommation, obtenir réparation pleine et entière du préjudice qu’elles ont subi.

Augmentation du niveau des peines, création de l’action de groupe : voilà deux instruments qui seront donnés demain au consommateur pour mieux le protéger de la tromperie économique, en l’occurrence sur la qualité substantielle des biens, par la limitation délibérée de leur durée de vie ; c’est l’obsolescence programmée dont parle M. Placé.

Voilà comment le Gouvernement entend concrètement lutter contre toutes les tromperies dont les consommateurs sont l’objet, en particulier l’obsolescence programmée.

Pour autant, je n’ignore pas la force des symboles. S’il ne m’apparaît pas forcément indispensable ni urgent de définir, en droit, l’obsolescence programmée, je comprends l’impact politique que peut avoir la proposition des membres du groupe écologiste. Nous débattrons de cette question lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Dans ce domaine, ma conviction n’est pas arrêtée. Il me semble important d’examiner toutes les conséquences juridiques que pourrait emporter votre proposition. Nous en ferons la demande aux services de Bercy.

M. Ronan Dantec. Très bien !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi agir au-delà de la seule lutte contre la tromperie économique. Nous devons favoriser l’émergence d’alternatives au « prêt-à-jeter ».

Monsieur Placé, vous proposez d’étendre la garantie légale de conformité de deux à cinq ans, puis de cinq à dix ans. Je suis plus réservé sur cette disposition, dont nous mesurons assez mal les incidences.

On peut objecter d’abord, avec toutes les précautions à prendre quant à ce que ce raisonnement induit, que cela ne ferait pas sens pour tous les produits. Peut-être faudrait-il davantage se focaliser sur ceux dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs attendent une durée d’usage de cinq ou dix ans.

Cela dit, je veux moi-même pondérer cet argument. Après avoir évoqué la nécessité de faire évoluer les modes de consommation, il n’est pas non plus absolument absurde d’imaginer que, demain, on attende davantage d’un bien dont on n’espère pas forcément aujourd'hui qu’il ait une durée de vie de cinq à dix ans : un fer à repasser, un grille-pain, une bouilloire… C’est un argument parfaitement audible ; nous y reviendrons sans doute lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.

Ensuite, les premières estimations amènent à considérer qu’augmenter d’une année la durée de la garantie légale renchérirait le coût du bien de 7 %. Pour une extension de deux à cinq ans, ce coût connaîtrait donc un renchérissement de 21 %. Il est assez légitime que le Gouvernement s’interroge, dans la période que nous connaissons, sur les tensions, en termes de pouvoir d’achat, que pourrait induire une telle mesure.

J’ajoute enfin que les distributeurs proposent souvent des extensions de garantie contractuelles. Ce sont des assurances payantes. Ainsi, les consommateurs qui le souhaitent peuvent – sur des produits pour lesquels cela fait sens – s’offrir volontairement une extension de garantie. Ce produit assurantiel est aussi une source de valeur importante pour des distributeurs. En effet, ces derniers, en raison de la concurrence de pure players – pardon pour cet anglicisme qui désigne les entreprises œuvrant uniquement sur internet –, vendent souvent quasiment à prix coûtant et créent de la valeur sur les services qu’ils rendent à côté.

Là encore, dans la période que nous connaissons, avec des distributeurs spécialisés qui sont fragilisés par les acteurs d’internet, je crois que nous devons mesurer les répercussions que certains bouleversements auraient sur l’économie du secteur. Sachez que je ne ferme aucune porte. Je demande simplement que l’on embrasse la totalité de la situation, dès lors que l’on pose la question de l’extension de la durée de la garantie légale de conformité, pour voir si cela pourrait entraîner des conséquences importantes en termes d’activité et d’emploi dans un certain nombre de secteurs, notamment celui de la distribution.

Pour autant, le signal prix est important, et nous avons là, sans doute, un levier à notre disposition.

J’entends votre proposition, monsieur le sénateur, de moduler l’éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent aujourd’hui, et cela est rendu possible par les statuts des éco-organismes, qui sont chargés de fixer cette éco-contribution. Il faut donc y travailler, et j’ai déjà engagé des discussions avec les différents acteurs de façon à déboucher sur une éco-contribution qui varie en fonction de la durée de vie du bien. Voilà un signal prix parfaitement rationnel, qui peut conduire un certain nombre de consommateurs à préférer un bien durable à un bien moins durable.

Pour en revenir aux garanties, je considère que le consommateur doit d’abord être parfaitement informé de l’existence des garanties légales existantes, ce qui n’est pas le cas.

On distingue, d’une part, la garantie légale de conformité prévue par le code de la consommation, selon laquelle le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance et, d’autre part, la garantie légale des vices cachés prévue par le code civil, en application de laquelle le vendeur est tenu de garantir la chose vendue à raison des défauts cachés qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine.

Le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai bientôt prévoit que les consommateurs disposeront d’une information complète sur leurs droits à garantie incluant, en sus de l’information sur la garantie légale de conformité, une information sur la garantie relative aux vices cachés qui sera indiquée tant sur les lieux de vente que dans les conditions générales de vente figurant dans les contrats de consommation. Cette information devra être claire et intelligible, afin de lutter contre des indications trompeuses sur la portée des droits légaux des consommateurs en matière de garantie.

Par ailleurs, je considère que le développement de modes de consommation plus responsables répond non seulement à une nécessité, mais aussi à une demande des consommateurs. En clair, consommer mieux est aussi une démarche citoyenne et volontaire, pour laquelle le consommateur s’érige – à raison ! – en acteur éclairé. Toutefois, trop souvent, des défauts d’information empêchent les consommateurs de faire leurs choix en toute connaissance de cause. Comment consommer de manière plus durable sans savoir si un appareil défectueux peut être simplement réparé au lieu d’être remplacé ? L’application effective des droits des consommateurs en matière de garantie implique un renforcement de l’information qui leur est donnée. Un consommateur que l’on informe est un consommateur auquel on rend sa liberté d’arbitrage, auquel on offre la possibilité d’être un acteur responsable.

Toujours avec le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai le 2 mai prochain, je proposerai de renforcer l’information des consommateurs sur l’existence et la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit. Les vendeurs seront également tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l’utilisation d’un produit pendant la période, indiquée par le fabricant ou l’importateur, durant laquelle ces pièces sont disponibles.

Aujourd’hui, en cas de panne d’un produit, le consommateur peut se retrouver dans l’impossibilité de l’utiliser, parce qu’il ne connaissait pas la période durant laquelle les pièces détachées sont disponibles et que celles-ci ne le sont plus.

Demain, lors de l’achat, le vendeur sera légalement tenu d’indiquer la période de disponibilité des pièces indispensables à l’utilisation du produit et de fournir ces pièces détachées au consommateur qui en fera la demande.

Quelle incidence concrète ? Mieux informé, le consommateur pourra orienter ses achats vers des produits plus durables. Ces mesures feront de la « réparabilité » des produits un critère d’achat des consommateurs. La concurrence entre les fabricants se fera donc également sur cette « réparabilité » des produits.

Ce cercle vertueux profitera aussi au secteur du réemploi. Pour un certain nombre de domaines de la consommation – ceux où la totalité des biens d’équipement achetés par nos concitoyens sont importés, ce qui se fabriquait ici l’étant désormais ailleurs –, nous développerons une filière de la réparation qui permettra, en quelque sorte, de relocaliser une partie des emplois délocalisés hier.

Cette disposition sera particulièrement favorable aux filières de l’économie sociale et solidaire, dont beaucoup d’acteurs sont leaders dans le domaine de l’économie circulaire, de l’économie verte et du recyclage. Ils sont même détenteurs de brevets. Je pense par exemple au recyclage des écrans plasma, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’association Vitamine T, qui dépend du groupe SOS. Voilà un acteur de l’économie sociale et solidaire qui non seulement insère des publics en difficulté dans l’emploi, mais qui est aussi capable d’innover technologiquement tout en étant utile sur le plan environnemental. Je le répète, favoriser des filières de la réparation sur notre territoire nous permettra de développer des emplois non délocalisables.

Voilà, en quelques mots, les mesures que je porterai très prochainement pour lutter contre l’obsolescence programmée et en faveur d’une croissance plus respectueuse de l’environnement et de nos ressources, qui est un moteur pour l’emploi en France.

Permettez-moi, pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous remercier de ces échanges et de saluer la qualité de toutes vos interventions, qui présagent de riches débats lors de l’examen du projet de loi sur la consommation, question fondamentale dès lors qu’on aborde le sujet de la transition de notre modèle et donc de nos modes de consommation et de production. Nous devons passer de cette économie du gaspillage – gaspillage humain, gaspillage des ressources naturelles – à une économie du sens et de la tempérance qui promeut d’autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.

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Débat sur la politique vaccinale de la France

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique vaccinale de la France, organisé à la demande de la commission des affaires sociales (rapport d’information n° 351) et du groupe socialiste.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la vaccination est, avec l’hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C’est un médicament nécessaire et moderne et un secteur de recherche particulièrement prometteur.

Face à cette conviction, la commission des affaires sociales a dû faire un double constat inquiétant. D’une part, la remise en cause incessante du vaccin et de la vaccination par des groupes divers dont certains, à tendance sectaire, sont relayés par internet. D’autre part, une certaine réticence au sein de la population : en 2012, le nombre de vaccins vendus paraît avoir baissé, malgré l’action des médecins et des services de la protection maternelle et infantile, la PMI.

C’est pour réaffirmer le besoin d’une politique vaccinale claire que la commission des affaires sociales a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui lui a été remis à la fin de l’année dernière.

En complément des propositions formulées par la Cour, notre commission en a ajouté d’autres : développer l’accès des populations en situation de précarité au vaccin ; simplifier le paysage institutionnel en matière de détermination de la politique vaccinale afin d’éviter les décisions contradictoires ; assurer rapidement la mise en place d’un carnet de vaccination électronique appuyé sur une base experte permettant d’individualiser des recommandations vaccinales et leur suivi ; mettre en place l’enseignement de la prévention en matière de santé à l’école dans les futures écoles supérieures du professorat et développer celui de la vaccination dans le cursus des professions de santé ; renforcer la recherche publique sur les vaccins et notamment sur leur sécurité ; assurer les conditions d’une solidarité efficace pour l’accès aux vaccins des pays en développement.

Nous souhaitons, madame la ministre, avoir votre avis sur ces propositions, qui viendraient s’ajouter au plan d’action mis en place par la direction générale de la santé.

En France, les maladies infectieuses qui ont durablement marqué les esprits et causé des milliers de morts au XIXe siècle et au XXe siècle, comme la variole, la poliomyélite ou le tétanos, ont été quasiment éradiquées – le nombre de cas de tétanos dans la population générale a été divisé par cinquante depuis 1946 – grâce à la vaccination. Ce résultat a pu laisser penser à certains que la vaccination n’était plus nécessaire.

Certes, le risque lié à certaines maladies infectieuses a considérablement diminué avec la baisse de leur prévalence. Le risque lié à la maladie – j’insiste sur ce point – demeure néanmoins plus important que le risque lié au vaccin lui-même. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Dans un monde sans frontières, l’éradication d’une maladie en France ne procure que l’illusion de la sécurité. Tant qu’une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, particulièrement s’il est endémique dans les pays en voie de développement, les épidémies sont susceptibles d’émerger à nouveau rapidement en France, et de manière dévastatrice, si la population n’y est plus protégée par l’immunité induite par le vaccin. La tuberculose ou la rougeole sont de nouveau la cause de nombreux décès. Je sais d’ailleurs que plusieurs de nos collègues interviendront sur ces aspects au cours du débat.

Deux constats découlent de cet état de fait : d’une part, je l’ai dit, la vaccination demeure un outil majeur de prévention ; d’autre part, une politique de prévention nationale implique nécessairement un renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement afin d’améliorer leur situation sanitaire.

Pour autant, la vaccination doit être utilisée à bon escient. Elle n’est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, c’est contre les virus que les vaccins se révèlent particulièrement nécessaires, l’action des antiviraux étant limitée. Mais même pour la protection contre les virus, l’étude du rapport coût-efficacité conduit parfois à privilégier d’autres stratégies thérapeutiques.

De fait, la couverture générale de la population n’est plus recommandée pour la plupart des vaccins. Les indications varient en fonction des situations épidémiologiques – le vaccin contre le papillomavirus ne protège pas contre les souches présentes en Guyane – et des populations les plus à risque.

En dehors des périodes d’émergence de nouveaux virus, dont la gravité et les cibles sont inconnues, les campagnes de vaccination massives sont désormais moins adaptées et moins bien perçues par l’opinion publique. À cet égard, le bilan critique de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 effectué par la Cour des comptes est significatif.

Il paraît donc essentiel d’adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population et d’agir sur les perceptions afin de lutter contre la propagande anti-vaccinale.

Le premier axe d’une politique vaccinale moderne doit être d’aller au plus près des populations dans leur diversité. La commission des affaires sociales recommande ainsi, comme la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l’assurance maladie, qui se consacrent désormais au suivi des populations précaires. Nous pourrions d’ailleurs, madame la ministre, si vous en êtes d’accord, déposer une proposition de loi pour recommander la possibilité de vaccination dans les centres de sécurité sociale pour les publics les plus démunis.

Le décalage entre la perception de la vaccination par ceux qui la pratiquent et la population générale a été souligné à maintes reprises. Des études plus poussées en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires afin de permettre de mieux orienter les politiques de santé publique et d’éviter toute politisation excessive des enjeux. Les travaux récents de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, sur l’amélioration du suivi du nombre de vaccinations dans notre pays me paraissent très encourageants. Ils doivent être soutenus.

Pour accompagner les personnes sur la voie de la vaccination, il nous semble également nécessaire de mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte Vitale, qui vienne appuyer les informations données par les professionnels de santé.

Au cours de mes auditions, j’ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Jean-Louis Koeck, médecin des armées, qui a créé avec une équipe comprenant plusieurs autres médecins un carnet de vaccination électronique et un site internet offrant une information experte et personnalisée aux particuliers et aux professionnels de santé. L’enjeu est non pas de disposer d’un simple recueil comptable du nombre de vaccinations, mais bien de permettre à chacun de savoir où il en est de sa vaccination et de pouvoir suivre l’évolution des recommandations vaccinales, dont la fréquence, selon la Cour des comptes, est susceptible de désorienter tant les particuliers que les professionnels de santé.

Ne pas faire ses rappels est en effet particulièrement grave en matière de vaccination, car la couverture immunologique ne peut être garantie. Ainsi, dans le cas du vaccin contre le papillomavirus, dont plus de 14 % des femmes seraient porteuses et qui est responsable du cancer du col de l’utérus, trois doses sont actuellement préconisées afin d’assurer la couverture immunologique. Or, bien que l’assurance maladie ait dépensé 34 millions d’euros pour ce vaccin, comme nous l’ont confirmé ses responsables lors de nos auditions, une part importante des jeunes filles ne va pas au bout du processus. Elles se trouvent ainsi sans protection suffisante et la dépense publique a été effectuée sans efficacité réelle.

Je regrette donc que l’initiative d’intérêt général que constitue le carnet vaccinal électronique, conçu par des professionnels de santé dans l’intérêt des patients et sans financement des laboratoires pharmaceutiques, ne reçoive pas plus d’écho au ministère de la santé. La création, longtemps repoussée, du dossier médical personnel ne semble pas avoir favorisé les initiatives innovantes.

J’ai également été frappé par la grande complexité du processus de prise de décision. Si ce problème est commun à toutes les questions relatives à la santé, il est accentué s’agissant de la vaccination. Ayant auditionné les responsables des principales structures intervenant en ce domaine, j’ai pu constater tant la grande expertise des personnes et la qualité du travail des équipes que la difficulté à délimiter clairement les frontières de compétences en matière vaccinale. De telles difficultés sont quotidiennes.

Il paraît important de distinguer, d’une part, les missions nécessaires à la définition d’une politique sanitaire efficace, qu’il importe de préserver et, d’autre part, les structures, qui, elles, sont susceptibles d’évoluer.

On peut distinguer quatre missions essentielles, qui sont autant d’étapes dans la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament. Or les structures actuellement en charge de ces missions sont distinctes, ont des statuts très variables – elles vont du simple comité d’expertise à l’autorité administrative indépendante – et des pouvoirs très variés, du simple conseil à l’autorité de police administrative.

À la lumière de ces auditions, j’estime possible – ce n’est qu’une suggestion, madame la ministre – de rattacher à la Haute Autorité de santé le Haut Conseil de la santé publique, le HCSP, dont fait partie le comité technique des vaccinations, le CTV. À condition que celui-ci conserve sa capacité de réponse rapide aux saisines du ministère de la santé, cela permettrait de limiter les possibilités d’avis divergents sans nuire à l’efficacité de la procédure. Cette réforme d’ampleur pourrait être débattue lors de l’examen du prochain projet de loi de santé publique. Pouvez-vous cependant d’ores et déjà nous dire ce que vous en pensez ?

Une formation à la santé dès l’école, non dans le cadre d’un cours magistral, mais sous la forme la plus participative et collective possible, permettant aux enfants de comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination, me semble être un moyen important de lutter contre la désinformation circulant sur internet. L’étude de la situation des pays en développement, où l’accès à la vaccination demeure une question primordiale de survie, devrait elle aussi permettre de rappeler l’importance des enjeux associés à ces questions. De même, une approche du fonctionnement des vaccins dans l’organisme, de leur histoire et de leur mode de fabrication devrait permettre de dissiper une partie des fantasmes circulant dans l’opinion publique.

La mise en place de cet enseignement suppose qu’un temps spécifique soit dégagé dans les programmes. Il implique également la formation des enseignants. Cela sera possible dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation prévues dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

De même, il conviendrait de faire en sorte que les médecins et les infirmières, qui sont appelés à pratiquer régulièrement la vaccination, soient eux-mêmes vaccinés. Peu d’entre eux l’étant, ils ont tendance à peu vacciner les personnes qu’ils suivent.

Afin de ne pas trop prolonger mon propos, je serai bref sur la recherche. Permettez-moi juste de rappeler que la recherche française, en raison de son savoir-faire historique et de nos capacités industrielles, est un élément majeur dans nos décisions. Les industriels du secteur s’inquiètent pourtant de ce que la France serait devenue « une puissance du vaccin sans direction » en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux Anglo-Saxons. Cette crainte est aussi celle de chercheurs. Les instituts de recherche publics ont ainsi décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau COREVAC, ou consortium de recherches vaccinales, qui vise notamment à fixer des axes de recherche fédérant les travaux des différentes équipes.

La recherche sur les vaccins curatifs ouvre également de nouvelles perspectives : des vaccins pourraient être utilisés contre des maladies dont la prévalence augmente, comme la maladie d’Alzheimer.

Enfin, je ne peux conclure mon propos sans évoquer l’une des raisons ayant justifié l’organisation de ce débat à la demande de la commission des affaires sociales.

Il faut traiter de manière rationnelle et scientifique la question de la sécurité des vaccins, qui inquiète tant l’opinion publique. Nombre d’entre nous ont été alertés sur les risques que ferait peser la présence de l’aluminium dans les adjuvants vaccinaux. À cet égard, nous avons entendu la réponse rassurante du professeur Maraninchi, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Or, madame la ministre, l’Association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages s’inquiète que les études complémentaires sur ce thème n’aient pas encore été mises en chantier. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Un vaccin DT-Polio sans aluminium est également attendu. Savez-vous quand les industriels pourront mettre un vaccin de ce type sur le marché français ? Le principe de précaution doit l’emporter sur tout enjeu industriel ou financier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à saluer chaleureusement Georges Labazée pour la qualité du rapport qu’il a aujourd’hui présenté. Son contenu riche, documenté, ainsi que l’ensemble de ses recommandations nous permettront, j’en suis certaine, de progresser encore dans le domaine de la politique vaccinale.

La vaccination est sans aucun doute l’une des plus grandes avancées des politiques de santé publique. Ce geste de prévention a permis de sauver des millions de vies. Il a joué un rôle majeur en enrayant la transmission de certaines maladies infectieuses et en participant à leur éradication.

Se vacciner, c’est évidemment d’abord se protéger individuellement : en stimulant le système immunitaire, le vaccin évite une éventuelle contamination dans l’avenir.

Se vacciner, c’est ensuite un acte solidaire : c’est protéger la collectivité dans son ensemble. Chacun d’entre nous porte une responsabilité en matière de santé publique. Chacun d’entre nous est un maillon de la chaîne de transmission.

Se protéger, c’est donc également protéger les autres, en particulier les plus fragiles. Je veux insister sur cette double dimension de la vaccination, qui n’est pas toujours perçue par nos concitoyens. C’est pourquoi une politique vaccinale doit toucher le plus grand nombre pour être efficace. Pour arrêter la transmission, éliminer une pathologie, le taux de couverture de la population doit atteindre un seuil de 80 %, voire de 90 % selon les maladies.

L’histoire vaccinale est intimement liée aux progrès de la santé publique. Les premiers vaccins, au XIXe siècle, ont permis de lutter contre la rage, la fièvre typhoïde, la peste, ces fléaux qui menaçaient autrefois régulièrement les populations. Mais c’est surtout au XXe siècle que les vaccins vont connaître leur plein essor. Ils deviennent une arme de prévention efficace contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la fièvre jaune, le typhus, la poliomyélite et la méningite.

Nous ne devons ni oublier ni banaliser les avancées majeures de santé publique qui ont été réalisées grâce à la vaccination. La variole, qui décimait des populations entières, a été éradiquée de la planète. Grâce aux vaccins, les décès par rougeole ont chuté de 71 % à travers le monde entre 2000 et 2011. Aujourd’hui, la diphtérie et la poliomyélite ont disparu de France.

Cette marche en avant n’est pas terminée pour autant. Grâce aux travaux de nos chercheurs, grâce aux avancées de la science, l’espoir de découvrir un vaccin contre la dengue, le paludisme ou le sida n’est plus illusoire. Nous ne savons pas à quel terme ce progrès sera accompli, mais il est aujourd'hui perceptible.

Les progrès de l’immunologie, de la biologie moléculaire et des biotechnologies ouvrent des horizons nouveaux et dessinent ainsi les contours d’une nouvelle révolution vaccinale pour le XXIe siècle. Toutefois, malgré les succès indéniables de la politique vaccinale, malgré les espoirs qui s’offrent à nous, nous devons absolument rester vigilants. C’est là le devoir des pouvoirs publics et des responsables politiques.

Aujourd’hui, les maladies couvertes par un vaccin n’effraient plus la population. Pourtant, contrairement aux idées reçues, certaines d’entre elles n’ont pas disparu. Ce n’est pas parce que les maladies ont régressé qu’elles ont disparu. En France, la rougeole est en nette recrudescence depuis quelques années, en particulier dans certaines régions.

M. Gilbert Barbier. Tout à fait !

Mme Marisol Touraine, ministre. Elle est à l’origine de décès, qui, pour n’être pas massifs, n’en sont pas moins effectifs. Les causes de cette augmentation sont clairement identifiées ; l’une d’entre elles est liée à une trop faible couverture vaccinale. Le sentiment que la maladie a disparu est tel qu’il ne paraît plus nécessaire de se vacciner contre elle. On oublie que, si l’on arrête de se vacciner, la maladie ressurgit parce qu’elle n’a pas disparu par magie !

Dans le même temps, la suspension de l’obligation vaccinale par le BCG, qui a peut-être été mal appréhendée par certains, a pu entraîner des cas graves de tuberculose chez des personnes pour qui la vaccination aurait dû être maintenue et qui n’ont pas été correctement protégées. Il faut noter néanmoins que l’InVS, qui suit cette évolution de près, n’a noté aucune augmentation de méningites tuberculeuses chez les enfants de moins de deux ans. Il n’empêche que des cas ont été identifiés, qui tiennent au fait que les préconisations apportées au moment du changement de la politique vaccinale en juillet 2007 n’ont pas été correctement respectées.

Par ailleurs, rappelons que onze millions d’enfants meurent chaque année de pathologies infectieuses à travers le monde. Plusieurs d’entre elles pourraient être combattues grâce à la vaccination.

Nous avons donc une responsabilité immense, celle de ne pas baisser la garde. Cela ne pourra pas se faire sans l’appui et la mobilisation des professionnels de santé, dont l’action est, évidemment, décisive en matière de politique vaccinale.

Nous devons en outre affronter des défis nouveaux dans le champ des politiques vaccinales.

Il nous faut d’abord faire face aux maladies émergentes, aggravées par la circulation rapide des personnes et des biens, par l’urbanisation, la dynamique démographique et le réchauffement climatique.

Nous sommes aussi confrontés à des cancers qui sont causés par des virus : c’est le cas des lymphomes, des cancers colorectaux, des leucémies ou des cancers du col de l’utérus.

Il nous faut également affronter certaines maladies infectieuses latentes, telles que la varicelle, où le virus survit dans l’organisme, mais menace de se réactiver à chaque instant. Des vaccins ont la capacité de prévenir ces réveils chez les sujets les plus fragiles.

Pour toutes ces raisons, la politique vaccinale est et doit rester une priorité de santé publique pour le Gouvernement.

Notre pays dispose, je le disais, d’une couverture vaccinale de qualité. Néanmoins, il existe de grandes disparités selon le type de vaccin.

La vaccination des nourrissons reste excellente, puisqu’elle dépasse le seuil des 97 % pour la primo-vaccination. Les vaccins les plus anciens sont également bien prescrits. Cependant, la couverture vaccinale tend à diminuer pour les vaccins introduits plus récemment et perçus comme « simplement recommandés », si j’ose dire. C’est le cas, par exemple, du HPV et du méningocoque C. On observe également de grandes différences de taux de couverture entre les jeunes et les adultes : on se vaccine moins au fur et à mesure qu’on avance dans la vie.

En outre, de grandes inégalités sévissent entre nos territoires. Le taux de vaccination pour le ROR – rougeole, oreillons, rubéole – est, par exemple, beaucoup plus élevé dans le nord que dans le sud de la France. De fait, on a vu réapparaître des cas de rougeole dans le sud de notre pays.

Comment expliquer ces dysfonctionnements ?

D’abord, il est indéniable que la réticence aux vaccinations s’amplifie. Elle se fonde sur des raisonnements non scientifiques, voire irrationnels, ou sur l’expérience personnelle. Dans le même temps, les débats qui ont pu accompagner la mise en place de nouvelles vaccinations ont été parfois à l’origine de désinformation. Nous devons donc garantir à nos concitoyens une information de qualité, transparente et objective sur les vaccins et les risques éventuels qui peuvent être liés à la vaccination, tout en rappelant les avantages individuels et collectifs de ces vaccinations.

Ensuite, les recommandations à suivre ne sont pas toujours lisibles. Leur lecture est difficile, autant pour les Français que pour les professionnels de santé, qui sont, au quotidien, confrontés à la nécessité de vacciner ou à la demande de vaccination. Pourquoi une vaccination, qui était jusque-là obligatoire, devient-elle subitement recommandée ? Comment suivre avec certitude et sur le long terme le nombre d’injections à réaliser, avec les phénomènes de rattrapage ? Je ne suis d’ailleurs pas certaine, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous seriez tous capables de dire, si nous procédions à un rapide test, où vous en êtes dans vos rappels de vaccinations, obligatoires ou simplement recommandées. (Sourires.)

Je veux donc améliorer la couverture vaccinale des Français. Une stratégie nationale de santé se met en place, qui repose sur une notion essentielle, celle du parcours. En matière de vaccination aussi, il s’agit de rendre plus simple, plus accessible, plus lisible le parcours vaccinal des Français.

Cette politique doit s’articuler autour de plusieurs mesures.

La première, c’est la simplification et la clarification du calendrier vaccinal. C’est chose faite, puisqu’un nouveau calendrier vaccinal a été annoncé voilà quelques jours, qui doit permettre de diminuer le nombre d’injections pour une efficacité équivalente.

S’agissant des nourrissons, la primo-vaccination comportera une injection en moins : elle sera composée de deux doses de vaccin, espacées de deux mois, et d’un rappel, au lieu de trois doses de vaccin et d’un rappel. Pour les enfants et les adolescents, le rappel de vaccination entre seize et dix-huit ans contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite est supprimé. Enfin, les rendez-vous vaccinaux seront fixés pour les adultes à âge fixe et non plus à intervalles fixes, c’est-à-dire à vingt-cinq, à quarante-cinq et à soixante-cinq ans, puis tous les dix ans au-delà de soixante-cinq ans : à soixante-quinze, à quatre-vingt-cinq, à quatre-vingt-quinze ans et, pourquoi pas, à cent cinq ans…

Cette simplification concourra à une meilleure adhésion aux schémas vaccinaux. Ce travail ne s’est pas fait sans les professionnels de santé : ils ont été informés, en amont, des évolutions du calendrier vaccinal et disposent des informations leur permettant de répondre aux questions concrètes de leurs patients, notamment en termes de rattrapage. Si je suis entre deux âges de rappel, dois-je me revacciner tout de suite ou attendre la prochaine échéance ?

Pour sensibiliser nos concitoyens à ces nouveaux changements, la semaine européenne de la vaccination, qui est actuellement en cours, est l’occasion d’informer les Français, dans chaque région, sur les évolutions du calendrier.

La deuxième mesure, c’est d’autoriser les centres d’examens de santé de l’assurance maladie, dans lesquels l’accès aux soins est gratuit, à réaliser des vaccinations. C’est d’ailleurs le sens de l’une de vos propositions, monsieur le rapporteur, à laquelle je suis très favorable. Cependant, dans son avis du 15 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale, considérant que cet article constituait un cavalier législatif.

Ce dispositif n’ayant pas pu entrer en vigueur, nous avons besoin d’un vecteur législatif. Je suis ouverte quant à la démarche législative qu’il convient d’adopter, monsieur le rapporteur : il peut s’agir d’une initiative parlementaire ou d’une disposition dans le projet de loi de santé publique annoncé par le Président de la République. Nous pouvons engager des discussions sur ce point. Cette mesure doit en tout cas permettre d’enrichir encore l’accès à la vaccination, en particulier pour les personnes en situation de précarité.

La troisième mesure à prendre pour améliorer la couverture vaccinale concerne le carnet de vaccination électronique.

Nous devons travailler au suivi des vaccinations et faire en sorte que ce suivi puisse se faire par le biais d’un carnet de vaccination électronique. Nous savons bien que toute la population ne sera pas concernée d’emblée de la même façon ; les parents des tout jeunes enfants sont sans doute aujourd’hui davantage sensibles à cette démarche que les personnes d’âge mûr qui ont déjà réalisé toute une série de vaccinations.

Cette démarche s’inscrit dans la perspective de la mise en place d’un l’outil interprofessionnel constitué par le dossier médical personnel de deuxième génération, sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer.

Une piste à expertiser concerne la possibilité d’utiliser, pour le suivi de la vaccination, le dossier pharmaceutique, au moins dans un premier temps. Cet outil, qui permet de suivre les délivrances de médicaments, a été développé, vous le savez, par l’ordre des pharmaciens. Mobiliser cet outil permettrait d’anticiper, sachant qu’il existe d’ores et déjà 23 millions de dossiers pharmaceutiques qui, réglementairement, ont vocation à alimenter le dossier médical personnel.

Enfin, la quatrième mesure vise à élargir le nombre de professionnels pouvant prescrire et réaliser des vaccinations.

Depuis 2008, les infirmières sont autorisées à prescrire la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière, à l’exception de la première injection. Il s’agit d’une première avancée.

Par ailleurs, le regroupement des professionnels au sein des maisons de santé pluridisciplinaires permet indiscutablement de fluidifier le parcours vaccinal.

Nous pouvons aller plus loin encore et renforcer les actions de proximité permettant d’augmenter significativement la couverture vaccinale. Plusieurs pistes sont aujourd’hui en cours d’expertise : il s’agirait, par exemple, de permettre aux sages-femmes de prendre en charge la vaccination de l’entourage d’une femme enceinte ou encore d’autoriser une vaccination par un infirmier au sein d’une pharmacie.

Il serait aussi envisageable, comme cela a été préconisé dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juin 2011 sur les pharmacies d’officine, de permettre aux pharmaciens d’effectuer, sur leur propre initiative, des rappels de vaccination chez les patients adultes, comme cela est déjà possible au Portugal depuis plus de cinq ans. Dans ce pays, plus d’une vaccination contre la grippe sur cinq a été réalisée dans les pharmacies et 13 % des patients ainsi vaccinés ne l’avaient pas été par le passé. Naturellement, ces perspectives doivent être étudiées de manière concertée avec l’ensemble des professionnels de santé, médecins et non médecins.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons à garantir la qualité de la vaccination et à réaffirmer la nécessité, en matière de santé publique, de toujours améliorer la couverture vaccinale de notre pays. Raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je vous renouvelle mes remerciements et mes félicitations tant pour la qualité de votre rapport que pour votre initiative d’engager un débat sur ce sujet crucial.

Bien évidemment, je me tiens prête à répondre à l’ensemble des questions qui me seront posées au cours de ce débat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné notre collègue Georges Labazée, notre débat fait suite à l’enquête de la Cour des comptes relative à la politique vaccinale de la France, demandée par Annie David.

À mon tour, je tiens à saluer notre rapporteur pour le travail effectué. Il s’agit d’un rapport de qualité, renfermant un certain nombre de recommandations telles que, par exemple, l’instauration d’un carnet de santé électronique permettant un meilleur suivi, et je me réjouis, madame la ministre, que vous en repreniez certaines.

La tenue de ce débat est tout à fait pertinente. En effet, même si l’objectif premier de santé publique peut être largement partagé, il n’en reste pas moins que des questions se posent.

Cela a été dit, la vaccination en France remonte à un peu plus de deux siècles. L’obligation vaccinale, quant à elle, est beaucoup plus récente et, finalement, très restreinte puisqu’elle ne concerne que trois vaccins – diphtérie, tétanos, poliomyélite – essentiellement destinés aux enfants. Elle a été un outil essentiel pour faire disparaître les grandes pandémies du passé. Toutefois, nous assistons aujourd’hui à une recrudescence de certaines maladies que l’on croyait révolues. Je pense moi aussi à la rougeole, dont le taux d’incidence a été très élevé en 2011.

Il s’agit donc de se donner les moyens d’assurer, collectivement et nationalement, une politique constante dans le temps et destinée à tous. L’équation est simple : il faut faire en sorte que chacun participe à la préservation de la santé de tous. Cela suppose la mise en œuvre d’un principe fondamental : l’adhésion de la population. Cette vaccination doit être consentie.

Nos concitoyennes et concitoyens doivent clairement percevoir l’avantage de la vaccination au regard du risque encouru. L’une des questions qui se pose aujourd’hui est celle de savoir comment développer un meilleur dispositif d’information pour faire – ou refaire – prendre conscience de l’intérêt d’une vaccination à tous les âges de la vie, alors même que des politiques de désinformation, clairement anti-vaccins, sont menées.

Bien entendu, dans un monde où le pouvoir de circuler est plus grand que jamais, notre politique ne peut se penser et se mener dans un cadre qui se limiterait à nos frontières. Nous devons prendre en considération les pays en voie de développement qui n’ont pas, eux, les moyens financiers de protéger leur population. Nous ne pouvons apparaître comme ceux qui choisissent la non-vaccination alors que des populations, des enfants, meurent faute de vaccins.

Pour mener une politique de prévention vaccinale ambitieuse et efficace, il faut donc tenir compte des polémiques, du rapport des Français à la vaccination, qui font que la France est aujourd’hui en retard sur ses voisins européens.

Il est évident que le scandale lié à la grippe A H1N1 et à la mauvaise gestion des vaccins, pour ne pas dire au gâchis occasionné, a eu un effet très négatif sur la confiance des Français. Pour mémoire, la France, via la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, a commandé 94 millions de vaccins – plus 34 millions optionnels – pour 2010 auprès de trois laboratoires : Sanofi Pasteur, GlaxoSmithKline et Novartis.

À l’époque, une véritable campagne médiatique et politique s’est mise en mouvement pour créer et entretenir un climat de peur, voire une menace de pandémie mondiale. La catastrophe sanitaire d’ampleur attendue ne s’est finalement pas produite – c’est heureux ! –, tandis que des mesures disproportionnées étaient prises prétendument au nom du principe de précaution. Au final, moins de 8 % des Français se sont fait vacciner, et nous nous sommes retrouvés avec un nombre élevé de doses de vaccins en surplus. Le coût global de cette campagne de vaccination en France – vaccins et antivirus, communication renforcée, charges des salles réquisitionnées, coût du personnel,... – a été estimé à 2,2 milliards d’euros.

Si nos concitoyens ont sans doute eu peur du danger potentiel de ces vaccins mis rapidement sur le marché, je crois surtout qu’ils n’ont pas été dupes de l’intérêt de certains laboratoires à jouer sur les peurs afin de créer un effet de panique, dans lequel la course au vaccin l’emporte sur l’efficacité réelle. Les profits générés ont été colossaux, tant les prix des vaccins, imposés par les laboratoires, ont été exorbitants.

Tout cela a été complètement décrédibilisant. Plus encore en sachant que trois « experts » du comité de lutte contre la grippe, chargé de conseiller le gouvernement, étaient eux-mêmes impliqués dans la fabrication de ces vaccins. Les intérêts financiers ont été clairement privilégiés, soit l’exact contraire de ce qu’il faut faire, comme cela a été très bien rappelé et démontré dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat, présidée par notre ancien collègue François Autain.

Ce rapport a mis en lumière le poids des lobbies ainsi que l’acceptation, par les décideurs politiques et administratifs, de contrats commerciaux trop contraignants. II faut donc dénoncer avec la plus grande fermeté ces fameux conflits d’intérêts dans un domaine si sensible de santé publique.

La conclusion que nous pouvons tirer de cette histoire est qu’il est absolument indispensable de lever tous les doutes, aussi bien sur la façon dont est décidée une politique de vaccination, que sur le contenu et l’innocuité des vaccins. Je pense notamment aux actions menées depuis plusieurs années par l’association Réseau vaccin hépatite B, ou REVAHB, qui regroupe les victimes du vaccin de l’hépatite B.

Nous sommes plusieurs parlementaires, notre rapporteur l’a rappelé, à avoir été interpellés par l’association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages, sur les dangers des sels d’aluminium utilisés comme adjuvants dans les vaccins. Les membres de cette association ont alerté l’opinion publique trois mois durant, l’hiver dernier, en entamant notamment des grèves de la faim, en vue de dénoncer des dangers réels désormais connus et reconnus.

L’Académie de médecine elle-même admet depuis juin 2012 que l’aluminium utilisé dans les vaccins atteint le cerveau, ce qu’elle réfutait jusqu’alors. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 21 novembre 2012, a reconnu l’imputabilité de la myofasciite à macrophages à l’injection d’un vaccin contre l’hépatite B contenant des adjuvants aluminiques. Le groupe d’études sur la vaccination mis en place par l’Assemblée nationale a recommandé qu’un moratoire soit institué sur l’utilisation des sels d’aluminium dans les vaccins.

Vous-même, madame la ministre, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, reconnaissiez que les familles devaient « également avoir le choix de faire procéder aux vaccinations obligatoires par des vaccins sans sel d’aluminium, d’autant plus que cela était le cas jusqu’en 2008 ». Vous vous êtes depuis engagée, d’une part, à ce que la recherche menée par l’unité INSERM U 955 de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil, bénéficie en 2013 d’un financement spécifique sur les crédits de l’Agence nationale de sécurité du médicament et, d’autre part, à ce qu’un comité de pilotage se constitue très rapidement.

Pouvez-vous nous préciser le calendrier de mise en place de ce comité de pilotage et du comité scientifique qui s’impose ? Cela semble d’autant plus primordial que les agences sanitaires que vous avez interrogées reconnaissent que les vaccins à base d’aluminium sont à l’origine d’une lésion focale au niveau du point d’injection qui constitue la myofasciite à macrophages, mais que, selon ces mêmes autorités sanitaires, l’expertise scientifique disponible à ce jour n’apporte pas d’arguments pour une atteinte systémique secondaire responsable d’un syndrome clinique identifié. Les travaux attestant du contraire ne manquent pas, et il est donc nécessaire de réunir au plus vite ce comité scientifique.

De même, quelle action comptez-vous prendre vis-à-vis de Sanofi afin que le DT-Polio sans aluminium soit remis en circulation ?

Nous aurions également souhaité que vous nous précisiez – bien que vous ayez déjà quelque peu abordé cette question – quelles mesures faisant partie du programme national d’amélioration de la politique vaccinale 2012-2017 ont déjà été mises en œuvre et quels objectifs chiffrés en matière de santé publique vous en attendez ?

Vous l’aurez compris, pour le groupe CRC, il ne s’agit ni de diaboliser les vaccins ni d’en sous-estimer les potentiels effets nocifs, mais de prendre conscience qu’une politique vaccinale est une politique de santé publique pour laquelle toutes les précautions doivent être prises, de la surveillance épidémiologique à la pharmacovigilance.

Permettez-moi de vous soumettre une proposition : afin d’empêcher les conflits d’intérêts, pourquoi ne pas créer un comité public de la vaccination composé d’élus, d’associations d’usagers, de scientifiques médicaux et non médicaux, bref, une instance indépendante et impartiale ? C’est ainsi que nous redonnerons entièrement confiance à la population. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat intervient en pleine semaine européenne de la vaccination à l’occasion de laquelle l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, a lancé une campagne de sensibilisation à destination des Français. Cette campagne est bienvenue au regard du bilan de la politique vaccinale récemment dressé par la Cour des comptes, qui révèle des résultats plutôt contrastés en matière de couverture vaccinale, comme cela a été évoqué par notre rapporteur.

S’ils sont satisfaisants pour les maladies traditionnelles à vaccination obligatoire, ces résultats sont en revanche alarmants pour la rougeole, comme en témoigne la résurgence de cette maladie entre 2008 et 2011, et très insuffisants en ce qui concerne l’hépatite B et le cancer du col de l’utérus, pour lesquels les objectifs fixés ne sont pas atteints. À cet égard, la comparaison avec les autres pays d’Europe reste peu flatteuse, notamment pour trois groupes dont les taux de couverture n’atteignent pas les minima requis : les catégories défavorisées, les adolescents et les jeunes adultes.

Certaines régions, Mme la ministre l’a évoqué, disposent d’une couverture vaccinale plus faible que d’autres. Cette situation doit d’autant plus nous interpeller que le regard porté par l’opinion publique sur le vaccin a évolué en Europe et en France.

Des réticences idéologiques à la vaccination se sont toujours exprimées, qu’il s’agisse de doctrines naturalistes, hygiénistes ou libertaires, mais il s’agit aujourd’hui d’un mouvement plus large. Au temps des ravages de la tuberculose, on parlait de « défense sanitaire ». Aujourd’hui, le souvenir de ces grandes épidémies s’efface et l’intérêt de la vaccination est moins perceptible. La balance bénéfice-risque est souvent remise en cause, entraînant un manque de confiance croissant.

Les atermoiements lors de la pandémie de grippe A H1NI de 2009 y ont été sans doute pour quelque chose, il faut le reconnaître. Qu’en est-il aujourd’hui de l’arrêt de la vaccination contre l’hépatite B dans les écoles, décision qui jeta la suspicion sur le vaccin ? Que dire enfin du recul insuffisant pris lors du lancement du vaccin contre les papillomavirus, qui ne couvre que quatre génotypes alors qu’il en existe plus d’une centaine ? Voilà qui est propre à nourrir tous les scepticismes, d’autant que le vaccin est recommandé aux très jeunes filles pour prévenir le cancer du col de l’utérus, lequel ne se révélera généralement que vers l’âge de quarante ans. Les niveaux de couverture vaccinale sont beaucoup plus élevés dans les pays qui vaccinent à l’école.

Internet n’est pas non plus étranger à ce phénomène de désaffection, car de nombreuses contrevérités y circulent sans contrôle. La commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée sur l’initiative du groupe du RDSE, a révélé que les sites les mieux référencés en matière de vaccination sont ceux de groupes anti-vaccinaux.

Jacques Mézard, le rapporteur de cette commission, s’est étonné à juste titre de l’impunité dont bénéficient ceux qui appellent publiquement à contourner les règles et donnent des adresses de médecins délivrant des certificats de complaisance. Il a surtout regretté l’insuffisante accessibilité de l’information officielle, susceptible d’éclairer les citoyens avec des données objectives. Manifestement, les sectes et les charlatans ont compris, mieux que les pouvoirs publics, tous les enjeux d’un bon référencement sur la toile.

Il faut un discours politique de conviction, des messages d’alerte sur les dérives thérapeutiques et un meilleur contrôle des informations sur les sites certifiés HONcode. Aujourd’hui, la communication publique reste trop intermittente ; l’INPES, a très peu de moyens et laisse, du coup, le champ libre aux campagnes publicitaires privées qui jouissent d’une moindre crédibilité et ne reflètent pas toujours, loin s’en faut, les impératifs de santé publique.

La loi de 2011 encadre et limite la publicité non institutionnelle, mais le Haut Conseil de la santé publique s’y oppose fermement. Quelle est votre position sur ce point, madame la ministre ? Dans le rapport du HCSP sur les maladies émergentes, des anthropologues analysent les résistances des populations à la prévention vaccinale et le chemin qu’elles parcourent jusqu’à l’acceptabilité sociale.

On ne saurait se contenter d’asséner des affirmations sur la nécessité de se faire vacciner. Il faut comprendre les mécanismes du refus, grâce à des recherches menées notamment dans le champ de la sociologie. La France, il faut le reconnaître, est très en retard dans ce domaine.

Notre collègue Georges Labazée a fait un très bon rapport sur la politique vaccinale, dont je partage tout à fait les conclusions. Je l’en félicite !

Il propose, d’abord, de simplifier le paysage institutionnel. La dispersion des acteurs et le manque de coordination sont les principaux défauts de la politique de prévention, comme d’ailleurs, plus généralement, de la politique de santé. Je l’ai souvent dénoncé dans cet hémicycle.

Il propose, ensuite, de renforcer la recherche publique sur les vaccins. L’élu du pays de Pasteur que je suis ne peut oublier l’immense pas en avant que ce personnage à fait faire à la médecine. Aujourd’hui, rien qu’en ce qui concerne les trois principaux fléaux infectieux mondiaux – le paludisme, le sida et la tuberculose –, nous sommes toujours en situation d’échec pour les deux premiers. Pour le dernier, l’efficacité du BCG a été atténuée par la mutation du bacille.

C’est dire le défi qui nous attend, surtout à l’heure des maladies infectieuses émergentes et réémergentes, des cancers et des maladies qui ne sont ni infectieuses ni tumorales, comme la maladie d’Alzheimer.

La France a des atouts. Elle dispose de centres de recherche importants, cela a été souligné par M. le rapporteur, tels l’Institut Pasteur, le biopôle de Lyon et plusieurs universités cotées. Mais, de l’aveu même de ces acteurs, cette recherche souffre d’une trop grande fragmentation, d’un manque de visibilité, d’un financement peu satisfaisant. Il faut sans doute commencer par améliorer les vaccins existants pour les rendre plus efficaces et sûrs, et travailler, je l’ai déjà dit, sur leur acceptabilité.

S’agissant de la sécurité, une meilleure évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation d’adjuvants aluminiques dans les vaccins, ce sujet vient d’être évoqué, mérite d’être mise en place. Existe-t-il des preuves d’une possibilité de toxicité neurologique de l’aluminium vaccinal ? Les nouveaux adjuvants réclament aussi quelques éclaircissements.

Enfin, un programme national d’amélioration de la politique vaccinale a été défini pour la période 2012-2017. Les orientations générales retenues dans le cadre de ce programme consistent le plus souvent en la formulation de vœux, certes louables, en l’énumération de problématiques, du reste très pertinentes, plutôt qu’elles ne forment un véritable programme opérationnel.

Vous avez présenté une réforme du calendrier de vaccination ; elle est une première réponse à la nécessité de sensibiliser aux enjeux, mais elle ne saurait suffire. La Cour des comptes a fait des recommandations, notamment pour rendre plus efficace la communication sur la vaccination et en améliorer la prise en charge. Quelles suites comptez-vous y donner ?

Nous attendons une action vigoureuse témoignant de l’engagement sans faille des pouvoirs publics et des autorités scientifiques en faveur de la vaccination, qui a fait ses preuves pour certaines maladies et qui doit permettre, par l’innovation, de protéger les populations de celles à venir. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais avant tout à saluer l’excellent rapport de notre collègue Georges Labazée, qui porte sur cette très importante question de santé publique : la politique de vaccination française.

Depuis un peu plus de deux siècles, la vaccination a permis de combattre ou d’éradiquer des maladies très graves et meurtrières.

Comme tout médicament, le vaccin a un effet thérapeutique et permet aux individus de développer une protection immunitaire contre une maladie infectieuse, ce qui comporte, pour eux, un moindre risque que de la contracter. Certaines maladies peuvent ainsi être prévenues et finir par disparaître à l’échelle mondiale.

Dans un monde où les frontières tendent à disparaître, il serait cependant illusoire de penser qu’il est possible d’éradiquer une maladie du territoire français. La vaccination reste donc un outil majeur de prévention. Cela implique le renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement, afin de les aider à améliorer leur situation sanitaire.

Par ailleurs, la vaccination, notre collègue Georges Labazée le souligne bien dans son rapport, n’est pas toujours la méthode la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. En effet, on peut parfois privilégier d’autres stratégies. En outre, les indications de vaccination varient en fonction des situations épidémiologiques et des populations les plus à risque. À ce titre, le bilan critique que la Cour des comptes dresse de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 est significatif.

Il est impératif d’être très vigilant à chaque étape de la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament.

Je ne peux qu’insister sur l’importance des études indépendantes et sur l’attention à porter sur les possibles conflits d’intérêts, notamment au sein du comité technique des vaccinations. À ce sujet, le rapport de la Cour des comptes indique que « […] l’article L. 1421-3-1 du code de la santé publique […] proscrit toute participation aux délibérations et aux votes, aussi bien en cas d’intérêt direct qu’indirect, et sans distinguer selon l’intensité du conflit. L’importance des intérêts en jeu en matière de vaccin exige à cet égard qu’une vigilance toute particulière soit accordée à cette question par le Haut Conseil de santé publique et le CTV ».

La vaccination n’est pas sans risque. En tant que médicament préventif, il s’adresse principalement à une population jeune et en bonne santé, à laquelle il peut faire courir, pour un bénéfice éventuel et différé, un risque immédiat. Les cas de scléroses en plaques contractées à la suite d’une vaccination contre l’hépatite B l’ont bien montré.

Je souhaiterais ici aborder un cas, certes particulier, mais qui a le mérite de nous éclairer sur la nécessité d’être vigilants sur les dangers des adjuvants, notamment ceux induits par les sels d’aluminium.

L’association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages réalise un important travail, qui s’appuie sur l’expérience des malades et sur des études publiées en France et aux États-Unis. Cette pathologie très invalidante est déclenchée par l’hydroxyde d’aluminium. Dans la mesure où une prédisposition génétique est suspectée, il paraît indispensable que toute personne atteinte ainsi que les membres de sa famille utilisent des vaccins sans aluminium.

Selon des chercheurs du MIT, les vaccins adjuvantés sur aluminium pourraient également être impliqués dans la survenue de nombreuses autres pathologies.

L’obligation vaccinale ne concerne désormais plus, en France, que trois vaccins : diphtérie, tétanos, polio. Un enfant n’est pas admis à l’école s’il n’est pas vacciné.

Jusqu’en juin 2008, le vaccin DT-Polio de Sanofi Pasteur MSD ne contenait pas d’adjuvant aluminique. Il correspondait ainsi au besoin des enfants présentant un risque familial de pathologies induites par les sels d’aluminium. Le 12 juin 2008, le laboratoire a décidé de suspendre « temporairement » la distribution de ce vaccin, à la suite d’« une augmentation du nombre de signalements de manifestations allergiques observées jusqu’à 24 heures suivant la vaccination depuis le début de l’année 2008 ».

La suspension fut suivie d’un « arrêt de commercialisation », bien que l’autorisation de mise sur le marché reste encore valide. Néanmoins, les informations lacunaires obtenues par l’association ne permettent pas de comprendre cette décision. Il semble en effet que seuls un à trois cas graves supplémentaires aient été constatés cette année-là, sur un seul lot de vaccins.

On observe, plus largement, que le fabricant a choisi de faire disparaître tous ses vaccins sans sels d’aluminium et de ne plus utiliser que cet adjuvant, sans doute dans le but de rationaliser et de simplifier sa production, en ayant une ligne unique. Les médecins sont donc obligés de pratiquer des vaccinations obligatoires avec des vaccins comportant des sels aluminiques, qui, plus chers, engendrent un surcoût pour la sécurité sociale d’au moins 3 millions d’euros par an. Il nous paraît donc urgent de remettre sur le marché un vaccin alternatif qui ne contienne pas cet adjuvant, dans le cadre, par exemple, d’une commande publique, afin de garantir à chacun l’accès à un vaccin sans adjuvant de sels métalliques. Les produits existent déjà.

Madame la ministre, envisagez-vous une action du Gouvernement sur ce point ? L’équipe qui avait commencé à approfondir la recherche en la matière pourra-t-elle avoir les moyens de poursuivre ses travaux ?

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le récent rapport de notre collègue Georges Labazée nous permet de débattre cet après-midi de la politique vaccinale de la France. Toutefois, avant d’aborder celle-ci en tant que telle, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel elle s’inscrit.

Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années pour protéger la santé des populations par la prévention vaccinale des maladies infectieuses. Cette amélioration repose sur plusieurs facteurs, que nous connaissons tous : l’amélioration des conditions d’hygiène de vie, l’antibiothérapie et la vaccination. Cependant, force est de constater que la place de la vaccination est sous-estimée, voire contestée, parfois pour des raisons justifiées.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres fournis par l’Organisation mondiale de la santé pour illustrer les enjeux de la vaccination.

La vaccination permet de prévenir, chaque année, entre 2 et 3 millions de décès liés à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche, à la rougeole, aux oreillons et à la rubéole. Elle concerne un plus grand nombre d’enfants qu’auparavant. En 2010, l’OMS estimait à 109 millions le nombre d’enfants de moins d’un an ayant reçu trois doses de vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche. Malheureusement, en 2008, encore 1,7 million d’enfants étaient décédés d’une maladie évitable par la vaccination avant d’avoir atteint leur cinquième anniversaire.

Grâce aux efforts d’éradication de la poliomyélite, plus de 7 millions de personnes marchent aujourd’hui, alors que, sans vaccin, elles seraient paralysées, et l’incidence de cette maladie a reculé de 99,8 %. L’éradication totale de la poliomyélite permettra d’économiser une somme estimée à 50 milliards de dollars à l’horizon de 2035, pour l’essentiel dans les pays en développement.

Ces chiffres nous rappellent que la France doit continuer à encourager l’accès des pays en voie de développement aux vaccins.

Il y a eu de nombreux rapports sur la politique vaccinale nationale, avec des recommandations précises pour l’améliorer. Je pense notamment au travail que notre ancien collègue Paul Blanc a réalisé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, en 2007. Je pense également au dernier document en date, le rapport Labazée : plusieurs des solutions proposées rejoignent en grande partie les recommandations que la Cour des comptes a émises dans son enquête du mois d’octobre 2012. Cela représente un large panel de mesures, couvrant à la fois la couverture vaccinale, la politique de remboursement des produits, la communication et le calendrier vaccinal.

Il faut souligner le caractère paradoxal de notre politique vaccinale. D’une part, la France possède une expertise reconnue en matière de vaccins ; notre pays applique une véritable politique vaccinale avec la mise en place d’un calendrier exigeant pour protéger au mieux la population. D’autre part, et Gilbert Barbier le soulignait, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce dispositif : un discours protestataire trouve un écho favorable auprès des Français pour rejeter des vaccins à l’efficacité vérifiée et douter de l’utilité de la vaccination. La situation est inquiétante dans un pays où, chaque année, le tétanos cause encore des décès et où la tuberculose frappe des milliers de personnes.

À titre personnel, j’estime que certaines décisions en matière de vaccination ont été catastrophiques. Selon moi, la suppression de l’obligation de vaccination par le BCG contre la tuberculose a été une grave erreur, même si la mutation du bacille a diminué l’efficacité du vaccin.

Ainsi, malgré la qualité de notre système de santé en la matière, le bilan de notre politique vaccinale est loin d’être satisfaisant. Selon la Cour des comptes, les objectifs vaccinaux établis dans une perspective quinquennale, en annexe de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ont été définis « de manière trop uniforme » et leur degré de réalisation a été décevant, dans le cadre national comme au regard des comparaisons internationales. L’objectif de couverture de 95 % de la population générale n’a été que « partiellement évaluable ». Mais lorsqu’il est intégralement mesurable, comme pour la vaccination des enfants de deux à six ans, l’objectif n’est que partiellement atteint. Les points noirs sont le très faible taux de vaccination contre l’hépatite B et l’insuffisance des primo-vaccinations contre la rubéole, les oreillons et la rougeole, qui distinguent négativement notre pays dans les comparaisons internationales.

Madame la ministre, le ministère de la santé vient de publier un nouveau calendrier vaccinal simplifié. Vous l’avez précisé dans votre intervention, ce dont je vous remercie.

Par ailleurs, le taux de couverture contre la grippe saisonnière est inférieur dans tous les groupes cibles – ALD, professionnels de santé, plus de soixante-cinq ans – à 75 %. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement entend redéfinir les objectifs spécifiques par type de population fragile ?

Pour illustrer la complexité de la définition et de la mise en œuvre de la politique vaccinale, permettez-moi de revenir sur la campagne de vaccination de 2009 contre la grippe A H1N1.

À l’occasion du bilan de la campagne, j’ai présenté, sous la présidence de François Autain, un rapport d’information sur l’étude de la Cour des comptes, qui était plus particulièrement ciblé sur les fonds utilisés. Cela m’a permis d’analyser les faiblesses de l’organisation de la communication interministérielle. Le plan national « Pandémie grippale » ne prévoyait aucune mesure ni procédure de définition d’une stratégie de communication. Toutefois, la communication centrée sur l’information du public et la promotion des gestes barrières ont été efficaces durant les premières phases de la crise. En revanche, l’absence de fichier des coordonnées téléphoniques ou électroniques des médecins m’est apparue stupéfiante. La Cour avait suggéré que les agences régionales de santé, les ARS, élaborent ce type de fichier. Madame la ministre, y a-t-il eu des mesures en ce sens ?

En outre, nous avons constaté l’insuccès des efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner. Le manque de réactivité de la communication gouvernementale, en particulier pour contrer les rumeurs véhiculées sur internet, a accentué ce problème. Il y a eu aussi des maladresses. Tandis que l’on défendait l’innocuité des vaccins adjuvés, on annonçait que les personnes fragiles recevraient des vaccins sans adjuvant.

Je rappelle qu’aucune publication n’a fait état de la dangerosité du vaccin H1N1 pour les populations. Le vaccin a eu quelques répercussions néfastes sur certains rares malades, comme n’importe quel type de médicament. Cependant, nous pouvons penser que, à partir du moment où les Français avaient décidé que la vaccination était inutile, il n’y avait pas grand-chose à faire pour les convaincre du contraire. Il est même à craindre que l’insistance des messages gouvernementaux n’ait contribué à aggraver leur défiance à l’égard de la parole publique. Nous devons impérativement tirer les leçons de cette période pour définir une politique de communication adaptée à ce type de circonstances à l’avenir. Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il conçu une politique de communication de crise ?

Enfin, de mon point de vue, le fait d’écarter les médecins de la campagne de vaccination a constitué une erreur fondamentale. L’opinion n’a pas compris cette décision, ce qui a aggravé son échec. Pendant cet épisode, les pouvoirs publics n’ont pas fait confiance à ces praticiens. Résultat : un échec flagrant et une défiance encore plus grande de la population envers la vaccination.

Pour restaurer la confiance des Français envers la vaccination, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans cette politique de santé. Il n’est qu’à voir a contrario le succès de la vaccination antipneumococcique, recommandée et pratiquée par les médecins. Il est donc urgent de redonner à ces derniers toute leur place dans la politique de santé publique. Le corps médical doit être formé à cela.

Madame la ministre, dans votre intervention, vous avez parlé aussi de délégation de tâches aux infirmiers, aux sages-femmes ou aux pharmaciens. Cet après-midi, nous avons commencé à travailler sur le sujet avec Catherine Génisson. Dans certaines ARS, ces délégations sont appelées « protocoles de coopération ». Cela vient après la prise de conscience d’un souci majeur : la désertification médicale et l’absence de revalorisation de l’acte médical depuis des années.

Je conclurai en remerciant M. le rapporteur d’avoir tenu compte de nos observations en commission des affaires sociales sur l’obligation vaccinale. Le vaccin est un enjeu fondamental de santé publique qui transcende les clivages partisans. Nous devons donc démontrer sa nécessité et convaincre les Français de son efficacité. Nous ne pouvons pas nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale, compte tenu des enjeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat est sans appel : la politique vaccinale française rencontre des insuffisances importantes et en grand décalage avec les pays voisins.

La première difficulté semble provenir du fait que notre médecine est principalement préoccupée par le soin, et non par la prévention. Or, cela a été rappelé, la vaccination fait partie du champ de la prévention.

Par ailleurs, la crainte de la poliomyélite ou de la tuberculose diminue, car ces maladies sont moins fréquentes ou concernent seulement certains types de population. Globalement, le risque diminue, la vigilance se relâche et l’intérêt du vaccin devient moins évident pour la population. C’est regrettable !

Dans la période où la vaccination était obligatoire et où les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, la France assurait une bonne couverture vaccinale des enfants. Aujourd’hui, nous sommes dans une politique vaccinale globalement incitative avec quelques obligations liées à la vie en collectivité ou à un déplacement à l’étranger. Pour le reste, chacune et chacun gère sa vaccination comme il peut, et presque comme il veut.

Or le sens même de la vaccination, et les campagnes comme la « semaine européenne de la vaccination », qui se déroule actuellement, sont là pour le rappeler, est que le vaccin protège individuellement et collectivement. Il s’agit de poser un acte individuel en lien avec un risque de contagion collectif. Comment mobiliser la population sur cette double nécessité ? C’est probablement sur ce point que nous devons travailler dans la mesure où nous faisons le choix… du libre choix.

Mais, surtout, la question primordiale de la vaccination est très liée à celle du suivi des vaccinations. Vous avez souligné ce problème, madame la ministre : qui est sûr d’être à jour avec ses dates de vaccins ou de rappels ? Qui ne s’est jamais refait vacciner ne sachant plus où il en était ? Car, il faut bien l’admettre, après la période des inscriptions dans le carnet de santé d’un enfant, il n’y a plus de possibilité d’avoir une vision longitudinale de l’état de ses vaccinations. Parfois, la médecine du travail assure cette vigilance ; parfois, le médecin traitant s’en charge également ; mais, parfois, personne ne s’en occupe ! C’est lors d’un accident ou d’une hospitalisation que la personne est interrogée par rapport au tétanos ou à la tuberculose.

La question du suivi est donc centrale pour mobiliser ou remobiliser les personnels de santé et les citoyennes et les citoyens sur le sujet. Nul doute que l’instauration d’un carnet vaccinal individuel électronique permettrait aux usagers, tout en respectant leur liberté individuelle, de connaître l’état de leur vaccination, d’accéder à des informations et de connaître la date des rappels, voire de recevoir des alertes par exemple. Ce système pourrait être adossé à la carte Vitale et ainsi consultable en pharmacie, chez le médecin ou à domicile.

Le dispositif aurait également pour mérite de permettre une approche statistique fiable et régulière de la situation de notre pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, loin s’en faut. Ce n’est pas un sujet mineur : quand on cherche à améliorer la couverture d’une population, encore faut-il connaître la situation de départ et mesurer régulièrement les effets de la politique conduite.

Mais, comme le souligne la Cour des comptes, l’amélioration de la couverture vaccinale suppose la formation et la mobilisation, aujourd’hui insuffisantes, des professions de santé sur l’approche préventive.

Nous devons poser la question de l’engagement des professionnels médicaux, mais aussi paramédicaux – infirmiers, sages-femmes,… – en faveur de la vaccination. Aujourd’hui, en France, 80 % à 90 % des vaccinations sont effectuées par les médecins libéraux, qui y accordent un intérêt tout relatif à en croire les données statistiques. Or, à l’étranger, lorsque la vaccination est confiée aux infirmiers – c’est le cas en Angleterre, en Espagne ou au Québec –, les résultats sont probants. Nous pourrions imaginer en France une collaboration étroite entre le pharmacien, qui délivre le vaccin sur prescription médicale et l’inscrit sur le carnet vaccinal du patient, et l’infirmier exerçant en libéral ou dans un centre de soins, un établissement scolaire ou universitaire, un centre de protection maternelle et infantile ou de médecine du travail, qui assure l’injection et complète le carnet.

J’en viens aux populations dites « à risque ». Il serait également intéressant de procéder aux vaccinations des bébés, voire de leurs mères lors de leur séjour à la maternité. Car la vaccination fait partie des actes simples et les risques sont plutôt bien identifiés. Nombre d’infirmiers gèrent déjà des protocoles de soins nettement plus complexes liés à des pathologies lourdes, comme les diabètes ou les cancers. Ils pourraient se voir confier les vaccinations, sous réserve d’intervenir sur prescriptions médicales et d’être rattachés à un médecin coordonnateur en cas de question ou de difficulté. Une telle option permettrait, me semble-t-il, de gagner en efficacité tout en préservant le budget de la sécurité sociale.

L’ouverture à ce type de professionnels permettrait également de contourner les difficultés des usagers situés dans les secteurs géographiques qualifiés de déserts médicaux. Je souscris à l’idée de lancer des expérimentations en ce sens sur quelques régions de métropole et d’outre-mer à l’occasion de la mise en œuvre du nouveau calendrier vaccinal. Cette approche permettrait également de sensibiliser ces professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes, en respect des malades qu’ils accompagnent, car nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui leur faible niveau de vaccination.

Enfin, je crois que l’adhésion de la population à la démarche de vaccination se gagne surtout autour des enfants. Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Une bonne information en période de grossesse et de suivi des enfants jusqu’à l’âge de six ans est, en ce sens, déterminante. Les centres de PMI jouent, à ce titre, un rôle prépondérant, ils le prouvent notamment dans les secteurs géographiques sans pédiatres. Leur intervention en école maternelle leur permet également d’informer les parents en direct.

Il serait intéressant de les associer, en outre, à l’élaboration des supports et messages de communication afin de favoriser la prise de conscience de l’entourage de l’enfant sur la protection apportée à ce dernier par sa propre vaccination, ainsi que celle de ses proches. La perte de vigilance, voire la résistance à la vaccination, se compte en vies humaines. J’en veux pour preuve les enfants qui meurent encore de rougeole ou de coqueluche en France, qui ne sont pas nécessairement toujours issus d'une population précaire.

Je partage l’idée que des campagnes d’information générales ou ciblées, avec retours d’informations sur l’efficacité des vaccins, le rapport risque-efficacité, permettraient de remobiliser les Françaises et les Français sur leur vaccination et de faire évoluer les mentalités en la matière, ce qui est un élément essentiel pour la santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de remercier M. le rapporteur de sa contribution remarquable à un débat difficile, mais fondamental, que nous retrouverons d’ailleurs dans la future loi de santé publique, à savoir l’appropriation de la vaccination par nos concitoyens. En effet, celle-ci est souvent perçue comme un problème technique et logistique, alors que nombre d’échecs de campagnes de vaccination sont dus à des résistances humaines.

En septembre dernier, deux tiers des Français s’étaient déclarés hostiles à se faire vacciner contre la grippe. Plus de la moitié d’entre eux estimaient même que les vaccins pouvaient être risqués pour leur santé. Dans ces conditions, les conclusions présentées en février dernier par la Cour des comptes sur la politique vaccinale n’ont rien de surprenant. Les résultats sont « médiocres », et la France se situe parmi les mauvais élèves en termes de vaccination par rapport aux pays comparables. Depuis 2008, la vente de vaccins a d’ailleurs baissé de 12 % en unités et de 30 % en valeur.

Les débats qui ont entouré la campagne de vaccination mise en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre la pandémie de grippe A HIN1 en 2009 ont été illustratifs de l’échec d’un modèle de politique vaccinale : une politique aveugle menée sans l’appui technique des professionnels de santé. C’est même devenu un cas d’école d’absurdité en matière de formation des décideurs publics dans les universités anglo-saxonnes. En effet, il faut intégrer qu’aucune politique de vaccination ne pourra se faire sans les professionnels de santé. C’est ce que nous a montré la gestion publique de cette pandémie.

Dans le cas de la grippe A à l’automne 2009, la politique sanitaire envers cette pandémie avait été conçue et organisée sans que les professionnels de santé soient initialement associés à cette préparation. Cette exclusion résultait alors d’un monopole établi entre les scientifiques, l’administration et les entreprises pharmaceutiques. Les autorités sanitaires justifièrent ce choix en arguant de la pertinence des centres de santé mis en place pour vacciner soixante millions de personnes au plus vite, sous le contrôle des préfets. Nous avions critiqué cette affaire en son temps.

Sur le papier, l’idée pouvait paraître séduisante. Dans les faits, cette décision, unique au regard de nos voisins, allait être source de graves dysfonctionnements. L’administration a considérablement sous-estimé le rôle historique des professionnels de santé auprès des populations. Leurs mises à l’écart ont entraîné de fortes réticences chez nos concitoyens à se faire vacciner, d’autant que certains patients, effrayés par des rumeurs relayées par les médias, exigèrent que les médecins prennent leurs responsabilités.

Ce n’est qu’à partir du 13 janvier 2010 que la ministre de la santé prit acte de son échec : constatant que 8,5 % de la population était vaccinée pour un objectif initial de 75 %, elle décida de permettre aux médecins généralistes de participer à la vaccination et de mettre fin aux centres de santé dédiés. Malheureusement, il était trop tard, le pic de la pandémie grippale avait été atteint au début de décembre 2009.

Quelques erreurs avaient, en outre, alimenté la contestation : médecins réquisitionnés d’autorité par des gendarmes, mauvaise recommandation du ministère de l’intérieur sur le fractionnement de l’acte de vaccination, centres de vaccination tantôt déserts, tantôt embouteillés, refus de candidats non munis d’un bon, etc.

Enfin, les erreurs du gouvernement d’alors sont apparues ruineuses pour les contribuables : 208 millions d’euros supplémentaires furent déboursés par rapport à l’estimation originellement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Cela est cher payé quand, un an plus tard, l’Institut de veille sanitaire estima à 312 le nombre de décès liés au virus H1N1 en France, contre 4 000 à 6 000 pour une épidémie de grippe saisonnière classique.

Les acteurs de terrain, eux, ne se sont pas trompés et ont mis en place spontanément une réponse plus adaptée à la réalité de la maladie. Les praticiens libéraux ont ainsi encouragé les personnes à risque à se faire vacciner, tout en soulignant l’inutilité d’une vaccination générale de l’ensemble de la population.

En cela, je partage pleinement le constat émis dans le rapport de M. Labazée, qui s’étonnait que les politiques publiques de santé n’aient pas perçu ou, en tout cas, pas pris en compte le rôle important des médecins de proximité dans la réussite d’une action en matière de vaccination. En effet, le médecin généraliste est souvent le premier interlocuteur, celui qui connaît les problèmes de son malade. Cette proximité lui permet d’anticiper bien des difficultés rencontrées par ceux qui font appel à lui.

Nous pensons, en particulier, à la prévention de la maladie du tétanos. Celui-ci a reculé de façon régulière en France dans la dernière moitié du XXe siècle, passant de trois cents cas par an en 1975 à moins de quatre en 2012. Or aucune communication préventive des pouvoirs publics n’a été faite à ce sujet. Ce sont les médecins généralistes qui ont incité les patients à se faire vacciner.

Inversement, la campagne massive de vaccination contre l’hépatite B déclenchée à partir de 1994 a été menée à grands renforts publicitaires adressés à l’ensemble de la population. Pourtant, la communauté médicale avait alerté, dès le début des années 1970, des conséquences que pouvait avoir cette pratique sur des publics à risque, comme les personnes ayant des antécédents de maladie auto-immune. Elle n’avait pas tort : quinze ans plus tard, le laboratoire GlaxoSmithKline était condamné à verser près de 400 000 euros à une jeune femme vaccinée et atteinte d’une sclérose en plaques.

Récemment, plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants dans les vaccins. Le rapport en fait état. Ceux-ci sont censés stimuler le pouvoir immunogène de la vaccination et assurer une protection suffisante du receveur. Or plusieurs enquêtes de suivi sur les patients ont montré les risques de formation de myofasciite à macrophages. Plusieurs d’entre eux semblent souffrir d’une importante fatigue chronique, de douleurs très invalidantes et de troubles de la mémoire et du sommeil. Le groupe parlementaire d’études sur la vaccination de l’Assemblée nationale avait ainsi recommandé, en mars 2012, la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation de l’aluminium dans les vaccins « en attendant de recueillir davantage de données scientifiques sur ses conséquences éventuelles, en particulier dans les cas de vaccinations d’enfants en bas âge et de vaccinations répétées ». Nous attendons de connaître votre position à ce propos, madame la ministre.

Les trois préconisations du rapport Labazée sont pertinentes en matière d’intégration des médecins dans l’évolution de la politique vaccinale en France. C’est la raison pour laquelle nous les ferons nôtres.

Tout d’abord, pour restaurer la confiance en la vaccination, commençons par réaffirmer la place du corps médical dans cette politique de santé. Selon une enquête récente, 98 % des Français déclarent avoir « confiance » en leur médecin de famille. Pour l’immense majorité des patients, le médecin généraliste est « à leur écoute » et « compétent ». Cette vision idyllique est néanmoins pondérée par « un patient sur deux » qui lui reproche « une connaissance insuffisante de son passé médical ». À cet égard, l’idée d’un carnet vaccinal électronique va dans le bon sens.

Ensuite, deuxième préconisation de ce rapport, faisons mieux connaître la vaccination auprès des professionnels de santé. Celle-ci apparaît en effet fondamentale. Monsieur le rapporteur, vous affirmez que, « au cours des études médicales et d’infirmière, la part faite à la vaccination semble devenue trop peu importante pour susciter l’adhésion […] des jeunes professionnels qui […] se font très peu vacciner et ont dès lors tendance à peu vacciner eux-mêmes ».

Cette assertion est vraie, mais doit être complétée : les vaccins obéissent à une relation bénéfice-risque qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est d’ailleurs le cas de tout médicament. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour connaître exactement les effets secondaires des vaccins coquelucheux acellulaires, tels que les affections neurologiques – encéphalopathies aiguës, encéphalites et encéphalomyélites – chez de rares patients, il est vrai. C’est donc la formation continue des professionnels de santé qu’il faut repenser dans sa globalité.

Enfin, troisième préconisation, je terminerai sur le libre choix des médecins. Il leur incombe non seulement de faire primer la prévention sur le curatif, mais également – j’y insiste – de leur laisser le choix du produit le mieux adapté à la singularité de leur patient. Les deux sont indissociables. Aussi, il faut certes parler des risques de santé, mais avec lucidité et modération. On ne peut parler seulement des risques. L’aspirine peut tuer, mais pour des millions de Français, ses bénéfices sont indispensables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais moi aussi remercier notre collègue Georges Labazée pour son intéressant rapport. Alors qu’avec Ronan Kerdraon, nous achevions celui sur la sécurité sociale et la santé des étudiants, il m’a permis de mieux faire le lien avec la problématique de la vaccination des étudiants. C’est d’ailleurs le premier point que je veux aborder.

Au cours des auditions que nous avons effectuées pour notre rapport, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé, les SUMPPS, ont appelé notre attention sur l’une de leurs activités essentielles, à savoir la vaccination.

Tant que le service militaire existait, la moitié de la population jeune était médicalement suivie. Ce n’est plus le cas. Selon le SUMPPS de Rouen, par exemple, 23 % des étudiants vus n’étaient pas à jour de leur vaccination ou étaient incapables de fournir leur carnet.

Si les étudiants français sont supposés avoir suivi le calendrier vaccinal, ce n’est pas le cas pour leurs camarades étrangers. En effet, il existe deux cas de figure.

Pour les Erasmus, les étudiants provenant de l’espace économique européen, qui n’ont pas besoin de visa, la vérification de leur statut vaccinal peut avoir lieu au cours de la visite médicale « classique », c’est-à-dire parfois après trois années d’études en licence ; pour ceux qui sont inscrits en master et en doctorat, aucune visite n’est obligatoire.

Cela signifie que l’état vaccinal des étudiants étrangers non soumis à une demande de visa n’est que rarement vérifié, alors que plusieurs cas de tuberculose multirésistante en provenance des pays de l’Est ont été signalés. De plus, l’obligation existe dans très peu de pays. Si l’Italie a un régime proche de celui de la France – nos trois vaccinations obligatoires, plus l’hépatite B –, au Portugal, il n’y a aucune obligation pour la poliomyélite, alors que, en Belgique, c’est la seule vaccination obligatoire.

Pour un étudiant soumis à visa, la visite médicale auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, impose une vérification de son statut vaccinal afin que celui-ci soit conforme à la législation française. Cette vérification peut être faite par un SUMPPS conventionné avec l’OFII. Ces étudiants seraient donc mieux suivis, et ce dès leur arrivée, si j’ai bien compris le système qui me paraît très compliqué.

La France est désormais, avec 290 000 étudiants internationaux, le cinquième pays d’accueil dans le monde. La majorité, soit 27 %, est issue du Maghreb, 23 % viennent d’Europe, donc sans visa, 20 % d’Asie et 7 % d’Amérique. L’effectif des étudiants chinois a lui été multiplié par deux en dix ans. Il faut savoir que les ambitions récemment affichées par la ministre de l’enseignement supérieur sont d’accroître le nombre d’étudiants étrangers et de favoriser l’accueil de ceux qui viennent des pays émergents.

Vous avez annoncé, et je m’en réjouis, car cela fait partie des préconisations de notre rapport sénatorial sur la santé des étudiants, que davantage de SUMPPS deviendraient des centres de soins. Ne faut-il pas faire en sorte que le contrôle et la vaccination de tous les étudiants soient obligatoires dès la première année, et peut-être imposer des vaccinations, comme le BCG, pour les étudiants provenant de pays à risque qui peuvent contaminer leurs camarades ?

En 2009 et 2010, les SUMPPS ont vacciné 13 020 étudiants, soit 1 % seulement du nombre d’étudiants relevant des SUMPPS, qui gèrent les seules universités.

La vie étudiante constitue un moment de rupture dans le suivi médical du jeune, tant le Français, qui n’a souvent plus de médecin traitant, que l’étranger.

J’aimerais savoir, madame la ministre, si vous entendez mettre davantage l’accent sur cette population dont ce sera souvent le dernier contact pour assurer le suivi de vaccinations. Pourquoi aussi ne pas proposer, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de l’inscription en faculté, une vérification des vaccinations ? Même sans contrôle du carnet, cela pourrait conduire les étudiants et leurs familles à vérifier où ils en sont.

Cela me conduit à mon deuxième point, la tuberculose, que je croyais, pour ma part, quasiment éradiquée en France.

La tuberculose reste une pathologie infectieuse lourde, parfois mortelle. Sans évoquer les cas très graves d’étrangers atteints de forme de tuberculose multirésistante évoqués dans la presse, je citerai les cas diagnostiqués dans mon département : huit cas dans des lycées et un cas dans une école maternelle, à Choisy-le-Roi. En outre, des dépistages sont organisés régulièrement, comme cet hiver au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville.

N’étant pas spécialiste de ces questions, j’aimerais, madame la ministre, vous poser une question : peut-on lier la réapparition de cette maladie au fait que, depuis 2006, le vaccin BCG n’est plus obligatoire en France ? En effet, il fait désormais partie des vaccins « recommandés » uniquement pour les enfants « à risque ».

Si l’on regarde de plus près les chiffres de l’InVS, on constate que, si le nombre de cas augmente peu, la tuberculose ne recule pas. Le taux le plus élevé du pays se situerait en Île-de-France, avec 16,3 cas pour 100 000 habitants. Cela semble logique, compte tenu de l’importance de la population vivant dans la région et des flux migratoires. Les malades étrangers qui s’ignorent porteurs du bacille sont susceptibles de contaminer de très nombreuses personnes, en particulier dans les transports en commun.

Madame la ministre, les services de santé ont-ils pu vérifier les conséquences de la fin de l’obligation de vaccination BCG sur le nombre de cas de tuberculose, notamment dans les établissements scolaires ?

Il me semble que classer l’Île-de-France en territoire « à risque » et en faire une région de vigilance accrue pour l’évolution de la tuberculose serait pertinent. Le département du Val-de-Marne, dont nous sommes élues avec Laurence Cohen, pourrait servir de département « test » dans lequel des campagnes de vaccinations BCG gratuites seraient menées dans les établissements scolaires, y compris dans les universités. On pourrait ainsi mieux en mesurer l’impact.

Pour que les Français se vaccinent, encore faudrait-il – vous l’avez dit, madame la ministre, ainsi que plusieurs orateurs – que les professionnels de santé consultés par les Franciliens soient vaccinés régulièrement.

Près d’un quart des Français éprouvent de la défiance à l’égard des vaccins. Il faudrait certainement rappeler que la vaccination n’est pas « à la carte », que les vaccins protègent et qu’ils seront aussi prochainement curatifs. Les professionnels de santé sont les plus à même de diffuser ce message ; encore faut-il les en convaincre !

Une étude britannique, publiée bien avant le rapport de Georges Labazée, et portant sur le lien entre les patients et leurs médecins, a ainsi démontré que la moitié des patients d’un médecin vacciné contre la grippe l’étaient eux-mêmes. Si, en France, 90 % des médecins sont bien à jour de leurs vaccins obligatoires, les taux sont nettement plus faibles pour les vaccins recommandés. Il conviendrait donc de rechercher les moyens d’inciter les médecins à montrer l’exemple.

La santé des médecins, notamment libéraux, est rarement ciblée dans les programmes de santé publique. Comptez-vous mener une action en ce sens ? Cela permettrait aussi une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Rappelons qu’en 2013, en France, la grippe saisonnière coûtera 40 millions d’euros à l’assurance maladie, qu’elle a touché 3 millions de personnes et en a tué 6 000, plus que les accidents de la route.

La seule solution, nous en sommes convaincus, est la vaccination préventive. Or seulement 11 % des infirmières salariées et 3 % des libérales se sont fait vacciner cette année. Comment les professionnels de santé peuvent-ils alors convaincre les Français de le faire ?

À moyen terme, nous ne pourrons pas faire l’impasse d’un débat sur l’obligation de la vaccination pour les personnels de santé. Là encore, pourquoi ne pas évaluer à titre expérimental sur un département le rapport coût-bénéfice en proposant une vaccination grippale gratuite, quel que soit l’âge ? On pourrait ainsi comparer, l’année suivante, les coûts de prévention avec ceux engendrés par la grippe, comme le préconise la Cour des comptes.

Enfin, il y a de gros progrès à faire chez les futurs professionnels de santé, car ils sont aussi mal vaccinés que ceux qui exercent déjà. Je soutiens donc pleinement la proposition de Georges Labazée de susciter l’adhésion des étudiants et d’augmenter la part consacrée à la vaccination au cours des études.

En conclusion, je crois sincèrement à l’utilité des applications sur internet et smartphone, qui pourraient inciter chacun à mieux se prendre en charge. Ne pourriez-vous, madame la ministre, en attendant de faire des réformes plus importantes, lancer un concours de la meilleure application ? Il en existe déjà, mais l’une d’entre elles pourrait obtenir un label du ministère. Vous inciteriez ainsi les jeunes à suivre leur carnet de vaccination. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le rapporteur de la commission des affaires sociales, Georges Labazée, pour son excellent rapport. Nombre d’excellentes choses ayant été dites, j’interviendrai de manière cursive.

Le 29 janvier dernier, je posais une question orale sur ce grave problème de l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants vaccinaux et sur ses conséquences en matière de santé publique. Je rappelais l’arrêt rendu par le Conseil d’État en novembre dernier sur le lien reconnu et établi entre la myofasciite à macrophages et la vaccination. Il faut savoir que cet adjuvant est également mis en cause dans d’autres pathologies graves, comme l’autisme, selon une publication du Massachusetts Institute of Technology.

Dans sa réponse, Mme la ministre chargée des personnes âgées et de l’autonomie faisait part du souhait du Gouvernement « d’engager des travaux supplémentaires de recherche ». C’est bien évidemment avec beaucoup d’espoir que nous avons pris connaissance de la mise en place du comité scientifique de haut niveau chargé de la recherche sur cette question de l’adjuvant vaccinal.

Après cette indispensable première étape, nous souhaiterions savoir dans quels délais le Gouvernement entend répondre à l’attente légitime de très nombreuses familles en droit de pouvoir faire le choix d’une protection vaccinale sans sels d’aluminium.

Jusqu’à la décision de suspension du vaccin DT-Polio sans aluminium en 2008, les familles disposaient d’un tel choix. Les possibilités légales et techniques existent pour la fabrication de ces vaccins. Il s’agit là d’un combat de santé publique destiné à protéger les générations à venir.

Nous connaissons certes les bienfaits de la vaccination, qui a permis de sauver des millions de vies, mais il nous faut aujourd’hui appréhender justement la problématique de l’aluminium, sous deux angles : la recherche doit bénéficier de financements appropriés aux enjeux ; un vaccin sans aluminium doit être mis à disposition des familles qui souhaitent en bénéficier, comme c’était le cas jusqu’en 2008.

Tout en vous assurant de ma confiance, je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir nous donner un éclairage sur les mesures que le Gouvernement compte prendre à cet égard.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je joins également mes félicitations à celles déjà adressées à Georges Labazée pour la qualité de son rapport.

En France, l’arrêt de la transmission, voire l’élimination de certaines maladies ont été possibles grâce au recours à la vaccination, à la fois pour se protéger mais aussi pour protéger les plus fragiles, qui, du fait de leur âge ou de leur état de santé, ne peuvent être vaccinés.

Selon le rapport de la Cour des comptes, communiqué à notre commission en octobre dernier, la politique vaccinale enregistre des résultats contrastés : satisfaisants pour la couverture vaccinale des maladies traditionnelles à vaccination obligatoire, insuffisants pour la rougeole, comme en témoigne la résurgence de cette maladie entre 2008 et 2011, et très insuffisants en ce qui concerne l’hépatite B et le cancer du col de l’utérus, pour lesquels les objectifs fixés ne sont pas atteints.

Malgré un bilan contrasté, la vaccination reste l’un des grands succès des politiques de santé publique. Des millions de vies ont pu être sauvées grâce à un geste, celui de la prévention. C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’engager des actions d’envergure à destination du grand public, afin de développer une culture de la prévention. En effet, la réussite des programmes de vaccination et l’amélioration de l’état de santé ne seront efficaces qu’à la condition de trouver une opinion publique réceptive.

Trop souvent, l’opinion publique doute de la sécurité des processus de production et en craint les effets secondaires. On a également vu apparaître, ces dernières années, un questionnement autour de la vaccination ; c’est le cas du rejet du vaccin contre l’hépatite B, propre à la France, en raison des soupçons de déclencheur de la sclérose en plaques qui ont pesé sur lui. Il faut donc combattre les préjugés et redonner confiance.

Par ailleurs, notons que la disparition progressive d’une maladie grâce à son vaccin tend à inverser le rapport bénéfice-risque de la vaccination, qui ne suscite plus alors le même intérêt. Ainsi, la vaccination peut être « victime » de son succès. Cette situation a été observée en Angleterre à la fin des années soixante-dix : la forte diminution de l’incidence de la coqueluche grâce à la mise en œuvre du programme de vaccination a conduit à une diminution progressive du nombre de personnes vaccinées et, de fait, à une recrudescence de la maladie.

Compte tenu de ces premiers éléments, il apparaît nécessaire, dans un objectif de santé publique et d’amélioration de la couverture vaccinale sur le territoire, de convaincre du bien-fondé de la vaccination, d’éduquer à la vaccination et de rassurer. Cela passe par l’amélioration du niveau d’information du grand public, par des actions de communication sur les vaccins, les bienfaits qui en sont attendus, les effets secondaires possibles et l’épidémiologie des maladies contre lesquelles ils protègent. Permettre aux Français de disposer de repères clairs sur les vaccins et ses caractéristiques par la mise en place d’actions d’information, d’éducation pédagogique et de sensibilisation me paraît important.

Comme l’ont souligné les chercheurs auditionnés par notre rapporteur Georges Labazée, il importe d’agir sur la formation des professionnels de santé, notamment les médecins et infirmières qui sont appelés à pratiquer la vaccination.

Il importe également d’agir sur la formation du public. Le rapport de notre collègue insiste également sur ce point.

Une formation à la santé dès l’école sous une forme participative et collective permettant aux enfants de mieux comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination me semble un moyen important de lutter contre la désinformation, notamment celle qui circule sur internet. La mise en place d’un tel enseignement implique aussi une formation des enseignants dédiée à l’éducation à la santé, à la prévention et au vaccin.

Si ces différentes actions de prévention nécessitent d’affecter des moyens supplémentaires, il faut noter qu’une meilleure prévention entraîne des économies. C’est le cas, par exemple, de la diminution du nombre d’arrêts maladie grâce à la vaccination contre la grippe.

La communication est un outil indispensable de la politique vaccinale.

Des campagnes de communication ciblées existent déjà ; je pense à la campagne sur la rougeole réalisée à l’automne 2011. Alors qu’on observait depuis 2009 un triplement annuel des cas de rougeole, une communication réalisée à l’aide de supports divers, tels que des brochures d’information, des annonces radio et diverses interviews, ont provoqué une augmentation significative des ventes de vaccins. Ainsi, 140 000 personnes supplémentaires ont été vaccinées, et un fort recul de la rougeole a pu être constaté en 2012.

Compte tenu des bénéfices observés, il me paraît nécessaire de lancer des actions de communication de manière plus régulière, afin d’informer sur l’intérêt et sur les bienfaits de la vaccination et, ainsi, de restaurer la confiance et les conditions d’un débat apaisé et rationnel.

L’information du public doit également être adaptée aux nouveaux modes de diffusion ; je pense à internet, mais cet outil doit offrir toutes les garanties.

La construction d’une présence pérenne sur internet serait de nature à améliorer la perception des vaccinations dans la population ; c’est d’ailleurs l’une des recommandations de la Cour des comptes, qui a pointé le développement constant d’un discours anti-vaccinal. À titre d’exemple, Doctissimo, le principal site de santé français – il enregistre près de 10 millions de visites par mois –, abrite des forums anti-vaccinaux très actifs.

De même, lorsque l’on tape « info vaccin » sur le moteur de recherche Google, les sites apparaissant les premiers sont ceux de ligues anti-vaccinales françaises, belges et suisses, qui se présentent comme informatives. Aucun site public ne figure en première page. C’est seulement si l’on tape « calendrier vaccinal » que les sites publics apparaissent, mais cette recherche est beaucoup moins intuitive. Les sites publics proposent des informations très institutionnelles, mais peu de réponses pratiques et aucun argumentaire pour contrecarrer la propagande anti-vaccinale n’est disponible. Cette absence de dispositif pérenne pour réagir au discours antivaccinal me paraît particulièrement dommageable.

Pour la Cour des comptes, la mise en œuvre d’une stratégie pluriannuelle de communication sur la vaccination sur Internet et les réseaux sociaux devrait revenir à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les suites que vous comptez donner à ces préconisations ?

Par ailleurs, au lieu de créer des mini-sites spécifiques à l’occasion de chaque opération de communication, il serait préférable d’élaborer un site unique, qui permettrait de capitaliser l’audience. À cet égard, l’INPES a précisé à la Cour des comptes qu’elle envisageait la création d’un site grand public dédié à la vaccination. Madame la ministre, pouvez-vous nous faire part de vos intentions en la matière ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité de ce débat atteste de la volonté partagée de faire de la stratégie vaccinale un enjeu majeur de santé publique. Les différentes interventions traduisent une inquiétude, elle aussi partagée, face aux campagnes de désinformation.

Ainsi, madame Deroche, les remarques que vous avez formulées montrent que nous devons aussi savoir adapter nos instruments de diffusion, d’information, de réaction aux technologies modernes. Je pense moins à l’information des Français sur leur smartphone ou sur leur ordinateur qu’à la nécessité de mettre en place sur les réseaux sociaux des stratégies offensives pour valoriser des messages positifs. C’est tout à fait important à mes yeux.

Je souhaite que les pouvoirs publics puissent y travailler, car dans ce domaine, je le reconnais, ils sont en retard et n’ont pas l’agilité requise pour faire face à la propagation de rumeurs, alors que celles-ci peuvent avoir des impacts extrêmement graves.

J’en veux pour preuve ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Une rumeur selon laquelle la vaccination contre la rougeole provoquerait l’autisme a enflé. Elle a été attisée par des informations fausses, publiées dans l’une des revues scientifiques les plus connues et les mieux reconnues, que les démentis apportés par cette même revue n’ont pas permis de faire cesser. Cela a entraîné une baisse sensible de la vaccination contre la rougeole et une recrudescence de l’épidémie de rougeole : 800 cas récents ont été enregistrés au seul Pays de Galles ! On le voit bien, il s’agit là d’un débat tout à fait majeur.

Par ailleurs, il nous faut tirer les leçons de ce qui s’est passé au moment de la pandémie de H5N1. Il est certain que nous devons mieux associer les professionnels de santé et les associations d’usagers aux stratégies de vaccination et, de façon plus générale, aux stratégies en matière de santé publique.

Certains d’entre vous m’ont interrogée sur les pistes que le ministère avait dégagées pour la mise en place d’une stratégie de crise. Nous poursuivons notre réflexion sur la meilleure façon d’associer le plus en amont possible à la fois les professionnels et les représentants des patients en cas de crise ou de risque de crise. Nous savons bien que c’est par l’échange et l’information partagée que nous pouvons le mieux réagir. Il faut mettre en place une pédagogie du risque si nous voulons répondre aux enjeux de santé publique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez également interrogée à plusieurs reprises sur la tuberculose. La question est de savoir si la décision de 2007 de remettre en cause l’obligation vaccinale était susceptible d’avoir eu un impact sur l’apparition de cas de tuberculose, en particulier en région parisienne.

Je tiens à l’affirmer de façon très claire : aujourd'hui, nous ne disposons pas d’études permettant de considérer que cette décision a abouti à la recrudescence de la tuberculose. En revanche, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, certaines personnes qui auraient dû faire l’objet d’une vaccination, parce qu’elles présentaient les caractéristiques suffisantes, n’ont pas été identifiées comme telles et n’ont pas été vaccinées. Je pense en particulier à des enfants. On peut donc faire l’hypothèse que certains cas de tuberculose résistante auraient pu être évités.

Pour l’essentiel, nous observons que les cas de tuberculose sont liés à l’immigration de populations venues surtout d’Afrique et d’Europe de l’Est pour des raisons médicales. (Mme Catherine Procaccia acquiesce.) En effet, beaucoup viennent en France pour se faire soigner, puisque notre pays est l’un des ceux qui peuvent offrir des traitements spécifiques de deuxième ou de troisième ligne en matière de tuberculose.

Madame Procaccia, vous me demandez si la concentration de cas en Île-de-France ne devrait pas conduire à l’instauration d’une politique spécifique en direction de la population francilienne, qui serait non pas le rétablissement de l’obligation vaccinale – j’ai bien compris –, mais un suivi plus attentif des populations concernées. Or tel est déjà le cas aujourd'hui.

Ainsi, une enquête menée par l’INSERM et l’INVS en 2010 a montré que les enfants issus d’un milieu socioéconomique défavorisé, ainsi que ceux qui sont issus de l’immigration résidant en Île-de-France, quel que soit le revenu de la famille, étaient bien identifiés comme présentant un risque élevé de tuberculose. En d’autres termes, en Île-de-France, le repérage des enfants, des familles, des populations devant faire l’objet de stratégies vaccinales particulières a bien eu lieu, ce qui est plutôt satisfaisant.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous évoqué le sujet des adjuvants dans les vaccins et de l’aluminium en particulier. Je veux vous dire que la sécurité des vaccins qui sont administrés à nos concitoyens est une question tout à fait essentielle.

C'est à ce titre d’ailleurs que, en 2008, le vaccin DTP sans aluminium a été suspendu. Des considérations de sécurité sanitaire ont été à l’origine de cette décision. Avait été observée en effet une augmentation des réactions allergiques sévères conduisant à une hospitalisation : dans 75 % des cas, les réactions allergiques sévères avaient conduit à une hospitalisation ou rendu nécessaire un traitement médical. C’est ce constat qui a poussé au retrait de ce vaccin sans aluminium.

Aujourd'hui, il n’existe pas de vaccin contre la diphtérie et le tétanos sans aluminium. J’ai demandé à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, si l’on en trouvait dans les autres pays européens : elle a répondu par la négative. Dans ce contexte, comme vous l’avez souligné, je me suis engagée à ce que la recherche se poursuive. Il est en effet nécessaire que nous puissions réfléchir à des stratégies de remplacement, le cas échéant.

Peut-on dire aujourd'hui que les vaccins contenant de l’aluminium comme adjuvant représentent un danger, un risque pour la santé ?

Certains d’entre vous l’ont souligné, les vaccins sont des médicaments et, comme tout médicament, ils peuvent entraîner des effets secondaires, qui sont parfaitement identifiés et limités. Aujourd'hui, nous savons que l’aluminium contenu dans les vaccins peut être à l’origine d’une lésion focale au niveau du point d’injection, qui constitue la myofasciite à macrophages. L’effectivité de cette réaction possible n’est pas remise en question. Aucun élément scientifique ne permet toutefois d’affirmer que cette atteinte secondaire, ce risque qui existe, serait responsable d’un syndrome clinique identifié et problématique.

Le débat sur les adjuvants reste donc ouvert. Néanmoins, rien n’étaye l’hypothèse selon laquelle l’administration de ces vaccins entraînerait un risque important allant au-delà de la réaction locale momentanée.

Vos questions ont également porté sur le comité de pilotage dont j’avais annoncé la mise en place. Présidé par l’INSERM, il est constitué et tiendra sa première réunion le 27 mai prochain. Les associations concernées, dont l’association E3M, Entraide aux malades de myofasciite à macrophages, seront auditionnées.

C’est en toute transparence que le travail d’échange et d’évaluation collective se mène. Je veux être rassurante sur les effets de cette vaccination. Pour autant, la recherche doit se poursuivre, car, si d’autres perspectives sont envisageables, elles devront évidemment être étudiées, sous l’égide, je le répète, de l’INSERM. L’ensemble des acteurs souhaitant participer à cette réflexion pourront le faire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore une fois de la qualité de ce débat et de votre contribution à cette exigence de santé publique que constitue la vaccination. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la politique vaccinale de la France.

6

Renvoi pour avis multiple

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (n° 441, 2012-2013), dont la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est saisie au fond est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Conférence des présidents

M. le président. Mes chers collègues, je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents qui s’est réunie cet après-midi.

Le groupe socialiste a demandé l’inscription, dans son espace réservé du mardi 14 mai prochain, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

La conférence des présidents a pris acte de cette demande.

En conséquence, l’ordre du jour du mardi 14 mai 2013 s’établit désormais comme suit :

Mardi 14 mai 2013

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (texte de la commission, n° 531, 2012-2013).

(La conférence des présidents a fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 mai, 17 heures.)

2°) Projet de loi relatif à l’élection des sénateurs (n° 377, 2012-2013).

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 24 avril matin.

La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de dix minutes à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 mai, 17 heures ;

- fixé au lundi 13 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements le mardi 14 mai matin.)

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

8

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi ce jour, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

9

Débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre sentiment est partagé à l’ouverture de ce débat en séance ce soir.

En effet, c’est à la demande de notre groupe qu’il a lieu, mais, compte tenu de l’importance du sujet et de l’actualité très riche de ces dernières semaines, nous aurions pensé qu’un débat aussi essentiel que celui-ci eût pu se tenir en prime time, comme on dit, c'est-à-dire à une heure de grande écoute.

Toutefois, l’essentiel n’est pas là ; l’échange aura bien lieu ce soir.

Mme Nathalie Goulet. Et il sera de qualité !

M. Éric Bocquet. Nous avons vu de nombreuses conventions fiscales passer par notre assemblée, et la question de leur efficacité s’est régulièrement posée avec force. Le rapport récent de l’OCDE sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices souligne que les conventions fiscales, dont l’objet essentiel est d’éviter les doubles impositions, constituent en fin de compte un système performant de double non-imposition, qui met en valeur toute l’ingénierie et le savoir-faire des cabinets de conseils et autres avocats fiscalistes.

Aussi, monsieur le ministre, nous avons quelques questions à vous poser, quelques suggestions à vous présenter et quelques demandes à vous adresser.

Le débat qui nous réunit porte sur les conventions internationales et leur efficacité pour lutter contre l’évasion fiscale internationale. Il faut partir de ce que sont les conventions internationales, c’est-à-dire de leur rôle de vecteurs, de véhicules de la normativité internationale en matière de fiscalité.

D’emblée, cette identité ne leur assure pas toutes les chances de succès : le droit international n’est pas le plus puissant des droits. Fruit de compromis, il est mité et souvent mal sanctionné, ce qui, évidemment, peut nuire à son autorité. Toutefois, ses faiblesses n’empêchent pas de le préférer aux solutions dans lesquelles la force pure ne s’embarrasse pas du détour du droit négocié.

Il faut en réalité envisager trois grandes catégories de conventions, dont certaines sont bilatérales et d’autres multilatérales, selon l’objet de chacune.

Nous rencontrons d’abord les conventions fiscales internationales, qui sont l’équivalent dans l’ordre international de notre législation fiscale interne. Il y a ensuite les conventions d’entraide ou d’assistance judiciaire, qui forment une sorte de mélange de code pénal et de code de procédure pénale entre les États, qui peut évidemment trouver à s’appliquer en matière de délits fiscaux. Enfin, nous avons un réseau conventionnel un peu balbutiant mais probablement appelé à jouer un rôle de plus en plus essentiel, si les États acceptent de s’affranchir de la tutelle des établissements de crédit, qui tourne autour de ce champ hier presque vierge, aujourd’hui à peine labouré, qu’est la lutte contre le blanchiment.

Ces instruments, qui devraient contribuer à un ordre fiscal juste, échouent trop souvent.

Les conventions fiscales internationales au sens strict répartissent la souveraineté fiscale, ou du moins tentent de le faire, car il faut tenir compte du comportement des contribuables les plus indélicats, qui s’évertuent à en déjouer la portée. Elles fixent l’attribution du droit d’imposer et prévoient les moyens de consolider le droit de chacune des parties au traité, via des procédures de gestion administrative de l’impôt. Dans ces procédures de sécurisation du droit, l’échange d’informations joue un rôle non exclusif, mais essentiel.

Ces conventions, généralement bilatérales, sont encadrées par des conventions multilatérales qui fixent un certain nombre de principes portant sur leurs deux volets : la répartition du droit d’imposer, d’un côté, la gestion des relations entre administrations fiscales pour en appliquer les dispositifs, de l’autre. Les deux aspects de ces conventions sont bien entendu importants.

La répartition du droit d’imposer engage notre capacité à défendre la souveraineté fiscale de la France.

Cette dimension de notre diplomatie économique a fait surface pendant la campagne de la dernière élection présidentielle. Les deux candidats qualifiés pour le second tour avaient annoncé une renégociation plus ou moins étendue des conventions bilatérales. Le candidat finalement élu avait souhaité renégocier quelques conventions, notamment avec la Belgique et la Suisse. Où en sommes-nous, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, avez-vous entrepris de remédier aux situations de double non-imposition ? Quel diagnostic pouvez-vous nous présenter à ce sujet ? Pouvez-vous nous exposer votre programme de négociations pour porter remède à ces situations ?

Enfin, nous aimerions pouvoir disposer d’une évaluation nous permettant d’apprécier les effets fiscaux des régimes dérogatoires au modèle de convention de l’OCDE offerts à certains pays et pouvoir vérifier si les contreparties économiques de ces cadeaux ont toujours été au rendez-vous.

Nous nous permettons de vous suggérer, monsieur le ministre, de procéder à l’évaluation des conditions dans lesquelles les intérêts financiers publics sont défendus par l’économie des conventions fiscales. Cette évaluation devra être réalisée convention par convention et faire l’objet d’une synthèse permettant d’élaborer une véritable stratégie fiscale internationale. Nous sommes demandeurs d’une communication des résultats.

Sur l’autre volet, la gestion administrative de l’impôt et, en particulier, du contrôle fiscal, autant le dire tout de suite, nous entrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire dans une vaste invraisemblance qui voit le bouclier se transformer en arme d’autodestruction particulièrement perfide.

Il faut évidemment mentionner ici le rôle de l’OCDE. Cette organisation des pays développés a été chargée par le G20 – le fameux G20 qui, chacun le sait, a supprimé par décret les paradis fiscaux en 2009 – de lutter contre les États non coopératifs en procédant à un examen par les pairs des conditions dans lesquelles les pays s’appliquent à jouer le jeu de la transparence fiscale.

Or dans le processus du Forum mondial, les conventions fiscales ont été instrumentalisées pour permettre aux pays non coopératifs d’échapper à ce que les Anglais appellent le naming and shaming – nommer et jeter la honte sur les gens. Tout ceci s’est déroulé sous les auspices et avec la bénédiction des États de l’OCDE.

Combien de pays inscrits sur la liste noire des paradis fiscaux ont-ils pu en sortir par la simple signature de conventions fiscales avec des États aussi peu scrupuleux qu’eux ? Quel a été le prix payé aux îles Féroé ou à Andorre pour avoir accepté de signer des conventions fiscales avec les îles Caïmans afin que celles-ci sortent de la liste ? Il faut nous le dire, monsieur le ministre, et il faut que vous plaidiez à l’OCDE pour que, au minimum, il soit mis fin à cette imposture.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même : si les listes des paradis fiscaux se vident, celles des contribuables disposant de comptes dans ces juridictions ne cessent d’enfler. J’y reviendrai.

Commençons par faire le ménage chez nous ! Chez nous, c’est-à-dire en Europe et en France. Combien de temps encore devrons-nous supporter que l’Autriche, la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique trichent ? Combien de temps encore devrons-nous tolérer que la France vide sa liste des États non coopératifs, désarmant au passage les trop rares et faibles instruments anti-évasion de notre législation fiscale ?

Monsieur le ministre, combien de demandes d’assistance administrative avez-vous adressées à vos homologues dans le monde ? À qui ? Pour quels résultats ?

Je voudrais vous dire notre satisfaction que la France ait tourné le dos à la tentation de signer les accords Rubik, par lesquels la Suisse entendait, en quelque sorte, acheter la paix fiscale. Nous avons été très inquiets, et j’ai personnellement été interviewé par des journalistes helvétiques sur des rumeurs de ralliement de la France d’après mai 2012 à ces sirènes ou, devrais-je dire, à ces cors des Alpes… Rubik, ce n’est rien d’autre qu’une amnistie fiscale !

Il n’empêche que nous aimerions connaître quelles initiatives ont été prises au nom de la France devant l’attitude de certains de nos partenaires dans l’Union européenne, qui pratiquent une duplicité inadmissible, signant d’une main ce que de l’autre ils déchirent.

Il est de plus en plus question d’un Foreign Account Tax Compliance Act, ou FATCA européen, devant ce que d’aucuns voient comme la faillite des conventions bilatérales. Pourquoi pas ? Cette piste peut être intéressante. Néanmoins, ne nous leurrons pas : le FATCA européen, pour exister, devra être adossé à une ferme volonté politique qui fait manifestement défaut dans cette Europe où la concurrence fiscale s’étend à la lutte contre les paradis fiscaux.

Par ailleurs, ne soyons pas trop naïfs ! Le FATCA des États-Unis ne nous fera aucun bien. Au demeurant, que ne l’appliquent-ils au Delaware ou au Wyoming, nos amis américains ? Je vous suggère, monsieur le ministre, de lancer au plus vite vos services de la direction générale du Trésor sur les effets de cette opération sur les flux de capitaux dans le monde.

Ils pourront utilement s’inspirer de l’étude de Zucman et Johansen sur l’impact des conventions fiscales. Je ne résiste pas à la tentation de citer l’une des conclusions de leurs travaux : le durcissement des conventions avec un pays, la Suisse par exemple, se traduit par le déplacement des fonds, non vers le pays qui a obtenu le durcissement, mais vers d’autres contrées de l’offshore, Singapour par exemple.

Étant donné les mesures annoncées ici ou là en Europe, nous vous demandons, monsieur le ministre, de faire en sorte que les flux de capitaux entrant et sortant des pays de l’Union européenne et de ses partenaires soient surveillés et contrôlés avec la plus extrême vigilance, moyennant quoi nous sommes évidemment très favorables à un échange automatique d’informations, le système actuel étant totalement inadapté, comme l’avait remarquablement exposé M. Van Ruymbeke l’an dernier devant notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale.

J’en viens donc, monsieur le ministre, à une question particulièrement inquiétante, celle des conditions dans lesquelles les conventions fiscales sont concrètement appliquées. Lors des travaux de notre commission d’enquête, nous avons pu être alertés sur les difficultés présentées par la mise en œuvre effective de conventions passées avec des pays qui vont jusqu’à dénoncer les accords conclus avec la France.

Je relève au passage que les motifs de certaines dénonciations sont intéressants et pourraient être utilement médités pour résoudre le très intéressant problème de la légitimité du droit d’imposer. Je songe en particulier au Danemark et à la question de l’imposition des revenus différés. Ma question est de savoir où nous en sommes des litiges qui nous opposent avec nos cocontractants et si, en matière de prix de transfert notamment, nous parvenons à faire réellement prévaloir le droit.

Au-delà, me référant à l’actualité mais n’oubliant pas des dossiers plus anciens dont nous avons pu prendre connaissance, je voudrais vous poser quelques questions précises, qui illustrent un problème de gouvernance auquel notre commission d’enquête sénatoriale avait souhaité apporter une solution, notamment en préconisant comme première mesure la création d’un haut-commissariat à la défense des intérêts financiers publics, qui aurait pu être le garant de la transparence de ces procédures.

Premièrement, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les raisons pour lesquelles la convention fiscale bilatérale entre la France et la Suisse a pu aboutir à forger de la situation de fortune de M. Cahuzac une représentation si fausse que le ministre de l’économie s’est dit « utilisé », tandis qu’un journal d’une incroyable complaisance a pu titrer sur le « blanchiment », un mot doublement malheureux en l’occurrence ?

Nous aimerions d’ailleurs avoir quelques précisions sur le sens de ces propos, monsieur le ministre, car, nous vous le confions, nous ne sommes pas très rassurés par le fait qu’un ministre de l’économie et des finances avoue avoir été « utilisé ». Nous ne percevons que trop à quel point les monétaristes de tout poil, les partisans du démantèlement de l’État social, les adeptes de la précarisation des salariés vous utilisent pour placer la France dans la spirale de la déflation, du chômage et de l’appauvrissement.

Deuxièmement, je vous interrogerai sur les traitements tout à fait énigmatiques qu’a pu recevoir le listing remis par M. Hervé Falciani à la justice de notre pays. Je veux parler de la très mal nommée « liste des 3 000 ».

Le rapport de notre commission d’enquête comportait un certain nombre de questions auxquelles nulle réponse n’a été apportée à ce jour. Or le parcours de cette liste, tel qu’il a été relaté par plusieurs acteurs de ce dossier, est particulièrement intriguant.

Je rappellerai brièvement quelques faits. Voilà une liste communiquée à l’administration fiscale, laquelle nous dit qu’elle n’a été « en aucune façon exploitée ». C’est étrange, puisqu’elle laisse supposer l’existence d’un grand nombre de contribuables fraudeurs.

Finalement, par l’intermédiaire du procureur de Nice, qui dispose d’informations cryptées, la liste arrive sur le bureau de l’administration fiscale. Celle-ci indique avoir identifié 3 000 titulaires de comptes, mais avoir tout de même relevé 8 000 occurrences. Le procureur s’étonne, car les services techniques auxquels il avait confié les données informatiques précisent qu’elles auraient rempli un train de marchandises. Même avec 8 000 occurrences, c’est plutôt à une mobylette, éventuellement à un triporteur, que l’on a affaire ! (Sourires.)

L’administration fiscale nous dit avoir laissé tomber la liste de l’informateur pour privilégier celle du procureur. Le procureur, quant à lui, nous informe qu’il n’y retrouve pas ses petits et suggère que quelque chose s’est passé au niveau des services techniques, soit de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, l’IRCGN, soit du service de la douane judiciaire.

Nous avons demandé qu’une enquête administrative soit ouverte à ce propos. L’a-t-elle été ?

Un autre témoignage compte beaucoup. Le procureur nous indique : « En réalité, M. Falciani, pour des raisons qui m’échappent encore, nous a livré par bribes ce qu’il détenait. Avant que l’autorité judiciaire n’aille chercher ces données – je l’ai su plus tard –, il semble que des tractations aient eu lieu avec les services fiscaux, ce qui n’est pas peu dans ce dossier ». Ce n’est en effet pas peu !

Monsieur le ministre, avez-vous fait vérifier l’existence de telles tractations ? Ce point est assez crucial, car on peut facilement imaginer leur objet. Malgré son volume, la liste transmise au procureur n’avait-elle pas été quelque peu arrangée ? Telle est la question.

Enfin, nous voudrions savoir si le fisc français a été aussi diligent que son homologue britannique, dont nous savons bien qu’il a récupéré beaucoup plus de recettes fiscales que nous n’avons pu le faire, ou si nous nous situons plutôt du côté de la Grèce, où ce fameux listing a conduit à mettre en cause l’un de vos homologues, M. Papaconstantinou, accusé en son temps d’avoir tronqué la liste HSBC.

Arrivé à ce stade de mon intervention, je ne dirai que quelques mots des conventions d’entraide judicaire et de leur fonctionnement dans le champ fiscal, ainsi que des conventions concernant la lutte anti-blanchiment.

S’agissant de l’entraide judicaire, les témoignages recueillis par la commission d’enquête sénatoriale sont très inquiétants. Les résultats obtenus en la matière sont, certes, parfois bons, mais souvent très mauvais. À cet égard, le Royaume-Uni, en particulier, paraît des plus réticents à fournir la moindre information, alors même que ce pays se prétend à la pointe de la lutte contre le terrorisme international.

Où en est le projet d’un parquet financier européen ? J’ai compris que le Président de la République souhaitait renforcer le bras judiciaire de la lutte contre le blanchiment en France. Nous lui suggérons d’étendre un peu son horizon à cette Europe de l’ombre, qu’il est beaucoup plus urgent de rendre transparente que le parc de vélocipèdes de tel ou tel ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Nathalie Goulet et M. Philippe Marini applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête créée l’an dernier sur la proposition du groupe communiste, républicain et citoyen a eu un retentissement certain.

L’un de ses effets, grâce à quelques affaires qui ont été révélées, a été de permettre de mesurer l’ampleur du problème posé, la profondeur des pertes entraînées par la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales pour le budget général. Le montant se chiffre en dizaines de milliards d’euros et représente à peu près l’équivalent du déficit budgétaire. Le journaliste de La Croix Antoine Peillon, qui a intitulé son livre Les 600 milliards d’euros qui manquent à la France, a bel et bien situé l’enjeu.

Dans les méandres de la finance internationale, face à cette Hydre de Lerne de la spéculation, la France et l’Europe laissent filer des centaines de milliards d’euros de ressources financières disponibles, alors même que les économies des pays de l’Union européenne ont grand besoin de ces sommes pour faire face à leurs difficultés actuelles, dont la spéculation et la fraude sont d'ailleurs responsables pour une part décisive.

Là se situe clairement l’enjeu : ou bien une lutte contre la fraude fiscale de grande envergure est lancée, et nous connaîtrons, chaque année, un redressement des comptes publics et un élargissement des capacités de financement de la dépense publique comme de la réduction des impôts ; ou bien tel ne sera pas le cas, et nous serons toujours préoccupés par le taux de chômage, inquiets de voir progresser encore les inégalités sociales et de constater que des millions de nos compatriotes n’ont pas ou plus de logement et de voir augmenter sensiblement la proportion des jeunes en échec scolaire.

La découverte de l’existence des paradis fiscaux n’est pas nouvelle ; celle-ci a été révélée avec un certain éclat bien avant la crise financière de 2008.

Un paradis fiscal, rappelons-le, n’est pas nécessairement le paradis pour tous ! Le territoire tropical le plus inégalitaire possible, à l’instar des Philippines, où une oligarchie limitée se partage le pouvoir depuis de longues décennies, peut être un paradis fiscal idéal pour les ménages les plus aisés et les entreprises les plus profitables, tout en restant un enfer pour la grande majorité de la population.

Saint-Martin nous offre un exemple intéressant de ce qu’est un paradis fiscal. La partie française de l’île étant devenue une collectivité territoriale, ne s’y applique plus qu’un code général des impôts « adapté » aux spécificités locales, tout en restant « inspiré » par le code métropolitain. Néanmoins, quand il s’est agi d’« adapter », la première décision de l’assemblée territoriale a été de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune !

On peut douter que cet impôt ait alors constitué la première préoccupation des résidents : en 2007, le revenu moyen des habitants était inférieur à 7 400 euros et 8,4 % seulement des contribuables étaient habilités à payer une cotisation. Autant dire que la décision de l’assemblée territoriale ne concernait qu’une infime minorité des habitants de l’île.

Cet exemple, que nous fournit notre propre territoire, permet de bien montrer la logique du paradis fiscal : faire échapper aux rigueurs de l’impôt certaines ressources, plus particulièrement des gros patrimoines, des revenus aisés et des capitaux importants.

De ce point de vue, le cas de la Suisse, souvent cité en matière de paradis fiscal, est édifiant.

Pour une personne résidant en France, être travailleur frontalier en Suisse peut se révéler une opération coûteuse au plan fiscal, eu égard au dispositif de retenue à la source en général pratiqué par les cantons suisses sur les revenus du travail.

Exemple parmi d’autres, la petite commune d’Ornex, située dans le pays de Gex, abrite une population dont le revenu fiscal moyen est supérieur à 40 000 euros annuels. Toutefois, le rendement de l’impôt sur le revenu français s’y établit à 4,3 % des revenus déclarés, un pourcentage inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis ! Motif : une bonne partie des actifs d’Ornex travaillent en Suisse et leurs revenus étant soumis aux règles locales de retenue à la source se trouvent fort peu imposés en France, car la convention fiscale prévoit de défalquer l’impôt déjà acquitté en Suisse de celui qui serait exigible au barème français.

Rien à voir cependant avec le fameux forfait fiscal, qui ne profite, pour sa part, qu’à des revenus et patrimoines fort élevés et dont les règles sont bien moins dures pour les expatriés français que pour les frontaliers.

Rappelons-le, le forfait fiscal se fonde sur la dépense réalisée en Suisse par le contribuable français pour l’entretien de sa personne et de sa maison, y compris à l’étranger. Cette dépense doit constituer sept fois la valeur locative ou le loyer de la résidence occupée sur le territoire des cantons suisses pratiquant encore ce système.

Ce dispositif, en cours de suppression à la suite de plusieurs initiatives populaires, permet ainsi à de riches hommes – ou femmes – d’affaires français retraités de disposer d’un logement très confortable en Suisse, sans que le prix de celui-ci représente pour eux une charge trop élevée.

Les quelques milliers de forfaits fiscaux pratiqués en Suisse rapportaient en moyenne, selon les derniers chiffres connus, 120 000 à 125 000 francs suisses aux administrations cantonales concernées, un chiffre sans commune mesure, évidemment, avec les pertes fiscales causées aux pays d’origine, eu égard au patrimoine et aux revenus dont disposent ces heureux bénéficiaires.

J’ai cité des exemples en lien non pas avec les plus récentes conventions fiscales signées par la France, mais avec la convention franco-suisse, actuellement en débat.

Pour autant, comme nous avons examiné depuis 2008-2009 une bonne vingtaine de conventions, dont la très critiquable convention conclue avec le Qatar, nous pourrions fort bien nous interroger sur l’efficacité réelle de ces textes. Combien de procédures d’échange d’informations en ont découlé ? Quels furent les résultats ? Ensuite, le moment venu, nous pourrions aller à l’essentiel.

La France n’a pas à suivre aveuglément les recommandations de l’OCDE, et même du GAFI, le groupe d’intervention financière, organisme qui en découle, quant à la transparence financière.

On peut même penser que le travail de la nouvelle commission d’enquête, dont nous avons demandé la constitution, mettra en évidence le rôle complexe du secteur financier dans ces processus d’évasion de capitaux vers des cieux fiscaux plus cléments.

En qualité de pays majeur dans le concert international, nous devons faire valoir notre approche de la transparence des mouvements financiers, en nous situant clairement au premier rang de la lutte contre la fraude et la dissimulation fiscales, en remettant en question à la fois les listes avantageusement établies de territoires dits « coopératifs » et les opérateurs, financiers notamment, qui continuent à y exercer des activités.

Nous pourrons ainsi nous demander ce que devient la loi n° 2010-845 relative à la convention entre la France et le Gouvernement des îles Caïmans, ce petit territoire où 350 personnes gèrent un total de fonds équivalant au quart des sommes administrées par la City de Londres...

C’est donc à une approche critique des conventions passées, à un reclassement précis des pays en fonction de leur transparence réelle et à des changements de pratiques de nos établissements financiers que nous appelons au terme de cette discussion.

Dans notre démocratie, le rôle de l’impôt est bien la participation de chacun à l’intérêt général, selon ses capacités. C’est ce que nous rappelle la Constitution. C’est aussi ce qui fonde notre volonté que cette lutte contre la fraude fiscale soit une priorité du Gouvernement, lequel doit s’en donner les moyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand vous tapez sur un moteur de recherche l’expression « conventions fiscales internationales », après quelques liens pointant vers des chroniques et des revues de jurisprudence, vous tombez immédiatement sur « Ancien inspecteur des impôts, avocat fiscaliste ». Autrement dit, monsieur le ministre, dans le domaine de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, c’est la guerre de l’obus et du blindage, du gendarme et du voleur, mais le voleur court plus vite, est mieux doté, mieux armé, mieux préparé, mieux conseillé. (Sourires.)

Le débat du jour proposé par nos collègues du groupe CRC fait suite à la commission d’enquête sénatoriale, dont le travail fut assidu, et précède celle qui va bientôt se dérouler.

Comme vous le savez, l’objet initial des conventions fiscales internationales est de prévenir les doubles impositions, lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que le blanchiment, faciliter la coopération internationale à l’échelon des administrations fiscales et douanières et organiser la coopération entre les différents parquets.

D’emblée, puisque nous sommes entre nous – ce sujet n’a pas l’air de passionner les foules –, reconnaissons-le, les conventions fiscales internationales ne sont pas les outils les plus efficaces contre la fraude et l’évasion. Pis, notre réseau de conventions n’est pas cohérent et crée parfois lui-même les mécanismes de l’évasion fiscale.

La question des prix de transfert est, de ce point de vue, une caricature ! Instrument pour éviter la double imposition, ces conventions deviennent des outils de l’évasion fiscale.

Les prix de transfert, on ne s’en lasse pas ! En droit interne, on en trouve une définition à l’article 57 du code général des impôts. Pour l’OCDE, les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées. […] Ils se définissent plus simplement comme étant les prix des transactions entre sociétés d’un même groupe et résidentes d’États différents : ils supposent […] le passage d’une frontière. » Il s’agit finalement d’une opération d’import-export au sein d’un même groupe.

D’après les estimations que nous avons recueillies dans le cadre de la commission d’enquête, le commerce intra-groupe représenterait 70 % du commerce international. Sur la base d’une étude des économistes Pak et Zdanowicz portant sur le commerce extérieur des États-Unis, la perte fiscale résultant de ces transferts aurait atteint en 2001 53,1 milliards de dollars pour les États-Unis et 23,6 milliards d’euros pour la France, soit 1,24 % de notre PIB, c'est-à-dire peu ou prou le montant du budget que nous mendions pour la défense nationale ; ce dernier est de 1,5 % du PIB, comme vous le savez, monsieur le ministre.

Je prendrai quelques exemples ; ce sera sûrement plus parlant. La société suisse Glencore, entreprise minière implantée en Zambie, fait perdre près de 200 millions de dollars à ce pays. Première tricherie : surévaluation des coûts de production. Deuxième tricherie : sous-évaluation des volumes de production. Troisième tricherie : manipulation des prix de transfert, le cuivre produit étant systématiquement vendu à la maison mère en Suisse à un prix inférieur à celui du marché.

Prenons maintenant l’exemple de brasseries implantées au Ghana, qui n’ont évidemment pas à supporter une augmentation de 160 % des droits d’accise ; les sénateurs du Nord savent de quoi je parle. Dans un rapport publié en 2010, ActionAid a révélé le schéma des versements réalisés par ces brasseries africaines.

L’enquête a permis de dénoncer les manipulations suivantes. Première tricherie : redevance en échange de l’utilisation de marques situées aux Pays-Bas ; manque à gagner pour le Ghana : 250 000 euros. Deuxième tricherie : versement pour des frais de gestion à une filiale en Suisse ; manque à gagner pour le Ghana : 200 000 euros. Troisième tricherie : enregistrement des services d’approvisionnement à l’Île Maurice ; manque à gagner pour le Ghana : 790 000 euros.

D’autres exemples témoignent de l’inefficacité de nos conventions internationales : des rasoirs en provenance du Royaume-Uni à 113 dollars l’unité, des seringues hypodermiques venant de Suisse à 140 dollars l’unité – c’est tout de même très cher ! –, ou encore des diamants naturels à 13,45 dollars le carat, ce qui est franchement très intéressant, mes chères collègues ! (Sourires.)

Christian Chavagneux, qui a été entendu par notre commission d’enquête, nous a expliqué que les douanes américaines avaient vu des seaux en plastique venant de République tchèque et passées par plusieurs paradis fiscaux être facturés 1 000 dollars aux États-Unis, ce qui est cher même pour un seau de qualité ; je vous renvoie aux pages 66 et suivantes du rapport de notre commission enquête. De manière plus intéressante encore, des missiles sortis des États-Unis à destination d’Israël sont arrivés en terre promise, après être passés par plusieurs paradis fiscaux, au prix de 50 dollars. À ce prix, vous et moi envahirions l’Iran. (Nouveaux sourires.)

Je n’évoquerai pas le cas des bananes, que chacun connaît : là aussi, par le jeu des prix de transfert, les paradis fiscaux absorbent 80 % du prix, le pays producteur n’en conservant que 20 %. La Cour des comptes évoque ce sujet dans son rapport sur la division des vérifications nationales et internationales.

Étant donné l’importance des profits en jeu, il ne faut pas s’étonner que la possibilité offerte par la sous-direction du contrôle fiscal aux entreprises qui le souhaitent de sécuriser juridiquement leurs prix de transfert, c'est-à-dire de les faire agréer par l’administration, soit peu usitée ! Le succès est mitigé, puisqu’il n’y a eu qu’une vingtaine d’accords par an, ce qui est assez faible compte tenu du nombre d’entreprises concernées. En outre, les contrôles sont minimes.

Néanmoins, l’administration de Bercy, que le monde entier nous envie, ne reste pas inactive. La direction générale des finances publiques, la DGFIP, a développé des coopérations bilatérales. Des jumelages ou appels d’offres ont été menés en Algérie, en Albanie, au Cameroun, en Croatie ou encore, ce qui vaut la peine d’être noté, au Liban. De nouveaux accords de coopération ont été conclus. Un travail est donc réalisé. Par ailleurs, la DGFIP a été élue à la présidence de l’Organisation intra-européenne des administrations fiscales pour 2010-2011, ce qui a permis d’importants échanges d’informations.

Dans cette nuit fiscale marquée par l’inefficacité des conventions internationales, je voudrais saluer les initiatives d’un certain nombre de régions françaises pour augmenter la transparence.

Le 17 juin 2010, la région Île-de-France a été la première région française à prendre une délibération contre les paradis fiscaux. Elle fut ensuite suivie par l’Alsace, qui a voté une mesure de transparence contraignante : elle impose aux banques avec lesquelles elle travaille de faire un reporting pays par pays ; c’est une mesure que nous réclamons à cor et à cri pour les entreprises. Ce reporting est de nature à faire connaître la réalité des activités ; on peut ainsi savoir si la contribution fiscale est juste au regard de la richesse produite. Monsieur le ministre, puisque vous venez, comme moi, de Basse-Normandie, je vous signale que tout reste à faire dans cette région ; nous pourrions travailler ensemble sur le terrain.

Lors de son audition par notre commission d’enquête, le directeur général des douanes et des droits indirects, Jérôme Fournel, a déclaré à plusieurs reprises que nous manquions d’outils juridiques de prévention et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et que notre meilleure arme restait encore une coopération qui n’est pas toujours au rendez-vous. Une seule certitude : la multiplication des conventions n’y changera pas grand-chose. Les conventions sont utiles pour limiter les cas de double imposition, pas pour endiguer les flux financiers colossaux mis en évidence notamment par l’Offshore Leaks.

En revanche, je crois fermement que les possibilités de notre droit ne sont pas encore épuisées. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, je pense que nous pourrions commencer par balayer devant notre porte.

Nous pourrions, à notre petite échelle, modifier notre règlement de manière à donner davantage d’importance à l’examen en séance publique des conventions internationales. Nous examinons les projets de loi autorisant leur ratification en procédure simplifiée, c'est-à-dire en quelques secondes, sans étude d’impact. Nous pourrions revoir complètement les modalités d’examen de ces conventions. Cela ne représenterait pas un très gros travail, et notre assemblée a un peu de temps libre, à en juger par l’ordre du jour chaotique de la semaine dernière, où nous n’avons pas siégé le mardi.

Il est également apparu au cours des travaux de notre commission d’enquête qu’il fallait améliorer la formation et les échanges. De ce point de vue aussi, nous avons du travail, car notre marge de progression est extrêmement importante.

Pour conclure, je voudrais vous poser deux questions, monsieur le ministre.

Premièrement, notre collègue Jean-Claude Merceron, sénateur de Vendée, m’a indiqué que certaines entreprises de son département avaient des problèmes avec le Pérou : apparemment, nous n’aurions pas conclu de convention relative à la double imposition avec ce pays.

Deuxièmement – Marie-France Beaufils a vaguement évoqué ce point il y a quelques minutes –, je rentre d’une mission dans les pays du Golfe, que je connais un peu, et il semblerait que la convention fiscale qui nous lie au Qatar prévoie des conditions plus favorables que celle qui nous lie aux Émirats arabes unis. Pourriez-vous m’expliquer la raison de cette différence de traitement entre deux pays voisins et amis ?

Le Sénat travaille sur ces questions. Vous nous trouverez tous unis à vos côtés sur ce sujet important non seulement pour notre morale, mais aussi pour améliorer l’état de nos finances publiques, qui en ont bien besoin. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même s’il a été demandé par nos collègues du groupe CRC avant la succession d’affaires d’évasion fiscale qui ont récemment ébranlé la France et le monde, ce débat est d’une actualité brûlante.

Ces affaires ont éclaté avec d’autant plus de violence qu’elles reflètent en réalité un problème récurrent, très loin d’être résolu malgré les progrès prétendument réalisés ces dernières années, le problème de la fraude et de l’évasion fiscales, qui sont facilitées par l’existence de juridictions où règne la plus grande opacité et où le niveau d’imposition est extrêmement faible, voire nul.

Comment ne pas s’interroger sur l’efficacité, et même l’utilité, des conventions fiscales, qui étaient jusqu’à présent l’un des principaux piliers de la lutte contre l’évasion fiscale internationale, quand notre ministre de l’économie affirme que c’est notamment à cause de la convention fiscale entre la France et la Suisse qu’il n’a pas pu obtenir d’informations concernant une affaire récente ? Il faut reconnaître que la Suisse est un assez mauvais élève en matière d’application des conventions fiscales prévoyant l’échange de renseignements.

Or c’est bien dans l’application effective de ces accords que réside le véritable obstacle à la transparence ; le mot est lâché, mais il ne convainc personne. En effet, ce n’est pas parce que le nombre de conventions fiscales bilatérales a explosé depuis quelques années que l’efficacité de l’échange de renseignements est garantie.

On peut même se demander si ce n’est pas le contraire qui se produit. L’exemple suisse le montre bien. La Confédération helvétique n’a jamais renoncé à son sacro-saint secret bancaire, contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là.

Le rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements souligne qu’il demeure « un problème [...] dans la coopération administrative avec la Suisse, qui a contesté une part importante [des demandes françaises] au motif qu’elles n’étaient pas “vraisemblablement pertinentes” pour l’application de la législation fiscale française » – le mot est très joli, mais il faudra nous expliquer où est la pertinence en la matière –, « ce qui traduit de [la] part [de la Suisse] une application erronée des standards de l’OCDE ». Malgré l’existence de conventions, les difficultés de l’échange effectif de renseignements sont donc bien réelles et surtout bien connues. C’est un fait.

Dès lors, comment renforcer l’efficacité de ces échanges ? Depuis les révélations récentes, les dirigeants des plus grandes puissances, dans le cadre de l’Union européenne ou du G20, ont tous la même priorité : l’échange automatique d’informations. Voilà donc l’antidote tant attendu contre les maux que sont l’évasion et la fraude fiscales.

Les États-Unis ont montré le chemin à suivre, avec une loi qui leur permettra bientôt d’imposer unilatéralement à tous les établissements financiers du monde l’obligation de transmettre à l’administration américaine toutes les données sur les comptes, mouvements de fonds et revenus des citoyens américains. Combinée à la mise en place de l’union bancaire en Europe, cette loi fait chanceler les pays qui continuaient jusqu’à présent, au sein même de l’Union européenne, à s’accrocher à leur secret bancaire : le Luxembourg, le Liechtenstein ou encore l’Autriche. Et que dire de la banque du Vatican ? Il semblerait cependant que ce pays ne constitue pas un refuge très sûr pour ceux qui veulent gagner beaucoup d’argent… (Sourires.)

Garantir l’échange automatique d’informations au niveau mondial, comme semble le souhaiter le G20, si l’on en croit les déclarations faites la semaine dernière à Washington, représenterait certainement un grand pas en avant dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale.

Toutefois, ce ne sera pas suffisant. En effet, si l’échange automatique d’informations parvient à être établi, encore faudra-t-il que l’administration fiscale dispose des moyens suffisants pour traiter efficacement cette masse d’informations.

Or, comme l’a souligné l’excellent rapport de nos collègues de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, les moyens humains et matériels de notre administration fiscale doivent être confortés. Selon la Cour des comptes, les agents de la DGFIP qui travaillent dans les services de contrôle sont aujourd’hui sous-dotés en effectifs par rapport aux services de gestion. De plus, ajoute le rapport de la commission d’enquête, « seuls 1 100 vérificateurs sont affectés dans les trois directions nationales spécialisées dans la fraude complexe ou internationale ».

Si le premier obstacle dans la lutte contre l’opacité que symbolisent les paradis fiscaux est sans doute l’absence d’échange d’informations suffisantes et pertinentes, un autre obstacle, tout aussi important, réside dans la capacité des administrations fiscales à analyser les informations, à réaliser les contrôles nécessaires, mais aussi à s’adapter à la multiplicité des formes de fraude et aux innovations permanentes dans ce domaine.

Le rapport de la commission d’enquête insistait déjà sur la nécessité de « rendre l’administration en mesure de répondre aux nouveaux enjeux de l’évasion fiscale ». Le rapport formulait d’ailleurs plusieurs propositions très intéressantes : « mieux former les contrôleurs fiscaux », notamment à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui sont devenues un important vecteur de fraude, ou encore « créer un corps interministériel d’informaticiens-enquêteurs » ayant les moyens de traiter la variété des fraudes et des montages d’optimisation fiscale.

Enfin, bien que les récentes déclarations du G20 sur l’échange automatique d’informations soient encourageantes, il me semble que le passé nous invite à faire preuve de la plus grande prudence, plutôt que de tomber dans un enthousiasme béat. On se souvient encore du G20 de Londres, en 2009, et des déclarations du Président de la République de l’époque, qui affirmait, pleinement satisfait : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé !». On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

M. François Fortassin. À l’époque, on nous présentait la mise en place des fameuses listes grises et noires de l’OCDE comme une avancée majeure dans la lutte contre les paradis fiscaux. On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Immédiatement après l’établissement de ces listes, les États ou territoires dits « non coopératifs » ont pu sortir de la liste noire dès lors qu’ils avaient signé au moins douze conventions fiscales prévoyant l’échange de renseignements et respectant les standards du modèle OCDE. Or quoi de plus facile, pour un paradis fiscal, de conclure avec ses semblables ou avec des territoires comme le Groenland, qui ne feront pas de difficultés, bien entendu, pour transmettre tous les renseignements voulus, cette douzaine d’accords d’échange de renseignements ?

La liste des paradis fiscaux, ou plutôt des États et territoires non coopératifs, puisque tel est le terme officiel, s’est donc rapidement vidée. En France, chaque État qui signe aujourd’hui une convention d’échange de renseignements avec notre pays sort de facto de cette liste. Bien sûr, il peut théoriquement y être réintégré dès lors que l’échange d’informations n’est pas effectif, mais, monsieur le ministre, combien de fois ce cas de figure s’est-il présenté ? J’espère que vous pourrez nous donner une réponse.

Méfions-nous donc des déclarations dithyrambiques sur la fin de l’évasion fiscale et saisissons-nous des propositions concrètes existant à l’échelon européen pour renforcer la lutte non seulement contre l’évasion fiscale, mais aussi contre la concurrence fiscale déloyale.

La révision de la directive Épargne, véritable serpent de mer, pourrait, si elle aboutit, constituer une grande avancée. Tout en continuant de plaider et d’être une force de propositions à l'échelle internationale pour la transparence fiscale, agissons dès aujourd’hui de façon coordonnée avec nos partenaires européens pour montrer l’exemple.

Le groupe RDSE soutiendra le Gouvernement dans toutes les actions concrètes pour lutter efficacement et au quotidien contre la fraude et l’évasion fiscales. À cet égard, il me semble, monsieur le ministre, comme cela a déjà été souligné, que la cinquantaine de propositions issues du rapport sénatorial de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales serait une source d’inspiration toute trouvée pour le Gouvernement.

J’ajouterai qu’il ne faut pas négliger l’homme de la rue qui, pour l’instant, ne croit pas à la transparence en matière fiscale. Les eurocrates de Bruxelles, convaincus de leur savoir, sont peut-être les seuls à penser qu’elle existe. Il faut dire que, cravatés comme des notaires de province et ressemblant à des plantes de serre, ils ne sont pas forcément d’une grande efficacité, car on a surtout besoin de chênes de plein vent pour affronter cette rude tempête. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Nathalie Goulet. Quelle poésie !

M. Philippe Marini. Quelle belle chute !

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, je voudrais tout d’abord remercier le groupe CRC, en particulier M. Bocquet, d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.

Il s’agit là d’un sujet qui prend un relief tout particulier au regard de l’actualité, et il est plus que temps pour les pouvoirs publics et la représentation nationale de s’en préoccuper sérieusement.

Les notions que ce débat mobilise sont en effet structurantes dans notre vision du monde et le fonctionnement de nos États. Les enjeux de fond qui s’y rattachent concernent la solidarité au niveau des nations et entre les nations elles-mêmes, la bonne gouvernance, l’équité internationale et la juste imposition. Pas moins ! Or leur méconnaissance a malheureusement occupé, dans un passé récent, une place prépondérante dans la marche du monde ou plutôt, devrais-je dire, dans ses titubations.

Nous devons donc nous en emparer sans tarder, comme, d’ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement semblent aujourd’hui déterminés à le faire.

Je ne reviendrai pas sur la définition de ces conventions fiscales ou sur les politiques qui ont été mises en place jusqu’à aujourd’hui à leur égard. Les orateurs précédents s’y sont déjà brillamment attachés. Mon propos visera simplement à replacer cette question dans un cadre un peu plus large.

Il est communément admis aujourd’hui que le système de conventions fiscales que nous connaissons a quelque chose de singulièrement absurde lorsqu’il s’agit de lutter contre la fraude fiscale et d’assurer un fonctionnement harmonieux et équilibré de l’économie et de la société. Les grandes entreprises et les particuliers les plus aisés profitent à merveille de la division des tâches opérée par les places financières pour répartir au mieux leurs actifs, leurs passifs, leurs activités réelles et leurs implantations fictives. Mieux, ils le font le plus souvent en respectant la légalité !

Tant que nous réfléchirons comme nous l’avons fait jusqu’à présent, cela ne changera pas.

Dans cette affaire, l’Union européenne s’est trop souvent montrée passive et s’est trop longtemps soustraite au rôle qui devrait être le sien. Quelques-uns de ses États membres pratiquent en effet un dumping fiscal acharné ; certains de ses territoires sont des paradis fiscaux à part entière, de même que plusieurs de ses partenaires commerciaux. L’île de Jersey, la Suisse, l’Autriche, la City de Londres, le Luxembourg ou Chypre : nombreuses sont les places financières qui entretiennent ou entretenaient encore récemment, pour les unes, l’opacité, pour les autres, la dérégulation du secteur financier.

Du fait de la règle de l’unanimité qui prévaut en matière fiscale, l’Union européenne n’a toujours pas su se doter de règles harmonisées en la matière.

Quand elle avance, comme pour le texte sur l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, ou encore sur la TVA appliquée aux produits vendus sur internet, elle le fait à pas extrêmement ralentis et parfois de manière anachronique.

Faut-il rappeler ici, en présence de M. Marini, les effets de ces disparités sur les librairies et autres disquaires, quand ils se trouvent concurrencés par des entreprises opérant via Internet et répartissant leurs filiales de manière à échapper, y compris légalement, à l’impôt ?

M. André Gattolin. Des soucis du même ordre se font jour quand il s’agit de conclure des accords de commerce bilatéraux avec le Canada, les États-Unis ou le Japon, qui auront pour effet d’abaisser encore un peu plus les droits de douane. Ceux-ci étant déjà quasi inexistants entre nos pays et ces partenaires-là – ils sont en moyenne de 4 % entre les États-Unis et l’Union européenne –, a-t-on besoin d’affaiblir encore les finances de l’Union européenne, en particulier ses ressources propres, alors que nul n’ignore que la puissance publique manque cruellement de moyens ?

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe a trop longtemps manqué d’ambition et de cohérence en ces domaines. D’ailleurs, des pays comme le Luxembourg ou l’Autriche ont sans doute davantage évolué sous les coups de boutoir des États-Unis que par solidarité avec leurs partenaires !

Pis, la France elle-même a traîné les pieds et s’est montrée très en retard dans la réflexion autour de la lutte contre les paradis fiscaux ou au sujet des nouvelles formes de fiscalité. Nos difficultés actuelles à parler d’une fiscalité du numérique digne de ce nom en témoignent.

M. Philippe Marini. Absolument !

M. André Gattolin. Les écologistes se félicitent donc des annonces récentes du Président de la République, qui visent notamment à établir un échange automatique des informations bancaires ou la mise en place d’une comptabilité détaillée et circonstanciée, pays par pays, non seulement pour les banques mais aussi pour les autres grandes entreprises.

Nous avons d’ailleurs nous-mêmes proposé de telles mesures dans nos amendements sur la loi bancaire, mais ils ont été, dans un premier temps, en partie repoussés, tant la pression de certains établissements financiers, qui disaient craindre pour leur compétitivité, a été forte.

Publication de la nature et de l’activité des filiales et de leurs effectifs, des chiffres d’affaires et de leurs bénéfices, des impôts qu’elles paient et des subventions qu’elles reçoivent partout dans le monde : ces dispositions sont les seules à même de déceler et de lutter contre les abus, les incohérences et les dérives dues à l’excès de globalisation et de financiarisation de l’économie.

Surtout, elles rencontrent aujourd’hui un soutien croissant. L’OCDE, qui y a longtemps été hostile, semble, en ce moment même, opérer sa conversion. Le G20 a, le week-end dernier, encouragé les États à faire de l’échange automatique d’informations le standard international.

Notre ministre de l’économie, qui participait à ce sommet, a récemment réclamé, avec plusieurs de ses collègues européens, que la législation de l’Union évolue pour se rapprocher des nouvelles politiques américaines en la matière.

C’est dire que le contexte semble aujourd’hui porteur, encourageant, et que nous avons là une possibilité d’agir comme jamais nous n’en avons eu jusqu’à présent. Je conclurai donc logiquement en mettant l’accent sur l’importance de ne pas gâcher cette occasion.

Monsieur le ministre, vous avez, sur ce sujet, le soutien entier et résolu des écologistes, impliqués depuis de nombreuses années dans ces questions, pour aller aussi loin que possible. Nous savons que le Gouvernement est ambitieux en la matière. Nous savons aussi que bien des promesses ont été faites dans le passé, mais que fort peu d’entre elles se sont concrétisées.

Nous espérons que la France se fera aussi bruyante qu’incontournable au sein des institutions européennes et multilatérales pour faire avancer ses préconisations. Nous espérons aussi que les moyens législatifs que vous nous soumettrez, les sanctions que vous envisagerez pour les contrevenants, les propositions que vous ferez pour révolutionner la fiscalité française, européenne et internationale seront à la hauteur des enjeux. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à vous saluer puisque c’est la première fois que je suis amené à me trouver face à vous en séance publique dans vos nouvelles fonctions.

Je voudrais aussi rendre, à mon tour, hommage au groupe CRC, qui est à l’initiative de ce débat particulièrement opportun, alors qu’une nouvelle commission d’enquête sur ce sujet va entamer ses travaux au sein de notre assemblée. Un tel rendez-vous doit être l’occasion pour le Gouvernement, je l’espère, de nous faire part de l’état des discussions internationales, en particulier du contenu du G20 de la semaine dernière.

Comme chacun sait, la commission des finances s’intéresse de près aux conventions fiscales, car elle traite au fond les projets de loi de ratification. Notre tradition, amorcée par nos anciens collègues Adrien Gouteyron et Nicole Bricq, reprise maintenant par Michèle André, est d’approfondir la recherche autant qu’il est possible, afin d’éclairer l’ensemble des membres de la Haute Assemblée sur les enjeux.

La commission des finances est donc bien placée pour mesurer l’ampleur du changement de braquet de la politique conventionnelle de la France au cours de ces dernières années, tant pour ce qui concerne le nombre de conventions conclues que pour ce qui est du contenu de ces textes et de l’ambition qui y est affichée. À cet égard, je souhaite préciser que ce changement de braquet résulte de l’impulsion donnée par le président Sarkozy (D’un geste, M. Jacques Chiron manifeste son désaccord.), et je me réjouis que celle-ci ait été prolongée par le gouvernement actuel.

En effet, à l’automne 2008, lorsque la crise financière a éclaté, et alors que Nicolas Sarkozy présidait le Conseil européen, il a su agir de manière efficace pour que le G20 se mette en place, puis pour mettre à l’ordre du jour du sommet de Londres la lutte contre les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires. C’est dans la foulée de cette action internationale que le modèle de convention de l’OCDE, qui dormait dans des cartons ou dans les greniers du château de la Muette depuis des années, s’est imposée comme le standard mondial : désormais, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE veille, en principe, à ce que les engagements pris par les États ou territoires afin de sortir des listes « noires » ou « grises » de l’Organisation soient bien suivis d’effets.

En conséquence, la France a, depuis 2009, conclu ou révisé des conventions avec vingt-huit États ou territoires dont, par exemple, Andorre, la Suisse, le Liechtenstein ou Jersey, afin de les rendre conformes au modèle de l’OCDE, qui interdit à la partie requise de s’abriter derrière le secret bancaire pour refuser de répondre à une demande individuelle.

Les progrès sont donc réels par rapport à la situation qui prévalait avant 2009.

Au demeurant, je me réjouis de constater que l’actuel Gouvernement a conservé le même cap en soumettant à la ratification du Parlement plusieurs nouvelles conventions, avec les Philippines, Oman ou Aruba, elles aussi calquées sur le modèle de l’OCDE.

Après ce rappel, je souhaiterais insister sur ce qui constitue notre préoccupation permanente, à savoir, au-delà de la simple existence de ces accords, l’effectivité de leur mise en œuvre. Notre commission des finances n’a jamais fait preuve d’une naïveté béate face à la réalité : les rapports et les débats de notre assemblée démontrent notre volonté de ne pas nous contenter de mots, fussent-ils inscrits dans des conventions, et de veiller à l’application effective des nouvelles dispositions conventionnelles. J’en donnerai quelques exemples.

Lors de l’examen de la dernière loi de finances rectificative pour 2009, au sein de laquelle fut créée la notion d’« État ou territoire non coopératif », j’avais défendu, en qualité de rapporteur général de la commission des finances et avec le soutien du président Jean Arthuis, un amendement dont l’adoption aurait abouti à l’inscription de la Suisse sur la liste des États et territoires non coopératifs, nos voisins ayant alors choisi de suspendre le processus de ratification de l’avenant à la convention franco-suisse en raison de l’affaire dite du « listing HSBC ». Il est d’ailleurs dommage que nous n’ayons pas été suivis à l’époque.

À la fin de 2011, considérant que le Panama n’avait pas la capacité juridique de mettre en œuvre la convention passée avec la France, notre rapporteur général, Mme Nicole Bricq, nous avait incités à rejeter l’avenant, provoquant ainsi la réunion d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi une convention fiscale, ce qui est une rareté ! Cela nous avait permis de siéger dans la salle de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, puisque, au Palais Bourbon, c’est à cette commission qu’est confié l’examen au fond des conventions fiscales.

Plus récemment, les rapports de Michèle André rappellent que, s’il est possible de retirer un État de la liste des États non coopératifs, il est également possible de l’y réinscrire, s’il ne respecte pas ses engagements.

L’état des lieux étant dressé, comment aller plus loin ? Que faire, à présent que nous disposons de quelques années de recul sur les premières conventions négociées ou renégociées à la suite de l’aval donné par le G20 de 2009, et tandis que l’enquête dite Offshore Leaks d’un réseau de journalistes internationaux a bien montré que les paradis fiscaux demeuraient une réalité quotidienne ?

Dans cette optique, monsieur le ministre, je souhaite évoquer devant vous trois pistes propres à nourrir la réflexion.

Première piste : développer l’échange automatique, ce qui signerait véritablement la fin du secret bancaire.

La France, nous le savons, plaide depuis longtemps en faveur d’une systématisation de l’échange automatique. Les positions du précédent gouvernement dans le cadre de la renégociation de la directive Épargne ont été heureusement reprises à son compte par le gouvernement actuel.

Avec quatre autres États européens, notre gouvernement vient par ailleurs de lancer un appel au commissaire européen Semeta, chargé de la fiscalité, en vue de la mise en place, en Europe, d’un dispositif inspiré de la réglementation américaine FATCA, sur laquelle nous tâcherons de nous documenter lors du prochain déplacement du bureau de la commission des finances aux États-Unis. Il serait utile, monsieur le ministre, vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.

En tout état de cause, il semble que la situation évolue en Europe et, à cet égard, le Conseil européen du 22 mai 2013 pourrait marquer une étape importante ; sans doute nous le direz-vous, monsieur le ministre.

Deuxième piste : il convient de mieux utiliser les outils existants.

À cet égard, je me permettrai de faire une allusion discrète à l’actualité récente et à un dossier très médiatisé, qui m’a amené à m’intéresser de près au fonctionnement concret de deux conventions fiscales, celles que nous avons signées avec la Suisse, d'une part, et avec Singapour, d'autre part.

Je n’évoquerai, pour illustrer mon propos, que la convention franco-suisse, emblématique à bien des égards, et dont le dernier avenant est entré en vigueur le 4 novembre 2010.

Je relève, que le dernier « jaune budgétaire » sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances pour 2013, comprend des passages critiques sur la qualité de notre coopération avec la Suisse. Notre pays avait, au 31 août 2011, adressé 98 demandes d’assistance administrative à la Confédération helvétique et n’avait reçu à la même date que 55 réponses. Ce taux conduit à s’interroger sur le délai de réponse des autorités suisses, mais ne donne pas d’indication quant à la qualité des réponses reçues. Il semble bien qu’un nombre significatif de demandes soient jugées « non pertinentes » par notre voisin.

Pourtant, il est désormais bien connu que l’avenant franco-suisse a été complété le 11 février 2010, comme l’avait relevé Adrien Gouteyron devant notre assemblée, par un échange de lettres entre les directeurs des administrations fiscales de nos deux pays, permettant d’interroger les Suisses même lorsque l’on ne connaît pas avec certitude la banque concernée. Je m’interroge toujours sur les raisons pour lesquelles il semble bien que nous n’utilisions pas pleinement cette faculté.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de la Suisse, la question qui se pose est la suivante : sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère de la coopération franco-suisse, ou bien les difficultés identifiées dans le « jaune budgétaire » à l’automne dernier subsistent-elles ?

Un cas récent a permis de montrer que les autorités suisses pouvaient répondre de manière rapide et constructive lorsque les bonnes questions lui étaient posées. Un nouveau test important nous permettra de nous faire une idée du niveau réel de collaboration de notre partenaire suisse. Selon la presse, en effet, la France a effectué des demandes d’assistance administrative concernant quelque 353 contribuables qui auraient été démarchés par la banque UBS.

De manière plus générale, il est important, pour les parlementaires qui ne peuvent participer aux discussions entre administrations fiscales, de mieux comprendre les difficultés concrètes auxquelles se heurte notre direction générale des finances publiques. J’ai le sentiment que certains États limitent leur assistance à la simple confirmation des informations obtenues par les services français, qui doivent recueillir par eux-mêmes des données très détaillées avant de pouvoir espérer des réponses.

Sans verser dans la naïveté, on aurait pu penser que, eu égard aux discours publics des gouvernements et à l’intérêt de contenir l’évasion des capitaux, les autorités des pays bénéficiaires des mouvements contribueraient à l’analyse des mouvements suspects, par exemple lorsqu’un même établissement bancaire procède à des transferts massifs de comptes depuis un pays dans lequel les règles sont sur le point de se durcir. Je souhaiterais connaître votre analyse sur ces sujets, monsieur le ministre.

Ne pensez-vous pas, qu’il faudrait aussi, même si la France est déjà aux avant-postes, toujours plus stimuler notre réseau conventionnel, afin de faire comprendre aux États requis que le « principe de proportionnalité », derrière lequel ils s’abritent souvent pour justifier leur peu d’empressement à diligenter des recherches, doit aussi valoir pour la requête, qui ne peut pas toujours être d’une extraordinaire précision ?

En cas de refus trop fréquent d’un partenaire qui ne permettrait pas une application satisfaisante de notre loi fiscale malgré la conclusion d’une convention, ne devrions-nous pas être en mesure de solliciter le Forum mondial de l’OCDE pour qu’il procède à une nouvelle investigation ? Ne devrions-nous pas aller jusqu’à assumer l’inscription ou la réinscription de l’État concerné sur notre liste des États et territoires non coopératifs ?

Troisième piste, enfin : renforcer le contrôle démocratique.

La souveraineté fiscale de nos États est aujourd’hui menacée, plusieurs d’entre nous l’ont dit très justement, par les pratiques à la fois illicites et immorales d’évasion fiscale, mais aussi par la manipulation de leurs bases d’imposition par les grandes entreprises.

Une bonne information des citoyens et du Parlement est donc essentielle. À cet égard, monsieur le ministre, le « jaune budgétaire » sur les conventions fiscales annexé au projet de loi de finances me paraît toujours un peu maigre. Il doit a minima être enrichi de données qualitatives sur le caractère satisfaisant ou non des réponses adressées à la France par chaque pays partenaire.

Je regrette, par ailleurs, que l’annexe au projet de loi de finances, créée par la loi de finances initiale pour 2011, et dans laquelle doit être présenté un bilan annuel des contrôles effectués par l’administration fiscale, n’ait toujours pas été publiée. Un tel document fournirait pourtant au Parlement des informations précieuses, notamment sur les demandes de documentation, procédures et contrôles concernant la « manipulation des prix de transfert ». C’est un enjeu essentiel, sur lequel j’insiste à mon tour.

Il ne s’agit là évidemment que de quelques pistes, en préambule de travaux de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières, conduits sous la houlette de nos collègues Éric Bocquet et Philippe Dominati,…

M. Philippe Marini. … et qui s’annoncent très riches. Je leur adresse par avance, ainsi qu’à tous ceux qui s’associeront à leurs efforts, tous les encouragements de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Nathalie Goulet et M. André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur, au nom de la commission des finances, de plusieurs projets de loi ratifiant des conventions fiscales et des accords d’échange de renseignements, j’ai été amenée à analyser en détail ces instruments. Bien entendu, je n’ai pas la prétention d’en savoir autant sur le sujet que nous abordons ce soir que nos collègues qui ont travaillé au sein de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux. Je remercie d’avoir Éric Bocquet d’avoir posé ici la question de l’efficacité des conventions fiscales internationales.

La politique conventionnelle française s’inscrit dans le cadre multilatéral mis en place par l’OCDE. J’ai bien entendu les critiques émises ce soir sur cet organisme. Je veux donc rappeler ce que nous a dit M. Saint-Amans, directeur de son centre de politique et d’administration fiscales ? À la réflexion de notre collègue Jean Germain qui, après avoir entendu son exposé, se déclarait « admiratif d’un point de vue intellectuel, mais gêné politiquement », il avait répondu que l’OCDE n’était qu’un outil au service des politiques, mais qu’il était utile que nous, les politiques, parlions de cet outil, y compris pour le réformer.

Permettez-moi tout d’abord de procéder à un bref historique de la question.

Dès 2000, l’OCDE a publié une première liste des « paradis fiscaux ». Quelles sont les principales caractéristiques d’un « paradis fiscal » ? Il s’agit d’un État ou territoire dans lequel les impôts directs sont insignifiants ou inexistants, où les activités économiques substantielles sont rares, dont le régime fiscal n’est pas transparent et qui ne transmet pas de renseignements aux administrations fiscales des autres pays.

En 2002, un modèle de convention sur l’échange de renseignements en matière fiscale a donc été élaboré au sein de l’OCDE. Il s’agissait alors de s’accorder sur des standards internationaux en matière d’échange des renseignements, afin de lutter contre les pratiques dites « dommageables ». Ces standards définis, ils ont trouvé leur place à l’article 26 du modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune de l’OCDE, adopté en 2008, ce modèle couvrant un champ plus large que le seul échange d’informations.

Selon ces accords, les pays s’engagent à échanger, sur demande, des informations en matière fiscale. Le pays requérant doit uniquement démontrer la pertinence prévisible de sa demande : c’est la notion de renseignements « vraisemblablement pertinents », qui vise à empêcher les États d’aller à la « pêche » aux informations. L’actualité récente a mis en lumière cette question.

Cependant, il a fallu attendre le G20 de Londres, en 2009, pour que la communauté internationale s’engage véritablement à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en renforçant la coopération. Ainsi, en 2009, l’OCDE a publié trois listes de juridictions, en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale : la « liste noire » recensait les États n’ayant pris aucun engagement en termes d’échange de renseignements ; la « liste grise » regroupait les États s’étant engagés à signer de tels accords ; enfin, les pays ayant signé plus de douze accords figuraient sur la « liste blanche ». Dans le cadre national également, il suffisait à un pays de signer plus de douze accords pour ne plus être présent sur la liste des États et territoires non coopératifs.

Consciente du fait que le critère formel de la signature de douze accords ne suffisait pas à rendre effective la coopération, l’OCDE a prévu des modalités de contrôle desdits accords. Ainsi, depuis 2010, le Forum mondial de l’OCDE examine l’engagement à coopérer des 105 États membres au regard des standards internationaux. Cet examen, conduit par d’autres pays membres, comprend deux phases : la première analyse le cadre normatif de l’État, tandis que la seconde dresse le bilan qualitatif et quantitatif de la mise en application des accords. Il s’agit donc bien d’un contrôle de l’effectivité de la coopération.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la politique conventionnelle de la France depuis 2009.

La commission des finances du Sénat, qui est compétente au fond pour examiner les conventions fiscales, a toujours été attentive aux observations et recommandations formulées par l’OCDE, notamment dans la phase d’analyse du système juridique du pays. Ainsi, après avoir constaté que le Panama ne satisfaisait qu’à trois des dix critères de transparence définis par le Forum mondial, Nicole Bricq, alors rapporteur général, a proposé au Sénat de rejeter la convention fiscale entre la France et ce pays.

En outre, j’ai souligné à plusieurs reprises que la ratification ne peut être assimilée à un blanc-seing. Dans le cas où l’échange de renseignements ne serait pas effectif, l’État ou le territoire concerné doit être réintégré à la liste française des États et territoires non coopératifs. Il est primordial que le Gouvernement tienne pleinement compte de l’effectivité de l’échange d’informations lors de la prochaine révision de la liste de ces États.

Cette expérience au sein de l’OCDE, si elle demeure insuffisante, nous conduit à considérer que le fatalisme n’est pas de mise : dans ce domaine, un engagement politique fort, et partagé au niveau international, permet d’avancer. La ratification de conventions fiscales comprenant une clause d’échange de renseignements conforme aux standards internationaux constitue donc un préalable indispensable pour lutter contre l’évasion.

Certes, il convient aujourd’hui d’aller plus loin. En effet, les listes « noires » et « grises » se sont peu à peu vidées de leur contenu à mesure que les États développaient leur politique conventionnelle. C’est d’ailleurs une critique adressée aujourd’hui à l’OCDE. Mais la preuve que ces listes ont fonctionné, c’est justement qu’elles sont vides à présent : les États se sont engagés à coopérer. Désormais, et cela était prévu dès 2009, il s’agit de vérifier l’effectivité des échanges et de veiller ainsi au respect des conventions fiscales.

Je voudrais également souligner que le bilan, au niveau national, de l’échange de renseignements en matière fiscale n’est pas à la hauteur des enjeux. En 2011, l’administration fiscale française a adressé seulement 1 922 demandes de renseignements. Sans doute le renforcement des moyens humains et technologiques de l’administration fiscale annoncé par le Gouvernement permettra-t-il de faire progresser le nombre et la qualité des informations échangées. Néanmoins, la faiblesse de ce chiffre met en évidence l’avantage que pourrait avoir un système automatique d’échange de renseignements pour renforcer l’efficacité de notre politique de lutte contre l’évasion fiscale.

En plus de la poursuite des travaux au sein de l’OCDE, toutes les mesures renforçant la transparence en matière fiscale doivent être mobilisées.

Il faut se féliciter des avancées permises par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, actuellement en cours d’examen au Parlement. Désormais, les banques devront publier, chaque année, la liste de l’ensemble de leurs filiales, pays par pays. Pour chaque filiale, elles devront indiquer la nature des activités, le produit net bancaire, les effectifs employés, les bénéfices avant impôts, les impôts acquittés et les subventions publiques reçues. Cette mesure sera également mise en œuvre au niveau européen. Grâce à ces informations, nous pourrons détecter les transactions effectuées dans des paradis fiscaux.

Ainsi, une « fenêtre de tir » politique se présente à nous : certains pays jusqu’alors réticents sont aujourd’hui prêts à s’engager plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Nous devons saisir l’opportunité qui s’offre à nous pour faire davantage contre l’évasion fiscale, qui prive nos États de recettes dont ils ont plus que jamais besoin. Notre collègue Marie-France Beaufils y a fait allusion tout à l'heure.

Je pense en particulier à l’instauration d’un système européen d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine appelée FATCA. Celle-ci est destinée à lutter contre l’évasion fiscale des contribuables américains détenant des avoirs ou percevant des revenus via des comptes ouverts en dehors des États-Unis. Pour cela, les institutions financières étrangères devront transmettre aux autorités américaines les informations sur les comptes bancaires détenus par les contribuables américains. Les banques devront également prélever une retenue à la source de 30 % sur les revenus des personnes « récalcitrantes ». Enfin, elle prévoit un reporting annuel indiquant les noms, numéros d’identification fiscaux et avoirs des clients américains.

En février 2012, plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont signé avec les États-Unis une déclaration où ils se sont engagés à développer une approche commune pour la mise en œuvre de FATCA. Les échanges devraient ainsi se faire sur une base réciproque et passer par les administrations fiscales nationales, notamment afin de respecter les obligations de protection des données personnelles, que nous ne devons pas non plus oublier. Si les conditions de mise en œuvre précises de cet engagement n’ont pas encore été arrêtées, cette initiative constitue un premier pas vers la constitution d’un modèle commun d’échange automatique de renseignements.

Toutefois, le modèle américain ne peut pas être transposé tel quel au niveau européen. C’est en effet le principe de la résidence, et non de la citoyenneté, qui prévaut en Europe en matière fiscale. L’administration fiscale française ne peut donc pas s’intéresser aux revenus perçus par les Français résidant fiscalement dans un autre pays. Pourtant, la réforme américaine peut être source d’inspiration pour l’Europe, et je ne doute pas que nous trouverons à y puiser certaines solutions.

Je me félicite à cet égard de la lettre conjointe adressée à la Commission européenne par le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, et ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, afin de mettre en place un projet multilatéral d’échange automatique de renseignements, inspiré de l’initiative américaine.

Le Conseil européen du 22 mai prochain constituera une étape importante dans la définition d’une véritable politique européenne de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quel message la France entend porter lors de ce sommet ? Quelles démarches ont été entreprises pour convaincre nos partenaires de l’urgence d’agir en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?

Aux niveaux international et national, nous avons su développer des outils. Ils doivent être renforcés, complétés, en particulier au niveau de l’Union européenne. Il est de notre responsabilité – Gouvernement et Parlement – de transcrire cette volonté politique en actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. André Gattolin et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales s’inscrit, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, dans le cadre de la réflexion approfondie qui a été engagée au Sénat sur l’évasion fiscale, à la suite, notamment, du rapport de mon collègue Éric Bocquet, que je tiens à saluer. Ce rapport a été publié au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, que j’ai eu le plaisir de présider.

Le précédent débat que nous avions tenu sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, le 3 octobre dernier, avait permis de prolonger en séance les travaux de la commission d’enquête.

Les conventions fiscales internationales, notamment bilatérales, s’inscrivent pleinement dans la lutte contre l’évasion fiscale, en permettant l’échange d’informations entre la France et les autres pays.

Elles préviennent l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF, mais aussi de droits de succession et de donations. Elles clarifient également la situation des résidents français à l’étranger, en évitant la double imposition des revenus, en précisant le lieu d’imposition de leurs biens et revenus, ainsi que la définition de la résidence fiscale pour éviter tout contentieux avec le fisc français.

Le but de ce type de convention fiscale est donc d’attribuer à un seul des deux pays le domicile de la personne, donc l’étendue de son obligation fiscale.

Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, publié en 2007, notait que la coopération internationale se développait, mais restait insuffisante, et que les services de contrôle pouvaient parfois se retrouver « démunis » pour obtenir des informations lors d’opérations économiques transfrontalières.

Depuis, la communauté internationale, notamment sous l’impulsion du président Sarkozy, lors des sommets du G20 de Londres et de Pittsburgh en 2009, a fait de la transparence fiscale et de l’amélioration de la coopération dans ce domaine une de ses priorités, et les accords internationaux en la matière se sont multipliés.

Le Sénat a déjà examiné de nombreux accords relatifs à l’échange de renseignements dans le domaine fiscal, fondés sur le modèle de convention établi par l’OCDE. Depuis plusieurs années, des actions concrètes ont été engagées, avec des résultats probants dans la lutte contre l’opacité juridique, comptable et bancaire.

Quoi qu’en disent certains de nos collègues, la coopération entre administrations fiscales en matière d’échange de renseignements a progressé à grands pas sous le précédent quinquennat, des modifications importantes dans les législations nationales et surtout de nouvelles conventions bilatérales étant intervenues. D’ailleurs, le rapport final de notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale, adopté à l’unanimité de ses membres, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée, le reconnaît.

Même dans de grands centres financiers offshore, comme la Suisse ou Singapour, le secret bancaire recule : ainsi disparaissent les principaux obstacles juridiques qui entravaient la levée du secret bancaire pour raisons fiscales.

Bien sûr, des progrès doivent encore être réalisés, mais le bilan en la matière est déjà positif.

Certes, l’affaire Cahuzac fait douter de l’efficacité de ces conventions. Mais ce qui semble en jeu, c’est non pas tant leur efficacité que la pleine utilisation par Bercy des facultés ouvertes par les conventions fiscales signées avec la Suisse et Singapour en matière d’échange d’informations, comme l’a très bien souligné le président Marini.

En matière d’échange d’informations, dans le cadre des conventions bilatérales, le point sur lequel devraient essentiellement porter les améliorations est plutôt la rapidité des réponses aux demandes d’information. Il faut en effet parfois compter plusieurs mois d’attente, par manque de convention directe, et, si l’on porte crédit aux propos du ministre, Bercy n’a reçu en une semaine que 28 réponses sur les 426 demandes adressées à la Suisse.

Le problème de l’évasion fiscale doit aussi être appréhendé en amont. Les conventions ne sont que le fil tentant de suturer une plaie causée par une politique fiscale poussant à l’évasion.

La réalité, comme je l’avais déjà rappelé lors du débat d’octobre dernier, c’est que nous vivons dans un environnement fiscal concurrentiel. Si notre fiscalité est punitive ou confiscatoire, grande peut être la tentation de placer dans des comptes offshore ses économies, qui sont bien souvent le fruit de son travail, d’une prise de risques liée à une création entrepreneuriale.

Je rappelle que la France va atteindre cette année le niveau record de prélèvements obligatoires, à hauteur de 46,5% du PIB, qu’il est envisagé de stabiliser ce niveau dans les trois ans qui viennent mais sans aucune perspective de le diminuer, ainsi que vous nous l’avez confié en commission des finances récemment, monsieur le ministre.

La tentative d’introduction de la taxe à 75 %, censurée par le Conseil constitutionnel pour son caractère confiscatoire, a, hélas, eu des effets psychologiques désastreux sur les plus fortunés. L’exil fiscal est difficilement quantifiable ; toutefois, selon les notaires et avocats fiscalistes, les départs auraient été multipliés par cinq en 2012 et il y en aurait eu plus de 5 000.

Je me réjouis à ce propos que nous puissions éventuellement disposer dans quelque temps de données plus précises en la matière, avec le lancement d’une étude à grande échelle par un think tank des cabinets d’avocats, apolitique et indépendant, et regroupant une quarantaine de fiscalistes français et internationaux.

L’envoi d’un questionnaire à plus de 200 professionnels français, belges, suisses et britanniques, qu’ils soient avocats fiscalistes, notaires ou banquiers, devrait permettre de compiler les informations. La commission d’enquête, dans son rapport, avait d'ailleurs préconisé que notre administration dispose de données précises avant qu’un think tank ne soit obligé d’éclairer les parlementaires sur ce type d’informations !

Dans son dernier rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que le montant des pertes fiscales liées à cette expatriation se situait entre 29 milliards et 40 milliards d’euros par an.

Le rapport de la commission d’enquête évalue, quant à lui, le montant minimal de l’expatriation fiscale entre 30 milliards et 36 milliards d’euros, sans pouvoir le chiffrer plus précisément, faute d’informations suffisantes de la part de l’administration fiscale.

En réalité, le montant de l’évasion fiscale pourrait se chiffrer à plus de 50 milliards d’euros, peut-être même à 80 milliards. Cette somme, supérieure aux recettes de l’impôt sur les sociétés en 2012, pourrait bénéficier à notre économie, qui en a grandement besoin ! Elle est en tout cas sans commune mesure avec les recettes engendrées par des mesures qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, et aujourd’hui plus que jamais.

Lutter efficacement contre l’évasion fiscale, c’est non pas trouver des remèdes a posteriori, mais au contraire la prévenir en s’attaquant aux raisons qui incitent nos compatriotes à s’expatrier. C’est bien là, monsieur le ministre, que réside la faille de votre raisonnement, davantage empreint de contingences idéologiques que de pragmatisme et de rationalisme économiques.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, s’il semble naturel de s’inquiéter des pertes de recettes fiscales résultant de tricheries, nous devrions consacrer au moins autant d’énergie à mesurer les pertes de substance financière et de dynamisme économique qu’occasionne une fiscalité décrite très honnêtement par le rapport de la commission d’enquête comme l’une des plus lourdes d’Europe et, par conséquent, du monde.

Et, à l’époque, nous ne nous doutions pas encore de l’ampleur du choc fiscal que la majorité a infligé aux Français à l’automne dernier. Ce n’est d’ailleurs pas fini puisque nous savons qu’il y aura une rallonge d’environ 6 milliards d’euros de hausses d’impôts !

Quand on débat de l’évasion fiscale, il convient de ne pas oublier de rappeler que, par ailleurs, la très grande majorité des expatriés fiscaux français ne sont pas des fraudeurs, des commanditaires de montages financiers complexes. La réelle optimisation fiscale ne concerne qu’une minorité d’entre eux. Pour l’essentiel, il s’agit de créateurs d’entreprises ou de cadres dirigeants d’entreprises dont les sièges sociaux se délocalisent. Nombre d’entre eux font ce choix à contrecœur, en raison de la pression fiscale en France, l’une des plus lourdes de l’OCDE et la plus élevée des économies développées.

Alors que la création d’entreprise crée la richesse et l’emploi, nous nous privons de ce cercle vertueux qui voit la richesse créer la richesse. À une période où nous sommes au bord de la récession, notre économie en aurait pourtant grandement besoin !

Je dirai en conclusion que le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales ne doit pas occulter le débat sur l’inefficacité de la pression fiscale dans notre pays en termes de création de richesses, de croissance et d’emploi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’Europe traverse une crise économique majeure qui impose une austérité contre-productive dans certains pays, l’évasion fiscale est plus que jamais, pour les citoyens, légitimement, une source de défiance, voire de révolte. Ce sont eux qui subissent au quotidien la crise, le chômage et la précarité, eux qui subissent l’injustice fiscale, laquelle renforce encore les inégalités économiques et sociales.

Dans ce contexte, la lutte contre l’évasion fiscale doit figurer parmi les priorités de tous les États sans exception. Je remarque d’ailleurs que, selon mes informations, la fraude fiscale est en Allemagne bien plus élevée qu’en France, ce qui contredit quelque peu les propos de l’orateur précédent.

M. Jacques Chiron. Au-delà des enjeux financiers, l’évasion fiscale est un combat citoyen, un combat moral, un combat pour l’équité.

Agir aujourd’hui pour lutter vigoureusement contre ce fléau, c’est porter cette ambition de justice, c’est demander à tous de contribuer en fonction de ses moyens à la richesse nationale, celle qui crée la solidarité collective pour ceux qui en ont besoin, celle qui permet de mettre en place un patrimoine commun de services publics accessibles à tous. Chacun devrait être honoré d’y concourir !

Alors que le Gouvernement demande des efforts à tous pour redresser les comptes de l’État et retrouver des marges de manœuvre, comment accepter que certains, ceux qui ont pourtant « les moyens », puissent s’en exonérer à l’ombre des paradis fiscaux et à l’abri des poursuites ? Il est aujourd’hui urgent de prendre des mesures radicales et efficaces.

D’autres intervenants l’ont dit, les chiffres de l’évasion sont accablants : 50 % des transactions mondiales transitent par des paradis fiscaux et bancaires. L’évasion fiscale pèse 1 000 milliards d’euros par an en Europe et de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an en France, soit presque le montant du déficit public national.

Sans être la seule explication des crises que nous traversons, l’évasion et la fraude fiscales sont aujourd’hui un élément de leur pérennisation. Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, disait : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises. »

Face à cette crise de l’imposition, des solutions existent.

L’Europe doit mettre fin à la compétition du moins-disant fiscal et au refus de la transparence bancaire qu’elle a laissé s’installer en son sein. Elle ne peut se limiter à un grand marché, à des règles de discipline budgétaire et, pour les membres de l’Eurogroupe, à une politique monétaire. À l’heure des récessions et des croissances atones, la régulation économique, fiscale et bancaire doit être notre priorité.

Grâce aux prises de conscience collectives qui, chaque jour, gagnent du terrain, les graines de cette politique sont progressivement semées au travers de mesures nationales et internationales. J’essaierai d’être objectif à la fois sur les mesures déjà engagées et sur celles qui pourraient encore renforcer notre action.

Le Président de la République a fait, le 10 avril dernier, des annonces fermes qui vont dans le bon sens. Concernant le contrôle des banques, il a relayé et renforcé la proposition faite au Sénat. Monsieur le ministre, je propose que nous soyons plus exigeants encore avec les établissements financiers installés en France. Il faut conditionner le maintien de leur licence bancaire au strict respect de leurs obligations de transparence. Je pense ici à la nouvelle liste de 360 noms d’UBS.

Concernant les paradis fiscaux, nous savons que les hésitations autour de leur définition font naître des listes à périmètre variable. Cela a été dit, un pays qui signe plus de douze conventions fiscales internationales est retiré des listes. Par conséquent, la liste de l’OCDE ne permet pratiquement plus d’identifier aucun pays.

Si la mise en place de ces listes a eu une incidence plutôt positive sur le nombre d’accords internationaux, la question de leur mise en œuvre reste posée. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a insisté pour que l’application effective des conventions, et non pas seulement leur signature, soit le critère prépondérant pour déterminer si un État doit être classé ou non comme non coopératif. Cela devrait à la fois permettre la mise en place d’un suivi effectif des conventions fiscales et l’actualisation d’une liste sérieuse et crédible des paradis fiscaux.

Dans le cadre des conventions fiscales signées par la France, nous avons constaté que seules 60 % de nos demandes recevaient une réponse, tandis que certains contestent la légitimité même de ces requêtes. Il faut envisager de revoir certaines formulations pour éviter des divergences d’interprétation qui dissimulent certainement une volonté inégale des États signataires d’appliquer les conventions. Il est triste de s’apercevoir que les listes volées – je pense à celles d’HSBC en France et d’UBS aux États-Unis ou en Allemagne – ou le travail d’investigation de certains médias, qui ont parfois permis le transfert de milliers de noms, s’avèrent plus efficaces que l’échange d’informations via les conventions.

Enfin, le Président de la République a aussi proposé la création d’un parquet financier, c’est-à-dire d’un procureur spécialisé avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grande fraude fiscale. Dans une matière aussi complexe, face à des pratiques d’optimisation et d’évitement qui ont souvent un temps d’avance sur la législation, nous avons effectivement besoin de magistrats spécialisés pour gagner en coordination, en réactivité et en efficacité. Le fait qu’il ait fallu quatre ans pour qu’un parquet se saisisse du dossier HSBC montre la pertinence des propositions du Président de la République.

Au niveau européen, certaines avancées peuvent également être soulignées. Sur le plan de la coopération fiscale, la création de la taxe sur les transactions financières entre onze États membres est une bonne nouvelle. Elle va freiner dès 2014 la mobilité excessive du capital, qui nourrit, on le sait, l’évasion fiscale.

Par ailleurs, nous pouvons nous réjouir que la lutte contre le secret bancaire ait été mise à l’agenda du prochain sommet européen, le 22 mai à Bruxelles.

Voilà déjà quelques progrès, mais il faut aller plus vite et plus loin.

J’insisterai plus particulièrement sur la récente proposition de Pierre Moscovici relative à la mise en place d’un FATCA européen. Le 10 mars dernier, il a sollicité, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, la Commission européenne pour instaurer un projet multilatéral d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine.

Grâce à leur puissance de négociation, les États-Unis ont réussi à faire plier la Suisse et d’autres États. Les établissements financiers étrangers doivent transmettre au fisc américain les informations sur les comptes détenus par les contribuables, qu’ils soient citoyens ou résidents, afin qu’il puisse être procédé au recoupement de ces données avec leurs déclarations de revenus.

Cette même initiative, ambitieuse à l’échelle européenne, peut permettre à terme que l’échange automatique devienne la règle et que le secret bancaire disparaisse définitivement au sein de l’Union. Cet accord devra cette fois se faire sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes pour tous les États. La force d’une Union à 27 permettrait ensuite de négocier une convention fiscale, notamment avec la Suisse et les autres paradis fiscaux, qui soit à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé comme pour les accords « Rubik » bilatéraux.

Pour autant, un accord FATCA à l’échelle de l’Union européenne sera-t-il suffisant face aux résistances de certains pays ? Nous connaissons en effet bien les obstacles à sa mise en œuvre.

Il s’agit d’abord des obstacles juridiques, avec la règle de l’unanimité en matière fiscale et les systèmes fiscaux européens qui assoient l’impôt sur la résidence, et non sur la citoyenneté, comme aux États-Unis.

Il existe ensuite des obstacles politiques : je pense notamment à la position historique du Luxembourg et de l’Autriche au sujet du secret bancaire. Si le Luxembourg s’est récemment dit prêt à réduire « partiellement » son secret bancaire et l’Autriche prête à « étudier » la question, ces revirements sont en partie le fruit des pressions exercées par la société civile.

Rappelons que ces deux États retardent encore la conclusion du processus de révision de la directive Épargne, qui prévoit l’échange automatique de renseignements entre États de l’Union européenne sur les seuls revenus de l’épargne, alors qu’ils bénéficient d’une période dérogatoire depuis 2005. Rappelons aussi que les principaux partis politiques d’Autriche, engagés dans la campagne des élections législatives qui se tiendront en septembre prochain, sont fermement opposés à une avancée « rapide » sur cette question.

L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de ces pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels en quête d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg pour les leaders mondiaux de l’économie numérique. Des sommes considérables qui échappent ainsi à tous les États européens !

S’il faut combattre ces résistances en Europe, nous devons également être ambitieux à l’échelle mondiale en actionnant le levier du G20, dans le prolongement des discussions menées lors du G20 des finances, vendredi dernier, à Washington.

Cela permettrait de demander à l’OCDE de modifier son modèle standard de convention en intégrant l’échange automatique de renseignements sur tous les revenus, pour enfin permettre à tout pays de recenser les comptes bancaires et les avoirs de ses ressortissants à l’étranger.

Lors de la prochaine réunion du G20, en septembre, la France doit porter une voix forte et courageuse pour mettre en œuvre une véritable réforme financière mondiale.

En 2009, un consensus mondial des principales puissances économiques avait permis un premier recul du secret bancaire. Saisissons l’élan que nous voyons aujourd'hui se dessiner à l’échelle du G20 pour demander un calendrier précis de mise en œuvre du modèle d’échange automatique à l’échelle mondiale et attaquons-nous avec détermination aux paradis fiscaux, à l’évasion et à la fraude qui, chaque jour, menacent notre pacte républicain et fragilisent l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sénateur des Français de l’étranger, je veux tout d’abord témoigner de la nécessité des conventions fiscales pour permettre à ceux qui partagent leur vie entre plusieurs pays, entre plusieurs cultures, de ne pas être discriminés de manière arbitraire ni conduits à subir une double imposition ou une multi-imposition.

Outils indispensables d’un monde mieux régulé, les conventions fiscales sont établies sur des bases bilatérales qui construisent autant de situations qu’il y a de relations entre deux pays.

On doit toutefois constater que ces conventions visant à lutter contre les doubles impositions sont devenues, pour les plus aisés, des instruments d’optimisation et que l’usage – parfois abusif – qui en est fait rend floue la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale.

Cet usage engendre des confusions dans les esprits, et les Français qui vivent à l’étranger ont souvent l’impression d’être victimes de préjugés, de correspondre à une image d’Épinal d’exilé fiscal qui n’a rien à voir avec la réalité. Victimes des turpitudes de personnalités en vue dont les incartades font la une de l’actualité, ils souffrent de cette image fort éloignée de leur véritable situation.

Sait-on, par exemple, que l’impôt sur le revenu est plus faible en France qu’en Belgique ? Pourtant, c’est d’abord cet impôt qui préoccupe un Français qui vit et travaille en Belgique, dès lors qu’il n’a pas de capital.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on établir la liberté de circulation et d’installation en Europe, construire une citoyenneté européenne, et parallèlement s’insurger contre un déménagement de la France vers la Belgique ?

Cette constatation montre qu’en Europe, ce n’est probablement plus sur des bases bilatérales, entre États, que l’on peut traiter les problèmes d’imposition.

Cette constatation, nous l’avions déjà faite lors de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Il n’y a pas d’union budgétaire sans union fiscale, constations-nous alors. Eh bien, aujourd’hui, en regardant le problème non du côté de l’État, mais du côté des droits et des devoirs d’un citoyen européen mobile face à l’impôt, nous devons faire la même constatation.

L’harmonisation des principes, assiettes et taux d’imposition apparaît en Europe comme indispensable. Aucune convention fiscale bilatérale ne peut plus répondre aux contraintes et à l’enjeu de la poursuite de la construction européenne. D’ailleurs, à bientôt vingt-huit pays membres, il faudrait 756 conventions fiscales bilatérales pour appréhender l’ensemble du système fiscal européen...

En effet, comment garantir, en Europe, la liberté de circulation sans que celle-ci soit confondue avec la recherche d’une optimisation fiscale ?

Comment éviter des délocalisations de sièges d’entreprises motivées par la recherche de taux d’imposition sur le bénéfice – qui s’échelonnent de 36,1 % en France à 10 % en Bulgarie – particulièrement attractifs ? L’attention des entreprises peut aussi porter, plus subtilement, sur certaines différences de principes et d’assiettes de taxation. Ces différences rendent le système fiscal européen favorable à tous ceux qui ont les moyens de le comprendre et d’exploiter toutes ses failles – mais pas pour les autres…

Comment éviter certains montages permettant d’accéder à des paradis fiscaux liés à des pays membres de l’Union européenne, ou à des pays comme l’Autriche – qui ne garantit pas la pertinence des informations qu’elle transmet –, comme les îles Anglo-Normandes et Gibraltar – pour le Royaume-Uni – ou les Pays-Bas ?

Alors que la diminution des déficits publics constitue une priorité pour nombre de gouvernements européens, on constate que certains créent de nouveaux impôts sur des bases divergentes d’un pays à l’autre, sans que cela soit lisible et opérant pour ceux dont la vie se partage entre deux pays.

Entre l’Italie et la France, par exemple, les revenus des personnes concernées sont formellement soumis à la convention fiscale franco-italienne. Celle-ci traite du mode de taxation des revenus mobiliers et immobiliers perçus dans les deux pays. Mais regardons les évolutions récentes.

Du côté italien, un décret en date du 6 décembre 2011, volontiers dénommé Salva Italia, a été voté par le Parlement à la demande du Premier ministre Mario Monti. Ce décret impose de façon rétroactive les biens immobiliers que les résidents fiscaux en Italie possèdent en France, alors que ces biens semblent déjà l’objet d’une imposition aux termes de la convention bilatérale. Du reste, la direction générale de la fiscalité de l’Union européenne a ouvert un dossier contre l’Italie pour violation du droit communautaire. Mais en attendant la décision de l’Union européenne, les personnes concernées sont passées à la caisse ! Or ce ne sont pas toujours des personnes aisées...

Du côté français, nous ne sommes pas en reste puisque, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012, décision a été prise de soumettre les revenus des biens immobiliers à la CSG et à la CRDS. Je dois constater que là aussi, l’Union européenne a ouvert un dossier.

Ainsi, un résident fiscal italien possédant un bien immobilier en France, après avoir payé l’Italie, se retrouve imposable, au titre du même bien, une deuxième fois en France, sans attendre que les décisions communautaires relatives à ces nouvelles taxes soient rendues.

Monsieur le ministre, sur ce cas concret, quelle est l’attitude de votre ministère ? Est-il légitime que des États remettent en cause de façon détournée et en contravention avec le droit communautaire des conventions fiscales dont ils ont approuvé le principe et les fondements ?

Vous comprendrez que cette question n’est pas innocente quand on se remémore que la moitié des Français vivant hors de France vivent dans l’Union européenne.

Sur le fond, quels enseignements retirer de ce cas concret pour retrouver une cohérence d’ensemble ?

L’austérité dans laquelle se retrouvent aujourd'hui la plupart de nos économies nationales entraîne une remise en cause plus ou moins assumée des conventions fiscales. Les petits contribuables, qui représentent la masse des contribuables, n’ont pas la facilité des plus gros pour optimiser – comme l’on dit pudiquement – leur situation patrimoniale.

Est-il vraiment de bonne politique de laisser créer de nouvelles impositions, si celles-ci semblent fragiles sur le plan juridique et engendreront ensuite, pour les États concernés, des obligations de remboursement et des amendes ?

À la lumière de ces exemples, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voyons se dessiner la trame de notre action.

S’il est urgent de renégocier certaines conventions fiscales, il est encore plus important de travailler au sein de l’Union européenne à une harmonisation fiscale, qui est absolument indispensable pour empêcher les situations de dumping fiscal.

C’est dans ce contexte de révision des conventions que s’inscrit la volonté de la France de faire évoluer la convention franco-suisse sur les successions. En effet, jusqu’à présent, les droits de succession étaient réglés dans le pays du défunt. Or il y a statistiquement plus de résidents en France héritant de défunts Suisses que l’inverse. Et comme les taux d’imposition sur les successions sont faibles en Suisse – de l’ordre de quelques pour cent, voire nuls dans certains cantons, alors que notre taux d’imposition des biens immobiliers grimpe jusqu’à 45 % pour la tranche supérieure –, la France demande légitimement que soit appliqué le droit du pays où réside l’héritier. S’agit-il là d’un diktat français à l’encontre de la Suisse ou d’une évolution fiscale ouvrant la porte à la convergence des taux ? Je penche évidemment pour la deuxième solution !

Mais, dans ce cas précis, la voie choisie, qui est celle de la négociation et non celle du fait accompli, se heurte pour l’instant au refus de la Suisse de ratifier l’avenant, alors que le vide juridique que cette situation peut engendrer se traduira par une double imposition des successions. Pourrait-on dire qu’il s’agit là d’un jeu « perdant-perdant » ? Je ne m’y résigne pas, car je sais qu’à côté des détenteurs de certaines fortunes dont la volonté est d’optimiser leur succession, il y a de très nombreux expatriés ordinaires, qui vivent de leur retraite ou de leur travail, qui aident leurs enfants et leur famille à faire face à la crise, et qui seront touchés par ces évolutions qu’ils n’avaient pas prévues. Ils ne comprennent pas ce qui se passe aujourd'hui entre la France et la Suisse !

Prenons maintenant l’exemple de conventions fiscales qui lient la France à des États n’appartenant pas à l’Union européenne et dont l’objectif est de favoriser l’investissement direct étranger.

J’ai encore en mémoire, comme d’autres collègues, le débat portant sur la ratification en extrême urgence de la convention fiscale entre la France et le Panama. Lors de ce débat, avaient été soulignées les nombreuses insuffisances de cette convention, dont la ratification permettait de sortir le Panama de la liste noire des paradis fiscaux. Cette sortie de liste ouvrait la porte à plusieurs marchés pour certaines de nos entreprises du CAC 40...

Monsieur le ministre, plus d’un an après l’entrée en vigueur de cette convention, êtes-vous en mesure de nous rassurer à propos des doutes que nous avions alors émis sur la volonté du Panama d’établir une coopération effective en matière fiscale ? Ainsi, dans le cas d’une coopération judiciaire, est-il possible aujourd’hui de connaître les actionnaires réels d’une société immatriculée au Panama ?

Alors qu’en Europe nous sommes en passe d’obtenir de réelles avancées sur cette question grâce – mais ne faut-il pas déplorer qu’elles aient été nécessaires ? – aux pressions américaines sur des États comme le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, je serais heureux que d’anciens paradis fiscaux sortis de la liste noire du Groupe d'action financière grâce à la France, deviennent aujourd’hui des bons élèves de la classe. Mais est-ce vraiment le cas ?

Monsieur le ministre, si je n’examinais pas la situation de mon propre pays, m’attaquer à des anciens paradis fiscaux comme le Panama serait faire preuve d’un manque de discernement.

Je voudrais en effet rappeler le contenu d’une autre convention fiscale, celle qui lie la France au Qatar et qui confère à notre État un statut particulièrement attractif – pour ne pas dire de paradis – pour tout investisseur qatari.

M. Jean-Yves Leconte. À en lire le contenu, on comprend bien pourquoi certains représentants de fonds souverains de cet État étaient prêts à recruter un ancien Président de la République pour défendre leurs intérêts.

Que dit cette convention, et plus précisément l’avenant signé en janvier 2008 ? Contrairement aux conventions classiques, il n’est prévu aucune retenue à la source sur les dividendes – article 8 – et pas davantage d’imposition en France sur les redevances – article 10 – ou sur les revenus de créances – article 9 – alors que l’imposition au Qatar de ces différents revenus est faible, voire nulle. Une clause sur la navigation aérienne, même sous couvert d’une apparente réciprocité, favorise le développement en Europe de Gulf Air ou d’autres entreprises de transport aérien à capitaux qataris en Europe.

Mais il y a encore plus fort dans cette convention ! Le paragraphe 5 de l’article 17 dispose que l’imposition au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune d’une personne résidente en France et citoyenne du Qatar ne porte que sur les biens situés en France, pendant cinq ans.

De la sorte, on substitue au profit du Qatari installé en France un principe unique d’exemption du paiement de l’impôt, et cela du seul fait de sa nationalité.

Bref, cette convention fiscale, si elle accompagne des investissements qataris en France, permet surtout de rapatrier au Qatar toute la valeur ajoutée tirée de ces investissements ! Elle assure aux entreprises à capitaux qataris un avantage concurrentiel important. La France se voit royalement accorder l’avantage de l’emploi de salariés et du versement de cotisations sociales... Un peu comme si nous étions un atelier de l’Extrême-Orient !

Monsieur le ministre, avec cette convention fiscale, nous atteignons le sommet de l’hypocrisie en matière de moralisation et de transparence. Par le biais de cette convention, l’optimisation fiscale au Qatar d’investissements réalisés en France est rendue légale, sans prise en compte de l’intérêt fiscal de notre pays !

Avec cet exemple, comment ne pas comprendre le soudain empressement des États qui étaient inscrits sur la liste noire du Groupe d'action financière pour signer entre eux les conventions internationales nécessaires pour les faire passer sur la liste grise ou sur la liste blanche, ce qui légalise de facto une situation de paradis fiscal ou bancaire sans que rien n’ait vraiment changé ?

C’est dans cet état d’esprit que les travaux en cours, tant au niveau de l’Union européenne qu’au sein du G20, prennent toute leur importance. Plusieurs mesures sont nécessaires.

D’abord, il faut abolir le secret bancaire et obliger à un échange automatique d’informations.

S’impose ensuite une harmonisation des législations pénales de telle sorte que ce qui est considéré comme un délit en France – la fraude fiscale – le soit aussi dans le pays où sont dissimulés les fonds – ce qui, par exemple, n’est pas le cas pour la Suisse ou le Luxembourg.

Il faut encore réviser les critères qui établissent les listes noires des paradis bancaires et fiscaux.

Enfin, s’impose un FATCA européen, ainsi que cela a déjà été dit.

Nous devons aussi balayer devant notre porte. Avons-nous une application informatique digne de ce nom, qui soit capable d’exploiter les informations reçues des pays étrangers dans le cadre de la directive Épargne ainsi que les autres informations reçues dans le cadre de l’échange automatique ?

La liste française des paradis fiscaux ne pourrait-elle pas être actualisée et comporter des explications de texte sur les raisons de la présence des pays et faire en sorte que le critère de l’échange effectif d’informations valables soit retenu comme l’un des critères majeurs de non-classement sur cette liste ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Yves Leconte. J’en arrive à ma conclusion, monsieur le président.

Le débat sur l’efficacité des conventions fiscales est vaste, car il concerne différentes réalités. À nous de bien discerner ceux qui constituent le cœur de cette problématique : ce ne sont pas les centaines de milliers de nos compatriotes qui vivent à l’étranger, mais les fraudeurs qui, pour la plupart d’entre eux, vivent confortablement en France, disposent d’avocats très talentueux, capables de se rétribuer grassement sur les économies d’impôts qu’ils proposent à leurs clients. C’est bien ainsi que les commerciaux de certaines banques suisses approchaient, en France, leurs cibles potentielles !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier très chaleureusement de votre présence à ce débat et de la qualité de toutes vos interventions concernant un sujet qui correspond à une très forte préoccupation du Gouvernement : la lutte contre la fraude fiscale.

Je tiens à adresser des remerciements particuliers au groupe CRC, et tout spécialement à M.  Bocquet, qui a suscité ce débat et fait en sorte que, sur cette question, vous puissiez disposer d’éléments très documentés. J’ai pu mesurer, au travers de son intervention introductive, à quel point il maîtrisait les problèmes en cause, formulant à leur propos des exigences légitimes et définissant des orientations pour l’avenir qui sont autant de conseils donnés au Gouvernement afin que celui-ci puisse encore améliorer le dispositif de lutte contre la fraude fiscale.

Compte tenu de l’ensemble des sujets qui ont été évoqués par les intervenants, je voudrais, avant de répondre aux questions précises que les uns et les autres ont soulevées, vous exposer en quelques mots les orientations qui président à la politique du Gouvernement dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale.

Comme vous le savez, il s’agit d’une question extraordinairement complexe, qui peut avoir des conséquences économiques sérieuses pour notre pays, car, en l’absence de dispositif efficient, la fraude fiscale permet à un certain nombre d’acteurs économiques de contourner l’obligation de paiement de l’impôt. Cela conduit à une érosion très sensible des assiettes fiscales et, par conséquent, à une dégradation significative du produit fiscal. Nous voulons donc agir en vue de lutter contre la fraude avec toute l’efficacité requise.

Pour ce faire, il faut prendre des dispositions nationales – certaines ont déjà été prises, que je rappellerai – et des dispositions européennes. Au niveau national, de nouvelles mesures vont être décidées, notamment dans le cadre du texte qui sera examiné demain par le Conseil des ministres. Parallèlement, conformément à ce qu’indiquait encore récemment le Président de la République, nous devons intensifier notre action au sein de l’Union européenne.

Les deux dernières lois de finances rectificative pour 2012 contiennent une série de mesures intéressantes et efficaces de lutte contre la fraude fiscale. Il en est de même, d’ailleurs, du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui inclut un certain nombre de dispositifs tendant à renforcer l’arsenal dont nous disposons à cet égard.

Je rappellerai brièvement le contenu de ces dispositions.

Vous avez évoqué, monsieur Bocquet, ainsi que plusieurs de vos collègues, les transferts de bénéfices qu’opèrent certaines sociétés françaises, qui conduisent à une réduction des bases fiscales taxables et donc, de fait, à une érosion du produit fiscal.

Vous le savez, nous avons pris des dispositions en loi de finances rectificative pour 2012 afin d’inverser la charge de la preuve concernant ces dispositifs : ce n’est plus désormais à l’administration fiscale de prouver l’existence d’un transfert, mais à la société ayant procédé au transfert d’exposer les raisons qui justifient ce transfert.

Quant aux contribuables particuliers, dès lors qu’ils ont placé des avoirs dans des paradis fiscaux et qu’ils ne sont pas en situation de justifier de leur provenance, ils se voient désormais très lourdement taxés : à hauteur de 60 %.

Ce sont là de nouveaux instruments relativement efficaces de lutte contre la fraude fiscale.

Par ailleurs, les dispositions que nous avons prises concernant la séparation des activités bancaires viennent également compléter notre arsenal en la matière. Je prendrai deux exemples parmi beaucoup d’autres.

Premièrement, toutes les activités des filiales de banques françaises à l’étranger peuvent désormais être documentées. Ainsi, une banque qui a des activités à l’étranger est obligée de justifier de la nature des activités de ses filiales, de leur chiffre d’affaires, des moyens dont elles se sont dotées pour développer ces activités à l’étranger. Le fait de rendre publics ces éléments est très important pour assurer la transparence des activités bancaires dans notre pays.

Deuxièmement, une institution financière ou bancaire qui constate, à travers ses opérations, des mouvements financiers susceptibles de renvoyer à des activités opaques, anormalement importants ou d’une régularité douteuse, doit désormais communiquer les éléments dont elle dispose à TRACFIN, ce qui est une excellente occasion pour nous de contrôler des activités qui pouvaient jusqu’à présent échapper à la vigilance de l’administration fiscale.

Ces dispositions sont néanmoins insuffisantes et il faut aller au-delà, à l’échelon national comme à l’échelon européen.

Sur le premier plan, nous allons renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale. Nous examinerons demain en conseil des ministres deux dispositifs.

Il s’agit, d’abord, de la mise en place d’un office de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, destiné à rassembler en une même entité les interventions ainsi que les moyens humains et techniques de l’administration de la justice, de l’intérieur et de Bercy susceptibles d’être mobilisés en ce domaine. Cet office conférera, par une meilleure articulation de l’intervention de ces différentes entités administratives, une plus grande efficacité aux dispositifs dont nous nous sommes dotés pour lutter contre la fraude fiscale.

Il s’agit, ensuite, de la mise en place d’un parquet fiscal. Cette dernière ne signifie en rien, dans mon esprit, la remise en cause du monopole de la poursuite fiscale par l’administration de Bercy ; ce parquet fiscal est, au contraire, un levier d’action supplémentaire donné à notre administration fiscale et doit offrir une plus grande efficacité, un enclenchement plus facile de l’action publique lorsque nous constatons une fraude, qu’elle soit le fait d’individus ou qu’elle ait été encouragée par des banques.

Si je veille toujours scrupuleusement à ne jamais commenter des décisions de justice, je ne peux pas ne pas constater, pour m’en réjouir, que l’action publique a été déclenchée aujourd'hui par le procureur de Paris concernant la liste HSBC. C’est le signe que nous avons changé d’époque et que nous sommes dans un climat très différent de celui qui prévalait jusqu’à présent.

Autre sujet qui relève de la compétence nationale : l’établissement de la liste des États et territoires non coopératifs. Nous avons progressé à cet égard, mais nous devons faire évoluer la doctrine dans le sens de son renforcement. Jusqu’à présent, la liste des États non coopératifs était allégée des États qui acceptaient de signer des conventions avec la France. Cette liste comportait, à l’origine, dix-huit noms ; onze États ayant accepté de signer des conventions d’échange d’informations avec la France ont été sortis de la liste, puis un État y a été ajouté, ce qui porte aujourd'hui le nombre d’États figurant sur cette liste à huit.

Cependant, nous considérons qu’il ne suffit pas d’avoir signé une convention d’échange d’informations pour avoir l’assurance de ne pas figurer sur la liste des États et territoires non coopératifs. Comme vous avez pu le constater, monsieur Bocquet, madame Beaufils – le président Marini l’a lui-même souligné en me sollicitant à propos de la Suisse –, les États ne renseignent pas toujours ceux avec lesquels ils ont passé des conventions, en dépit de ce que celles-ci prévoient parfois explicitement. Par conséquent, nous souhaitons faire en sorte que des États qui ne respectent pas la lettre et l’esprit de ces conventions, notamment pour la partie concernant l’échange d’informations, soient susceptibles de se retrouver inscrits sur la liste des territoires et États non coopératifs.

Je ne veux pas indiquer ici, même si vous m’avez saisi de la situation spécifique de plusieurs États, que nous procéderons bientôt à l’inscription de tel ou tel sur la liste en question. Nous sommes, en effet, en discussion avec certains d’entre eux pour faire progresser les choses. De surcroît, au lendemain du G20, et compte tenu des événements récents, un certain nombre d’États qui étaient attachés au secret bancaire comme l’arapède l’est au rocher avaient décidé de faire évoluer leur doctrine. Tant mieux ! Précisément, nous pourrions les en dissuader si nous leur annoncions dès à présent que nous allons les inscrire sur la liste, alors même que nous sommes en train de discuter avec eux.

Ne considérez pas que les propos que je viens de tenir traduisent une faiblesse. Bien au contraire, c’est une forme de pression. Si, malgré cette pression, devait demeurer la même incertitude ou ambiguïté quant à la capacité de ces États à assurer la transparence, nous saurions prendre pour chacun d’eux, quelle que soit leur proximité géographique, des décisions rappelant la fermeté avec laquelle nous entendons agir sur ces questions.

Les conventions d’échange d’informations, vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, sont nombreuses, d’une qualité relative et de portée inégale, selon les motivations qui ont présidé à leur préparation. Nous avons passé des conventions avec pas moins de 130 États de la planète, notamment avec ceux qui occupent une place prépondérante dans l’activité économique de leur continent et, en fin de compte, du monde.

Ces 130 conventions ont plusieurs objets. Elles visent d’abord à éviter les doubles impositions, qui peuvent constituer un frein à la circulation des marchandises et des personnes. Elles doivent en outre permettre de lutter contre la fraude fiscale. À ce titre, elles sont censées nous garantir, en cas de doutes sur le transfert d’avoirs vers des paradis fiscaux ou un certain nombre d’États, de disposer d’informations concernant les conditions dans lesquelles ces transferts ont été opérés.

Par ailleurs, je veux souligner la relative complexité juridique attachée à ces conventions : au texte même de la convention peuvent s’ajouter des stipulations à caractère juridique, qui viennent compliquer considérablement leur interprétation et les conditions de leur exploitation pour lutter contre la fraude fiscale. Il arrive qu’une convention d’échange d’informations, articulée à d’autres dispositifs ou stipulations particulières, puisse, contrairement à l’objectif fixé par la convention, favoriser la double imposition, l’exode fiscal ou l’opacité dans le traitement de la situation des contribuables.

C’est la raison pour laquelle, dans les cas où la convention donne lieu à une telle complexité juridique, nous avons pris des dispositions particulières. Je pense, par exemple, à la situation qui consiste à priver de la qualité de résident, et donc de l’ensemble des avantages liés à la convention d’échange d’informations, un bénéficiaire apparent d’un revenu lorsque le bénéficiaire effectif n’est pas lui-même résident. Nous avons, à travers ce type de mesures particulières, essayé de corriger des situations qui étaient rendues difficiles du fait de la complexité juridique.

Vous m’avez posé beaucoup de questions très précises, mesdames, messieurs les sénateurs, auxquelles je vais essayer de répondre maintenant.

Monsieur Bocquet, vous m’avez demandé où nous en étions de la négociation des conventions avec nos voisins annoncée par le Président de la République pendant la campagne électorale.

Pour ce qui concerne la Suisse, la renégociation de conventions relatives, notamment, aux successions a abouti à l’élaboration de textes au mois de juillet dernier. Nous souhaitons être en mesure de signer ces conventions d’ici à l’été, mais tout n’est pas encore garanti. Nous travaillons à ce que celles-ci puissent aboutir dans les meilleures conditions. Nous avons également engagé des discussions en ce sens avec la Belgique et le Luxembourg.

Vous m’avez également questionné sur la liste HSBC, dont je constate, depuis que j’ai pris mes nouvelles fonctions, qu’elle suscite énormément de fantasmes et d’interrogations, au demeurant légitimes, la transparence n’ayant sans doute pas suffisamment prévalu dans cette affaire. Il reste que les propos que l’on tient sur cette liste ne correspondent pas à la réalité du traitement qui y a été réservé par l’administration fiscale.

Je tiens à dire avec la plus grande clarté que l’administration fiscale a traité avec beaucoup de diligence l’ensemble des éléments qu’elle a reçus à travers ce que l’on appelle la « liste HSBC ». Ces dossiers sont précisément ceux sur lesquels se concentrent aujourd’hui les travaux de la police fiscale. Comme vous le savez, de manière à favoriser et à amplifier l’efficacité de la police fiscale, le Président de la République a annoncé qu’il en renforcerait assez significativement les moyens.

Des chiffres circulent sur le nombre de personnes dont le nom apparaît sur cette liste. Je puis vous affirmer que l’ensemble des éléments reçus par la direction générale des finances publiques ont fait et continueront à faire l’objet d’un traitement approfondi. Le parquet a ouvert une instruction aujourd’hui. J’ai communiqué voilà quelques jours par voie de presse le nombre de cas qui ont été traités à la fois sur le plan fiscal et sur le plan judiciaire, de manière à éviter toute ambiguïté. Je pourrai vous les transmettre, monsieur Bocquet, ainsi qu’à la commission d’enquête créée par le Sénat. Bien entendu, j’ai également indiqué aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées que j’étais disposé à leur communiquer ces éléments.

Vous m’interrogez également, monsieur le sénateur, sur les prix de transfert et sur les moyens de lutter contre les pratiques abusives. La France est très active sur ces sujets au sein des enceintes multilatérales pour lutter contre l’érosion des bases fiscales. Elle a pris une part très significative à l’initiative du G20 réuni à Los Cabos et codirige les groupes de travail de l’OCDE sur le BEPS – Base erosion and profit shifting, ou érosion de l’assiette fiscale et transfert de bénéfices.

Vous m’avez également demandé si nous avions aidé l’administration fiscale grecque dans la lutte contre la fraude fiscale à la suite de la révélation de la liste HSBC. Nous avons signé, avec la Grèce, une convention qui nous permet d’échanger des renseignements fiscaux. L’administration fiscale a donc transmis aux autorités grecques, conformément aux demandes qu’elles nous ont adressées, les renseignements relatifs aux contribuables de ce pays.

Madame Beaufils, vous m’avez interrogé sur Saint-Martin. Nous partageons votre souci de ne pas faire de ce territoire un paradis fiscal, compte tenu notamment de sa proximité avec la partie néerlandaise. Prévu dans la loi organique et la convention, un dispositif d’ensemble permettant à l’administration fiscale d’obtenir tous renseignements utiles a été mis en place au moment où la partie française de l’île a acquis son autonomie.

Vous m’avez également questionné sur la manière dont nous gérons les accords que nous avons passés et activons les conventions qui nous unissent à un certain nombre d’États. Je puis vous dire que, sur la période 2011-2013, la France a adressé 1 140 demandes à des États nouvellement coopératifs et 3 000 demandes à d’autres partenaires avec lesquels nous entretenons des relations plus classiques.

Enfin, vous m’interrogez sur le forfait fiscal suisse que vous avez qualifié de « scandale ». Dans un contexte où la lutte contre l’exil fiscal est une priorité, les risques qu’emporte ce dispositif ouvert aux contribuables étrangers ne nous ont pas échappé. Nous avons réagi et, fin 2012, les autorités françaises ont décidé de refuser aux bénéficiaires de ce régime du forfait les avantages de la convention fiscale. En conséquence, ils subissent des retenues à la source plus élevées sur leurs revenus français.

J’en profite d’ailleurs pour vous rassurer, ainsi que M. Bocquet : il n’est pas question, en tout cas tant que ce gouvernement sera aux responsabilités, de passer quelque accord de type « Rubik » avec quelque pays que ce soit, car cela reviendrait, comme vous l’avez souligné, à organiser une amnistie fiscale en encourageant le maintien du secret bancaire ; notre stratégie n’est évidemment pas celle-ci.

Madame Goulet, nous ne pouvons que saluer les initiatives prises pas les régions françaises, à travers les motions de leurs assemblées délibérantes, destinées à lutter contre les paradis fiscaux. Elles partent d’un bon sentiment, d’une idée juste, d’une volonté de transparence. Pour autant, ces dispositifs reposent parfois sur des listes de paradis fiscaux obsolètes et, si l’intention est louable et suscite une mobilisation utile, elle ne permet pas toujours d’agir de façon opérante. Je pense que les régions pourront reprendre leur croisade avec plus d’efficacité dès lors que nous aurons nous-mêmes actualisé la liste des États et territoires non coopératifs.

Vous m’interrogez également sur le Pérou. Nous sommes en négociation avec ce pays, mais les conventions à deux sont comme toutes les histoires à deux : il faut être deux ! (Sourires.) Cela ne facilite pas nécessairement les choses dans la relation avec ce pays. Dans nos relations avec ce pays, cette condition n’est pas forcément satisfaite…

Quelle différence, me demandez-vous, entre la convention franco-qatarie et la convention conclue entre la France et les Émirats arabes unis ? La convention franco-qatarie a été renégociée au début du précédent quinquennat. Nul n’ignore qu’elle est particulièrement généreuse à l’égard des investissements qataris en France, qui sont très largement exonérés. Cette convention très particulière et à laquelle le Parlement s’intéresse aujourd’hui, s’agissant notamment des modalités de sa négociation, ne peut être un modèle. Il s’agit d’une exception que nous ne souhaitons pas dupliquer.

Monsieur le président Marini, je puis vous confirmer que nous sommes particulièrement vigilants quant aux conditions de mise en œuvre des conventions fiscales. Vous avez vous-même eu à vous intéresser de très près à quelques-unes de ces conventions, notamment à l’une d’entre elles, en mobilisant tous les moyens du contrôle sur pièces et sur place dont disposent les assemblées lorsqu’elles souhaitent, parfois, mettre en « pièces » certains acteurs politiques. Cela peut d’ailleurs les conduire à faire du « surplace » dans le cadre du contrôle sur pièces et sur place… (Sourires.). S’agissant de nos relations avec la Suisse, vous avez toutefois posé des questions très légitimes auxquelles je veux répondre.

D’abord, comme vous avez pu le constater dans le cadre de l’opération de contrôle à laquelle vous avez procédé, ces conventions sont parfois très anciennes et ont fait l’objet de révisions : la convention franco-suisse de 1966 a ainsi fait l’objet d’une modification en 2009, puis d’un échange de lettres en 2010, dont l’interprétation est assez complexe. En effet, certains considèrent que la convention est désormais plus ouverte à l’échange d’informations, tandis que, pour d’autres, elle peut être, selon les cas, plus restrictive ou plus ouverte.

Quoi qu’il en soit, l’application de cette convention montre que, sur des informations pointues, elle ne nous permet pas nécessairement d’obtenir une automaticité des échanges dans des conditions optimales.

Nous souhaitons poursuivre les discussions avec la Suisse, comme avec un très grand nombre de pays de l’Union européenne, dans un cadre que je veux préciser, répondant ainsi aux questions posées par Mme André, MM. Chiron Leconte et Dominati sur notre action européenne.

La directive Épargne constitue une extraordinaire opportunité pour négocier la mise en place, au sein de l’Union, de nouveaux dispositifs qui nous permettront d’être beaucoup plus efficaces dans la lutte contre la fraude fiscale. Trois objectifs principaux ressortent du cadre de cette directive.

Le premier objectif concerne l’harmonisation fiscale. Il n’y aura pas de marché unique européen aussi longtemps que nous serons pusillanimes, hésitants, sélectifs en matière d’harmonisation fiscale et d’harmonisation sociale. Certes, des discussions ont été entamées sur la fiscalité de l’épargne, tout comme sur la fiscalité des entreprises, à travers le projet ACCIS d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Mais tout cela reste encore très timide et ne nous permet pas d’aller aussi loin que nous pourrions le souhaiter dans l’harmonisation fiscale. C’est un combat que nous devrons mener.

Le deuxième objectif a trait aux conventions automatiques d’échange d’informations. Il a été envisagé de mettre en place, dans le cadre de la directive Épargne, une convention type d’échange d’informations qui permettrait à tous les États de l’Union d’échanger des informations en permanence, dans des conditions semblables et identiques. Ce flux permanent tendrait à dissuader la dissimulation au sein de l’Union européenne et permettrait d’optimiser la lutte contre la fraude fiscale.

Comme vous avez pu le remarquer, beaucoup de pays sont allants pour que cela devienne effectif. Le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, très à la pointe de ce combat, conformément à l’impulsion donnée par le Président de la République, a signé avec ses homologues allemand, italien, espagnol, un courrier dans lequel il exprime le souhait de voir ces conventions mises en œuvre.

Cependant, un certain nombre de pays… se font attendre. Je pense à l’Autriche et au Luxembourg.

Pourtant, l’Autriche – je ne sais pas ce qu’il en est exactement du Luxembourg – a accepté de signer avec des pays tiers de l’Union européenne, notamment les États-Unis, des conventions de type FATCA, qui garantissent entre les signataires un échange complet d’informations, cet échange que refuse l’Autriche à ses partenaires de l’Union européenne. Autrement dit, ce pays accorde à des pays tiers ce qu’elle refuse de consentir à des pays avec lesquels elle partage un espace économique commun…

C’est la raison pour laquelle le troisième objectif que nous devons atteindre dans le cadre de ces directives est celui d’un mandat donné à l’Union européenne, dès lors que l’échange d’informations par des conventions harmonisées aura été rendu possible en son sein, de passer des conventions FATCA – c’est ce que vous souhaitiez, monsieur Dominati – avec d’autres pays tiers, extérieurs à l’Union européenne.

Il s’agit là d’un combat que nous devons également mener si nous voulons atteindre une véritable efficacité dans la lutte commune contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale à l’échelon international, donnant ainsi suite aux ambitions portées par l’OCDE et le G20.

J’ai bien conscience de ne pas avoir répondu de façon aussi exhaustive que vous l’auriez souhaité à toutes les questions que vous avez posées les uns et les autres, mais vous en avez posé beaucoup et il est fort tard.

En tout état de cause, j’aurai maintes occasions de revenir devant vous, d’autant qu’une nouvelle commission d’enquête est sur le métier et que cette question va beaucoup nous occuper dans les mois qui viennent.

Sachez que le Gouvernement n’aura pas de difficultés à préempter les réflexions que vous conduisez puisque vos préoccupations sont autant d’objectifs que le Gouvernement se fixe pour obtenir des résultats dans la lutte contre la fraude fiscale, qui est une manière de détournement de fonds dont la collectivité publique a besoin pour conduire son action de redressement.

Je vous signale au passage que, malgré toutes les imperfections du système, en 2012, nous avons enregistré plus de 2 milliards d’euros de recettes supplémentaires grâce à la lutte contre la fraude fiscale. Ainsi, sur les 6 milliards d’euros d’impôts que vous évoquiez tout à l'heure et qui vous faisaient si peur, monsieur Dominati, au moins 2, 5 milliards d’euros proviennent du produit de la lutte contre la fraude fiscale, 2 milliards d’euros de la lutte contre les niches fiscales et niches sociales incongrues et 1 milliard d’euros ont déjà été engrangés du fait de l’augmentation des cotisations sociales résultant de l’accord sur les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO. Voilà qui devrait vous rassurer, monsieur Dominati, et vous permettre de passer une bonne nuit ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet et M. André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 24 avril 2013 :

À quatorze heures trente :

1. Désignation :

- des vingt-sept membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République

- des vingt et un membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.

2. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le projet de programme de stabilité.

À vingt et une heures trente :

3. Débat sur l’immigration étudiante et professionnelle.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 24 avril 2013, à zéro heure trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART