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Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Discussion générale (suite)

Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement (proposition n° 559, rapport n° 594, résultat des travaux de la commission n° 595).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Article 1er

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis aujourd’hui ici pour présenter la proposition de loi, dont l’initiative revient au groupe socialiste de l’Assemblée nationale, portant déblocage exceptionnel de l’épargne salariale : il s’agit d’offrir aux salariés la possibilité de débloquer de manière exceptionnelle une partie de leur épargne salariale, pendant une période d’une durée de six mois.

Cette mesure a été prise en cohérence avec d’autres orientations du Gouvernement en matière de soutien à l’activité économique et à la croissance.

Notre première orientation concerne évidemment la création d’un environnement européen plus favorable à la croissance et tenant compte de rythmes de consolidation budgétaire qui n’altèrent pas les possibilités de reprise dans l’Union européenne. Ce travail a trouvé une première traduction dans la réorientation de la politique européenne et le changement de doctrine de la Commission sur les rythmes de consolidation budgétaire.

Notre deuxième priorité est la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de leurs marges, pour qu’elles créent de nouveau de l’emploi. C’est le sens du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, mesure d’ores et déjà préfinancée, qui devrait permettre aux entreprises de restaurer leurs marges, donc leur compétitivité, et leur capacité à exporter et à créer de l’emploi.

Enfin, le soutien à la consommation est le dernier pilier de cette stratégie de croissance. Celle-ci a en effet été altérée ces dernières années, puisque, pour la première fois en 2012, le pouvoir d’achat des Français a reculé de manière suffisamment significative pour affecter la consommation. Il s’agit pourtant là d’un pilier fondamental de l’activité en France, qu’il est bien évidemment nécessaire de restaurer. C’est d’ailleurs le sens de la proposition formulée le 28 mars dernier par le Président de la République, qui a annoncé sa volonté d’ouvrir la possibilité d’un déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement pendant une période de six mois.

Nous avons voulu que cette mesure soit la plus simple et la plus lisible possible, de façon que, tout en encourageant concrètement la consommation, elle ne porte atteinte ni à l’épargne longue ni à l’épargne solidaire.

L’épargne salariale, vous n’êtes pas sans le savoir, c’est à peu près 90 milliards d’euros d’encours. La part des sommes bloquées au sein de cet encours global concerne environ 4 millions de salariés français, qui pourraient faire usage, selon leurs besoins, d’une partie de leur épargne salariale pour consommer.

Nous avons voulu flécher l’utilisation de cette épargne salariale vers la consommation et je me réjouis que l’Assemblée nationale nous ait aidé à cibler cette mesure, afin d’éviter que le déblocage de ces sommes – 20 000 euros au maximum – n’aille abonder d’autres produits financiers, dont certains Français pourraient attendre une meilleure rémunération.

À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’entrer tout de suite dans le vif du sujet. Plusieurs sénateurs appartenant notamment à l’UDI-UC ont souhaité renforcer encore ce ciblage, en proposant un amendement visant à flécher encore plus strictement les sommes débloquées par les Français, qui seraient destinées uniquement à l’achat de services et non de biens d’équipement, au motif – la philosophie est louable – que les emplois dans le secteur des services sont localisés en France et non à l’étranger, comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de fournitures ou de biens d’équipement. Je pense aux téléviseurs ou aux automobiles, même si on fabrique aussi, et c’est heureux, des automobiles en France.

Je le dis tout de suite, le Gouvernement ne souhaite pas qu’on limite trop la portée d’une telle mesure. Par exemple, si une personne décide d’acheter une cuisine, peu importe chez quel cuisiniste, elle achète en réalité un service, à savoir la pose de la cuisine, mais aussi des biens, tels que meubles, cuisinière et réfrigérateur.

Ainsi, – c’est mon premier argument – le fait de limiter le déblocage de l’épargne salariale aux services risquerait donc de freiner les salariés qui souhaitent équiper leur maison d’une véranda ou d’une cuisine. Si je comprends la volonté de certains parlementaires de soutenir le secteur du bâtiment, je ne crois pas qu’en empêchant les salariés français de s’acheter des biens d’équipement on renforce pour autant les achats de services dans le domaine du bâtiment. Je crains même qu’on ne les restreigne.

Au demeurant, la logique des sénateurs centristes rejoint, me semble-t-il, la philosophie générale de ce texte. J’évoquerai toutefois un autre argument, particulièrement important à mes yeux, qui justifie l’opposition du Gouvernement à un tel amendement. Aujourd’hui, quand on achète des services, on fait effectivement appel à des emplois localisés en France. Toutefois, les biens que nous achetons n’ont pas tous été fabriqués en Corée ou au Japon ! Une bonne partie des automobiles achetées en France viennent heureusement de France, grâce à des marques comme Peugeot ou Renault. Or le déblocage de l’épargne salariale permettra de déstocker un bon nombre de véhicules aujourd’hui détenus par les concessionnaires.

De surcroît, même si on achète un bien importé, combien sont-ils, ces emplois liés au service clientèle d’un certain nombre de grandes marques commercialisant de l’électroménager et localisées dans notre pays ? Combien sont-ils, ces emplois de la grande distribution, créés ici parce qu’on y achète des produits ? Peu importe qu’ils soient fabriqués ici ou ailleurs ! Le soutien à la consommation des ménages, en particulier de biens d’équipement, permet aussi de soutenir l’emploi en France.

En tant que ministre chargé de l’économie sociale et solidaire, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de formuler une remarque supplémentaire. La filière de la réparation est aujourd’hui en train de se développer dans le secteur de l’électroménager et des biens d’équipement. Les emplois qu’elle crée, localisés en France, sont soutenus par l’achat de ces biens.

Cet ensemble d’arguments, que je tenais à avancer à ce stade du débat, devraient justifier qu’on en reste à la rédaction du texte en son état actuel, sans chercher à limiter le déblocage de l’épargne salariale uniquement à l’achat de services.

La lisibilité de ce texte, c’est aussi de fixer une période de six mois, à savoir du 1er juillet au 31 décembre 2013.

Nous avons également prévu un certain nombre de garde-fous. Tout d’abord, notre choix s’est porté sur un dispositif préservant l’épargne placée en vue de la retraite dans les PERCO, les plans d’épargne pour la retraite collectifs, afin d’éviter que cet investissement, qui consiste à préparer le futur, ne soit pas sacrifié à un besoin immédiat de consommation.

Nous préservons aussi les fonds solidaires, qui bénéficieront donc d’un statut particulier. En effet, les besoins des entreprises de l’économie sociale et solidaire, en raison de leur modèle capitalistique, sont différents de ceux des entreprises dites de l’économie classique. Elles ont un fonctionnement beaucoup plus tempérant et patient, qui suppose de disposer d’un accès à des financements pérennes, auxquels participent les fonds solidaires. Il était donc nécessaire de les mettre à l’écart de ce dispositif de déblocage exceptionnel de l’intéressement et de la participation. Cela ne remet pas en cause ce que nous considérons être un outil fondamental d’association des salariés à la performance des entreprises.

Je rappelle également que la participation, l'intéressement et l'épargne salariale ne sont pas des outils de rémunération du travail ; ce sont des outils de partage des profits, d'intéressement à la performance, qui procèdent d’une philosophie quelque peu différente. Ce modèle original qui est celui de la France justifie d'être consolidé parce qu'il est de surcroît un objet de dialogue social et que cela fonctionne plutôt bien.

Cette mesure exceptionnelle que nous vous soumettons ne préjuge pas de ce que sera la réforme plus globale de l'épargne salariale. Une fois installé, le COPIESAS, le Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat des salariés,…

Mme Isabelle Debré. Créé ici, au Sénat !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. … préparera en effet une réforme plus globale devant répondre à trois objectifs.

Le premier de ces objectifs, c'est l'élargissement du bénéfice de l'épargne salariale. Si 8,8 millions de salariés bénéficient aujourd’hui d'au moins un de ces dispositifs, en réalité, ce chiffre cache des inégalités extrêmement fortes, puisque moins d’un salarié sur cinq travaillant dans une entreprise de moins de cinquante salariés a accès à l'un de ces dispositifs et près de deux tiers des salariés des grandes entreprises ont accès à tous : l'intéressement, la participation, un plan d’épargne entreprise ou un PERCO. Ce sont autant d’inégalités auxquelles il faut mettre fin.

Notre volonté, c’est que la réforme globale de l'épargne salariale bâtie en lien avec les partenaires sociaux élargisse le bénéfice de ces dispositifs sans pour autant bouleverser l'équilibre qui doit demeurer entre la rémunération du travail par les salaires et les outils de participation. À nos yeux, la participation ne doit pas être un substitut ou un palliatif au salaire. Je vous rappelle par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'elle ne bénéficie pas du même régime de contribution sociale. Le salaire est aujourd'hui un instrument essentiel de financement de la sécurité sociale et c'est pour cette raison qu'en soutenant l'élargissement de la participation et de l'épargne salariale, nous ne voulons pas remettre en cause un principe politique, celui selon lequel la rémunération des salariés repose d'abord sur le salaire.

Deuxième objectif : la simplification. Faut-il le rappeler, depuis 2001, dix lois ont été adoptées dans ce domaine, conduisant à un empilement considérable de règles nouvelles, source d’une complexité d’un extrême raffinement, si j’ose dire. Notre objectif est de simplifier cet ensemble en répondant à des questions simples : quel est le bon niveau d'association des salariés au profit qui soit adapté à l'entreprise ? Quels sont les critères de performance pour faire de ces outils des leviers au service de la productivité et de la compétitivité des entreprises ? Nous devons répondre à ces questions avec les partenaires sociaux.

Troisième et dernier objectif de cette réforme globale de l'épargne salariale : que ces 90 milliards d'euros d’encours soient consacrés au financement de l'investissement productif. Il est frappant de constater que des liquidités abondantes circulent au sein de l'économie européenne, mais qu’une bonne part d’entre elles vont dans des investissements refuge, et non dans des investissements productifs. C’est la fameuse « trappe à liquidité ». C’est pourquoi il est fondamental de faire en sorte que cette épargne salariale soit consacrée au financement de l'investissement productif.

À cet égard, je me réjouis que les partenaires sociaux aient tenu à saluer le montant actuel de l’encours des fonds socialement responsables, soit 10 milliards d'euros. C'est la preuve que nous sommes capables de faire de cette épargne une source pérenne, robuste, participative et tempérante de financement des entreprises, ce qui est notre ambition.

Vouloir restreindre le champ de cette mesure de soutien à la consommation, et donc à l’activité, c’est considérer qu’elle n’aura aucun effet sur l'économie. Or là est l’enjeu : oui ou non voulons-nous que cette mesure ait un impact non seulement sur le pouvoir d'achat, mais également sur la consommation, et donc sur la croissance et sur l'emploi ? Toute modification dans un sens restrictif du champ de cette proposition de loi desservirait tant les consommateurs que l’emploi. C’est pourquoi je souhaite que le Sénat, au diapason de l'Assemblée nationale, instruit des heureux effets que cette mesure de bon sens a pu avoir dans le passé, s’exprime majoritairement en faveur d’un dispositif qui sera utile à nos concitoyens et utile à l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, c’est dans un contexte tout à fait particulier que nous sommes appelés aujourd’hui à examiner cette proposition de loi visant à autoriser le déblocage exceptionnel de l’intéressement et de la participation, adoptée par l’Assemblée nationale le 13 mai dernier.

Au terme de trois ans de dégradation continue, les dépenses de consommation des ménages et le pouvoir d’achat de nos concitoyens ont en effet établi l’an dernier de tristes records. Les chiffres publiés par l’INSEE la semaine dernière sont en effet sans appel : en 2012, les ménages ont réduit leur consommation pour la seconde fois seulement depuis l’après-guerre et pour la première fois depuis 1993. Le pouvoir d’achat individuel, quant à lui, a connu l’an dernier sa plus forte baisse depuis trente ans.

Si la crise que nous traversons se mesure à l’aune des données de l’INSEE, elle se traduit aussi et surtout par les difficultés financières que rencontrent nos concitoyens et par le désarroi que dissimulent de plus en plus mal nos administrés.

La mesure de déblocage sur laquelle nous allons nous prononcer vise, au moment où la conjoncture reste difficile, à compléter la stratégie de croissance du Gouvernement en améliorant dans les meilleurs délais le pouvoir d’achat des Français et en soutenant la consommation des ménages.

Elle ouvre aux salariés concernés la possibilité de récupérer, avant le délai légal de déblocage qui peut être de cinq ans ou de huit ans, les revenus épargnés au titre de la participation et de l’intéressement et leur permet de bénéficier des avantages sociaux et fiscaux habituellement associés à l’épargne salariale.

Je tiens à rappeler qu’une telle mesure ne constitue pas une idée neuve. Ce dispositif a même été abondamment utilisé par les gouvernements successifs dans le passé. Depuis 1994, pas moins de quatre déblocages exceptionnels ont ainsi été autorisés par la loi : en 1994, en 1996, en 2004 et en 2008 - cinq, même, si l’on compte le déblocage réalisé en 2005, qui, à la différence des autres, n’offrait aucune exonération fiscale aux bénéficiaires des droits libérés.

Le dispositif que nous examinons aujourd’hui se distingue néanmoins de tous ceux qui l’ont précédé. Il est à la fois plus ambitieux, d’un spectre plus large, ce qui doit garantir son efficacité, et mieux encadré, ce qui devrait limiter les effets indésirables souvent attachés à ce type de mesures.

Il couvre ainsi les sommes issues de la participation et de l’intéressement, quand les dispositifs précédents – en particulier ceux de 2005 et de 2008 – ne concernaient que le premier régime, c'est-à-dire la participation.

Ce choix permet ainsi de toucher les entreprises de plus de cinquante salariés, pour lesquelles la participation constitue une obligation, mais aussi les PME et certaines TPE, qui recourent plus facilement aux accords d’intéressement, compte tenu de leur facilité de mise en œuvre.

Il permet également aux salariés de débloquer l’ensemble des sommes qui leur ont été attribuées au titre de la participation et de l’intéressement, quels que soit leur année de versement et l’exercice au titre duquel elles ont été attribuées. Les sommes « déblocables » ne sont pas limitées à celles qui ont été attribuées au cours des deux années précédentes, comme ce fut le cas en 1994 et en 1995.

Il autorise enfin le bénéficiaire à débloquer jusqu’à 20 000 euros, soit le double du plafond autorisé en 2004 ou en 2008, permettant ainsi de procéder, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, à l’achat d’un véhicule ou à la réalisation d’importants travaux domestiques.

Si ce dispositif est ambitieux – il concerne potentiellement près de 8 millions de salariés et représente 90 milliards d’euros d’encours –, il reste néanmoins fermement encadré afin de limiter les effets pervers associés par le passé aux déblocages anticipés.

Le dispositif exclut d’abord les sommes issues de la participation et de l’intéressement investies dans les plans d’épargne pour la retraite collectif, les PERCO, afin de ne pas remettre en cause l’épargne longue, qui permet de compléter la pension de retraite de salariés souvent modestes.

Il exclut ensuite les sommes placées dans des fonds solidaires. Les 2,6 milliards d’euros d’encours consacrés au financement des entreprises sociales et solidaires sont en effet indispensables à la pérennité de ces structures.

Il prévoit enfin des modalités particulières pour le déblocage des sommes affectées à l’actionnariat salarié. Si le déblocage des sommes investies sur des fonds monétaires ou diversifiés peut se faire, sans formalité préalable, sur simple demande du salarié, celui des droits affectés à l’acquisition de titres de l’entreprise ou à l’acquisition de parts de FCPE d’actionnariat salarié est quant à lui subordonné à la signature d’un accord collectif.

On prend ainsi toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser inutilement les fonds propres des entreprises concernées.

Ces précautions ont d’ailleurs été considérablement renforcées par nos collègues députés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.

Sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales, Richard Ferrand, l’Assemblée nationale a en particulier complété le dispositif initial en subordonnant expressément le déblocage à l’achat d’un ou de plusieurs biens ou à la fourniture d’une ou de plusieurs prestations de service.

Ce faisant, la proposition de loi vise à éviter que les sommes débloquées ne soient immédiatement redirigées vers d’autres supports d’épargne, en particulier les livrets défiscalisés, dont les plafonds ont récemment été relevés.

Ce fléchage est d’autant plus nécessaire que ce phénomène a jusqu’ici considérablement amoindri l’effet des mesures de déblocage sur la consommation des ménages. En effet, 70 % des sommes liées à la participation ou à l’intéressement débloquées en 2004 auraient été, selon l’INSEE, immédiatement replacées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs.

Afin de garantir l’efficacité du fléchage, l’Assemblée nationale a également prévu une procédure de contrôle allégée imposant au salarié bénéficiaire de la mesure de tenir à la disposition de l’administration les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées.

Ce mécanisme me paraît équilibré. Il a le mérite d’être suffisamment simple pour ne pas décourager les salariés désireux de bénéficier du déblocage tout en étant suffisamment clair pour décourager les abus.

En guise de conclusion, je tiens à faire part de mon regret que la commission des affaires sociales ait rejeté cette proposition de loi.

Nous sommes tous conscients, dans cet hémicycle, que cette mesure de déblocage ne permettra à elle seule ni de faire brusquement décoller la consommation dans notre pays ni de rétablir définitivement la confiance de nos concitoyens dans l’avenir, mais je reste persuadée qu’elle pourra constituer, pour ceux qui pourront en bénéficier, une mesure bienvenue, au moment où les effets des réformes structurelles menées par le Gouvernement ces douze derniers mois commencent à peine à faire sentir leurs effets. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, le 28 mars dernier, le Président de la République, François Hollande, annonçait un déblocage exceptionnel de la participation afin, disait-il, de relancer la consommation.

Cette volonté s’est traduite par une proposition de loi du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, adoptée le 13 mai dernier.

Permettez-moi ici d’exprimer deux regrets : premièrement, que le support législatif retenu ne soit pas un projet de loi, ce qui aurait permis aux parlementaires de disposer d’une étude d’impact ; deuxièmement, que l’on n’ait pas attendu que le COPIESAS, créé par le Sénat et auquel vous avez fait référence tout à l’heure, monsieur le ministre, rende ses travaux avant de prendre une telle initiative.

La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté ce texte la semaine dernière, démontrant une fois encore l’absence d’unité au sein de la majorité sénatoriale.

Mme Isabelle Debré. Je tiens tout d’abord à souligner, mes chers collègues, qu’en 2004 et en 2008, lorsque les gouvernements précédents avaient proposé les mêmes mesures que celles sur lesquelles nous aurons à nous prononcer aujourd’hui, la gauche s’y était fermement opposée.

À cet égard, permettez-moi de rappeler quelques-uns des propos tenus à l’époque sur les travées du groupe socialiste de la Haute Assemblée.

Notre collègue Jean-Pierre Godefroy, lors de l’examen de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail, voyait dans le déblocage de la participation « un grand classique des périodes de ralentissement de l’activité » ou, mieux encore, un « montage trompeur pour les salariés, destiné à masquer l’inefficacité de la politique du Gouvernement ». Notre ancienne collègue Raymonde Le Texier s’exclamait : « Faire passer une baisse de l’épargne pour une augmentation du pouvoir d’achat, il fallait oser ! » Quant à Mme Bricq, aujourd’hui ministre, je rappelle qu’elle avait déclaré que « le déblocage de la participation était un très mauvais signal donné à l’épargne salariale »…

Je m’arrête là, la démonstration étant faite que les convictions de l’opposition d’alors, devenue majorité depuis, ne sont guère établies en matière de déblocage de l’épargne salariale !

Pour ma part, je tiens à rappeler, comme je l’avais fait en 2008, lors de l’examen du projet de loi en faveur des revenus du travail, que la participation et l’intéressement ne peuvent être considérés comme des variables d’ajustement de la politique économique.

En tant que gaulliste, il me semble utile de rappeler en quelques mots l’origine de la participation et, surtout, sa vocation. Mise en œuvre par le général de Gaulle sur la proposition de Louis Vallon, Marcel Loichot et René Capitant, la participation avait clairement pour objectif la réconciliation entre le capital et le travail et, comme le disait le Général, « l’association des hommes, de leurs intérêts, de leurs capacités ».

La participation permet d’associer les salariés aux résultats de l’entreprise en leur attribuant une partie du bénéfice réalisé. Elle ne constitue en aucun cas, comme certains voudraient le faire croire, souvent par méconnaissance, voire par dogmatisme, une substitution de salaire.

Cette proposition de loi, qui vise à redonner du pouvoir d’achat aux Français en autorisant le déblocage des avoirs qu’ils détiennent au titre de la participation et de l’intéressement, cherche bien maladroitement à pallier les conséquences d’une politique économique et sociale inadaptée à la situation que connaît notre pays.

Depuis mai 2012, le gouvernement dont vous êtes membre, monsieur le ministre, n’a cessé d’alourdir les prélèvements qui pèsent fortement sur les classes moyennes, matraquées par une fiscalité devenue confiscatoire.

Depuis mai 2012, vous n’avez cessé de « défaire » la politique en faveur du travail menée par le précédent gouvernement : je pense en particulier à la défiscalisation des heures supplémentaires, qui permettait aux salariés d’accroître substantiellement leur pouvoir d’achat…

M. Marc Daunis. Et le chômage !

Mme Isabelle Debré. Pour la première fois depuis 1984, année où vous étiez déjà aux affaires, le pouvoir d’achat des Français a reculé. En 2012, l’INSEE évoque une diminution du pouvoir d’achat de 0,4 %, imputable, selon lui, à la forte hausse des impôts.

À notre grand regret, la seule mesure que vous préconisez pour remplir le porte-monnaie bien allégé des Français est celle qui avait été mise en œuvre en 2008 et qui n’a pas produit – il faut bien le reconnaître – les effets escomptés.

Des études portant sur les mesures de déblocage de 2004 et 2008 ont été réalisées, s’intéressant notamment aux usages faits des sommes débloquées.

Selon une étude de l’INSEE datée de 2005, les deux tiers des retraits effectués en 2004 étaient allés vers des placements plus souples, comme le livret A, ou des placements plus rémunérateurs, comme l’assurance-vie. À titre d’exemple, sur les 7 milliards d’euros dégagés en 2004, à peine 2 milliards d’euros avaient été injectés dans des consommations nouvelles. Ces 7 milliards d’euros ne représentaient d’ailleurs qu’un dixième de l’encours total de l’épargne salariale.

En 2008, 1,6 million de salariés avaient retiré un total de 3,9 milliards d’euros, bien loin de l’objectif visé, fixé à 12 milliards d’euros.

J’ajoute que la mesure que vous proposez représentera un manque à gagner pour l’État, dans la mesure où les déblocages seront exonérés d’impôt.

Il ne s’agit finalement que d’un simple effet d’annonce qui n’aura aucune influence positive sur le pouvoir d’achat et qui replace sur le devant de la scène le mythe – éternel, pourrais-je dire – de la relance de la croissance par la consommation.

Croyez-vous réellement que les Français aient réellement l’intention, en temps de crise – je rappelle que la France est en récession –, d’affecter les avoirs retirés à la consommation de biens et de services ? Il faudrait d’abord restaurer la confiance pour que nos concitoyens consomment, mais aussi lutter plus efficacement en faveur de l’emploi et du développement des entreprises.

Compte tenu de la situation dans laquelle se trouve notre pays, les Français s’abstiendront de retirer leurs avoirs, ou placeront les sommes débloquées sur un livret A, par exemple, qui a un profil plus liquide.

En outre, vous souhaitez permettre le déblocage de 20 000 euros, alors même que la moyenne d’un compte d’épargne salariale s’élève, vous le savez, à 7 500 euros : aussi proposerons-nous un amendement tendant à abaisser le plafond de déblocage à 10 000 euros. Un deuxième amendement que je vous présenterai vise à ne débloquer que les sommes placées en fonds monétaires, afin de ne pas grever excessivement le budget des entreprises.

Je tiens également à souligner que les travaux de l’Assemblée nationale ont complexifié le dispositif du déblocage, pour obliger nos concitoyens à consommer et non à épargner. À la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur, il a été décidé que le salarié doit pouvoir tenir à la disposition de l’administration fiscale toutes les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées ! Nos collègues étaient-ils conscients qu’une telle mesure est tout simplement inapplicable, tant pour le salarié que pour les contrôleurs ? Nous présenterons donc un amendement visant à simplifier le contrôle, en confiant au teneur du compte la tâche de la gestion administrative auprès de l’administration fiscale.

Monsieur le ministre, nous sommes sans illusion sur les effets réels du déblocage de la participation et de l’intéressement sur la consommation. Avec ce dispositif, vous voulez nous faire croire que vous pouvez relancer la consommation en augmentant le pouvoir d’achat. C’est une fausse bonne idée et les expériences passées l’ont malheureusement démontré – même celles de la précédente majorité, à laquelle j’appartenais !

J’avancerai enfin un dernier argument. Alors que la prochaine réforme des retraites doit être engagée rapidement et qu’un allongement de la durée de cotisations se profile, quel peut être l’intérêt des salariés à liquider aujourd’hui leur épargne longue ? Ne devrait-on pas, au contraire, inciter nos concitoyens à préparer de façon sereine leur retraite grâce à ces différents dispositifs d’épargne salariale ?

Pour l’ensemble de ces raisons, et à défaut de prise en compte des amendements défendus par notre groupe, nous nous opposerons au texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)