Mme Marie-France Beaufils et M. Marc Daunis. La vôtre aussi !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La dialectique du ministre est redoutable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’avais d'ailleurs déjà constaté, lorsque vous étiez en charge des affaires européennes, que vous pouvez parler à l’envi.

M. Marc Daunis. Ce sont des paroles d’expert, madame Des Esgaulx !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais, lorsqu’il s’agit de finances, il faut s’en tenir aux chiffres, et respecter ses engagements !

J’en viens maintenant à l’intervention que j’avais préparée sur le programme de stabilité.

Je vous rappelle que, pendant tout le débat sur le projet de loi de finances pour 2013, c’est-à-dire à l’automne 2012, les membres de l’opposition sénatoriale n’ont cessé de dénoncer l’optimisme des hypothèses de croissance et de recettes fiscales…

M. Bruno Sido. Et des délais !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … sur lesquelles vous aviez construit le budget 2013. Nous n’étions d'ailleurs pas les seuls.

M. Jacques Mézard. Vous aviez l’expérience…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dès le début de l’automne 2012, plusieurs institutions économiques avaient produit des évaluations en deçà de vos projections, ce qui aurait pu inciter le Gouvernement à la prudence et à l’honnêteté dans les chiffres qu’il présentait. Tel n’a pas été le cas. Nous continuons de le regretter, et nous sommes aujourd’hui contraints de constater qu’il est peu étonnant que, dans de telles conditions, l’objectif d’un déficit à 3 % ne soit pas atteint ; vous avez simplement réussi à gagner du temps.

Aujourd'hui, vous nous montrez, encore une fois, toute l’ambiguïté de votre politique économique.

En nous présentant ce programme de stabilité, vous nous présentez la version corrigée des engagements de la France auprès de ses partenaires européens jusqu’en 2017.

Notre débat s’inscrit dans le cadre de la procédure dite du « semestre européen », qui contribue à une meilleure coordination des politiques économiques des États membres de l’Union européenne. Comme d’autres sénateurs l’ont dit avant moi, ce débat est très important car il doit impliquer la représentation nationale dans les choix de stratégie économique européenne. C’est pourquoi, monsieur le ministre, les membres du groupe de l’UMP regrettent que vous n’ayez pas accepté que ce débat soit suivi d’un vote formel, qui aurait montré à quel degré vos choix étaient partagés par le Parlement et, incidemment, par votre majorité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Votre refus est d'autant plus choquant pour notre Haute Assemblée que ce vote a eu lieu à l’Assemblée nationale. Reconnaissez-vous par là que vous ne disposez pas d’une majorité au Sénat ? N’avez-vous plus confiance dans vos alliés de la Haute Assemblée ? (M. le président de la commission des finances s’exclame.) Faut-il penser que le Sénat ne bénéficie pas de la même considération et ne compte pas autant que l’Assemblée nationale dans le processus législatif européen ? En tout état de cause, ce n’est pas bon pour notre Haute Assemblée, et je regrette profondément qu’une telle attaque lui soit portée.

Du reste, – je le dis au nom du groupe UMP – votre attitude ne contribue pas non plus à la crédibilité de ce programme de stabilité.

Après avoir évoqué la procédure, je veux maintenant en venir aux chiffres.

Vous révisez à la baisse la prévision de croissance pour 2013, en la fixant désormais – tout le monde l’aura compris – à 0,1 % ; vous tablez sur une reprise de la croissance en fin d’année et vous établissez une projection à 1,2 % pour 2014.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce sera peut-être plus !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Permettez-moi toutefois de rappeler que le FMI a estimé que l’activité en France connaîtra une diminution de 0,1 % en 2013, après une stagnation en 2012.

De même, le Haut Conseil des finances publiques a jugé vos chiffres trop optimistes.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il y a des aléas à la baisse et à la hausse !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Or vous balayez d’un revers de main l’avis de cette instance, que vous avez pourtant voulue et dont, je vous le rappelle, nous avons appuyé la création. Il nous avait pourtant été assuré, à l’époque, que ce Haut Conseil devait être considéré comme un organisme technique, neutre, contribuant, de façon constructive, à la sincérité du débat économique. Comment pouvons-nous avoir un débat sincère si vous n’acceptez pas la contradiction ?

Nous ne pouvons que déplorer que vous ne teniez pas compte du premier avis rendu par le Haut Conseil. Pour ma part, je pense que cela augure mal de son avenir…

À quoi sert cette instance ? Je vous pose de nouveau la question, monsieur le ministre ! Dois-je vous rappeler son coût ? En cette période d’économies, il est vraiment élevé si vous ne tenez pas compte de ses avis !

Au demeurant, permettez-moi de souligner que le Haut Conseil des finances publiques a développé une argumentation plutôt prudente.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet, il a estimé que le Gouvernement n’a pas suffisamment pris en compte un certain nombre d’aléas susceptibles de peser à la baisse sur les prévisions.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pour ce qui me concerne, je suis surtout choquée par les prévisions établies pour les années 2013 et 2014.

Il est vrai qu’en économie existent ce que l’on appelle les « prophéties auto-réalisatrices », et que devons être vigilants. Nous souhaitons tous un taux de 2 % pour les années 2015, 2016 et 2017 ; qui pourrait ne pas espérer cela pour son pays ? Mais, comme le disent les économistes, les prévisions doivent être élaborées « toutes choses égales par ailleurs » ! Or, avec la politique économique et sociale que vous conduisez actuellement, il paraît difficile, et même plus que hasardeux, que nous atteignions un tel taux.

Nous nous étonnons également que les modifications dans les prévisions macroéconomiques, en termes de croissance, de déficit, d’endettement, ne donnent pas lieu à la présentation, dans les meilleurs délais, d’un projet de loi de finances rectificative, l’objet de tels textes étant justement d’ajuster en cours d’année la gestion du budget de l’État au regard des évolutions et des nécessités du contexte macroéconomique.

Par là même, vous niez le droit à l’information et le droit de contrôle de la représentation nationale sur le budget de l’État, à un moment crucial pour nos finances publiques, et vous repoussez à l’automne les nouvelles mesures financières et fiscales qu’impliquera nécessairement cette situation nouvelle.

Nous ne pouvons malheureusement que dénoncer un tel comportement, qui ne nous permet pas de connaître la politique économique que vous entendez conduire pour notre pays.

Le Premier ministre a dit que l’important était la trajectoire. Certes !

M. Francis Delattre. En l’occurrence, la trajectoire, c’est le mur !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le Président de la République se targue de disposer de la « boîte à outils » idoine. Sans aller jusqu’à filer la métaphore et parler de « bricolage » – ce serait un peu facile, je vous le concède –, nous aimerions tout de même savoir si le Gouvernement dispose d’une boussole pour atteindre le cap fixé, à savoir le retour à l’équilibre de nos finances publiques en 2017.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il faut lire les trajectoires !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet, la vraie question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment vous atteindrez votre objectif.

La visibilité que vous devriez donner aux acteurs économiques est fondamentale car elle est la base de la confiance. Or force est de constater que tant la cacophonie née des déclarations divergentes de différents membres du Gouvernement que les signaux contradictoires envoyés par votre politique économique depuis maintenant un an aboutissent à un résultat totalement inverse.

Par exemple, vous êtes amenés à constater par vous-mêmes les limites de vos précédents choix économiques, axés principalement sur des hausses de fiscalité : ces dernières étouffent la croissance économique et ne contribuent en rien à faire baisser le chômage. Cependant, vous ne proposez pas d’alternative crédible. Dès lors, nous ne sommes pas du tout certains de comprendre votre stratégie.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser quelques questions très précises.

Attendez-vous que la croissance revienne comme par enchantement ? Si tel est le cas, pour quand exactement attendez-vous son retour ? Vous me donnez l’impression que vous étiez convaincus, en arrivant au pouvoir, que la croissance allait arriver par magie.

M. Bruno Sido. Qu’elle se présenterait au coin de la rue !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voulez-vous une politique de consolidation fiscale ou de soutien à la consommation en continuant la dépense publique ? Cela non plus n’est pas clair ! Vous devez arrêter votre position sur ce point, et vous devez nous en faire part.

Ne confondez-vous pas réformes et austérité ?

Enfin, et surtout, ne cherchez-vous pas à repousser les nécessaires réformes que notre pays doit engager parce qu’elles divisent votre majorité ?

Au-delà de la stratégie globale, on n’y voit pas vraiment beaucoup plus clair quand on regarde les mesures concrètes.

Premièrement, vous refusez la « TVA sociale » mais vous augmentez quand même la TVA, sans réel bénéfice pour nos entreprises, lesquelles ne bénéficieront pas de baisse directe de charges alors qu’un réel problème de coût du travail existe dans notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne comprend pas !

Deuxièmement, si vous créez le « crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi », le CICE, ce dernier a beaucoup de mal à se mettre en place car il s’agit d’un dispositif complexe, et même d’une usine à gaz, qui, contrairement à ce que son nom laisse supposer, n’est pas l’instrument d’une politique de compétitivité : ce n’est qu’un petit ballon d’oxygène pour aider certaines entreprises à passer l’année 2013 qui s’annonce particulièrement difficile

Sur ce sujet, je constate, avec regret, que la mise en œuvre du CICE est volontairement entravée – je pèse mes mots – par des conditions qui rendent son exécution difficile. Tous les chefs d’entreprise soulignent que les quarante pages du dossier de candidature sont véritablement imbuvables. En outre, quand ils retournent ce document – pour faire des travaux par exemple –, on leur demande de fournir des justifications, des papiers… Ce dispositif est donc vraiment très compliqué, et ce n’est pas exactement ce que j’appelle favoriser la compétitivité des entreprises.

Troisièmement, vous commencez par entrevoir les limites de votre politique axée sur la hausse des impôts, et vous annoncez que vous voulez baisser la dépense publique, alors que vous avez commencé par augmenter le nombre de fonctionnaires et d’emplois aidés – en créant 60 000 postes, excusez du peu !

Quatrièmement, vous avez supprimé le seul outil qui permettait de gérer cette maîtrise des dépenses, à savoir la revue générale des politiques publiques, la RGPP, en particulier la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. De fait, vous n’êtes pas capables de nous indiquer les voies et moyens qui permettront de réaliser effectivement vos objectifs de réduction de la dépense publique.

Cinquièmement, après avoir déséquilibré le marché de l’épargne au bénéfice de l’épargne réglementée, vous manifestez le souhait de mieux canaliser l’épargne vers l’entreprise. Comment allez-vous procéder ?

Avouez, mes chers collègues, que la politique économique du Gouvernement est loin d’être compréhensible !

Au total, l’examen précis des données communiquées dans le programme de stabilité ne nous permet de tirer qu’une seule conclusion certaine : contrairement à la promesse du Président de la République, les impôts continueront d’augmenter en 2014.

M. Bruno Sido. Insupportable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À cela, trois raisons. D’abord, la TVA augmentera de 6 milliards d’euros. Ensuite, il faudra trouver 6 autres milliards d’euros pour compenser la perte de recettes exceptionnelles qui aura lieu en 2013. Enfin, vous annoncez vous-même que les 20 milliards d’euros que coûtera le CICE ne seront compensés que par 14 milliards d’euros d’économies. Ce faisant, vous annoncez vous-même 6 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires !

Monsieur le ministre, les impôts nouveaux ne s’élèveront donc pas à 6 milliards d’euros, mais à 6 plus 6 plus 6 !

M. Bruno Sido. Soit 18 milliards d’euros !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. De surcroît, comme je l’ai dit en commission des finances, je suis sûre que vous sous-évaluez le coût du CICE. Je ne suis pas seule à dire qu’il coûtera au moins 32 milliards d’euros !

Toutes ces contradictions nous paraissent d’autant plus graves que, jusqu’à présent, le Gouvernement a fait preuve d’une surdité…

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Caricature !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … à l’égard de toutes les préconisations extérieures.

En outre, il se refuse à considérer les réformes qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Sans parler de « modèle », parce qu’il ne s’agit bien évidemment pas de copier, reconnaissons tout de même que l’Allemagne, la Suède ou le Canada, à un moment critique de leur histoire – au début des années quatre-vingt-dix –, ont réussi à faire évoluer leur système économique.

Peut-être pourrions-nous en tirer quelques enseignements, notamment en matière d’efficacité de la dépense publique ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mais c’est en cours !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Plus près de nous, nombre d’instances ont fait des recommandations pour notre pays, et elles sont, bien souvent, convergentes. J’aimerais notamment citer les deux derniers rapports de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui, très intéressants, mériteraient qu’on les regarde de près, ou encore le rapport de l’OCDE sur la France d’avril 2013, ainsi que plusieurs documents de la Commission européenne, qui vont dans le même sens.

N’est-il pas temps de s’en inspirer ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Qui était au pouvoir ces dix dernières années ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le temps presse, et il presse de plus en plus, monsieur le rapporteur général ! Cela, vous ne semblez pas le comprendre.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. De quel gouvernement faites-vous le bilan ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je l’ai déjà dit, vous ne cherchez qu’à gagner du temps. À ce rythme, chers collègues, c’est forcément le temps qui va vous rattraper !

La situation économique de notre pays est en passe de devenir un enjeu pour l’ensemble de l’Union européenne. Nous sommes engagés, auprès de l’Allemagne, pour financer les fonds de sauvetage, au nom de la solidarité avec les pays en difficulté. Cela dépasse la seule situation économique de notre pays : il faut considérer, au-delà, ce que nous représentons en Europe et les engagements que nous avons pris. Cela rend l’heure d’autant plus grave !

Nous avons encore la chance de bénéficier de taux d’intérêt bas sur notre dette souveraine, car notre pays représente un espace relativement sûr par rapport aux situations très dégradées des pays périphériques de la zone euro. Mais la question de la possible remontée des taux est de moins en moins théorique, vous le savez bien, à partir du moment où les faiblesses structurelles de notre économie perdurent. La Commission européenne ne dit pas autre chose, quand elle indique que « les titres français pourraient devenir un point central d’attention pour les investisseurs ».

C’est la raison pour laquelle je redis à cette tribune qu’il faut engager au plus vite des réformes structurelles.

Monsieur le ministre, notre pays n’a pas besoin de ces chocs à répétition que vous semblez les affectionner et qui, la plupart du temps, se soldent par des demi-mesures : choc de compétitivité, choc coopératif, choc de simplification, choc de moralisation, choc de confiance. Il n’est pas question d’invoquer la croissance aujourd’hui ; nous n’avons pas besoin d’incantation : il faut passer à l’action !

Notre pays a besoin d’une action claire et déterminée, qui le remette sur le chemin du dynamisme économique. Pour cela, un seul objectif compte : soutenir nos entreprises pour qu’elles créent de la richesse et des emplois, et assainir nos finances publiques, car la dette publique, au-delà d’une certaine mesure, doit être considérée comme un vrai risque d’affaiblissement économique.

Avec ce programme de stabilité, nous espérions des choix ambitieux et intelligibles, qui tracent le chemin des prochaines années. Malheureusement, nous désespérons de devoir attendre encore pour voir ces choix inscrits dans la loi. Les verrons-nous apparaître dans la prochaine loi de finances, cet automne ? Même de cela, je doute, monsieur le ministre !

Vous l’avez compris, si nous avions été amenés à nous prononcer par un vote, comme cela aurait dû être le cas, sur le projet de programme de stabilité tel qu’il nous est présenté, le groupe UMP aurait voté contre. Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu de ce vote, mais, par nos interventions, il peut quand même avoir lieu. Chaque groupe a la possibilité d’exprimer ce qu’il pense de ce projet de programme de stabilité. Je sais, moi, que l’ensemble du Sénat le refuse ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Francis Delattre. Notre collègue soutient-il le Gouvernement ?

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos en m’inspirant des derniers mots de Mme Des Esgaulx à l’instant.

M. Éric Bocquet. Ce qui heurte le groupe CRC n’est pas tant l’absence de vote à l’issue de ce débat que, beaucoup plus fondamentalement, la perte de souveraineté du Parlement français dans l’élaboration des budgets nationaux.

La Commission européenne, sans légitimité aucune au regard du suffrage universel, jaugera notre budget, émettra des recommandations et, au besoin, en cas de non-respect de celles-ci, pourra nous imposer des pénalités à hauteur de 0,2 % de notre PIB national, soit pas moins de 4 milliards d’euros…

Il a été fait référence à l’objectivité du Haut Conseil des finances publiques, aujourd’hui constitué. Mais, mes chers collègues, avec la forte représentation de la Cour des comptes en son sein, avec la présence d’« experts indépendants », qui l’accompagnent dans ses avis, et de deux représentants de grandes banques françaises et internationales, c’est l’expertise de la finance privée mobilisée au secours de la dépense publique !

M. Éric Bocquet. N’est-ce pas là, mes chers collègues, l’humiliation véritable de notre Sénat ?

Ainsi, pour la première fois, l’élève France va rendre sa copie à la Commission de Bruxelles, qui va viser les propositions formulées, noter la copie et, éventuellement, demander quelques ajustements et corrections au cadre défini par le ministère des finances.

À la vérité, notre groupe s’étant opposé avec vigueur et détermination à l’instauration de ce « semestre européen » dans le cadre de la loi organique comme du pacte budgétaire, il ne peut, en toute logique, que contester le bien-fondé des politiques budgétaires que la France va subir au nom du dogme absolu de la réduction de la dépense publique.

Sans surprise, les tenants de la politique budgétaire recommandent l’adoption et la mise en œuvre de politiques d’austérité, habilement masquées sous le nom de « rigueur », politiques fondées sur le « nécessaire redressement des comptes publics », l’apurement de la dette et autres postulats, ma foi, fort discutables.

Nous connaissons d’ores et déjà les contours de la traduction concrète de ces mesures : remise en cause du caractère universel de certaines prestations sociales, nouvelles attaques contre le pouvoir d’achat des fonctionnaires, remise en question du niveau des retraites, notamment par la désindexation des pensions sur les prix.

Pour faire bonne mesure, avec l’adoption du texte prétendument destiné à assurer la « sécurisation de l’emploi », de nouvelles attaques sont menées contre les droits des salariés, le MEDEF ayant totalement approuvé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, signé par trois organisations syndicales de salariés compatissantes.

Flexibilité accrue, recours encore facilité aux temps partiels et aux horaires atypiques, mobilité interne devenant motif de licenciement, non-reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle, mise en cause des garanties sociales collectives par l’ouverture du marché de la complémentaire santé : effectivement, le MEDEF peut exulter ! C’est à croire que, décidément, il s’agissait de rassurer les entreprises et de concrétiser – enfin ! – ce vieux principe qui veut que, pour embaucher, les entreprises doivent pouvoir licencier sans risques. Comprenne qui pourra !

Depuis trente ans, et surtout depuis la promulgation de la loi quinquennale sur l’emploi, dite « loi Giraud », notre pays a expérimenté à grande échelle la flexibilité de l’emploi, les bas salaires, les politiques d’exonérations sociales massives, les allégements fiscaux successifs et cumulatifs – je pense à l’impôt sur les sociétés ou à la taxe professionnelle, par exemple –, le tout, nous disait-on, pour soutenir l’emploi et – peut-être ! – l’activité et la croissance.

La facture des cadeaux et des allégements a pris de l’ampleur. Elle atteint aujourd’hui, selon le consensus des économistes qui ont étudié la question, 170 à 180 milliards d’euros, rien moins ! Cela représente bien plus que le déficit budgétaire et presque autant que le montant des émissions nouvelles de dette publique réalisées chaque année.

Il y a là du grain à moudre, mes chers collègues, bien plus de grain qu’il n’en a été nécessaire à Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne et, chacun s’en souvient, ancien de Goldman Sachs, et à José Manuel Barroso, pour préparer l’amère potion de l’austérité qu’ils s’apprêtent à administrer à la France, avec le soutien explicite de la Chancelière allemande.

On mesure ici les effets dévastateurs de la pensée unique, dont souffrent les tenants de la prétendue absence d’alternative.

La baisse des dépenses publiques met à contribution les fonctionnaires de l’État – allez voir comment travaillent les administrations des finances ou du travail sur le terrain avant de décréter la maîtrise des dépenses publiques, mes chers collègues ! –, les collectivités locales – victimes, dès cette année, de la baisse des dotations, elles assurent encore plus de 70 % de l’investissement public, apportant ainsi leur soutien à la croissance de manière très concrète –, les assurés sociaux – concernés par la baisse programmée des remboursements maladie et des retraites complémentaires, ils seront les probables victimes d’un accord au rabais sur les retraites du régime général, qui deviendraient des retraites par points –, et les ménages, qui subissent l’abandon de plus en plus fréquent de la notion de gratuité de l’action publique.

Notre pays porte les stigmates de la baisse des dépenses publiques.

D’une part, nous constatons le recul de notre société dans son ensemble. Ce recul est d’autant plus intolérable que notre pays, pourtant confronté à la récession ou à la stagnation du produit intérieur brut marchand, n’a jamais été aussi riche, à la différence près que 10 % de la population possède 50 % de la richesse nationale.

Ce recul, évidemment, frappe au premier chef les plus modestes, ceux qui sont privés d’emploi ou de logements, les jeunes couples à la recherche de la stabilité indispensable à la conduite de leurs projets, et crée quelques tensions supplémentaires dans une société qui, hélas, n’en manque pas.

D’autre part, nous observons la montée des inégalités sociales, dont s’accommodent parfaitement ceux dont les impôts diminuent grâce aux multiples cadeaux qui leur ont été faits ces dernières années, sous l’ancienne majorité, et ceux qui, au mépris de l’intérêt général, fraudent, optimisent, laissent s’évader, avec beaucoup de distraction, leurs capitaux, qui ne sont pourtant que le fruit confisqué du travail des autres.

Oui, mes chers collègues, c’est bien l’évasion des capitaux de quelques-uns qui crée le déficit pour tous les autres !

Un gouvernement élu pour le changement n’a rien à gagner à une rigueur budgétaire, si chère à nos prédécesseurs, qui ne sert que les intérêts – c’est le cas de le dire ! – des rentiers de la dette publique, de ceux qui confondent production de richesses et distribution de dividendes, de ceux qui ont déjà tout et qui en veulent encore plus.

Allons-nous oublier, mes chers collègues, qu’un habitant sur neuf de la République fédérale d’Allemagne vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ? Allons-nous oublier ces millions de salariés qui subissent les rigueurs de la loi Hartz IV, et que l’on paye avec des queues de cerises ?

Le modèle allemand, régulièrement vanté, mériterait d’être regardé de plus près, en considération de l’explosion du nombre de travailleurs pauvres dans ce pays.

Voilà un « modèle » qui, d’ailleurs, s’essouffle, et bien vite. La Croatie est appelée à devenir très prochainement le vingt-huitième membre de l’Union. Pourtant, 80 % des électeurs croates ont boudé les urnes lorsqu’il s’est agi d’élire des députés européens ! Une telle abstention ne manque pas de nous interpeller sur les attraits du rêve européen.

Que l’on y songe, ces élections européennes en Croatie n’ont attiré que 20,8 % des électeurs dont on aurait pu croire, pourtant, qu’ils étaient heureux et fiers d’entrer enfin dans la grande famille.

S’il était besoin d’une preuve supplémentaire, après les catastrophes irlandaise, grecque, espagnole, portugaise, italienne, et plus récemment chypriote, de l’ensevelissement de l’idée européenne dans les sables des politiques d’austérité, imposées par les marchés financiers et relayées par la Commission comme par les partisans de la « règle d’or », il n’en faudrait pas plus !

Convenons, monsieur le ministre, que des interrogations sérieuses s’élèvent dans cet hémicycle, au-delà de nos rangs, au sein même du Gouvernement, cela a été rappelé par Jean-Vincent Placé, et jusqu’aux experts économiques du FMI, sur les effets des politiques d’austérité en France et en Europe.

Notre groupe, pour sa part, ne peut que marquer à nouveau son opposition nette et franche aux logiques strictement budgétaires, qui condamnent l’Europe au déclin, dans un monde où elle finit par perdre et son influence, et son rôle, et sa place, et son estime ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)