M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Billout, Mme Cohen, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

A - Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

1° Au troisième alinéa, le pourcentage : « 1,8 % » est remplacé par le pourcentage : « 2,7 % » ;

2° Au quatrième alinéa, le pourcentage : « 1,5 % » est remplacé par le pourcentage : « 1,8 % ».

II. – L’évolution des taux décrite au I est progressivement mise en œuvre par tiers sur trois ans.

B - En conséquence, alinéa 1

Faire précéder cet alinéa de la mention :

I. - 

La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Je présente cet amendement au nom de mon groupe, et non en qualité de rapporteur, la commission ne l’ayant pas adopté.

Cet amendement me semble de nature à répondre à un certain nombre de critiques, formulées notamment par notre collègue Serge Dassault et par M. le ministre, selon lesquelles le dispositif actuel du texte pourrait imposer aux entreprises implantées en grande couronne un effort trop important, eu égard à l’augmentation du versement transport.

Je voudrais souligner un point qui n’a pas vraiment été abordé au cours du débat, mais qui a son importance. Un certain nombre d’entreprises de haute technicité se sont installées par nécessité en grande couronne, parce que leurs activités sont à risques ou polluantes, notamment sur le plan sonore. Aujourd’hui, elles peinent à recruter, même en cette période de fort chômage, des salariés qualifiés, voire très qualifiés, du fait qu’elles sont mal desservies par les transports en commun, alors que les compétences dont elles ont besoin, qui manquent dans leur bassin d’emploi, existent ailleurs dans la région francilienne. En effet, quand on habite en petite couronne, on rechigne parfois à aller travailler en grande couronne.

L’amendement vise à tenir compte de telles situations, tout en abaissant les coûts de transport pour les usagers, en particulier les salariés.

Mme la présidente. Monsieur Billout, je vous propose de reprendre votre casquette de rapporteur pour nous donner l’avis de la commission. (Sourires.)

M. Michel Billout, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il est vrai que cet amendement vise en quelque sorte à répondre aux critiques que j’ai formulées voilà quelques instants. Pour autant, il ne permet pas de gommer les imperfections d’un texte dont le dispositif, s’il est assurément inspiré par une noble motivation, conserverait une incidence économique réelle : le problème posé par l’augmentation du versement transport pour la grande couronne demeure, même s’il est amoindri. Un déséquilibre subsiste entre la zone centrale de l’agglomération et la périphérie.

La préoccupation centrale du Gouvernement, je le répète, est d’apporter des réponses aux difficultés du quotidien en matière de transports. Donnons-nous la priorité aux investissements, afin d’améliorer la qualité de service, ou à la réforme de la tarification ? Telle est la question cruciale. Le Gouvernement a choisi de faire porter l’effort sur l’investissement, afin de faciliter les déplacements quotidiens des Franciliens et d’améliorer leurs conditions de vie.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Cet amendement vise à rendre moins douloureuse pour les entreprises l’augmentation du versement transport, en ramenant le montant de la ponction de 800 millions d’euros à 500 millions d’euros. Cette atténuation est bien sûr louable, mais c’est encore trop à nos yeux. En conséquence, nous ne pouvons voter cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Cet amendement montre que nous avons pris en compte les critiques qui nous ont été adressées. Cela étant, que vaut l’argument selon lequel on ne saurait taxer davantage les entreprises, dans la mesure où l’on vient de leur faire un cadeau de 20 milliards d’euros sous forme de crédit d’impôt ? Je relève que la perspective de mettre plus fortement à contribution les usagers n’a, en revanche, suscité aucun émoi, que ce soit à droite ou à gauche de l’hémicycle…

Ne soyons pas hypocrites. Il y a trois sources de financement pour les transports publics : les usagers, les collectivités et les entreprises. Depuis quelque temps, les collectivités sont très lourdement sollicitées. Les usagers trouvent pour leur part les tarifs très élevés au regard de la qualité du service qui leur est rendu. Les entreprises, quant à elles, bénéficient donc d’importants cadeaux fiscaux et feront en outre des économies sur le remboursement des abonnements de transport de leurs salariés grâce à la création d’une zone unique.

Par ailleurs, je tiens à m’élever contre certains propos selon lesquels il y aurait, d’un côté, les défenseurs de l’instauration d’une tarification sociale source d’égalité et de justice, dans une période de crise très profonde subie de plein fouet par nos compatriotes, et, de l’autre, les partisans d’une amélioration des conditions de transport. Rejeter le présent amendement ne permettra absolument pas de dégager des moyens pour financer l’amélioration du réseau de transports ! Notre objectif est bien de gommer autant que faire se peut les inégalités territoriales et sociales, par l’instauration d’une tarification unique, tout en faisant progresser la qualité de service : il est possible de mener ces deux chantiers conjointement.

Depuis 2004, le groupe communiste du conseil régional œuvre pour construire une majorité sur cette question. Ainsi, nous étions d’accord pour que le tarif unique retenu ne soit pas celui en vigueur pour les zones 1-2. Il est très curieux que la même dynamique ne se manifeste pas aujourd’hui dans cet hémicycle. Chaque fois que le groupe communiste du conseil régional a réussi à faire progresser la tarification sociale, on a constaté que davantage de Franciliennes et de Franciliens prenaient les transports en commun ; il s’agit donc aussi d’une mesure pertinente sur le plan écologique.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Laurence Cohen. C’est sans doute pourquoi les écologistes ont été les premiers à nous rejoindre sur cette question.

M. Jean-Vincent Placé. Rien à ajouter !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

M. Christian Favier. M. le ministre a opposé la nécessité d’améliorer le réseau de transports en commun en Île-de-France à l’engagement d’une refonte de la tarification, en indiquant qu’il donnait la priorité au premier de ces deux chantiers.

L’Île-de-France est l’une des régions les plus riches d’Europe, mais c’est aussi l’une de celles où les inégalités sont le plus criantes. M. Dassault est sans doute un bon symbole de la réalité de cette région !

Il est certes important d’apporter des réponses immédiates aux difficultés rencontrées par les Franciliens en matière de transports en commun et d’améliorer le réseau en mettant en œuvre le projet du Grand Paris Express. À cet égard, je souligne d’ailleurs que le principal contributeur est non pas l’État, mais bien la région et les collectivités locales. La seule chose que nous ayons obtenue du Gouvernement, c’est un engagement à hauteur de 1 milliard d’euros, qui sera mobilisé en tant que de besoin, sachant que nous n’avons jamais vu le moindre centime des 4 milliards d’euros qu’avait promis le gouvernement précédent ! Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, nous ne sommes pas à la recherche de 8 milliards ou de 9 milliards d’euros, puisque le plan de financement est, pour l’essentiel, bouclé.

Cela étant, il est également nécessaire de revoir la tarification, parce que nous sommes à cet égard dans une situation aberrante, comme l’ont dit plusieurs intervenants : aujourd’hui, plus on habite loin du cœur de l’agglomération – ce qui est rarement un choix –, plus on paie cher et moins le service de transport est satisfaisant. Je suis élu d’une commune dont le territoire est à cheval sur les zones 3 et 4 : les habitants des grandes cités, tel le quartier du Bois-l’Abbé, paient plus cher leur titre de transport que les personnes qui vivent au cœur de la ville… Il faut donc mettre fin le plus rapidement possible à ce zonage aberrant, en mettant en place un tarif unique.

L’incidence d’une telle mesure sur le pouvoir d’achat ne serait pas mince puisque, à l’heure actuelle, les usagers de la grande couronne paient leur pass navigo une quarantaine d’euros plus cher que ceux des zones 1-2 : sur l’année, la différence représente donc plusieurs centaines d’euros.

Enfin, je rappelle que le versement transport concerne moins de 10 % des entreprises d’Île-de-France, puisqu’il n’est acquitté que par celles qui comptent plus de neuf salariés. Par conséquent, 90 % des entreprises ne seront pas affectées par l’augmentation du versement transport.

Cessons de pleurnicher en permanence sur la situation des entreprises ! La commission d’enquête sur l’évasion fiscale, dont le rapporteur était notre collègue Éric Bocquet, a chiffré à 50 milliards d’euros par an le coût de cette pratique pour les finances de notre pays : que représentent, en comparaison, les sommes que nous proposons aujourd’hui de prélever sur les entreprises pour permettre l’instauration d’un tarif unique qui améliorerait très sensiblement le quotidien de tous les habitants de la région ?

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault, pour explication de vote.

M. Serge Dassault. Monsieur Favier, je ne peux admettre que l’on attaque une entreprise qui investit beaucoup dans l’Essonne. Soyez un peu plus prudent dans vos affirmations, car ce sont les entreprises qui créent les emplois, et pas vous. Or si on leur fait payer n’importe quoi, comme vous le proposez, elles n’auront pas les moyens d’investir et elles n’embaucheront pas !

Si la région n’est pas capable de financer les réseaux de transports publics, c’est qu’elle ne fait pas son travail ! Comment allez-vous assurer le financement du Grand Paris ? Ce ne sont pas les entreprises qui apporteront les 30 milliards d’euros nécessaires ! Si le conseil régional ne veut pas supporter le financement, il n’y aura pas de transports, pas de reprise, et donc pas d’emplois. Arrêtez d’attaquer les entreprises et essayez de comprendre un peu mieux comment fonctionne l’économie ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 223 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 37
Contre 297

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article 1er.

Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que l’article 1er représente la substantifique moelle de la présente proposition de loi. Son dispositif concernerait plus de 2 millions d’usagers chaque mois, dont 53 % résident au-delà de l’actuelle zone 2.

En l’absence d’harmonisation des taux du versement transport, la région est amenée à prendre progressivement des mesures de dézonage durant les week-ends et les jours fériés, mais cela n’est bien entendu pas de nature à satisfaire les besoins des Franciliennes et des Franciliens. Par conséquent, il est vraiment nécessaire d’adopter la disposition que nous vous présentons.

Par ailleurs, en s’appuyant notamment sur les exemples de Londres et de Madrid, on nous dit que les transports en Île-de-France sont les moins chers d’Europe, mais ce n’est pas un argument, eu égard au niveau extrêmement élevé des loyers parisiens. Contrairement à ce qu’ont affirmé certains collègues au cours de la discussion générale, si les gens habitent loin de Paris, ce n’est, dans la grande majorité des cas, pas par choix : ils n’ont tout simplement plus les moyens de se loger dans la capitale ou la petite couronne. En l’occurrence, ils subissent la triple peine : ils vivent loin de leur lieu de travail, passent beaucoup de temps dans les transports et paient plus cher. Ce sont ces inégalités que nous proposons de faire disparaître ou, en tout cas, d’atténuer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 224 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 37
Contre 296

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi permettant l'instauration effective d'un pass navigo unique au tarif des zones 1-2
Article 3 (début)

Article 2

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’élargissement de l’assiette du versement transport en région Île-de-France, notamment aux revenus financiers.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 225 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l’adoption 49
Contre 296

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi permettant l'instauration effective d'un pass navigo unique au tarif des zones 1-2
Article 3 (fin)

Article 3

La perte de recettes résultant pour l’État des dispositions de la présente loi est compensée par l’augmentation à due concurrence du taux de l’impôt sur les sociétés.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, l’article 3 ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage. Si cet article est supprimé, il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et, par conséquent, il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’article 3 ou sur l’ensemble de la proposition de loi ?...

Je mets aux voix l'article 3.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 226 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l’adoption 49
Contre 297

Le Sénat n'a pas adopté.

Les trois articles de la proposition de loi ont été successivement supprimés par le Sénat.

Je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée. (M. Serge Dassault applaudit.)

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi permettant l'instauration effective d'un pass navigo unique au tarif des zones 1-2
 

10

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 16 mai 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 et de l’article 81 de la loi du 31 décembre 1971 précitée (conseil de discipline pour les infractions et fautes commises par les avocats) (2013-310 QPC).

Acte est donné de cette communication.

11

Devenir de la politique familiale en France

Discussion d'une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la question orale avec débat n° 5 de Mme Isabelle Pasquet à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, sur le devenir de la politique familiale en France.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Isabelle Pasquet demande à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, si le Gouvernement entend donner suite au rapport qui lui a été remis concernant la politique familiale, notamment les allocations familiales, et quelles modifications il envisage, éventuellement, d’apporter à ces allocations. »

La parole est à Mme Isabelle Pasquet, auteur de la question.

Mme Isabelle Pasquet, auteur de la question. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait décidé d’inscrire à l’ordre du jour ce débat sur la politique familiale de notre pays. Même si notre impatience à parler de ce sujet n’est pas forcément en phase avec le calendrier institutionnel, il me paraît important d’aborder les enjeux de la politique familiale de manière globale, non cloisonnée. Du fait de son caractère informel, le champ de notre débat est nécessairement plus large que celui des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Aussi pertinent soit-il – j’y suis d'ailleurs attachée –, le champ des PLFSS nous incite en effet à concentrer nos propos sur la question du financement.

Notre politique familiale présente la singularité de reposer non pas sur un seul acteur mais sur une pluralité d’intervenants. Cette caractéristique explique pourquoi certaines prestations, comme les aides au logement, revêtent un caractère social et sont, par voie de conséquence, soumises à des conditions de ressources, tandis que d’autres sont purement familiales, en ce sens qu’elles constituent des aides aux familles sans objectif redistributif. C'est la raison pour laquelle ces prestations – les allocations familiales, par exemple – ne sont soumises à aucune condition de ressources : elles ont une portée universelle.

Pour autant, il serait inexact de dire que seuls l’État et la sécurité sociale, via la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, interviennent. Les collectivités territoriales jouent également un rôle incontournable ; je pense notamment aux communes et aux départements, qui gèrent des crèches ou des services de protection maternelle et infantile, et apportent leur appui aux personnes en difficulté dans leur fonction de parent.

Cette architecture particulière, à laquelle nous sommes toutes et tous attachés, nous la devons à l’élaboration, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, d’un programme révolutionnaire consistant à faire des femmes et des hommes le cœur de toutes les politiques publiques. Ce programme, élaboré par le Conseil national de la Résistance, le CNR, a pris forme les 4 et 19 octobre 1945 avec la création, par voie d’ordonnances, d’un système de protection sociale financé par des cotisations sociales prélevées sur la valeur ajoutée et géré par les partenaires sociaux.

L’idée majeure était d’apporter aux travailleurs, qui contribuaient au redressement d’un pays exsangue dans lequel tout était à reconstruire, un travail et une protection leur permettant de vivre dignement. Les pouvoirs publics ont donc instauré un revenu de remplacement, sous forme d’indemnité ou d’allocation, pour le cas où les travailleurs seraient privés de leur salaire, une assurance maladie pour leur permettre d’être en bonne santé et – ce dernier point fait la spécificité de notre système – des prestations familiales.

Les prestations familiales poursuivent deux objectifs, qui sont toujours d’actualité : d'une part, « apporter aux familles une aide compensant partiellement les dépenses engagées pour la subsistance et l’éducation des enfants », selon la définition de l’INSEE, afin d’éviter que ce surcoût financier ne constitue un frein au désir des couples d’avoir des enfants, et, d'autre part, construire une politique familiale qui ne soit ni nataliste ni familialiste, c'est-à-dire, pour parler crûment, qui ne tende pas à renvoyer les femmes chez elles. Le groupe CRC est particulièrement sensible à ce second objectif ; il nous reste d'ailleurs beaucoup à faire pour l’atteindre.

Il faut sans doute voir dans cet objectif l’héritage direct de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle les femmes ont dû, par la force des choses, remplacer les hommes absents dans les champs et les usines : elles sont donc devenues des travailleuses à part entière. Ce mouvement s’est révélé irréversible, et le CNR en a tiré toutes les conséquences. À la différence du système allemand, qui incite depuis ses origines, pour des raisons budgétaires évidentes – les pouvoirs publics peuvent ainsi se dispenser d’investir dans les crèches –, les mères à rester chez elles, notre pays a toujours fait le choix de faciliter le retour des femmes sur le marché du travail.

Toujours ou presque, devrais-je dire, puisque, en 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le gouvernement a instauré une demi-part supplémentaire pour les couples de trois enfants, favorisant ainsi les familles nombreuses et incitant les femmes concernées à rester chez elles plutôt qu’à reprendre une activité professionnelle. N’oublions pas le contexte : crise pétrolière, explosion du chômage, à commencer par le chômage des femmes, et donc nécessité de prendre des mesures permettant de réduire artificiellement le nombre de salariés privés d’emploi figurant dans les statistiques du chômage. D’une certaine manière, le complément de libre choix d’activité, le CLCA, de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, tend à favoriser le retrait des femmes du monde du travail. Ce retrait est volontaire pour les familles qui ont les moyens de faire ce choix, mais il est subi par les familles modestes qui optent pour ce système faute d’avoir trouvé une structure collective publique ou familiale de garde de leurs enfants.

Ce petit rappel du processus de construction de notre politique familiale et des objectifs qu’elle poursuit me permet de resituer le débat actuel sur les allocations familiales dans le contexte historique qui a conduit à les rendre universelles. Nous estimons que cette universalité est toujours aussi pertinente.

Si les allocations familiales sont distribuées sans condition de ressources, c’est d’abord et avant tout parce que, à l’instar des prestations versées par l’assurance maladie, l’assurance chômage ou l’assurance vieillesse, elles représentent un élément de salaire différé ou socialisé. Il s’agit de mettre en commun une fraction de tous les salaires pour la redistribuer, selon les besoins, aux retraités, aux malades et aux familles. En ce sens, le salaire différé constitue, pour reprendre la formule de Georges Buisson, secrétaire adjoint de la CGT réunifiée en 1936, « une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire ». La mise en commun d’une fraction de salaire obéit à l’adage « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Par conséquent, soumettre les allocations à une condition de ressources en instaurant, comme le proposent certains, une modulation ou une pondération, c’est porter atteinte à l’universalité des allocations familiales et donc aux principes mêmes de la sécurité sociale.

Cette proposition, défendue depuis des années par le MEDEF, tient d’ailleurs moins à la volonté du patronat de réaliser 4 milliards d’euros d’économies qu’à sa volonté de porter atteinte à l’unité et aux fondements de la sécurité sociale. C’est d'ailleurs pour cette raison qu’il a défendu l’idée d’une séparation de la sécurité sociale en quatre branches indépendantes financièrement et qu’il préconise aujourd’hui la création d’une cinquième branche pour la dépendance. En plaidant pour l’instauration de règles particulières de modulation des prestations versées par la sécurité sociale en fonction des revenus et non plus des besoins de chacun, le MEDEF entend isoler encore plus la branche famille pour, au final, la privatiser entièrement et se retirer totalement de son financement.

Aussi bien Laurence Parisot que certains parlementaires de l’UMP – souvenez-vous du rapport rédigé par Yves Bur en 2011 – proposent de substituer au financement actuel de la branche famille un financement par l’impôt : par la TVA, par la CSG, ou encore par un mélange des deux. Quelle que soit la formule retenue, l’objectif est clairement d’isoler la branche famille tant dans son fonctionnement que dans son financement, afin de sortir la politique familiale de la protection sociale pour en faire une politique distributive assumée par l’État et financée par les familles elles-mêmes.

Nous refusons énergiquement ce projet, car nous ne voulons pas qu’il soit porté atteinte à l’universalité des allocations familiales. Pour autant, cela ne signifie pas que nous nous satisfaisons de la situation actuelle.

Tout d’abord, nous souhaitons renforcer le caractère universel des allocations familiales en faisant en sorte qu’elles soient attribuées dès le premier enfant. Cette proposition, qui figurait au programme de François Mitterrand dès 1981, aurait pour effet de renforcer le caractère universaliste des allocations familiales, tout en rompant définitivement avec la logique nataliste qui a conduit à ce que les prestations familiales soient majoritairement versées à partir du deuxième et, surtout, du troisième enfant.

Comme je le soulignais déjà dans le rapport sur la branche famille effectué dans le cadre du PLFSS pour 2012, le contexte sociodémographique, tout comme les aspirations individuelles, a considérablement changé depuis la création des allocations familiales : les familles avec un ou deux enfants sont devenues plus nombreuses à mesure que diminuait le nombre moyen d’enfants par famille. Il n’en demeure pas moins que la natalité française est très dynamique depuis le début des années 2000, l’indice de fécondité s’élevant à deux enfants par femme. Voilà pourquoi, avec mon groupe, j’ai déposé une proposition de loi tendant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant, afin que celles-ci aient une vocation sociale et ne soient plus seulement considérées comme une incitation à procréer.

Ensuite, il nous faut répondre à un autre impératif : le financement solidaire de la branche famille. Nous devons aux familles et aux salariés de satisfaire à cette exigence, puisque c’est en raison de la situation actuelle de la branche famille, marquée par un déficit organisé de toutes pièces, que M. Fragonard s’est vu confier par le Gouvernement une mission destinée à permettre un retour rapide à l’équilibre de la branche.

Alors que le rapport Fragonard, présenté récemment devant le Haut Conseil de la famille, le HCF, préconise de réduire ou de supprimer les allocations familiales pour une partie de la population, certes la plus aisée, nous considérons, pour notre part, qu’il faut dissocier deux débats : celui du financement et celui de la nécessaire réforme fiscale. En effet, la fiscalité fait partie intégrante de la politique familiale, puisque c’est elle qui permettra de répondre à l’exigence de justice sociale de nos concitoyens. Nous sommes donc défavorables aux pistes avancées par le rapport Fragonard, par ailleurs rejetées par le Haut Conseil de la famille. Puisque les allocations familiales constituent une part de salaire différé, elles doivent être versées à toutes les familles !

En revanche, il faut impérativement entreprendre une réforme fiscale d’ampleur pour que les familles des deux derniers déciles, c’est-à-dire celles qui, en proportion, profitent le plus des allocations familiales, soient assujetties à des taux d’imposition correspondant réellement à leurs ressources.

En outre, pourquoi ne pas confier au Haut Conseil de la famille une mission destinée à évaluer les différentes propositions de réforme du quotient familial ? Au groupe CRC, nous soutenons l’idée qu’il faut revoir le quotient familial et supprimer le quotient conjugal, qui crée une discrimination entre les couples pacsés ou en union libre et ceux qui ont choisi de se marier.

Quant au quotient familial, sa suppression pure et simple aura des conséquences importantes en termes de fiscalité et de pouvoir d’achat pour les familles aux revenus moyens, dans la mesure où il intervient dans la fixation de certains tarifs, tels que le prix de la cantine ou de certaines activités culturelles ou sportives. C’est pourquoi nous souhaitons qu’une étude soit menée par le HCF sur une modulation du quotient familial afin de le rendre plus progressif, donc plus juste socialement, sans pour autant s’attaquer aux allocations familiales.

Il est évident que les propositions consistant à réduire, plafonner et fiscaliser les allocations familiales n’auraient jamais vu le jour si la branche famille avait été à l’équilibre. Or cet équilibre, indispensable pour garantir une politique familiale solidaire et universelle, pourrait être atteint dès l’année prochaine s’il était mis fin aux ponctions opérées sur la branche famille pour alimenter d’autres branches ou d’autres mécanismes, notamment redistributifs.

Le premier constat que je fais, identique à celui que je dressais dans mes deux précédents rapports effectués dans le cadre de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, est que le déficit de la branche famille ne tient pas à l’ampleur des prestations servies. Même si le taux de natalité de la France est l’un des meilleurs d’Europe et constitue une chance pour notre pays, il est relativement stable. Ce ne sont donc pas le nombre des naissances et les allocations servies en conséquence qui conduisent au déficit de la branche.

De plus, comme le rappelle Henri Sterdyniak, « les allocations familiales n’ont pas augmenté en pouvoir d’achat depuis 1984 ; elles ont donc baissé par rapport aux salaires qui sont la base des cotisations ». De ce seul fait, la branche famille devrait donc être naturellement excédentaire. Pourtant, c’est loin d’être le cas, le déficit actuel étant pour l’essentiel la conséquence de la ponction de 9 milliards d’euros opérée sur cette branche pour financer les majorations de retraite pour les personnes ayant élevé plus de trois enfants, lesquelles étaient autrefois supportées par l’assurance retraite.

La branche famille est, comme toutes les autres branches, victime des suppressions d’emplois, qui entraînent une diminution des ressources, les cotisations sociales étant assises sur le travail. Ainsi, la progression du chômage de plus de 5 points par rapport à 2007 a eu pour conséquence une perte de 2,5 milliards d’euros de cotisations pour l’assurance famille. La priorité doit donc être de renforcer le financement par trois leviers, outre l’amélioration évidente des salaires et de la situation de l’emploi.

Tout d’abord, il faut mettre fin aux politiques d’exonération de cotisations patronales, qui nuisent à l’emploi de qualité et contraignent les salariés à vivre avec des salaires notoirement bas, puisque, plus les salaires sont faibles, plus les exonérations de cotisations patronales sont importantes. C’est d’ailleurs, madame la ministre, l’une des réserves que nous avons exprimée sur les contrats de génération, les emplois d’avenir ainsi que l’accord national interprofessionnel, qui sont autant de mécanismes destinés à réduire le coût du travail, comme si celui-ci était seul responsable du taux de chômage.

Ensuite, il convient de mettre un terme à la tuyauterie complexe qui alimente aujourd’hui la branche famille, laquelle n’est de surcroît pas étanche, puisque, au passage, on constate une perte de ressources. Il faut en revenir à un principe simple : les ressources dédiées à la branche famille doivent toutes être orientées exclusivement vers le financement de celle-ci.

D’autres mesures doivent et peuvent être prises pour financer des prestations qui, par ailleurs, relèvent non pas des prestations garanties par la sécurité sociale, mais plutôt de la responsabilité de l’État et donc d’un financement d’origine fiscale. Aujourd’hui, outre les cotisations, la branche famille est alimentée par la CSG, ressource fiscale non progressive et essentiellement supportée par les familles, la taxe sur les contrats d’assurance complémentaire, taxe injuste qu’en 2012 le Sénat de gauche avait proposé de supprimer, ainsi que la CSG prélevée au fil de l’eau sur les contrats multisupports d’assurance vie.

Ces ressources sont indispensables, car elles viennent compenser des ponctions – les fuites de tuyauterie dont je viens de parler – instaurées par les gouvernements précédents pour orienter l’argent dédié à la branche famille vers le financement d’autres mesures que celles qui relèvent de la politique familiale.

On voit bien qu’il s’agit là d’une construction précaire et injuste.

Précaire, car en lieu et place d’une solution de financement durable, les politiques successives n’ont eu de cesse de creuser des trous pour en combler d’autres.

Injuste, car les ressources orientées vers la branche famille sont principalement fiscales, c’est-à-dire supportées par les familles. Qui plus est, elles ne sont pas progressives, ce qui signifie que les familles les plus modestes les supportent autant, si ce n’est plus, que les familles les plus riches.

Enfin, le dernier levier, qui me conduira par ailleurs à vous poser une question, madame la ministre, consiste à compenser intégralement les frais de gestion supportés par les CAF, les caisses d’allocations familiales, du fait du transfert de nouvelles missions comme le revenu de solidarité active, l’allocation aux adultes handicapés ou encore certaines prestations d’aide au logement. Comme je l’indiquais en 2011 dans mon rapport sur la branche famille dans le cadre du PLFSS pour 2012, ces prestations représentent plus de 45 % du total des prestations servies par les CAF.

Outre les frais de gestion importants que l’on peut aisément imaginer – ces prestations représentent une somme de 28 milliards d’euros sur les 62 milliards d’euros de prestations servies –, ces missions nouvelles mobilisent aussi fortement les agents, d’autant plus que, avec la crise, les besoins et les attentes des bénéficiaires sont grandissants. Il en découle une charge de travail intenable pour les agents, à qui je veux rendre un hommage appuyé, ce qui contraint certaines caisses à fermer l’accueil au public de manière ponctuelle ou régulière afin de faire face aux retards accumulés. De plus, madame la ministre, ces missions nouvelles n’ont pas entraîné la révision de la clause de revoyure pourtant prévue dans la convention d’objectifs et de gestion, la COG, précédente.

Cela me conduit tout naturellement à vous interroger sur l’état de la négociation, qui s’est ouverte plus tardivement qu’à l’accoutumée, concernant la prochaine convention d’objectifs et de gestion. Malgré le contexte actuel, il me semble, ainsi qu’à mes collègues du groupe CRC et à nombre d’administrateurs de la CNAF avec qui nous nous sommes entretenus à plusieurs reprises, qu’aucune mesure ayant pour effet de réduire le nombre d’agents ne doit être prise. La surcharge de travail, conséquence couplée de l’accroissement des besoins de solidarité et de la tristement fameuse RGPP, conduit à une situation insoutenable que le président de la CNAF m’a très bien décrite lors d’un entretien. Je sais qu’il vous l’a aussi exposée récemment par courrier.

Pourriez-vous nous garantir qu’en l’état actuel de la négociation de la COG, qui devrait être signée sous peu, aucun effort nouveau en matière de productivité ne sera exigé ? En effet, nous avons la conviction que l’urgence porte plutôt sur le recrutement de nouveaux agents.

Je voudrais également aborder ici une question qui fait partie de la négociation dans le cadre de la future COG : le devenir du Fonds national d’action sociale, le FNAS, qui finance l’ensemble de l’action sociale et joue un rôle majeur.

Comme vous le savez, ce fonds couvre les dépenses de prestations de service, qui sont notamment affectées au financement du fonctionnement et du développement de l’offre d’accueil en matière de petite enfance et de temps libre, ainsi que les dépenses d’investissement liées aux différents plans crèches gouvernementaux et regroupées dans les fonds d’investissement petite enfance. Il joue donc un rôle majeur dans la politique d’accueil public et collectif des jeunes enfants. En 2012, son budget a connu une progression de 7 %. Une évolution inférieure à ce taux conduirait inévitablement la CNAF à renoncer à certaines mesures ou à certains objectifs, alors même que les besoins des familles sont immenses.

Malgré votre volonté affichée, il manque toujours plus de 300 000 places de crèches publiques et familiales pour que la majorité des besoins des parents soient satisfaits. D’ailleurs, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rappeler notre volonté que soit abrogé le décret dit Morano, qui autorise la pratique du « surbooking » en crèches et libère artificiellement des places. Il faudrait également revenir sur la décision prise par le précédent gouvernement de réduire l’exigence de formation pour les assistantes maternelles qui interviennent dans les maisons d’assistance maternelle.

Pour en revenir au FNAS, pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, que le taux de progression de ce fonds sera au moins reconduit et que l’évolution de son financement intégrera entièrement les dépenses induites par la réforme des rythmes scolaires ?

Telles sont les observations et les interrogations que m’inspire la politique familiale de notre pays. Ayant dépassé un peu le temps de parole qui m’était imparti et bien qu’il me reste encore pas mal de choses à dire, je laisse maintenant la place à ce débat, qui, je le sais, intéresse nos collègues, les partenaires sociaux ainsi que les représentants des familles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)