M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est aussi un révélateur de la fragilité de notre système.

C’est pourquoi, en tant que ministre chargé de la consommation, mais aussi comme membre d’un gouvernement qui travaille à soutenir le pouvoir d’achat des Français, je suis très attentif, dans la période que nous connaissons, aux indicateurs de la consommation, qui sont particulièrement préoccupants.

Pour n’en citer que quelques-uns, la consommation n’a progressé que de 0,2 % par an depuis 2008, soit dix fois moins vite qu’entre 2000 et 2007, et, en 2012, les dépenses des ménages ont reculé de 0,1 %, baisse sans doute modeste, mais rarissime dans la France d’après-guerre.

Ces évolutions interviennent dans un contexte où les dépenses contraintes augmentent – je pense par exemple à l’énergie –, tandis que les ventes enregistrées dans plusieurs secteurs au cours du premier trimestre de 2013 sont en baisse par rapport au premier trimestre de 2012 : c’est notamment le cas pour l’électronique grand public, le bricolage, la restauration ou encore l’ameublement.

Nous ne pouvons nous résoudre à voir s’éteindre le moteur de la croissance, après ceux de l’investissement et du commerce extérieur. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des décisions en faveur du pouvoir d’achat, en donnant, par exemple, un coup de pouce au SMIC ou à l’allocation de rentrée scolaire. Nous préparons d’autres mesures importantes en termes de soutien à la consommation, notamment en agissant sur les dépenses contraintes : je pense à la pérennisation de l’encadrement des loyers, dans le cadre du projet de loi de Mme Duflot, à la redistribution aux consommateurs des rentes indues des grandes entreprises par l’action de groupe – j’y reviendrai – ou encore à la possibilité de résilier infra-annuellement son contrat d’assurance pour instaurer davantage de concurrence, les prix des contrats ayant augmenté deux fois plus vite que l’inflation depuis 1998, et même trois fois plus vite ces trois dernières années.

Cela étant, si nous devons soutenir la consommation, cette dernière ne doit plus être aveugle. Il nous appartient de trouver le juste équilibre entre consommation, emplois, échanges commerciaux et transition écologique.

Pardonnez-moi cette lapalissade, mais consommer des biens implique d’en produire. Cela induit ce que l’on désigne désormais des « externalités », tant positives – création d’emplois, services publics associés, savoir-faire et excellence, formation – que négatives : combien de cas médiatisés ont mis en évidence des incidences environnementales, en termes d’utilisation de ressources, d’émissions de gaz à effet de serre ou encore de pollution des milieux naturels par des substances toxiques dont il est complexe d’éliminer les résidus ?

En outre, selon les produits, la consommation peut affecter négativement notre balance commerciale, sans engendrer de grand bénéfice en termes d’emplois.

A contrario, allonger les durées d’usage des produits – en clair, favoriser une conception durable et encourager leur réemploi – présente une triple vertu, en termes de création ou de maintien d’emplois non délocalisables, d’impact environnemental et de balance commerciale.

Favoriser le recyclage et la valorisation des matériaux qui peuvent être réemployés, en structurant des filières ad hoc, c’est favoriser l’économie circulaire en France et nous rendre moins dépendants de ressources naturelles dont nous ne disposons pas sur notre territoire, comme les terres rares. Cela a été entrepris efficacement pour la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques, et je souligne que le Gouvernement a récemment prorogé l’affichage de l’éco-contribution pour pérenniser cette filière. Nous venons également d’adopter cette éco-contribution pour la filière du meuble. La responsabilité élargie des producteurs est déterminante, et il nous appartient de veiller à sa bonne mise en œuvre.

C’est dans ce contexte que je place le présent débat sur l’obsolescence programmée. Les ressources ne sont pas inépuisables, notre balance commerciale n’est pas excédentaire – elle est, au contraire, cruellement déficitaire – et la surconsommation de certains produits n’a aucun effet positif en termes d’emploi en France. Dans ces conditions, devrait-on au surplus accepter que les consommateurs soient contraints de renouveler leurs équipements trois fois plus vite qu’attendu ? Formuler la question, c’est y répondre, mais quelles dispositions devons-nous adopter pour y répondre concrètement ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes tous convaincus, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire accroire, l’obsolescence programmée n’est pas un concept paranoïde ou complotiste. Ce n’est d’ailleurs pas un concept ; c’est une pratique établie, dont M. Placé a rappelé l’histoire. Souvenons-nous que si les ampoules ont aujourd'hui une durée de vie normée, c’est parce que le juge américain, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, a mis en évidence l’existence d’un cartel réunissant les grands fabricants d’ampoules, le cartel « Phœbus », mis en place entre 1924 et 1939 dans le but de contrôler le marché de la fabrication et de la vente des lampes à incandescence, notamment en en limitant sciemment la durabilité. Des exemples plus récents et médiatisés illustrent la pérennité de cette pratique ; vous les avez cités, je n’y reviendrai pas. Néanmoins, j’observe au passage que plus les marchés sont concentrés dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, plus la pratique est rendue possible.

Au-delà de cette obsolescence « stratagème », l’obsolescence programmée recouvre d’autres types d’obsolescences, évoqués par les uns et les autres. Cela peut être l’obsolescence technique, dès lors que l’on ne dispose plus des pièces nécessaires à la réparation et donc à l’utilisation d’un bien, ou encore l’obsolescence ressentie, subjective, liée au cycle d’innovation, voire au marketing, qui nous amène à renouveler nos biens d’équipement avant la fin de leur durée de vie, au motif qu’ils ne sont plus à la mode ou tout à fait adaptés aux évolutions technologiques les plus récentes.

Quelles dispositions devons-nous donc adopter pour répondre concrètement à cette problématique ?

J’entends votre suggestion, monsieur le sénateur Placé, de faire de l’obsolescence programmée un délit. Encore faut-il alors la définir, ce que vous proposez de faire.

Toutefois, j’observe que l’obsolescence programmée, en tant que stratagème visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, peut déjà être sanctionnée par le code de la consommation. Si une telle pratique est démontrée, le juge peut la qualifier comme une tromperie sur les qualités substantielles du bien.

Il se trouve que, dans le projet de loi sur la consommation que Pierre Moscovici et moi-même présenterons en conseil des ministres la semaine prochaine, je propose deux réponses très dissuasives.

Premièrement, il est prévu de mettre en place une dissuasion par la sanction. Alors que la sanction, en cas de tromperie économique, est aujourd'hui de 37 500 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement pour une personne physique, je propose de faire passer le montant de l’amende à 300 000 euros pour une personne physique. Toutefois, en rester là serait insuffisant : s’agissant de la personne morale, je propose que le juge puisse prendre en compte le surprofit réalisé par le biais de la tromperie, en infligeant une amende véritablement dissuasive, pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires.

J’évoquerai, à cet égard, un exemple assez simple, qui, du reste, n’a rien à voir avec l’obsolescence programmée. Constatons que, dans l’affaire de la viande de cheval, étant donné le montant des gains indûment perçus, à savoir plus de 500 000 euros, et le plafond de l’amende dont peut être passible une personne morale en cas de tromperie économique, à savoir 187 500 euros, il était assez rationnel pour l’industriel d’arbitrer en faveur de la tromperie plutôt que du respect de la loi. Quand tricher est plus rentable que respecter la loi, cela encourage la tromperie ! Pour l’heure, le montant des pénalités prévues par la loi est en deçà du montant des gains qu’il est possible d’obtenir grâce à la tromperie.

Deuxièmement, au-delà du caractère dissuasif qu’aura l’élévation du niveau des pénalités, nous voulons faire en sorte que les consommateurs puissent mieux se défendre, par l’instauration, en droit français, de l’action de groupe. Les victimes d’une tromperie pourront demain, par le truchement d’une association de consommation, obtenir réparation pleine et entière du préjudice qu’elles ont subi.

Augmentation du niveau des peines, création de l’action de groupe : voilà deux instruments qui seront donnés demain au consommateur pour mieux le protéger de la tromperie économique, en l’occurrence sur la qualité substantielle des biens, par la limitation délibérée de leur durée de vie ; c’est l’obsolescence programmée dont parle M. Placé.

Voilà comment le Gouvernement entend concrètement lutter contre toutes les tromperies dont les consommateurs sont l’objet, en particulier l’obsolescence programmée.

Pour autant, je n’ignore pas la force des symboles. S’il ne m’apparaît pas forcément indispensable ni urgent de définir, en droit, l’obsolescence programmée, je comprends l’impact politique que peut avoir la proposition des membres du groupe écologiste. Nous débattrons de cette question lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Dans ce domaine, ma conviction n’est pas arrêtée. Il me semble important d’examiner toutes les conséquences juridiques que pourrait emporter votre proposition. Nous en ferons la demande aux services de Bercy.

M. Ronan Dantec. Très bien !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi agir au-delà de la seule lutte contre la tromperie économique. Nous devons favoriser l’émergence d’alternatives au « prêt-à-jeter ».

Monsieur Placé, vous proposez d’étendre la garantie légale de conformité de deux à cinq ans, puis de cinq à dix ans. Je suis plus réservé sur cette disposition, dont nous mesurons assez mal les incidences.

On peut objecter d’abord, avec toutes les précautions à prendre quant à ce que ce raisonnement induit, que cela ne ferait pas sens pour tous les produits. Peut-être faudrait-il davantage se focaliser sur ceux dont on peut raisonnablement penser que les consommateurs attendent une durée d’usage de cinq ou dix ans.

Cela dit, je veux moi-même pondérer cet argument. Après avoir évoqué la nécessité de faire évoluer les modes de consommation, il n’est pas non plus absolument absurde d’imaginer que, demain, on attende davantage d’un bien dont on n’espère pas forcément aujourd'hui qu’il ait une durée de vie de cinq à dix ans : un fer à repasser, un grille-pain, une bouilloire… C’est un argument parfaitement audible ; nous y reviendrons sans doute lors de l’examen du projet de loi sur la consommation.

Ensuite, les premières estimations amènent à considérer qu’augmenter d’une année la durée de la garantie légale renchérirait le coût du bien de 7 %. Pour une extension de deux à cinq ans, ce coût connaîtrait donc un renchérissement de 21 %. Il est assez légitime que le Gouvernement s’interroge, dans la période que nous connaissons, sur les tensions, en termes de pouvoir d’achat, que pourrait induire une telle mesure.

J’ajoute enfin que les distributeurs proposent souvent des extensions de garantie contractuelles. Ce sont des assurances payantes. Ainsi, les consommateurs qui le souhaitent peuvent – sur des produits pour lesquels cela fait sens – s’offrir volontairement une extension de garantie. Ce produit assurantiel est aussi une source de valeur importante pour des distributeurs. En effet, ces derniers, en raison de la concurrence de pure players – pardon pour cet anglicisme qui désigne les entreprises œuvrant uniquement sur internet –, vendent souvent quasiment à prix coûtant et créent de la valeur sur les services qu’ils rendent à côté.

Là encore, dans la période que nous connaissons, avec des distributeurs spécialisés qui sont fragilisés par les acteurs d’internet, je crois que nous devons mesurer les répercussions que certains bouleversements auraient sur l’économie du secteur. Sachez que je ne ferme aucune porte. Je demande simplement que l’on embrasse la totalité de la situation, dès lors que l’on pose la question de l’extension de la durée de la garantie légale de conformité, pour voir si cela pourrait entraîner des conséquences importantes en termes d’activité et d’emploi dans un certain nombre de secteurs, notamment celui de la distribution.

Pour autant, le signal prix est important, et nous avons là, sans doute, un levier à notre disposition.

J’entends votre proposition, monsieur le sénateur, de moduler l’éco-contribution selon la durée de vie du bien. Les textes le permettent aujourd’hui, et cela est rendu possible par les statuts des éco-organismes, qui sont chargés de fixer cette éco-contribution. Il faut donc y travailler, et j’ai déjà engagé des discussions avec les différents acteurs de façon à déboucher sur une éco-contribution qui varie en fonction de la durée de vie du bien. Voilà un signal prix parfaitement rationnel, qui peut conduire un certain nombre de consommateurs à préférer un bien durable à un bien moins durable.

Pour en revenir aux garanties, je considère que le consommateur doit d’abord être parfaitement informé de l’existence des garanties légales existantes, ce qui n’est pas le cas.

On distingue, d’une part, la garantie légale de conformité prévue par le code de la consommation, selon laquelle le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance et, d’autre part, la garantie légale des vices cachés prévue par le code civil, en application de laquelle le vendeur est tenu de garantir la chose vendue à raison des défauts cachés qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine.

Le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai bientôt prévoit que les consommateurs disposeront d’une information complète sur leurs droits à garantie incluant, en sus de l’information sur la garantie légale de conformité, une information sur la garantie relative aux vices cachés qui sera indiquée tant sur les lieux de vente que dans les conditions générales de vente figurant dans les contrats de consommation. Cette information devra être claire et intelligible, afin de lutter contre des indications trompeuses sur la portée des droits légaux des consommateurs en matière de garantie.

Par ailleurs, je considère que le développement de modes de consommation plus responsables répond non seulement à une nécessité, mais aussi à une demande des consommateurs. En clair, consommer mieux est aussi une démarche citoyenne et volontaire, pour laquelle le consommateur s’érige – à raison ! – en acteur éclairé. Toutefois, trop souvent, des défauts d’information empêchent les consommateurs de faire leurs choix en toute connaissance de cause. Comment consommer de manière plus durable sans savoir si un appareil défectueux peut être simplement réparé au lieu d’être remplacé ? L’application effective des droits des consommateurs en matière de garantie implique un renforcement de l’information qui leur est donnée. Un consommateur que l’on informe est un consommateur auquel on rend sa liberté d’arbitrage, auquel on offre la possibilité d’être un acteur responsable.

Toujours avec le projet de loi relatif à la consommation que je présenterai le 2 mai prochain, je proposerai de renforcer l’information des consommateurs sur l’existence et la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation d’un produit. Les vendeurs seront également tenus de fournir aux consommateurs les pièces indispensables à l’utilisation d’un produit pendant la période, indiquée par le fabricant ou l’importateur, durant laquelle ces pièces sont disponibles.

Aujourd’hui, en cas de panne d’un produit, le consommateur peut se retrouver dans l’impossibilité de l’utiliser, parce qu’il ne connaissait pas la période durant laquelle les pièces détachées sont disponibles et que celles-ci ne le sont plus.

Demain, lors de l’achat, le vendeur sera légalement tenu d’indiquer la période de disponibilité des pièces indispensables à l’utilisation du produit et de fournir ces pièces détachées au consommateur qui en fera la demande.

Quelle incidence concrète ? Mieux informé, le consommateur pourra orienter ses achats vers des produits plus durables. Ces mesures feront de la « réparabilité » des produits un critère d’achat des consommateurs. La concurrence entre les fabricants se fera donc également sur cette « réparabilité » des produits.

Ce cercle vertueux profitera aussi au secteur du réemploi. Pour un certain nombre de domaines de la consommation – ceux où la totalité des biens d’équipement achetés par nos concitoyens sont importés, ce qui se fabriquait ici l’étant désormais ailleurs –, nous développerons une filière de la réparation qui permettra, en quelque sorte, de relocaliser une partie des emplois délocalisés hier.

Cette disposition sera particulièrement favorable aux filières de l’économie sociale et solidaire, dont beaucoup d’acteurs sont leaders dans le domaine de l’économie circulaire, de l’économie verte et du recyclage. Ils sont même détenteurs de brevets. Je pense par exemple au recyclage des écrans plasma, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’association Vitamine T, qui dépend du groupe SOS. Voilà un acteur de l’économie sociale et solidaire qui non seulement insère des publics en difficulté dans l’emploi, mais qui est aussi capable d’innover technologiquement tout en étant utile sur le plan environnemental. Je le répète, favoriser des filières de la réparation sur notre territoire nous permettra de développer des emplois non délocalisables.

Voilà, en quelques mots, les mesures que je porterai très prochainement pour lutter contre l’obsolescence programmée et en faveur d’une croissance plus respectueuse de l’environnement et de nos ressources, qui est un moteur pour l’emploi en France.

Permettez-moi, pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous remercier de ces échanges et de saluer la qualité de toutes vos interventions, qui présagent de riches débats lors de l’examen du projet de loi sur la consommation, question fondamentale dès lors qu’on aborde le sujet de la transition de notre modèle et donc de nos modes de consommation et de production. Nous devons passer de cette économie du gaspillage – gaspillage humain, gaspillage des ressources naturelles – à une économie du sens et de la tempérance qui promeut d’autres valeurs que la rentabilité à court terme et la surconsommation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la lutte contre l’obsolescence programmée et pour l’augmentation de la durée de vie des produits.

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Débat sur la politique vaccinale de la France

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique vaccinale de la France, organisé à la demande de la commission des affaires sociales (rapport d’information n° 351) et du groupe socialiste.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Georges Labazée, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la vaccination est, avec l’hygiène, la première arme de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses. C’est un médicament nécessaire et moderne et un secteur de recherche particulièrement prometteur.

Face à cette conviction, la commission des affaires sociales a dû faire un double constat inquiétant. D’une part, la remise en cause incessante du vaccin et de la vaccination par des groupes divers dont certains, à tendance sectaire, sont relayés par internet. D’autre part, une certaine réticence au sein de la population : en 2012, le nombre de vaccins vendus paraît avoir baissé, malgré l’action des médecins et des services de la protection maternelle et infantile, la PMI.

C’est pour réaffirmer le besoin d’une politique vaccinale claire que la commission des affaires sociales a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui lui a été remis à la fin de l’année dernière.

En complément des propositions formulées par la Cour, notre commission en a ajouté d’autres : développer l’accès des populations en situation de précarité au vaccin ; simplifier le paysage institutionnel en matière de détermination de la politique vaccinale afin d’éviter les décisions contradictoires ; assurer rapidement la mise en place d’un carnet de vaccination électronique appuyé sur une base experte permettant d’individualiser des recommandations vaccinales et leur suivi ; mettre en place l’enseignement de la prévention en matière de santé à l’école dans les futures écoles supérieures du professorat et développer celui de la vaccination dans le cursus des professions de santé ; renforcer la recherche publique sur les vaccins et notamment sur leur sécurité ; assurer les conditions d’une solidarité efficace pour l’accès aux vaccins des pays en développement.

Nous souhaitons, madame la ministre, avoir votre avis sur ces propositions, qui viendraient s’ajouter au plan d’action mis en place par la direction générale de la santé.

En France, les maladies infectieuses qui ont durablement marqué les esprits et causé des milliers de morts au XIXe siècle et au XXe siècle, comme la variole, la poliomyélite ou le tétanos, ont été quasiment éradiquées – le nombre de cas de tétanos dans la population générale a été divisé par cinquante depuis 1946 – grâce à la vaccination. Ce résultat a pu laisser penser à certains que la vaccination n’était plus nécessaire.

Certes, le risque lié à certaines maladies infectieuses a considérablement diminué avec la baisse de leur prévalence. Le risque lié à la maladie – j’insiste sur ce point – demeure néanmoins plus important que le risque lié au vaccin lui-même. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Dans un monde sans frontières, l’éradication d’une maladie en France ne procure que l’illusion de la sécurité. Tant qu’une bactérie ou un virus demeure présent dans le monde, particulièrement s’il est endémique dans les pays en voie de développement, les épidémies sont susceptibles d’émerger à nouveau rapidement en France, et de manière dévastatrice, si la population n’y est plus protégée par l’immunité induite par le vaccin. La tuberculose ou la rougeole sont de nouveau la cause de nombreux décès. Je sais d’ailleurs que plusieurs de nos collègues interviendront sur ces aspects au cours du débat.

Deux constats découlent de cet état de fait : d’une part, je l’ai dit, la vaccination demeure un outil majeur de prévention ; d’autre part, une politique de prévention nationale implique nécessairement un renforcement de notre solidarité avec les pays en voie de développement afin d’améliorer leur situation sanitaire.

Pour autant, la vaccination doit être utilisée à bon escient. Elle n’est pas toujours la stratégie la plus efficace pour lutter contre une maladie infectieuse. Comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, c’est contre les virus que les vaccins se révèlent particulièrement nécessaires, l’action des antiviraux étant limitée. Mais même pour la protection contre les virus, l’étude du rapport coût-efficacité conduit parfois à privilégier d’autres stratégies thérapeutiques.

De fait, la couverture générale de la population n’est plus recommandée pour la plupart des vaccins. Les indications varient en fonction des situations épidémiologiques – le vaccin contre le papillomavirus ne protège pas contre les souches présentes en Guyane – et des populations les plus à risque.

En dehors des périodes d’émergence de nouveaux virus, dont la gravité et les cibles sont inconnues, les campagnes de vaccination massives sont désormais moins adaptées et moins bien perçues par l’opinion publique. À cet égard, le bilan critique de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 effectué par la Cour des comptes est significatif.

Il paraît donc essentiel d’adapter la vaccination aux besoins et aux attentes de la population et d’agir sur les perceptions afin de lutter contre la propagande anti-vaccinale.

Le premier axe d’une politique vaccinale moderne doit être d’aller au plus près des populations dans leur diversité. La commission des affaires sociales recommande ainsi, comme la Cour des comptes, de permettre la vaccination dans les centres de prévention de l’assurance maladie, qui se consacrent désormais au suivi des populations précaires. Nous pourrions d’ailleurs, madame la ministre, si vous en êtes d’accord, déposer une proposition de loi pour recommander la possibilité de vaccination dans les centres de sécurité sociale pour les publics les plus démunis.

Le décalage entre la perception de la vaccination par ceux qui la pratiquent et la population générale a été souligné à maintes reprises. Des études plus poussées en matière de sociologie de la vaccination sont nécessaires afin de permettre de mieux orienter les politiques de santé publique et d’éviter toute politisation excessive des enjeux. Les travaux récents de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, sur l’amélioration du suivi du nombre de vaccinations dans notre pays me paraissent très encourageants. Ils doivent être soutenus.

Pour accompagner les personnes sur la voie de la vaccination, il nous semble également nécessaire de mettre en place un carnet vaccinal électronique au sein de la carte Vitale, qui vienne appuyer les informations données par les professionnels de santé.

Au cours de mes auditions, j’ai été particulièrement intéressé par le projet du professeur Jean-Louis Koeck, médecin des armées, qui a créé avec une équipe comprenant plusieurs autres médecins un carnet de vaccination électronique et un site internet offrant une information experte et personnalisée aux particuliers et aux professionnels de santé. L’enjeu est non pas de disposer d’un simple recueil comptable du nombre de vaccinations, mais bien de permettre à chacun de savoir où il en est de sa vaccination et de pouvoir suivre l’évolution des recommandations vaccinales, dont la fréquence, selon la Cour des comptes, est susceptible de désorienter tant les particuliers que les professionnels de santé.

Ne pas faire ses rappels est en effet particulièrement grave en matière de vaccination, car la couverture immunologique ne peut être garantie. Ainsi, dans le cas du vaccin contre le papillomavirus, dont plus de 14 % des femmes seraient porteuses et qui est responsable du cancer du col de l’utérus, trois doses sont actuellement préconisées afin d’assurer la couverture immunologique. Or, bien que l’assurance maladie ait dépensé 34 millions d’euros pour ce vaccin, comme nous l’ont confirmé ses responsables lors de nos auditions, une part importante des jeunes filles ne va pas au bout du processus. Elles se trouvent ainsi sans protection suffisante et la dépense publique a été effectuée sans efficacité réelle.

Je regrette donc que l’initiative d’intérêt général que constitue le carnet vaccinal électronique, conçu par des professionnels de santé dans l’intérêt des patients et sans financement des laboratoires pharmaceutiques, ne reçoive pas plus d’écho au ministère de la santé. La création, longtemps repoussée, du dossier médical personnel ne semble pas avoir favorisé les initiatives innovantes.

J’ai également été frappé par la grande complexité du processus de prise de décision. Si ce problème est commun à toutes les questions relatives à la santé, il est accentué s’agissant de la vaccination. Ayant auditionné les responsables des principales structures intervenant en ce domaine, j’ai pu constater tant la grande expertise des personnes et la qualité du travail des équipes que la difficulté à délimiter clairement les frontières de compétences en matière vaccinale. De telles difficultés sont quotidiennes.

Il paraît important de distinguer, d’une part, les missions nécessaires à la définition d’une politique sanitaire efficace, qu’il importe de préserver et, d’autre part, les structures, qui, elles, sont susceptibles d’évoluer.

On peut distinguer quatre missions essentielles, qui sont autant d’étapes dans la mise sur le marché d’un vaccin : l’autorisation de mise sur le marché en fonction du rapport bénéfice-risque, la détermination des recommandations d’utilisation et des populations cibles, l’admission au remboursement en fonction de l’amélioration du service médical rendu et la fixation du prix du médicament. Or les structures actuellement en charge de ces missions sont distinctes, ont des statuts très variables – elles vont du simple comité d’expertise à l’autorité administrative indépendante – et des pouvoirs très variés, du simple conseil à l’autorité de police administrative.

À la lumière de ces auditions, j’estime possible – ce n’est qu’une suggestion, madame la ministre – de rattacher à la Haute Autorité de santé le Haut Conseil de la santé publique, le HCSP, dont fait partie le comité technique des vaccinations, le CTV. À condition que celui-ci conserve sa capacité de réponse rapide aux saisines du ministère de la santé, cela permettrait de limiter les possibilités d’avis divergents sans nuire à l’efficacité de la procédure. Cette réforme d’ampleur pourrait être débattue lors de l’examen du prochain projet de loi de santé publique. Pouvez-vous cependant d’ores et déjà nous dire ce que vous en pensez ?

Une formation à la santé dès l’école, non dans le cadre d’un cours magistral, mais sous la forme la plus participative et collective possible, permettant aux enfants de comprendre l’intérêt et l’importance de la vaccination, me semble être un moyen important de lutter contre la désinformation circulant sur internet. L’étude de la situation des pays en développement, où l’accès à la vaccination demeure une question primordiale de survie, devrait elle aussi permettre de rappeler l’importance des enjeux associés à ces questions. De même, une approche du fonctionnement des vaccins dans l’organisme, de leur histoire et de leur mode de fabrication devrait permettre de dissiper une partie des fantasmes circulant dans l’opinion publique.

La mise en place de cet enseignement suppose qu’un temps spécifique soit dégagé dans les programmes. Il implique également la formation des enseignants. Cela sera possible dans les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation prévues dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

De même, il conviendrait de faire en sorte que les médecins et les infirmières, qui sont appelés à pratiquer régulièrement la vaccination, soient eux-mêmes vaccinés. Peu d’entre eux l’étant, ils ont tendance à peu vacciner les personnes qu’ils suivent.

Afin de ne pas trop prolonger mon propos, je serai bref sur la recherche. Permettez-moi juste de rappeler que la recherche française, en raison de son savoir-faire historique et de nos capacités industrielles, est un élément majeur dans nos décisions. Les industriels du secteur s’inquiètent pourtant de ce que la France serait devenue « une puissance du vaccin sans direction » en perte de vitesse par rapport aux pays émergents et aux Anglo-Saxons. Cette crainte est aussi celle de chercheurs. Les instituts de recherche publics ont ainsi décidé de mutualiser leurs efforts au sein du réseau COREVAC, ou consortium de recherches vaccinales, qui vise notamment à fixer des axes de recherche fédérant les travaux des différentes équipes.

La recherche sur les vaccins curatifs ouvre également de nouvelles perspectives : des vaccins pourraient être utilisés contre des maladies dont la prévalence augmente, comme la maladie d’Alzheimer.

Enfin, je ne peux conclure mon propos sans évoquer l’une des raisons ayant justifié l’organisation de ce débat à la demande de la commission des affaires sociales.

Il faut traiter de manière rationnelle et scientifique la question de la sécurité des vaccins, qui inquiète tant l’opinion publique. Nombre d’entre nous ont été alertés sur les risques que ferait peser la présence de l’aluminium dans les adjuvants vaccinaux. À cet égard, nous avons entendu la réponse rassurante du professeur Maraninchi, mais il faut approfondir les recherches sur cette question. Or, madame la ministre, l’Association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages s’inquiète que les études complémentaires sur ce thème n’aient pas encore été mises en chantier. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Un vaccin DT-Polio sans aluminium est également attendu. Savez-vous quand les industriels pourront mettre un vaccin de ce type sur le marché français ? Le principe de précaution doit l’emporter sur tout enjeu industriel ou financier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à saluer chaleureusement Georges Labazée pour la qualité du rapport qu’il a aujourd’hui présenté. Son contenu riche, documenté, ainsi que l’ensemble de ses recommandations nous permettront, j’en suis certaine, de progresser encore dans le domaine de la politique vaccinale.

La vaccination est sans aucun doute l’une des plus grandes avancées des politiques de santé publique. Ce geste de prévention a permis de sauver des millions de vies. Il a joué un rôle majeur en enrayant la transmission de certaines maladies infectieuses et en participant à leur éradication.

Se vacciner, c’est évidemment d’abord se protéger individuellement : en stimulant le système immunitaire, le vaccin évite une éventuelle contamination dans l’avenir.

Se vacciner, c’est ensuite un acte solidaire : c’est protéger la collectivité dans son ensemble. Chacun d’entre nous porte une responsabilité en matière de santé publique. Chacun d’entre nous est un maillon de la chaîne de transmission.

Se protéger, c’est donc également protéger les autres, en particulier les plus fragiles. Je veux insister sur cette double dimension de la vaccination, qui n’est pas toujours perçue par nos concitoyens. C’est pourquoi une politique vaccinale doit toucher le plus grand nombre pour être efficace. Pour arrêter la transmission, éliminer une pathologie, le taux de couverture de la population doit atteindre un seuil de 80 %, voire de 90 % selon les maladies.

L’histoire vaccinale est intimement liée aux progrès de la santé publique. Les premiers vaccins, au XIXe siècle, ont permis de lutter contre la rage, la fièvre typhoïde, la peste, ces fléaux qui menaçaient autrefois régulièrement les populations. Mais c’est surtout au XXe siècle que les vaccins vont connaître leur plein essor. Ils deviennent une arme de prévention efficace contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la fièvre jaune, le typhus, la poliomyélite et la méningite.

Nous ne devons ni oublier ni banaliser les avancées majeures de santé publique qui ont été réalisées grâce à la vaccination. La variole, qui décimait des populations entières, a été éradiquée de la planète. Grâce aux vaccins, les décès par rougeole ont chuté de 71 % à travers le monde entre 2000 et 2011. Aujourd’hui, la diphtérie et la poliomyélite ont disparu de France.

Cette marche en avant n’est pas terminée pour autant. Grâce aux travaux de nos chercheurs, grâce aux avancées de la science, l’espoir de découvrir un vaccin contre la dengue, le paludisme ou le sida n’est plus illusoire. Nous ne savons pas à quel terme ce progrès sera accompli, mais il est aujourd'hui perceptible.

Les progrès de l’immunologie, de la biologie moléculaire et des biotechnologies ouvrent des horizons nouveaux et dessinent ainsi les contours d’une nouvelle révolution vaccinale pour le XXIe siècle. Toutefois, malgré les succès indéniables de la politique vaccinale, malgré les espoirs qui s’offrent à nous, nous devons absolument rester vigilants. C’est là le devoir des pouvoirs publics et des responsables politiques.

Aujourd’hui, les maladies couvertes par un vaccin n’effraient plus la population. Pourtant, contrairement aux idées reçues, certaines d’entre elles n’ont pas disparu. Ce n’est pas parce que les maladies ont régressé qu’elles ont disparu. En France, la rougeole est en nette recrudescence depuis quelques années, en particulier dans certaines régions.

M. Gilbert Barbier. Tout à fait !